hommage a deux gloires de la musique italienne: arturo toscanini et

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hommage a deux gloires de la musique italienne: arturo toscanini et
HOMMAGE A DEUX GLOIRES
DE LA MUSIQUE ITALIENNE:
ARTURO TOSCANINI
ET
MAGDA OLIVERO
Emilio Spedicato
Università di Bergamo
Décembre 2007
[email protected]
Dédié à:
Giuseppe Valdengo, baryton choisi par Toscanini,
retourné au Maitre en octobre 2007
Ces écrits ont été produits pour la revue Liberal, avec de légers changements. Ils
peuvent être reproduits à condition de citer cette revue. Nous remercions le comtesse
Emanuela Castelbarco, petite-fille de Toscanini, pour avoir vérifié la partie relative à
son grand-père, et avoir donné des photos, qui restent sous son copyright, et la Signora
della Lirica, Magda Olivero Busch, pour la vérification de la partie la concernant. Sa
photo avec Spedicato est sous le copyright de celui-ci. Remerciements aussi à Ami de
Grazia pour avoir corrigé la traduction en français.
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SOUVENIRS DE TOSCANINI,
GLOIRE ITALIENNE DU 19-IEME SIECLE
Je ne suis pas un musicologue, mais une personne animée de passion pour la musique
classique et, seulement depuis ces dernières années, pour la musique lyrique et
populaire. J’ai eu la grande chance de connaitre personnellement de grands musiciens,
tels que le pianiste Badura-Skoda, et des étoiles de la scène lyrique tels que Taddei,
Valdengo, Di Stefano (qui reste paralysé après l’agression qu’il a subie au Kenya où,
pour défendre la médaille reçue de Toscanini, il fut frappé violemment à la tête; et il est
maintenant soigné de manière très aimante par sa femme Monique), Bergonzi,
Prandelli, Anita Cerquetti et, tout spécialement, Magda Olivero. J’ai lu beaucoup de
livres dans le domaine de la musique vocale, ainsi que huit sur Toscanini, et j’ai parlé
avec le biographe de Toscanini généralement considéré le meilleur, Harvey Sachs, lui
donnant la solution du problème de la rupture entre Toscanini et Alberto Erede et
l’informant que, contrairement à ce qu’il affirmait dans son livre dédié aux lettres de
Toscanini à ses amantes, il y existe une lettre de l’une d’elles, Rosina Storchio. Cette
lettre se trouve dans sa biographie que l’on peut acheter au Museo Storchio à Dello,
près de Brescia, musée qui est le deuxième en Italie pour l’art lyrique (il possède aussi la
plus grande collection au monde de librettos) et qui demeure quasi ignoré. Ces
contributions se trouvent dans le livre Toscanini, dolce tiranno de Renzo Allegri, que je
crois être le meilleur sur le marché italien, et qui utilise les souvenirs écrits par ses filles
Wanda et Wally il y a quelques années, et publiés alors dans un magazine de grande
diffusion.
Ma famille avait des associations avec Toscanini. Il y était l’Italien le plus hautement
estimé, peut-être parce que mon grand-père au début du siècle était le premier
interprète de langues a Milan et bien-sûr il l’avait rencontré à La Scala. C’est seulement
récemment que j’ai su qu’Aureliano Pertile, le tenor préféré par Toscanini pour son
extraordinaire expressivité, était un ami de notre famille et venait souvent jouer du
piano et chanter chez nous. Et je crois que des partitions musicales (Mi par d’ udire
ancora….. e lucevan le stelle) survivant à la dernière bombe tombée sur Milan, qui
détruisit notre immeuble familial, appartenaient à Pertile. Et je me rappelle quand,
étant un garçon de douze ans, la radio annonça que le Maitre était mort, et la famille se
trouva plongée dans une atmosphère de grande douleur.
Comme je ne suis pas qualifié pour traiter les aspects proprement musicaux de l’activité
de Toscanini, qu’aujourd’hui d’aucuns veulent critiquer, je vais présenter, sous forme
d’anecdotes, des moments de sa vie. Pour en savoir de plus, il y a beaucoup de livres sur
le marché et je recommande aussi de visiter la maison où il naquit à Parme et le
conservatoire de cette ville, où il y a une pièce-musée à lui dédiée. Je vais indiquer
Toscanini par T.
