La traduction pédagogique et le bilinguisme français

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La traduction pédagogique et le bilinguisme français
Éducation et Sociétés Plurilingues n°34-juin 2013
La traduction pédagogique et le bilinguisme français-anglais au Tchad: une
proposition réaliste?
Voudina NGARSOU
Quest’articolo affronta il problema della traduzione pedagogica in Ciad, paese francofono,
in vista del raggiungimento del bilinguismo francese-inglese. Abbiamo presentato la
situazione linguistica, gli usi linguistici degli insegnanti, degli alunni e dei genitori. Per
verificare la competenza linguistica degli alunni all’ultimo anno del liceo, abbiamo
presentato loro esercizi di traduzione scolastica seguiti da verifiche. Abbiamo osservato che
la maggior parte dei problemi proveniva principalmente dalla mancata comprensione dei
testi e da una conoscenza insufficiente dell’inglese. Gli alunni che hanno effettuato
soggiorni linguistici in Nigeria hanno meno problemi dei loro compagni. La causa delle
difficoltà incontrate in Ciad è la qualità dell’insegnamento dell’inglese. Ad esempio le
lezioni sui falsi amici, sugli aggettivi possessivi, sulle preposizioni, sulle diverse forme di
futuro ecc. sono state assimilate meno bene in inglese che in francese. Eppure il livello di
bilinguismo scolastico degli alunni è incoraggiante. Bisogna altresì notare che il
bilinguismo come risultato della traduzione pedagogica non è né utopico, né impossibile,
soprattutto se è unito ad un perfezionamento culturale.
This article deals with the question of pedagogical translation whose aim, in Frenchspeaking Chad (French-English bilingualism), is either a utopia or a reality. We present the
linguistic situation as well as the language use by teachers and pupils and their parents. To
test the linguistic competence of pupils in the last class of high-school, we had them do
academic translation exercises and assessed them. We noticed that most of their problems
were due to faulty comprehension and an insufficient knowledge of English. Pupils who
had spent some time in Nigeria had fewer problems than their friends who studied in Chad.
The reason is the poor quality of English teaching. For instance, lessons on «false-friends»,
possessive adjectives, prepositions, noun formation, negative forms, various ways of
expressing the future, etc. had not been mastered in English as well as in French. Yet the
level of school bilingualism is promising: bilingualism as a result of pedagogical translation
is neither a utopia nor an impossible dream, especially if it is accompanied by linguistic and
cultural progress.
Introduction
Notre étude se situe à la fois dans le double cadre de la traduction
pédagogique et du bilinguisme. Les définitions de ces deux termes-clés autour
desquels s’articule notre sujet permettent de le cerner. En effet, la traduction
désigne une opération qui implique le contact de deux ou plusieurs langues
dont le résultat est le passage d’un message d’une langue de départ vers une
langue d’arrivée. Ce message doit tenir compte de l’équivalence sémantique,
expressive et culturelle des deux langues. Dans le cadre de cette étude, nous
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avons choisi le français, langue officielle au Tchad et l’anglais langue
étrangère. Compte tenu de la diversité des définitions de la traduction, nous
distinguerons plusieurs types: la traduction automatique, la traduction littéraire
et la traduction professionnelle, qui exigent des compétences diverses.
La traduction ne se limite pas seulement aux domaines que nous venons de
citer. Il faut souligner aussi sa ramification dans l’enseignement. Ainsi la
traduction et l’enseignement associés constituent ce qu’on appelle la
traduction pédagogique. Selon Jacob (1993: 28), «la traduction pédagogique
est une activité dont le but est principalement de permettre à ceux qui s’y
consacrent d’apprendre une langue étrangère». Il faut noter que la finalité de
l’apprentissage d’une langue étrangère est le bilinguisme partiel. Dans ce sens,
la traduction pédagogique est une stratégie didactique ayant pour but
l’application des théories de l’éducation et des méthodes d’apprentissage de
langues pour créer l’ensemble des circonstances favorables à l’éducation et à
l’apprentissage des langues étrangères.
