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Sous la direction de
André Gattolin
François Miquet-Marty
La France blessée
Une radioscopie politique
wuls HARRIS
DENOEL
4.
Jean-Marie Le Pen et l'usag e
politique de la quête des signatures
par Bruno Villalba (Craps-Lille II)
Jusqu'à la veille du dépôt des candidatures, Jean-Marie
Le Pen a fait durer le suspense : avait-il, oui ou non, le
nombre de parrainages suffisant pour lui permettre de
participer à l'élection présidentielle? Cette quête des cinq
cents signatures instaure, dans son principe, une procédure technique chargée de valider la crédibilité des candidats autodéclarés afin d'éviter un trop grand nombre de
postulants'. Fort de ses millions de voix, le FN pouvait
espérer s'attirer les bonnes grâces d'au moins cinq cents
élus... L'exercice va se révéler plus difficile que prévu,
puisqu'il faudra attendre les derniers instants pour dépasser le seuil fatidique'. Qu'importe : le FN s'emploie à
mettre cette quête au service de sa propagande politique.
L'enjeu central devient, au -delà des signatures, de dénoncer les insuffisances démocratiques du système actuel et de
se constituer une image de défenseur des valeurs démocratiques.
1. L'instauration en 1976 de la règle des cinq cents signatures dans
trente départements pour se présenter à l'élection présidentielle avait
pour but, après le record de candidatures (douze) atteint au scrutin de
1974, d'exclure les candidatures marginales. Jusqu'alors cent signatures d'élus étaient nécessaires pour se présenter.
2. Sur cette question, lire Patrick Cohen, Jean -Marc Salmon,
21 avril 2002. Contre-enquête sur le choc Le Pen, Denoél, 2003, p. 176230.
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Scandalisation et « sursaut démocratique »
La pré-campagne semblait peu favorable au FN, lequel
était obstinément perçu comme étant dans une phase
déclinante depuis sa scission de 1998. Celle -ci a entraîné
une défection d'environ cent vingt -cinq de ses «grands
électeurs» attitrés (sur les six cents qu'il alignait en 1995),
partis dans le sillage de Bruno Mégret. Parallèlement,
l'impact sur l'opinion semblait aussi en perte de vitesse.
Enfin, la personnalité de Jean -Marie Le Pen semblait
moins charismatique et plus marquée par son âge. Crédité
d'environ 8 % des voix dans les sondages au mois de janvier, concurrencé par Bruno Mégret et son MNR, il était
alors improbable que Jean -Marie Le Pen soit en mesure
de jouer les arbitres au second tour à la présidentielle de
2002.
Mais l'actualité médiatique va conforter, une fois
encore, les thématiques frontistes : l'insécurité s'impose
comme le thème prioritaire, et vient crédibiliser l'image de
Jean-Marie Le Pen. En outre, le chef du Front national
utilise son âge pour se construire une autre image, celle
d'un «sage », «apaisé» et «regrettant» même certains
de ses dérapages anciens... On a donc pu considérer, un
temps, que Jean -Marie Le Pen utilisait cette histoire de
parrainage pour créer une dynamique autour de sa campagne. Or, entre janvier et fin mars 2002, Jean -Marie
Le Pen progresse sensiblement dans les sondages (de 7 %
ou 8 % à 12 % ou 13 % et 14 % au début du mois d'avril).
Une évolution pourtant masquée par l'importance du
traitement médiatique des cas Ariette Laguiller et JeanPierre Chevènement, et la quasi-certitude d'un second
tour droite-gauche. De leur propre aveu, les responsables
du FN reconnaissent avoir eu de réelles difficultés à se
procurer les signatures, et qu'ils ont joué avec le nombre
de paraphes manquants, à la fois pour dynamiser les militants, mais aussi pour inciter les maires à les soutenir.
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Dans le même temps, cette quête prend une autre
dimension. Jean -Marie Le Pen met en scène son «mdignation ». Il commence par dénoncer l'iniquité qui le
frappe, n'hésitant pas à mobiliser les arguments les
plus classiques sur la légitimité démocratique de sa candidature : n'a-t-il pas bénéficié d'une forte dynamique
électorale dans les dernières décennies? N'est -il pas représentatif d'une partie de l'opinion publique? Mais encore
faut-il donner les raisons profondes de cette injustice: elle
s'appuie sur les stratégies élitistes du personnel politique
dirigeant, et au premier rang duquel on trouve le président Jacques Chirac.
