pro natura magazine

Transcription

pro natura magazine
Le monde des abeilles sauvages:
un puzzle gigantesque
2010
pro natura
magazine
SpÉcial
2
Raphael
Weber,
rédacteur
en chef
Un puzzle où
chaque pièce a son
importance
Enfant, ces questions m’ont taraudé et privé de
nombreuses heures de sommeil: si l’univers a
une fin, qu’y a-t-il au-delà? Et s’il n’a pas de fin,
comment peut-il s’étendre à l’infini? Ces questions me sont revenues à l’esprit lorsque j’ai
commencé de m’intéresser de près aux abeilles
sauvages, plongé alors dans un univers dont le
début et la fin me paraissaient indiscernables. A
ce jour, quelque 16 000 espèces d’abeilles sauvages ont été recensées et décrites scientifiquement sur notre planète, et sans doute en reste-til à peu près autant à découvrir – tout un univers
en miniature.
Sommaire
On dénombre en Suisse près de 600 espèces
d’abeilles sauvages. Colonisant toutes sortes de
milieux, elles ont développé des stratégies de re-
4 La mesure d’un monde
6 Habitats
On estime
Les abeilles sauvages ont besoin de paysages diversifiés, exploités
production aussi astucieuses que fascinantes. Et
10 Pollinisatrices
elles fournissent aux êtres humains des presta-
12 Abeille géante
tions d’une valeur inestimable: les abeilles sont
Le bourdon, c’est le
les principaux agents pollinisateurs des végétaux
utiles. Sans elles, il n’y aurait sur terre quasiment plus de fruits ni de légumes. Même la viande deviendrait une denrée rare, car d’importantes
plantes fourragères ne seraient plus fécondées.
Nous pourrions également dire adieu au coton,
principale fibre naturelle utilisée dans le monde.
Aucune espèce ne peut vivre en autarcie; tou-
tes les espèces d’abeilles sauvages sont reliées
d’une manière ou d’une autre à des végétaux et
à d’autres espèces animales. Et toutes ces espèces forment ensemble un gigantesque puzzle. Or,
il manque de plus en plus de pièces à ce puzzle.
En Suisse, plusieurs dizaines d’espèces d’abeilles
Les quelque 600 espèces d’abeilles sauvages
présentes en Suisse forment un puzzle bigarré, à
l’image de leurs habitats, qui sont très diversifiés.
Photos des abeilles du puzzle:
Nicolas J. Vereecken, Blickwinkel
Arrangement des pièces du puzzle
et photographie studio: Christian Flierl
Mise en page puzzle: Birgit Leifhelm
sauvages sont déjà éteintes, et près de la moitié
de toutes les espèces d’abeilles sauvages sont sur
la Liste rouge.
Quelques dizaines d’espèces en moins, sur
près de 600. Et alors? C’est oublier que chaque
espèce d’abeille a sa raison d’être, sa fonction
et sa mission à remplir; elle ne peut simplement
être remplacée par une autre espèce. Même si le
puzzle est encore grand, chacune de ses pièces
manquantes constitue une perte irréparable.
pro natura magazine
Revue de Pro Natura – Ligue suisse pour la protection de la nature
est reconnue par le Zewo.
Impressum: Pro Natura Magazine spécial 2010. Supplément de Pro Natura Magazine 2/2010. La revue «Pro Natura
Magazine» paraît cinq fois par an (+ Pro Natura Magazine spécial) et est envoyée à tous les membres de Pro Natura.
ISSN 1422-6235. Collaboration à cette édition: Hansjakob Baumgartner, Wolfgang Bischoff, Nicolas Gattlen, Nathalie
Martin, Urs Tester Idée et concept: Raphael Weber Rédaction: Raphael Weber (allemand), Florence KupferschmidEnderlin (français), Luca Vetterli (italien) Production: Birgit Leifhelm, Raphael Weber Traduction/Relecture: Jean-Marc
Frossard, Marianne Gattiker, Fabienne Juilland, Barbara Loertscher Lithos/Impression: Schläfli & Maurer AG, 3800 Interlaken Tirage: 109 500 (82 000 allemand, 24 500 français, 3000 italien) Adresse: Pro Natura Secrétariat romand, ChampPittet, 1400 Cheseaux-Noréaz; tél: 024 423 35 64, fax: 024 423 35 79, e-mail: [email protected] ou [email protected]; internet: http://www.pronatura.ch; CCP: 40-331-0. Secrétariat central de Pro Natura:
case postale, 4018 Bâle. Pro Natura est membre fondateur de l’IUCN-Union mondiale pour la nature, ainsi que membre
Friends of the Earth International. www.pronatura.ch
suisse de
Pro Natura Magazine spécial 2010
à 30’000 le nombre d’espèces d’abeilles sauvages existant sur la planète – une belle illustration de la notion de biodiversité.
de manière extensive.
Sans la pollinisation par les abeilles, l’éventail de notre alimentation serait radicalement différent.
«poids lourd» des abeilles sauvages.
13 Proches parentes
Les guêpes, proches parentes des abeilles, n’ont pas une réputation enviable auprès du genre humain.
14 Danseuses et orpailleuses
16 Danger omniprésent
Les abeilles mellifères nous rendent la vie plus douce.
Les dangers sont nombreux dans l’univers des abeilles sauvages.
Raphael Weber (3), Blickwinkel
17 Arme efficace
Même des ennemis bien plus gros qu’elles se méfient de l’arme suprême des abeilles – leur dard.
18 Elève modèle
20 Découverte
22 Encouragement
Pro Natura Magazine special 2010
Tout au long de l’histoire, on a attribué aux abeilles des qualités proprement fabuleuses.
Avec les abeilles sauvages, tout un univers fascinant s’est ouvert à Peter Kernen.
Préserver la diversité des abeilles, cela nécessite bien plus que l’installation de nichoirs à abeilles sauvages.
4
Le vaste monde des petites abeilles
On recense 585 espèces d’abeilles sauvages en Suisse, et il pourrait y en avoir jusqu’à
30 000 à travers le monde. Elles habitent les milieux les plus divers, et témoignent de façon
spectaculaire du fonctionnement de la biodiversité à très petite échelle.
avoisiner les 30 000; rien qu’en Eu-
Les histoires les plus incroyables
l’homme pour produire du miel ou
se colportent sur les abeilles sau-
polliniser des plantes utiles. Cepen-
rope, un bon millier d’espèces ont
vages: elles seraient tantôt les der-
dant, des espèces sauvages sont
été recensées, et la Suisse en abrite
nières descendantes encore vivan-
également – et de plus en plus – mi-
plus de 580.
tes de l’abeille à miel, tantôt un en-
ses à contribution pour des tâches
semble disparate d’individus ayant
qualifiées de domestiques. C’est le
Une stupéfiante diversité
L’évolution a produit une étonnan-
fui les apiculteurs, tantôt une co-
cas du bourdon terrestre (Bombus
lonie d’abeilles mellifères égarées.
terrestris) dans les cultures de to-
te diversité de formes, de dessins
Comme s’il y avait une seule espè-
mates sous serre, de l’abeille dé-
et de couleurs. Certaines abeilles
ce d’abeille, produisant anarchique-
coupeuse (Megachile rotundata)
sauvages portent une sorte de du-
ment des avatars. Or, l’abeille à miel
dans les champs de luzerne, ou en-
vet sur le corps, d’autres sont pres-
(Apis mellifera), dite aussi mellifère
core de l’abeille solitaire (Osmia bi-
que glabres. Leur taille varie d’une
ou mellifique, n’est qu’une espèce
cornis) dans les pommeraies.
espèce à l’autre entre deux millimè-
d’abeille parmi des milliers – plus
Du point de vue zoologique, les
tres et trois centimètres. Les apidés
de 16 000 espèces d’apidés ont été
abeilles sauvages et les abeilles do-
présentent également tout un éven-
scientifiquement décrites à ce jour.
mestiques appartiennent, au sein
tail de comportements allant d’une
Tout comme on distingue les plan-
de la classe des insectes, à l’ordre
vie sociale élaborée à un mode de
tes sauvages des plantes utiles, on
des hyménoptères et à la famille
vie solitaire.
qualifie de «sauvages» toutes les es-
des apidés (Apidae). Il est probable
pèces d’abeilles
que cette famille ait fait son appari-
d’abeilles, c’est seule que la fe-
vivant en pleine
Chez la plupart des espèces
tion au Crétacé, il y a une centaine
melle construit le nid et prend
afin
de millions d’années, à partir d’an-
soin de la couvée. La fonction du
de les dis-
cêtres semblables aux guêpes fouis-
mâle est de s’accoupler. Ensuite, il
tinguer des
seuses. Le passage de mœurs pré-
peut disparaître. Les abeilles-cou-
abeilles
datrices à un mode de vie purement
cous sont un cas particulier: elles
nature,
domes-
butineur a provoqué une explosion
ne construisent pas de nid. A l’ins-
tiques
de la spéciation des plantes à fleurs,
tar de leurs homonymes à plumes,
utili-
qui a entraîné à son tour un écla-
ce sont des abeilles parasites qui
sées
tement des populations d’abeilles
pondent leurs œufs dans le nid
par
en d’innombrables espèces. Le ré-
d’autres abeilles. Quand la larve
sultat est impressionnant: on a ré-
d’une abeille-coucou éclot, elle tue
pertorié sur notre planète quelque
celle de l’abeille hôte et se nourrit
en
Vereeck
250 000 espèces de plantes à fleurs,
de ses réserves.
dont une grande partie sont pollini-
Le cycle de vie d’une abeille
sées par les abeilles. Quant au nom-
dure exactement une année chez la
bre d’espèces d’abeilles, il pourrait
plupart des espèces. Après l’accouplement, la femelle pond un œuf à
Spectaculaire: l’eucère à longues antennes
L’eucère à longues antennes (Eucera nigrescens) ne passe pas inaperçue parmi les
abeilles sauvages: son dos est duveteux et les antennes des mâles sont aussi longues
que leur corps. Cette abeille vole grosso modo de la mi-mars à début août et se rencontre surtout dans les prairies sèches riches en espèces, les vergers hautes tiges et les
glaisières. Elle niche au sol.
l’intérieur de la cellule de ponte, sur
la réserve de nourriture, puis obture la cellule. La larve éclot quelques
jours plus tard. Après s’être nourrie
de cette réserve, elle s’entoure d’un
cocon de soie protecteur. Commence alors une ­hibernation de pluPro Natura Magazine spécial 2010
Blickwinkel
Position des abeilles parmi les insectes
Classe
Ordre
Insectes
Hyménoptères env. 12 000 espèces en Europe centrale. Autres ordres: > libellules, sauterelles, papillons, diptères, coléoptères, etc.
deux paires d’ailes membraneuses
Sous-ordre
Symphytes env. 750 espèces
Apocrites env. 11 000 espèces
sans taille de guêpe
avec taille de guêpe
> t enthredinides, siricides,
céphides, etc.