La pratique du thème et de la version est incontournable en traduction
pédagogique. Selon Le Petit Larousse Illustré 2008, le thème désigne un
«exercice scolaire consistant à traduire un texte dans la langue qu’on étudie»
par opposition à la version, qui désigne un «exercice scolaire consistant à
traduire un texte d’une langue étrangère dans la langue maternelle», c’est-àdire, la langue première de l’apprenant.
Il serait souhaitable d’entendre par «bilinguisme», la situation où tout individu
est capable de comprendre ce qui lui est dit dans une autre langue et de se faire
comprendre également dans cette langue. Dans les situations courantes, il faut
parler d’un bilinguisme partiel, élémentaire.
Notre travail porte sur la traduction académique et le bilinguisme scolaire
français-anglais dans un cadre géographique limité: la région du Mayo Kebbi
et N’djamena, la capitale du Tchad, en raison de son caractère cosmopolite.
Nous allons présenter brièvement la situation linguistique du Tchad, puis les
usages linguistiques des élèves, des enseignants et des parents. Mais
auparavant, il est intéressant de signaler que le bilinguisme scolaire est
intimement lié au taux d’alphabétisation. Selon l’Institut de statistique de
l’Unesco (ISU), en 2011, le taux d’alphabétisation des jeunes au Tchad est de
moins de 50%, celui des adultes, moins de 50% également.
Situation linguistique du Tchad
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Le Tchad est un pays de cultures, d’ethnies et de langues variées. En effet, la
pluralité linguistique au Tchad se manifeste par la présence de langues
nationales et autres dialectes auxquelles s’ajoutent les deux langues officielles,
l’arabe classique et le français qui régissent le bilinguisme institutionnel.
Les élèves sont ainsi enseignés en français et/ou en arabe. Ces deux langues
posent incontestablement des problèmes d’apprentissage et de bilinguisme aux
élèves car elles ne sont pas leurs langues premières. Il faut préciser par
ailleurs, qu’au Tchad, il y a trois types d’écoles: établissement français,
établissement arabe et établissement bilingue franco-arabe.
Des études montrent toutefois que l’arabe classique est très peu parlé par
rapport à l’arabe dialectal tchadien qui est parlé par plus de 60% de la
population du pays. Il faut remarquer que le français est plus parlé que l’arabe
classique dans le milieu intellectuel. La situation actuelle de l’arabe classique
n’est que la manifestation de la volonté de l’Etat tchadien d’imposer dans tous
les établissements le bilinguisme intégral dénué de fondement pédagogique.
Djarangar Djita Issa, dans un article en ligne, L’arabe et le français au
Tchad::pour une éducation multilingue (http://boutik-and-co.org/L-arabe-etle-francais-au-Tchad), souligne que «l'enfant tchadien qui arrive pour la
première fois à l'école formelle, qu'il vienne de Moundou ou de Sarh dans le
sud tchadien à obédience francophone ou qu'il vienne d'Abéché ou d'AmTiman à obédience arabophone ne parle ni ce français académique, ni cet
arabe littéraire».
Les langues nationales ne sont pas enseignées dans les écoles. Quelques-unes
avaient fait l’objet de brèves expérimentations par la Mission Catholique et le
Projet allemand GTZ dans le cadre de l’enseignement de base. C’est par
exemple, le cas du massa à Bongor.
Usages linguistiques des élèves, enseignants et parents
L’arabe tchadien assure la communication quotidienne entre plusieurs groupes
ethniques au Tchad. Les enseignants francophones parlent français littéraire en
classe, mais en dehors de l’environnement scolaire, ils parlent soit l’arabe
tchadien soit le français ou encore la langue dominante du milieu dans lequel
ils vivent. En famille, les parents scolarisés parlent rarement français à leurs
enfants. Ils préfèrent l’arabe tchadien et leur langue maternelle. L’influence
des camarades de classe de différentes ethnies et du milieu est telle que les
élèves parlent plus de langues que leurs parents. Il faut aussi reconnaître que
les parents ont tendance à donner un caractère religieux et politique aux deux
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langues officielles (arabe classique et français) et déterminent par conséquent
celle que leurs enfants doivent étudier à l’école.
