L`avenir du juriste d`affaires - Laboratoire Centre de droit des affaires

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L`avenir du juriste d`affaires - Laboratoire Centre de droit des affaires
L’avenirdujuristed'affaires
Jean Paillusseau
Professeur à la Faculté de Droit et de Science Politique de Rennes
Directeur du Centre de Droit des Affaires
Avocat au Barreau de Paris
Congrès des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE)
Montpellier 7-8-9 octobre 1993
(Texte publié dans « Les Actes du Congrès », p. 41 et s.)
L'avenir du juriste d'affaires
1. — Tenter de prédire l'avenir... quelle chose périlleuse !
L'examen des prédictions du passé laisse rêveur. Il remplit d'humilité celui qui s'aventure
dans cette voie. Il faut, sans doute, avoir la naïveté de la jeunesse – ou l'insouciance des
spéculations intellectuelles – pour tenter l'exercice.
2. — Quel sera l'avenir du juriste d'affaires ? Quelles seront les forces qui le façonneront ?
Il dépendra, sans doute, de la conjonction de différentes forces :
-
L'évolution générale du monde économique et social, de la société ;
-
L'évolution des conditions de vie des entreprises ;
-
L'évolution du droit ;
-
Et — bien sûr — l'évolution du juriste lui-même et de ses structures
d'organisation.
3. — L'évolution générale du monde économique et social sera certainement caractérisée
par de fortes turbulences et une grande imprévisibilité.
La stabilité politique du monde est, déjà, très incertaine. Que deviendront les conflits
régionaux ?
L'avenir économique et social dépendra, en particulier, des variations monétaires, de
celles des taux de change et des taux d'intérêt, des évolutions technologiques, de
l'immigration, des problèmes d'environnement, des négociations du G.A.T.T.
4. — Au centre de toutes les turbulences, la force la plus impressionnante est la
mondialisation de l'économie. Chaque pays vend ses produits et ses services partout dans
le monde. Les consommateurs achètent des produits et des services qui proviennent de
n'importe où dans le monde. Les entreprises peuvent produire dans des pays et vendre
dans d'autres pays.
Si la croissance prévisible en Europe est faible, il est vraisemblable qu'elle sera forte dans
le Sud-est asiatique.
5. — La zone pacifique devient un pôle majeur de croissance économique. Elle attire
irrésistiblement les capitaux, la technologie, les énergies humaines et les entreprises. Le
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marché est impressionnant. Et qu'en sera-t-il quand la Chine s'ouvrira plus complètement
à l'économie internationale ?
6. — L'Europe est-elle bien armée pour subir la formidable guerre économique des
années qui viennent ?
N'est-elle pas vulnérable ? Avec un style, une qualité de vie, une organisation sociale qui
coûtent très cher et qui pénalisent le coût de ses produits et de ses services ?
Si le libéralisme mondial s'impose, si le libre-échangisme l'emporte, nos marchés seront
inondés de produits étrangers, à bas prix, d'une qualité sans cesse meilleure.
Si l'Europe de la C.E.E., avec ses 345 millions de personnes, veut protéger son style de
vie, si elle ne veut pas transformer ses producteurs en chômeurs, elle ne peut rester
entièrement ouverte au reste du monde. Elle doit organiser un système de protection
minimum.
7. — Mais, qui peut l'emporter du libre-échangisme ou de la protection ?
Les forces du libre-échangisme sont dominantes. Les États-Unis le veulent (au moins
pour les autres), et aussi, bien sûr, les autorités du G.A.T.T. L'Europe est divisée. La
Grande-Bretagne est libre échangiste par philosophie (ses hommes d'affaires et les torys).
L'Allemagne est séduite. Certains de ses industriels remarquent que les marchés de
croissance sont en dehors de la C.E.E. La France elle-même est partagée : elle veut
protéger son agriculture, son textile... Mais elle sait que les ventes d'Airbus ou de T.G.V.
comportent des contreparties. N'est-il pas difficile de vendre un T.G.V. aux Sud-Coréens
et limiter dans le même temps l'importation de leurs voitures ou de leurs téléviseurs en
France ?
8. — À l'inverse, la croissance du chômage avec son cortège de problèmes humains,
sociaux et politiques ne va-t-elle pas conduire à un certain protectionnisme européen ?
Que faire autrement ? Limiter le temps de travail, sans d'autres perspectives que la
paupérisation générale ?
9. — La libéralisation totale des économies est peut-être un bien pour le commerce des
États-Unis et celui des pays du Sud-est asiatique. Mais, si elle n'est pas accompagnée d'un
certain protectionnisme européen, elle peut être un danger pour les peuples de la C.E.E.
En tout état de cause, nos économies passeront par une phase d'ajustement structurel.
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L'avenir du juriste d'affaires
10. — Quelle sera – dans ce contexte – l'évolution des conditions de vie de nos entreprises ? Surtout, si l'Europe demeure une zone de concurrence ouverte au monde, sans
protection ?
Elles seront, en situation de concurrence hétérogène.
Cela signifie que les entreprises qui emploient un personnel de production important ne
pourront absolument pas continuer leurs activités dans les mêmes conditions. Les coûts
du travail seront insupportables.
Même si nos entreprises sont exonérées pour partie des charges sociales, et même si les
salaires baissent, elles ne pourront résister. Quoiqu'elles fassent, elles ne pourront
rivaliser avec les entreprises de pays infiniment plus compétitifs en ce qui concerne les
coûts salariaux et le coût général de leur organisation sociale.
Il est impensable que l'on arrive en France aux mêmes coûts de production en abaissant
les coûts salariaux. Y arriverait-on, qu'il y aurait toujours des pays dans le monde qui
nous contraindraient à nous aligner sur leur situation marginale.
11. — Dans cette perspective, nos entreprises de production ont trois solutions :
La première, c'est de continuer comme par le passé, sans révolution. L'issue probable,
c'est le dépôt de bilan.
La seconde, c'est l'automatisation optimum des activités de production (et celle des autres
activités, quand c'est possible). La concurrence sur les coûts salariaux disparaît. Elle se
déplace : elle porte alors sur le capital, sur l'optimisation de son utilisation, sur les
moyens et les coûts de financement.
L'automatisation est une voie de secours pour les entreprises qui veulent demeurer en vie.