Térébrants env. 10 000 espèces
Aculéates env. 1300 espèces
avec ovipositeur;
mœurs parasitiques
avec ovipositeur transformé en dard venimeux; mœurs généralement non parasitiques
> ichneumonides, braconides,
chalcidoïdes, cynipides,
proctotrupoïdes, etc.
Superfamille
Formicidés Vespidés env. 150 espèces env. 60 espèces
Pompilidés Sphécidés Apidés
env. 110 espèces env. 250 espèces env. 600 espèces
Nourriture des larves: animale
sieurs mois. C’est au printemps sui-
de lœss, bois mort, haies, marais,
vant que la larve se transforme en
tiges médulleuses.
chrysalide pour donner, deux à trois
Source: Andreas Müller:
Wildbienen im
Schaffhauser Randen.
Par conséquent, 45% des espè-
semaines plus tard, un individu ailé.
ces d’abeilles indigènes figu-
Il en va différemment des abeilles à
rent aujourd’hui sur la ­Liste
miel: elles passent l’hiver dans ce
rouge des espèces menacées.
qu’on appelle la grappe, qui est une
Plus de 60 ­espèces d’abeilles
colonie entière, se nourrissant des
sauvages sont considérées
réserves accumulées en été par les
comme éteintes, en Suisse. En
ouvrières ou d’eau sucrée que l’api-
plus du manque d’habitats, les
culteur leur donne en échange du
abeilles souffrent d’une pé-
miel.
Propriété caractéristique des apidés:
nourriture des
larves: produits
floraux (mélange
de pollen et de
nectar ou de pollen
et d’huile de fleurs)
nurie alimentaire. L’agricul-
celle de leurs larves, les abeilles
nourriture. Pire: les pesticides em-
sont tributaires d’une offre flora-
ployés dans l’agriculture et l’horti-
le diversifiée et abondante durant
culture peuvent provoquer un em-
toute la période de végétation. Les
poisonnement direct des abeilles
espèces spécialisées, dites oligo-
ou nuire à leurs larves via le pollen
lectiques, ont des exigences enco-
récolté.
re plus spécifiques: elles ne peu-
vent vivre que là où sont présen-
c’est avant tout protéger les paysa-
Protéger les abeilles sauvages,
tes en grande quantité des familles
ges. Mais nous pouvons toutes et
de fleurs bien précises. Les abeilles
tous – que ce soit dans notre jar-
sauvages ont en outre besoin, pour
din ou sur notre balcon – attirer
nicher, de petits biotopes particu-
et favoriser avec des moyens mo-
liers, qui sont malheureusement de
destes un grand nombre d’espèces
plus en plus rares dans notre paysa-
d’abeilles sauvages à grande facul-
ge domestiqué et uniformisé: blocs
té d’adaptation.
de rochers bien ensoleillés, surfaces sablonneuses ouvertes, parois
Pro Natura Magazine spécial 2010
NICOLAS GATTLEN est journaliste
indépendant à Kaisten
cke
nocultures, ses prairies fertilisées et ses herbicides, les prive de
Ver
ee
Des insectes spécialisés
Pour leur propre alimentation et
n
ture intensive, avec ses mo-
Parasitiques: les abeilles-coucous
Les abeilles du genre Nomada, telle Nomada flavoguttata, ne construisent pas elles-mêmes de nid pour
leur progéniture. Ce sont des abeilles-coucous qui
pondent leurs œufs dans les nids d’autres abeilles.
Les larves de Nomada tuent celles des abeilles hôtes
et se nourrissent de leur garde-manger.
Raphael Weber
Raphael Weber
Les
milieux
idéaux
Les prairies sèches, une offre
alimentaire paradisiaque
Ce n’est pas par hasard que les prairies sèches
comptent parmi les hauts lieux de la diversité
biologique. Pendant la période de floraison, les
prés fleuris procurent une offre alimentaire paradisiaque à de nombreuses abeilles sauvages
spécialisées, de l’abeille maçonne à l’abeille des
sables en passant par l’abeille masquée. Elles y
trouvent assez de nectar et de pollen pour satisfaire leurs besoins et ceux de leur descendance. Les pelouses sèches se développent généralement sur des sols pauvres en azote et en phosphore, sableux ou graveleux, qui constituent des
lieux de nidification appropriés pour les nom-
Pommiers, pruniers, cerisiers et
poiriers: ces arbres fournissent
du nectar aux abeilles sauvages
tout en ayant besoin d’elles. Les
abeilles domestiques ne sont pas
les seules à jouer un rôle essentiel
dans la pollinisation des cultures.
Avec le déclin de l’abeille domestique, les abeilles sauvages sont
précisément appelées à jouer un
rôle toujours plus important dans
la pollinisation de nos arbres
fruitiers. Parfois, certaines d’entre elles – comme l’osmie bicorne –, sont même élevées spécialement pour la pollinisation des
pommiers.
Peu exigeante:
l’osmie bicorne
L’osmie bicorne (Osmia bicornis) est une abeille maçonne
qui n’a pas d’exigences particulières pour les fleurs qu’elle
butine et ses lieux de nidification. Elle est donc très répandue. Cette abeille polyvalente peut se rencontrer sur
une grande variété de fleurs
et elle niche dans toutes les
cavités tubulaires imaginables: joints de fenêtres, tiges de plantes ou trous de
serrures.
Ve
re
e
ck
en
breuses abeilles sauvages nichant dans la terre.
Les habitats naturels
des abeilles sauvages
sont presque aussi
variés que ces insectes.
En effet, les abeilles
sauvages ont besoin de
paysages diversifiés
et exploités de manière
extensive, où elles
trouvent une offre
alimentaire riche et des
sites de nidification
bien spécifiques.
Avec les vergers, c’est
donnant donnant
Elle ne tient pas en place, la
collète de la callune
Il est rare que les mâles de collète de la callune (Colletes succinctus) se posent plus
d’une seconde sur une bruyère. Les sols sableux recouverts d’épais buissons de bruyère
constituent leur habitat naturel. La collète
de la callune enterre les cellules de couvain
jusqu’à 25 centimètres de profondeur dans le
sol sableux.
e
Vere
cken
Pro Natura Magazine spécial 2010
Les rochers et les murs en pierres
sèches, un créneau de spécialistes
Raphael Weber
Les abeilles sauvages aiment les endroits secs et
chauds. Les parois de rochers ensoleillées font notamment partie des sites de nidification et des habitats naturels de certaines abeilles sauvages. Plusieurs espèces aménagent leur nid dans les fentes
de rochers ou entre des pierres, d’autres fixent les
cellules de couvain à la surface des rochers. Les
milieux naturels rocheux offrent généralement peu
Waldhäusl
Les tiges de plantes,
un majestueux quartier d’hiver
de nourriture. Ces abeilles ont donc besoin d’habitats naturels fleuris à proximité de leurs sites de
nidification. Tout comme les rochers, les murs de
Les tiges de plantes constituent des sites de nidification
maisons ou les murs en pierres sèches peuvent
privilégiés: les chrysalides de certaines abeilles sauva-
constituer des lieux de nidification appropriés. Les
ges, en particulier de l’abeille tridentée, hibernent dans
constructions modernes en béton n’offrent cepen-
des tiges sèches et droites. L’abeille pénètre dans la tige
dant que peu d’aspérités ou de fissures convenant
en y creusant un petit trou sur le côté, avant de l’évider.
à la construction d’un nid.
Le trou d’entrée présente un diamètre de 5 à 6 millimètres et il fait souvent jusqu’à 36 centimètres de long. On
trouve de préférence ce type de nids dans des molènes,
des onopordes acanthes, des cardères, des armoises ou
Polyvalente: la Megachile
ericetorum
La Megachile ericetorum choisit des gazons
maigres et des sablières comme habitat naturel, mais elle niche dans des cavités de parois
à pic et des murs en pierres sèches. On la rencontre donc également dans les zones d’habitation, pour autant qu’elle y trouve des plantes
mellifères (surtout la gesse) et des lieux de nidification appropriés.
des ronces.
Vereecke
n
Pro Natura Magazine spécial 2010
Ver
e
Ce sont ses antennes en forme de courge qui ont
donné son nom à cette cératine. Les Ceratina cucurbitina nichent dans les tiges de plantes médulleuses.
Elles alignent les cellules de couvain les unes derrière les autres, et celles-ci sont séparées par des
particules de moelle. L’abeille qui a construit le nid
monte souvent la garde devant la tige de la plante
jusqu’à ce que les petits aient éclos.
eck
en
Vigilante: la Ceratina cucurbitina
La lisière des bois, un
microcosme bigarré
Avis aux abeilles intéressées:
coquille libre à squatter
La lisière des bois est un habitat naturel très riche
Plusieurs abeilles sauvages se sont fortement
qui peut accueillir les espèces aux exigences les plus
spécialisées dans le choix de leurs sites de nidi-
diverses. Les buissons et l’ourlet herbeux offrent
fication. Ainsi l’osmie bicolore (Osmia bicolor):
un abri à de nombreuses espèces animales et vé-
elle construit les cellules de son couvain dans
gétales. En outre, ses différentes conditions de lu-
des coquilles d’escargot abandonnées. Lorsque
mière et de chaleur sont caractéristiques de ce type
l’osmie peut exclure tout risque de danger dans
d’habitat. Un habitat naturel aussi varié est impor-
les environs, elle commence à aménager son nid.
tant pour les abeilles sauvages: car il permet d’ac-
Une à deux cellules sont aménagées dans cha-
cueillir les individus nichant dans le bois, le sol ou
que coquille d’escargot. Cette coquille est ensui-
les tiges de plantes, et il leur procure une grande di-
te scellée par un bouchon de pierres et de terre.
versité de fleurs.
Lorsque ce gîte est solidement verrouillé, l’osmie utilise toute sa force pour le retourner, afin
Particulièrement flexible:
l’Hylæus communis
Il peut nicher dans des tiges de mûres, dans
du bois mort ou sur des cadres de portes et de
fenêtres. L’Hylæus communis est une espèce
d’abeille masquée polyvalente qui se rencontre aussi bien dans les lisières de forêts que
sur les surfaces rudérales ou dans les parcs.