Le choix de langues dans la cour des écoles est déterminé par le facteur
ethnique selon le milieu. A Léré par exemple, la plupart des élèves parlent le
moundang, à Fianga, c’est le toupouri, à Bongor, c’est le massa, à GounouGaya, c’est le moussey, etc. En classe, la plupart des professeurs d’anglais
tchadiens du secondaire ont souvent recours aux langues du milieu pour
expliquer et se faire comprendre. Cela permet de faciliter l’intégration des
élèves étrangers (du pont de vue ethnique et linguistique). Quelle que soit la
langue d’appartenance des élèves, ils finissent par parler deux langues: soit
français-moundang soit français-toupouri, etc. Mais à Ndjamena, la situation
reste un peu différente parce que c’est une ville cosmopolite et les élèves
parlent plusieurs des langues du Tchad.
Dans cette perspective, il va sans dire que, dans le contexte tchadien, un
bilingue est considéré comme celui qui manie les combinaisons linguistiques
suivantes: français-arabe, français-langues nationales, arabe-langues
nationales. Mais cette considération est relative car d’autres langues reçoivent
l’attention des Tchadiens, aussi bien francophones qu’arabophones. C’est le
cas de l’anglais dont l’enseignement est d’ailleurs obligatoire de la sixième
(première année du collège) à la terminale (dernière année du secondaire),
bien que, contrairement au français et à l’arabe, cette obligation ne figure pas
dans la Constitution du Tchad.
Au Tchad, la langue anglaise est non seulement enseignée à l’école et à
l’université, elle répond aussi à plusieurs besoins. Il existe à N’Djaména
plusieurs centres d’apprentissage de langue, dont l’American Language
Center, le Centre Culturel Al-Mouna et des instituts de langue comme
l’English Language Institute Chad, qui organisent des cours d’anglais pour
permettre aux apprenants d’avoir une base solide. Dans certains
établissements privés de la capitale, l’anglais est même enseigné dès la
maternelle. Il est aussi intéressant de noter le nombre croissant des bacheliers
tchadiens non boursiers (généralement à la charge de leurs parents) qui
étudient dans des pays anglophones, tel le Nigeria.
Dans cette optique, la question peut être posée quant à la présence de l’anglais
au Tchad, pays pourtant francophone. Une des réponses serait le rapport de
force et le dynamisme culturel et linguistique. En effet, au Tchad, le français
est dominant, l’arabe classique est, répétons-le, très peu parlé, et l’anglais
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s’impose par son dynamisme sous toutes ses formes, surtout son intégration
lexicale en flèche dans le vocabulaire français.
Il faut reconnaître que les élèves tchadiens ne vivent pas l’anglais au
quotidien. Ils ne le pratiquent qu’en classe, de telle sorte que le bilinguisme
français-anglais qui émerge peut être qualifié de bilinguisme scolaire. Le
problème qui se pose donc aux apprenants est que l’anglais n’est pas pratiqué
en dehors de la classe et que les professeurs d’anglais de collège eux-mêmes
dispensent les cours d’anglais en parlant le français. Il s’agit donc d’enseigner
l’anglais à travers le français. Cette méthode ne permet pas aux élèves de se
familiariser avec l’anglais dans tous ses aspects, et limite par conséquent toute
possibilité de communication efficace en anglais.
La traduction dans les établissements francophones, se fait en français et en
anglais à travers la pratique du thème et de la version. Elle est toujours écrite.
Or, le droit à la traduction approximative des apprenants, à l’oral, devrait
aussi être encouragé. Il s’agit d’un droit à la reformulation des messages en
L1, une forme d’interprétariat empirique, informel, de guidage, pour vérifier
leur compréhension, entre pairs et avec le professeur, après une étape en L2,
avec une alternance L2-L1. Cette pratique permet aux apprenants d’identifier
eux-mêmes leurs faiblesses et les problèmes de traduction qu’ils rencontrent.
Nous exemplifierons cette démarche plus loin.
Acquisition du bilinguisme
Il existe plusieurs manières de devenir «bilingue»: dès l’enfance avec des
parents bilingues ou en apprenant une seconde langue en plus de la première
en dehors du cercle familial. Les enfants peuvent aussi atteindre un bon niveau
de bilinguisme lorsqu’ils sont en contact avec ces langues très tôt à l’école.