De plus, c'est une solution imposée aux entreprises françaises par leurs concurrentes des
pays développés qui, pour répondre aux défis de l'Europe de l'Est et des pays en voie de
développement, ont déjà automatisé leur production. Dans une entreprise complètement
automatisée, robotisée, le coût du personnel directement employé à des travaux de
production sera bien inférieur à dix pour cent des coûts totaux de production.
La troisième solution, c'est la délocalisation de ses activités pour l'entreprise qui ne peut
— ou qui ne veut — automatiser ses activités de production. L'émigration des activités de
production des entreprises est déjà bien commencée, depuis de nombreuses années dans
certains secteurs industriels.
12. — Au-delà de ces choix stratégiques fondamentaux, les entreprises devront relever
cinq défis cruciaux pour leur existence :
1) Le défi du degré et de l'imprévisibilité des changements : changements incessants de
l'environnement concurrentiel, financier et monétaire ; changements dans les méthodes de
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L'avenir du juriste d'affaires
management, dans l'organisation des structures, dans les relations sociales, dans les
relations avec les fournisseurs et les clients ; changements dans le droit ;
2) Le défi des bouleversements technologiques, susceptibles de modifier toutes les
données de la concurrence, qu'il s'agisse des bouleversements dans les technologies de
production ou les technologies d'information ;
3) Le défi de la croissance des besoins en capitaux. L'automatisation optimum coûte très
cher, les bouleversements technologiques en accroissent le coût ;
4) Le défi des financements. Les besoins à financer dans le monde sont colossaux : la
croissance de la zone pacifique, la reconstruction de l'Europe de l'Est, la subsistance du
continent africain, la croissance du reste du monde, la sauvegarde de l'environnement...
L'argent risque d'être rare, et s'il est rare, il sera cher. Les placements seront normalement
dirigés vers les entreprises les plus rentables ;
5) Le défi du risque de l'échec. Ce risque sera beaucoup plus grand dans l’avenir.
Autrefois, l'inflation pardonnait les erreurs de gestion. Demain, la concurrence sera trop
vive, l'argent sera trop cher pour que soit pardonnée l'erreur stratégique ou l'erreur
d'investissement. Le nombre de faillites sera toujours préoccupant.
13. — Quelle sera l'évolution du droit dans les années qui viennent ?
Nous savons tous que le droit n'est pas immuable, qu'il évolue sans cesse.
Le droit évolue, à la fois sous la pression des besoins, et sous l'influence des tendances
culturelles lourdes de notre société.
Il y a encore peu d'années, nous vivions dans le dirigisme et l'assistance généralisée. Telle
était la tendance culturelle de l'époque. Il n'était donc pas étonnant que le législateur ait eu
le souci de régler minutieusement nos comportements, nos relations et nos actes. Pour
s'assurer de notre fidélité à la norme, il édictait des règles d'ordre public.
La mondialisation de l'économie a aussi touché la France. Le libéralisme ambiant s'est
emparé de nos esprits. Il est apparu, au moins dans le domaine des affaires, qu'il était
peut-être préférable de laisser les entreprises concevoir elles-mêmes leur organisation et
leurs rapports plutôt que de les leur imposer par des textes contraignants. C'est la
déréglementation. Certes, l'évolution est timide, mais elle est certaine.
Ainsi, après avoir voulu organiser lui-même, et de manière impérative toutes les relations
juridiques, le législateur transfère aux acteurs économiques et sociaux la responsabilité de
l'organisation de leurs relations juridiques.
Une telle évolution est indispensable dans un monde où tout devient de plus en plus
complexe et changeant, où il faut de plus en plus de souplesse et, donc, de plus en plus de
liberté pour s'adapter rapidement au changement.
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L'avenir du juriste d'affaires
14. — Ce transfert de responsabilité est essentiel pour le juriste d'affaires. Il sait mieux
que quiconque que le droit est aussi une science d'organisation des relations économiques
et sociales, des structures et du fonctionnement des entreprises, des groupes d'entreprises,
des relations interentreprises. Il sait aussi qu'il est l'homme qui a la responsabilité de la
conception et de la construction de toutes ces organisations. Plus le droit devient
complexe et divers, plus le juriste d'affaires aura la maîtrise des organisations juridiques,
et plus son rôle sera essentiel et valorisé dans la société.
Mais saura-t-il évoluer dans cette direction ? Et prendre la place qui est à prendre ?
Tout dépendra, sans doute, de son adaptation aux profondes évolutions qui affectent le
monde économique et social et les entreprises.
15. — Le client principal du juriste d'affaires, c'est l'entreprise, son management, ses
actionnaires. Ce n'est évidemment pas l'entreprise qui s'adaptera au juriste, c'est le juriste
qui s'adaptera à l'entreprise.
Aussi, la première question est-elle de savoir de quels juristes l'entreprise aura besoin
dans l’avenir.
Et, si le juriste d'affaires doit s'adapter aux besoins de l'entreprise, la seconde question est
de savoir comment il peut être — ou devenir — son partenaire.
I. — DE QUELS JURISTES
L'ENTREPRISE AURA-T-ELLE BESOIN DANS L’AVENIR
?
16. — Aujourd'hui, déjà, les dirigeants d'entreprise reconnaissent l'importance du juriste.
Ce sera encore plus vrai dans l’avenir.
Mais ils peuvent avoir deux regards sur le juriste :
Le juriste est celui qui rédige des actes, qui met en forme ce qui est convenu
préalablement, qui s'occupe du « secrétariat de société », qui plaide les affaires qu'on lui
confie. Il doit intervenir, parce qu'il est homme de l'art, mais aussi, et surtout, parce qu'il
n'est pas possible de procéder autrement : seul le juriste a le droit de faire certaines
opérations. Certes, son intervention est utile, puisqu'il fait ce qui doit être fait, mais elle
est plutôt considérée comme une contrainte. Le juriste est perçu comme une sorte de
passage obligé.
Les dirigeants d'entreprise peuvent avoir un tout autre regard sur le juriste. Il n'est plus
simplement un clerc, un rédacteur d'acte. Il est un partenaire à part entière. Il participe à
l'élaboration de sa stratégie, aux prises de décision. Il est l'homme qui, par ses savoir-faire
et son expérience, contribue à la pérennité de l'entreprise, à son expansion, à
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L'avenir du juriste d'affaires
l'accroissement de sa valeur ajoutée, à l'accroissement de son pouvoir de concurrence.
