Armes blanches d`Afrique noire de la collection Barbier

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Armes blanches d`Afrique noire de la collection Barbier
Dossier pédagogique
SAISON AFRICAINE
2 EXPOSITIONS :
ARMES BLANCHES D’AFRIQUE NOIRE
DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER
JACQUES KERCHACHE :
ITINÉRAIRE D’UN CHERCHEUR D’ART
DÉCEMBRE 2003 - SEPTEMBRE 2004
DOSSIER EN 3 PARTIES :
- ARMES BLANCHES D’AFRIQUE NOIRE
DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER
- JACQUES KERCHACHE :
ITINÉRAIRE D’UN CHERCHEUR D’ART
- EXPLOITATIONS PÉDAGOGIQUES DES EXPOSITIONS
Partie I / sommaire
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ARMES BLANCHES D’AFRIQUE NOIRE
DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER
INTRODUCTION :
RAPPEL HISTORIQUE DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER
I- FORGES ET FORGERONS D’AFRIQUE
1 - LE TRAVAIL DE FORGE
2 - LES MAÎTRES DU FEU : RELATION ENTRE FORGE ET POUVOIR
II- ARMES DE GUERRE ET ARMES DE PRESTIGE
1 - ARMES DE GUERRE : L’EXEMPLE DU COUTEAU DE JET
2 - ARMES DE PRESTIGE ET ARMES RITUELLES
a - DÉFINITION DES TYPES D’ARMES
- LES HACHES
- LES HERMINETTES
- LES COUTEAUX
b - LES FORMES ET LES DÉCORS :
- LAMES VIRTUOSES
- TYPES DE MÉTAUX
- GRAVURES
- MANCHES OUVRAGÉS
- ÉTUIS PROTECTEURS
III- LA VALEUR DES LAMES : LES MONNAIES
1- MONNAIES DE FER : MONNAIES TCHADIENNES ET MONNAIES BANDA
2- MONNAIES DE CUIVRE : MONNAIES NKUTSHU
IV- LES BOUCLIERS : ARMES DÉFENSIVES
ET OBJETS D’APPARAT
1- LA PLACE DU FABRICANT DE BOUCLIERS DANS LA SOCIÉTÉ
AFRICAINE : L’EXEMPLE DU TRESSEUR DE BOUCLIERS
2- LES MATÉRIAUX
3- DES OBJETS CLANIQUES
4- DES OBJETS DE GUERRE : PROTECTION, ÉTENDARD,
PORTE-COUTEAUX DE JET
Introduction
Rappel historique de la collection
Barbier-Mueller
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VUE DE L’ESPACE DIDACTIQUE © André Morin
Les objets de cette exposition appartiennent à la collection du musée BarbierMueller de Genève. L’histoire de cette collection de plus de 5 000 objets d’art
extra-européens remonte au premier quart du XXe siècle, lorsque le collectionneur Joseph Mueller commence à acquérir quelques pièces d’art africain.
Dès 1955, sa fille Monique et son gendre Jean Paul Barbier-Mueller poursuivent son œuvre. En 1977, ils ouvrent le musée de Genève, puis, en 1997, un
musée à Barcelone consacré aux arts précolombiens.
Cette collection d’armes est avant tout révélatrice de l’œil et du goût d’un
collectionneur d’art. Chaque arme fut choisie et acquise par Jean Paul
Barbier-Mueller avec soin, pour des raisons esthétiques : équilibre des
formes, force des décors, originalité.
Cet ensemble ne vise aucune représentativité ethnologique ou typographique. La plupart des pièces proviennent d’Afrique centrale et datent de la
fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Une centaine d’armes est présentée, complétée par vingt boucliers provenant de toute l’Afrique.
I – Forges et forgerons d’Afrique
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FORGERONS DZINGS
© Pères Jésuites flamands, Heverlee
République démocratique du Congo (ex-Zaïre)
Vers 1920
L’âge du fer débute en Afrique subsaharienne vers le VIIIe siècle avant JésusChrist. De ces temps anciens, la mémoire collective a retenu le mythe des
rois forgerons, fondateurs de majestueux royaumes.
1 - Le travail de forge
Au fil des siècles, les techniques de fonte et de forge des métaux sont restées
immuables.
