Paul Verlaine, Fêtes galantes - Site des Lettres Académie de Rouen

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Paul Verlaine, Fêtes galantes - Site des Lettres Académie de Rouen
Paul Verlaine, Fêtes galantes
Verlaine et Watteau
Le titre même des Fêtes Galantes est à ce point lié à l’œuvre de Watteau que l’on a rarement
mis en doute cette source d’inspiration de Verlaine.
Il est vrai que le poète a lui-même a évoqué les poèmes de son recueil dans sa Conférence
d’Anvers en ces termes (Verlaine, Oeuvres en prose, Pléiade, Gallimard, p. 902). Il écrit :
« Ces vers, entre plusieurs autres, témoignaient dès lors d’une certaine pente à une mélancolie tour à tour sensuelle
et rêveusement mystique qui vinrent deux ans environ après, costumés en personnage de la comédie italienne et de
féeries à la Watteau, confirmer plus agréablement peut-être, en tout cas mieux faits et voulus davantage les vers de
ce petit volume dès lors assez goûté : les Fêtes galantes. On peut trouver aussi là quelques tons savoureux d’aigreur
veloutée et de câline méchanceté :
PANTOMIME
Pierrot, qui n'a rien d'un Clitandre,
Vide un flacon sans plus attendre,
Et, pratique, entame un pâté.
. . . . . . . . . . . . .
LES INGÉNUS
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambes, trop souvent
Interceptés ! - et nous aimions ce jeu de dupes.
. . . . . . . . . . . . . .
LE FAUNE
Un vieux faune de terre cuite
Rit au centre des boulingrins,
. . . . . . . . . . . . . .
On a par ailleurs souligné que la première version du poème liminaire du recueil, publiée dans La
Gazette rimée le 20 février 1867 comportait le vers :
« Au calme clair de lune de Watteau »
avant que le poète ne donne la forme définitive :
« Au calme clair de lune triste et beau ».
L’allusion à Watteau est donc tout à fait assurée.
C’est pourtant cette notation elle-même qui a éveillé l’attention des commentateurs, car, en
recherchant ce « clair de lune » de Watteau, ils se sont aperçu que l’on ne pouvait trouver qu’un
ou deux tableaux qui offre un clair de lune, « Arlequin, empereur de la lune », bien entendu, mais
aussi une œuvre de 1717 intitulée « Le théâtre italien », qui montre une troupe au clair de lune.
Le théâtre italien, 1717, Gemäldegalerie, Berlin
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau10.htm
Arlequin empereur de la lune, 1707, Musée des Beaux arts, Nantes
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau2.htm
C’est peu pour former la source de la création d’un univers poétique. D’où peut alors
venir cette idée de Verlaine, qui associe le « clair de lune » à Watteau ?
Pour répondre à cette question, on doit tenter de savoir, dans toute la mesure du possible,
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
si Verlaine connaissait précisément les œuvres de Watteau avant la composition de son recueil.
Or, si l’on peut être assuré qu’il connaissait Embarquement pour Cythère , tableau qui était exposé au
Louvre avant cette date, il n’avait sans doute pas une connaissance directe de la plupart des autres
œuvres désormais célèbres mais qui, à l’époque, se trouvaient dispersées chez des
collectionneurs : elles n’entreront que plus tard dans les Musées nationaux. Ceux de l’importante
collection Lacaze, par exemple, ne seront exposés que l’année qui suit la publication du recueil de
Verlaine. Nous ne sommes pas même assurés qu’il ait pu voir une exposition qui eut lieu à la
Galerie Martinet en 1860 qui présentait notamment Gilles, L’indifférent, Le faux pas et La Finette,
tableaux qui seront, par la suite, exposés au Louvre.
Les commentateurs considèrent donc Verlaine a connu le monde de Watteau essentiellement
par d’autres sources :
- les gravures qui étaient publiées dans des Revues, comme la Gazette des Beaux-arts de
Charles Blanc qui avait par ailleurs publié, en 1854 un ouvrage qui comportait 43
planches, Les Peintres de la vie galante ;
- les analyses et commentaires d’auteurs contemporains, comme Les Goncourt auteurs de
L’art au XVIIIe siècle (1859), ou Caylus, auteur d’une célèbre Vie de Watteau (1748) ;
- Les évocations poétiques de Théophile Gautier, Watteau (1838) ou Baudelaire dans un
quatrain des Phares (Les Fleurs du Mal, 1857) ;
- les œuvres picturales et les gravures d’autres auteurs comme Pater ou Lancret, proches de
l’univers de Watteau.