Son intervention est en elle-même une valeur ajoutée. Ses honoraires ne sont pas un coût,
mais un investissement parce qu'ils sont la contrepartie d'un enrichissement.
17. — Ces deux types de juristes pouvaient parfaitement prospérer au temps de l'euphorie
des années quatre-vingt, à une époque où les entreprises n'évaluaient pas la qualité des
prestations juridiques qui leur étaient faites, à un moment où les juristes avaient du mal à
satisfaire les demandes de leurs clients. La situation sera profondément différente quand
les entreprises compresseront au maximum les coûts d'intervention de leurs conseils, et
que s'accroîtront fortement le nombre et la qualité des juristes d'affaires.
18. — Les prestations des juristes du premier type seront valorisées au seul prix du
« passage obligé ». Et comme elles seront de plus en plus banalisées, les juristes
deviendront interchangeables, leur rôle sera, lui aussi, banalisé.
Les prestations des juristes du second type seront appréciées à la mesure de la valeur
ajoutée de leur apport à l'entreprise.
19. — Pour les dirigeants, la prestation du juriste ne pourra constituer pour l'entreprise
une valeur ajoutée qu'à deux conditions :
La première, c'est que le juriste réponde parfaitement aux besoins fondamentaux –
essentiels – de l'entreprise dans le domaine juridique.
La seconde, c'est que le juriste soit pour elle un véritable partenaire.
A — LES BESOINS DE L'ENTREPRISE DANS LE DOMAINE JURIDIQUE
20. — Les besoins essentiels de l'entreprise dans le domaine juridique sont la préservation
et l'optimisation de ses forces vives.
Toutefois, la relation du droit et de l'entreprise peut ne pas s'arrêter à cette seule fonction.
Le droit peut aussi constituer un élément primordial de la différenciation concurrentielle
de l'entreprise.
A — LA PRESERVATION ET L'OPTIMISATION DES FORCES VIVES DE
L'ENTREPRISE
21. — Dans les années qui viennent, la concurrence entre les entreprises sera de plus en
plus une compétition entre : l'intelligence, l'imagination, la compétence et l'engagement
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L'avenir du juriste d'affaires
d'une équipe et l'intelligence, l'imagination, la compétence et l'engagement des équipes
concurrentes. La concurrence entre les entreprises sera une compétition entre des équipes.
22. — Survivront et réussiront les entreprises qui auront :
-
une vision claire de ce qu'elles veulent faire à moyen terme ;
-
une stratégie stable ;
-
des tactiques sans cesse adaptées aux évolutions ;
-
une culture d'entreprise forte et des valeurs partagées ;
-
des relations de partenariat avec les clients et les fournisseurs ;
-
une très grande écoute du marché ;
-
une réactivité aux changements ;
-
une souplesse d'organisation dans tous les domaines ;
-
une très grande adaptabilité ;
-
une productivité optimum ;
-
un leader ;
-
une équipe.
23. — Il est évident que chaque force de survie de l'entreprise est concernée par le droit.
L'entreprise est immergée dans le droit. C'est très naturel : le droit participe à
l'organisation de sa structure, de son fonctionnement, de ses opérations et de ses relations
avec l'environnement.
Certaines règles constituent des contraintes, d'autres offrent des opportunités stratégiques
ou tactiques.
24. — La rencontre de l'entreprise et du droit fait apparaître des problèmes. Souvent, ce
ne sont pas des problèmes juridiques dans leur nature. Fondamentalement, ce sont des
problèmes économiques et sociaux dont la solution est en partie ou en totalité juridique.
Ainsi, un allégement des coûts de production ou une amélioration de la valeur ajoutée
peut dépendre d'une meilleure optimisation des règles fiscales. Une amélioration de la
productivité peut résulter d'un meilleur aménagement des relations sociales. L'existence et
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L'avenir du juriste d'affaires
la pérennité d'un réseau de distribution sont fonction de la qualité des contrats conclus
avec les distributeurs.
La vie et l'expansion de l'entreprise dépendent de la qualité de son organisation juridique
et... de son management juridique.
25. — Il est évidemment impératif que les contraintes que subit l'entreprise soient
maîtrisées, que les risques qu'elle court soient identifiés, évalués, et réduits.
Il est aussi impératif qu'elle soit immédiatement informée de l'existence de tout problème
actuel ou potentiel susceptible d'avoir une incidence, négative ou positive, sur ses forces
de vie et de croissance.
Que survienne, par exemple, une modification du droit de l'environnement, et il faut
déterminer si elle peut affecter ses opérations : est-ce une nouvelle contrainte ? Est-ce une
opportunité conduisant à de nouveaux produits et à une expansion ?
Il faut, en quelque sorte, disposer d'une veille juridique, à l'instar de la veille
technologique.
L'entreprise a réellement besoin d'un management juridique.
26. — Il est enfin primordial que les problèmes soient résolus de manière adéquate.
Cela signifie au moins deux choses : que la solution soit rapide. La rapidité d'adaptation
des entreprises sera une des conditions de leur survie. La rapidité du règlement de leurs
problèmes juridiques participera à cette survie. Une bonne réponse qui arrive trop tard
n'est plus une réponse. Et puis aussi, et surtout, que la réponse satisfasse les objectifs
stratégiques et tactiques de l'entreprise.
27. — Les besoins de l'entreprise dans le domaine juridique ne sont pas épuisés par le
seul règlement de ses problèmes, même quand cela est parfaitement fait. L'organisation
juridique de l'entreprise et de ses opérations peut être un moyen de réaliser ou d'accentuer
une différentiation concurrentielle.
B — LE DROIT ET LA DIFFERENTIATION CONCURRENTIELLE DE
L'ENTREPRISE
28. — Tout l'art des dirigeants de l'entreprise est de la différencier par rapport aux
concurrents, de telle sorte qu'elle l'emporte dans la lutte concurrentielle, ou qu'elle
conforte une position concurrentielle.
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L'avenir du juriste d'affaires
La guerre actuelle que se livrent les grands distributeurs pour la maîtrise des meilleurs
emplacements de vente est un bon exemple d'une démarche de ce genre, particulièrement
dans les réseaux de franchise.
