Cuisine et télévision, une relation presque parfaite
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Cuisine et télévision, une relation presque parfaite
Communication & langages http://www.necplus.eu/CML Additional services for Communication & langages: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ? Virginie Spies Communication & langages / Volume 2010 / Issue 164 / June 2010, pp 87 - 98 DOI: 10.4074/S033615001001207X, Published online: 13 July 2010 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S033615001001207X How to cite this article: Virginie Spies (2010). Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ?. Communication & langages, 2010, pp 87-98 doi:10.4074/S033615001001207X Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/CML, IP address: 78.47.27.170 on 01 Oct 2016 87 Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ? LA MÉDIATISATION DU CULINAIRE VIRGINIE SPIES En 1953, Raymond Oliver présente Art et magie de la cuisine, première émission de télévision du genre, et qu’il animera durant 14 ans, aux côtés de Catherine Langeais. Le célèbre chef est à l’origine d’un type de programme qui perdurera jusqu’à nos jours, mettant en scène deux personnes devant le plan de travail d’une cuisine. Il s’agit pour un chef ou un expert de présenter des recettes devant l’œil de la caméra, la seconde personne ayant le rôle du quidam et d’aide-cuisinier, ce qui permet à la ménagère de s’identifier au programme. Si le culinaire et la télévision entretiennent d’étroites relations depuis plus de cinquante-cinq ans en France, les programmes ont cependant évolué en cinq ans, montrant qu’il existe de nombreuses autres façons de mettre en scène l’art et la manière de faire la cuisine. D’un programme tel que Oui chef ! sur M6, en 2005, qui mettait en scène un jeune chef cuisinier, Cyril Lignac, qui avait pour ambition de monter son propre restaurant devant les caméras, à Fourchette et sac à dos, émission diffusée sur France 5 à partir de 2007 et dans laquelle on suit Julie Andrieu dans des aventures culinaires à travers le monde, on ne compte plus les différentes façons de raconter la cuisine à la télévision. Cet article aborde la question de la médiatisation du culinaire à la télévision à travers le cas d’une émission qui connaît un grand succès depuis son démarrage au début de l’année 2008 sur M6, Un dîner presque parfait. En tentant d’analyser le succès d’une telle émission, nous constatons qu’elle véhicule une certaine image du goût, à travers un discours qui multiplie les récits, tout en obligeant les candidats à traduire par des mots ce que Le culinaire et la télévision entretiennent d’étroites relations depuis plus de cinquante-cinq ans, et il existe de nombreuses façons de mettre en scène l’art et la manière de faire la cuisine. Cet article étudie cette question à travers le cas d’une émission à succès de la chaîne M6, Un dîner presque parfait. Ce programme véhicule une certaine image du goût, à travers un discours qui multiplie les récits, tout en obligeant les candidats à traduire par des mots ce que l’image ne peut communiquer. Se présentant comme un jeu, il s’agit pour cette émission de placer l’individu au cœur de son objet, offrant dans le même temps un espace idéal pour des annonceurs. Mots clés : culinaire, télévision, goût, récit, narration, jeu télé, publicité télé communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 88 LA MÉDIATISATION DU CULINAIRE l’image ne peut communiquer. Se présentant comme un jeu, cette émission place l’individu au cœur de son objet, offrant par la même occasion un espace idéal pour des annonceurs. PRINCIPE D’UNE ÉMISSION À SUCCÈS Règles du jeu Cinq candidats habitant dans la même ville doivent, à tour de rôle, inviter à dîner les quatre autres. Chaque soir de la semaine, le repas se déroule chez l’un d’entre eux. Le dîner doit être le plus agréable possible et une animation est proposée (jeu, chant, danse. . .). La production ajoute régulièrement des contraintes thématiques à la semaine (repas de noël, dîner à moins de dix euros par semaine, etc.). À la fin de la soirée, les quatre convives notent sur 10 l’hôte de la soirée sur sa cuisine (qualité, originalité, cuisson, harmonisation des plats. . .), l’ambiance du dîner (stress, détente. . .) et la décoration de la table. Le vendredi, dernier jour de compétition, des enveloppes contenant les notes de chacun sont remises aux cinq candidats. Celui qui obtient la meilleure moyenne est consacré meilleur hôte de la semaine et remporte la somme de 1 000 euros. L’émission est diffusée du lundi au vendredi en France à 17 h 55 sur M6 et en Belgique à 17 h 35 sur RTL-TVi et à 18 h 30 sur Plug RTL. Pour sa première diffusion, le 11 février 2008, Un dîner presque parfait a attiré l’attention de 1,4 million de téléspectateurs pour 8,6 % de part de marché1 . Au fil des semaines, l’émission a enregistré une hausse d’audience et plus particulièrement