Voici, par exemple, ce que l’on peut lire dans l’ouvrage de Charles Blanc (p. 18) :
« Voyez, en effet : ne voilà-t-il pas bien, sous ces grands arbres, derrière ces éventails
mobiles, et dans leurs longues robes de soie, toutes ces adorables femmes... ? Et ces
élégants gentilshommes qui s'inclinent et offrent le bras avec tant de grâce, en cherchant
de l'œil les allées tournantes et mystérieuses, n'étaient-ils pas à Versailles tout à l'heure ?
Et le paysage lui-même, plein de cascades et de blanches statues à demi perdues dans le
feuillage, n'est-il pas bien le paysage de ce siècle qui aima tant à faire monter les jets d'eau
dans les arbres, à endormir les naïades au bord des fontaines ? »
Elégants, élégantes derrière leurs éventails, allées ornées de blanches statues... ce sont bien des
éléments du monde de Watteau qui apparaissent dans la poésie de Verlaine.
RENVOI vers les textes :
- les commentaires des Goncourt, dans L'Art du dix-huitième siècle (1859)
- le poème de Théophile Gautier,
- le quatrain des Phares de Baudelaire qui évoque Watteau
- ou un extrait de la Vie de Watteau par Caylus.
Paul Verlaine, Fêtes galantes
Les mots de la fête champêtre
Un simple relevé permet de dégager les éléments les plus caractéristiques du monde de
Watteau transposés par Verlaine.
Clair de lune
Pantomime
Les décors
Paysage choisi
Les arbres
Les grands jets
d’eau sveltes
parmi les
marbres
L’avenue
Sur l’herbe
Les ambiances
Calme clair de
lune
Clair de lune
Allée
Allée où verdit la
mousse des vieux
bancs
A la
promenade
Arbres grêles
Humble bassin
Ombre des bas
tilleuls de
l’avenue
Ciel pâle
Vent doux
Lueur...
mourante du
soleil
Dans la grotte
Pierrot
Cassandre,
Arlequin
Colombine
Abbé
Marquis
Nos bergères
Trompeurs exquis
et coquettes
charmantes
Les amants lutinent
les amantes
Les costumes
Masques et
bergamasques
luth
déguisements
fantasques
Les visages
Perruque
nuque
fardée
Le temps des
Bergeries
Nœuds et rubans
Sa longue robe à
queue / bleue
Eventail / sujets
érotiques vagues
Blonde / éclat un
peu niais.
Costumes clairs
Mouvement d’ailes
Clymène
Déclaration
d’amour
(préciosité)
Les ingénus
Sous les branches Un soir
équivoque
d’automne
Cortège
Par les escaliers
Singe en veste de
brocart
Elle
Négrillon qui
soutient
Les coquillages Grotte
En patinant
Les rôles
Hauts talons
Longues jupes
Nuques
blanches
la lourde robe
La gorge
blanche
Pâleur,
langueur
Nuque rose
Les saisons de
l’amour
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
En bateau
Le Faune
Mandoline
À Clymène
Les décors
Dans l'eau plus
noire et le pilote
l'esquif en sa
course brève
File gaîment sur
l'eau qui rêve.
Un vieux faune
de terre cuite
Rit au centre des
boulingrins,
Sous les ramures
chanteuses.
Les ambiances
L'étoile du berger
Cependant la lune
se lève
Les rôles
Les costumes
Le chevalier Atys,
guitare,
Chloris l'ingrate
L'abbé confesse
bas Églé,
ce vicomte déréglé
Mélancoliques
pèlerins
tambourins.
D'une lune rose et
grise,
Parmi les frissons
de brise.
Les donneurs de
sérénades
Et les belles
écouteuses
Tircis , Aminte,
Clitandre, Damis
la mandoline jase
Leurs courtes
vestes de soie,
Leurs longues
robes à queues,
Leur élégance,
leur joie
Et leurs molles
ombres bleues
Mystiques
barcarolles,
Romances sans
paroles...