Cependant, l’élève peut aussi pratiquer une seule langue. C’est le cas de
l’enfant qui arrive à l’école en sortant d’un milieu familial où, avec des
parents tchadiens qui parlent français ou arabe, il apprend d’abord l’une ou
l’autre langue, puis une seconde, l’anglais à l’école par exemple ou les langues
tchadiennes présentes dans son entourage. Cela se passe le plus souvent dans
les milieux urbains. Dans les milieux ruraux, l’environnement n’est pas
favorable à l’acquisition du bilinguisme: rareté d’écoles, retard des cours,
insuffisance d’enseignants formés, analphabétisme des parents.
Bilinguisme scolaire français-anglais
Le bilinguisme français-anglais tel qu’il se manifeste dans le parler et l’écrit
des élèves est un bilinguisme scolaire issu de la motivation individuelle et de
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la compétence linguistique des apprenants. Pour ce type de bilinguisme, on
s’attend à ce que l’élève ait une connaissance linguistique moyenne de deux
langues. Si les enseignants placent immédiatement la barre trop haut, pas
étonnant qu’il y ait partout tant d’échec scolaire!
Précisons d’emblée que si la traduction pédagogique vise à apprendre une
langue étrangère, l’apprenant se fixe également comme objectif l’amélioration
de sa compétence langagière qui doit tendre à une bonne maîtrise au fur et à
mesure qu’il passe en classe supérieure, quelles que soient les langues
impliquées. Ainsi, selon Vâlcu, «un des objectifs de la formation linguistique
de l’étudiant est la compétence discursive qui implique la faculté de
comprendre et de produire des textes, activités qui constituent une pré-phase
dans l’approche de la traduction de ces textes en langue cible» (p. 183).
Processus de traduction
Dans une perspective interprétative, Lederer (1994) précisait que «[…] le
processus consistait à comprendre le texte original, à déverbaliser sa forme
linguistique et à exprimer dans une autre langue les idées comprises et les
ressentis». Ces différentes étapes passent obligatoirement par plusieurs
lectures du texte à traduire pour saisir ses composantes linguistiques et nonlinguistiques. Cette démarche permet de comprendre le texte. Ensuite, la phase
de déverbalisation est la recherche de sens, des idées qui font l’objet de la
traduction, c’est-à-dire, le message. Après la déverbalisation, il faut procéder à
la restitution du message dans la langue d’arrivée. Enfin, l’élève traducteur
procède à une lecture du texte source et de la traduction pour vérifier qu’il est
arrivé au bout sans rien oublier.
En comparant les structures linguistiques des deux langues en contact, les
élèves arriveront à se rendre compte des divergences et convergences de ces
deux langues et cultures. Ensuite, les résultats du travail des apprenants sont
soumis à une évaluation. L’ouvrage Un cadre européen commun de référence
pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer (CECRL 2000) explique que
pour rendre compte de la compétence, l'évaluation ne doit pas se focaliser sur
une performance particulière mais tendre plutôt à juger les compétences
généralisables mises en évidence par cette performance.
Evaluation de l’élève
En traduction comme dans tous les autres domaines d’enseignement, il faut
une évaluation sans laquelle l’enseignant et l’apprenant travaillent sans
objectif ni jugement, c'est-à-dire sans appréciation, correction et
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encouragement. Dans cette optique, Lee-Jahnke (2001: 258-271) remarque:
«En effet, tous les professeurs n’ont pas la même conception du rôle de
l’évaluation. Pour beaucoup, elle sert uniquement à sanctionner les travaux à
la fin du cours. Pour d’autres par contre, elle sert à aider les étudiants à
s’améliorer dans leurs performances.»
Cette amélioration porte sur la capacité de l’apprenant de faire preuve d’une
bonne maîtrise de traduction et d’un bon apprentissage de la langue étrangère.