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T naquit le 25 Mars 1867 à Parme, dans le quartier ouvrier au-delà de la rivière, d’un
père garibaldien opposé à l’Eglise, et d’une mère catholique pratiquante. Bientôt on
découvrit ses capacités musicales, dont celle de pouvoir jouer au piano, qu’il n’avait pas
étudié, des phrases musicales qu’il venait d’écouter. Il reçut une bourse qui lui permit
d’entrer au conservatoire de Parme, où la discipline était stricte, la nourriture peu
abondante, où il n’y avait pas de chauffage, où il fallait se rendre à la messe tous les
matins; mais la qualité des professeurs était très élevée. Un jour, pour quelque faute, il
fut obligé en guise de punition à passer une journée et une nuit dans une petite chambre
sans lumière, avec seulement la compagnie du violoncelle. Comme il ne lui était pas
possible d’aller aux toilettes, il utilisa le violoncelle comme récipient. Le jour suivant le
professeur s’exclama: mais qu’est-ce qu’il arrivé à ton violoncelle, il transpire! Il fut
bientôt appelé le génie par ses camarades qui avaient remarqué sa mémoire
extraordinaire et sa passion pour apprendre tout genre de musique et pour jouer avec
tous les instruments. Un professeur demanda pourquoi on l’appelait comme ça et voulut
le mettre à l’épreuve. Il lui donna une feuille de musique à jouer directement et puis par
cœur. Puis il lui montra une pièce de Wagner et lui demanda de l’interpréter au
violoncelle. Considérant la parfaite performance de T, il dit: véritablement, Toscanini, tu
es un génie. La mémoire extraordinaire de T est un des phénomènes documentés dans
l’histoire humaine. C’était une mémoire visuelle, au point qu’il se rappelait aussi les
taches ou les irrégularités sur la page. Il paraît qu’il mémorisa près de 1500 oeuvres
symphoniques et opératiques. Une fois un professeur de l’orchestre lui dit qu’il ne
pouvait pas jouer car une corde de son instrument était rompue et il n’avait pas la
possibilité de la remplcer. T lui demanda quelle note émettait cette corde, réfléchit un
petit peu et lui dit: mais cette note ne parait pas dans ta partition ! Une autre fois, comme
il avait déjà près de quatre-vingt-dix ans, le pianiste Delli Ponti était venu comme il
faisait souvent chez lui pour jouer de la musique baroque, qui ne l’avait pas beaucoup
occupé durant sa vie. Il lui dit: aujourd’hui je vais jouer une pièce presque inconnue de
Frescobaldi… Et T, qui en avait vu la partition lorsqu’il était au conservatoire, lui dit :
on a publié deux versions, chacune ayant une erreur dans la quatrième percussion. Il est
vrai que d’autres personnes, comme De Sabata dans le domaine musical et Von
Neumann dans le domaine scientifique, avaient une pareille mémoire. Et il y a le cas cité
par Oliver Sacks, d’un Russe qui se rappelait tout de chaque jour de sa vie….ce qui en
général n’est pas très plaisant. Et rappelons aussi les chanteurs kirghizes qui peuvent
mémoriser les six million de vers de l’épopée de Manas.
Au conservatoire T se spécialisa dans le violoncelle, mais je n’ai pas lu de jugements sur
sa qualité d’exécutant. Dans les années suivantes il joua beaucoup au piano, comme
accompagnateur de chanteurs, et dans ses dernières années il passa des journées
entières au piano, jouant des œuvres lyriques complètes et chantant lui-même de sa voix
bien timbrée et expressive (comme on peut l’entendre dans un célèbre enregistrement
d’une répétition de la Traviata où Violetta était Licia Albanese, vivant toujours à New
York, âgée de près de cent ans…).
A l’âge de 19 ans, T fit partie d’une tournée en Amérique du Sud comme violoncelliste.