auprès des « ménagères de moins de 50 ans »2 . L’émission est devenue progressivement leader auprès de l’ensemble des publics de moins de 50 ans. Pour la première fois de son histoire, l’émission a permis à M6 de se positionner en première place des audiences à 18 heures au mois d’avril 2008, lui donnant même l’occasion d’enregistrer sa meilleure performance depuis la diffusion de Loft Story 1. De fait, TF1 a revu sa programmation à cet horaire car même un programme tel que Star Academy n’a pu venir à bout du succès d’Un dîner presque parfait qui (en septembre 2008) faisait non seulement une meilleure audience que l’émission de téléréalité phare de TF1, mais, en plus, battait des records en termes de parts de marché sur les téléspectatrices. Le succès d’audience de l’émission d’M6 est en ce sens une réussite idéale puisqu’il permet de toucher la cible commerciale des « ménagères », celle visée par les annonceurs. Forte de son succès, l’émission se décline également en prime-time, avec la rencontre des champions (mettant en compétition les meilleurs candidats de l’année), ou encore en se déroulant dans un camping. L’émission se décline 1. http://www.teveo.fr/tv/audiences-11-fevrier-1058.html 2. http://www.toutelatele.com/article.php3?id_article=9960 Il nous faut préciser ici que le terme de « ménagère de moins de 50 ans » ne correspond pas forcément à une femme de moins de 50 ans. Il s’agit en fait d’un concept publicitaire et marketing correspondant à la population qui consomme et dont les décisions d’achat sont déterminantes dans les dépenses du ménage. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ? 89 également en livres, qui reprennent les concepts de l’émission et ont pour ambition de permettre au lecteur de devenir un « hôte d’exception3 ». Le générique et ses promesses Dynamique aussi bien dans le son que dans les images, le générique d’Un dîner presque parfait présente une dizaine de plans fixes en plongée. Ils se succèdent rapidement et montrent différents plats (pommes de terre, poisson, choucroute) ainsi que des mains appartenant à quelqu’un en train de manger. On voit même passer une poule, et les deux mains, munies de couverts, qui essayent de la découper vivante. Chaque plan présente un plat, un contexte et des couleurs différents, allant de l’ambiance d’une table sobre en noir et blanc à une autre plus rustique. Les couleurs sont diversifiées, tout comme les formes, rondes et carrées. Le souci est ici de représenter une diversité de mets et de couleurs, pour former un générique qui promet une émission dynamique et qui s’adresse à une diversité de publics puisque tous les goûts et les couleurs veulent y être représentés. Au milieu de ces images, se succèdent des plans qui montrent des notes : 10/10, 7/10, 1/10, annonçant que les candidats auront à se noter entre eux, ce qui rappelle le mode d’évaluation de l’école. Enfin, un autre plan montre différentes mains en train de se jeter sur des amuse-bouches, faisant la démonstration qu’il n’est pas question d’une seule personne à table, mais bien d’un rassemblement plutôt festif, autour de la nourriture. Par cette diversité de plans, de plats, de formes et de couleurs, le générique promet une grande variété de situations. Promesse qui sera tenue par l’émission qui change chaque jour de lieu, puisque l’on se rend au domicile de celui qui invite (ou, si c’est trop petit chez lui, dans la maison que l’un de ses amis lui aura prêtée). Il s’agira également d’une variété de situations et de personnages, car chaque semaine, les participants sont renouvelés. Par ailleurs, chaque couleur est associée à un plat : bleu pour le poisson, tons de brun pour le repas rustique, etc. Cette mise en images est associée à une note d’humour (lorsque la poule s’enfuit et que les mains essayent de la découper). Dans ce sens également, la succession de notes sur 10 (comme à l’école) place ce programme sur le terrain du ludique et l’évaluation en question se présente comme un jeu. De plus, le dynamisme de ce générique se traduit ensuite dans l’émission, par son ton énergique, et sa rapidité dans la succession des plans. Ce sont les mêmes images du générique qui assurent aussi les transitions dans l’émission elle-même, donnant une unité globale au programme. LE RÉCIT DU GOÛT À travers sa succession de plans et les mouvements de caméra, l’émission est très dynamique. Par exemple, dans la présentation de la ville dans laquelle se déroule l’émission de la semaine, les plans sont courts (deux secondes en moyenne), et composés de zooms rapides, de panoramiques ou de travellings qui se succèdent rapidement. Ainsi montées, les images racontent une ville, et d’autres récits se superposent tout au long de l’émission. Si cette prétention au récit (au sens d’un 3. Feller, Thomas, 2008, Un dîner presque parfait, Hachette Pratique, Paris. