Le sens de la « kuèsis » dans la perspective des mythes de la

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Le sens de la « kuèsis » dans la perspective des mythes de la
ANNE GABRIÈLE WERSINGER |
Le sens de la « kuèsis »
dans la perspective
des mythes de la
gestation (Banquet
201d-212b)
23
Diotima and kuèsis
in the light of the
myths of the god’s
annexation of pregnancy
(Symposium 201d-212b)
Anne Gabrièle Wersinger
Université de Reims/CNRS Jean Pépin
RÉSUMÉ
ABSTRACT
de Diotime dans le Banquet de Platon (201d-212b),
seems rather surprising: men’s desire is to be-
est que l’érôs masculin est tourné vers la kuèsis.
come pregnant. Scholars have pretended that
On a prétendu que, appliquée aux mâles, la kuèsis
kuèsis applied to males must be interpreted in a
ne pouvait avoir qu’un sens métaphorique, mais
metaphorical sense, but this prohibits under-
cela interdit de comprendre pourquoi Diotime
standing why Diotima chooses this metaphor
choisit cette métaphore plutôt qu’une autre. A
rather than another. In the light of the mytholog-
la lumière des traditions remontant à Hésiode,
ical traditions going back to Hesiod, Orpheus,
Orphée, et surtout aux néo-musiciens du Vème
and the New Musicians who emphasize the
siècle qui vantent la nouveauté, en se considérant
novelty of their music while considering them-
eux-mêmes en tant que compositeurs « enceints »
selves as begetting a newborn child, it seems
d’un nouveau-né, la kuèsis étant conçue dans une
reasonable to assume that Diotima means that
dimension éjaculatoire et projective, il apparaît que
creation can’t reduce itself to the begetting
selon Diotime, la création ne saurait se réduire à
of novelty, but takes time as does a maternal
un engendrement de nouveauté. Diotime insiste
gestation.
L’une des thèses les plus paradoxales du discours
Reported by a male, one of Diotima’s thesis
au contraire sur la nécessité de prolonger le temps
de la maturation dans un contexte qui est celui de
la philosophie. L’expérience ainsi décrite doit donc
être entendue au sens « féminin » d’une gestation.
Mots-clef : gestation, Diotime, Nouvelle Mu-
Keywords : pregnancy (kuèsis), New Music,
sique, Timothée de Milet, Agathon, naissance.
Agathon, Timotheus of Miletus, Orphism
http://dx.doi.org/10.14195/2183-4105_14_2
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| Le sens de la « kuèsis » dans la perspective des mythes de la gestation (Banquet 201d-212b)
Dans le Banquet (201d-212b), une femme, Diotime, est introduite dans un cercle
hyper-masculin, 1 par l’entremise de Socrate
qui se fait son porte-parole. 2 Or, bien que
rapportée conventionnellement par un locuteur mâle, c’est-à-dire sans déroger au protocole le plus traditionnel selon lequel une
femme ne doit pas parler en son nom propre, 3 l’une des thèses 4 majeures de Diotime
a de quoi surprendre : le désir des hommes
(erôs), y compris des plus virils, est d’être
enceint, ce que le grec exprime par le verbe
kueîn.
Mais que recouvre ce verbe pour que, dans
le texte de Platon, Diotime soit autorisée à en
exalter la signification pour en faire la métaphore de la pensée du philosophe ?
Les spécialistes ont presque universellement tenté d’interpréter la thèse de Diotime
en édulcorant ce que nous appellerons provisoirement la dimension « féminine » 5 de la
gestation, et cela de trois manières.
- Pour les premiers, Diotime énoncerait
une conception de l’amour non comme une
relation fondée exclusivement sur l’attirance
sexuelle stérile, 6 en particulier celle qui unit
de jeunes aristocrates du type d’Agathon,
mais comme une procréation (« procreative
sex »)7, l’enfant étant l’unique finalité du rapport sexuel, parce que c’est le seul moyen
pour les humains d’acquérir l’immortalité.