Affleurant sur de nombreux sites à la surface du sol, le minerai de fer est
fondu à basse température (1 150°) dans un four creusé à même le sol ou
construit en édicule rond. Au cœur du four se superposent couches de minerai et couches de charbon de bois. Les soufflets de forges entretiennent un
feu continu. Le congloméré de fer, de charbon, et d’impuretés obtenu est
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SOUFFLET DE FORGE MONGO
© Missionnaires du Sacré-Cœur, Borgerhout
République démocratique du Congo (ex-Zaïre)
purifié et divisé en lingots. Le fer est alors retravaillé sur l’enclume par le forgeron. Une grande pierre fait office d’enclume principale ; une seconde
enclume de métal sert aux finitions. Le marteau, la pince, le poinçon et le
burin constituent l’attirail du forgeron pour le travail, à froid, de la forme, du
tranchant et du décor de l’objet façonné.
L’usage du soufflet de forge permet d’accélérer la combustion du charbon de
bois dans le foyer et d’augmenter la température en vue du traitement du
minerai ou du façonnage du métal.
Taillés dans une seule pièce de bois, les soufflets, utilisés par paires sont
munis d’une, deux ou quatre cavités cylindriques juxtaposées faisant office
de chambres à air ; celles-ci sont obturées par des membranes souples en
peau auxquelles sont fixés des manches servant à actionner le dispositif.
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Elles sont reliées à un conduit, simple ou double, permettant d’insuffler de
l’air au cœur du foyer.
Les soufflets sont parfois sculptés dans un style anthropomorphe ou décorés
de clous de tapissier.
2 - Les maîtres du feu, relation entre forge et pouvoir
Au-delà de leur savoir-faire, les forgerons jouent un rôle économique, politique et occulte au sein de la société africaine. Pour les peuples sédentaires
de l’Afrique subsaharienne, ils appartiennent à une élite, car ils détiennent
des connaissances secrètes liées au monde des esprits.
À l’inverse, ils sont craints et dénigrés dans les sociétés de pasteurs nomades
du Soudan et du Sahel. Isolés, ils sont alors privés des droits des hommes
libres et n’ont pas accès à l’ascension politique. Cette discrimination n’empêche pas que l’on fasse discrètement appel à leurs pouvoirs mystérieux.
Dans de nombreuses cultures d’Afrique subsaharienne, la fabrication du
métal est métaphoriquement liée à l’acte sexuel et la naissance. Ce puissant
symbole implique le respect de multiples tabous autour de la forge, qui est
construite hors du village. De même, le fondeur forgeron respecte des interdits sexuels lors de la création d’objets en métal.
Le savoir-faire et les connaissances magiques des maîtres du feu se transmettent de génération en génération. En Afrique de l’ouest, cette tradition
est héréditaire, alors qu’en Afrique centrale elle se transmet de maître à
apprenti, et engendre un système d’échanges entre peuples voisins.
II – Armes de guerre et armes
de prestige
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Les armes blanches produites par les forgerons africains se déclinaient selon
des formes très diverses en fonction de leur utilisation première. Lames
courbes, haches et herminettes constituaient les outils privilégiés des travaux des champs. La guerre entraînait la fabrication de lances, d’épées, de
couteaux de jet. Tout homme libre possédait ses propres armes et son poignard, signes de son identité, de son rang dans la société. Les rituels sacrés,
sacrifices et circoncisions nécessitaient la création d’armes spécifiques,
sacralisées, et portées uniquement par les personnages élus. Enfin, l’arme du
chef, « véritable sceptre », manifestait son pouvoir, sa richesse et son autorité
lors de parades et de représentations officielles. L’arrivée des premiers occidentaux en Afrique, suivie d’une colonisation féroce ont engendré d’importantes mutations au sein des sociétés africaines ; les fusils ont peu à peu
remplacé l’arsenal de guerre mais n’ont pas signé l’arrêt de la production
d’armes. Celles-ci ont entamé une seconde existence, non plus comme
objets usuels mais comme symboles de luxe et de pouvoir, symboles d’un
glorieux passé conquérant. Les forgerons ont créé des armes « objets d’art »,
exubérantes, au décor riche et minutieux, aux formes complexes. Cette
diversification des modèles fut la cause puis parfois la conséquence d’un
engouement des colons blancs pour les armes blanches africaines.
1 - Armes de guerre : l’exemple du couteau de jet
La panoplie du guerrier se compose du couteau de jet, de la lance et du javelot.