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 90 LA MÉDIATISATION DU CULINAIRE système narratif de faits mélangeant les genres pour tendre vers le divertissement) n’est pas neuve4 , la succession de récits présentés dans Un dîner presque parfait dévoile une rhétorique télévisuelle qui empile plusieurs récits, et M6 se pose en grand ordonnateur des différentes histoires qui bien entendu se recoupent. Après avoir montré (à grands traits) la ville, on résume l’histoire telle qu’elle s’est déroulée depuis le début de la semaine, puis la vie des candidats est décrite. De ce point de vue, l’émission s’attache à quelques détails de la vie des personnes, notamment de leurs passions ou de leurs centres d’intérêt. Chaque épisode raconte la journée du candidat qui reçoit. Depuis les courses jusqu’au repas, en passant par la préparation des plats et la décoration de la table, il s’agit pour le téléspectateur de suivre le récit de la journée. L’accent est mis sur la préparation des mets, ce qui permet aisément de donner des conseils culinaires. D’ailleurs, le ton pédagogique de l’émission se retrouve à d’autres moments : souvent, la voix-over masculine ne fait que répéter ce que l’on peut voir à l’image, comme pour permettre au téléspectateur de faire éventuellement autre chose que de regarder la télévision. N’oublions pas que cette émission est diffusée en fin de journée, moment où, si la télévision est allumée, le public a souvent autre chose à faire que de regarder exclusivement la télévision. En ce sens, Un dîner presque parfait est une émission « facile à regarder », qui s’écoute autant qu’elle se regarde. Enfin, pour que le téléspectateur ne s’y perde pas, le récit met l’accent sur la chronologie. Très régulièrement, c’est le candidat qui donne l’heure, avec une phrase du type : « il est 15 h 30, je suis dans les temps », ou encore « ouh là, là, il est 18 h 30, je suis en retard ». Extrêmement didactique, la mise en scène du récit a également pour intention de garder le téléspectateur en haleine. Avant chaque page publicitaire, la voix-over explique ce qu’il va se passer après et elle est accompagnée d’images qui donnent envie au public de rester : « Dans la deuxième partie de l’émission, le monde se met à tourner à l’envers, [la candidate] va commettre quelques maladresses [. . .] que va-t-il se passer d’autre ? Ah, ah ! Mystère ». S’il n’est pas nouveau, cet accent sur le narratif a cependant pris de l’ampleur à la télévision, et Un dîner presque parfait en témoigne. Comme l’a montré Barthes5 , les récits sont innombrables et peuvent prendre des formes très différentes (« presque infinies »). Désormais, le récit prend des formes encore plus multiples, allant jusqu’à s’immiscer dans le discours politique comme dans celui de la marque ou du management6 . Ce récit à tout prix s’affirme dans tous les types d’émissions de télévision, tout d’abord dans les programmes de téléréalité, mais aussi plus largement dans les émissions de flux. 4. Jost, François, 2001, La télévision du quotidien. Entre réalité et fiction, INA De Boeck Université, « Médias Recherches », Bruxelles. 5. Barthes, Roland (dir.), 1981, Introduction à l’analyse structurale du récit, Seuil, Paris. 6. Salmon, Christian, 2007, Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater des esprits, La Découverte, Paris. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ? 91 Ainsi, Un dîner presque parfait met en scène plusieurs types de récits : – un récit global de la semaine, qui, rappelant les faits précédents, remémore pour le téléspectateur ce qui s’est passé au cours de la semaine ; – un récit de la journée du candidat chez lequel se déroule le dîner ; – plusieurs microrécits. Il s’agit ici d’un découpage en séquences, qui amène à raconter chaque fois des situations nouvelles : comment faire une soupe de potiron, comment dresser la table, la façon dont le dîner se déroule. . . Le téléspectateur est alors comme « pris par la main » au moyen de ces différents récits, il peut en prendre et en laisser, s’attacher à une situation ou un personnage. L’intérêt de cette mise en récit est qu’elle peut provoquer une forme d’attachement aux candidats (qui sont construits tels des personnages), et inviter le téléspectateur à rester pour savoir ce qu’il va se passer, et si son candidat favori va remporter le jeu. DYNAMIQUE VISUELLE ET EXPRESSIVITÉ DU GOÛT L’esprit pédagogique souligné plus haut se retrouve également au plan visuel. Lors de l’élaboration de recettes par exemple, on découpe souvent l’écran en deux images distinctes, pour dynamiser l’émission et rendre la préparation des plats plus claire et attractive. La dimension de conseil est donc importante, et il est fréquent qu’on voie la personne préparer sa recette pendant que l’on inscrit les ingrédients à côté sur un panneau (ce qui est d’ailleurs une pratique courante dans les émissions culinaires). La voix-over qui accompagne cette mise en image n’a pas seulement pour fonction de dynamiser l’ensemble, mais