Punir ou protéger : quelle justice pour les enfants ?

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Punir ou protéger : quelle justice pour les enfants ?
Punir ou protéger : quelle justice pour les enfants ?
Compte-rendu de la soirée film-débat du 21 Juin 2016
Compte-rendu de la soirée film-débat
Punir ou protéger : quelle justice pour les enfants ?
Introduction : Esther Alder, Conseillère Administrative de la Ville de Genève
Remise du Prix « Justice pour les Enfants » : prix remis par Eric Sottas, représentant
du Jury, à Charlotte Piveteau pour son article académique « J’attendais la récré. Journal
d’en enfant détenu ». L’article ainsi que les détails sur le Prix sont disponibles ici :
http://www.defenceforchildren.org/justice-for-children-award/
Projection du film « LA TÊTE HAUTE » - introduit par Denis Pineau-Valencienne,
Producteur, Les Films du Kiosque
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Compte-rendu de la soirée film-débat
Punir ou protéger : quelle justice pour les enfants ?
Discussion d’après-film avec :
 Catherine FIANKAN-BOKONGA
Rédactrice en chef de La Cité
(modératrice),
Correspondante
France
24,
 Marcia ROMANO, Scénariste du film La Tête haute
 Denis PINEAU-VALENCIENNE, Producteur du film La Tête haute
 Eric SOTTAS, Juriste, Ancien Secrétaire-Général de l’OMCT
 Olivier BOILLAT, Juge, Tribunal des Mineurs de Genève
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
Je m’adresse d’abord à la scénariste, quelles sont les raisons qui vous ont poussé à
traiter un tel sujet ?
Marcia ROMANO :
Il s’agit du projet de la réalisatrice, Emmanuelle Bercot, qui voulait depuis longtemps
traiter de la justice pour mineurs. Souvent, les films sur les institutions traitent des
failles ; là, nous voulions montrer le travail fait dans ces institutions. Nous voulions
rester d’un point de vue narratif dans le processus éducatif et suivre le parcours d’un
jeune face à l’éducateur et à la juge.
Denis PINEAU-VALENCIENNE :
Quand Emmanuelle Bercot nous a proposé le projet, nous avions déjà fait un film avec
elle. C’est une réalisatrice portée sur la justice et l’adolescence ; elle avait déjà fait un
film sur la prostitution des étudiantes. Elle nous a proposé ce projet-là. Nous nous
sommes engagés en 2010 et le film est sorti en 2015, ça donc été un travail de longue
haleine. Le travail de documentation a été très fort, il faut être précis pour décrire le
système judiciaire, avoir une approche quasi-documentaire. Ça a duré trois ans et demi,
presque quatre ans pour le scénario. Nous avons eu des contacts avec des juges pour
enfants à Paris et des éducateurs qui ont nourri l’authenticité des scènes.
Marcia ROMANO :
Nous avons essayé d’écrire une trajectoire avant d’aller dans le bureau du juge pour ne
pas utiliser de dossier existant, pour ne pas voler une histoire.
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
Y a-t-il du budget pour traiter ce genre de sujets ? Est-ce qu’il y a des facilités en France ?
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Denis PINEAU-VALENCIENNE :
Il y a 200 films français par an donc c’est un système unique dont nous sommes très
fiers. Nous sommes aussi ouverts à la co-production, avec les Suisses notamment. Ce
scénario était identifié comme ayant des qualités particulières. Ça a été assez aisé pour
ce film. Le film est assez cher, il a coûté 5 millions. C’était un sujet ardu donc il y avait
une forme de prudence dans le financement.
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
Le casting est très bon et a sûrement contribué au succès du film. Est-ce que Catherine
Deneuve a vite accepté de participer à ce projet ?
Denis PINEAU-VALENCIENNE :
Emmanuelle Bercot sortait d’un film avec Catherine Deneuve ; nous avons donc très vite
obtenu un accord de Catherine Deneuve et après nous avons pu commencer le casting
du film. Nous avons eu de la chance de pouvoir bénéficier de la relation entre
Emmanuelle Bercot et Catherine Deneuve.
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
Je m’adresse maintenant au juge, quelles sont vos impressions en tant que juge ? Est-ce
que ce film est conforme à la réalité ? Est-ce que le système est le même en Suisse ?
Olivier BOILLAT :
J’aimerais d’abord féliciter l’équipe du film. Il est très juste par rapport à ce qu’on croise
dans le travail qu’on fait, autant pour les juges que pour les éducateurs qui font un
travail exceptionnel, même les éducateurs de centres fermés et l’avocat.
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
Vous parlez de foyer ouvert, foyer fermé ; est-ce que les sanctions sont plus dures en
France qu’en Suisse ?
Olivier BOILLAT :
Dans le film, les sanctions ne sont pas si dures. On essaie d’éviter l’enfermement : on
envoie l’enfant en centre ouvert puis en centre fermé et en prison s’il n’y a plus de
solution. En France, les peines peuvent être très lourdes. Les peines sont divisées par
deux par rapport à un adulte. Elles peuvent même être les mêmes que pour les adultes à
partir de 16 ans pour des crimes graves. En Suisse, la peine privative de liberté peut être
prononcée à partir de 15 ans et jusqu’à 18 ans, la peine maximale est de 5 ans
d’emprisonnement.