Ce n'est pas, en général, le distributeur qui a la maîtrise de l'emplacement, c'est le
franchisé. Et tout l'art du distributeur, c'est de conclure avec le franchisé (en ne le lésant
absolument pas et en préservant parfaitement ses droits) un contrat qui lui donne,
immédiatement ou à terme, quoiqu'il arrive, la maîtrise de l'emplacement. Il y a des
contrats qui assurent ce résultat, d'autres qui ne le permettent pas. Quand le résultat est
assuré, le distributeur bénéficie d'un avantage concurrentiel inappréciable sur ses
concurrents dont les contrats sont insuffisants.
29. — Dans tous les domaines, chaque jour, les entreprises inventent de nouvelles
relations, de nouvelles manières de faire les choses, ou de nouveaux montages complexes.
Les organisations juridiques qui concrétisent, qui sécurisent, qui rendent efficaces et qui
pérennisent ces innovations sont autant de moyens de différentiation concurrentielle.
30. — Il est clair que ce n'est pas un simple rédacteur d'acte qui peut satisfaire ces besoins
de l'entreprise dans le domaine juridique. C'est un juriste d'une autre nature que désire
l'entreprise.
Il faut, aussi, que ce juriste soit un véritable partenaire pour l'entreprise.
B. — LES BESOINS DE L'ENTREPRISE EN PARTENAIRES JURIDIQUES
31. — Quand on songe au rôle et à la place que le juriste peut avoir dans l'entreprise, il
faut se souvenir que la survie et la réussite de l'entreprise dans l'avenir seront liées à la
mobilisation des intelligences, des compétences, des imaginations et des engagements de
tous les membres de l'équipe de l'entreprise.
Cette mobilisation concerne aussi ses conseils extérieurs.
Dans les années qui viennent, les juristes seront ses partenaires, qu'ils soient juristes
d'entreprise ou avocats d'affaires.
A — LA NATURE DU PARTENARIAT
32. — D'une manière générale, le juriste partenaire dont l'entreprise a besoin est, bien sûr,
un professionnel compétent, positif, constructif, imaginatif, efficace, sûr, qui recherche
des solutions aux problèmes et non des problèmes dans les solutions.
Tout cela est nécessaire, mais ce n'est pas suffisant.
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L'avenir du juriste d'affaires
33. — Les problèmes à résoudre sont des problèmes d'entreprise. À ce titre, ils présentent
deux caractéristiques : ils naissent dans le contexte de l'entreprise et, en général, ils sont
complexes à cause de la variété de leurs aspects.
Le contexte de l'entreprise, c'est sa stratégie, ses objectifs, ses tactiques ; c'est la
spécificité de ses activités, de ses métiers, de ses technologies ; c'est sa culture, ses
valeurs. Aussi, quand des problèmes surgissent, ils doivent nécessairement être replacés
dans ce contexte. C'est autant dans leur dimension économique et sociale, que dans leur
dimension juridique, qu'ils doivent être compris. C'est aussi, bien sûr, en fonction de ce
contexte économique et social qu'ils doivent être résolus. Le juriste ne peut être
parfaitement efficace s'il est étranger à ce contexte économique et social.
La seconde caractéristique des problèmes de l'entreprise, c'est qu'en général, ils sont
complexes. Le même problème peut être, à la fois, financier, juridique et fiscal ; ou
commercial et juridique. Sa compréhension, tout autant que la recherche de sa solution,
ne peut être que le travail d'une équipe, soit une équipe interne à l'entreprise, soit une
équipe composée de responsables de l'entreprise et de conseils extérieurs. Quel que soit le
cas, il est primordial pour l'entreprise, que le juriste soit pleinement associé à l'équipe, et
qu'il y prenne sa vraie place.
L'entreprise a besoin d'un juriste qui soit effectivement un partenaire.
34. — Les grandes entreprises sont tellement conscientes de ce besoin qu'elles ont créé
des services juridiques au plus haut niveau de leur hiérarchie.
Toutefois, quelle que soit l'efficacité de leurs services juridiques, le recours à des juristes
extérieurs reste souvent indispensable, mais leur rôle est différent.
B — LES RELATIONS ENTRE L'AVOCAT D'AFFAIRES,
L'ENTREPRISE ET SES JURISTES
35. — Quand l'entreprise a son propre service juridique, c'est le juriste d'entreprise qui
résout l'ensemble des problèmes juridiques de l'entreprise. Il la connaît mieux que
personne. Les problèmes sont bien résolus, car beaucoup de juristes d'entreprise sont au
même niveau de compétence que les bons avocats d'affaires. Certains sont même à un
niveau équivalent à celui des meilleurs avocats d'affaires. Pourquoi, dans ces conditions,
pourraient-ils vouloir consulter un avocat ? En général, le juriste d'entreprise est à la fois
un généraliste du droit et un spécialiste du droit de l'entreprise dans laquelle il exerce ses
fonctions. Aussi doit-il consulter un avocat d'affaires quand la complexité devient trop
grande, le généraliste doit consulter le spécialiste ; pour une réassurance ; pour bénéficier
de la signature d'une « autorité » ; pour mieux convaincre sa direction générale ; et, bien
sûr, pour plaider un dossier (puisqu'il ne peut le faire lui-même).
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L'avenir du juriste d'affaires
Dans les années qui viennent, la croissance de la diversité et de la complexité du droit
conduiront les entreprises à rechercher les meilleurs spécialistes. Certaines ont déjà leur
propre « Who's Who » des avocats d'affaires.
L'avocat d'affaires spécialiste sera-t-il lui aussi un partenaire de l'entreprise ? En principe
oui, la grande majorité des problèmes doit être traitée en fonction du contexte
économique et social de l'entreprise. Mais, ici, ce sera au juriste d'entreprise d'être
l'interface entre l'entreprise et son conseil extérieur.
36. — Même si elle a un service juridique interne très compétent et très efficace,
l'entreprise peut, aussi, avoir besoin de juristes d'affaires externes de haut niveau.
Des problèmes sont plus particulièrement sensibles et confidentiels : comment renforcer
le contrôle de l'entreprise ? Comment organiser l'actionnariat ? Comment organiser une
succession ?
Les dirigeants, les actionnaires de contrôle ou de référence ont besoin de juristes qui
soient leurs partenaires pour les guider et les assister dans les opérations complexes, les
plus délicates et les plus confidentielles. Ils ont besoin d'avocats d'affaires.
37. — Voilà — semble-t-il —, les juristes dont les entreprises auront de plus en plus besoin dans l’avenir.