Les couteaux de jet Bandas présentés ici ont une face bombée et une face
plate, ce qui augmente leur aérodynamisme ; leur poids est léger comparé
aux couteaux de jet de certains de leurs voisins, comme les Ngbakas et les
Ngombés, ce qui indique un usage effectif comme couteaux de jet. Très valorisées, ces armes de prestige appartenaient généralement aux seigneurs de
guerre et n’étaient lancées qu’en dernier recours lors des combats.
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COUTEAUX DE JET ONDO
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République Centrafricaine,
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Banda
Fer, herbes tressées
Début du XXe siècle
Ce modèle de couteau de jet avec deux
lames saillant de l’axe principal peut être
considéré comme le modèle standard des
Bandas. Il possède une face bombée (ici
grâce à un effet de biseau) et décorée, et une
autre plate et non ornée. Celui-ci se distingue par sa gravure qui souligne les
biseaux de la lame ainsi que par le savant
tressage d’herbes qui lui sert de poignée.
2 - Armes de prestige et armes rituelles
a - Définition des types d’armes
- Les haches
Les haches se caractérisent par un manche assez long, droit ou légèrement
courbe, pouvant mesurer jusqu’à 1 mètre. La lame est modeste. Le centre de
gravité se situe très haut, au niveau de la lame, de manière à procurer un
impact optimal. La hache d’arme peut aussi prendre la fonction d’arme d’apparat, insigne de dignité.
HACHE KILONDA
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Nsapo, Songye-Eki
Fer, cuivre, bois
Avant 1930
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La fabrication de cette hache monumentale nécessitait un grand savoirfaire : la lame de fer est rattachée au manche par cinq éléments allongés, les
entretoises, sont disposées de manière à produire un effet ajouré. Les
diverses parties de la hache étaient créées séparément puis jointes par soudure à froid.
Sur chaque entretoise, le forgeron façonnait d’abord des têtes. Le nez et la
bouche étaient soigneusement travaillés au burin. Une lame pouvait compter jusqu’à une centaine de têtes ; cette hache en compte 92. Certains de ces
éléments pouvaient être torsadés. Ils étaient maintenus en place par
d’autres entretoises, courbes, fixées en position oblique. L’ensemble était
enfin adapté au manche couvert d’une feuille de cuivre.
- Les herminettes
L’herminette est une hache possédant une lame horizontale, plate ou
creuse, recourbée vers le manche. Elle se portait sur l’épaule et pouvait donc
servir d’arme d’appoint en cas de danger. La majeure partie des herminettes
est décorée d’une sculpture sur le manche.
HERMINETTE NSÉSU
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Pendé de l’ouest
Aluminium, bois
Entre 1920 et 1950
Cette hache est nommée nsésu, provient des
Pendés de l’ouest et servait d’insigne de
notable. Sa lame est en aluminium, matière
particulièrement appréciée par les Pendés
pour sa nouveauté et sa légèreté. Ce métal
est très difficile à forger, car si l’on dépasse
une certaine température, il se casse. Le
manche en bois est sculpté de deux masques
teintés de rouge surmontés de chapeaux à
quatre pointes, nommés fumu ou phumbu :
fumu est le masque du « chef » et phumbu
celui du « tueur ». Ils peuvent être différenciés grâce à la plume rouge du phumbu.
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- Les couteaux
Le couteau est un instrument tranchant. Il se compose d’une lame à pointe,
comportant un dos et un tranchant. C’est donc un instrument tranchant
d’un seul côté, parfois des deux côtés pour le poignard, monté sur un
manche. Le mot « couteau » est également un générique pour les objets en
forme de couteau, sans qu’un manche soit spécifiquement requis.
Il existe différents types de couteaux, les couteaux droits ou symétriques
(poignard, épée courte, épée, couteau discoïde symétrique…), les couteaux
asymétriques ou courbes (le poignard courbe, l’épée à lame recourbée, le
sabre, le couteau discoïde asymétrique, l’arme faucille…)
Quatre exemples de couteaux sont ci-dessous présentés : l’épée, le couteau
d’exécution, le couteau de jet et l’arme faucille.
D’autres types de couteaux sont représentés dans l’exposition.
- L’épée
L’épée est une arme droite à double tranchant, la lame est longue, la pointe
acérée. L’épée est une arme de taille et d’estoc.
