Armes blanches d`Afrique noire de la collection Barbier
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Armes blanches d`Afrique noire de la collection Barbier
Dossier pédagogique SAISON AFRICAINE 2 EXPOSITIONS : ARMES BLANCHES D’AFRIQUE NOIRE DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER JACQUES KERCHACHE : ITINÉRAIRE D’UN CHERCHEUR D’ART DÉCEMBRE 2003 - SEPTEMBRE 2004 DOSSIER EN 3 PARTIES : - ARMES BLANCHES D’AFRIQUE NOIRE DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER - JACQUES KERCHACHE : ITINÉRAIRE D’UN CHERCHEUR D’ART - EXPLOITATIONS PÉDAGOGIQUES DES EXPOSITIONS Partie I / sommaire 2/54 ARMES BLANCHES D’AFRIQUE NOIRE DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER INTRODUCTION : RAPPEL HISTORIQUE DE LA COLLECTION BARBIER-MUELLER I- FORGES ET FORGERONS D’AFRIQUE 1 - LE TRAVAIL DE FORGE 2 - LES MAÎTRES DU FEU : RELATION ENTRE FORGE ET POUVOIR II- ARMES DE GUERRE ET ARMES DE PRESTIGE 1 - ARMES DE GUERRE : L’EXEMPLE DU COUTEAU DE JET 2 - ARMES DE PRESTIGE ET ARMES RITUELLES a - DÉFINITION DES TYPES D’ARMES - LES HACHES - LES HERMINETTES - LES COUTEAUX b - LES FORMES ET LES DÉCORS : - LAMES VIRTUOSES - TYPES DE MÉTAUX - GRAVURES - MANCHES OUVRAGÉS - ÉTUIS PROTECTEURS III- LA VALEUR DES LAMES : LES MONNAIES 1- MONNAIES DE FER : MONNAIES TCHADIENNES ET MONNAIES BANDA 2- MONNAIES DE CUIVRE : MONNAIES NKUTSHU IV- LES BOUCLIERS : ARMES DÉFENSIVES ET OBJETS D’APPARAT 1- LA PLACE DU FABRICANT DE BOUCLIERS DANS LA SOCIÉTÉ AFRICAINE : L’EXEMPLE DU TRESSEUR DE BOUCLIERS 2- LES MATÉRIAUX 3- DES OBJETS CLANIQUES 4- DES OBJETS DE GUERRE : PROTECTION, ÉTENDARD, PORTE-COUTEAUX DE JET Introduction Rappel historique de la collection Barbier-Mueller 3/54 VUE DE L’ESPACE DIDACTIQUE © André Morin Les objets de cette exposition appartiennent à la collection du musée BarbierMueller de Genève. L’histoire de cette collection de plus de 5 000 objets d’art extra-européens remonte au premier quart du XXe siècle, lorsque le collectionneur Joseph Mueller commence à acquérir quelques pièces d’art africain. Dès 1955, sa fille Monique et son gendre Jean Paul Barbier-Mueller poursuivent son œuvre. En 1977, ils ouvrent le musée de Genève, puis, en 1997, un musée à Barcelone consacré aux arts précolombiens. Cette collection d’armes est avant tout révélatrice de l’œil et du goût d’un collectionneur d’art. Chaque arme fut choisie et acquise par Jean Paul Barbier-Mueller avec soin, pour des raisons esthétiques : équilibre des formes, force des décors, originalité. Cet ensemble ne vise aucune représentativité ethnologique ou typographique. La plupart des pièces proviennent d’Afrique centrale et datent de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Une centaine d’armes est présentée, complétée par vingt boucliers provenant de toute l’Afrique. I – Forges et forgerons d’Afrique 4/54 FORGERONS DZINGS © Pères Jésuites flamands, Heverlee République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Vers 1920 L’âge du fer débute en Afrique subsaharienne vers le VIIIe siècle avant JésusChrist. De ces temps anciens, la mémoire collective a retenu le mythe des rois forgerons, fondateurs de majestueux royaumes. 1 - Le travail de forge Au fil des siècles, les techniques de fonte et de forge des métaux sont restées immuables. Affleurant sur de nombreux sites à la surface du sol, le minerai de fer est fondu à basse température (1 150°) dans un four creusé à même le sol ou construit en édicule rond. Au cœur du four se superposent couches de minerai et couches de charbon de bois. Les soufflets de forges entretiennent un feu continu. Le congloméré de fer, de charbon, et d’impuretés obtenu est 5/54 SOUFFLET DE FORGE MONGO © Missionnaires du Sacré-Cœur, Borgerhout République démocratique du Congo (ex-Zaïre) purifié et divisé en lingots. Le fer est alors retravaillé sur l’enclume par le forgeron. Une grande pierre fait office d’enclume principale ; une seconde enclume de métal sert aux finitions. Le marteau, la pince, le poinçon et le burin constituent l’attirail du forgeron pour le travail, à froid, de la forme, du tranchant et du décor de l’objet façonné. L’usage du soufflet de forge permet d’accélérer la combustion du charbon de bois dans le foyer et d’augmenter la température en vue du traitement du minerai ou du façonnage du métal. Taillés dans une seule pièce de bois, les soufflets, utilisés par paires sont munis d’une, deux ou quatre cavités cylindriques juxtaposées faisant office de chambres à air ; celles-ci sont obturées par des membranes souples en peau auxquelles sont fixés des manches servant à actionner le dispositif. 