Déjà il connaissait par cœur une vingtaine d’œuvres lyriques et pendant le voyage sur le
navire il s’amusa à diriger quelques œuvres où chantaient et jouaient ses camarades (il
séduisit aussi nombre de chanteuses; il était un séducteur auxquel les femmes résistaient
difficilement ; d’après ce que m’a dit sa petite-fille Emanuela Castelbarco, elles lui
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tombaient facilement dans les bras). Au Brésil la piètre performance du chef
d’orchestre fut accueillie avec une violente réaction négative par le public lors d’un
concert où l’empereur Dom Pedro était présent. Le danger était grand que la tournée ne
se terminerait sans paiement pour les chanteurs et les musiciens de l’orchestre, qui
n’auraient pas eu d’argent pour rentrer en Italie. Alors une choriste, de Parme elle
aussi, s’adressa à T en dialecte et le pria de diriger lui-même. Après quelques minutes
de réflexions T accepta, entra sur scène sans frac et dirigea comme en trance et les yeux
fermés. Ce fut un triomphe, les gens comprirent qu’ils se trouvaient en présence non
seulement d’un très jeune chef d’orchestre, mais d’un musicien aux très grandes
possibilités. L’empereur lui donna une petite boite en or (qui fut volée à l’hôtel). Son
triomphe continua tout au long de la tournée, les journaux annonçant que ce jeune
homme aurait un grand futur.
A son retour en Italie T pensait continuer sa carrière de violoncelliste (il composa aussi
pendant quelques années; puis, ayant écouté Wagner et décidé qu’il ne pourrait
composer mieux que lui, il détruisit toutes ses compositions ; il détruisit de même plus
tard les lettres de ses amantes). Pourtant la renommée de son succès en Amérique s’était
répandue et bientôt il fut appelé à diriger nombre d’orchestres. En peu d’années il
arriva à La Scala, où pendant plusieurs années il fut directeur musical et artistique,
aboutissant à changer profondément les conceptions d’opéra et de concert. Ce n’est pas
ici la place et je n’ai pas les connaissances requises pour discuter des changements qu’il
introduisit, qui furent reçues avec beaucoup de résistance par le public, les musiciens
d’orchestre et les chanteurs, ces derniers s’étant habitués à changer la partition et le
texte original selon leur désirs. Nous dirons seulement que T avait un énorme respect
pour la création originale de l’auteur et pour sa volonté ; il voulait que le public soit très
attentif (stop aux jeux à cartes ou aux diners pendant la représentation théâtrale !), et
que l’orchestre respecte parfaitement les indication de tempo et d’expressivité données
par le compositeur.
On sait qu’il était souvent brusque et quelques fois violent, mais seulement lorsque il
dirigeait, et on connait sa générosité pour venir en aide aux membres de l’orchestre
qu’il savait avoir des problèmes financiers. Il connut bien des compositeurs, depuis
Verdi (qu’il alla trouver à Gènes pour une divergence d’interprétation entre lui et le
grand ténor Tamagno…et Verdi confirma que la mémoire de T était correcte !),
Puccini, son grand ami mais avec qui il querella souvent en particulier sur des questions
politiques, car Puccini voyait d’un bon oeil le fascisme, et aussi Catalan, Boito,
Mascagni…. Pendant la première guerre mondiale T alla souvent près de la ligne de
front avec un orchestre qui joua quelquefois dans des conditions fort dangereuses (en
ces cas il ne voulut pas être payé; ce qu’il fit aussi quand il dirigeait à Bayreuth, pour lui
un temple wagnérien sacré, et en Palestine, pour appuyer la communauté hébraïque qui
était en train de se former).
T avait des intérêts politiques, pourtant pas au niveau de l’action. Pas loin de Mussolini
lorsque celui ci était socialiste, il s’en éloigna quand il changea d’idées et il en devint un
critique énergique, qui parlait ouvertement. Comme il refusait de commencer les
concerts ou les opéras avec des hymnes fascistes, tel que Giovinezza, il fut attaqué à
Bologne par de jeunes fascistes proches de Farinacci, qui le souffletèrent et le
menacèrent de mort. Mussolini déclara ne pas être responsable et que si T avait à
s’occuper d’un orchestre de 100 personnes, lui avait pour public l’Italie entière. Après
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cet évènement T quitta l’Italie pour les Etats-Unis, où son activité se poursuivit avec un
énormes succès; la NBC lui donna les moyens de créer un orchestre entièrement pour
lui. Sa maison à Riverdale devint un centre d’intense vie musicale et d’accueil pour les
opposants de Mussolini.