De ta pâleur de
cygne
Lettre
Les indolents
Non loin de
deux sylvains
hilares
Les visages
Ce soir-là
Colombine
Belle compagnie
Sylvanie
Amant bizarre
Tircis
Dorimène
Léandre le sot,
Pierrot
Franchit le
buisson,
Cassandre
Arlequin aussi,
Une belle enfant
Tout ce monde va,
Rit, chante
L'Amour par
terre
Amour /
bandant son arc
le coin le plus
mystérieux du
parc,
marbre
piédestal
débris dont
l'allée est
jonchée.
ondes de gazon
roux
chênes noirs
Le vent de l'autre
nuit
Parmi les vagues
langueurs
Des pins et des
arbousiers.
Le rossignol
chantera.
le soir
Colloque
sentimental
Dans le vieux
parc solitaire et
glacé
ils marchaient
dans les avoines
folles
Et la nuit seule
entendit leurs
paroles.
Couple d’amants
Deux formes ont
tout à l'heure
passé.
Deux spectres ont
évoqué le passé
Aux costumes
fous,
Son masque,
La rose au
chapeau,
Paul Verlaine, Fêtes galantes
Examinons rapidement ces cinq éléments.
I.
Le lieu : un parc
Le tableau qui permet le mieux de le comprendre est sans doute
L’assemblée dans un parc, Musée du Louvre, Paris (don Lacaze, 1869)
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau28.htm
On regardera également, pour les comparer, quatre autres œuvres
Assemblée à la fontaine de Neptune (1714), Musée du Prado, Madrid
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau23.htm
http://museoprado.mcu.es/index.php?id=50
Les plaisirs de l’amour (1719), Gemäldegalerie Alte Meister, Dresden
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau30.htm
Les Champs Elysées (1719), The Wallace Collection, London.
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau32.htm
Jeux de plein air (1721), Gemäldegalerie, Berlin
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau37.htm
1. Verlaine place ses personnages « sous les ramures », « sous les grands arbres », « sous
une charmille », comme dans les décors de Watteau où les personnages sont dominés par les
arbres qui réfléchissent une douce lumière de fin de journée ou de fin de saison. Le personnage
central de L’assemblée dans un parc, une femme aperçue de dos, contemple le soleil couchant qui
dore le feuillage des arbres de la perspective. On aperçoit dans l’ouverture de cette perspective,
une statue de marbre. La lumière douce est reflétée par l’eau d’un « humble bassin »
L’assemblée dans un parc, Musée du Louvre, Paris
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau28.htm
2. Dans tous ces décors apparaissent des statues aux motifs plus ou moins clairement
érotiques, comme des Nymphes endormies, Vénus désarmant l’amour
On notera tout d’abord que, dans les quatre tableaux cités, la sculpture est l’objet de la
contemplation de la part des personnages. Le plus souvent, il s’agit d’un couple, mais dans tous
les cas, l’un des personnages est distrait et détourne le regard vers un autre spectacle, celui d’un
autre couple occupé à d’autres plaisirs. Il n’y a que le personnage du tableau intitulé « Les champs
Elysées » qui demeure en contemplation solitaire devant la statue représentant une nymphe
endormie.
Cependant, s’il est impossible de distinguer précisément le groupe de la fontaine de Neptune, on
voit parfaitement que la statue des « Plaisirs de l’Amour » représente « Vénus désarmant Cupidon » :
scène maintes fois représentée aux XVIIe et XVIIIe s., mais qui prend ici un sens hautement
symbolique. En désarmant son fils, Vénus enlève les dangers de l’amour : il ne reste que le plaisir
des jeux amoureux sans la crainte que le cœur ne soit blessé... Nul doute également que la scène
représentée dans « Les Champs Élysées » ne soit le motif souvent repris de la nymphe endormie
surprise par un satyre.