ÉPÉE
© studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
So, Bango
Fer, bois, cuivre rouge
Vers 1900
Cette très grande épée magnifiquement forgée et gravée provient des peuples sos et bangos. Sa grande taille, son forgeage puissant,
ses nombreuses découpes ajourées et la
finesse de sa gravure la distinguent comme
une arme de prestige réservée aux chefs.Trois
stries profondes dans la partie supérieure
créent un contraste avec la gravure fine, aux
traits assurés soulignant la forme de la lame.
La poignée en T permet une prise à deux
mains, comme pour les épées médiévales
européennes, ce qui rendait cette arme de
grande taille particulièrement redoutable.
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- Les couteaux d’exécution
« Le bourreau parcourt la place en brandissant son énorme couteau, à la
lame courbée, faite, dirait-on, au moule du cou humain. »
Récit du voyageur Camille Coquilhat, 1883.
Certaines armes de guerre perdent peu à peu leur fonction première et interviennent dans divers contextes : le couteau dit d’exécution ngulu est une
arme faucille que l’on retrouve dans la région nord-ouest de la République
démocratique du Congo, le long du fleuve Zaïre et de la rivière Ubangi. Au fil
du temps, il est devenu un insigne de prestige, brandi lors de danses mimant
les combats. Ces couteaux impressionnent notre imaginaire par leur fonction supposée d’outils de mort. Mais ce sont d’abord des objets d’une grande
puissance visuelle : simple ou double, de grande taille, la lame du ngulu se
recourbe comme une faucille ou s’épanouit en deux croissants.
ARME FAUCILLE DOUBLE
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
République du Congo
(ex-Congo Brazzaville)
Lobala, Mondzombo, Ngbaka
Fer, bois, cuivre rouge, laiton
Vers 1900
Le manche en bois de cette arme faucille
comporte un pommeau se terminant par
deux « cornes » recouvertes de bandes de
cuivre rouge. Le couteau, qui se divise en
trois lames carrées à leur extrémité, est
forgé avec subtilité, finement incisé et poinçonné, et possède deux tranchants acérés.
Sa découpe et sa gravure peuvent évoquer
une figure aux bras levés. Ce type de couteau
aurait ainsi donné naissance à une production de lames anthropomorphes destinées,
surtout, aux amateurs européens.
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- Les couteaux de jet
Le couteau de jet est un couteau que l’on peut lancer vers une cible.
Le couteau de jet africain est une arme originale qui se décline en nombreuses variantes selon les peuples qui la forgent. Souvent mince et léger, il
possède une lame à multiples tranchants acérés. Bien équilibré pour le lancer, discret et silencieux, il constitue une arme redoutable que le guerrier
porte sur lui ou qu’il fixe parfois derrière son bouclier.
Il est devenu un objet de prestige dès le XIXe siècle. Echangé comme monnaie
ou remis en récompense aux guerriers, il intervenait aussi dans les rites d’initiation et les cérémonies de scarification.
« Lorsque qu’il eut utilisé toutes ses lances, il attrapa vivement de la main
droite l’un de ses couteaux de jet et, après s’être penché et l’avoir courbé
légèrement sous son pied, le lança en position verticale vers son ennemi. On
m’avait dit qu’il ne lancerait qu’un seul de ses couteaux, et cela seulement
après avoir crié qu’il était sur le point de le faire, puisqu’il était considéré
comme déshonorant pour un homme de lancer ses couteaux de prince sans
cette déclaration préliminaire, en l’absence de laquelle on pourrait raconter
qu’il avait lancé son arme sous l’emprise de la peur. »
Evans Pritchard, The Azande : history and political institutions, London,
Oxford University Press, 1971.
COUTEAU DE JET MOKO-NDO OU
NGBANGBA
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République du Congo (ex-Congo
Brazzaville), République Centrafricaine
Ngbaka Mabo
Fer, cuivre rouge
Vers 1910-1920
Ce couteau léger aux tranchants acérés est
rehaussé d’incrustations de pastilles de
cuivre. Sa lame est ornée de motifs finement
incisés. L’araignée, qui joue un rôle important dans les croyances des Ngbakas Mabos,
est figurée par des motifs en « X ». La poignée en cuivre rouge fait écho aux incrustations de la lame. Armes de prestige, ces
couteaux de jet étaient aussi utilisés par les
wamas, les maîtres luttant contre la sorcellerie lors de certains rites.