Comment, dans ces conditions, l'avocat d'affaires peut-il espérer être ce partenaire dont
l'entreprise a besoin ?
II. — COMMENT L'AVOCAT D'AFFAIRES
PEUT-IL ETRE LE PARTENAIRE DONT L'ENTREPRISE A BESOIN
?
38. — C'est évidemment à l'avocat d'affaires de comprendre l'entreprise et ses besoins. Ce
n'est pas à l'entreprise de s'adapter aux juristes.
C'est parce qu'ils ont compris cette vérité élémentaire que les conseils juridiques sont nés,
et qu'ils ont eu le succès que l'on connaît.
Aujourd'hui, il n'y a plus que des avocats d'affaires. Et, qu'ils soient plutôt portés vers le
conseil ou vers le judiciaire, ils sont confrontés à la même réalité.
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L'avenir du juriste d'affaires
39. — Dans les années qui viennent, la réalité économique et sociale sera plus complexe,
ses évolutions seront plus imprévisibles, les entreprises seront plus exigeantes. Sans
cesse, il faudra s'adapter, et rapidement.
Comment les avocats d'affaires pourront-ils relever ces défis pour demeurer des
partenaires de l'entreprise ?
À mon sens, ces défis seront relevés autant par le renforcement d'une attitude culturelle
forte, que par une organisation appropriée de leurs activités.
A — LA CULTURE DES AVOCATS D'AFFAIRES
40. — Il est indéniable que les avocats d'affaires ont déjà en commun une culture qui leur
est propre. Elle est la conséquence de la spécificité de leurs activités.
L'avocat d'affaires n'est pas simplement l'homme du droit de l'entreprise, il est aussi un
partenaire de la vie de l'entreprise.
Il ne serait pas étonnant que cette culture s'affermisse dans l’avenir, et que se précise son
identité.
Il me semble qu'elle pourrait reposer sur quatre piliers :
-
une conception du droit ;
-
un comportement ;
-
une ingénierie ;
-
une éthique.
A — UNE CONCEPTION DU DROIT
41. — Nous partageons tous l'idée que le droit est la justice ; que le droit doit équilibrer
les intérêts des uns et des autres ; qu'il doit protéger les personnes et les biens. Le droit
incorpore des valeurs qui sont les nôtres. Nous avons tous une très haute idée du droit et
de la justice.
Mais nous savons, surtout les spécialistes du conseil, que le droit est aussi une science
d'organisation des relations et des activités humaines.
42. — Tout juriste d'affaires a passé une partie de sa vie à concevoir l'organisation
juridique d'entreprises ou celle de relations d'affaires.
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L'avenir du juriste d'affaires
La conclusion d'un contrat d'affaires, par exemple, n'est pas seulement la conclusion d'un
acte juridique, ou le résultat de l'application de techniques juridiques, ou la simple
constatation d'un accord de volonté. C'est bien autre chose : c'est, peut-être, la mise en
œuvre de la stratégie de deux entreprises, le moyen de la poursuite de leurs objectifs, et
l'organisation juridique de leurs relations d'affaires (commerciales, techniques,
financières...), pour une durée plus ou moins longue.
C'est le juriste d'affaires qui conçoit cette organisation et qui la construit.
43. — Les juristes d'affaires savent encore que l'organisation juridique peut ne constituer
qu'une partie d'une organisation d'ensemble, globale, dont elle est solidaire.
Ainsi, une opération de « Leveraged Buy Out » (L.B.O.), dont l'objet unique est l'achat du
contrôle d'une société et le financement de cet achat, est réalisée au moyen d'une
organisation d'ensemble, dont certains aspects ressortissent à l'ingénierie financière, et
d'autres au droit et à la fiscalité. L'organisation juridique est l'un des éléments d'un tout
difficilement dissociable.
44. — Le juriste d'affaires (le juriste organisateur) perçoit parfaitement les problèmes
dans la multiplicité de leurs aspects, il maîtrise les objectifs d'ensemble, il situe
l'organisation juridique dans l'organisation globale, et il peut accepter que des solutions
non juridiques soient substituées aux solutions juridiques si elles sont plus efficaces.
Dans l’avenir, cette conception et cette vision du droit seront sans doute encore plus
fortes. La liberté contractuelle sera plus grande pour les entreprises. Plus il y aura de
liberté contractuelle, plus il y aura d'organisations juridiques, dans tous les domaines. Les
juristes d'affaires seront de plus en plus des organisateurs juridiques.
B — UN COMPORTEMENT
45. — Une telle conception du droit implique nécessairement un état d'esprit, une
manière d'être, un comportement.
Il est clair que ce comportement est à l'opposé de celui du juriste technicien et, a fortiori,
de celui du juriste technocrate.
Le comportement du juriste d'affaires – juriste organisateur – est inspiré par la volonté de
résoudre les problèmes en apportant une valeur ajoutée à l'entreprise. Il a la volonté de
relier constamment les faits au droit et le droit aux faits ; de saisir les incidences des
évolutions du droit sur les faits ; de préconiser, en termes d'action, les changements qu'il
faut apporter aux manières de faire les choses et aux organisations juridiques. Il a aussi la
volonté d'être toujours constructif et positif, d'être constamment adapté aux réalités
économiques et sociales de l'entreprise. Dans sa fonction de conseil, il est un
« architecte » du droit, un « constructeur ». Il prend une part essentielle lors de la
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L'avenir du juriste d'affaires
conception et de la mise en place de l'organisation générale des structures et des relations
économiques et sociales.
Ce sont là, certains des aspects du professionnalisme du juriste d'affaires.
La conception organisationnelle du droit et le comportement qu'elle implique conduisent
tout naturellement le juriste d'affaires à l'ingénierie juridique.
C - L'INGENIERIE JURIDIQUE
46. — L'ingénierie juridique existe déjà depuis longtemps. Elle se présente sous plusieurs
formes.