On comparera l’attitude de la nymphe avec celle du célèbre tableau de Watteau, Nymphe et satyre,
(ou Jupiter et Antiope, 1712-1714) :
http://galatea.univ-tlse2.fr/pictura/UtpicturaServeur/GenerateurNotice.php?numnotice=A0930
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=10170
Ces scènes dont l’érotisme discret est voilé par la référence mythologique ont toutes un caractère
symbolique : l’amour sans épines, le désir indiscret qui profite du sommeil innocent d’une
nymphe... Pour la dernière sculpture, qui semble représenter des jeux champêtres d’enfants avec
une chèvre, elle rappelle le motif du Faune et renvoie à l’univers de la pastorale évoqué également
par Verlaine.
On s’aperçoit alors que Verlaine a recomposé un décor qui s’inspire sans doute de l’univers de
Watteau mais n’est guère la copie de telle ou telle œuvre : synthèse plutôt d’un ensemble qui doit
exprimer plus un « paysage intérieur » qu’être le simple décor d’une fête champêtre.
3. L’ambiance est plutôt celle – incertaine et mélancolique – d’une fin de journée, quand
les personnages deviennent presque des ombres dans la « lumière mourante » du soir. Cette
lumière mélancolique et souligne le contraste entre les jeux de la fête et l’état d’âme rêveur des
personnages.
4. Enfin, dans les derniers poèmes de Verlaine, on voit combien ce parc se dégrade : les
statues brisées, tombées de leur piédestal révèlent qu’elles n’étaient qu’un décor sans âme. Et le
« gazon », désormais envahi par les « avoines folles » ne permet plus qu’on s’asseye pour des jeux
amoureux : les anciens amants sont désormais emportés dans une « marche » perpétuelle.
II.
Le moment
Nous avons déjà vu que les « moments » des Fêtes Galantes de Verlaine ne correspondait
pas comme une simple copie de ceux qu’évoque Watteau. Ce que recherche Verlaine, dans le
« Clair de Lune » qui apparaît dans de nombreux poèmes, c’est un type de lumière qui à la fois
éclaire sans totalement dévoiler, souligne le caractère brillant des costumes sans qu’ils puissent
apparaître vraiment lumineux.
C’est alors le terme de « mélancolie » qui paraît le plus approprié, selon la définition même du
Dictionnaire Robert :
REM : La mélancolie, d'abord considérée comme un état désagréable ... devient, avec le
préromantisme surtout... un état voluptueux, de rêverie désenchantée, mais douce, thème
favori des écrivains. La tristesse est plutôt accablante, et la mélancolie, vague : l'une fait gémir, et
l'autre rêver; l'une accable l'âme par le souvenir douloureux des malheurs qu'on a réellement
éprouvés, l'autre n'a pas de cause fixe, c'est une inclination à tout voir en noir, une simple
disposition à la tristesse.
LAFAYE, Dictionnaire des synonymes
Douce mélancolie, aimable mensongère,
Des antres, des forêts déesse tutélaire,
Qui vient d'une insensible et charmante langueur
Saisir l'ami des champs et pénétrer son cœur (…)
ANDRE CHENIER, Élégies, XIII
Paul Verlaine, Fêtes galantes
On trouvera dans l’Art poétique de Verlaine l’évocation de ces instants particuliers, tout en
« nuance » qui mêlent la beauté et une impression de vague tristesse.
« Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière des voiles
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est par un ciel d'automne attiédi
Le bleu fouillis des claires étoiles! »
III.
Les personnages
Les personnages des fêtes galantes sont des « masques » qui appartiennent à
plusieurs registres :
- la comédie italienne
- la bergerie
- la fête du XVIIIe siècle
Trois œuvres permettent particulièrement de rendre cette diversité
1. Le théâtre italien (1717) Gemäldegalerie, Berlin.
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau10.htm
(Voir également Arlequin, empereur de la lune, Musée des Beaux-Arts, Nantes
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau2.htm)