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
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Eric Sottas, comment ça se passe dans d’autres pays ? Quel est votre avis en tant que
fondateur de l’Organisation mondiale contre la torture ?
Eric SOTTAS :
Je suis un des fondateurs de l’OMCT. Je reviendrais sur le fait que vous ayez voulu éviter
les failles. Le personnage principal a des relations presque privilégiées : il a une juge
compréhensive et n’a pas d’éducateur qui le prend en grippe. Dans les endroits que j’ai
pu visiter, on peut entendre qu’il y a des conflits entre éducateurs. Les jeunes détenus
peuvent être un peu pris en otages par les dissensions. Il n’y a pas non plus de problème
de surpopulation dans le film. J’ai visité des lieux où les enfants ne peuvent pas dormir
en même temps car il n’y a pas de place pour qu’ils soient tous allongés dans la pièce. J’ai
eu peur un moment car dans cette situation qui est plutôt privilégiée, il n’arrive pas à
s’en sortir, mais le film finit tout de même sur une note positive.
Les formes de torture sur les mineurs peuvent être le fait de la corruption ou d’une
fixation sur la sécurité. J’ai notamment vu des endroits où les enfants sont toujours
menottés. Là on se base plutôt sur la problématique de comment aider un enfant dans
cette situation ? Dans certains pays, cette situation est aggravée par les conditions de
détention et par la situation du pays. En République démocratique du Congo, il n’y a pas
de projet, les ordinateurs ne fonctionnent pas, donc les jeunes sortent sans aucune
perspective de travail.
Question du public :
Quelles scènes ont été coupées ? Et pourquoi « injustement » coupées ?
Marcia ROMANO :
Dans le scénario, il y avait une scène dans une autre région où il tombe sur un autre juge,
un juge qui ne lui fait pas de traitement spécial. C’est une scène qui a été coupée. Plus on
a avancé, plus on a voulu mettre en lumière le travail mis en place. Le scénario voulait, à
l’origine, traiter des obstacles.
Question du public :
En tant que psychothérapeute, j’ai été frappée par les scènes où les enfants deviennent
parents de leurs parents. Je m’adresse à Eric Sottas : j’ai travaillé en Israël et rencontré
un juge militaire qui ne connaît pas la Convention sur les droits de l’enfant. J’ai
également vu trois enfants avec des chaînes aux pieds. Israël a les moyens, il s’agit juste
de casser les enfants. Il y a beaucoup d’enfants en détention. Pourquoi y a-t-il aussi peu
de réactions face à cette situation ?
Eric SOTTAS :
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C’est un travail qui dépasse le tribunal militaire. J’ai pu interroger un juge israélien sur le
nombre d’enfants emprisonnés. Il m’a répondu un chiffre très bas et face à mon
étonnement, il a dit : « Ah mais vous comptez le nombre de terroristes palestiniens ? ».
La question de savoir si c’est dans l’intérêt de l’enfant d’être avec des enfants s’est posée.
Les Palestiniens préfèrent que les enfants soient avec les adultes qu’avec les enfants
israéliens. Nous avons des avocats qui dénoncent les tortures commises par Israël. Dans
des situations post-conflit, on peut s’attendre à ce qu’on rentre dans des situations
beaucoup plus respectueuses du droit. En République démocratique du Congo, le conflit
a fait 4 millions de victimes dont des enfants. Aujourd’hui, dans les prisons, la situation
reste épouvantable et catastrophique. L’Uruguay a progressé, nous étions effarés des
conditions de détention. Il faut distinguer les situations de conflits ouverts. Il y a
également le problème des réfugiés qui sont parqués dans des conditions extrêmement
dures, avec notamment un problème d’encadrement des mineurs non accompagnés.
Question du public :
Un rapport a été publié très récemment sur la détention administrative des mineurs
étrangers non accompagnés en Suisse. Est-ce qu’il y a une différence entre la détention
des étrangers et des Européens ?
Olivier BOILLAT :
En tant que juge, je ne fais aucune différence entre un Congolais, un Sri Lankais ou un
Suisse. Il n’y a pas de détention administrative à Genève. En France, nous l’avons vu dans
le film, le juge s’occupe de l’enfant depuis le début : au début il est enfant victime et
après la juge s’occupe des infractions commises. En Suisse, les deux systèmes sont
différenciés avec un juge de protection et un juge pénal.
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
La personne dans le public faisait peut-être référence aux camps en Grèce avec des
mineurs de moins de 18 ans qui attendent l’application de l’accord entre l’Union
européenne et la Turquie. Il y a des problèmes de fonds : dans certains pays, il n’y a pas
les moyens pour bien encadrer les étrangers qui arrivent. Comme le disait Eric Sottas,
les conditions du film sont presque idylliques.