Les abeilles masquées ne correspondent pas
à l’image qu’on se fait des abeilles: elles sont
petites et pratiquement dépourvues de poils.
­Elles se différencient des autres espèces par
leur masque blanc ou jaune, particulièrement
prononcé chez les mâles.
de placer l’ouverture en bas. Puis la coquille
d’escargot est entièrement camouflée avec des
tiges d’herbe et des aiguilles de pin. Durant les
six semaines de sa période de vol, l’osmie transforme jusqu’à six coquilles d’escargot en chamVer
e
bres à couvain.
eck
en
Sans façons: l’osmie bicolore
Sa tête et son thorax sont noirs, mais son
abdomen se distingue par des poils roux:
c’est ce qui vaut son nom à l’osmie bicolore
(Osmia bicolor). Elle ne se sert pas de coquilles d’escargot seulement pour construire
un nid pour ses petits; elle y dort aussi pendant la durée des «travaux».
Vereecken
Vere
e
cken
Pro Natura Magazine spécial 2010
Sablières, gravières,
glaisières: sec et chaud
Le bois mort, un
foyer solide
Les surfaces rudérales,
un refuge apprécié
La plupart des abeilles nichent dans le
din, mais certaines abeilles
Les surfaces de décombres, de déchar-
centimètres de profondeur, au bout des-
Le bois mort est souvent
Raphael Weber (3)
peu apprécié dans un jar-
Waldhäusl (2)
sol. Elles creusent des galeries de 30 à 50
sauvages y élisent volontiers
ges et de stockage de matériaux font
quelles elles aménagent de courtes gale-
domicile. Le bois qui a sé-
partie des surfaces rudérales. Ces struc-
ries latérales qui accueillent les cellules
journé un certain temps à
tures pierreuses sont souvent inexploi-
de couvain. Certaines espèces préfèrent
l’air libre en forêt ou dans
tées et abandonnées provisoirement
les sols sableux, d’autres les sols plutôt
un jardin peut donc conte-
à elles-mêmes. Les installations fer-
argileux. Mais bon nombre d’espèces ne
nir des cellules de couvain
roviaires et les complexes industriels
sont pas spécialement difficiles. Autre-
d’abeilles sauvages, qui se-
font aussi partie des surfaces rudéra-
fois, les rives des cours d’eau consti-
raient détruites si le bois
les. Celles-ci ont une importance parti-
tuaient des habitats naturels importants
était brûlé.
culière pour les abeilles car leur sol est
pour les abeilles sauvages nichant dans
généralement maigre et sec. La végéta-
le sol, car les crues récurrentes permet-
tion des surfaces rudérales est adaptée
taient de préserver des surfaces ouvertes.
à la chaleur et à la sécheresse et elle
Depuis la domestication des rivières, les
peut être très fleurie.
sablières, gravières et glaisières sont devenues d’importants habitats naturels de
Ingénieux: l’halicte à
quatre ceintures
Vigoureux: le
xylocope
Il n’est pas rare qu’on
confonde le xylocope ou
abeille charpentière (Xylocopa violacea) avec un
bourdon en raison de sa
taille et de sa couleur bleunoir. Cette grosse mouche
bleue mesurant jusqu’à
23 millimètres creuse
dans le bois des galeries
de ponte atteignant 30
­centimètres.
L’halicte à quatre ceintures (Halictus quadricinctus) a une tactique
très astucieuse pour prévenir les
attaques des champignons dans les
sols humides: il aménage dans le sol
un nid comprenant plusieurs cellules et creuse tout autour une sorte
de cocon d’air. Le nid n’est plus relié à la terre que par quelques piliers. Autre particularité: la mère vit
encore quelques semaines dans le
même nid que les petits, alors qu’en
règle générale, les abeilles ne voient
pas la génération suivante.
remplacement.
e
Vere
cken
Souterraine: l’abeille
maçonne (ou osmie)
L’Hoplitis perezi fait partie des abeilles
maçonnes. Comme la moitié des
abeilles sauvages, elle niche dans le
sol, que ce soit du sable, du gravier ou
de l’argile. Elle creuse ses nids ellemême ou utilise des cavités existantes
comme des galeries de souris.
eec
Ver
ken
NATHALIE MARTIN est stagiaire à la division
Communication et marketing chez Pro Natura
Pro Natura Magazine spécial 2010
10
D’irremplaçables pollinisatrices
Sans la pollinisation par les abeilles, l’éventail de notre alimentation serait radicalement différent, et de nombreuses plantes
à fleurs disparaîtraient. Ces dernières ont mis au point des méthodes astucieuses pour attirer ces insectes butineurs.
Les abeilles butinent les fleurs pour
mâles se laissent abuser par le stra-
une brosse de poils située sous leur
plusieurs raisons. La reproduction
tagème, le pollen est ainsi transpor-
abdomen.
en est une. C’est sur les fleurs sour-
té de fleur en fleur.
La moitié de leur poids
ces de pollen et de nectar des femelles que les mâles cherchent de
Généralistes ou spécialistes
Certaines espèces avalent le pollen
préférence des partenaires prêtes
Le plus souvent cependant, ce n’est
pour l’acheminer dans leur jabot
à s’accoupler. Mais les ruses des
pas l’instinct de reproduction, mais
jusqu’aux cellules de ponte, où el-
fleurs pour détourner les mâles sont
le besoin de nourriture qui pousse
les le régurgitent avec le nectar. Le
parfois diablement efficaces: les or-
les abeilles à butiner. Si les mâles
record d’efficacité dans le transport
chidées du genre Ophrys, par exem-
sont surtout intéressés par le nec-
de pollen est détenu par les dasypo-
ple, imitent la forme et le parfum
tar, les femelles ont pour préoccu-
des (Dasypoda): ces abeilles pesant
de la femelle de l’abeille à longues
pation première de ramener du pol-
à peine 100 milligrammes peuvent
antennes. Le mâle qui approche
len dans les nids pour nourrir leur
emporter à chaque vol environ 50
fond alors sur ce qu’il pense être
progéniture. Certaines espèces font
milligrammes de pollen, soit la moi-
une congénère pour s’accoupler
une nette distinction entre les vols
tié de leur poids. Au bout de sept
avec elle. L’or-
de pollinisation et la récolte de nec-
vols, elles ont amassé suffisamment
chidée en pro-
tar. L’éventail des plantes butinées
de nourriture pour assurer le déve-
fite pour le
pour leur nectar est vaste. Pour ce
loppement d’une larve.
lester d’un
qui est du pollen, en revanche, plu-
paquet de
sieurs espèces d’abeilles ne visi-
végétaux, si importante pour la re-
pollen. Et
tent que des espèces et familles de
production de ceux-ci, est en réa-
comme
fleurs bien précises. Ces «spécialis-
lité un acte involontaire. Lorsque
les
tes» sont dites oligolectiques. Envi-
l’abeille pénètre dans la fleur à la
Vereecken
Déconcertante: Amegilla quadrifasciata
Amegilla quadrifasciata est une antophore à l’air bien
tranquille. Ses performances d’aviatrice sont d’autant
plus déconcertantes: de temps en temps, cette abeille
s’immobilise brusquement dans les airs, reste quelques
instants en vol stationnaire, décrit des cercles puis reprend son déplacement jusqu’à la prochaine fleur.
Et dire que la pollinisation des
ron 60% de nos espèces d’abeilles
recherche de nectar et de pollen,
indigènes sont au contraire polylec-
de la poussière florale se colle à
tiques, c’est-à-dire qu’elles récoltent
son corps duveteux et est transpor-
du pollen sur la plus grande variété
tée jusqu’à la prochaine fleur de la
possible de plantes.
même espèce, qui est ainsi fécon-
dée. Certes, d’autres agents polli-
Pour parvenir au nectar et au
pollen, les abeilles ont dû s’adap-
nisateurs existent – oiseaux, colé-
ter à la diversité de la flore. Ain-
optères, eau, vent. Il n’en demeu-
si, la longueur de leur trompe varie
re pas moins que, sans les abeilles,
entre quelques millimètres et deux
d’innombrables plantes à fleurs se-
centimètres selon les espèces. Elles
raient condamnées à disparaître.
ont également développé différents
dispositifs pour transporter le pol-
Un tiers d’aliments en moins
len. La plupart des espèces placent
Un sort analogue frapperait les
celui-ci sur une brosse de poils qui
plantes utiles. «Près d’un tiers des
garnit leurs pattes postérieures. Les
aliments couramment consommés
abeilles mellifères et les bourdons
par l’homme ne peuvent être pro-
disposent, en plus de cette brosse,
duits que grâce à la pollinisation
d’une petite corbeille constituée de
par les abeilles», écrivent les jour-
longs poils recourbés. Les mégachi-
nalistes britanniques Alison Ben-
les ou abeilles découpeuses, quant
jamin et Brian McCullum dans A
à elles, transportent le pollen sur
world ­without bees (un monde sans
Pro Natura Magazine spécial 2010
Photolia
Le bourdon est de plus
en plus utilisé pour la
fécondation des fraisiers
sous serre.
abeilles). Bien sûr, il nous resterait
le blé et d’autres céréales, donc
le pain, les pâtes et la bière. Mais
sans abeilles domestiques et sans
abeilles sauvages, nous pourrions
féconder les plantes utiles, car el-
dire adieu à l’essentiel des fruits,
les évitent souvent le contact avec
élever industriellement différentes
espèces d’abeilles sauvages. Aux
des légumes et du coton. Et ce qui
le stigmate de la fleur pour accéder
Etats-Unis, des osmies cornues (Os-
subsisterait serait précieux et cher.
plus vite au nectar. Selon lui, une
mia cornuta) sont mises à contribu-
Les prix de la viande et des produits
seule reine bourdon visitant chaque
tion depuis les années 1950 pour la
laitiers grimperaient en flèche, car
jour en avril des milliers de fleurs
pollinisation des amandiers, et en
des plantes importantes pour l’ali-
de pommier peut théoriquement
Europe, des abeilles découpeuses
mentation du bétail, comme la lu-
féconder la majeure partie d’un
(Megachile rotundata) sont utilisées
zerne et le trèfle, se raréfieraient.
arbre.
pour la fécondation des champs de
Au vu du recul inquiétant des
luzerne. Le bourdon terrestre (Bom-
populations d’abeilles mellifères, la
Les biotopes se raréfient
bus terrestris) est lui aussi élevé
question de savoir qui pourrait un
Andreas Müller, apidologue à
avec succès depuis bientôt 25 ans.
jour les remplacer est à l’ordre du
l’EPFZ, précise toutefois que dans
Sous serre, les bourdons sont da-
jour. Et la solution n’est peut-être
de nombreuses zones agricoles ex-
vantage appréciés que les abeilles
pas si éloignée. Selon une étude me-
ploitées intensivement les abeilles
domestiques, car ils fécondent
née aux Etats-Unis sur des melons
sauvages sont trop rares pour pou-
mieux les fleurs de tomates et de
miel, les abeilles sauvages peuvent
voir suppléer les abeilles domesti-
fraisiers.
polliniser les plantes utiles au moins
ques. C’est particulièrement vrai
aussi bien que les abeilles domesti-
sur le Plateau, où la plupart des
pourraient être les répercussions
sur l’écosystème d’un retour à l’état
On ignore cependant quelles
ques. A condition toutefois que les
biotopes proches de l’état naturel –
abeilles sauvages aient à leur dis-
haies et tas de pierres entre autres –
sauvage de ces «abeilles industriel-
position suffisamment de biotopes
ont disparu au cours des cinquante
les jetables» (Paul Westrich). Cer-
encore naturels pour nicher. Paul
dernières années.
tains craignent en outre que l’éle-
Westrich, spécialiste allemand des
Pour prendre le relais des
vage ne rende les abeilles sau-
abeilles sauvages, pense même que
abeilles domestiques, les abeilles
vages vulnérables aux maladies,
celles-ci parviennent mieux que les
sauvages doivent être présentes en
alors qu’elles se caractérisaient
grand nombre. On s’est
jusqu’ici par leur grande robustes-
donc mis à
se. Elles seraient alors menacées du
abeilles domestiques à
même sort que leurs homologues
domestiques.