2. Le théâtre français (1714) Gemäldegalerie, Berlin.
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau42.htm
(Voir également Les acteurs français (1720) The Metropolitan Museum of Art, New York
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau1.htm
3. Gilles ou Pierrot, Musée du Louvre (Oeuvres choisies / Gilles)
http://www.louvre.fr/llv/oeuvres/detail_notice.jsp?CONTENT%3C
%3Ecnt_id=10134198673237642&CURRENT_LLV_NOTICE%3C
%3Ecnt_id=10134198673237642&FOLDER%3C
%3Efolder_id=9852723696500815&fromDept=true&baseIndex=5
On trouve aussi la reproduction dans l’article Watteau de Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:WatteauPierrot.jpg
Pour la comédie italienne, on remarquera le personnage de Mezzetin. Il est intéressant en effet de
comparer l’œuvre exposée au Metropolitan Museum de New York (Mezzetin)
http://www.ibiblio.org/wm/paint/auth/watteau/i/mezzetin.jpg
http://www.metmuseum.org/works_of_art/collection_database/european_paintings/Mezzetin/
viewObject.aspx?&OID=110002379&PgSz=1
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau36.htm
avec le « Personnage en habit de Mezzetin » de la Wallace Collection de Londres. Elles révèlent en
effet quelques ressemblances avec celui de Pierrot. Car pour le théâtre « français », inspiré de la
comédie
italienne,
Watteau
semble
avoir
une
prédilection
pour
Pierrot
Sérénade italienne (1718), National Museum, Stockholm.
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau11.htm
Gilles ou Pierrot (1718) Musée du Louvre, Paris.
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau14.htm
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau13.htm
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=10175
Dans le célèbre tableau du Louvre, Pierrot (ou Gilles), derrière le personnage de Pierrot on aperçoit
Léandre et Isabelle, ainsi que le docteur sur son âne...
Si les costumes de la comédie italienne sont facilement reconnaissables, il ne faut pas négliger
ceux de la comédie « à la française » qui prend souvent ici la forme de la « bergerie ». On le trouve
précisément dans le poème l’Allée. Or il est probable qu’un tableau comme Le plaisir pastoral se
veut la représentation idyllique de la vie à la campagne ou bien une mascarade. La tenue des
personnages donne plutôt à penser qu’il s’agit d’un jeu, même si, dans le décor, apparaissent des
moutons et un clocher de village.
Le plaisir pastoral (1714), Chantilly, musée Condé
Base Joconde : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr
« La scène est une idylle pastorale. Ces jeunes “bergères” sont vêtues de soies fines, et le public de
l’époque aura vu une promesse érotique dans cette exposition de petits orteils roses. Les visions
idéalisées de la vie à la campagne étaient fréquentes au XVIIIème siècle sur la scène et dans les
bals masqués. »
Watteau, Galerie 54 – Document de présentation du Louvre
http://www.nga.gov/collection/pdf/gg54fr.pdf
Le genre pastoral a eu un grand succès aux XVIIIe siècle. Voici comment l’Encyclopédie
Wikipédia le définit :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_pastoral
« Tous ces textes ont des caractéristiques communes qui définissent avec précision le genre
pastoral :
- les personnages sont des bergers, non pas de misérables gardiens de troupeaux mais des fils
et filles de personnes bien nés qui ont choisi de vivre à la campagne loin des intrigues et des
envies...
- les troupeaux demandant peu de soin, les personnages passent leur temps à parler de
l’Amour, soit d’une façon quelque peu abstraite évoquant la fidélité, les devoirs de l’amant...,
soit en racontant leurs amours malheureux. La chasteté des rapports amoureux va de soi.
- les personnages disparaissent pratiquement du récit lorsqu’ils sont mariés.
Les trois caractéristiques précédentes montrent que la littérature pastorale est une littérature
d’évasion, par laquelle le lecteur ou la lectrice peut rêver à ce qu’aurait pu être sa vie
sentimentale dans un monde sans intrigues, sans envies et sans problèmes matériels. »
Après avoir évoqué l’affaiblissement du genre, l’auteur conclut : « Quoiqu’il en soit, on sait que la
reine Marie-Antoinette aimait beaucoup la lecture de l'Astrée et qu’elle se fit construire le hameau
du Trianon à Versailles en 1783 ». C’est à ce monde du roman pastoral et de la pastorale
qu’appartiennent Tircis, Aminte, Clitandre, Damis ; le chevalier Atys, Chloris l'ingrate, Églé, le
vicomte déréglé, sont plutôt des personnages de la fête du XVIII e siècle dont une représentation
apparaît dans le tableau
Les plaisirs du bal (1717), Dulwich Picture Gallery, Londres
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau41.htm
IV.