A un âge déjà avancé, il s’occupa moins d’opéra et se donna davantage aux œuvres
symphoniques. Dans ses concerts il y eu des pianistes comme Serkin, Rubinstein,
Horszowski, Horowitz (qui en 1933 se maria avec sa fille Wanda), et des violonistes
comme Heifetz, Busch. T n’avait pas toujours des rapports faciles avec ces solistesétoiles, comme le montre l’observation suivante de O’ Connel à propos du concerto
pour violon de Beethoven joué par Heifetz: il était amusant d’observer ces deux hommes
si égaux, comme perfectionnistes, mais aussi si différents quant à l’âge, le caractère et les
conceptions musicales, travailler ensemble. Extérieurement, ils étaient respectueux au
maximum, mais en réalité ils se méfiaient l’un de l’autre, chacun avec un fort désir
d’atteindre la perfection de toute manière et en tout temps…
A la fin de la guerre il retourna en Italie pour le concert inaugural de La Scala
reconstruite après les dommages de la guerre. A l’audition, pour la voix de soprano, il
choisit Renata Tebaldi, qui entra sur la scène lyrique mondiale comme la voix d’ange.
Toutefois T aurait voulu avoir Magda Olivero, qui s’était retirée en 1941, et qu’il
connaissait par les disques et la radio. Mais les gens de La Scala ne la contactèrent pas
pour lui communiquer le désir de T. En conséquence Olivero, qui bientôt retourna à
l’Opéra sur l’invitation insistante de Cilea, et à laquelle Tullio Serafin, en la faisant
répéter pour Adriana Lecouvreur, déclara vous êtes toujours le numéro un, ne chanta
jamais sous la direction de T. Elle le rencontra à Sirmione, où elle écouta pendant deux
heures les jugements de T sur des chanteurs et musiciens qu’il serait d’un grand intérêt
voir publiés (ce qu’Olivero ne fera pas). Le concert d’ inauguration eu lieu dans une
Scala bondée, avec 37 minutes d’ applaudissements dès que T parut.
Entre les dernières oeuvres sous la direction de T en Amérique: Aida, Traviata, Otello
et Falstaff (qu’il considérait comme le chef d’oeuvre de l’opera italien; il considérait
Manon comme la meilleure création de Puccini), où chantèrent Licia Albanese et le
baryton Valdengo, mort agé de 93 ans en octobre 2007. Avec Valdengo chanta aussi la
nouvelle étoile de la scène lyrique, Di Stefano, dont T appréciait la merveilleuse voix et
la grande expressivité. Il lui donna la médaille avec son portrait qui joua un rôle dans l’
agression que Di Stefano subit au Kénya.
T survécut peu d’années à sa femme Carla, leur mariage ayant duré 54 ans. Un mariage
avec des difficultées à cause des fréquentes infidélités de T, pour qui l’ attraction des
femmes était presque invincible, une situation que Carla réussit à gérer. Parmi les
amantes nous citons la très belle Rosina Storchio, don’t on peut voir le portrait dans un
beau tableau au Musée de La Scala. Soprano parmi les plus grandes, elle eut un fils de
T, qui nacquit avec des problèmes neurologiques et mourut adolescent. Rosina passa ses
dernières années à Milan comme soeur laique soignant les enfants handicappées. Il y a
une lettre d’elle écrite à T peu avant de mourir, pleine de sérénité, où elle le remercie
pour l’aide reçue de lui dans sa vie artistique et lui dit l’ attendre au ciel.
T était hostile au clergé et après les messes fréquentées au conservatoire il n’alla plus à
l’ église. Il était croyant, bien qu’il parlait rarement de questions religieuses. Il gardait
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dans la petite poche de son veston un petit crucifix; on le mis entre ses mains au moment
de sa mise en bière. Il mourut agé de près de 90 ans, quelques jours après la mort dans
un accident d’avion de son élève préféré Cantelli. Il fut atteint d’un ictus auquel il
résista une douzaine de jours.
Le seul prêtre avec qui il avait des contacts, et qu’il estimait beaucoup, était don
Gnocchi. Ses filles lui téléphonèrent pour qu’il vienne confesser leur père. Il répondut:
pas besoin, il a fait beaucoup de bien dans sa vie…
Don Gnocchi, dont l’ assistant était don Giovanni Barbareschi, mon professeur de
religion au lycée, déclaré en Israel juste entre nations pour avoir sauvé beaucoup de
Juifs en les transportant au delà de la frontière suisse, fut lui-même capturé et transféré
dans un camp de concentration… don Gnocchi, l’une des peu nombreuses gloires
italiennes du 20-ième siècle, et qui, étrangement, n’a pas encore été sanctifié.
Le 25 mars 1910, le même jour où nacquit T, mais 43 ans après, une autre gloire de le
musique italienne, Maria Maddalena, dite Magda, Olivero, naquit à Saluzzo. Elle vit
toujours, agée de 97 ans, active, douée d’une extraordinaire mémoire, d’une voix pour
trois si non quatre générations. A elle est dédié le prochain article.