Elle est pour partie constituée par tout un ensemble de procédés de méthodes et de
procédures destinés à rendre plus efficace le travail du juriste, comme, par exemple :
— Une méthodologie ; elle comprend une démarche intellectuelle qui va du stade de la
position et de la formulation des problèmes à celui de leur solution, en passant par la
fixation et la hiérarchisation des objectifs à atteindre, l'identification et la mesure des
contraintes à surmonter, la recherche des mécanismes et des instruments techniques les
plus adaptés, le choix des solutions alternatives en fonction de critères précis et
préétablis ; elle peut comprendre, également, une méthode d'exposition des solutions et
des raisonnements qui les fondent ; l'approche organisationnelle peut constituer l'un des
éléments de cette méthodologie ;
— Des audits juridiques ; dans un premier temps, destinés à la détection des risques de
l'entreprise, ils ont rapidement eu d'autres objectifs, comme la mesure de la sécurité et de
l'efficacité des solutions juridiques ;
— Des procédures informatiques du suivi des contrats ; elles ont été mises en place dans
certaines grandes entreprises ;
— Des « guidelines » rédigées par les juristes à l'attention de responsables d'entreprise
pour leur éviter de commettre des infractions dans l'exercice de leurs fonctions ;
— Des ensembles de mécanismes et de montages techniques mis au point pour résoudre
des problèmes complexes (c'est, par exemple, l'ingénierie « juridico-fiscalo-financière »
des L.B.O.).
47. — L'ingénierie juridique ne peut que se développer dans l'avenir, grâce en particulier
à l'informatique.
Peut-être la verra-t-on, en plus, s'enrichir aussi des approches et des technologies des
organisations. Le droit étant une science d'organisation, il ne serait pas surprenant que les
juristes s'inspirent des méthodes et des techniques des organisateurs.
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L'avenir du juriste d'affaires
48. — Enfin, le quatrième pilier de la culture du juriste d'affaires — et non le moindre —
c'est une éthique.
D - L'ETHIQUE
49. — La première idée qui vient à l'esprit est que la démarche organisationnelle conduit
au niveau le plus élevé de l'éthique et de la déontologie. Sa finalité est, en effet, de tout
mettre en œuvre pour résoudre, si possible de manière parfaite, les problèmes que
rencontre l'entreprise.
N'est-ce pas là, la raison de l'existence du juriste d'affaires, du juriste organisateur ?
50. — Au-delà de leurs objectifs techniques et de l'ingénierie juridique qu'elles mettent en
œuvre, on sait que la finalité profonde de toutes les organisations juridiques est la justice
et l'équilibre des intérêts en présence. Or, en fait, deux dangers guettent le juriste
d'affaires : la perte de son indépendance et le souci de la performance.
Un juriste ne peut exercer pleinement ses missions que s'il est indépendant de son client :
indépendance matérielle évidemment, mais surtout indépendance intellectuelle. Le risque
est que le juriste épouse trop fortement le combat de l'entreprise cliente, qu'il perde le
sens du droit et de la justice, et qu'il soit conduit – consciemment ou inconsciemment – à
prendre des décisions ou à adopter des comportements contraires à l'éthique et à la
déontologie.
Le second danger est que le juriste soit trop soucieux de performance, et que sa réussite
dans des « montages » de plus en plus sophistiqués ne le conduise à oublier les règles
éthiques et la déontologie, ce serait une sorte de juriste organisateur technocrate.
51. — L'entreprise met en jeu tellement d'intérêts, souvent convergents, parfois opposés,
qu'il n'est pas acceptable que le juriste puisse accomplir ses missions sans une éthique et
une déontologie fortes. Il est bien sûr évident que cette éthique et que cette déontologie
concernent aussi, au plus point, le secret professionnel et les risques de conflits d'intérêts.
Voilà les quatre piliers de la culture du juriste d'affaires. Elle est essentielle pour relever
les défis de l'avenir. Mais elle ne suffit pas, il faut encore que le juriste d'affaires ait une
sérieuse organisation professionnelle.
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L'avenir du juriste d'affaires
B — L'ORGANISATION DE L'AVOCAT D'AFFAIRES
52. — Il faut que le juriste ait, lui-même, une organisation compétitive, adaptée à la
fonction qu'il doit remplir auprès de ses clients. Toutes les observations qui ont été
précédemment faites sur l'entreprise – ou presque – sont valables aussi pour l'entreprise
du juriste : vision claire de ce qu'il veut faire à moyen terme ; stratégie stable ; culture
d'entreprise forte et valeurs partagées (dès que le cabinet a une certaine importance) ;
tactiques sans cesse adaptées aux évolutions ; partenariat avec ses clients ; très grande
écoute du marché ; réactivité aux changements ; souplesse d'organisation ; très grande
adaptabilité ; « leadership » des associés et équipe homogène, tant en ce qui concerne les
compétences de ses membres que les valeurs qui les unissent. L'entreprise du juriste,
surtout dans le conseil, est une entreprise de services. Sa survie et sa croissance
n'échappent pas aux difficultés que rencontrent les autres entreprises et les solutions pour
les surmonter ne peuvent être très différentes.
Mais, quelle que soit l'importance de l'entreprise du juriste, il est rare qu'il puisse réunir
toutes les compétences indispensables pour régler tous les problèmes des clients, soit
parce qu'ils comportent des aspects qui relèvent d'autres compétences que les siennes,
financières, comptables... soit parce leur solution dépend de droits étrangers qu'en
l'absence d'implantations internationales les cabinets ne peuvent résoudre de manière
satisfaisante. L’appartenance des cabinets de juristes à différents types de réseaux est
peut-être la solution de ces problèmes.
A. — L'ENTREPRISE DU JURISTE
53. — Il ne peut évidemment pas être dans notre intention d'envisager, ici, toutes les
questions relatives à l'organisation d'une entreprise efficace du juriste d'affaires. D'autant
que toute l'organisation du cabinet découle de la stratégie choisie et du positionnement
qu'elle a pris sur le marché. Il faudrait plusieurs ouvrages pour obtenir un résultat
satisfaisant. Notre but est, simplement, de rappeler les points d'organisation qui sont
essentiels pour que le cabinet réponde de manière satisfaisante aux attentes des
entreprises clientes.
54. — Pour que le cabinet du juriste d'affaires soit réellement efficace et puisse répondre
aux attentes des entreprises clientes pour les prestations du deuxième type, il est
nécessaire, semble-t-il, qu'il satisfasse, au-delà des conditions qui sont celles de la survie
et de la croissance de toutes les entreprises, certaines conditions plus spécifiques à la
nature de son activité. Il faut, en particulier :
— Un système d'information très performant, de telle sorte que le juriste ait, toujours, à sa
disposition, constamment à jour, la totalité des éléments nécessaires à ses recherches et à
ses prises de décision. Une bibliothèque très importante et parfaitement à jour est un outil
de travail tout à fait essentiel pour le juriste d'affaires.