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- Les armes faucilles
L’arme faucille est un couteau en forme de demi-lune, à poignée courte. Le
côté intérieur de la demi-lune constitue le tranchant. La pointe est aiguë, de
même que les dix premiers centimètres du côté extérieur du croissant. La
forme de base de ces armes rappelle celle des outils agricoles.
ARME FAUCILLE UGGO
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Mamvu, Mangbetu
Fer, bois, ivoire
Vers 1900
Ce modèle d’arme faucille à la silhouette discoïde provient des Mamvus (Momvus), voisins des Mangbetus. Ce lourd couteau de
brousse a un impact puissant, son poids
étant concentré en haut de la lame. On en
connaît des descriptions comme outils de
brousse, utilisés en particulier par les
femmes pour des travaux de hachage.
Cependant, la qualité de celui-ci évoque plutôt un objet de prestige : la magnifique lame
épaisse, très régulière, à la courbure légèrement soulignée par son arête est ajourée et
gravée de motifs géométriques. Les perforations sont soulignées au poinçon. Le manche
est orné de cuir, clous de tapissier, bandes
de métal torsadées dont l’alternance crée
un riche effet décoratif.
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2 b - Les formes et les décors
- Lames virtuoses
Les lames constituent l’élément essentiel des armes de poing sur le plan utilitaire. Leur poids varie selon l’usage auquel elles sont destinées : généralement lourdes pour les épées, et légères pour les couteaux de jet. Leur
découpe peut être simple ou complexe, à un ou plusieurs tranchants.
La découpe des lames, l’équilibre des masses de métal, les jeux de symétrie,
le rythme des creux et des pleins permettent de distinguer l’arme d’un personnage important. Mais c’est souvent le décor qui permet d’identifier à
coup sûr l’arme de prestige. Les lames pouvaient être ornées de motifs gravés ou estampés au burin : ils en soulignaient la découpe ou, au contraire,
constituaient un décor autonome parfois renforcé par un noircissement ou
une pigmentation du métal. Creusées ou ajourées, les lames étaient parfois
aussi damasquinées de cuivre. Le polissage permettait d’obtenir des résultats spectaculaires.
ÉPÉE COURTE BYONGI
© studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Ekonda, Kundu
Fer, bois
Première moitié du XXe siècle
Cette épée montre la fantaisie extraordinaire
dont pouvaient faire preuve les forgerons
ékondas. La lame se divise en deux, se déploie
en courbes et contre-courbes d’où naissent
autant de petites pointes tranchantes.
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- Les types de métaux
Le métal le plus largement utilisé en Afrique est le fer. Pour les éléments décoratifs, on retrouve plus rarement du cuivre rouge, du laiton et de l’aluminium.
ÉPÉE COURTE MBYÉLÉ
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
République du Congo
(ex-Congo Brazzaville)
Téké
Fer, cuivre rouge, laiton, bois
Avant 1900
Souvent désigné comme « couteau royal »,
ce modèle court est la plus célèbre des épées
téké. Six rosaces ajourées et quatre pastilles
de cuivre rouge ornent la lame à épais bourrelet central qui est soulignée d’un triple
trait gravé. Un anneau en fer situé juste en
dessous de la lame renforce la poignée. Le
manche et son pied sont richement ornés de
laiton. Cette épée constitue un bel exemple
d’association de différents métaux.
- Les gravures
ÉPÉE COURTE
© Studio Ferrazzini-Bouchet
Cameroun
Bamiléké
Fer, tressage de fibres végétales enduites
Début du XXe siècle
Les plaines herbeuses du centre du
Cameroun sont habitées par les Tikars,
Bamuns, Bamilékés et plusieurs autres
petits groupes ou royaumes, bien connus
pour leur sculpture. Cette épée courte à
extrémité élargie permet d’apprécier la qualité du travail de leurs forgerons. Créée par
les Bamilékés, elle a été forgée en une seule
pièce de fer (lame, garde et manche), ce qui
est rare. Sa lame présente sur les deux faces
un très beau travail de gravure à motifs de
vagues entrecroisées.