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JE VOUS SOUHAITE UN BON 98-IÈME ANNIVERSAIRE,,
SIGNORA DELLA LIRICA !
Dans l’encyclopédie Le Muse, De Agostini, 1967, nous lisons cette présentation de trois
sopranos italienness du vingtième siècle:
ROSINA STORCHIO (Verona 1876, Milano 1945), commença son activité à Milan, en
1892, dans Carmen. Elle fut bientôt engagée dans les grands théâtres, et connut une
activité internationale très intense. Sa voix était du genre léger-lyrique, avec une
tonalité délicate et une couleur de pur argent. Elle possédait un vaste répertoire, avec
les meilleurs résultats dans les rôles intimes (Mimì, Butterfly….) qui étaient plus
proches de son caractère. Ses interprétations étaient passionnées et elle avait les qualités
d’ une grande actrice...
MUZIO CLAUDIA (Pavia 1892, Roma 1936) fut invitée bientôt à La Scala et aux
meilleurs théâtres du monde où elle jouit d’un grand succès. Elle était connue pour
l’ampleur de son répertoire comprenant des oeuvres du genre lyrique, haut-lyrique et
dramatique. Sa voix, pas très remarquable par le volume, pouvait se situer entre celle
d’une soprano dramatique et d’une soprano haut-lyrique. Elle était capable d’exprimer
tout accent, du plus dramatique au plus triste et douloureux. Elle avait aussi les qualités
d’un grande actrice.
MAGDA OLIVERO (Saluzzo 1910) était considérée dès le commencement de sa
carrière come une des plus grande sopranos. Elle chanta surtout le répertoire vériste. Sa
façon de chanter les phrases, sa vocalité tendre et insinuante unies à un grand art
dramatique font d’elle la plus grande chanteuse-actrice de nôtre temps dans le vérisme.
Sa voix, jadis très étendue, est faite de pur émail, capable de produire de splendides
filatures et des demi-teintes de couleur dorée, qui fascinent encore davantage grâce à un
vibrato plus évident dans les pianissimi.
Le 25 mars 1867, Arturo Toscanini, gloire de la musique italienne du vingtième siècle,
naquit à Parme. Le 25 mars 1910, c’est-à-dire 43 ans plus tard, Maria Maddalena, aussi
nommée Magda, Olivero naquit à Saluzzo, pas loin de Turin. Ce document est dédié à
elle à l’occasion de son 98-ième anniversaire.
Nous avons commencé ce document avec les biographies de deux grandes sopranos de la
génération précédant celle d’Olivero et qu’elle ne connut pas. La raison en est due à la
coïncidence suivante, bien qu’elle soit faible :
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Rosina Storchio, qui était amante de Toscanini pendant plusieurs années, ayant eu un
fils de lui (qui mourut adolescent, étant handicapé), se dédia aux soins d’enfants
handicapés après la fin de ses activités à l’ opéra. Elle vivait à Milan, corso Magenta 68,
presqu’en face de la maison où habite Olivero, et c’est moi qui l’ai informée de cela.
Claudia Muzio était presque sans concurrence; elle allait au théâtre dans un coche
traîné par deux chevaux blancs et couvert de roses blanches, selon ce que m’a dit
Olivero. Elle fut appelée divina par Eugenio Montale, un grand poète qui obtint le Prix
Nobel et qui était aussi un critique musical qualifié. Dans son livre Stelle della lirica,
Stinchelli, un fameux critique musical italien, analyse près de 300 femmes du monde
lyrique. Il appelle divina seulement Magda Olivero.
On peut aussi rappeler ici que le grand chef d’orchestre Tullio Serafin affirma, avant le
début d’Olivero, que parmi ceux qui chantent il y a trois miracles, Caruso, Titta Ruffo et
Ponselle : parmi les autres il y en a qui sont valables. Nous croyons que Serafin après
quelques années aurait ajouté Chaliapine et Olivero. En effet quant il répétait avec
Olivero pour son retour au théâtre dans Adriana Lecouvreur, il lui dit vous êtes toujours
le numéro un. Quand Olivero, âgée de plus que cinquante ans, se rendit aux Etats Unis
pour une tournée saluée d’un extraordinaire succès, la soprano Ponselle avait terminé
sa carrière et n’était pas présente à ses performances. Mais elle l’écouta la radio et lui
téléphona pour la féliciter.