— Un système de contrôle de la qualité du travail des collaborateurs (voire de celui des
associés). Alors que le contrôle de qualité est devenu banal dans d'autres professions,
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L'avenir du juriste d'affaires
comme dans la profession comptable par exemple, l'idée semble très étrangère aux
juristes. De plus, elle leur paraît contraire au principe d'indépendance de l'avocat, et ils
imaginent mal comment elle pourrait être mise en application dans le domaine juridique
en raison de l'infinie diversité des types d'intervention. En réalité, un système de contrôle
de la qualité est parfaitement possible pour les travaux juridiques, dans le conseil en tout
cas, ne serait-ce que pour apprécier la rigueur et la qualité de la position des problèmes et
des raisonnements, la pertinence des solutions par rapport aux raisonnements qui les
fondent, la clarté d'exposition des réponses qui sont faites aux clients, la qualité des
recherches qui ont été faites..., il est au moins utile pour tout ce qui concerne la méthodologie. En outre, cette démarche est parfaitement justifiée, car le cabinet engage sa
responsabilité à l'égard des clients pour tous les travaux qui sont faits en son sein. De
plus, le cabinet engage aussi sa crédibilité : quelle serait la réaction de clients du même
cabinet auxquels plusieurs collaborateurs donneraient des avis juridiques complètement
contraires sur le même sujet ?
— Un système de suivi de formation permanente, interne ou externe, et de perfectionnement technologique.
— Une organisation très minutieuse du recrutement des collaborateurs, car c'est de leur
qualité que dépendront le renouvellement et l'avenir du cabinet (même à très court terme,
dès lors qu'ils auront la responsabilité de dossiers).
B. — LE RESEAU DU JURISTE
55. — Dès qu'un problème est complexe et qu'il comporte des aspects qui ne sont pas
exclusivement juridiques, il ne peut être résolu que par une équipe pluridisciplinaire.
Une équipe pluridisciplinaire ne peut être efficace que si un certain nombre de conditions
sont réunies, il faut notamment :
— une homogénéité des compétences et des aptitudes des intervenants ;
— une relation de qualité, un respect mutuel et une certaine « complicité » des différents
professionnels ; des relations de ce type sont le plus souvent le résultat de la
reconnaissance de la compétence de chacun et, aussi, de l'habitude de travailler
ensemble ;
— une compréhension du problème sous tous ses aspects par tous les intervenants ;
— un accord sur les objectifs de solution à atteindre ;
— une aptitude des membres de l'équipe à se mettre d'accord sur les problèmes et les
solutions ;
— une très bonne circulation de l'information entre tous les membres ;
— et, peut-être, dans certains cas, un interlocuteur unique à l'égard du client.
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L'avenir du juriste d'affaires
Cette façon de travailler est généralement nécessaire pour obtenir un bon règlement
global des problèmes des entreprises. Elle présente, aussi, de très grands intérêts pour le
juriste d'affaires et, de manière générale, pour ceux qui travaillent ensemble : elle permet
un enrichissement personnel et collectif, chaque professionnel a, en effet, une meilleure
compréhension de la manière selon laquelle les autres spécialistes perçoivent les problèmes, de leur approche, de leur méthode de raisonnement, des priorités qu'ils
établissent, des objectifs qu'ils poursuivent ; de plus, chacun a une vision plus globale,
plus intelligente des problèmes de l'entreprise, et donc une plus grande aptitude à les
régler.
Si ces différents professionnels font partie d'une organisation commune (un groupement
d'intérêt économique par exemple), ils ont la possibilité de procéder à des investissements
communs pour avoir une meilleure efficacité dans leurs interventions. Ils peuvent, aussi,
instituer des procédures de travail en commun conduisant à une ingénierie globale plus
efficace.
56. — Quand il travaille en équipe, le juriste d'affaires peut intervenir de deux manières :
ou bien il est le leader de l'équipe – ou il en est, au moins, l'un des éléments essentiels –,
ou bien il travaille en sous-traitance.
D'un point de vue purement personnel au juriste d'affaires, il est certainement plus
valorisant d'être le leader de l'équipe pluridisciplinaire ou l'un de ses éléments essentiels.
Cette situation est aussi bien meilleure pour le règlement des problèmes de l'entreprise.
En effet, un sous-traitant n'a qu'une vision partielle des problèmes ; de plus, il ne participe
pas à la « culture » du problème et peut ne proposer que des solutions, certes
satisfaisantes sur le plan juridique, mais globalement inadaptées ; enfin, il ne travaille
qu'à travers le prisme déformant d'un autre professionnel, « l'entrepreneur principal ». Or
celui-ci peut passer à côté de problèmes extrêmement importants, qu'il ne voit pas parce
qu'il n'a pas une compétence juridique suffisante ou qu'il ne sait pas chercher les
informations qui permettraient de les découvrir. Le juriste d'affaires ne peut se contenter
d'être le sous-traitant d'un « entrepreneur principal ».
57. — La meilleure solution pour régler tous ces problèmes n'est-elle pas pour le juriste
d'affaires de constituer un réseau avec des professionnels de compétence
complémentaires, dont, en particulier, avec des experts-comptables ?
Ce qui est essentiel dans le travail en équipe, c'est le secret professionnel (surtout quand
l'équipe comprend des professionnels qui ne sont pas astreints au secret en vertu d'un
statut professionnel) et l'indépendance du juriste.
Mais de quelle indépendance peut-il s'agir ?
58. — Quand on songe à l'indépendance du juriste, ce sont les termes de dépendance
juridique (existence d'un lien de subordination), de dépendance commerciale (relations
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L'avenir du juriste d'affaires
croisées entre cabinets ou avec certains clients), de dépendance économique (le juriste n'a
que de gros clients et la perte de l'un d'entre eux pourrait mettre en péril l'équilibre
économique de son cabinet) et de dépendance culturelle qui viennent à l'esprit.
L'indépendance est plus analysée à travers la dépendance qu'en elle-même.
59. — En réalité, quand on envisage l'indépendance du juriste dans le cadre de la
pluridisciplinarité, il semble que l'on doive voir les choses différemment.