Les costumes
Si le jeu de troupes de théâtre est divers, les habits de tous ceux qui font la fête peuvent
Paul Verlaine, Fêtes galantes
apparaître semblables grâce aux caractéristiques communes :
- leur caractère élégant
- leur aspect brillant (soie) : les plis accrochent la lumière.
- leur raffinement quelque peu désuet.
Tous ces éléments prennent une valeur symbolique, car l’habit apparaît comme une parure, un
déguisement – ce sont des habits de parade plus que de véritables vêtements. Dès lors, qu’il
s’agisse d’un costume de théâtre ou de l’habit de fête, chacun se trouve en représentation.
Ainsi il faut contempler le tableau L’Indifferent qui montre un jeune homme tout paré pour
la fête : chaque détail de son vêtement indique le raffinement : harmonie des couleurs, délicatesse
des étoffes et des dentelles, grâce du geste, élégance de la marche. Pourtant on ne trouve pas,
sous cette apparence, une réelle personnalité : le visage paraît vide d’expression, comme si toute
la richesse intérieure s’était effacée devant la brillance extérieure. Même affectation pour La
Finette dont le délicat visage apparaît à peine au dessus de la fraise et dont le corps disparaît sous
l’abondance des plis d’une robe qui capte toute la lumière. Et son visage de poupée de porcelaine
ne laisse guère transparaître de sentiment.
« Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur... »
L’Indifférent (1717) Musée du Louvre, Paris
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau19.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Antoine_Watteau_010.jpg
La Finette (1717) Musée du Louvre, Paris
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau20.htm
V.
Les visages
Ils paraissent souvent manquer de sentiments. Cette « absence » que nous avons
entrevue, transparaît dans la plupart des toiles et devient sensible aussi grâce aux attitudes des
personnages. Les couples ne paraissent pas unis par un sentiment commun, ils échangent
rarement des regards. A maintes reprises l’un des deux personnages du couple détourne la tête
tandis que l’autre semble lui parler d’amour, et nous ne sentons pas dans ce mouvement un
réflexe de pudeur, mais de l’indifférence. De même, le peintre a représenté de nombreux
personnages de dos : nous les voyons s’éloigner tandis que, dans un bref mouvement, l’un
regarde ailleurs, vers un autre couple enlacé ou vers le lointain...
Un couple d’amoureux dans l’Embarquement pour Cythère (1717) Musée du Louvre
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau16.htm
C’est alors que l’on aperçoit la blancheur et la pureté des nuques des femmes, notée à
plusieurs reprises par Verlaine. Cette délicatesse touchante devient un symbole : tout paraît
fragile, comme cet instant sans réelle temporalité que le peintre a voulu saisir.
Détail du tableau Les deux cousines (1717-1718) Paris, Musée du Louvre
http://www.latribunedelart.com/Expositions_2004/Watteau_-_Les_deux_cousines.jpg
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=1066
Détail du tableau Le faux pas (1717)Musée du Louvre
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau35.htm
Les personnages paraissent vivre une sorte d’irréalité légère qui ressemble à celle que
Paul Verlaine cherche aussi à peindre :
« Votre âme est un paysage choisi... »
Mais lorsque le soir descend, que le temps fait son œuvre, que reste-t-il de ce « paysage choisi » ?
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
Le monde de Watteau recomposé.
Ce n’est donc pas une simple imitation de Watteau que nous propose Verlaine dans les
Fêtes Galantes. Son adaptation thématique a trouvé bien des filtres : les textes de ses contemporains
qui interprétaient eux-mêmes le monde de Watteau, sans aucun doute, mais aussi sa propre
sensibilité. On saisit ainsi, par exemple, qu’à partir d’une certaine «distance » - un certain
détachement - que les personnages de Watteau semblent avoir avec le monde dans lequel ils
vivent leurs fêtes, Verlaine compose des poèmes d’une mélancolie douce-amère, « mélancolie tour
à tour sensuelle et rêveusement mystique », selon sa propre expression. On pourrait aussi voir comment
les « guitares » du monde de Watteau, deviennent « luth » ou « mandoline » chez Verlaine.