Dès novembre 2001, ii commence à invoquer des pressions issues des cercles chiraquiens contre sa candidature . L'accusation va croissant : en mars 2002,
Jean-Marie Le Pen accuse, nommément, «Jacques Chirac
de vouloir lui barrer la route 2 » Cette interpellation
directe sera abondamment commentée dans les journaux,
mais sans faire l'objet d'investigations poussées .
Le FN dénonce un ensemble de pressions. La lettre de
«demande de parrainage» envoyée par le candidat
Jacques Chirac à tous les maires de France contiendrait,
en annexe, cette précision : «Pour la première fois, le
Conseil constitutionnel publiera la liste intégrale des
signataires sur son site Internet. » Ainsi, le RPR aurait
largement insisté sur la publication in extenso des signataires, afin de dissuader les plus indécis ou timorés des
élus. Il aurait par ailleurs favorisé le parrainage de Bruno
Mégret, afin de disperser les voix «du camp national»
1. Les sites web du FN n'ont cependant pas diffusé «les preuves»
mises en avant par Jean -Marie Le Pen.
2. Les Échos, 22 mars 2002.
3. «M. Le Pen accuse le RPR de vouloir l'empêcher de se présenter », Le Monde, 14 mars 2002; «Jean-Marie Le Pen avait créé un
faux suspense sur cette question pour occuper les médias et se poser
en martyr », L'Humanité, 4 avril 2002.
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par l'intermédiaire du député RPR Christian Estrosi . En
outre, toujours selon le FN, un tract titré «Parrainer
Le Pen c'est faire élire Jospin» aurait été adressé à plusieurs milliers de maires.
L'indignation s'accompagne d'une «juste colère»
Jean-Marie Le Pen n'hésitera pas à menacer «M. Chirac
"
et le RPR d'une apocalypse " s'il n'obtient pas ses signatures 2 »• La dénonciation s'accompagne d'actions juridiques. Le 20 mars, Jean-Marie Le Pen annonce qu'il va
poser un recours contre le Conseil constitutionnel pour
qu'il assure la «régularité des élections ». Le tribunal
administratif de Paris est saisi de cette demande, visant
«à ce que soit ordonné au président du Conseil constitutionnel, (...) de démentir par une déclaration ainsi que par
une circulaire envoyée aux citoyens habilités l'information fausse et contraire aux dispositions de l'article 3 de la
loi du 6 novembre 1962 propagée par la cellule "campagne officielle" de M. Chirac relative à une prétendue
publication sur le site Internet du Conseil constitutionnel
de la liste intégrale des citoyens habilités, signataires de
présentation de candidatures ». Mais, fort logiquement, le
tribunal administratif rejette cette demande .
Fidèle à sa stratégie d'utilisation du droit, le FN arrime
son sentiment d'injustice à la machinerie judiciaire; en se
tournant vers le droit et l'une de ses instances suprêmes, il
souhaite que nul ne puisse douter du bien -fondé de sa
démarche et de la légitimité de son indignation. Jusqu'à la
dernière minute de sa campagne, Jean-Marie Le Pen reste
fidèle à cette stratégie de dénonciation : «Le Conseil
constitutionnel a mis fin au suspense sur les parrainages,
qui n'a que trop pollué la campagne présidentielle ces dernières semaines. Je me félicite de voir que Jacques Chirac,
ses sbires et ses supplétifs, ont perdu leur pari d'éliminer
de la compétition le défenseur de la France et du peuple
français r.»
Bien sûr, le candidat Jean -Marie Le Pen se présente à
chaque élection comme un martyr, en prenant bien soin
de décliner son état de victime en fonction des contraintes
de chaque élection. Cette fois, le complot s'organiserait
au niveau médiatique et institutionnel, puisque, par ce
blocage des signatures, «on» chercherait à empêcher sa
candidature. Cette dénonciation est cependant communé2
ment partagée par les petites formations politiques
Cette conjoncture n'est pas l'apanage du seul candidat
frontiste . Pourtant, seul le FN réussit à en faire un axe
de débat, contraignant l'opinion publique et le personnel
politique à s'interroger sur sa situation.