La pluridisciplinarité, c'est l'exercice coordonné de professions différentes et
complémentaires, de manière égalitaire.
C'est aussi l'indépendance de décision. Ce qui signifie, pour le juriste d'affaires, que le
choix des solutions pour le règlement des problèmes de l'entreprise ne peut, d'une part,
être inspiré par des éléments contraires au droit et aux finalités du droit – et à ses
convictions en ce domaine –, et, d'autre part, résulter de considérations étrangères aux
intérêts de l'entreprise cliente. Il ne peut y avoir, en aucun cas, une subordination à des
intérêts extérieurs comme, par exemple ceux d'un cabinet, d'un autre professionnel,
d'autres clients du cabinet ou d'autres cabinets auxquels appartiennent les professionnels
de l'équipe.
60. — Mais cette indépendance doit être comprise avec intelligence, car beaucoup de
montages présentent de nombreux aspects : managériaux, fiscaux, financiers... La
solution – ou les bonnes solutions – dépend de l'intégration dans un même ensemble de
données diverses dont certaines, seulement, ressortissent au droit. L'indépendance, c'est le
choix, en conscience, par le juriste de la solution qui lui paraît, à la fois, la plus conforme
au droit et la meilleure pour résoudre le problème de l'entreprise. La solution juridique
peut – ou doit – être conçue en tenant compte de la manière particulière dont se pose ce
problème et de la nécessité de l'intégrer harmonieusement dans une solution globale, dont
les autres éléments sont conçus par les autres professionnels composant l'équipe.
L'indépendance du juriste d'affaires est essentiellement une indépendance de nature
intellectuelle. Il est évident qu'elle dépend également de sa personnalité et de son autorité.
61. — Ces équipes pluridisciplinaires peuvent se constituer et fonctionner de manière
informelle, mais il est évident qu'elles sont peut-être encore plus efficaces quand elles
fonctionnent dans le cadre de réseaux spécialement constitués à cet effet. Avec une
organisation en réseau, il est en effet possible de procéder à des investissements
communs, d'avoir régulièrement des actions d'information et de formation pour mieux
comprendre et résoudre les problèmes qui se posent dans certains types de situations, de
créer un centre de formation pour les collaborateurs, etc. Pour les entreprises clientes, la
solution est aussi plus satisfaisante.
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L'avenir du juriste d'affaires
62. — Ainsi, l'établissement de réseaux pluridisciplinaires, la réalisation d'une
organisation performante de son entreprise, l'affirmation d'une forte culture
professionnelle, l'appréhension d'une vision moderne et noble du droit dans son aspect
organisationnel, la maîtrise d'une ingénierie juridique et l'imprégnation d'une forte éthique
professionnelle sont – du moins me semble-t-il – les conditions principales de la réussite
du juriste d'affaires dans l'avenir. Ce sont les conditions qu'il doit remplir pour être l'un
des partenaires privilégiés de l'entreprise, pour être le professionnel qui participe de
manière essentielle à l'organisation des structures et des relations économiques et
sociales.
CONCLUSION
63. — Il ne me paraît pas possible de terminer cette conférence sans faire une brève
observation sur la formation de troisième cycle du juriste d'affaires.
À mon sens, cette formation doit viser essentiellement à conduire les étudiants en droit,
qui sortent de maîtrise, au professionnalisme du juriste d'affaires. Elle doit être une
initiation forte à ce professionnalisme. Conçue de cette manière, elle peut s'organiser
autour de trois axes :
L'axe de la culture : c'est la triple acquisition d'une culture juridique, d'une culture
générale et économique, et d'une culture de l'entreprise. Cet axe de la connaissance ne
doit pas être conçu comme un « empilement » de connaissances. Il ne peut s'agir de
vouloir faire apprendre aux étudiants toutes les règles de droit et toutes les informations
qui sont contenues dans les ouvrages. Dès qu'ils seront dans la vie professionnelle, ils
trouveront dans leur bibliothèque les ouvrages dans lesquels ils puiseront les informations
dont ils ont besoin. Ce qui est infiniment plus important, s'ils veulent réellement être des
juristes organisateurs, c'est qu'ils aient une formation qui leur permette de trouver des
solutions adaptées, fiables, sûres et efficaces à des problèmes complexes, quand il n'y a
dans les ouvrages aucune information satisfaisante sur le sujet et, a fortiori, aucune formule dans les formulaires. Comme ce travail est précisément celui que doit faire le juriste
d'affaires dans les prestations de deuxième type, et qu'il est le fondement de son identité,
c'est à ce genre de prestation que le futur avocat d'affaires doit être formé. Certes, on
pourrait objecter que les juristes d'affaires n'auront pas que des prestations du deuxième
type à faire, mais, encore une fois, ce sont ces prestations qui fondent leur identité, et à
partir du moment où ils savent parfaitement les réaliser, les prestations du premier type
(celles qui seront de plus en plus banalisées) ne présentent plus pour eux aucune
difficulté. L'essentiel n'est donc pas que l'étudiant accumule sans cesse des connaissances,
qui, de plus, seront très rapidement obsolètes, mais qu'il acquiert la culture fondamentale
qui, seule, lui permettra de trouver des réponses aux problèmes complexes que les ouvrages ignorent. Mieux vaut, et on le sait depuis toujours, une tête bien faite qu'une tête
bien pleine. Aussi, ne s'agit-il pas, lors de la formation, d'accumuler simplement des
connaissances pratiques et théoriques, mais aussi d'assimiler intelligemment les concepts,
les notions fondamentales, les principes essentiels, et de comprendre parfaitement les
finalités et la logique interne des constructions juridiques.
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L'avenir du juriste d'affaires
L'axe du savoir-faire : c'est l'initiation à une méthodologie, celle que doit maîtriser le
juriste d'affaires. C'est aussi, de façon primordiale, le commencement de l'apprentissage
du métier : l'initiation et la familiarisation aux problèmes très concrets des entreprises et
aux manières de les résoudre.
L'axe du savoir-être : c'est l'initiation aux meilleurs comportements professionnels.
Cette formation est ambitieuse. Mais si les juristes français veulent avoir leur place sur le
marché international du droit des affaires (et la France est une partie de ce marché
international), il faut qu'ils aient une formation qui ne soit pas d'une qualité inférieure à
celle des juristes des autres pays, et l'on sait que certains excellent dans ce domaine !
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