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- Les manches ouvragés
Le manche des armes de poing conditionnait la réussite de l’arme puisqu’il
permettait un effet de contrepoids lors de son utilisation. C’est le cas notamment des longs manches de bois de certains couteaux de jet ou des lourds
manches de certaines haches ou faucilles, parfois terminés par un cylindre
de métal massif. Le manche, creux, pouvait aussi accueillir des substances
magiques destinées à protéger le guerrier. Les manches des armes de luxe
pouvaient être façonnés dans des matières précieuses, comme l’ivoire. Ils
étaient souvent d’une facture soignée, recouverts de cuivre sous forme de
clous, de fils enroulés, ou même de feuilles martelées et repoussées. Ils faisaient parfois office de socles, destinés à faire valoir la beauté de l’objet en
position verticale. Enfin, certains manches de bois étaient sculptés de motifs
anthropomorphes.
HERMINETTE
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Pendé de l’ouest (avec influence Mbala,
Suku et Tchokwé)
Fer, bois
Entre 1920 et 1940
Le manche très ouvragé de cette herminette
est surmonté d’une tête sculptée portant
une coiffure en plumes, structurée par de
petites cornes d’antilope, qui est régulièrement portée chez les Pendés de l’ouest. Un
second personnage est sculpté sur le
manche, représenté assis : un thème que l’on
retrouve tant chez les Pendés de l’ouest et de
l’est que chez les Lundas et les Tchokwés. Ces
derniers sont probablement à l’origine de ces
personnages assis, qui figurent régulièrement sur leurs sièges. La lame en fer semble
jaillir de la bouche de la tête sculptée. À son
extrémité, deux pointes se recourbent vers
l’extérieur.
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- Les étuis protecteurs
Les lames à simple ou double tranchant étaient portées le plus souvent sur
le côté et pouvaient blesser leur propriétaire. La création d’étuis en bois, en
peau ou en tissu, permettait de le protéger des arêtes acérées, tout en assurant la conservation de la lame.
L’étui, souvent de proportions très importantes par rapport au couteau qu’il
abrite, était porté sur le torse. Il faisait alors office de cuirasse pectorale pour
le guerrier.
L’étui des armes de prestige est investi de leur rôle de représentation : richement décoré, il se fait presque bijou. Enfin, dans un cadre rituel, il est parfois
nécessaire d’atténuer l’aspect agressif de la lame en la dissimulant, comme
c’est le cas pour l’épée Kuba, protégée par un fourreau de tissu.
ÉPÉE COURTE EMPUTÉ DANS SON ÉTUI
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
So, Mba, Topoké, Mbolé, Lokélé, Genya
Bois, peau, fer, cuivre rouge, laiton,
clous de tapissier
Vers 1900
Ce modèle d’épée courte était très répandu en
Afrique centrale. Compte tenu de sa vaste aire de
répartition, il est difficile d’en repérer les producteurs. Ce sont probablement les Genyas, connus
comme marchands, qui l’ont importé vers le nord,
car poignards et épées courtes à contrepoids étaient
très répandus au sud. Ces couteaux se portaient
dans leur étui sous le bras ou devant la poitrine.
D’une très grande qualité de forgeage et de gravure,
celui-ci se distingue par son superbe contrepoids en
forme de diamant. Sa poignée en bois est décorée
de cuivre rouge et de laiton. Son étui, énorme, est
fait de deux plaques de bois tendues de peau et
rehaussées de clous de tapissier et de métal martelé. L’anse, en cuir, est entourée de bandes de cuivre.
III – La valeur des lames :
les monnaies
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Avant l’époque coloniale, l’économie en Afrique subsaharienne se fondait
sur un système d’échange de produits précieux, en particulier les métaux. Le
fer et le cuivre constituaient une de ces multiples monnaies d’échange, soit
sous forme de lingots, soit sous forme de lames.
On distingue parmi ces monnaies des produits finis, revêtant l’aspect
d’armes complètes (avec leur manche), des produits semi-finis (une simple
lame), et enfin des dérivés de lames. Ces derniers sont proches de la définition européenne du terme de « monnaie » : objets non utilitaires, standardisés, ils ont évolué vers une forme purifiée et sont devenus de véritables
créations plastiques.
La diversité des monnaies de métal démontre la valeur de celles-ci au sein de
la société africaine et affirme l’importance du forgeron au cœur du système
monétaire. Au-delà de leur valeur pécuniaire, les monnaies de fer possèdent
d’autres qualités aux yeux de certains peuples comme les Ndengeses du
Congo : elles protègent le village et servent d’outils de sorcellerie.