NICOLAS GATTLEN
Pénétrant: le bourdon terrestre
Le bourdon terrestre (Bombus terrestris) est employé depuis bientôt 25 ans pour féconder des fraisiers et des tomates sous serre. Ce
sont les seuls apidés à pouvoir accéder au pollen des fleurs de tomates. Les abeilles domestiques n’y parviennent pas.
Pro Natura Magazine spécial 2010
Vereecken
12
Une abeille
un peu à part
Veree
c
Avec son épaisse fourrure, le bourdon fait partie des abeilles
sauvages les plus spectaculaires et les plus connues. Il
porte en italien un nom qui convient particulièrement bien à
sa corpulence ronde et trapue, «il bombo».
ken
Les bourdons se distinguent des
jusqu’à 1000 fleurs par jour. Les
Résolu: le bourdon des arbres
autres abeilles sauvages par des ca-
grands bourdons ont encore hérité
ractéristiques atypiques: ils vivent
d’un atout appréciable: beaucoup
Comme son nom l’indique, le bourdon des arbres (Bombus
hypnorum) vit dans les cavités des arbres, mais il élit aussi
domicile dans des nids d’oiseaux et des nichoirs. Lorsqu’un
autre animal s’aventure trop près de son site de nidification,
le bourdon des arbres fond sur le coupable et le frappe sur le
ventre jusqu’à ce qu’il s’éloigne.
en colonies, volent aussi par bas-
d’entre eux ont une trompe parti-
ses températures et fabriquent du
culièrement longue qui leur permet
miel. Contrairement à une opinion
d’atteindre le nectar inaccessible
très répandue, les bourdons piquent
aux abeilles mellifères.
aussi, mais ils n’utilisent leur dard
que lorsqu’ils sont dérangés ou me-
Comme une abeille à miel
nacés. En guise d’avertissement, le
Par deux aspects, les bourdons poi-
bourdon émet un ronflement sono-
lus ressemblent plus aux abeilles
re avant de piquer.
mellifères qu’aux autres abeilles
Toujours au chaud
et vivent en colonies avec une rei-
Des abeilles sauvages de sortie en
ne, ses filles (les ouvrières) et ses
sauvages: ils produisent du miel
février? Oui, il y en a. Les bourdons
fils (les faux-bourdons). Seules les
résistent bien au froid: ils possèdent
jeunes reines fécondées en été sur-
en effet une sorte de moteur ther-
vivent à l’hiver et visitent les pre-
mique qui leur permet de supporter
mières fleurs de saules ou de gro-
des températures tout
juste
supérieu-
res au point de
Lapidaire: le bourdon des pierres
Vere
e
Les bourdons produisent du
congélation. Leur
miel avec le nectar récolté. Mais
secret réside dans
comme les colonies de bourdons
leur poitrine gon-
sont beaucoup plus petites que cel-
flée par une énor-
les de l’abeille domestique (environ
me musculature
400 individus par colonie, contre
de vol. Un «mo-
40 000 pour l’abeille domestique),
teur de vol» de
et comme les bourdons n’ont pas
cette dimension
besoin de réserves pour passer l’hi-
produit une énor-
ver, les quantités de miel restent
me quantité de chaleur.
relativement faibles. En outre, les
Contrairement à d’autres abeilles
bourdons consomment leurs ré-
cken
Lapidaire signifie littéralement «taillé dans la pierre».
C’est probablement ce qui a valu son nom savant au
bourdon des pierres (Bombus lapidarius), qui niche dans
les fissures de rochers. Son apparence est massive: son
corps est lourd et noir comme le jais, à l’exception de
l’extrémité rouge de son abdomen.
seilliers épineux à la recherche de
pollen et de nectar.
sauvages, les bourdons peuvent
serves de miel eux-mêmes car ils
dissocier la musculature de vol de
ont besoin d’une grande quantité
leurs ailes et la faire fonctionner à
d’énergie.
vide, rien que pour se réchauffer.
NATHALIE MARTIN
Les bourdons sont très actifs. Ils
récoltent beaucoup plus de nectar
et de pollen que les abeilles mellifères. Un bourdon peut visiter
Pro Natura Magazine spécial 2010
13
Les parentes
importunes
Les guêpes ne font pas partie des abeilles
sauvages, mais sont de proches parentes –
au même degré que les fourmis.
cation et aux plantes à nectar. Les
sieurs familles et sous-familles de
guêpes ont des exigences particu-
l’ordre des hyménoptères (comme
lières quant à leurs proies: tandis
les guêpes fouisseuses, les guêpes
que les abeilles ravitaillent leurs pe-
mellifères ou les polistes). Les in-
tits exclusivement avec une nourri-
sectes que nous appelons commu-
ture végétale, les guêpes capturent
nément «guêpes» appartiennent gé-
d’autres insectes comme des mou-
néralement à la famille des «guêpes
ches, des sauterelles ou des che-
sociales», lesquelles ont le même
nilles de papillons. Ces proies sont
lien de parenté avec les abeilles que
paralysées avec une piqûre, mais
les fourmis. Tous ces insectes font
pas tuées, et servent de réserves vi-
partie des hyménoptères et des acu-
vantes de nourriture aux larves
léates (voir page 5).
de guêpes.
Une réputation d’agressivité
Les secrets du papier
Les guêpes ont mauvaise réputation
Les guêpes sociales construi-
et passent pour agressives, notam-
sent des nids en pa-
ment parce que leurs piqûres sont
pier qui sont de vé-
douloureuses et qu’elles sont sou-
ritables
vent des hôtes indésirables quand
Les différentes cellu-
nous mangeons en plein air. Mais
les sont disposées de fa-
cette réputation est trompeuse car
çon à créer une succession
seules deux espèces – la guêpe
de rayons. Pour édifier leur nid,
les guêpes ont besoin de bois écor-
sont attirées par nos aliments. Tou-
cé et superficiellement décompo-
tes les autres espèces de guêpes ne
sé. Ses fibres végétales mâchées
viennent guère perturber le dérou-
et mélangées à une sécrétion sali-
lement de nos repas estivaux.
vaire donnent naissance à un ma-
tériau semblable à du papier, assu-
pes peuvent présenter des modes
rant une excellente régulation ther-
de vie solitaires, sociaux ou parasi-
mique à l’intérieur du nid. Ce pro-
taires. Et comme pour les abeilles,
cessus de fabrication du papier à
la présence de biotopes partiels re-
partir du bois a sûrement inspiré
liés entre eux constitue la condi-
les êtres humains.
tion d’une faune riche, car elle per-
NATHALIE MARTIN
Pro Natura Magazine spécial 2010
Le frelon (Vespa crabro), qui se distingue des autres guêpes
par sa taille, est considéré à tort comme particulièrement
agressif. Il pique certes, mais comme les autres guêpes, c’està-dire seulement lorsqu’il se sent menacé: quand on s’attaque à son nid, quand il se retrouve coincé dans un vêtement,
ou lorsque nous lui marchons dessus par inadvertance.
merveilles.
commune et la guêpe germanique –
A l’instar des abeilles, les guê-
inkel
Le frelon, ce géant
ke
l
plan scientifique. Il regroupe plu-
Blickw
in
guêpes relatives aux sites de nidifi-
kw
met de satisfaire les exigences des
pas à une notion très précise sur le
Bl
ic
Le terme de guêpe ne correspond
Planétaire: la guêpe commune
Elle fait partie des espèces de guêpes les plus fréquentes chez
nous et elle est très répandue en Europe, mais aussi dans les
zones tempérées d’Asie et d’Amérique. La guêpe commune
(Vespula vulgaris) a été introduite en Nouvelle-Zélande et en
Australie. Une colonie de guêpes communes peut comprendre de 1000 à 10 000 guêpes. La guêpe commune construit
son nid dans des cavités dans le sol et en surface.
14
La danse des orpailleuses
C’est l’insecte le plus cher au cœur de l’être humain, un insecte apprécié surtout pour
son «or liquide». Polliniser, beaucoup savent le faire. Mais seule l’abeille mellifère constitue
des stocks de cette précieuse substance blonde, car elle seule hiverne en société.