Personnage en habit de Mezzetin » de la Wallace Collection de Londres.
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/p-watteau36.htm
Le donneur de sérénade, Chantilly, Musée Condé
http://cgfa.sunsite.dk/watteau/p-watteau12.htm.
On peut saisir cette étonnante transformation de façon plus précise grâce au poème
Cortège :
Cortège
Par les escaliers
Singe en veste de
brocart
Elle
Négrillon qui
soutient
la lourde robe
La gorge
blanche
En effet, on ne trouvera pas de tableau de Watteau qui renvoie directement à de telles
images, mais on trouve chez le peintre des compositions qui semblent se rapporter à l’une ou
l’autre de ces notations.
On trouve ainsi de jeunes serviteurs noirs :
Trois études de jeune noir, Paris, Musée du Louvre, département des Arts graphiques
Base Joconde : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr
http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0189/m503501_d0227995-000_p.jpg
Les coquettes, (1718) Musée de l’Ermitage de Saint-Petersbourg
http://cgfa.sunsite.dk/watteau/p-watteau8.htm
Les plaisirs de la vie (1718) The Wallace Collection, Londres
http://cgfa.sunsite.dk/watteau/p-watteau24.htm
Toutefois, en aucun cas, le regard du jeune garçon ne se tourne vers une « gorge blanche » de
femme.
Pour trouver un tel motif, il faut se référer au tableau étonnant qui montre un singe
sculpteur dont le regard est tourné vers la « gorge blanche » de la femme qu’il sculpte dans le
marbre
Le singe sculpteur,(1710) Musée des beaux arts d’Orléans
(Reproduction dans l’article « Le secret de Watteau »)
http://belcikowski.org/la_dormeuse/watteau.php
Et ce singe s’il est vêtu de rouge (comme le singe peintre de Chardin
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=10842
ou le singe antiquaire du même peintre
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=10864)
Paul Verlaine, Fêtes galantes
ne porte pas un habit de brocart !
Par ailleurs, dans aucun de ces tableaux, on ne trouve d’escalier ; pas de « cortège » chez Watteau.
Mais quelques éléments du tableau de Jean-Baptiste Pater1 « Le baisé rendu »,
(http://www.muzeocollection.co.uk/data/modules/oeuvre/76/ff/76ff205a54e38b06-grandbaiser-rendu-illustration-contes-jean-fontaine-pater-jean-baptiste.jpg) illustration d’un conte de La
Fontaine, semblent correspondre : un jeune homme noir tient la traîne d’une dame ; mais cette
dame n’est pas « indifférente », puisqu’elle rend un baiser et le page se penche pour contempler
cette scène !
Enfin on voit apparaître un « cortège » dans un poème de jeunesse d’Alphonse Daudet, intitulé
"Dessus de porte" ; et dans ce poème, il cite Watteau !
« Les marquises ébriolées,
Au bras d'un abbé de salon,
Font sur le sable des allées,
Craquer leurs mules à talons ;
Des négrillons, marchant derrière,
Portent la robe et l'éventail,
Ou, sur l'herbe de la clairière,
Disposent des flacons d'émail ;
La brume gaze, léger voile,
Les derniers plans de ce tableau ;
Enfin, dans un coin de la toile,
Le grand maître a signé Watteau. »
(Cité par Pascal Bergerault dans un cours de l’Université de Tours « Du « Baisé rendu » (sic) de
Watteau/Marks à Cortège de Verlaine ». Ce cours n’est plus accessible sur Internet, mais il est cité
dans un Blog.)
Mais l’on recherche aussi en vain le tableau évoqué par Daudet.