elle donne également des conseils directs, du type « ajoutez sel et poivre, et préchauffez le four à thermostat 6 ». En adoptant un ton moqueur et en simulant une interactivité avec la personne qui cuisine, cette voix donne du rythme au programme. D’ailleurs, pour cette émission qui parle de cuisine et de convivialité, le visuel et le sonore s’articulent de manière cohérente, même s’il manque bien entendu la dimension de l’odeur, ce qui est parfois remarqué par les candidats eux-mêmes. Dans l’émission du vendredi 11 décembre 2009, une participante à ses fourneaux remarque qu’il manque l’odeur : « vous ne sentez pas mais ça sent divinement bon », explique-t-elle alors que ses carottes caramélisent. Si, lors de la scène des courses de la matinée, le candidat du jour parle des produits nécessaires à ses recettes, ce qui compte vraiment pour gagner, c’est le résultat. Et c’est ici que les autres participants ont leur mot à dire, car la production de l’émission les fait beaucoup parler, en construisant des récits et en accentuant les conflits. Ces remarques sur les recettes (leur réussite ou leur échec) positionnent les candidats sur le terrain du culturel et les mènent parfois à se disputer, tant ils ne peuvent se mettre d’accord sur telle ou telle recette. Du point de vue du langage utilisé ensuite, le recensement des formules employées par les candidats montre le souci de la production de faire partager par les mots ce qui ne l’est pas par le goût. L’intitulé des recettes est important dans le sens où il place l’hôte sur un certain niveau, et les noms des plats se présentent comme des promesses. On peut trouver un nom de recette tel que « sabayon frappé sur coulis de fruits rouges, le tout accompagné d’une petite mousse au chocolat », appellation qui n’a rien à envier à celle d’un grand restaurant. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 92 LA MÉDIATISATION DU CULINAIRE D’autre part, l’enjeu linguistique est encore plus important pour les candidats qui goûtent les plats. Ils doivent ici montrer qu’ils savent faire preuve de discernement, qu’ils sont de fins gourmets. Ils n’oublient pas qu’ils sont en concurrence les uns avec les autres, ce qui les aide souvent à critiquer les recettes de l’hôte. Les propos qu’ils tiennent ne sont pas seulement produits à table, mais aussi et surtout dans un lieu à part, souvent la salle de bains (lieu de l’intimité par excellence), où ils sont face caméra pour donner leurs impressions. On peut thématiser les expressions des candidats autour des isotopies suivantes : – les saveurs sucré/salé : « j’aime bien le sucré/salé », « il y avait assez de sel » ; – la légèreté ou la lourdeur d’un plat : « la mousse est légère », « c’était trop gras », « c’était trop lourd », « c’était léger ». Ici, le léger est toujours complimenté et le lourd critiqué ; – la question du chaud/froid : « ça va refroidir », « les fruits étaient frais ». On met l’accent sur des principes plutôt traditionnels, il ne faut pas manger froid et les produits doivent être frais ; – du trop cuit/pas assez cuit : « c’est bien cuit », « ce n’est pas assez cuit, c’est trop dur ». On juge ici à partir de son propre goût et de ses habitudes par rapport à la cuisson des aliments ; – certains commentaires se placent du côté du « j’aime »/« j’aime pas » et toujours du point de vue du goût : « j’aime pas les endives », « j’ai bien aimé », « c’était bon », « c’est goûteux », « on sent le goût », « je n’aime pas le goût ». Ces questions éminemment personnelles sont souvent au cœur des commentaires des candidats, alors qu’il s’agit d’exprimer des goûts personnels qui ne peuvent que difficilement s’expliquer ; – enfin, d’autres commentaires sont de l’ordre de l’appréciation générale : « j’ai bien aimé », « c’était sympathique », « j’ai trouvé ça original tout en restant traditionnel », « c’était agréable », « c’est sympa », « c’est une cuisine innovante ». Ici, les participants s’affirment également comme des juges et des spécialistes, nous allons y revenir. Un dîner presque parfait met l’accent sur l’expressivité du goût : il ne suffit pas de montrer et de manger, il faut dire, pour pallier le manque d’expressivité de l’image. Lorsqu’ils sont prononcés pendant le repas et en compagnie de l’hôte, les commentaires permettent aussi d’échanger sur les recettes, et de demander des conseils (« comment tu les fais, tes mousses au chocolat ? »). Nous sommes donc ici non seulement dans le domaine du ressenti, mais également dans celui de l’échange d’informations et du conseil, et l’expression de son goût mène à l’interaction. D’autre part, au-delà des discussions, les candidats se fient à la façon dont l’émission à laquelle ils participent a formaté la manière de recevoir. Tout a toujours la même importance et la même valeur : l’art de la table, la réussite des plats, l’ambiance. En ce sens, il y aurait une seule et même façon de bien recevoir, et ce n’est qu’à l’intérieur d’un espace assez restreint et très codé que les candidats peuvent tenter des choses souvent peu originales : le format de l’émission aurait donc formaté celui de l’invitation à dîner. On note enfin que la question du visuel communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ? 