Une colonie d’abeilles mellifères
ruche, c’est-à-dire le pollen et le
bant de l’eau sucrée. Ce qui est vrai,
(Apis mellifera) se compose d’une
nectar. Les ouvrières épaississent
en revanche, c’est que notre paysage helvétique n’offre plus assez de
reine, d’une armée d’ouvrières dont
d’ailleurs ce dernier durant leur vol
le nombre peut atteindre 80 000 in-
de retour pour en faire un avant-
nourriture à ces insectes. En beau-
dividus, et de quelques centaines
produit du miel.
coup de régions, les champs de
de faux-bourdons (les mâles de la
maïs et les monocultures prédomi-
Le langage dansé par lequel
ruche). La reine vit plusieurs an-
l’abeille mellifère informe ses sœurs
nent. Si les abeilles, au printemps,
nées et elle est la seule abeille de la
de l’éloignement et de la direction
jouissent d’une certaine abondance
colonie à pondre. Elle pond jusqu’à
des sources de nourriture – et cela
alimentaire dans les zones de cultu-
1500 œufs par jour. Au cours de
à quelques mètres près – est pro-
re de colza notamment, l’offre s’ef-
leurs quatre à six semaines d’exis-
prement stupéfiant. Pour signaler à
fondre brutalement après la florai-
tence, les ouvrières s’occupent de
ses compagnes la présence de plan-
son – le Plateau se transforme alors
en un «désert vert».
nettoyer les anciennes cellules de
tes nourricières dans un rayon de
ponte, de nourrir les larves et de
50 à 100 mètres, la butineuse exécu-
construire de nouvelles cellules, de
te une danse en décrivant des cer-
butiner les fleurs pour y préle-
cles alternativement dans un sens
Les abeilles sont aussi soumises
ver la nourriture de la
et dans l’autre. Plus la source ali-
à un important stress de surpo-
mentaire est riche, plus la danse
pulation. En Suisse, 4,7 colonies
Rustique: l’abeille noire
e
re
Ve
en
ck
L’abeille noire suisse (Apis mellifera mellifera nigra), appelée
couramment nigra, est un écotype régional de l’abeille noire
européenne (Apis mellifera mellifera). Morphologiquement,
elle se distingue par la couleur sombre de sa cuirasse et par
ses étroits tomentums (bandes de poils situées sur le dos de
l’abdomen). Laborieuse et rustique, supportant bien les rigueurs de l’hiver, cette race indigène est aujourd’hui présente
essentiellement en Suisse alémanique et dans le Haut-Valais.
Glaris est la région d’élevage par excellence de la nigra, cela
en raison de l’interdiction des autres races d’abeilles promulguée dans ce canton.
Trop du monde
est expressive. Si le butin se trou-
d’abeilles mellifères se disputent
ve à une distance de plus de 100
un kilomètre carré de territoire; la
mètres, l’éclaireuse accomplit sur le
moyenne est même de 25 colonies
rayon une danse en huit ou danse
à Bâle-Ville. Les abeilles sauvages
frétillante, l’abeille tortillant
en pâtissent également: il est prou-
plus ou moins vite son ab-
vé qu’une forte densité d’abeilles
domen: l’orientation de la
mellifères provoque des pénuries
danse par rapport à la ver-
de nourriture chez d’autres popu-
ticale du rayon indique l’an-
lations d’apidés, qui peuvent alors
gle entre la source de nourriture
localement disparaître. Une densi-
et la position du soleil – c’est-à-dire
té élevée semble être préjudiciable
la direction de vol. Plus la miellée
à la santé des colonies. Ce n’est pas
est éloignée, plus la danse est exé-
un hasard si les populations d’api-
cutée lentement.
dés isolées et peu denses sont justement celles qui ont été épargnées
La mort assurée
miraculeusement par le varroa, cet
Mais à en croire les médias depuis
acarien parasite des abeilles.
quelques années, l’abeille mellifère
aura bientôt fini de danser. En août
est fréquent que des colonies parti-
2009, cette information nous est
culièrement vigoureuses pillent des
arrivée d’Allemagne: «Les abeilles
colonies plus faibles. Mais n’impor-
Chez les abeilles mellifères, il
mellifères meurent de faim en plein
te quelle colonie est démunie face
été». C’était très exagéré, car les
au varroa. En pillant des colonies
abeilles domestiques – contraire-
affaiblies par l’acarien, les abeilles
ment aux abeilles sauvages – peu-
prédatrices ramènent celui-ci dans
vent se maintenir en vie en absor-
leur propre colonie, où il infeste
Pro Natura Magazine spécial 2010
Waldhäusl
15
Là où le paysage fait
l’objet d’une exploitation intensive, les
monocultures n’offrent
pas suffisamment de
nourriture aux abeilles.
le couvain. Le varroa s’agrippe au
à haut rendement tiennent leur pré-
ves et vulnérables aux maladies, et
corps des abeilles pour se gorger de
cieuse semence à la disposition des
leur rendement est très fluctuant.
leur sang. On pense qu’il transmet
reines. Lesquelles, une fois fécon-
Beaucoup d’apiculteurs en revien-
ainsi des virus et provoque des in-
dées, sont envoyées dans le monde
nent donc à la nigra, ce qui est tout
fections mortelles par les blessu-
entier.
bénéfice pour les plantes indigènes:
en effet, l’abeille noire vole même
res infligées. Cet acarien, malencontreusement importé d’Asie, est
L’abeille noire à l’honneur
par basse température et butine de
rendu responsable de la grande dé-
L'association suisse des amis de
très nombreuses fleurs alpines.
population d’abeilles survenue en
l’abeille noire (Verein der Schwei-
NICOLAS GATTLEN
Suisse durant l’hiver 2002-2003:
zerischen Mellifera Bienenfreun-
un quart de toutes les colonies ont
de) suit une autre voie. Son but est
alors péri.
de promouvoir la santé et la robustesse de l’abeille noire suisse (Apis
L' être humain en cause
mellifera mellifera nigra), appelée
Mais le varroa est rarement le seul
couramment «nigra». Cette sous-es-
coupable. Deux ans après l’héca-
pèce de l’abeille noire européenne
tombe d’abeilles qui a frappé les
(Apis mellifera mellifera) se carac-
Etats-Unis au cours de l’hiver 2006-
térise par sa résistance au froid et
2007, un virus dit «virus israélien
sa douceur de caractère. Au fil des
de la paralysie aiguë de l’abeille»
dernières décennies, la nigra a
a été identifié sur de nombreu-
été progressivement évin-
ses abeilles mortes. Certains cher-
cée par des races étran-
cheurs émettent donc la formule
gères, dont l’abeille
suivante: «mort des abeilles = var-
italienne (Apis mel-
roa + x». De nombreux facteurs
lifera ligustica) et
aggravants paraissent être en cau-
l’abeille
se: appauvrissement floral des pay-
sienne (Apis mel-
sages, parasites, virus, pesticides.
lifera caucasica),
Mais également: les longues distan-
et par les hybri-
cauca-
ces de transport jusqu’à une station
des qui en sont issus.
de fécondation par exemple, l’insé-
Ces races avaient l’avantage d’un
mination artificielle ou encore la sé-
meilleur rendement, fournissant
lection trop exclusive des élevages.
jusqu’à 15 kilos de miel par colo-
L’homme semble donc bien avoir
nie, contre 7 pour l’abeille noire.
sa part de responsabilité dans cette
La population de nigra a tellement
évolution préoccupante.
reculé qu’aujourd’hui, les abeilles
Car les abeilles domestiques
noires de pure race ne constituent
sont depuis longtemps sélection-
plus que 10% des colonies suisses
nées pour être ultraperformantes.
d’abeilles – dont le nombre est es-
Beaucoup de reines n’ont plus la
timé à 170 000.
possibilité de se reproduire natu-
Les abeilles croisées et métis-
rellement. Comme celles qui exis-
sées hautement productives ont ce-
tent sur l’île de Neuwerk, en mer
pendant aussi leurs points faibles.
du Nord: là, 50 000 faux-bourdons
Elles sont de plus en plus agressi-
Pro Natura Magazine spécial 2010
ProS
pecie
Rara
Laborieuse: l’abeille italienne
L’abeille italienne (Apis mellifera ligustica), appelée couramment ligustica, est originaire de la péninsule. Sa couleur varie du jaune citron au brun cuir. Très laborieuse, elle est considérée comme la meilleure des butineuses. Ses qualités sont
d’ailleurs reconnues un peu partout dans le monde. Elle est
aujourd’hui la race d’abeille domestique la plus répandue sur
la planète. On l’élève avec succès même en Scandinavie et
en Alaska.
Blickwinkel
L’ennemi guette partout
La pie-grièche écorcheur se nourrit de préférence de gros
coléoptères, mais elle ne dédaigne pas non plus les abeilles.
Oiseaux, souris, araignées, guêpes et même ses propres
congénères: les ennemis des abeilles sauvages sont nombreux.
Le reste d’un rayon de miel collé au
analyses chimiques ont montré que
museau, des abeilles installées sur
les sécrétions des glandes céphali-
son nez: l’ours Bruno abattu en Ba-
ques des anthophorines à allu-
vière passera à la postérité natura-
re de guêpe (Nomada) présentent
lisé sous les traits d’un voleur de
une composition chimique presque
miel, corroborant ainsi le cliché de
identique à celles des abeilles des
l’ours ennemi numéro 1 des abeilles.
sables (Andrena), bien que les deux
En fait, ce n’est pas l’ours, mais un
espèces d’abeilles ne soient pas de
petit parasite insignifiant qui est le
proches parentes. Grâce à ce ca-
plus grand ennemi de l’abeille mel-
mouflage olfactif, les anthopho-
lifère, le varroa, un acarien. Ce pa-
rines réussissent à pénétrer sans
rasite s’agrippe à l’abeille et l’affai-
être importunées dans le nid des
blit progressivement si bien qu’el-
abeilles des sables et à y déposer
le finit par mourir d’un virus bénin
leurs œufs.
ou de mauvaises conditions météo. Le varroa est donc le prin-
Les méloés (Meloidae) sont égale-
talité des abeilles ces derniè-
ment pleins de ressources: à pei-
res années.
n
ecke
Vere
Agressif: le bourdon des rochers
Les bourdons des rochers (Bombus rupestris) attaquent les
nids des bourdons. S’ensuit une lutte acharnée qui prend fin
avec la mort d’un nombre considérable d’ouvrières ou de la
reine. Ce bourdon parasite prend alors le pouvoir et fait couver et élever ses petits par les ouvrières de l’autre espèce.
Des parasites astucieux
cipal responsable de la mor-
ne écloses, leurs larves grimpent
sur des fleurs et attendent l’arri-
Ami ou ennemi?
vée des abeilles. Elles se laisseront
Parfois, le parasite vient de ses pro-
transporter par les abeilles sauva-
pres rangs, c’est-à-dire d’une autre
ges dans leurs nids où elles gran-
espèce d’abeilles sauvages: les
diront jusqu’à devenir des scara-
abeilles-coucous par exemple s’in-
bées. Les méloés et quelques guê-
troduisent dans le nid d’autres es-
pes de la famille des Gasteruptioni-
pèces d’abeilles sauvages, déposent
dae semblent d’abord ne s’intéres-
leurs œufs sur les réserves de nour-
ser qu’aux réserves de nourriture,
riture et s’éclipsent discrètement.
mais ils ne tardent pas à pénétrer
L’ennemi se travestit parfois
en
ami.
