Téléchargement - Antoine Cozin
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Le jeun ventriloque Ne pas bouffer, c’est comme de ne pas baiser, c’est comme toutes les choses que l’on fait pas, c’est dur mais on peut pas nier ç’a ses vertus, aussi. L’imagination est comme cette espèce cabot acéré, patibulaire et tout, à qui on donnerait un os sans un brin de chair. C’est frustrant, évidemment ; mais la canine s’invente une certaine poésie, dans le quartz, l’os de calcédoine. On racle, on racle, on racle, on fantasme une quelconque moelle – qu’importe sa saveur véritable, l’estomac tourne comme un moteur à explosion, acide chlorhydrique aux pistons, et pepsine à la baguette. Fameux chef d’orchestre, ça, la pepsine. Ainsi qu’une traînée de foudre, un délicieux magicien perdant ses confettis, elle se promène ci-et-là, dans le tube digestif, décorant duodénum, jéjunum et système limbique de ses empreintes de cambrioleuse – jusqu’à l’hypothalamus, où elle éclate en une bombe à clous. Jésus à nouveau pris au piège dans une glande de velours – tandis que brûle un soleil lapidaire, dont les rayons centripètes embrochent poivrons et croupes de poulet fermiers. Très curieux, ça, l’odeur des poulets fermiers, quand on n’a point mangé depuis quelques jours. La graisse, le jus, la peau dorée brillent comme des fleurs à votre nez, un bouquet ou une cocarde portée au revers d’un tailleur, derrière lequel cette blonde un peu défraîchie et frappée de sécheresse vaginale, ne porterait rien d’autre que sa peau maculée de rouille. Peut-être est-ce Brigitte, la fameuse chef de réception de l’hôtel Aphrodite, qui porte cette couronne de flueurs explosives à votre intention, avec que sais-je, peut-être un trace blanche dans le fond de sa culotte, ou même un billet doux où sa passion dévoilerait un hymen insoupçonné, un hymen obscène relié au Cosmos, à la constellation d’Orion, par le fil de l’orgasme même, hymen élastique et brutal, triple verrou à l’orée et judas embué de glaire cervicale coagulée, hymen de plomb enfin, métallique et blindé, celui que la queue d’aucun homme n’a jamais percé. Brigitte vous apporte ce bouquet et peut-être brûle-t-elle intimement qu’une queue lui offrît pareil présent, quitte à l’enfiler littéralement avec, comme un vase un peu fêlé à qui on donne contenance et signification, ou peut-être préférait-elle un bidon d’essence brune, pour que s’immolent ses murs capitonnés dans lesquels est camisolée une panthère recouverte de luminol, muselière par-dessus une fontaine de jouissance, défiant la science d’un Torricelli, ou d’un Tesla fin saoul. Torricelli, quelle alacre sonorité n’as-tu ! On dirait qu’on ouvre un robinet d’eau suave le long de mon œsophage. Mais Brigitte, parlons d’elle, puisque c’est d’elle, de fantasme tristement involu, et collectionné comme des steaks dans des bocaux de formol, dont on parle ici. On parle d’elle, on parle de cette tarte fine aux pommes, dont on aurait séchés pommes et beurre, ne laissant plus qu’une pâte feuilletée attendant qu’on l’émiette dans quelque ogresque appétit – mais gourmet, s’il vous plait ! Il vous faut avoir la langue effilée, pour goûter à l’arôme subtil d’une vulve de Brigitte. On dit de son clitoris qu’il est un plat de spaghettis nature… Nature, parfaitement ! Alors oui, la spaghetti nature est sèche et très peu sympathique, néanmoins elle colmate l’appétit, à la manière d’un mastic. Quelque-chose de pâteux, vaguement gluant d’un reste d’amidon moribond, un peu phtisique mine de rien – on trempe sa queue dans cette chair sèche, absolument intolérable, on s’arrache le prépuce sur des crampons enduits de verre ; le gland jusqu’à