93 est très importante, et que la présentation des plats compte énormément, ce qui est logique, dans le sens où, comme l’a observé Jean-Jacques Boutaud, quand les bases du goût, saveur et odeur, font défaut, on « puise dans l’aspect, la forme et la couleur », et c’est l’image qui préside à la sensation, aidée ici des mots7 . Il est à relever également que le son en général occupe une place importante. La voix-over adopte un ton dynamique et donne une énergie à l’émission, avec un style humoristique et enlevé. Dans le même sens, la musique est très présente, traduisant l’humeur de l’instant : une musique de cirque pour montrer que nous sommes au spectacle, des sons mystérieux lorsqu’il s’agit de deviner quelque chose. . . Ainsi, le visuel, le verbal et la musique se combinent avec une idée de tout montrer, et donc de « tout voir », comme le disait en 2001 le générique de Loft Story (nous verrons plus loin qu’Un dîner presque parfait est un programme qui se situe dans la continuité de cette génération d’émissions). L’idée de tout montrer par le biais de nombreux récits permet non seulement de créer une complicité avec le public, mais aussi un suspens, qui donnera au téléspectateur l’envie de rester et de revenir le lendemain Les couleurs dominantes de l’habillage de l’émission (et que l’on retrouve également sur le site Internet) sont le blanc, le bleu et le rose. Comme pour le générique, on montre ici un souci de diversité. Traditionnellement attribuées aux garçons pour le bleu et aux filles pour le rose, en mêlant ces deux couleurs, Un dîner presque parfait dit (de manière stéréotypée) qu’elle s’adresse à tout le monde. Le rose symbolise par ailleurs la pureté, la séduction, ainsi que la joie de vivre et le bonheur, et le bleu clair inspire la sérénité, le rêve. Mêlées ainsi, ces couleurs inspirent la gaieté, la simplicité, le blanc donnant un côté clair, transparent et lumineux. L’usage de ces couleurs s’apparente à celui des couleurs de l’univers de la publicité télévisée. Les couleurs doivent être immédiatement saisies pour ce qu’elles représentent, sans laisser de part à de multiples interprétations. Dans cette émission comme dans l’univers de la publicité, nous ne sommes pas éloignés d’un monde (presque) parfait. Par ailleurs, cette émission adopte d’autres procédés rhétoriques susceptibles d’expliquer son succès. D’une part, et surfant sur la mode des émissions de téléréalité mais aussi de télé-coaching, ce programme fait entrer le téléspectateur chez les candidats, et dans leur intimité. C’est comme s’il était possible de franchir une barrière, car les lieux de l’action sont des endroits habituellement interdits, ceux de l’intimité de ces « autres », qui pourraient être nos voisins. D’autre part, on ne doit pas sous-estimer le plaisir de la médisance. À plusieurs moments dans l’émission, les candidats ont l’occasion de dire du mal des autres participants au jeu. Au début de chaque numéro, chacun lit le menu du soir, ce qui peut être l’occasion d’exprimer ses réticences. Par exemple, le vendredi 13 novembre 2009, Amélie explique qu’elle « n’aime pas le fromage qui pue et qui pique », elle est donc inquiète quant au repas du soir. La veille, chez Amélie, Frédéric (seul face à la caméra) avait parlé de la salade très fade, et du canard trop cuit. La semaine suivante, en Belgique, un hôte s’attaque à une candidate, en disant que « Pascale 7. Boutaud, Jean-Jacques, 1998, Sémiotique et communication, du signe au sens, L’Harmattan, coll. « Champs visuels », p. 251. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 94 LA MÉDIATISATION DU CULINAIRE n’arrête pas de se mettre en avant, elle cache son jeu, elle cherche à critiquer des détails, elle sait tout mieux que les autres, elle veut se rendre intéressante. D’ailleurs, elle ferait bien d’aller à l’hôpital pour faire soigner son palais ». La dernière occasion de critiquer les autres se situe à la fin de l’émission, lorsque les candidats sont raccompagnés en voiture. Il s’agit ici de mettre des notes et donc de résumer les griefs accumulés tout au long de la soirée : « la cuisson du plat était loupée », « je n’ai pas aimé le canard trop sec, et les grenouilles manquaient de saveur », tout y passe. On flatte chez le téléspectateur ses plus vils instincts, on exacerbe chez lui un plaisir voyeuriste et même sadique8 à voir les candidats se critiquer les uns les autres. N’omettons pas que si les participants n’hésitent pas mettre des mauvaises notes et à faire des critiques, c’est aussi parce qu’ils sont concurrents et que le gain est de 1 000 euros. UN JEU POUR REMPLACER LES CONSEILS DES