6/54 Elles sont reliées à un conduit, simple ou double, permettant d’insuffler de l’air au cœur du foyer. Les soufflets sont parfois sculptés dans un style anthropomorphe ou décorés de clous de tapissier. 2 - Les maîtres du feu, relation entre forge et pouvoir Au-delà de leur savoir-faire, les forgerons jouent un rôle économique, politique et occulte au sein de la société africaine. Pour les peuples sédentaires de l’Afrique subsaharienne, ils appartiennent à une élite, car ils détiennent des connaissances secrètes liées au monde des esprits. À l’inverse, ils sont craints et dénigrés dans les sociétés de pasteurs nomades du Soudan et du Sahel. Isolés, ils sont alors privés des droits des hommes libres et n’ont pas accès à l’ascension politique. Cette discrimination n’empêche pas que l’on fasse discrètement appel à leurs pouvoirs mystérieux. Dans de nombreuses cultures d’Afrique subsaharienne, la fabrication du métal est métaphoriquement liée à l’acte sexuel et la naissance. Ce puissant symbole implique le respect de multiples tabous autour de la forge, qui est construite hors du village. De même, le fondeur forgeron respecte des interdits sexuels lors de la création d’objets en métal. Le savoir-faire et les connaissances magiques des maîtres du feu se transmettent de génération en génération. En Afrique de l’ouest, cette tradition est héréditaire, alors qu’en Afrique centrale elle se transmet de maître à apprenti, et engendre un système d’échanges entre peuples voisins. II – Armes de guerre et armes de prestige 7/54 Les armes blanches produites par les forgerons africains se déclinaient selon des formes très diverses en fonction de leur utilisation première. Lames courbes, haches et herminettes constituaient les outils privilégiés des travaux des champs. La guerre entraînait la fabrication de lances, d’épées, de couteaux de jet. Tout homme libre possédait ses propres armes et son poignard, signes de son identité, de son rang dans la société. Les rituels sacrés, sacrifices et circoncisions nécessitaient la création d’armes spécifiques, sacralisées, et portées uniquement par les personnages élus. Enfin, l’arme du chef, « véritable sceptre », manifestait son pouvoir, sa richesse et son autorité lors de parades et de représentations officielles. L’arrivée des premiers occidentaux en Afrique, suivie d’une colonisation féroce ont engendré d’importantes mutations au sein des sociétés africaines ; les fusils ont peu à peu remplacé l’arsenal de guerre mais n’ont pas signé l’arrêt de la production d’armes. Celles-ci ont entamé une seconde existence, non plus comme objets usuels mais comme symboles de luxe et de pouvoir, symboles d’un glorieux passé conquérant. Les forgerons ont créé des armes « objets d’art », exubérantes, au décor riche et minutieux, aux formes complexes. Cette diversification des modèles fut la cause puis parfois la conséquence d’un engouement des colons blancs pour les armes blanches africaines. 1 - Armes de guerre : l’exemple du couteau de jet La panoplie du guerrier se compose du couteau de jet, de la lance et du javelot. Les couteaux de jet Bandas présentés ici ont une face bombée et une face plate, ce qui augmente leur aérodynamisme ; leur poids est léger comparé aux couteaux de jet de certains de leurs voisins, comme les Ngbakas et les Ngombés, ce qui indique un usage effectif comme couteaux de jet. Très valorisées, ces armes de prestige appartenaient généralement aux seigneurs de guerre et n’étaient lancées qu’en dernier recours lors des combats. 