Des
dans les cellules de couvain en passant à travers les parois intermédiaires des cellules et à dévorer les larves d’abeilles.
Féroce: le philanthe apivore
Le philanthe apivore (Philanthus triangulum) capture généralement les abeilles
sauvages sur des fleurs et les paralyse
d’une piqûre avant de les ramener au
nid en guise de «conserves de viande
froide» pour nourrir ses larves. De temps
en temps, cette espèce de guêpe fouisseuse presse aussi les abeilles capturées
pour en faire sortir quelques gouttes de
nectar à lécher.
Les abeilles adultes doivent
aussi se méfier des oiseaux insectivores, des souris, des araignées,
des frelons et des guêpes. La plupart des prédateurs tuent immédiatement leur proie pour s’en repaître ou pour nourrir leurs petits. Les
abeilles mellifères n’ont donc pas
trop à se plaindre des ours, qui se
contentent de prendre leur miel…
Blick
w
NICOLAS GATTLEN
inke
l
Pro Natura Magazine spécial 2010
17
Un petit calibre efficace
Blickw
Si nous respectons les abeilles, c’est surtout à cause d’une toute petite chose:
leur dard, une arme de défense dissuasive.
A l’origine, le dard de l’abeille est
sez rigide pour pénétrer dans no-
fait pour donner la vie et il n’a
tre peau.
pas vocation de tuer. Phylogénéti-
quement, il provient en effet d’un
unique: il est relativement robuste
organe de ponte, la tarière (c’est
et muni de petits ardillons. Ce qui
d’ailleurs pourquoi seules les femel-
peut être fatal à l’abeille. Si elle pi-
Le dard de l’abeille mellifère est
les possèdent un dard). Mais le dard
que un homme, son appareil de dé-
a perdu cette fonction depuis long-
fense reste en effet accroché dans
temps. Il ne sert plus aux abeilles
notre peau élastique et se retrouve
que d’arme pour leur défense ou
arraché du corps de l’abeille. L’ab-
pour la protection de leur couvain.
domen extrait continue à pomper
S’il est utilisé contre d’autres insec-
le venin une fois la bête morte. En
tes, cela se termine généralement
règle générale, l’abeille domestique
par la mort de l’ennemi.
ne peut donc piquer qu’une fois
puisqu’elle meurt de la blessure in-
Les abeilles savent se défen-
dre même sans dard. Quelques es-
inkel
Un aiguillon bien planté
Le dard de l’abeille domestique a deux lancettes munies
chacune de dix ardillons. Lorsque l’abeille pique dans la
peau souple d’un être humain, tout l’appareil de défense
y reste généralement accroché et se retrouve arraché
du corps de l’insecte. Cette blessure va causer la mort
de l’abeille domestique. Les bourdons ont aussi de petits ardillons sur leur dard mais la musculature de leur
abdomen est moins puissante, ce qui fait que leur dard
ne parvient guère à pénétrer dans notre peau. Lorsque
les bourdons se sentent menacés, ils émettent un ronflement en se mettant sur le dos.
fligée à son abdomen.
pèces, comme les bourdons, vont
jusqu’à mordre. D’autres utilisent
Utile et mortel
des tactiques de dissuasion: pour
Si la piqûre des abeilles est doulou-
protéger leur nid posé à la surfa-
reuse pour la plupart des gens, elle
ce d’un arbre ou d’un rocher, les
reste généralement bénigne. Sauf
abeilles géantes (Apis dorsata) for-
pour les allergiques. Dans le pire
ment une pelote serrée de centaines
des cas, elle peut provoquer un
d’abeilles autour du nid et dressent
choc cardio-circulatoire aux consé-
leur abdomen en une fraction de se-
quences mortelles. Le venin
conde. Les frelons qui s’approchent
d’abeille peut aussi avoir son
trop près du nid sont dissuadés par
utilité. Les Egyptiens de l’An-
ce mouvement de vague. La force et
tiquité connaissaient déjà son
la fréquence de ces vagues dépen-
effet stimulant. Autrefois, on
dent de la vitesse de déplacement et
laissait le patient se faire piquer
de la proximité des frelons.
par des abeilles mais aujourd’hui,
Un dard inoffensif
ve le venin des abeilles en les fai-
Seule l’abeille mellifère et quelques
sant piquer dans un support souple
l’industrie pharmaceutique prélè-
rares espèces de bourdons comme
d’où elles peuvent retirer leur dard.
les bourdons des arbres (Bombus
2000 piqûres d’abeilles permettent
hypnorum) et les bourdons ter-
d’obtenir un gramme de venin, sur-
restres (Bombus terrestris) défen-
tout utilisé pour activer localement
dent leurs nids face aux êtres hu-
la circulation veineuse et, plus ra-
mains. Les autres abeilles indigè-
rement, pour atténuer les douleurs
nes ne piquent un être humain que
rhumatismales ou nerveuses. En
lorsqu’elles se sentent menacées.
outre, on attribue au venin un effet
Par ailleurs, le dard de nombreu-
stimulant sur l’immunité.
ses abeilles sauvages n’est pas as-
NICOLAS GATTLEN
Pro Natura Magazine spécial 2010
Blickw
inkel
Redoutable: l’abeille géante
Les abeilles géantes (Apis dorsata) construisent un gigantesque nid d’un à deux mètres de long, qui accueille les cellules de
couvain ainsi que les alvéoles à miel et à pollen. Ces abeilles
d’Asie du Sud-Est sont même armées contre les attaques de
grands mammifères: elles peuvent se dresser et produire, avec
leurs ailes, un vrombissement effrayant. Si l’agresseur ne cède
pas, les abeilles lui tombent dessus par centaines.
18
Une élève modèle
Les abeilles – tout particulièrement celles à miel – sont des insectes
porteurs de mythes et de symboles. Plusieurs des qualités qu’on leur
attribue sont d’ailleurs proverbiales et fabuleuses.
Lorsqu’en 1804, Napoléon Bona-
Non seulement pour signifier que
parte se fit couronner empereur
l’assiduité et l’ordre – vertus attri-
des Français, il portait un man-
buées aux abeilles – devaient ré-
teau brodé d’abeilles d’or: désor-
gner dorénavant dans l’Empire des
mais, l’abeille serait l’animal héral-
Français, mais aussi pour inscrire le
dique de l’Empire, en lieu et pla-
nouvel Etat français postrévolution-
ce de la fleur de lys des Bourbons,
naire dans une ancienne tradition:
tant détestés.
en effet, l’abeille était le symbole
Ce choix peut surprendre de
dignitaire de Childéric Ier, roi des
prime abord. On se serait attendu
Francs, mort en 482. Celui-ci arra-
à ce que le chef de la «Grande Na-
cha à Rome, dans le nord de la Gau-
tion» adopte un symbole animal
le, un territoire qu’il fit souverain et
plus majestueux, tel le lion, l’aigle
indépendant – et qui fut le noyau
ou le cerf, beaucoup plus fréquem-
de la future France. On a découvert
ment utilisés comme attributs du
dans son tombeau des pendentifs
pouvoir.
d’or en forme d’abeille.
Peut-être Napoléon savait-il aus-
Un symbole de puissance
si, de sa campagne d’Egypte, que
Mais Napoléon avait choisi cet in-
les pharaons eux-mêmes avaient
secte en toute connaissan-
choisi l’abeille comme symbole de
ce de cause.
leur puissance. Dans l’écriture hié-
vages qui vivaient en interaction
roglyphique, le roi égyptien est re-
avec leurs cousines domestiquées.
présenté par une reine abeille, les
simples ouvriers par des abeilles.
Blick
wink
el
Potentiellement mortelle:
l’abeille tueuse
Afin d’obtenir une abeille à miel adaptée au climat brésilien,
on a croisé une abeille mellifère européenne avec une espèce
africaine. C’est ainsi qu’est née l’abeille tueuse. Celle-ci se distingue de l’abeille mellifère européenne par le fait qu’en cas
de menace, c’est toute la colonie qui passe à l’attaque, avec
des conséquences pouvant être mortelles.
Des créatures divines
Les Egyptiens pratiquaient déjà,
Jusqu’à l’époque moderne, le miel
il y a 4000 ans, une apicultu-
était le seul et unique aliment in-
re très développée. Ils utili-
trinsèquement doux – et, dans les
saient également des co-
anciennes cultures, le sucré était
lonies d’abeilles spécia-
considéré comme parfaitement sain,
lement pour féconder
car très énergétique. Pour les an-
des plantations d’arbres
ciens Egyptiens, comme plus tard
fruitiers.
pour les Grecs, le miel était une
Les
chasseurs
et
cueilleurs de l’âge de la pierre
nourriture des dieux. Le jeune Zeus
fut nourri par Mélissa, une nymphe
mangeaient du miel d’abeilles sau-
au corps d’abeille.
vages. Une peinture rupestre décou-
verte en Espagne et datant d’envi-
produisant une nourriture divi-
ron 12 000 ans représente des chas-
ne ne pouvaient qu’être elles-mê-
seurs de miel au travail. La domes-
mes divines. Dans la mythologie
tication de l’abeille mellifère débuta
de l’ancienne Egypte, les abeilles
Naturellement, des créatures
voici environ 7000 ans en Anatolie.
naissaient des larmes du dieu so-
Il y avait toujours, à proximité des
laire Râ. Artémis, la déesse grecque
ruchers, des colonies d’abeilles sau-
de la chasse et de la forêt, protecPro Natura Magazine spécial 2010
19
trice des femmes et des enfants, est
té intense d’une colonie et le bour-
de l’héroïsme: quand une abeille
parfois représentée avec l’abdomen
donnement des butineuses passant
mellifère pique, elle perd son
d’une abeille. Ses prêtresses vierges
de fleur en fleur ont toujours don-
aiguillon et meurt. Mourir en tuant,
étaient appelées melissai, mot signi-
né des abeilles mellifères l’ima-
là est l’héroïsme du soldat. Virgi-
fiant abeille.
ge de créatures laborieuses et as-
le loue cette bravoure, qui fait de
l’abeille un modèle pour le valeu-
«Ne félicite pas un homme pour
sidues à la tâche. Les anciennes
sa prestance et ne prends person-
cultures et civilisations associaient
reux soldat romain. Mais un insec-
ne en grippe d’après son apparen-
donc à l’abeille des valeurs cardi-
te aussi extraordinaire ne pouvait
ce. Car l’abeille est petite parmi les
nales comme l’ardeur au travail et
que stimuler l’imagination humaine.
