Libération - Editions MF

IV
•
L Le Libé des écrivains
LIBÉRATION JEUDI 19 MARS 2015
«Héros» et Thanatos
Les exactions barbares de
soldats dans l’euphorie
d’après-bataille
par Denis Jampen
DENIS JAMPEN
Héros
DR
MF «Inventions», 122pp., 12€.
SALON BRÉSILIEN
Bernardo Carvalho (Reproduction,
Métailié), Michel Laub (Journal
de la chute, Buchet­Chastel), Sérgio
Rodrigues (Dribble, Seuil), Luiz Ruf­
fato (A Lisbonne j’ai pensé à toi,
Chandeigne), et 44 autres écrivains
brésiliens sont présents au Salon du
livre (20­23 mars), Porte de Versailles.
C’est l’occasion de faire découvrir
le grand auteur du XIXe siècle, J.­M.
Machado de Assis (1839­1908, photo).
Anne­Marie Métailié propose
sept titres en format de poche. Les
Classiques Garnier publient une
édition bilingue des nouvelles Várias
histórias/Histoires diverses. Enfin,
exposition à l’Unesco, Machado de
Assis, le sorcier de Rio (7, place de
Fontenoy, 75007).
AUTRES RENCONTRES
Annette Wieviorka présente
1945, la découverte (Seuil) à la librairie
Nordest le 20 mars à 18 heures (34 bis,
rue de Dunkerque, 75010). Joëlle
Bordet présente Adolescence et idéal
démocratique (avec P. Gutton et
S. Tisseron, In Press) le 20 à 18h30 aux
Mots passants, à Aubervilliers (2, rue
du Moutier). Milena Agus et Luciana
Castellina signent Prends garde
(Liana Levi) le 20 à 19h30 à Millepa­
ges, à Vincennes (91, rue de Fontenay).
Marceline Loridan signe Et tu n’es pas
revenu (Grasset) le 24 à 18 heures aux
Cahiers de Colette (23, rue Rambu­
teau, 75004). Sanjay Subrahmanyam
présente Leçons indiennes: itinéraires
d’un historien (Alma) le 24 à 18h30
à la librairie Compagnie (58, rue
des Ecoles, 75005). Jérôme Lafargue
débat d’En territoire Auriaba (Qui­
dam), le 24 à 19h30, à la librairie Cha­
rybde (129, rue de Charenton, 75012).
•
SUR LIBÉRATION.FR
Blogs
«L’étrange disparition d’un copain
de classe», par Sarah Ichou
dans BondyBlog.
«Hajar Bali, j’attends ta réponse!»
par Samir Ardjoum dans
Chroniques algériennes.
«Arletty, Arletty, est­ce que j’ai
une tête d’Arletty?» par Raphaël
Sorin dans Lettres ouvertes.
L’île où se
déroulent
les scènes
de ce récit
éclaté n’est
pas nommée, pas
plus que la
guerre et les
armées qui viennent de la ravager. Partout dans cet espace
dévasté, dans ses jardins, son
parc, sa zone portuaire, ses
commerces, sa salle de
cinéma, circule un groupe
de guerriers tout-puissants
qui multiplient sur sa population soumise et dispersée
ses opérations de pillages,
ses exactions, ses liquidations
collectives, ses viols. Les
viols, justement, le surgissement impérieux et la satisfaction du désir sexuel, depuis
le centre même de la terreur, voilà l’une des grandes
affaires de ce court récit
(pré et postfacé par Arno Bertina), dont certains accents,
certaines visions, peuvent
rappeler le Guyotat du Tombeau pour cinq cent mille soldats et le Genet des Pompes
funèbres.
Ce sont d’ailleurs moins les
corps d’enfants et d’adolescents en tant que tels qui font
sourdre le désir parmi ces
guerriers que l’atmosphère
Le secret de Tante
Magda Paula Jacques
envoie deux orphelins
à Haïfa quinze ans
après la guerre
PAULA JACQUES
Au moins il ne pleut pas
d’impunité et d’abjection morale qu’ils ont euxmêmes instituée, dans
l’euphorie de l’après-bataille, quand vient enfin
le temps de la récompense.
Ils bandent pour le crime,
pour le milieu naturel et l’imaginaire qui lui sont propres,
plus encore que pour leurs
victimes.
Mais si ce livre de Denis
Jampen surprend et intéresse
tant, c’est peut-être moins
pour l’exploration de ce lien
bien connu entre Eros et Thanatos, que pour la beauté de sa
phrase et pour ce que dit cette
phrase de la violence. Sophistiquée, d’un rythme ralenti et
sans cesse haché, pleine de
ruptures et de sinuosités
retorses, elle est d’une précision terrible dans la description des attitudes du corps et
des gestes que déploient les
guerriers et leurs victimes
– sur un registre quasi théâtral, ritualisé – au cours des
scènes de cruauté, de barbarie
et d’étreinte dont se compose
tout le livre. Cela, cette proposition de prose radicale,
non pour esthétiser les violences commises (dignifier le
massacre par la poésie et le
raffinement), mais précisément pour dévoiler, à l’inverse, le désir et les codes
esthétiques auxquels répond
en secret chaque acte de
violence.
Stock, 352pp., 20€.