8/54 COUTEAUX DE JET ONDO © Studio Ferrazzini-Bouchet République Centrafricaine, République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Banda Fer, herbes tressées Début du XXe siècle Ce modèle de couteau de jet avec deux lames saillant de l’axe principal peut être considéré comme le modèle standard des Bandas. Il possède une face bombée (ici grâce à un effet de biseau) et décorée, et une autre plate et non ornée. Celui-ci se distingue par sa gravure qui souligne les biseaux de la lame ainsi que par le savant tressage d’herbes qui lui sert de poignée. 2 - Armes de prestige et armes rituelles a - Définition des types d’armes - Les haches Les haches se caractérisent par un manche assez long, droit ou légèrement courbe, pouvant mesurer jusqu’à 1 mètre. La lame est modeste. Le centre de gravité se situe très haut, au niveau de la lame, de manière à procurer un impact optimal. La hache d’arme peut aussi prendre la fonction d’arme d’apparat, insigne de dignité. HACHE KILONDA © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Nsapo, Songye-Eki Fer, cuivre, bois Avant 1930 9/54 La fabrication de cette hache monumentale nécessitait un grand savoirfaire : la lame de fer est rattachée au manche par cinq éléments allongés, les entretoises, sont disposées de manière à produire un effet ajouré. Les diverses parties de la hache étaient créées séparément puis jointes par soudure à froid. Sur chaque entretoise, le forgeron façonnait d’abord des têtes. Le nez et la bouche étaient soigneusement travaillés au burin. Une lame pouvait compter jusqu’à une centaine de têtes ; cette hache en compte 92. Certains de ces éléments pouvaient être torsadés. Ils étaient maintenus en place par d’autres entretoises, courbes, fixées en position oblique. L’ensemble était enfin adapté au manche couvert d’une feuille de cuivre. - Les herminettes L’herminette est une hache possédant une lame horizontale, plate ou creuse, recourbée vers le manche. Elle se portait sur l’épaule et pouvait donc servir d’arme d’appoint en cas de danger. La majeure partie des herminettes est décorée d’une sculpture sur le manche. HERMINETTE NSÉSU © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Pendé de l’ouest Aluminium, bois Entre 1920 et 1950 Cette hache est nommée nsésu, provient des Pendés de l’ouest et servait d’insigne de notable. Sa lame est en aluminium, matière particulièrement appréciée par les Pendés pour sa nouveauté et sa légèreté. Ce métal est très difficile à forger, car si l’on dépasse une certaine température, il se casse. Le manche en bois est sculpté de deux masques teintés de rouge surmontés de chapeaux à quatre pointes, nommés fumu ou phumbu : fumu est le masque du « chef » et phumbu celui du « tueur ». Ils peuvent être différenciés grâce à la plume rouge du phumbu. 10/54 - Les couteaux Le couteau est un instrument tranchant. Il se compose d’une lame à pointe, comportant un dos et un tranchant. C’est donc un instrument tranchant d’un seul côté, parfois des deux côtés pour le poignard, monté sur un manche. Le mot « couteau » est également un générique pour les objets en forme de couteau, sans qu’un manche soit spécifiquement requis. Il existe différents types de couteaux, les couteaux droits ou symétriques (poignard, épée courte, épée, couteau discoïde symétrique…), les couteaux asymétriques ou courbes (le poignard courbe, l’épée à lame recourbée, le sabre, le couteau discoïde asymétrique, l’arme faucille…) Quatre exemples de couteaux sont ci-dessous présentés : l’épée, le couteau d’exécution, le couteau de jet et l’arme faucille. D’autres types de couteaux sont représentés dans l’exposition. - L’épée L’épée est une arme droite à double tranchant, la lame est longue, la pointe acérée. L’épée est une arme de taille et d’estoc. ÉPÉE © studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) So, Bango Fer, bois, cuivre rouge Vers 1900 Cette très grande épée magnifiquement forgée et gravée provient des peuples sos et bangos. Sa grande taille, son forgeage puissant, ses nombreuses découpes ajourées et la finesse de sa gravure la distinguent comme une arme de prestige réservée aux chefs.Trois stries profondes dans la partie supérieure créent un contraste avec la gravure fine, aux traits assurés soulignant la forme de la lame. La poignée en T permet une prise à deux mains, comme pour les épées médiévales européennes, ce qui rendait cette arme de grande taille particulièrement redoutable. 