l’urètre, s’effrite comme une noix du Brésil, tartine ses plis et replis, son pain rassis. Crac ! Son col est une miette, un rogaton livresque – biblique, si je puis dire, où Saint-Antoine, seul dans son désert de tentations perpétuelles, hurle pour la pine de n’importe quel scorpion. Brigitte, frêle Brigitte, immortelle lettre de gel, impensable pain de glace, tu es comme ce pain de mie dont on aurait retiré tendresses et huiles hydrogénées, mais Brigitte, tu fus moelleuse par le passé, rappelle-toi les dorures qu’arborait ta tranche, rappelle-toi ses hanches dont tu voulais qu’un homme en fasse sa poterie, rappelle-toi comme le beurre était un délicat feu sur ta peau, alors rappelle-toi tout cela, Brigitte, rappelle-toi tes pleurs lorsque tu perdis ton premier ovule, tu as compris ce jour Ô combien la nature était cruelle et dure, et c’est pour cela que l’on baise Brigitte, pour l’amollir, pour adoucir par cette vinaigrette, et Brigitte, te souviens-tu par hasard des crayons de couleurs que tu t’enfonçais dans la matrice, tu voulais dessiner un temple haut en couleurs pour ce lieu obscur où l’homme doit précisément mettre la gomme… à cette époque, Brigitte, on aurait fait de la dynamite avec ta chevelure, on aurait allumé un nouveau ciel sur ta peau de bronze – ton extase aurait été moins un crépuscule que l’éclat d’un nouvel Univers, un Big Bang tombé de ta langue de papier-sulfure… Pourquoi t’être ainsi dépecée, pourquoi t’être ainsi travestie en hyène ? Ton vagin est une mygale ; de celles qui émasculent l’âme de son attribut masculin avant même qu’elle n’éjacule, tu es la femme nouvelle, monumentale et infiniment cruelle, parce que ton regard est un dague en saphir, et ta bouche soufflée dans le verre, souffle des vitraux, de larmes de mercure, tu manges le phallus comme une crampe ou une boîte de conserve, puisque tu dévores l’homme avant qu’il ne t’aie consommée, tu ne peux t’étonner de ton abdomen où s’accumule la poussière et les carcasses de buffles, parce que ton amnios est un désert, tu l’as lapé comme une gamelle, tu l’as strangulé dans ce tailleur meurtrier, oh ce tailleur si cruel – tu l’as fait taire à tout jamais, en séparant les parties de la rose tu as perdu ta fraîcheur, toute ton attraction originelle : il n’a jamais été question d’essence dans ton épine… alors pourquoi s’effeuiller, Brigitte, quand ce qui l’habit ensuite est un hiver perpétuel ? Je te vois au milieu de cet univers en papier-mâché qui n’a ni sens ni soleil, c’est un trou noir, un empilement de paperasse destiné au néant : regarde toutes ces archives, ce sont elles où sont enfouis tes meilleurs printemps – telle une banquise, une peau d’ours polaire, tu as recouvert ma passion d’un bien étrange manteau blanc : je suis ce dandy que tu as castré pour y mettre tes ovaires, tu as plongé telle une bouteille hors-de-prix, mon attribut dans un sceau rempli de glace… cependant que ma mine patine sur ta flamme glacée, mes doigts se consument d’engelures, de ton sorbet... Oui, c’est tout cela à la fois, Brigitte, un gressin pailleté d’albumine, une huile d’olive âcre, de celle qu’on retrouve sur le papier-toilette, quand on festoie de mets périmés – Brigitte est un pin’s décollé d’un ulcère, une pipe en minerve, une pipe hygiénique à l’éthanol et au scalpel, où l’on tri le gras et les chlamydias des viscères. Sa mâchoire est si étroite ! Elle qui voudrait sucer des blacks ou des immeubles, condamnée à sa texture de piège-à-loup, d’antre hostile et inamicale. Rien à voir, par exemple, avec cette petite vampire de Rutacée, une charmante fille cette Rutacée, qui vous taillait des pipes sur mesure, avec le gant