Toute l'habilité stratégique du FN consiste à retourner
cette position inconfortable en une ligne d'action qui
contraint le personnel politique et médiatique à se justifier
et débattre du caractère démocratique ou non de son
éventuelle éviction de la course présidentielle... La dénonciation de ce complot permet donc d'associer une critique
du fonctionnement des institutions, soumises aux diktats
d'organisations politiques « sclérosées », d'un personnel politique «corrompu », qui se caractérise par son
«mépris» de l'expression populaire. De plus, le FN procède à une déclinaison locale de la dénonciation de ce
complot'. Grâce à l'instrumentalisation de sa difficile
1. AFP, 18 mars 2002.
2. Christiane Chambeau, «Jean-Marie Le Pen menace M. Chirac
"
et le RPR d'une apocalypse" s'il n'obtient pas ses signatures », Le
Monde, 25 mars 2002.
3. Tribunal administratif de Paris, ordonnance du 21 mars 2002.
1. Communiqué de presse de Jean -Marie Le Pen du 4 avril 2002.
2. Annie Laurent, Bruno Villalba (s.l.d.), Les Petits Partis, L'Harmattan, 1997.
3. Pierre Larrouturou reproche aux principaux moyens de communication audiovisuelle d'avoir insuffisamment fait état de sa candidature et d'avoir ainsi rendu plus difficile le recueil des présentations.
Recours devant le Conseil constitutionnel, décision du 7 avril 2002.
4. « Le secrétaire départemental Robert Mono n'hésite pas à parler des "pressions sur les élus" », L'Indépendant, édition de Carcassonne, 20 mars 2002.
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quête des cinq cents signatures, Jean-Marie Le Pen réussit
ce tour de passe -passe d'associer la critique de considérations procédurales à une critique du fonctionnement institutionnel de la ye République et de ses dirigeants en place.
Jean-Marie Le Pen conteste moins le principe des cinq
cents signatures et des procédures de contrôles qu'elles
engendrent' (ii y a déjà longtemps que le FN a pris
conscience des contraintes juridiques grandissantes qui
pèsent sur le système politique 2) que le détournement de
cette procédure au profit des élites en place.
Les démocrates au secours
de Jean-Marie Le Pen...
La controverse sur la question des cinq cents signatures
et l'éventuelle disqualification de Jean -Marie Le Pen dans
la course à l'Élysée va occuper le débat pendant plusieurs
semaines. Avec notamment des prises de position publiques qui ont involontairement contribué à amplifier le
travail de légitimation en oeuvre au sein du FN depuis
plus de deux ans (et dont le lissage de sa candidature n'est
qu'une expression). Mais plus fondamentalement, cette
campagne a été l'occasion pour le FN de semer un peu
plus le doute sur l'ambivalence de ses liens avec la démocratie représentative.
Jean-Marie Le Pen va bénéficier d'un soutien indirect
de la part du corps politique. On s'interroge sur la légitimité de son exclusion éventuelle alors qu'il peut se targuer
d'une inscription électorale indéniable'. Sa possible élimination, mais aussi les pressions qu'il aurait subies, sont
considérées par de nombreux acteurs politiques et médiatiques comme une atteinte au pluralisme politique.
En outre, il bénéficie du soutien d'autres petits candidats qui, en mobilisant les mêmes arguments sur leur possible exclusion, légitiment les critiques du leader de
l'extrême droite. Dans l'objectif d'assurer leur propre
place, ils renforcent l'idée que la compétition doit être la
plus ouverte possible, même à l'extrême droite. Quelques
hommes politiques ont ouvertement déclaré qu'ils souhaitaient qu'il ait ses signatures. Le 17 mars 2002, Noël
Manière a estimé qu'il fallait que Jean -Marie Le Pen dispose des cinq cents signatures : «La démocratie n'est
jamais aussi forte que quand elle laisse s'exprimer ceux
qui la combattent, comme Jean -Marie Le Pen », en ajoutant que le leader du FN était «raciste, antisémite, contre
l'Europe et finalement contre la France ». D'autres responsables politiques (comme Jean -Pierre Soisson, JeanChristophe Cambadélis...) ont, pour des raisons diverses,
souhaité la présence de Jean-Marie Le Pen dans la course
à l'Élysée.