Cet article est né avant tout pour rappeler une soprano qui à été une gloire de la scène
lyrique italienne, et bien sûr mondiale, mais qui n’à pas été suffisamment appréciée par
les médias, plus intéressés au cas Callas et à la prétendue guerre entre elle et Tebaldi.
Mais il a aussi une origine dans un souvenir personnel. J’étais âgé de dix ans, j’étudiais
le piano et j’avais été intrigué par les livres avec des partitions d’opéra qui avaient
survécus à la bombe qui avait détruit la maison de mon grand-père à Milan. Un jour je
demandai à maman qui étaient les plus grands artistes d’opéra. Sa réponse : les tenors
Tito Schipa et Beniamino Gigli, les sopranos Renata Tebaldi et Magda Olivero. Le nom
d’Olivero se fixa dans ma mémoire à ce moment là.
C’est seulement durant ces dernières années que j’ai développé un intérêt sérieux pour
l’opéra. Schipa et Gigli on quitté ce monde il y a longtemps, Tebaldi depuis deus ans (je
parlai avec elle seulement quelques minutes au téléphone ; elle était déjà malade d’un
cancer). Je dois remercier le professeur Crespi, juriste, pianiste, musicologue et
collectionneur de tableaux d’art sacré du Moyen Age (il a donné sa collection valant
cent million d’euros au Musée Diocésain de Milan) de m’avoir donné l’ occasion de
rencontrer Olivero chez elle. C’était en novembre 2003. Depuis lors, j’ai eu plusieurs
occasions d’ améliorer ma connaissance d’une personne d’une grande humanité, non
seulement d’une chanteuse ayant atteint le sommet de l’art lyrique.
Comme je ne suis pas musicologue, je ne traiterai pas des aspects techniques du chant
d’Olivero, mais seulement des faits biographiques. Je vais l’appeler Magda, comme elle
préfère être appelée par les personnes avec qui elle est en relations. Mais je veux dire
d’abord que Giulietta Simionato, la grande mezzo-soprano qui est de quelque trois mois
plus jeune qu’elle, en parlant avec moi au téléphone, appela Magda la Signora della
lirica.
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Magda naquit à Saluzzo dans une famille de bon niveau social et culturel, et d’une foi
catholique traditionnelle, à laquelle elle est restée fidèle toute sa vie. On peut remarquer
que beaucoup, ou la plupart, des chanteurs d’opéra étaient originaires de familles
d’ouvriers (Caruso....) ou de fermiers (Nilsson...), où chanter était une habitude. Goethe
dans son Voyage en Italie écrit que les Italiens presque partout aimaient chanter. Une
habitude qui a presque complètement disparu, même pour les mères qui s’occupent de
leurs enfants.
Les études musicales de Magda commencèrent tôt, quoiqu’elle fût aussi fascinée par l’
idée d’une carrière théâtrale, car elle était une admiratrice de Sarah Ferrati. Ses
parents désiraient qu’elle devienne pianiste, mais elle préféra chanter. Elle passa deux
auditions à l’EIAR, l’Agence Italienne de la Radio, où elle fut jugée négativement, on lui
dit qu’elle manquait de toutes les qualités pour chanter à l’opéra ! Mais à la deuxième
audition le maitre Gerussi, qui appartenait à la grande tradition de technique de chant
de Cotogni, déclara qu’elle avait bien les qualités, mais qu’elle avait été seulement
ruinée par ses enseignants. Il la prit comme élève, la soumit à des études très intenses et
difficiles, et développa en elle des capacités techniques exceptionnelles. Elle était capable
d’atteindre le sol suraigu (Callas pouvait atteindre le ré suraigu, mais dans sa carrière
rencontrait des problèmes même à tenir l’ut, que la claque à La Scala résolvait en
applaudissant quand la note était émise... comme un membre de cette claque m’a dit
récemment. Notons ici que des femmes de certaines tribus africaines, comme les
Berbères et les Pygmées, sont capables d’atteindre même les notes de l’octave sursuraiguë).