Selon Lee-Jahnke, il y a trois types d’évaluation pour atteindre ce but:
l’autoévaluation, l’évaluation formative et l’évaluation sommative. En effet, la
première assure «une continuité des régulations qui permet à l’étudiant
d’exercer une forme de contrôle cognitif sur tous les aspects de l’opération
traduisante». D’après Prégent cité par Lee-Jahnke, (2001: 264-265), «une
évaluation est dite formative quand le professeur porte un jugement sur un
apprentissage à n’importe quel moment pendant le processus d’apprentissage,
et dans le but d’aider un étudiant à améliorer l’apprentissage en cours de
réalisation» et «une évaluation est dite sommative, quand le professeur porte
un jugement sur un apprentissage au terme de cet apprentissage comme s’il
faisait le bilan, la somme des connaissances qu’un étudiant a acquises pendant
le cours ou une étape du cours».
Toutefois, la mise en œuvre concrète de ces divers types d’évaluation exige de
prévenir et de corriger certains effets secondaires négatifs. En effet,
l’évaluation académique prend très souvent la forme d’un jugement
généralement rendu en public, ce qui renforce l’insécurité linguistique des
apprenants moyens et faibles. Loin d’aider les élèves à se corriger et à
progresser, l’évaluation joue probablement un rôle dans le «blocage» des
apprenants et la fossilisation de leurs compétences. Une pratique non
formaliste de la traduction et de l’interprétariat donnerait la parole aux élèves
pour réfléchir et discuter dans leurs langues, ce qui les aiderait à voir leurs
difficultés comme des problèmes techniques.
Quelques techniques de traduction
La pratique de la version semble plus appropriée pour vérifier la connaissance
des élèves de la langue qu’ils apprennent. Le choix des manières de traduire se
fait en fonction de la compétence linguistique des élèves. En effet, pour les
élèves ayant un niveau de bilinguisme partiel, il serait convenable d’appliquer
les techniques élémentaires de traduction telle que la littéralité, le mot à mot et
l’emprunt: la littéralité consiste à reprendre les équivalents des mots de la
langue de départ (LD) dans la langue d’arrivée (LA) tout en respectant l’ordre
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des mots et les règles grammaticales régissant la LA. Par exemple, I know that
he will come se traduit littéralement par je sais qu’il va venir. Le mot à mot est
une reproduction de tous les mots de la LD dans la LA. Par exemple, come
with your parents se traduit par viens avec tes parents, et l’emprunt consiste à
emprunter un mot de la LD à la LA tel quel: si on traduit African leaders par
les leaders africains, alors, leaders est un mot emprunté à l’anglais. Les
exercices de la version doivent être destinés à faire appliquer ces techniques.
Cependant, selon Grellet (1985-1993: 132), les «[…] transposition,
équivalence, modulation et étoffement ne peuvent être utilisés que lorsque le
texte de départ est parfaitement compris». L’évaluation et les techniques de
traduction doivent tenir compte de la compétence des élèves. La traduction des
longs textes s’apprête mieux à l’étude de contexte et s’adresse aux élèves de
niveau avancé.
Dans cette optique, là où la traduction littérale pose des problèmes, il faut
passer à la traduction oblique qui s’engage dans la transposition, la modulation
et l’équivalence. En effet, la transposition est un procédé de traduction qui
porte sur le changement d’une catégorie grammaticale ou partie du discours de
la LD en une autre dans la LA, sans changer le sens du message. Par exemple,
dans la traduction de: a hall of residence par une cité universitaire, residence
est un nom dans la langue de départ, alors que dans la langue d’arrivée, le
même nom devient un adjectif, universitaire. La modulation est un
changement de point de vue qui crée un changement partiel de sens par
rapport au message global de la langue de départ. Il y a plusieurs types de
modulation: concret-abstrait, cause-effet, tout-partie, partie-tout, modulation
par contraire négativé, etc. Par exemple, this exercise is not difficult peut se
traduire par cet exercice est facile (modulation par contraire négativé). Quant à
l’équivalence, c’est aussi une forme de changement de point de vue, mais elle
porte sur l’analyse d’une même situation. L’équivalence est aussi un procédé
utilisé pour la traduction des proverbes et des expressions idiomatiques.
Exemple, practice makes perfect a pour équivalent en français: c’est en
forgeant qu’on devient forgeron. Dans le cas où on ne connaît pas l’équivalent
de ce proverbe en français, nous proposons la traduction par explication,
surtout pour les élèves africains car les proverbes sont spécifiques aux cultures
des langues. Ainsi, nous dirons plus on s’exerce, plus on se perfectionne et
plus on devient compétent. A ce niveau, l’usage du dictionnaire monolingue
français ou anglais par les élèves est important.