L'opinion publique n'est pas en reste. Elle témoigne
d'une certaine ambiguïté sur ce sujet. Fortement favo2
elle est plus
rable au principe des cinq cents signatures
partagée à propos de leur obtention par le leader du
Front national. Selon un sondage CSA pour le Parisien,
51 % des électeurs souhaitent que Jean -Marie Le Pen
obtienne ses signatures contre 46 % qui ne le souhaitent
1. Stéphane Cottin, «La réception et le contrôle des présentations
de candidature à l'élection du président de la République par le
Conseil constitutionnel », Revue de droit public, 2002, n° 5, p. 1264
à 1279.
2. Bruno Villalba, Xavier Vandendriessche (s.l.d.), Le Front national et le droit, Septentrion, 2001.
1. Gilles Ivaldi, «L'extrême droite renforcée, mais toujours isolée », Revue politique et parlementaire, 2002, n° 1020-1021, p. 133
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à 149.
2. Soixante et un pour cent des Français estiment que le principe
des cinq cents signatures constitue «une bonne chose» (sondage
Louis-Harris pour AOL et Libération), réalisé les 2 et 3 avril 2002.
pas'. L'absence de certains candidats pourrait jeter
l'opprobre sur la qualité du scrutin, en restreignant artificiellement l'offre politique. Ce type d'évaluation traduit
un souci très vaguement formaliste : la démocratie se doit
de permettre, au nom de la tolérance et de la liberté
d'expression politique, que toute formation politique
puisse concourir à une élection.
Démocratie pro cédurale et démocratie de principe
À
sa manière, le FN remet en scène l'hiatus existant
entre ces procédures représentatives et leur capacité à
exprimer toutes les subtilités du social. L'idée s'exprime
sous la forme d'une corrélation basique: on pouvait certainement écarter Jean-Marie Le Pen de la course en
1981, alors qu'il était à moins de 1 %. Comment faire
alors qu'il est installé sur plus de 4 millions des suffrages 2? C'est essentiellement par le refus des conventions
politiques - et au premier titre celle du langage qu'il réalise cet incessant retour entre le présent et l'histoire
complexe de notre rapport aux logiques représentatives .
Par conséquent, il nous interroge sur le sens de notre
conception du pluralisme, dont on sait combien elle
demeure une question préoccupante dans l'élaboration
d'un projet démocratique'. Concrètement, lorsqu'il
blâme les débats autour des cinq cents signatures, le FN
critique moins l'idée d'un seuil technique que celle d'une
possible évaluation de l'acceptabilité des candidats par
1. Sondage CSA/Le ParisienlAujourd'hui en France, réalisé le
27 mars 2002.
2. Il recueille moins de 200 000 voix en 1974 (soit 0,7 % des suffrages exprimés), 4 millions de voix en 1988 (14,4 %) et près de
4,5 millions en 1995 (15,1 %).
3. Par exemple l'utilisation d'une symbolique populiste mobilise
l'idée de la fracture du peuple et de ses élites.
4. Jean-Marie Donegani, Marc Sadoun, La Démocratie imparfaite,
Minuit, 1994.
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des instances politiques (partis, dirigeants nationaux...) au
détriment d'une réelle représentativité du pays.
Ce faisant, il questionne non seulement les principes
fondamentaux qui régissent notre cadre démocratique,
mais plus encore, l'effectivité de ces principes, et notamment leurs applications concrètes. Il apporte donc une
appréciation de ces règles - d'où son travail d'interprétation de ce qu'est une «bonne démocratie» ou des
«règles justes» dans le déroulement des opérations électorales -, leur donne un sens et oblige les autres acteurs
du jeu politique (personnel politique, médias et opinion
publique) à ajuster leurs comportements réciproques.
Cela ne se traduit pourtant que par la mise en place
d'analyses purement électoralistes, domaine qui continue
d'être le moteur même de l'étude politique. Ainsi, l'hypothèse d'une absence de Jean-Marie Le Pen était présente
dans les commentaires politiques, suscitant dans ce
domaine des questions sur l'évolution de l'abstention ou
des reports de voix .
La provocation que porte le FN est pourtant plus profonde : il ne cesse d'obliger la démocratie représentative
actuelle à s'interroger sur le consensus des règles du jeu
qu'elle applique, en la renvoyant à ses valeurs générales et
imprécises de «peuple» ou de «liberté ». Cela concerne
aussi les pratiques mêmes de la représentation politique;
ainsi, paradoxalement, le FN contribue à sa manière à
redonner tout son sens à la responsabilité programmatique (agrégation des demandes, propositions de réponses, constitutions d'un discours politique...) qui incombe
aux partis politiques.