Elle pouvait avec une seule inspiration effectuer deux vocalises et plus, ce qui stupéfia
Lauri Volpi, qui était fier d’en faire une avec une seule inspiration. Il était normal pour
elle d’atteindre la fin d’un opéra sans aucune fatigue de l’organe vocal, seulement un
épuisement mental et psychologique du à la totale identification qu’elle éprouvait avec
son personnage. Une fois, après avoir chanté dans quatre œuvres en une semaine, le
laryngologiste qui était consulté par les chanteurs de La Scala lui demanda d’examiner
ses cordes vocales. Il fut très surpris de ne voir aucun signe de fatigue, comme si elle
n’avait pas chanté du tout ! Notons que le même fait caractérisait aussi Birgit Nilsson,
qui pouvait chanter cinq fois dans une semaine le rôle d’Isolde, dans l’œuvre de Wagner
la plus difficile pour un soprano, sinon la plus difficile dans l’absolu...
Grace à sa technique exceptionnelle, Magda chanta l’opéra jusqu’à cinquante ans après
son début, et probablement elle aurait continué, elle avait déjà signé des contracts avec
l’Opéra de Paris, mais elle ne se remettait pas de la perte de son mari. Mais même après
son retirement officiel elle registra une Adriana Lecouvreur en 1993, accompagnée au
piano par Carmelina Gandolfo, et une partie de la Bohème en 1999, à l’âge de 89 ans!
Et ces dernières années elle a chanté presque tous les quinze août dans l’église de Solda,
au Tirol, où elle passe l’été et avec son mari faisait de long promenades dans les hautes
montagnes de la région. Elle est membre de commissions de concours de chant (le
premier concours dédié à elle s’est tenu à Milan au mois de décembre 2007). Et elle
donne encore des leçons à de jeunes sopranos, la dernière une Napolitaine, où elle
chante elle-même les passages les plus difficiles. Une voix, pour conclure, pour 4, non
pas pour 3 générations, comme dit le titre de sa biographie écrite par Quattrocchi.
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Magda chanta pour la première fois dans un théâtre d’opéra en 1932. Elle participa aux
tournées du Char de Tespi, organisées par Achille Starace, secrétaire du parti fasciste.
Bientôt elle parut dans les grands théâtres. Au commencement elle chantait des œuvres
de la première moitié du dix-neuvième siècle, mais bientôt elle se dédia aux opéras du
vérisme avec un succès extraordinaire, spécialement dans Adriana Lecouvreur de Cilea.
Ici une anecdote : à la fin d’une performance, quand elle était dans sa loge, elle
remarqua une femme qui pleurait. Cette femme s’approcha d’elle, l’embrassa, et lui dit
: jusqu’à aujourd’hui, Adriana c’était moi, maintenant c’est toi. C’était Giuseppina
Cobelli, une des grandes sopranos des années vingt, qui bientôt disparut de la scène,
étant devenue sourde.
En 1941 Magda se maria et abandonna son travail à l’opéra, qu’elle ne considérait pas
compatible avec une vie familiale normale, et aussi à cause des problèmes logistiques
posés par la guerre. En 1946 Toscanini, qui devait inaugurer La Scala reconstruite
après sa destruction partielle par une bombe, désirait que le rôle de soprano fut tenu
par elle : il ne l’avait jamais écoutée directement, mais seulement à la radio et
l’appréciait beaucoup. Mais il n’y eut personne qui voulut la renseigner sur le désir du
maestro (plus précisément il y en avait qui ne la voulaient pas qu’elle retourne sur
scène). Ce fut alors que Toscanini choisit Renata Tebaldi, qui l’émut avec les deux
fameuses arias d’Otello.
Magda reprit sa carrière en 1951. Elle savait alors qu’elle ne pourrait jamais être mère.
En plus, le compositeur Cilea avait beaucoup insisté pour qu’elle chantât encore
Adriana, car elle exprimait parfaitement sa vision de l’héroïne. Magda répéta avec le
maestro Tullio Serafin, et c’est en cette occasion qu’il déclara vous êtes toujours le
numéro un. Dès lors, elle chanta dans beaucoup de théâtres en Italie et à l’étranger,
dans à-peu-près quatre-vingt œuvres choisies d’entre la centaine qu’elle avait étudiées.
Elle eut un succès énorme aux Etats-Unis, en particulier à Dallas et a New York. Là, au
Metropolitan, elle eut 40 minutes d’applaudissement, un record pour ce théâtre. Le
public était comme mesmérisé par son chant et son art d’actrice, et aussi par sa très
belle figure, inspirant certains à l’appeler l’Alida Valli du théâtre lyrique. On peut se
demander ce qui serait arrivé si elle avait chanté Adriana Lecouvreur, qui fut
supprimée pour des raisons que nous ne donnons pas ici.