Haïfa, hiver 1959. Lola
et Solly, deux
adolescents
seuls
au
monde, débarquent
d’Alexandrie. Fuyant
l’Agence juive qui a pour habitude de séparer les enfants
d’une même famille, ils trouvent refuge chez Magda, généreuse et volubile postière de
Wadi Salib, un quartier délabré à flanc de colline. Solly se
révèle très doué pour fourguer
de fausses Rolex aux chalands
crédules du centre-ville, assurant ainsi sa survie et celle de
sa sœur – tandis que Lola se
rêve «écrivain dans la littérature», ne vivant que pour les
moments où elle peut plonger
dans «un de ces bons gros romans grâce auxquels on n’a besoin de personne». Elle se passionne pour le lien mystérieux
qui unit Tante Magda, au langage aussi cru que ses bijoux
sont clinquants, et la mutique,
la revêche Ruthie, comme elle
rescapée de Buchenwald.
Cette année-là, des émeutes
éclatent à Wadi Salib. Solly
prend fait et cause pour la
révolte des séfarades marocains, citoyens de seconde
zone guère mieux considérés
OLIVER ROHE
que les Arabes palestiniens.
Mais bientôt un autre événement enfièvre le pays. Le procès Eichmann débute à Jérusalem en avril 1961. Quinze ans
après la guerre, le génocide
des Juifs est révélé, exposé,
détaillé au monde entier. En
Israël, on donne enfin la parole
aux rescapés de la Shoah.
C’est dans ce climat bouleversé que la vie de Tante
Magda va basculer : au marché, une mendiante l’identifie
comme la blokova qui faisait
régner l’ordre à coups de matraque dans son baraquement
à Ravensbrück. Magda est arrêtée, mise en détention. Qui
croire ? Les trois survivantes
qui la tiennent pour une criminelle? Ruthie affirmant que
son amie prenait au contraire
de grands risques pour atténuer les souffrances des détenues, et qu’elle lui doit la vie?
Magda est-elle coupable de
complicité avec les nazis,
comme l’avançait Hannah
Arendt à propos des conseils
juifs des ghettos –ou une victime parmi les victimes? Paula
Jacques, dans ce roman aux
couleurs de l’aventure, prend
position à travers ce que
Ruthie déclare au juge d’instruction: «Qui serait prêt à renoncer à une chance même minime de survivre ? Refuser [la
fonction de blokova] aurait été
stupide. Personne au monde
n’aurait refusé.»
JULIETTE KAHANE
CLASSEMENT DATALIB DES VENTES DE LIVRES (SEMAINE DU 11 AU 17/03/2015)
Evolution
Titre
1
(1)
Temps glaciaires
2
(3)
Héloïse, ouille!
3
(4)
Soumission
4
(2)
Le Principe
5
(0)
La Vie des elfes
6
(0)
After (saison 3)
7
(5)
Discours à l’Académie suédoise
8
(0)
Héros de l’Olympe t.5
9 (10)
Avis non autorisés
10 (52)
Vivre sans pourquoi
Auteur
Fred Vargas
Jean Teulé
Michel Houellebecq
Jérôme Ferrari
Muriel Barbery
Anna Todd
Patrick Modiano
Rick Riordan
Françoise Hardy
Alexandre Jollien
Première semaine pour la Vie des elfes
de Muriel Barbery, qui est d’ores et déjà
promis à un avenir luxuriant, si l’on en
juge le tirage de départ (75000 exem­
plaires) décidé par Gallimard, et les
6 millions d’exemplaires vendus dans le
monde de son précédent roman, l’Elé­
gance du hérisson. Les neuf années
entre les deux livres n’ont visiblement
pas nui à la notoriété de l’auteur et ont
Editeur
Flammarion
Julliard
Flammarion
Actes Sud
Gallimard
Hugo &Cie
Gallimard
Albin Michel
Equateurs
Seuil
Sortie
04/03/2015
05/03/2015
07/01/2015
28/02/2015
12/03/0215
12/03/2015
12/03/2015
11/03/2015
04/03/2015
05/03/2015
peut­être au contraire aiguisé l’appétit
du lecteur. Dans ce nouveau roman, il est
question de deux fillettes qui entrent
en contact avec le monde des elfes et
s’engagent pour défendre l’art et la
nature. Le très fort roman de Jérôme
Ferrari (Goncourt 2012) qui met en
scène le physicien allemand Werner
Heisenberg et son principe de physique
quantique, se maintient à la 4e place,
Ventes
100
29
15
15
15
14
13
13
12
10
Source : Datalib et l’Adelc, d’après un panel de
173 librairies indépendantes de premier niveau.
Classement des nouveautés relevé (hors
poche, scolaire, guides, jeux, etc.) sur un total
de 94 173 titres différents. Entre parenthèses,
le rang tenu par le livre la semaine précédente.
En gras : les ventes du livre rapportées, en base
100, à celles du leader. Exemple : les ventes
de Héloïse, ouille! représentent 29 % de celles
de Temps glaciaires.
talonnant Michel Houellebecq, alors que
Fred Vargas et ses Temps glaciaires sem­
blent s’installer durablement et promettent
un printemps et sans doute un été en
compagnie du commissaire Adamberg aux
prises avec une affaire pas banale de
cannibalisme en Islande. Le philosophe
Alexandre Jollien fait son entrée avec Vivre
sans pourquoi, l’itinéraire spirituel d’un phi­
losophe en Corée. Brigitte Giraud