11/54 - Les couteaux d’exécution « Le bourreau parcourt la place en brandissant son énorme couteau, à la lame courbée, faite, dirait-on, au moule du cou humain. » Récit du voyageur Camille Coquilhat, 1883. Certaines armes de guerre perdent peu à peu leur fonction première et interviennent dans divers contextes : le couteau dit d’exécution ngulu est une arme faucille que l’on retrouve dans la région nord-ouest de la République démocratique du Congo, le long du fleuve Zaïre et de la rivière Ubangi. Au fil du temps, il est devenu un insigne de prestige, brandi lors de danses mimant les combats. Ces couteaux impressionnent notre imaginaire par leur fonction supposée d’outils de mort. Mais ce sont d’abord des objets d’une grande puissance visuelle : simple ou double, de grande taille, la lame du ngulu se recourbe comme une faucille ou s’épanouit en deux croissants. ARME FAUCILLE DOUBLE © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) République du Congo (ex-Congo Brazzaville) Lobala, Mondzombo, Ngbaka Fer, bois, cuivre rouge, laiton Vers 1900 Le manche en bois de cette arme faucille comporte un pommeau se terminant par deux « cornes » recouvertes de bandes de cuivre rouge. Le couteau, qui se divise en trois lames carrées à leur extrémité, est forgé avec subtilité, finement incisé et poinçonné, et possède deux tranchants acérés. Sa découpe et sa gravure peuvent évoquer une figure aux bras levés. Ce type de couteau aurait ainsi donné naissance à une production de lames anthropomorphes destinées, surtout, aux amateurs européens. 12/54 - Les couteaux de jet Le couteau de jet est un couteau que l’on peut lancer vers une cible. Le couteau de jet africain est une arme originale qui se décline en nombreuses variantes selon les peuples qui la forgent. Souvent mince et léger, il possède une lame à multiples tranchants acérés. Bien équilibré pour le lancer, discret et silencieux, il constitue une arme redoutable que le guerrier porte sur lui ou qu’il fixe parfois derrière son bouclier. Il est devenu un objet de prestige dès le XIXe siècle. Echangé comme monnaie ou remis en récompense aux guerriers, il intervenait aussi dans les rites d’initiation et les cérémonies de scarification. « Lorsque qu’il eut utilisé toutes ses lances, il attrapa vivement de la main droite l’un de ses couteaux de jet et, après s’être penché et l’avoir courbé légèrement sous son pied, le lança en position verticale vers son ennemi. On m’avait dit qu’il ne lancerait qu’un seul de ses couteaux, et cela seulement après avoir crié qu’il était sur le point de le faire, puisqu’il était considéré comme déshonorant pour un homme de lancer ses couteaux de prince sans cette déclaration préliminaire, en l’absence de laquelle on pourrait raconter qu’il avait lancé son arme sous l’emprise de la peur. » Evans Pritchard, The Azande : history and political institutions, London, Oxford University Press, 1971. COUTEAU DE JET MOKO-NDO OU NGBANGBA © Studio Ferrazzini-Bouchet République du Congo (ex-Congo Brazzaville), République Centrafricaine Ngbaka Mabo Fer, cuivre rouge Vers 1910-1920 Ce couteau léger aux tranchants acérés est rehaussé d’incrustations de pastilles de cuivre. Sa lame est ornée de motifs finement incisés. L’araignée, qui joue un rôle important dans les croyances des Ngbakas Mabos, est figurée par des motifs en « X ». La poignée en cuivre rouge fait écho aux incrustations de la lame. Armes de prestige, ces couteaux de jet étaient aussi utilisés par les wamas, les maîtres luttant contre la sorcellerie lors de certains rites. 