Olivier BOILLAT :
Elles ne sont pas si idylliques que ça, il y a quand même des violences. Si on peut laisser
l’enfant dans sa famille, on le laisse. Il ne faut pas banaliser la souffrance vécue par ces
jeunes. Le placement en foyer reste une souffrance. Ce film est remarquable parce qu’il
montre beaucoup les échecs mais pourtant on continue et il y a des petites lumières.
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
Est-ce qu’il y a des situations où on se demande vraiment si elle ou il va comprendre ?
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Olivier BOILLAT :
Jamais je ne me dis, c’est définitivement foutu. Mais il y a bien sûr des moments où il faut
mettre un stop technique.
Ileana BELLO, directrice exécutive du Secrétariat International de Defence for
Children International :
Merci, nous avons mis beaucoup d’énergie dans cet événement. C’est un thème qui nous
tient à cœur. J’ai une question pour Olivier Boillat : quelle est votre relation avec les
parents, avec la famille en général ? On le voit dans les mesures de protection de
l’enfance mais aussi après avec le juge qui interpelle la maman. Quelles sont les
interactions avec les parents des enfants. Et une deuxième question, est-ce que vous
suivez les cas même après la majorité ?
Olivier BOILLAT :
On peut prononcer des mesures qui vont au-delà de la majorité. Jusqu’à aujourd’hui,
c’était 22 ans, maintenant ça va être 25 ans. Pour la relation avec les parents, toutes les
situations sont différentes : il y a des parents qui ont confiance en nous, des parents qui
ne veulent plus de leur enfant… Quand le juge s’en prend aux parents, c’est foutu pour
l’enfant. Même si le parent fait des mauvaises choses, il ne faut pas l’attaquer de front, le
mettre en confrontation avec l’enfant. L’élément principal doit rester l’enfant. Chaque
juge est différent, il s’agit de « mon juge ».
Question du public :
A propos du film, et du casting des jeunes, est-ce que ce sont tous des acteurs ?
Denis PINEAU-VALENCIENNE :
Evidemment le gros travail de casting, ça a été celui des enfants. Nous avons engagé des
personnes spécialisées dans ce qu’on appelle le casting de terrain, le casting sauvage.
Elles ont fait les sorties des lycées professionnelles pour trouver des enfants qui
pouvaient correspondre. Emmanuelle Bercot a regardé toutes les vidéos. Ça a nécessité
une grande organisation aves l’autorisation des proviseurs. Rod Paradot était au lycée et
nous lui avons juste proposé le casting ; il était bluffant. Il a été récompensé par le césar
du meilleur espoir.
Question du public :
Quand on parle de la justice juvénile, d’un pays à l’autre, les enfants n’ont pas le même
âge. En Europe c’est 18 ans alors qu’en Afrique ou aux Etats-Unis, on incarcère des
jeunes pour plusieurs années. Comment vous travaillez sur ce niveau-là ?
Eric SOTTAS :
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Les conventions fixent des minimums : il n’y a pas de peine de mort pour les infractions
commises par des mineurs. Mais il y a quand même beaucoup de cas avec des enfants
condamnés à mort. La législation est en contradiction avec la ratification de la
Convention. Il y a des cas en Iran, au Pakistan et dans d’autres pays. Pendant l’Examen
périodique, on n’a même pas demandé à l’Iran de revoir sa législation, on a juste
demandé un mémorandum pour ne pas que les jeunes soient exécutés. Le maximum de
la peine varie d’un pays à l’autre. Il y a aussi le problème des articles à interprétation :
l’âge minimum de responsabilité pénale ne doit pas être trop bas mais que veut dire
« trop bas » ? La Convention donne des limites très claires, et le travail de nos
organisations est de faire respecter les conventions.
Question du public :
Le film a suggéré la présence des victimes. Comment est-ce que le jeune pourrait réparer
ce qu’il a fait ? Qu’en est-il en Suisse de ce qu’on appelle la justice restauratrice ?
Olivier BOILLAT :
On aborde la médiation : on va adresser le dossier à un médiateur qui va convoquer
l’auteur et la victime mais ça reste au bon vouloir de l’auteur et de la victime. C’est un
travail qui peut être remarquable : le médiateur prend du temps avec les deux. Ça peut
aboutir à un travail de l’auteur envers la victime. C’est une très belle chose qu’on
n’utilise encore peu à Genève car on se dessaisit du dossier. Et cette procédure pose
problème car on ne peut pas mettre d’aide éducative si on se dessaisit du dossier. Mais
c’est un très bel outil !
Catherine FIANKAN-BOKONGA :
C’est un film formidable, qu’est-ce que vous avez sur le feu maintenant ?
Marcia ROMANO :
Un film sur Louis-Ferdinand Celine est sorti il n’y a pas très longtemps. Et L’Histoire de
l’amour.
Denis PINEAU-VALENCIENNE :
Five avec Pierre Niney. Un film de Louis Bedos et un film avec Catherine Deneuve avec
une confrontation entre deux mondes.
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