Magda chanta avec des collègues du calibre de Pertile, Gigli, Schipa, Prandelli,
Tagliavini, Corelli, Di Stefano, Kraus, Pavarotti, Domingo, Bastianini, Protti,
Simionato, Stignani…. Il est malheureux qu’il n’y ait pas sur le marché beaucoup de
disques avec des enregistrements des rôles qu’elle chanta, en particulier il y en a très
peu enregistrés en studio. Ce désintérêt des grandes marques peut s’expliquer par le fait
que Magda ne se présenta jamais comme une diva. Elle se concentrait sur la musique et
n’avait pas de problèmes à chanter dans des villes moins grandes ou des théâtres
modestes (ça nous fait penser au grand pianiste Sviatoslav Richter qui tous les ans avec
sa voiture se rendait de Moscou à Vladivostok et donnait des concerts dans les petites
villes sibériennes où il passait). On espère toutefois que dans les archives des radios l’on
puisse trouver d’autres documents de son art.
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L’année 2007 a été dédiée à la mémoire de Toscanini 50 ans après sa mort, et de la
Callas, 30 ans après sa mort. Callas a été une très grande soprano, quoique l’on peut
considérer sa carrière comme limitée à une douzaine d’années (elle ne chanta pas
pendant son affaire avec Onassis, et quand elle retourna sur les scènes, en particulier
avec Di Stefano, sa voix avait perdu son ancienne beauté). Elle est certainement la plus
célèbre soprano du vingtième siècle, ce qui est du en partie à l’intérêt du public pour les
évènements de sa vie privée, et par l’histoire, sans aucun fondament réel, de sa guerre
avec Tebaldi. Les medias la considèrent comme la plus grande soprano du siècle. Il est
clair que décider qui fut la plus grande soprano est une tâche qu’on ne peut pas
satisfaire sur la base de raisons purement objectives, car on est inévitablement influencé
par ses goûts personnels. Mais ici nous aimons rapporter des jugements sur Olivero de
la part de musiciens qualifiés, d’où il ressort qu’on peut la considérer au moins comme
une alternative qualifiée à la Callas pour le titre de numéro un.
Du livre de Stinchelli, Etoiles de la lyrique, nous lisons :
considérons Tito Gobbi, Mirto Picchi, Magda Olivero, Gino Bechi, dont les voix qu’on ne
peut pas définir comme « belles », sont cependant enrichies de qualités interprétatives et,
dans le cas de la divine Magda, de techniques absolument exceptionnelles.
l’art peut être sans âge, voyez Magda Olivero...on ne peut pas oublier ses intenses
interprétations de....ou dans un contexte d’émotions croissantes elle émettait des paroles
tranchantes et brûlantes, que suivaient des passages pleins d’extase ou de mélancolie
d’une extrême intensité d’expression, grâce à son parfait contrôle de l’émission et de la
respiration.
Du livre Opera fanatic de Stefan Zucker, un critique musical qui produisit aussi un
documentaire où il interroge plusieurs étoiles féminines de la scène lyrique (Olivero, Iris
Corradetti, Simionato, Barbieri, Gencer, Cerquetti, Gavazzi, Pobbe, ...), nous lisons :
Si je devais choisir entre Callas et Olivero, je choisirais Olivero. Elle a plus de chaleur,
plus de profondeur et elle est plus émouvante.
J’ai un ami qui étudia et collabora avec le ténor Ettore Parmeggiani, qui fut pendant
vingt ans le premier interprète de Wagner à La Scala. A la fin de la deuxième guerre
mondiale, il devint le chef de la claque. Mon ami, Luigi Cestari, était lui aussi membre
de la claque et écouta des centaines de performances. Il m’a dit que Magda Olivero était
la seule chanteuse dont le chant pouvait vous donner le frisson.
Chère Magda, bien d’années ont passé depuis le jour où vous, une enfant de deux ans,
chantiez Torna a Surriento debout sur l’appui d’une fenêtre à Saluzzo. Nous désirons
que vous restiez avec nous encore pour beaucoup d’ années, active et en bonne santé,
même quand vos années seront plus nombreuses que celles, 101, vécues par Gina Cigna,
avec laquelle vous avez chanté une Liù très passionnée dans une Turandot des années
trente !
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La photo ici a étée faite chez Spedicato au mois d’avril 2007
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Les photos ici ont été données par la nièce Emanuela Castelbarco.
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