en satin et le zeste d’orange. Dulce de leche. Dans son palais, votre queue était une princesse croulant sous grenats et diamants, étoffes de Chine, du Pakistan, un apparat grandiose vous disais-je, où le pinceau du maître n’oubli aucune dorure, ne néglige aucun faste ni aucune finition. L’architecture de sa bouche était une petite folie à la Gaudi, une onéreuse friandise toute de rose vêtue. Où est-elle passée désormais cette Rutacée ? Peut-être lui a-t-on coupé la gorge pour aller chercher du pétrole dans quelque faille océanique – dernier endroit que l’homme n’a pas encore souillé, faute de moyen. Mais ça viendra ! Et quand on aura acculé la Terre jusqu’à l’os, on verra que celui-ci a très mauvais goût ; mais comme je vous le disais, quand ce temps viendra, l’imagination jaillira des oreilles ou du nombril de tout un chacun, et les plus belles œuvres d’art s’élaboreront en lettres d’Apocalypse – avant que l’estomac ne prenne le dessus, que le dernier peintre ne devienne cannibale, faute d’acrylique et d’encre de Chine. Dans quelques millions d’années une nouvelle race viendra, et feuillètera ses grimoires comme les trésors morcelés de leur propre fin. Et comme nous autres, plutôt que de rassembler les morceaux, ils se contenteront avec d’exciser leurs femmes, de dépecer les cerisiers et de foutre les derniers morceaux restants dans le houmous du voisin. Rutacée vous suçait la bite comme une danseuse du ventre remue la graisse son nombril, avec les rubans multicolores et tout le tremblement. Ses cheveux étaient bouclés, crépus, électriques – exactement comme le goût qu’elle vous laissait après orage. Elle était électrique, crépitante, c’était une décharge, une décharge publique et privée tout à la fois ; cette goule lapait l’assiette à blanc, c’est tout juste si elle ne vous emportait pas l’urètre et les reins, avec. Elle disait : c’est bon pour la peau, alors gicle, vas-y gicle ! D’une manière ou d’un autre, on ressortait d’un de ses trous comme d’une douve. Tandis que cette pauvre Brigitte… on l’ouvre comme une canette, les dents sautent, molaires après molaires, c’est un carnage on dirait qu’elle rend son ovule, qu’elle a ses règles dans la bouche. Des règles pas très orthodoxes, il me semble, chère Brigitte ! Sa gencive après l’horreur, est un saignement occulte, à croire qu’elle a sucé une ogive enrichie à l’uranium, qu’elle a couru jusqu’en Laponie pour sucer une aurore boréale. Sa langue par contre, rien à dire, c’est du vélin – on pourrait la lui arracher sa langue, et composer dessus un de ces poèmes abscons dont Apollinaire a le secret. Jusqu’à sa glotte, qui fait invariablement penser à une cloche de cathédrale maudite, un punching-ball tourmenté par un orgasme borgne, cache-œil de pirate et canine droite en or. Mais qu’est-ce qui l’empêche d’avaler les barres de fer, les poutres ? Dans sa petite boîte à chaussure, elle rêve pourtant aux Botte de Sept Lieux, ces godillots à la semelle crottée, boue, fange, limaces, chardons et merdes de chiens – bien sûr que sous ses airs sérieux de petite chef de réception, elle rêve qu’un de ces gros jardinier exsangue et bourru, piétine ses tripes, lui écrase son cigarillo tout au fond de l’œsophage – fasse d’elle son cendrier sans manières. Elle a un utérus et des trompes, la Brigitte, des trompes en ivoire, soit dit en passant, qui repoussent comme des défenses d’éléphant tous ces fantasmes qui l’acculent. La nuit elle baigne dans la fièvre, une lune maladive, insomniaque, pourpre et métallique à la fois, sa vulve a le rhume et morve un drôle de mucus phosphorescent, une grippe intolérable qui éparpille des frissons jusqu’à son anus, qui