SPÉCIALISTES En incitant chacun à donner son opinion sur les recettes et en permettant aux candidats de donner des conseils culinaires, Un dîner presque parfait place tous les participants sur un même rang : celui de spécialiste. Avec ce programme, nous sommes loin de l’émission de Raymond Oliver qui possédait le savoir absolu sur son art culinaire. Cette émission pose le non-spécialiste au centre de son dispositif et c’est lui qui va dispenser son savoir. Les personnes qui participent à l’émission doivent ressembler au maximum au téléspectateur lambda, afin de provoquer l’adhésion du public et pour que ce programme réunisse l’audience la plus large possible. D’ailleurs, en diffusant des appels pour que les téléspectateurs participent à l’émission lorsque le tournage se déroulera dans leur ville, Un dîner presque parfait développe l’idée selon laquelle tout le monde peut participer. Ce principe est pleinement apparu en 2001, avec la création de Loft Story également sur M6. Loana et ses camarades de l’époque représentaient un nouveau type de participants à des émissions de télévision : ils portaient en eux l’image du public visé par la chaîne et semblaient tout droit sortis de leur salon pour entrer dans la lucarne. Ce que disait M6 alors était : « Ces jeunes représentent les jeunes aujourd’hui, ils pourraient être vous ». À la suite du Loft, les émissions de téléréalité ont toujours mis en avant le fait qu’il suffisait d’exister pour prétendre pouvoir participer à ces émissions. C’est sur ce principe qu’Un dîner presque parfait invite le téléspectateur non seulement à participer, mais pratiquement à animer l’émission. L’une des différences avec les programmes de téléréalité (au-delà du fait que nous ne sommes pas dans une longue temporalité – une ville par semaine – et que l’on ne parle pas de vie privée), est que cette émission ne se déroule pas sur un plateau spécifique, mais chez les participants eux-mêmes. Dans la lignée de Maman cherche l’amour, Super Nanny ou Il faut que ça change, sur M6 également, Un dîner presque parfait se déroule « à la maison », en exacerbant chez le téléspectateur son goût pour le banal9 . Si l’on reprend le critère aristotélicien de l’élévation du personnage, le récit met le téléspectateur face à un certain type de personnage, qu’il 8. Jost, François, 2002, L’empire du Loft, La Dispute, Paris. 9. Ibid., p. 99. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ? 95 juge par rapport à lui-même. Dans le cas qui nous intéresse, nous sommes dans un mode mimétique bas, dans le sens où les personnes ne nous apparaissent pas comme supérieures avec des qualités qui nous dépasseraient, au contraire. Dans ce mode mimétique (et l’on ne se préoccupe pas du fait que les récits soient de réalité ou de fiction), l’identification est possible car les personnes représentées à l’écran sont humaines, et nous entretenons avec elles une relation de connivence10 . Ce qui compte, c’est de privilégier les groupes et les relations entre individus, et ces programmes montrent la désaffection envers les experts, au profit du savoir de la masse, pour aller vers l’idée de partage. D’ailleurs, ce phénomène déborde largement le seul espace des émissions de divertissement, puisque « les informations télévisées obéissent au même principe : aux courbes de l’évolution du chômage, le journaliste préférera toujours le portrait d’un chômeur11 ». Dans la lignée du succès du journal de 13 heures de TF1, l’univers télévisuel se positionne désormais le plus souvent à partir du local au détriment du global, et préfère le témoignage à la place de la parole de l’expert. En ce sens, Un dîner presque parfait met en valeur une logique de proximité qui nous dirait que la parole du voisin a plus de force que celle d’un spécialiste, puisque ce voisin est « comme nous », et qu’il a déjà vécu ce dont il parle, comme si la reconnaissance ne nécessitait plus de connaissances avérées et que tout pouvait se juger à l’aune du vécu. Du point de vue de son genre, Un dîner presque parfait se situe donc non seulement comme un parent (certes éloigné) de la téléréalité par son intérêt pour l’intimité des individus dans leur quotidien, mais également comme un jeu. Si l’on suit les travaux de Laurence Leveneur12 , cette émission comporte les traits définitoires du jeu. Il s’agit d’une émission à laquelle participent plusieurs candidats sélectionnés, il y a des règles spécifiques, connues de tous (et en l’espèce elles sont rappelées à chaque nouveau numéro de l’émission), et enfin, le dernier critère consiste en l’obtention d’un gain. Ces trois critères sont endossés par Un dîner presque parfait, et ce qui est remarquable ici, c’est que cette émission flirte entre le jeu et l’émission de téléréalité : Un dîner presque parfait est une émission dont le succès se fonde sur le mélange des genres. La question culinaire est essentielle mais elle se raconte dans un esprit ludique, et il est même possible de jouer avec. Comme pour la plupart des programmes télévisuels désormais, le site Internet de l’émission13 en reprend les traits signifiants, et conforte son identité. En accentuant encore plus le conseil et les informations sur les recettes, le site permet aussi aux téléspectateurs qui se sont attachés à certains candidats de les retrouver sur le site, leur attribuer des notes, et ajouter des commentaires. C’est également un lieu où il est possible de candidater à l’émission ou de déposer ses recettes préférées. Le site d’Un dîner presque parfait fonctionne à la fois comme un complément de l’émission et comme un site à part entière, tourné vers les conseils culinaires. 