êtres ailés, mais ce qu’elle produit
le sens de la prévoyance. Dans une
Ainsi, le même Virgile était convain-
est d’une douceur exquise», peut-
légende des sixième et septième li-
cu que les abeilles naissaient spon-
on lire dans l’Ancien Testament. Sur
vres de Moïse, elle est le seul ani-
tanément de cadavres d’animaux.
les stèles funéraires, l’abeille sym-
mal épargné par la Chute de l’hom-
Cette croyance n’est qu’un exem-
bolise la résurrection du Christ et
me et autorisé à rester au paradis.
ple des nombreux mythes qui en-
la vie après la mort: les trois mois
Rigoureusement organisée et hié-
touraient les abeilles.
HANSJAKOB BAUMGARTNER est
journaliste à Berne
d’hiver au cours desquels elle sem-
rarchisée, la société des abeilles a
ble avoir disparu rappellent les trois
toujours impressionné les humains.
jours durant lesquels le Fils de Dieu
Les pharaons y voyaient un modè-
séjourna dans son tombeau, mort
le d’organisation pour leur royau-
et invisible aux yeux des hommes.
me, et le poète romain Virgile y
trouvait un exemple pour les réfor-
Napoléon Bonaparte
se fit couronner
empereur dans
un manteau orné
d’abeilles.
Des ouvrières zélées
mes de l’Etat entreprises par l’em-
Certes, il est toujours hasardeux
pereur Auguste.
de transposer nos conceptions hu-
maines au monde animal, mais la
physiologique qu’est fon-
constitution de réserves, l’activi-
dé le mythe
C’est sur une particularité
Les guêpes: vecteurs de panique
et armes biologiques
Si, dans la mythologie, les abeilles
les champs de bataille et catapul-
sont auréolées d’attributs largement
tés dans les rangs de l’adversaire,
positifs, les guêpes, elles, y ont une
sur lequel se déversaient alors des
image carrément négative: ain-
nuées de bestioles aux dards acérés.
si, dans la Bible, guêpes et frelons
On rapporte des cas où la seule me-
sont des vecteurs de panique et des
nace de cette arme biologique suf-
symboles de peur, voire d’épouvan-
fisait à mettre l’ennemi en fuite.
te, en particulier dans le cadre de la
guerre. Mais il pourrait s’agir d’er-
homme, sept un cheval, dit-on du
reurs de traduction.
frelon dans le langage populaire. En
Trois de ses piqûres tuent un
Il n’en demeure pas moins que
réalité, sa piqûre n’est pas plus dan-
les frelons et les guêpes étaient bel
gereuse que celle d’une abeille ou
et bien utilisés comme armes par
d’une guêpe, et il pique moins sou-
les anciens Egyptiens. Des tubes en
vent qu’elles. Les frelons sont paci-
argile renfermant des grappes de
fiques tant qu’on ne les dérange pas
ces insectes étaient emportés sur
dans leur nid.
Pro Natura Magazine spécial 2010
Blic
kwin
kel
De proches cousines: les guêpes
fouisseuses
L’abeille primitive, qui existait déjà il y a des millions
d’années, ressemblait sans doute à une guêpe fouisseuse d’aujourd’hui. Les guêpes fouisseuses actuelles
sont de proches cousines des abeilles, avec lesquelles
elles forment la superfamille des Apoidea. La principale différence comportementale entre les abeilles et
les guêpes fouisseuses réside dans le fait que ces dernières alimentent leurs larves avec de la nourriture animale, tandis que les abeilles sont végétariennes.
20
« J’admire leur diversité, leur travail, leur précis
Avec la découverte des abeilles sauvages, c’est «un monde extrêmement complexe et étonnant»
qui s’est ouvert à Peter Kernen. Une fascination que le président de Pro Natura Valais s’attache
maintenant à transmettre en tant que guide d’excursion.
Pro Natura: Cela fait plus
de 20 ans que vous vous
passionnez pour les abeilles
sauvages. Comment avezvous découvert ce hobby
peu ordinaire ?
Peter Kernen: Par
Pourtant c’est un animal
à première vue peu
spectaculaire.
des abeilles sauvages ne soient pas
oubliés dans le cadre de la grande
correction du Rhône. De nombreu-
Il faut faire preuve de patience et
ses abeilles construisent leur nid
avoir un bon esprit d’observation.
dans les digues s’élevant sur les ri-
Les abeilles restent souvent très
ves. On peut préserver ces sites de
peu de temps à un endroit avant
nidification avec des mesures rela-
de s’envoler. On ne peut pas leur
tivement simples. Le Valais est res-
ma femme. Elle m’a
courir après comme on le ferait
ponsable de ses abeilles sauvages.
emmené un jour à
avec une chèvre. Mais quand on
C’est ce que nous nous efforçons
une excursion sur les
prend le temps, on découvre un
de rappeler.
oiseaux qui m’a emballé. L’objectif du guide n’était
monde extraordinairement complexe et étonnant.
pas de nous donner un catalogue
Comment réagissent les
gens quand vous évoquez
votre passion pour les
abeilles sauvages ?
vent leur nourriture, quels sont
Un monde qui menace de
disparaître. Que perdrionsnous avec la disparition des
abeilles sauvages ?
leurs lieux de migration. Puis ça a
C’est toute la diversité des espèces
été au tour des fleurs, des scara-
qui déclinerait. On verrait péricli-
sent peut-être les bourdons, qu’on
bées, des libellules et des papillons.
ter un grand nombre de plantes à
peut rencontrer jusqu’à 2800 mè-
Et enfin des abeilles sauvages. Et
fleurs, d’insectes et d’oiseaux. Les
tres d’altitude ici en Valais. Peu
elles ne m’ont plus quitté.
abeilles sauvages constituent un in-
de gens savent qu’il existe entre
dicateur de la diversité des espèces.
20 000 et 30 000 espèces d’abeilles
Lorsque les abeilles vont mal, cela
sauvages dans le monde.
de noms d’oiseaux mais de nous
apprendre comment ils vivent:
comment ils nichent, où ils trou-
Beaucoup d’entre eux sont seulement étonnés qu’il y ait autant
d’espèces d’abeilles. Ils connais-
se présente également mal pour la
biodiversité.
Votre espèce préférée ?
Que faites-vous pour les
abeilles sauvages en tant
que président de Pro Natura
Valais ?
à fait fascinantes. Lorsque tout est
Nous participons à différents pro-
les roulent ensemble ces morceaux,
jets de mise en réseau pour sau-
qu’elles transportent sous leur ven-
vegarder des prairies aux nom-
tre jusqu’au nid où elles tapissent
Les mégachiles du rosier sont tout
e
Ver
en
eck
silencieux, on peut les entendre découper de petits bouts de feuilles
avec leurs mâchoires dentées. El-
breuses espèces de fleurs. Nous
minutieusement les cellules de leur
veillons aussi à ce que les besoins
couvain. Elles découpent des mor-
La dentellière: la mégachile du rosier
Les mégachiles du rosier (Megachile centuncularis) découpent de petits morceaux de feuilles
avec leur mâchoire supérieure pour tapisser les cellules de leur couvain. Leur technique est
stupéfiante: elles découpent des morceaux ovales pour les parois latérales des cellules et
des morceaux ronds pour le fond du nid et l’opercule qui vient fermer les cellules.
ceaux ovales pour les parois latérales des cellules et des morceaux
ronds pour le fond du nid et l’opercule qui vient fermer les cellules.
Les mégachiles des murailles ne
sont pas en reste. Pour construire
Pro Natura Magazine spécial 2010
Raphael Weber
ion »
On rencontre même
des abeilles sauvages
dans des habitats
alpins jusqu’à environ
3000 mètres d’altitude.
leur nid, elles utilisent de la terre
et de petites pierres, qu’elles mélangent avec leur salive pour fabriquer un mortier dur comme du
caillou. Elles bâtissent volontiers
leur nid artistique sur des rochers
et sur les murs de routes, nombreux en Valais.
pour découvrir une nouvelle
espèce. Est-ce aussi l’une de
vos motivations ?
Non, absolument pas. C’est jus-
Et sinon, où peut-on encore
observer des abeilles
sauvages ?
te que je me passionne pour l’ob-
Pas besoin d’aller bien loin. Vous
précision.
servation de ces animaux. J’admire leur diversité, leur travail, leur
n’avez qu’à vous asseoir dans vo-
de 40 espèces d’abeilles dans mon
Depuis quelques années,
vous organisez des
excursions sur le thème des
abeilles sauvages. Comment
ça se passe ?
jardin.
Quand les gens répondent présents
tre jardin, pour autant qu’il ne
se résume pas à un gazon anglais, et à ouvrir vos yeux et vos
oreilles. J’ai déjà pu observer plus
Contre votre cœur ?
(Rires) Oui, c’était peut-être une
déclaration d’amour maladroite.
Natif de l’Oberland bernois, Peter Kernen, 66 ans, vit depuis 39 ans dans le
Haut-Valais. Ancien ingénieur électricien dans l’entreprise de chimie Lonza
à Viège, il est aujourd’hui président
de Pro Natura Valais depuis sept ans.
Peter Kernen se passionne depuis plus
de vingt ans pour les abeilles sauvages et les guêpes fouisseuses.
Interview: NICOLAS GATTLEN
et que la météo est favorable, il est
Pouvez-vous identifier
facilement les différentes
espèces d’abeilles ?
facile de les intéresser aux abeilles
Non, c’est impossible. En Suis-
maux. Ils veulent les ob-
sauvages. Les enfants aussi
sont fascinés par ces ani-
se, on trouve environ 580 espè-
server de près, à la lou-
ces d’abeilles sauvages. Certaines
pe. Certains les prennent
d’entre elles peuvent être déter-
même sur leur main.
e
re
Ve
minées sur la base de différentes
caractéristiques et de leur com
portement:
construction
du
Ils n’ont pas peur de se
faire piquer ?
nid, butinage, saison, etc. Mais
Non, ce sont plutôt les parents qui
de nombreuses espèces sont fa-
ont peur. Je n’ai encore jamais vu
ciles à confondre. Elles ne se dif-
un enfant se faire piquer par une
férencient extérieurement que
abeille sauvage. Contrairement aux
par des détails. Il faudrait tuer
abeilles sauvages formant des colo-
les abeilles pour pouvoir les dé-
nies, les solitaires ne défendent pas
terminer avec certitude, et je
leur nid. Au cours des vingt der-
m’y refuse. Je ne suis pas un
nières années, j’ai peut-être été pi-
collectionneur.
qué cinq fois et c’était toujours de
Beaucoup de chercheurs
donneraient leur chemise
pas vu l’abeille et je l’ai serrée de
ma faute. J’ai été maladroit, je n’ai
Pro Natura Magazine spécial 2010
en
ck
trop près.