saupoudre de napalm ses rêves de petite princesse-Messaline. J’aimerai un jour inventer un projecteur de cinéma, qu’on pourrait brancher au cerveau d’une femme frigide. Mais devrais-je dire Brigitte ou Brigide, ou Frigitte, que sais-je ? Tout te va si merveilleusement bien, ton nom comme une allumette que l’on craque sur un os brutal. Ainsi la lumière éclairant le subconscient d’une putain ensevelie dans le sable et les sacs-à-mains luxueux, allumerait un incendie sur les murs éclaboussé par cette épouvantable comédie : on verrait que la substance lubrifiante que secrète le vagin d’une femme, n’est rien d’autre qu’un de ses rêves inassumés qu’on a soufflé à son sommeil – son cri final, l’éclosion douloureuse d’une comète dans la nuit. Si l’on entend des chaînes qui choquent, des fusils qui se brisent en détonnant ou un accident de voiture contre un platane : ce n’est rien d’autre que l’effraction avortée de ce coffre-fort qui reçoit un gland violacé, lui qui réclame un trocard, ou une barreà-mine. Mais avez-vous seulement déjà entendu une femme roupiller ? Dans son sommeil, ma parole, elle gémit, c’est la nuit que la partouze sage de son cerveau révèle ses soubresauts. Peut-être faudrait-il souffler quelque bulle de savon dans un vagin, pour voir ex utéro, à quoi ressemble le plaisir féminin. Mais qui sait ? Si jamais ce n’étaient que des pistaches dedans, ou même des pop-corn, nous serions alors déçus, et ne voudrions plus jamais déterré le prétendu trésor. Peutêtre est-il mieux de ne voir ce que notre imagination prétend s’offrir en fantasme uniquement. Ainsi on en revient à ceci : les fleurs savoureuses que vous offre le jeûne. Il vous fallait voir ces poulets rôtir à la broche, qu’ils étaient coquets, dodus ! Ils avaient les joues roses de ces adorables angelets qu’on voit au baptême du petit cousin, et dont on se dit ENCORE UN PEU DE CUISSON ET JE LA DÉCOUPE ! Et cette connasse dans les jardins de Belleville, qui ose proférer : RIEN DE MIEUX QU’UN BON PAIN AU CHOCOLAT POUR LE GOÛTER, juste en passant devant moi elle me balance son cobra ! Alors mon cerveau, consciencieusement mâché par le gésier d’une faim atroce, imagina le délice soudain d’un pain au chocolat moelleux et croustillant à la fois, qui s’effrite en un beurre lumineux sur les doigts, et puis vint le mille-feuille ensuite, les chouquettes ! ces adorables petites chouquettes, avec l’éclair au chocolat qui a la panse noire et osée, vint les financiers spongieux, la crème pâtissière et puis les miches de… j’avais jusqu’au marbre de l’enseigne où s’inscrit la savoureuse enseigne PÂTISSERIE barrant mon épigastre. N’y tenant plus je me jetais à l’abordage de la première pâtisserie qui me tombait sur la main, négligeant toute cette discipline infâme que je m’étais imposée, ce cilice je le déchirais ! tout bonnement. Je fais la queue, l’homme devant moi a une nuque horrible, une bonne dizaine de bourrelets me regardant avec insistance, comme ces veaux curieux et peu loquaces, que l’on croise parfois en rase-campagne. Avec quelques poils incarnés en guise de chiendent, et un furoncle qu’on voudrait tout bonnement voir disparaitre du bonhomme, et l’affreux personnage avec. Dans ce monde vous trouverez toujours un connard pour vous donner l’appétit et un autre pour vous le couper ; c’est un couperet, une guillotine, une torture à double-tranchant. Et quand le petit homme à la caisse me demanda ce que je souhaitais, sans retirer ses doigts du nez – il le fit seulement pour malaxer son trésor ouvertement, au nez et à la barbe de tous les clients – je préférai enfoncer mon bonnet jusqu’aux lèvres et m’enfuir sous le coup de ce revers