Ce serait donc à partir de quelques détails, en prenant des images éparses dans le monde
de Watteau et d’autres peintres, comme Pater, - ainsi que des éléments littéraires, comme le
poème de Daudet qu’il connaissait peut-être - , que Verlaine reconstruit une fable qui prend chez
lui une autre valeur morale. Nous voyons chez Watteau des amants dont les regards parfois
blessent la pudeur de leurs compagnes. On remarque
- le geste de la femme qui repousse le jeune homme sur le tableau
Assemblée dans un parc, Musée du Louvre, Paris
http://cgfa.sunsite.dk/watteau/p-watteau28.htm
- le regard indiscret d’un jeune homme aux pieds d’une jeune femme (scène à droite sur le
tableau) dans L’ Embarquement pour Cythère, Schloss Charlottenburg, Berlin
http://cgfa.sunsite.dk/watteau/p-watteau17.htm
- la manière dont la jeune femme se défend dans
Le faux pas, Musée du Louvre, Paris
http://cgfa.sunsite.dk/watteau/p-watteau35.htm
Ces personnages deviennent chez Verlaine un jeune page et un singe qui tous deux manifestent
1 Jean-Baptiste Pater est un peintre français (1695-1736) qui fut l’élève de Watteau.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Pater
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?
ACTION=CHERCHER&FIELD_2=AUTR&VALUE_2=PATER%20JEAN-BAPTISTE
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm
un intérêt indiscret pour les charmes de la dame qu’ils servent. Mais cette dame, telle une déesse,
n’a pas conscience de l’intérêt qu’elle suscite. Le poète veut-il représenter simplement
l’indifférence de cette belle aux « hommages » de ses « animaux familiers », terme générique qui
engloberait non seulement son animal de compagnie et son petit page, mais tous les galants qui
ne sont pas des « dieux » ? Ou devient-elle l’image de la beauté inaccessible, indifférente aux
hommages des « singes » que sont ses admirateurs ?
Verlaine se sert donc du monde de Watteau mais il en réinterprète les « signes » d’une
manière toute personnelle. L’œuvre créée est alors originale.
Bibliographie sommaire
BORNECQUE Jacques-Henry, Lumières sur les Fêtes galantes de Paul Verlaine, Paris, Nizet, 1969.
BLANC Charles, Les Peintres des Fêtes galantes, Paris, 1854.
Collectif, Catalogue Watteau et la fête galante, par Martin Eidelberg, avec des essais de Barbara
Anderman, Guillaume Glorieux, Michel Hochmann et François Moureau. Editions de la Réunion
des Musées Nationaux, 296 p., 2004
GONCOURT Edmond et Jules de, l'Art du XVIIIe siècle, Watteau, Chardin, La Tour, Boucher, Paris,
Eugène Fasquelle éd., 1902 (cf. aussi Paris, Charpentier, 1881-1882).
MURPHY Steve (études réunies par), Paul Verlaine, L’Ecole des Lettres II, Paris, L’école des
loisirs, juillet 1996, n° 14.
NURIDSANY Michel, Ce sera notre secret, Monsieur Watteau, Paris, Flammarion, 2006
RICHARD Jean-Pierre, "Fadeur de Verlaine", dans Poésie et profondeur, Paris, Le Seuil, 1955.
ROSEMBERG Pierre et PRAT Louis-Antoine, Catalogue raisonné des dessins de Watteau
1684-1721, Gallimard, 1996
TEMPERINI Renaud, Wateau, Paris, Gallimard, 2002
Sites
Base Joconde (189 entrées)
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?
ACTION=CHERCHER&FIELD_98=AUTR&VALUE_98=WATTEAU
%20Antoine&DOM=All&REL_SPECIFIC=1
Le Louvre (Rechercher : Watteau)
http://www.louvre.fr/llv/oeuvres/liste_departements.jsp?bmLocale=fr_FR
Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Watteau
Musée de Chicago (douze oeuvres)
http://www.artic.edu/aic/collections/search/citi/artist%3AWatteau
CGFA (plus de trente oeuvres)
http://cgfa.floridaimaging.com/watteau/index.html
Texteimage / Louvre.edu
http://www.texteimage.com
http://www.louvre.edu/index_louvre.php
Paul Verlaine, Fêtes galantes
« Ce sera notre secret, monsieur Watteau », de Michel Nuridsany
http://belcikowski.org/la_dormeuse/watteau.php
L’Encyclopédie de l’Agora
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Watteau
La tribune de l’art, Watteau et la fête galante
http://www.latribunedelart.com/Expositions_2004/Watteau_fete_galante.htm
Texte édité par des professeurs de l’Académie de Rouen - http://lettres.ac-rouen.fr/verlaine/index.htm