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Comme nous l’avons déjà signalé, avant de faire la traduction, l’élève doit lire
le texte dans le souci de comprendre son sens linguistique et contextuel en
répondant aux questions principales que propose Grellet (1985-1993: 11-12):
Qui? Où? Quand? Quoi? Quel est le point de vue adopté dans le passage?
Quel est le ton du passage? De quel type de langue s’agit-il? à quel registre
appartient-elle?
Ensuite, l’élève doit identifier les unités de traduction (UT) qui permettent de
faire le découpage du texte en segments portant un sens. Il faut faire
comprendre aux élèves que les mots dans les UT ne doivent pas être séparés
dans la traduction et cela permet une bonne cohésion. Nous donnerons un
exemple de texte que nous découperons à la lumière du modèle de Jéremy
Munday (2001: 67). Toutefois, nous restons attaché plutôt aux apprenants qui
n’ont pas atteint un niveau de bilinguisme avancé.
Quelques techniques d’une évaluation formative
1.
Pour commencer, le professeur propose aux élèves des textes rédigés
dans un vocabulaire simple.
2.
Les élèves traduisent sans avoir recours aux dictionnaires.
3.
Après la traduction par les élèves, le professeur leur demande d’échanger
leurs copies et de se corriger les uns les autres. Chaque élève doit être
capable de se prononcer sur les traductions de ses camarades selon le
degré de sa compréhension, aussi minime soit-elle.
4.
Le professeur leur demande de poser des questions de compréhension sur
les textes, de repérer les mots difficiles, de vérifier leur sens dans les
dictionnaires monolingues et bilingues.
5.
Le professeur corrige les fautes révélées par les exercices de version
selon leur catégorie tout en fournissant des explications et conseils sur les
points à mettre en valeur. Il peut aussi procéder à la traduction visuelle,
c’est-à-dire qu’il représente le texte de départ par des images et demande
aux élèves d’interpréter les images oralement ou par écrit dans la langue
cible et vice-versa.
6.
Le professeur demande aux élèves de réfléchir sur les problèmes relevés
tout en comparant leurs traductions avec la version corrigée, puis ils
recopient les passages corrects (pour travailler, les élèves utilisent leur
matériel scolaire: manuels, dictionnaires, mais aussi cahiers). La classe
prend le temps nécessaire, ce qui la prépare à l’étape suivante.
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7.
Le professeur reconduit les mêmes textes pour une nouvelle traduction
sans permettre aux élèves de revoir la version corrigée.
8.
Le professeur doit s’assurer que les élèves ont assimilé les explications
relatives aux problèmes de traduction et qu’ils sont capables de retraduire
sans faute.
N.B.: Les élèves peuvent aussi faire de la traduction intralinguale, c’est-à-dire
dans la même langue (langue d’arrivée), par reformulation et explication, s’ils
ont compris le texte source. Cela leur permettra d’enrichir leur vocabulaire.
9.
Le professeur propose d’autres textes à traduire. Cette fois-ci, il doit
chercher à savoir si les traductions des élèves contiennent les mêmes
problèmes que les premières traductions ou non. Si les mêmes problèmes
resurgissent, c’est que les élèves n’ont pas assimilé les moyens
linguistiques ou n’ont pas compris les explications et qu’il doit les
reprendre.
10. Enfin, le professeur peut initier le prix d’excellence pour la traduction
afin de motiver les élèves à travailler davantage en encourageant l’esprit
de compétition (il peut également faire des compétitions entre équipes).
Exemples de traductions académiques des élèves dont le niveau de
bilinguisme est partiel (analyse des erreurs de traduction)
Texte source: A long journey.
Version: (1) Une longue journée.
(2) Un long jour.
Remarque: Dans cette traduction, les élèves n’ont pas fait attention au changement de sens
de journey en français.
Corrigé: Un long voyage.
Conseil: Les faux-amis sont des mots dont les formes ou les origines sont plus ou moins
proches mais ayant un sens différent.
Texte source: You are a student, aren’t you?
Version: (1) Tu es étudiant, n’es-tu pas?