13/54 - Les armes faucilles L’arme faucille est un couteau en forme de demi-lune, à poignée courte. Le côté intérieur de la demi-lune constitue le tranchant. La pointe est aiguë, de même que les dix premiers centimètres du côté extérieur du croissant. La forme de base de ces armes rappelle celle des outils agricoles. ARME FAUCILLE UGGO © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Mamvu, Mangbetu Fer, bois, ivoire Vers 1900 Ce modèle d’arme faucille à la silhouette discoïde provient des Mamvus (Momvus), voisins des Mangbetus. Ce lourd couteau de brousse a un impact puissant, son poids étant concentré en haut de la lame. On en connaît des descriptions comme outils de brousse, utilisés en particulier par les femmes pour des travaux de hachage. Cependant, la qualité de celui-ci évoque plutôt un objet de prestige : la magnifique lame épaisse, très régulière, à la courbure légèrement soulignée par son arête est ajourée et gravée de motifs géométriques. Les perforations sont soulignées au poinçon. Le manche est orné de cuir, clous de tapissier, bandes de métal torsadées dont l’alternance crée un riche effet décoratif. 14/54 2 b - Les formes et les décors - Lames virtuoses Les lames constituent l’élément essentiel des armes de poing sur le plan utilitaire. Leur poids varie selon l’usage auquel elles sont destinées : généralement lourdes pour les épées, et légères pour les couteaux de jet. Leur découpe peut être simple ou complexe, à un ou plusieurs tranchants. La découpe des lames, l’équilibre des masses de métal, les jeux de symétrie, le rythme des creux et des pleins permettent de distinguer l’arme d’un personnage important. Mais c’est souvent le décor qui permet d’identifier à coup sûr l’arme de prestige. Les lames pouvaient être ornées de motifs gravés ou estampés au burin : ils en soulignaient la découpe ou, au contraire, constituaient un décor autonome parfois renforcé par un noircissement ou une pigmentation du métal. Creusées ou ajourées, les lames étaient parfois aussi damasquinées de cuivre. Le polissage permettait d’obtenir des résultats spectaculaires. ÉPÉE COURTE BYONGI © studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Ekonda, Kundu Fer, bois Première moitié du XXe siècle Cette épée montre la fantaisie extraordinaire dont pouvaient faire preuve les forgerons ékondas. La lame se divise en deux, se déploie en courbes et contre-courbes d’où naissent autant de petites pointes tranchantes. 15/54 - Les types de métaux Le métal le plus largement utilisé en Afrique est le fer. Pour les éléments décoratifs, on retrouve plus rarement du cuivre rouge, du laiton et de l’aluminium. ÉPÉE COURTE MBYÉLÉ © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) République du Congo (ex-Congo Brazzaville) Téké Fer, cuivre rouge, laiton, bois Avant 1900 Souvent désigné comme « couteau royal », ce modèle court est la plus célèbre des épées téké. Six rosaces ajourées et quatre pastilles de cuivre rouge ornent la lame à épais bourrelet central qui est soulignée d’un triple trait gravé. Un anneau en fer situé juste en dessous de la lame renforce la poignée. Le manche et son pied sont richement ornés de laiton. Cette épée constitue un bel exemple d’association de différents métaux. - Les gravures ÉPÉE COURTE © Studio Ferrazzini-Bouchet Cameroun Bamiléké Fer, tressage de fibres végétales enduites Début du XXe siècle Les plaines herbeuses du centre du Cameroun sont habitées par les Tikars, Bamuns, Bamilékés et plusieurs autres petits groupes ou royaumes, bien connus pour leur sculpture. Cette épée courte à extrémité élargie permet d’apprécier la qualité du travail de leurs forgerons. Créée par les Bamilékés, elle a été forgée en une seule pièce de fer (lame, garde et manche), ce qui est rare. Sa lame présente sur les deux faces un très beau travail de gravure à motifs de vagues entrecroisées. 