cuisant. Il ne me restait plus que le belvédère de la Rue Piat, la Tour Effel scintillant à l’heure nouvelle comme une femme qui prend sa douche, et le magnifique crépuscule, épluchant une orange sanguine, comme pour me consoler de cet appétit sanglant. Le ventre vide et les couilles pleines ! J’allais voir toutes les connasses que je rencontrais, et recevait de ces saxophones aucune note, pas la moindre musique, leurs tétons m’étaient d’interdits sifflets refusés. Ni pain au chocolat, ni saxophone, voilà. Tout est si trouble et indistinct, quand on n’a pas mangé depuis deux jours. Le monde peut éclater, il peut s’effondrer, on ne rêve que de camembert, de tous ces délicieux petits plats dont on se demande pourquoi il faut attendre de se les être interdits pour y avoir penser ? C’est à tout cela que je pensais, cependant que j’allais faire un petit tour chez la Louve. Charmant coin de Paris que le sien ; on tend la paupière, on a toute l’Île-de-France piquetée de lucioles et de fées, qui grésille dans l’hydrocarbure. Toutes ces petites lueurs vont font immanquablement songer aux pommes de terre sautées que vous prépare Christiane, dorées aux tranches, fondantes à l’intérieur, de véritables petites putes sous la langue. D’une certaine manière, cette Christiane, c’est une maquerelle, une vicieuse, elle dévergonde vos papilles. Ça vous donne des goûts de pacha ! On peut dire ce qu’on veut des paysages urbains moderne, mais la nuit leur donne un air de demi-sommeil, d’hypnagogie sous laquelle s’est infiltré un billet d’amour érotomane. C’est comme si les hommes ne savaient plus que détruire, pour preuve d’aimer. Voilà quelles pensées m’inspire le panorama valétudinaire de Lamarck, station 12, ligne vert caca d’oie. Et cependant que je marche ici, mon nez affûté comme un lame de rasoir tranche finement chacune des odeurs qu’il traverse, comme d’invisibles et infiniment poétiques soies d’araignée. Ici une pomme frite, là une pizza avec de l’origan et de la mozzarella di Buffala, un peu plus loin, un trace de foie gras comme l’empreinte d’un doigt graisseux sur la lèvre d’un secret inavouable. Si je vous avouais mon amour, pourrions-nous l’épandre jusqu’aux bas-fond de la marmite ? L’amour est comme ce cœur ou cette marmite qu’on racle, parce qu’on a faim et qu’on est malheureux d’être seul, voilà tout. Si les gens n’avaient pas la frousse d’eux seuls, ils ne s’emmerderaient pas avec toutes ces complications. Seulement voilà : ils tournent et rond mais ne peuvent pas se sucer la queue. Moi je préfère une bonne pomme qu’un bon baiser ; une tranche de foie de veau épaissie d’un coulis de framboise, et d’une pointe de purée grasse, plutôt que d’un clitoris, tout épileptique qu’il puisse être. La purée d’abord, l’amour on verra ! J’attendais l’ascenseur dans la cage d’escalier de ma chère Louve, et ce sont ces anciens ascenseurs parisiens, cage de fer et battant sourds. Il y avait cet écriteau : N’APPROCHEZ PAS DU FORAMEN, DANGER. Voilà un bien étrange avertissement ! Je veux dire, combien de personnes savent ce qu’est un foramen, mieux : combien de personne savent seulement qu’un timbré a inventé des mots tels que foramen, ou subreptice, ou hystérectomie ? Ainsi l’écriteau était un peu radin quant au danger véritable dont il était censé vous mettre en garde : seul un lettré de mon acabit eût pu saisir le danger subreptice qu’il y avait à s’approcher par trop du foramen. Si bien que mon imagination qui a faim et qui a soif, qui a une faim inétanchable à dire vrai, imagine l’accident probable qui a conduit à l’affiche de cet avertissement. C’était sans doute un homme, un homme moustachu et par