(2) Tu es étudiant, ce n’est pas toi?
Remarque: Il s’agit du problème de la traduction de n’est-ce pas? en anglais.
Corrigé: Tu es étudiant, n’est-ce pas?
Conseil: N’est-ce pas est une locution qu’on utilise pour reprendre la phrase précédée par
do, does, ou did avec les verbes ordinaires au temps simple; par la reprise de
l’auxiliaire ou des verbes défectueux dans les autres cas. N’est-ce pas est à la forme
interro-négative si la phrase est affirmative.
Texte source: I am travelling tomorrow.
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Version: Je suis en train de venir demain.
Remarque: L’étudiant ne connait pas les différentes formes du futur.
Corrigé: Je voyagerai demain.
Conseil: Le présent progressif en anglais peut se traduire par le futur en français si la phrase
contient un élément indicateur de temps à venir comme tomorrow, tonight, etc.
Texte source: The man with the blue jean is an American.
Version: L’homme avec le jean bleu est un américain.
Remarque: problème de la traduction de l’article indéfini et du complément de nom précédé
de with en français.
Corrigé: L’homme au jean bleu est américain ou L’homme qui porte le jean bleu est
américain.
Conseil: En français, un nom peut être complété par un autre précédé de à préposition, alors
qu’en anglais l’autre nom est précédé de la préposition with dans le souci de
caractériser le vêtement ou de décrire une personne. De plus, en français, l’article
indéfini est omis devant un nom de nationalité attribut, utilisé avec les verbes être,
sembler, etc., alors qu’en anglais, ce nom est précédé d’un article indéfini.
Texte source: He washed his hands.
Version: (1) Il a lavé ses mains.
(2) Il s’est lavé ses mains.
Remarque: Il y a dans ces traductions des problèmes d’ambiguïté. On ne sait pas à qui
appartiennent les mains.
Corrigé: Il s’est lavé les mains.
Conseil: L’anglais comme le français se sert des adjectifs possessifs pour exprimer la
possession. L’anglais insiste sur l’idée de possession là où le français utilise le
pronom personnel (ou un pronom réfléchi) et l’article défini devant les noms des
parties du corps.
Conclusion
Les observations précédentes laissaient espérer un nouveau type de traduction
académique plus large et plus diversifiée. Cependant, des problèmes de
grammaire ne manquent pas, ce qui est d’ailleurs normal pour l’élève qui n’a
pas une maîtrise égale des deux langues. Il faut donc constamment revenir aux
fondamentaux. Au niveau avancé, l’élève pourra être initié à la recherche et
aux techniques de traduction. Pour que tout cela se réalise, il faut créer des
conditions nécessaires et suffisantes au sein d’écoles de formation en
traduction mais d’abord dans les établissements et les classes qui le
permettront, et l’on créera des ateliers de traduction. On révisera les
programmes et les méthodes d’enseignement pour mieux répondre aux
besoins des élèves et aux objectifs attendus, on fera appel à des bibliothèques
spécialisées, on organisera des séjours linguistiques à l’étranger et la classe
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V. Ngarsou, La traduction pédagogique et le bilinguisme français-anglais au Tchad: rêve ou réalité?
invitera des locuteurs natifs des langues enseignées, ou bien des locuteurs non
natifs mais expérimentés, qui répondront aux questions des élèves. Enfin on
perfectionnera l’évaluation de la réussite des apprenants, et l’on assurera le
recyclage et l’évaluation régulière des enseignants eux-mêmes.
Quel que soit le niveau de bilinguisme de l'apprenant tchadien, la traduction
pédagogique vient renforcer, améliorer ou favoriser l’apprentissage de la
langue étrangère. Toutefois, quelques questions de choix linguistique se pose à
l'apprenant tchadien: faut-il absolument opter pour les langues européennes ou
les langues africaines ou encore les deux pour être bilingue? La réponse n’est
pas simple.
Si la promotion du bilinguisme obligatoire français-arabe et des langues
nationales est conforme aux dispositions de la Constitution du Tchad, la
langue anglaise, enseignée d’ailleurs dans tous les établissements secondaires
francophones du Tchad, devrait aussi mériter un statut dans la Constitution du
Tchad.
Références
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