16/54 - Les manches ouvragés Le manche des armes de poing conditionnait la réussite de l’arme puisqu’il permettait un effet de contrepoids lors de son utilisation. C’est le cas notamment des longs manches de bois de certains couteaux de jet ou des lourds manches de certaines haches ou faucilles, parfois terminés par un cylindre de métal massif. Le manche, creux, pouvait aussi accueillir des substances magiques destinées à protéger le guerrier. Les manches des armes de luxe pouvaient être façonnés dans des matières précieuses, comme l’ivoire. Ils étaient souvent d’une facture soignée, recouverts de cuivre sous forme de clous, de fils enroulés, ou même de feuilles martelées et repoussées. Ils faisaient parfois office de socles, destinés à faire valoir la beauté de l’objet en position verticale. Enfin, certains manches de bois étaient sculptés de motifs anthropomorphes. HERMINETTE © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Pendé de l’ouest (avec influence Mbala, Suku et Tchokwé) Fer, bois Entre 1920 et 1940 Le manche très ouvragé de cette herminette est surmonté d’une tête sculptée portant une coiffure en plumes, structurée par de petites cornes d’antilope, qui est régulièrement portée chez les Pendés de l’ouest. Un second personnage est sculpté sur le manche, représenté assis : un thème que l’on retrouve tant chez les Pendés de l’ouest et de l’est que chez les Lundas et les Tchokwés. Ces derniers sont probablement à l’origine de ces personnages assis, qui figurent régulièrement sur leurs sièges. La lame en fer semble jaillir de la bouche de la tête sculptée. À son extrémité, deux pointes se recourbent vers l’extérieur. 17/54 - Les étuis protecteurs Les lames à simple ou double tranchant étaient portées le plus souvent sur le côté et pouvaient blesser leur propriétaire. La création d’étuis en bois, en peau ou en tissu, permettait de le protéger des arêtes acérées, tout en assurant la conservation de la lame. L’étui, souvent de proportions très importantes par rapport au couteau qu’il abrite, était porté sur le torse. Il faisait alors office de cuirasse pectorale pour le guerrier. L’étui des armes de prestige est investi de leur rôle de représentation : richement décoré, il se fait presque bijou. Enfin, dans un cadre rituel, il est parfois nécessaire d’atténuer l’aspect agressif de la lame en la dissimulant, comme c’est le cas pour l’épée Kuba, protégée par un fourreau de tissu. ÉPÉE COURTE EMPUTÉ DANS SON ÉTUI © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) So, Mba, Topoké, Mbolé, Lokélé, Genya Bois, peau, fer, cuivre rouge, laiton, clous de tapissier Vers 1900 Ce modèle d’épée courte était très répandu en Afrique centrale. Compte tenu de sa vaste aire de répartition, il est difficile d’en repérer les producteurs. Ce sont probablement les Genyas, connus comme marchands, qui l’ont importé vers le nord, car poignards et épées courtes à contrepoids étaient très répandus au sud. Ces couteaux se portaient dans leur étui sous le bras ou devant la poitrine. D’une très grande qualité de forgeage et de gravure, celui-ci se distingue par son superbe contrepoids en forme de diamant. Sa poignée en bois est décorée de cuivre rouge et de laiton. Son étui, énorme, est fait de deux plaques de bois tendues de peau et rehaussées de clous de tapissier et de métal martelé. L’anse, en cuir, est entourée de bandes de cuivre. III – La valeur des lames : les monnaies 18/54 Avant l’époque coloniale, l’économie en Afrique subsaharienne se fondait sur un système d’échange de produits précieux, en particulier les métaux. Le fer et le cuivre constituaient une de ces multiples monnaies d’échange, soit sous forme de lingots, soit sous forme de lames. On distingue parmi ces monnaies des produits finis, revêtant l’aspect d’armes complètes (avec leur manche), des produits semi-finis (une simple lame), et enfin des dérivés de lames. Ces derniers sont proches de la définition européenne du terme de « monnaie » : objets non utilitaires, standardisés, ils ont évolué vers une forme purifiée et sont devenus de véritables créations plastiques. La diversité des monnaies de métal démontre la valeur de celles-ci au sein de la société africaine et affirme l’importance du forgeron au cœur du système monétaire. Au-delà de leur valeur pécuniaire, les monnaies de fer possèdent d’autres qualités aux yeux de certains peuples comme les Ndengeses du Congo : elles protègent le village et servent d’outils de sorcellerie. 