10. Ibid., p. 98. 11. Ibid. 12. Leveneur, Laurence, 2009, Les travestissements du jeu télévisé, Presses Sorbonne Nouvelle, Paris. 13. http://undinerpresqueparfait.m6.fr/ communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 96 LA MÉDIATISATION DU CULINAIRE Bien-être, maison et participation : les recettes éprouvées dans l’émission trouvent un écho sur le site et contribuent à renforcer l’identité globale du programme. LA PLACE DE L’INDIVIDU DANS LA STRATÉGIE DE PROGRAMMATION L’émission est diffusée à un horaire stratégique, 17 h 50, heure à laquelle les enfants sont rentrés de l’école et lorsque les familles se retrouvent. Et c’est bien d’un programme familial qu’il s’agit, Un dîner presque parfait est à ce titre une émission représentative de la chaîne qui la diffuse, M6 se posant identitairement comme une chaîne familiale, avec des émissions destinées au plus grand nombre, telles que Super Nanny ou C’est du propre, qui font partie des programmes dits de « télé-coaching », et s’adressent directement aux familles en leur prodiguant des conseils. Il ne faut cependant pas se leurrer, et garder en tête que si la cible est familiale, il s’agit également de s’adresser à des individus considérés du point de vue du marketing comme des consommateurs. Il est autant question de l’individu que du groupe, qui sont toujours présentés à travers des instants heureux. Car si Un dîner presque parfait met en scène un individu seul dans sa cuisine, c’est toujours lorsque cette personne prépare avec plaisir des plats pour recevoir. Non seulement cette situation a certainement été vécue par les téléspectateurs (et elle peut donc les renvoyer à eux-mêmes), mais elle renvoie également à un esprit de convivialité. Fondée sur le modèle de l’invitation et du « savoir recevoir », cette émission parle de (et à) l’individu (consommateur), mais le place toujours au cœur du groupe, dans une relation agréable et heureuse, sans problèmes graves. « Au cœur du social, le goût alimentaire ne manque pas de représenter une compétence pratique (hygiène, santé, sélectivité) et symbolique (image de soi et du monde).14 » En ce sens, cette émission permet aux candidats de parler d’eux-mêmes, en se situant socialement et culturellement (par le choix des aliments et des recettes), mais en s’inscrivant également dans l’espace social. Et le succès d’Un dîner presque parfait s’explique aussi parce que cette émission est au cœur d’une problématique sociétale actuelle expliquée par François de Singly. L’auteur met en avant le fait que les hommes et les femmes peuvent désormais attendre une reconnaissance leur permettant d’exister à titre personnel, tout en étant au cœur de la société, et c’est bien ce à quoi la télévision renvoie. Ce qui compte, c’est de pouvoir s’affirmer en tant qu’individu, tout en montrant sa capacité à appartenir à un ou plusieurs groupes. On retrouve cette problématique dans les travaux d’Alain Ehrenberg15 lorsqu’il observe que les spectacles télévisuels de la réalité signent désormais le sacre de l’individualisme, tout en étant normatifs. C’est également ce qui a été constaté en analysant des programmes populaires tels que Sans aucun doute, Pascal, le grand frère, sur TF1, ou encore les émissions de télé-coaching sur M616 . Même si ces émissions sont différentes les unes des autres 14. Boutaud, Jean-Jacques, 1998, op. cit., p. 246. 15. Ehrenberg, Alain, 1995, L’individu incertain, Calmann-Lévy, « Essai société », Paris. 16. Spies, Virginie, 2008, Télévision, presse people : les marchands de bonheur, INA De boeck, coll. « Médias Recherches, Études », Bruxelles. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 Cuisine et télévision, une relation presque parfaite ? 