La bâtisseuse: la mégachile
des murailles
Les mégachiles des murailles (Megachile parietina)
construisent leurs nids sur des parois et des murs exposés au soleil, parfois aussi sur des cadres de fenêtres
en métal. Elles utilisent de la terre et de petites pierres, qu’elles transforment en un mortier dur avec leur
salive. Elles nettoieront la plupart des cellules au cours
des années suivantes pour les réutiliser.
Même des cloisons et
des tiges de bambou
peuvent faire office de
nichoirs.
La diversité au sol,
source de diversité
dans les airs
dalles des terrasses de jardin ou des
places de parc. Pour que les abeilles sauvages colonisent avec succès
un site, il est en outre déterminant
que celui-ci bénéficie d’un bon ensoleillement, ou plutôt que son sol
sèche rapidement après la pluie. En
Il ne suffit pas d’installer un nichoir à abeilles sauvages
pour favoriser ces insectes de façon adéquate.
nion très répandue, le gravier est un
Si on veut favoriser concrètement
vain et se nourrir elles-mêmes, les
nidification.
les abeilles sauvages dans les mili-
abeilles sauvages ont besoin de gran-
revanche, contrairement à une opisubstrat ne convenant pas pour la
Un chez-soi pentu
eux urbains et les paysages ruraux,
des quantités de pollen et de nectar.
il faut au préalable prendre en con-
Cela signifie qu’il est indispensab-
Les pentes abruptes artificielles ser-
sidération deux choses. D’une part,
le que des plantes à fleurs se trou-
vent surtout aux abeilles mineuses
leur façon de nicher: la moitié de
vent dans les environs immédiats du
qui nichent naturellement dans les
toutes les espèces creusent leur nid
lieu de nidification, les petites abeil-
berges escarpées des zones alluvia-
dans le sol, et près d’un cinquième
les sauvages récoltant leur nourritu-
les fluviales. Des piles de plus d’un
utilisent des cavités existantes. Aus-
re dans un rayon de 50 m tout au
mètre de haut de bacs à fleurs en
si, en installant un nichoir à abeilles
plus autour de leur nid. Pour com-
éternit remplis de limon peuvent
sauvages conventionnel fait de quel-
pliquer la situation, environ 30%
leur offrir un lieu de nidification de
ques tiges de bambou et de plots de
des abeilles sauvages sont spéciali-
substitution très apprécié. Quelques
bois percés, on met un site de nidifi-
sées et ne s’intéressent qu’à des es-
trous peu profonds de 5 à 8 mm de
cation approprié à la disposition seu-
pèces ou genres de plantes bien pré-
diamètre percés dans le limon en-
lement d’un nombre relativement re-
cis. On voit donc que ce n’est qu’en
core humide ont un effet magique
streint d’espèces. D’autre part,
mettant une offre en nourriture et en
sur les abeilles mineuses, qui les
pour nour-
sites de nidification aussi variée que
aménagent en galeries de nidifica-
rir leur
possible à leur disposition que l’on
tion. L’argile, au contraire du limon,
cou-
peut plus ou moins répondre aux
devient trop dur en séchant, ce qui
exigences des abeilles sauvages.
empêche les abeilles de continuer à
Ve
re
eck
en
creuser des galeries.
Exigences diverses
Les abeilles sauvages qui nichent
voriser à peu de frais des espèces
dans le sol ont des exigences diver-
comme les abeilles maçonnes, qui
Il est également possible de fa-
ses quant au substrat du sol, à la
nichent dans des cavités ou fissures
couverture végétale et à la déclivi-
existantes. Des tiges de bambou ou
té du terrain. Les talus à la végéta-
de roseau de 3 à 10 mm de diamèt-
tion peu abondante, les sols nus si-
re intérieur et 10 à 20 cm de long,
tués sous des avant-toits, et même
fixées à l’horizontale, constituent
Vive: Anthophora plumipes
les bacs à sable laissés à l’abandon
des sites de nidification très prisés.
A première vue, on pourrait confondre Anthophora
plumipes avec un bourdon – ce sont avant tout son
dos recouvert de poils et son envol précoce en mars
déjà qui nous rappellent fortement son cousin. Mais
cette espèce d’abeille est de loin plus rapide que le
bourdon, qui se déplace plus tranquillement. Pendant
des semaines, les mâles tournent toujours en rond
selon le même itinéraire, en survolant toujours les
mêmes fleurs.
prisés. Les ruptures de pente artifi-
sont des lieux de nidification fort
Un logis en bois
cielles d’environ 30 cm de haut et 2
On peut aussi percer des galeries de
à 3 m de large, creusées à la bêche
2 à 10 mm de diamètre et 5 à 10 cm
dans des talus, sont également vite
de profondeur, suffisamment dis-
adoptées.
tantes les unes des autres, dans des
Une autre possibilité pour favori-
blocs de bois dur bien secs. Mais les
ser les abeilles des sables ou abeilles
abeilles dédaignent les trous fissurés,
fouisseuses consiste à laisser de lar-
tout comme le bois résineux des co-
ges joints remplis de sable entre les
nifères, les restes de sciure, ou les niPro Natura Magazine spécial 2010
Susanne Schenker
choirs qui ne se trouvent pas à l’abri
de la pluie.
Les espèces qui rongent la mo-
elle nichent dans des branches ou
tiges médulleuses cassées ou coupées, celles du sureau, des framboi-
Urs Tester est chef de la
division Biotopes & espèces
chez Pro Natura
De la diversité à l’uniformité
siers, des ronces, des rosiers sauva-
Savez-vous que l’on peut acheter des abeilles
ges, du bouillon-blanc et du chardon
sauvages? Selon la quantité et l’espèce, un
chute libre. Le cas des abeilles sauvages
n’en est qu’un exemple. Des milieux natu-
Hélas, la biodiversité helvétique est en
se prêtant très bien pour les nichoirs.
cocon coûte entre un franc et un franc cin-
Coupées en morceaux de 50 cm à
quante. Nous avons tellement appauvri notre
rels autrefois caractéristiques de nos paysa-
1 m de long, celles-ci doivent être
paysage que même les espèces d’abeilles sau-
ges, comme les forêts alluviales, les marais et
fixées séparément et à la verticale à
vages les plus fréquentes se font de plus en
les prairies sèches, n’existent plus que sur de
une clôture. Le plus simple, cepen-
plus rares. Au point que l’on en vient à élever
petites surfaces résiduelles. Presque une es-
dant, est de laisser les tiges sèches
certaines de ces espèces pour les vendre à des
pèce animale sur deux et une espèce végétale
et le bois mort dans son jardin.
arboriculteurs.
sur trois, en Suisse, figurent sur la Liste rouge
Les abeilles sauvages sont une composan-
des espèces en danger ou menacées d’extinc-
Miracle de la diversité
te de la biodiversité – de la diversité du mon-
tion. Nos prairies et pâturages sont de plus en
Plus la flore indigène d’un site est
de vivant. Toutes les espèces, qu’elles soient
plus monotones et monochromes. La diversité
diversifiée, plus nombreuses sont
animales ou végétales, sont en interaction et
cède la place à l’uniformité.
les espèces d’abeilles sauvages pou-
en interdépendance les unes avec les autres.
vant en profiter. Certaines espèces
Quand des prairies à fleurs sont fauchées trop
et inquiétant recul de notre biodiversité que
étant déjà en route en mars, il est
tôt, les abeilles sauvages n’y trouvent plus
si la Confédération et les cantons se décident
bien que quelques espèces végéta-
de pollen pour nourrir leur colonie, et s’il y a
à agir rapidement et résolument. Pro Natu-
les à floraison précoce comme les
moins d’abeilles sauvages, les plantes ne peu-
ra se mobilise dans ce sens. A travers nos ré-
Nous ne pourrons enrayer cet incessant
saules, les épines noires et les co-
vent plus fabriquer et disséminer de semen-
serves naturelles et nos projets de promo-
rydales puissent leur offrir leur pol-
ces pour se reproduire.
tion d’espèces, dont un précisément en fa-
len. Une transformation du gazon
veur des abeilles sauvages, nous favorisons la
du jardin en une prairie riche en es-
compte. L’être humain est lui aussi une com-
biodiversité de manière directe, sur le terrain.
pèces ou le remplacement de la haie
posante de la biodiversité. Et il en dépend de
Et par nos projets d’information et d’éduca-
de thuyas par une haie de buissons
façon vitale. Oui, nous sommes tributaires de
tion, nous nous employons à sensibiliser la
indigènes ne profitent pas seulement
toute la variété de la flore et de la faune pour
population.
aux abeilles sauvages, mais aussi à
nous nourrir, nous soigner, nous vêtir – et
d’autres représentants du monde
pour tant d’autres choses essentielles.
servation de la biodiversité. Que ce soit en
des insectes tels que les papillons,
votant en faveur de la nature lors des scru-
les coléoptères et les punaises. En
tances toxiques et nous en débarrasse; elle
tins qui s’y rapportent, en achetant des arti-
fait, c’est tout simple: plus la flore et
nous protège de l’érosion, des éboulements et
cles produits dans le respect de l’environne-
les structures du jardin ou des alen-
des inondations. Dans un paysage diversifié
ment, ou en aménageant votre jardin de fa-
tours sont variées, plus la diversité
où l’on peut admirer des prairies à fleurs cha-
çon naturelle.
de la faune est grande.
toyantes et se délecter du chant polyphonique
WOLFGANG BISCHOFF arbeitet bei
Pro Natura als Projektleiter Schutz­
gebiete und Biodiversität
Dans le réseau de la vie, chaque espèce
Cette même biodiversité dégrade des subs-
Vous-même pouvez contribuer à la pré-
des oiseaux, on se sent tout simplement bien.
informations
Bellmann, Hans (1999) : Guide des
abeilles, bourdons, guêpes et fourmis d’Europe. L’identification, le comportement, l’habitat. Lausanne : Delachaux et Niestlé S.A. 336 pages.
ISBN: 2-603-01131-6.
Pro Natura Magazine spécial 2010
Starosta P., Rogez L., Vesco J.-P.
(2005): Fabuleux Insectes. Ed. du
Chêne. 384 pages. ISBN: 2842776216
Pouvreau André (2004): Les insectes pollinisateurs. Ed. Delachaux et
Niestlé. 192 pages. ISBN: 2603014749
Dalange Yves (1999): Fabre, l'homme
qui aimait les insectes. Ed. Actes Sud.
345 pages. ISBN: 2742721886
www.pronatura.ch/animal-de-l-annee