1 - Monnaies de fer : monnaies tchadiennes et monnaies Banda MONNAIES EN FORME DE COUTEAU DE JET KUL OU KEUL © Studio Ferrazzini-Bouchet Tchad, République Centrafricaine Ngam (Ngama) Fer Les Ngams (Ngamas), vivent au sud du Tchad jusque dans la République Centrafricaine. Étrangement, ces monnaies ressemblent peu aux couteaux de jet utilisés dans la région. Peut-être leurs modèles ont-ils disparu, à moins qu’elles ne résultent d’une libre interprétation. Finement forgées, leurs formes sont très élégantes. 19/54 MONNAIE EN FORME DE COUTEAU DE JET © Studio Ferrazzini-Bouchet République Centrafricaine, République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Mbugbu (Banda) Fer Vers 1900 Les Mbugbus sont la seule tribu banda à disposer d’une armée permanente d’environ 1 500 soldats pour se défendre contre les attaques des peuples voisins. Ils sont les producteurs de ces larges monnaies gravées en forme de couteaux de jet qui existent en deux versions : un modèle léger, gravé ou non, utilisé comme monnaie, et un modèle plus lourd, généralement gravé, pourvu d’une poignée en bois et qui servait probablement d’arme de parade. Ici, la lame de forme arrondie et non tranchante est ornée d’une gravure profonde, fondée sur des doubles traits reliés par de petites stries. 2- Monnaies de cuivre : monnaies Nkutshu Les peuples du centre et du sud de l’actuelle République démocratique du Congo (ex-Zaïre), auxquels appartiennent les groupes Nkutshu et Tétéla, produisent de très beaux modèles de dagues et d’épées, ainsi que des monnaies caractéristiques qui en sont dérivées. Les lourds pommeaux cylindriques augmentent leur potentiel d’inertie, mais également leur valeur monétaire par la quantité de fer ou de cuivre requise pour leur fabrication. Les monnaies en cuivre possèdent une valeur accrue. MONNAIE EN FORME DE POIGNARD © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Nkutshu, Tétéla, Hamba Cuivre rouge Entre 1920 et 1940 Ce modèle est fait d’une seule pièce de cuivre rouge, ce qui représente un exploit pour le forgeron.Il est probable que ce beau couteau a servi de monnaie. On sait en effet que des lances aux lames très proches de celle-ci, exécutées en cuivre, étaient utilisées, notamment, pour les dots de mariages. IV – Les boucliers : armes défensives et objets d’apparat 20/54 VUE DE L’ESPACE DES BOUCLIERS © André Morin Le bouclier a longtemps été l’arme défensive la plus largement utilisée dans le monde. Sa première fonction était de se protéger des projectiles et d’esquiver les coups. On pouvait aussi bien s’en servir comme arme d’attaque, comme support de substances magiques ou pour effrayer l’ennemi en frappant dessus. BOUCLIER © Studio Ferrazzini-Bouchet République de Soudan Tribu nilotique du sud du Soudan, Dinka ou Nuer Cuir de vache, bois Ce bouclier en forme de feuille, en cuir blanchi, provient d’une tribu vivant au sud du Soudan. Des lignes grenées dessinent des motifs symétriques de triangles isocèles, rappelant les scarifications de certains peuples du sud du Soudan. La section médiane du bouclier est marquée par un pli de cuir assurant sa rigidité. BOUCLIER EN FORME D ’ÉVENTAIL © Studio Ferrazzini-Bouchet Cameroun, Tchad Vannerie, jonc tressé, ficelle Le bouclier est constitué de trois épaisseurs de tresses végétales aplaties pour constituer une surface convexe en forme d’éventail. Une pièce de bois d’un seul tenant fixée au dos du bouclier par du cordon en fibre végétale servait de poignée. 