On n'a pas encore suffisamment souligné ce travail souterrain de l'idéologie du FN qui ne se limite pas à une cri1. Pierre Bréchon (s.l.d.), Les Élections présidentielles en France,
La Documentation française, 2002, p. 201 ; Nicolas Weill, «Les étatsmajors des candidats redoutent un record d'abstentions », Le Monde,
17 mars 2002.
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tique radicale des pratiques les plus contestables (mais
évitables?) du principe représentatif (comme les pratiques
financement, clientéde fonctionnement des partis
lisme...). Elle s'enracine plus profondément dans ce
rapport ambigu du peuple français avec son système partisan; celui-ci est constamment remis en cause, soit par
ses responsables (il faut se rappeler toute la suspicion du
fondateur de la ye République à l'égard des partis) ou par
le citoyen lui-même. L'idéologie du FN entend instaurer
une confrontation incessante entre les principes généraux
de notre démocratie et leurs applications. En soulignant
les décalages, le FN réactive un certain nombre de conflits
fondateurs de notre société démocratique : le sens du
conflit politique, l'image de la communauté et de ses divisions, l'autonomie de l'individu, sans oublier l'importance
de la Nation i... Bien souvent, les formes outrancières du
discours frontiste 2 ont masqué ce travail de sape, en obligeant le monde politique à réagir à ces formes provocatrices de transgression, sans réellement être en mesure de
répondre aux questions de fond. Il en est ainsi de la
réflexion sur la nature démocratique de ce parti, que l'on
n'hésite pas à disqualifier sans hésitation au niveau des
discours, mais sans que cela se traduise par une réflexion
sur les conditions mêmes de l'exercice de la représentation
politique .
Cet «épisode mélodramatique des signatures de
maires », pour reprendre l'expression de Bruno Gollnisch,
témoigne de l'énorme capacité opportuniste de la culture
partisane du FN, capable de profiter des contraintes pro1. Bruno Mégret (s.l.d.), L'Alternative nationale, trois cents
mesures pour la renaissance de la France, Front national, programme
Editions nationales, 1993, notamment le chapitre 3
«Identité ».
2. Michel Hastings, « Des mots pour faire mal », Le Monde, 2425 septembre 1996.
3. Bruno Villalba, Xavier Vandendriessche (s.1.d.), op. cit.
de gouvernement,
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cédurales pour y adapter un discours proprement politique. Ce «mélodrame» révèle toutes les hésitations de
incertaines quant à
nos démocraties représentatives
l'orientation à donner à de nouvelles formes de représentations, plus ouvertes aux volontés de la population mais
soucieuses de conserver leur rôle aux structures représentatives . La manipulation des dysfonctionnements du système démocratique permet au FN d'insister sur les
principales évolutions de notre régime politique représentatif:
- son caractère
multipartisan qui lui offre la possibilité
de dénoncer la prééminence du clivage politique droitegauche comme principale source légitime de représentativité des élus au sein des assemblées;
la permanence des doutes sur la légitimité des partis
comme seules instances de la procédure représentative
grâce à cela, il peut sans cesse mobiliser la rhétorique de
l'appel direct au peuple comme source première de la légitimité politique;
- la désaffiliation partisane (crise de l'identification
mais aussi de l'abstentionnisme, dispersion des voix, volatilité électorale, etc.) : en mobilisant la carte de l'identité nationale, il entend valoriser la constitution d'autres
sources de liens politiques en dehors des formes traditionnelles de la socialisation politique, mobilisant ainsi
la rhétorique d'un apolitisme désengagé des compromissions politiques, pour tendre vers la réalisation du bien
commun.
Le FN continue à se jouer de ces incertitudes démocratiques. A sa manière, il élabore un «projet démocratique» sur lequel les responsables politiques refusent de
s'interroger. On ne peut plus se contenter de se dédouaner
régulièrement par l'expression d'un rejet moral de l'idéologie frontiste ou de transformer les règles du jeu poli1. Bernard Manin,
mann-Lévy, 1995.
Principes du gouvernement représentatif,
81
Cal-
tique (modes de scrutins, financement...) dans l'espoir de
marginaliser ce parti. Il importe à présent de construire
une compréhension du sens politique de ce projet extrémiste. Mais cela ne pourra se faire sans une profonde
introspection des républicains sur leurs propres valeurs
démocratiques.