1 - Monnaies de fer : monnaies tchadiennes et monnaies Banda
MONNAIES EN FORME DE COUTEAU DE JET
KUL OU KEUL
© Studio Ferrazzini-Bouchet
Tchad, République Centrafricaine
Ngam (Ngama)
Fer
Les Ngams (Ngamas), vivent au sud du Tchad
jusque dans la République Centrafricaine.
Étrangement, ces monnaies ressemblent
peu aux couteaux de jet utilisés dans la
région. Peut-être leurs modèles ont-ils disparu, à moins qu’elles ne résultent d’une
libre interprétation. Finement forgées, leurs
formes sont très élégantes.
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MONNAIE EN FORME DE COUTEAU DE JET
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République Centrafricaine, République
démocratique du Congo (ex-Zaïre)
Mbugbu (Banda)
Fer
Vers 1900
Les Mbugbus sont la seule tribu banda à disposer
d’une armée permanente d’environ 1 500 soldats
pour se défendre contre les attaques des peuples
voisins. Ils sont les producteurs de ces larges monnaies gravées en forme de couteaux de jet qui existent en deux versions : un modèle léger, gravé ou
non, utilisé comme monnaie, et un modèle plus
lourd, généralement gravé, pourvu d’une poignée
en bois et qui servait probablement d’arme de
parade. Ici, la lame de forme arrondie et non tranchante est ornée d’une gravure profonde, fondée
sur des doubles traits reliés par de petites stries.
2- Monnaies de cuivre : monnaies Nkutshu
Les peuples du centre et du sud de l’actuelle République démocratique du
Congo (ex-Zaïre), auxquels appartiennent les groupes Nkutshu et Tétéla,
produisent de très beaux modèles de dagues et d’épées, ainsi que des monnaies caractéristiques qui en sont dérivées.
Les lourds pommeaux cylindriques augmentent leur potentiel d’inertie, mais
également leur valeur monétaire par la quantité de fer ou de cuivre requise
pour leur fabrication. Les monnaies en cuivre possèdent une valeur accrue.
MONNAIE EN FORME DE POIGNARD
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Nkutshu, Tétéla, Hamba
Cuivre rouge
Entre 1920 et 1940
Ce modèle est fait d’une seule pièce de cuivre rouge,
ce qui représente un exploit pour le forgeron.Il est
probable que ce beau couteau a servi de monnaie.
On sait en effet que des lances aux lames très
proches de celle-ci, exécutées en cuivre, étaient utilisées, notamment, pour les dots de mariages.
IV – Les boucliers : armes défensives
et objets d’apparat
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VUE DE L’ESPACE DES BOUCLIERS © André Morin
Le bouclier a longtemps été l’arme défensive la plus largement utilisée dans le
monde. Sa première fonction était de se protéger des projectiles et d’esquiver
les coups. On pouvait aussi bien s’en servir comme arme d’attaque, comme
support de substances magiques ou pour effrayer l’ennemi en frappant dessus.
BOUCLIER
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République de Soudan
Tribu nilotique du sud du Soudan,
Dinka ou Nuer
Cuir de vache, bois
Ce bouclier en forme de feuille, en cuir blanchi, provient d’une tribu vivant au sud du
Soudan. Des lignes grenées dessinent des
motifs symétriques de triangles isocèles,
rappelant les scarifications de certains
peuples du sud du Soudan. La section
médiane du bouclier est marquée par un pli
de cuir assurant sa rigidité.
BOUCLIER EN FORME D ’ÉVENTAIL
© Studio Ferrazzini-Bouchet
Cameroun, Tchad
Vannerie, jonc tressé, ficelle
Le bouclier est constitué de trois épaisseurs
de tresses végétales aplaties pour constituer
une surface convexe en forme d’éventail.
Une pièce de bois d’un seul tenant fixée au
dos du bouclier par du cordon en fibre végétale servait de poignée.
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BOUCLIER
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique du Congo
(ex-Zaïre), République centrafricaine
Ngbandi, Yakoma, Sango
Vannerie, jonc tressé, bois, métal
Le bouclier est constitué de joncs gongos
séchés, d’osier, de vigne, de rotin et de raphia.
Pour faire du vacarme pendant les combats,
les guerriers accrochaient des cloches de fer à
la poignée. La pièce métallique centrale, de
forme ronde est appelée umbo.