21/54 BOUCLIER © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre), République centrafricaine Ngbandi, Yakoma, Sango Vannerie, jonc tressé, bois, métal Le bouclier est constitué de joncs gongos séchés, d’osier, de vigne, de rotin et de raphia. Pour faire du vacarme pendant les combats, les guerriers accrochaient des cloches de fer à la poignée. La pièce métallique centrale, de forme ronde est appelée umbo. 22/54 BOUCLIER © Studio Ferrazzini-Bouchet Afrique du Sud, Les otho, Malawi, Swaziland Zoulou (Amazoulou), Xhosa, Ndebélé, Swazi Peau de vache, bois Ce bouclier en peau de vache brun moucheté est communément appelé « bouclier zoulou ». De forme ovale, un long morceau de bois sert de membrure, solidement cousu à la face interne par deux bandes parallèles taillées dans la même peau. BOUCLIER © Studio Ferrazzini-Bouchet Éthiopie Oromo, Sidamo, Arssi, Ometto, Amarro, Woleyta et Hadiya Cuir d’hippopotame Ce bouclier est constitué d’une peau d’hippopotame, avec une crête médiane bien dessinée, ornée de ligne parallèle en relief et de bossettes. 23/54 1 - La place du fabricant de boucliers dans la société africaine : l’exemple du tresseur de boucliers Chaque village avait autrefois son tresseur de boucliers qui jouissait d’un prestige comparable à celui du forgeron. Les boucliers des chefs de village et des grands guerriers étaient plus imposants que ceux des simples villageois. Les mesures du bouclier se prenaient à partir du sol jusqu’au-dessus du cœur, à la hauteur des aisselles. 2 - Les matériaux Les boucliers d’Afrique ont été façonnés dans toutes sortes de matériaux solides, qu’on utilisait seuls, ou mélangés à d’autres : cuir brut ou tanné, bois tendre ou dur, tissu, métal et fibres végétales, carapace de tortue… BOUCLIER © Studio Ferrazzini-Bouchet République du Soudan Tribu nilotique du sud Soudan non identifiée Carapace de tortue, bois, cuir, métal Ce bouclier est confectionné au moyen d’une carapace de tortue, avec un long manche de bois, entouré de lanières de cuir et de liens de métal. Une sorte de bracelet rond, en métal, d’une circonférence supérieure à celle du manche servait peut-être à maintenir ou transporter d’autres accessoires. La carapace de la tortue constituant ce bouclier étant un matériau fragile, on peut penser qu’il n’était pas utilisé au combat mais comme objet de prestige, peut-être destiné à être offert. Ces boucliers étaient réalisés avec soin car conçus pour résister longtemps. 24/54 3 - Des objets claniques Leur conception et leurs motifs différenciaient un groupe d’un autre au cours des batailles et permettaient d’identifier le rang militaire et le statut social de leur porteur. On se servait des boucliers non seulement au cours des guerres mais aussi dans les exercices d’entraînement et pendant les rites d’initiation. La complexité des formes, le niveau technique de leur fabrication, traduisent aussi les sentiments de dignité et de prestige dont étaient investis les combattants. On trouve des boucliers partout en Afrique dans une grande diversité de formes et de matériaux et de motifs décoratifs. Ce sont des objets de prestige, des symboles d’identification individuelle et tribale, peuvent servir d’accessoires de danses et cérémonies. BOUCLIER AU MASQUE KIFWEBE © Studio Ferrazzini-Bouchet République démocratique du Congo (ex-Zaïre) Songye, Luba Bois sculpté et peint Acquis avant 1942 Ce bouclier de type ngabo avait une fonction symbolique plus que défensive. Sculpté dans un bois tendre, il servait comme drapeau pour conduire les troupes à la bataille, comme cadeau protocolaire, ou encore comme instrument lors des rites d’initiation. Les triangles noirs et blancs en relief qui recouvrent la surface du bouclier ont peutêtre une signification emblématique. Le masque blanc kifwebe sculpté en haut-relief au centre de son cadre ovale est une image puissante : vénérée à travers les territoires songye et luba, elle symbolise l’autorité d’une société initiatique masculine dotée d’un pouvoir judiciaire. 4 - Des objets de guerre : protection, porte-couteaux de jet La diversité des formes de boucliers peut parfois s’expliquer par leur utilisation. Les boucliers ronds, légers que l’on tenait par la main servaient aux combats rapprochés. Les boucliers aux formes allongées en matériau dur permettaient de parer et de dévier les coups. Pour les batailles rangées, les boucliers larges et lourds pouvaient tenir debout.