97 et se distinguent dans leur démarche, il n’en demeure pas moins qu’elles ont pour point commun de placer l’individu au cœur de leurs thématiques. Elles mettent souvent en scène des personnes qui doivent ressembler au téléspectateur lambda et qui pourraient être lui. Elles prétendent surtout changer leur vie, et faire leur bonheur. Dans cette société de la performance dans laquelle il faut impérativement tout gagner, les chaînes de télévision se proposent de prendre le relais des institutions et d’agir directement sur la vie d’individus, toujours présentés comme ayant des failles ou des défauts qu’il faut corriger. Plus ludique que les programmes de télé-coaching, Un dîner presque parfait reste cependant dans cette lignée, celle de l’individu au centre. Pour preuve, même lorsque l’individu a un conjoint ou des enfants, il leur est demandé de quitter le domicile pour toute la durée de l’enregistrement. C’est l’individu en tant que personnalité capable de recevoir, de conseiller et d’animer une soirée qui est mis en avant, jamais la cellule familiale. Et cet individu possède un pouvoir de consommation. En ce sens, Un dîner presque parfait offre un espace idéal pour le marché publicitaire. Dans cette émission, dans laquelle on parle d’intérieurs, de plaisir de la nourriture et du bonheur de recevoir, nous sommes en plein cœur de l’univers de la consommation décrit par la publicité. Si, depuis dix ans, la frontière est de plus en plus ténue entre les programmes et la publicité17 , Un dîner presque parfait mène cette logique à son paroxysme : tout ce qui est vu dans l’émission peut se retrouver dans les publicités : du jambon, de la soupe, des fromages, des yaourts bons pour la santé, des crèmes dessert, du chocolat. . . Le 27 octobre 2009, le sponsor de l’émission et enseigne de la grande distribution Super U s’offre même une publicité, dans laquelle il s’agit de reprendre les codes de l’émission elle-même. Une jeune femme reçoit un coup de téléphone d’une amie, qui la félicite pour son dîner, et lui demande la recette de sa sauce à l’échalote. Entre Un dîner presque parfait et les espaces publicitaires qui l’entourent, tout se présente à l’aune du plaisir et du bonheur partagé. Et dans les deux cas, ce sont les produits et leur agencement qui procurent du plaisir. En ce sens, ces émissions « empruntent à la publicité à la fois son idée du bonheur et son mode de représentation. En réduisant la félicité au confort d’une vie quotidienne sans accroc, clean, grâce aux merveilles de la consommation.18 » Et s’il peut y avoir quelques ratés dans l’émission, celle-ci continue d’adopter un ton rassurant et très gai, exactement comme le font les publicités, qui présentent un monde merveilleux. De ce point de vue, les sponsors ne sont pas en reste, qu’il s’agisse des magasins U ou encore des produits Mir Vaisselle (avec le slogan « Plaisir de la convivialité avec une table brillante, retrouvez Un dîner presque parfait, avec Mir Vaisselle », ou encore « Mir vinaigre pamplemousse rose, pour une vaisselle juste parfaite »), les messages adoptent le ton de l’émission, reprennent son esthétique et 17. Jost, François, 2009, « Simple comme un coup de pub », Médiamorphoses, in Médias, n◦ 21, Éditions Minuit moins le quart, juin, p. 107. 18. Ibid. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010 98 LA MÉDIATISATION DU CULINAIRE même sa musique. Publicité et programmes finissent désormais par se confondre puisque, d’un côté comme de l’autre, tout se règle en un clin d’œil. TÉLÉVISION ET CULINAIRE, UN AVENIR PRESQUE PARFAIT ? Si en effet, « à l’intérieur du champ alimentaire et de toutes les activités qu’il génère, la représentation du goût donne au sémioticien une matière des plus consistantes19 » et que les aliments font sens et communiquent une certaine image du goût, on peut prévoir un bel avenir pour les relations entre télévision et culinaire. Les chaînes semblent encore pleines de ressources pour mettre en scène les questions de cuisine et le matériau sémiotique du culinaire n’a peut-être encore pas montré tout ce qu’il était capable de communiquer par le biais du petit écran. Une émission quotidienne telle qu’Un dîner presque parfait met cependant en scène un plaisir du goût, et tente de faire partager des sensations qui pourtant ne peuvent, en fait, que se vivre dans la réalité, et non par le biais d’un écran et d’un média. En ce sens, le culinaire et la télévision sont pris dans un paradoxe. Ils sont voués à se désolidariser, dans la mesure où les matériaux signifiants de l’univers culinaire ne peuvent se dire pleinement et qu’il manque les sensations telles que l’odeur, le toucher et le goût en général, qui appartiennent à l’expérience du sensible, mais ils ont aussi tout intérêt à se rencontrer. Car si la télévision produit tant d’émissions sur le culinaire, c’est non seulement parce qu’il touche tout le monde, qu’il est un élément du quotidien, mais aussi parce qu’en mettant en scène les aliments et ses plaisirs, les chaînes offrent un espace convenant parfaitement aux annonceurs. Désormais, la grille des programmes d’une chaîne se dessine de manière à proposer au marché publicitaire les lieux les plus adéquats, et les publicités sont comme des réponses aux émissions diffusées, gommant de plus en plus la frontière entre les programmes et la publicité. VIRGINIE SPIES 19. Boutaud, Jean-Jacques, 1998, op. cit., p. 243. communication & langages – n◦ 164 – Juin 2010