ailleurs mal rasé – je déteste ces moustachus qui ne s’entretiennent pas les joues – un petit bonhomme putride à la queue sale et rabougri derrière une braguette à bouton, dont il en manque un, celui au centre, je vous le donne en mille, un petit bonhomme avec son sac de travail – un mécanicien du siècle passé, dirons-nous. Il sent l’ail et puis le vin, un vin frelaté par un vieil ashkénaze aigrefin. Il rentre chez lui dormir, DOMIR, il est si fatigué qu’il n’a même pas vu le foramen, il glisse sur une truite tombée malencontreusement du panier de la concierge, la truite couine et l’ascenseur prend peur d’un tel bruit claustrophobique, l’ascenseur descend, descend, se rapproche, tandis qu’il se débat de sa moustache récalcitrante, mal peignée, il peste, jure et au moment où il dit MERDE, l’ascenseur écrase notre héros malgré-lui. Je prends moi-même l’ascenseur, prenant bien garde au foramen ainsi qu’à la fièvre jaune, et aux métastases de sacrum. Dans l’ascenseur, je me tape un petit plaisir solitaire, le temps d’arriver au quatrième que j’ai déchargé sur le bouton du cinquième. Vlan ! Ces feignasses n’ont qu’à emprunter les escaliers, voilà. Je referme ma braguette et sur le pas de la porte, remet convenablement le col de ma chemise. J’ai moi-même l’air d’un os famélique, mais chic, tiré à quatre épingles. Si bien que l’os ductile, étiré comme une peau de testicule, fait ressortir comme les poils incarnés de mon imagination. Qui pour cueillir mon imagination, qui ? J’échange un morceau de folie contre une part de tarte Tatin avec une boule de glace à la vanille, coiffée d’un brushing chantilly-cerise griotte. Non personne, évidemment. À quoi sert la folie ? J’ai beau mâcher mes mots, mon estomac tourne à vide, il est plus sain de manger que d’écrire. Cependant que je toque à la porte de La Louve, je pense brusquement au Livre des morts tibétains, que j’ai oublié à la maison. J’adore les petites images qu’on y trouve des divinités courroucés, et je tremperai volontiers ces délicieux pétales dans un bol de guacamole, ces savoureux bonhommes multicolores me semblent de parfaits apéritifs ! Et après, un chant tibétain à la gloire du jeun, à la gloire du Nirvana ! Le Nirvana est un grain de riz issu des rizières d’une autre galaxie, c’est Bouddha qui l’a dit je crois, c’est du moins ce que je l’ai entendu me chuchoter quand j’entrai dans la transe de ma cinquante-troisième heure de jeun. Le problème de l’être humain est celui-ci : le Samsara est un chou à la crème, tandis que le Nirvana, un grain de riz. Le problème du chou à la crème, c’est qu’on est triste quand on l’a terminé, on voudrait immédiatement en manger un autre. Le grain de riz lui, est plein de sagesse mine de rien, il vous dit : t’auras que ça, va falloir te débrouiller avec ça, mon vieux – personne fera la cuisine pour toi. Ainsi mon Livre des morts tibétains dans les choux, je n’ai plus rien pour me consoler, et vais sûrement faire un bon gueuleton comme il se doit avec la Louve. J’irai lui voler quelques sous dans son portemonnaie dès elle ronflera et la première chose que je ferais, sera de faire frire pour moi seul quelques tranches d’aubergine dans l’huile d’olive, quelques champignons de Paris – et beaucoup de coriandre. Une bonne baguette avec ça, et un coulommiers sans pitié, voilà ! Et puis j’entamerai ensuite le chignon d’une meringue, comme je le fais de celui d’une femme, quand je la chevauche par les reins. Une tarte au citron peut-être ? Que sais-je ! Il y a tant de bons plats à se faire, alors pourquoi s’en faire, pourquoi faire grise mine ? Il suffit d’allumer sa poêle et d’y faire fondre une tendre note de beurre.