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BOUCLIER
© Studio Ferrazzini-Bouchet
Afrique du Sud, Les otho, Malawi, Swaziland
Zoulou (Amazoulou), Xhosa, Ndebélé, Swazi
Peau de vache, bois
Ce bouclier en peau de vache brun moucheté est communément appelé « bouclier
zoulou ». De forme ovale, un long morceau
de bois sert de membrure, solidement cousu
à la face interne par deux bandes parallèles
taillées dans la même peau.
BOUCLIER
© Studio Ferrazzini-Bouchet
Éthiopie
Oromo, Sidamo, Arssi, Ometto, Amarro,
Woleyta et Hadiya
Cuir d’hippopotame
Ce bouclier est constitué d’une peau d’hippopotame, avec une crête médiane bien dessinée, ornée de ligne parallèle en relief et de
bossettes.
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1 - La place du fabricant de boucliers dans la société africaine : l’exemple du
tresseur de boucliers
Chaque village avait autrefois son tresseur de boucliers qui jouissait d’un
prestige comparable à celui du forgeron.
Les boucliers des chefs de village et des grands guerriers étaient plus imposants que ceux des simples villageois.
Les mesures du bouclier se prenaient à partir du sol jusqu’au-dessus du
cœur, à la hauteur des aisselles.
2 - Les matériaux
Les boucliers d’Afrique ont été façonnés dans toutes sortes de matériaux
solides, qu’on utilisait seuls, ou mélangés à d’autres : cuir brut ou tanné, bois
tendre ou dur, tissu, métal et fibres végétales, carapace de tortue…
BOUCLIER
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République du Soudan
Tribu nilotique du sud Soudan non identifiée
Carapace de tortue, bois, cuir, métal
Ce bouclier est confectionné au moyen
d’une carapace de tortue, avec un long
manche de bois, entouré de lanières de cuir
et de liens de métal. Une sorte de bracelet
rond, en métal, d’une circonférence supérieure à celle du manche servait peut-être à
maintenir ou transporter d’autres accessoires. La carapace de la tortue constituant
ce bouclier étant un matériau fragile, on
peut penser qu’il n’était pas utilisé au combat mais comme objet de prestige, peut-être
destiné à être offert.
Ces boucliers étaient réalisés avec soin car conçus pour résister longtemps.
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3 - Des objets claniques
Leur conception et leurs motifs différenciaient un groupe d’un autre au cours
des batailles et permettaient d’identifier le rang militaire et le statut social
de leur porteur. On se servait des boucliers non seulement au cours des
guerres mais aussi dans les exercices d’entraînement et pendant les rites
d’initiation. La complexité des formes, le niveau technique de leur fabrication, traduisent aussi les sentiments de dignité et de prestige dont étaient
investis les combattants.
On trouve des boucliers partout en Afrique dans une grande diversité de
formes et de matériaux et de motifs décoratifs. Ce sont des objets de prestige, des symboles d’identification individuelle et tribale, peuvent servir d’accessoires de danses et cérémonies.
BOUCLIER AU MASQUE KIFWEBE
© Studio Ferrazzini-Bouchet
République démocratique
du Congo (ex-Zaïre)
Songye, Luba
Bois sculpté et peint
Acquis avant 1942
Ce bouclier de type ngabo avait une fonction
symbolique plus que défensive. Sculpté dans
un bois tendre, il servait comme drapeau
pour conduire les troupes à la bataille,
comme cadeau protocolaire, ou encore
comme instrument lors des rites d’initiation.
Les triangles noirs et blancs en relief qui
recouvrent la surface du bouclier ont peutêtre une signification emblématique. Le
masque blanc kifwebe sculpté en haut-relief
au centre de son cadre ovale est une image
puissante : vénérée à travers les territoires
songye et luba, elle symbolise l’autorité
d’une société initiatique masculine dotée
d’un pouvoir judiciaire.
4 - Des objets de guerre : protection, porte-couteaux de jet
La diversité des formes de boucliers peut parfois s’expliquer par leur utilisation. Les boucliers ronds, légers que l’on tenait par la main servaient aux
combats rapprochés. Les boucliers aux formes allongées en matériau dur
permettaient de parer et de dévier les coups. Pour les batailles rangées, les
boucliers larges et lourds pouvaient tenir debout.

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