On se fonde sur le passage 206b7-207a4 du
Banquet, où erôs est la force qui pousse les
humains à se reproduire, et la kuèsis, la gestation, ne ferait que coïncider avec une étape,
certes indispensable, mais certainement pas
privilégiée, dans la procréation. 8
- Pour les seconds, par le mot kuèsis, Diotime ne désignerait pas, comme on pourrait
le croire, la gestation des femmes, mais celle
des hommes : kuèsis serait, dans un contexte
historico-anthropologique particulier, une
métaphore de la phase pré-éjaculatoire masculine. Il faudrait donc replacer le terme kuèsis dans le contexte des dialogues de Platon :
après tout, l’auteur du Banquet est aussi celui
du Timée et on peut attendre de lui une certaine cohérence lorsqu’il écrit que la semence
mâle, une part divine, issue de la moelle qui
constitue le cerveau, « sème dans le champ de
la matrice des êtres vivants trop petits pour
être visibles, où ceux-ci sont nourris jusqu’à
leur plein développement ».9
Cette théorie prend sens à être replacée
dans le contexte des théories médicales de la
procréation et de la génération. Car, à côté
des théories alternatives de la « double semence », sur lesquelles nous reviendrons plus
loin, il faut mentionner la théorie d’Anaxagore, selon laquelle l’éjaculation produit un
petit homme qui atteint sa taille convenable
grâce à la fonction nutritive de la matrice.10
C’est dans le même esprit, à la même époque,
qu’Eschyle fait dire à Athéna à la fin des Euménides que « ce n’est pas la mère qui est le
parent de l’enfant, elle n’est que la nourrice
de l’embryon nouvellement semé ; celui qui
enfante, c’est celui qui éjacule (ho thrôiskôn) »
(v. 658-660).
Dans cette représentation, c’est l’éjaculation qui produit l’embryon, le kûma, mot de
la même racine que kuèin, et c’est l’éjaculateur
qui enfante, tiktei. Le registre « féminin » du
vocabulaire, dont use Eschyle à propos du père,
suggère que la gestation est une métaphore de
la phase pré-éjaculatoire et l’accouchement une
métaphore de l’éjaculation. L’accouchement
maternel serait précédé d’un accouchement
paternel dans la matrice.11
Dans cette perspective, la thèse de Diotime retentirait comme un point d’orgue : si
les mâles aspirent à la grossesse, on doit comprendre, sous peine d’absurdité, qu’il ne peut
s’agir de la « grossesse » au sens strictement
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féminin, nourricier, mais forcément d’une métaphore appliquée à l’éjaculation.12
- Enfin, pour les derniers, il n’y a évidemment pas d’incompatibilité entre ces deux
interprétations qui peuvent être conciliées :
l’émission de sperme correspondrait à un
« enfantement » masculin, au même titre que
l’accouchement est l’enfantement de la femme,
dans un parallélisme parfait.
Pourtant, une autre hypothèse mérite
d’être examinée. On peut, en effet, envisager
que Diotime emploie le mot kuèsis pour souligner une autre perspective, distincte aussi
bien de la perspective éjaculatoire liée à la
métaphore de l’ « accouchement paternel »,
que de la perspective procréationiste, centrée
sur l’expulsion du « fruit » de la gestation.
Pour parvenir à saisir ce que dit Diotime, il
faut réussir à penser la gestation dans son sens
dynamique, processif, dans un procès performatif de croissance et de maturation : considérer la gestation comme l’action de porter
et de mener à terme. Pour le dire autrement,
la kuèsis telle que l’entend Diotime n’est pas
« projective » ou « expulsive », mais « gérondive », au sens où le gérondif, du latin gerere
(mener, accomplir), désigne un processus en
cours. Mais la signification de cette thèse ne
pourra être saisie qu’à la lumière des mythes
de la gestation, en particulier dans les milieux
de la Nouvelle Musique dont Agathon est le
représentant dans le Banquet.
Il ne s’agit pas ici de nier que dans certains
extraits du discours de Diotime, la kuèsis peut
être comprise en tant que métaphore de la phase
pré-éjaculatoire. Ainsi, lorsque Diotime explique que l’amour consiste, qu’il s’agisse du corps
ou de l’âme, à enfanter dans le beau ou la Beauté, deux passages évoquent le comportement de
celui qui s’apprête à enfanter :
25
ἁπτόμενος γὰρ οἶμαι τοῦ καλοῦ καὶ
ὁμιλῶν αὐτῷ, ἃ πάλαι ἐκύει τίκτει καὶ
γεννᾷ,
car, à ce que je crois, en étant en contact
avec le beau et en le fréquentant, les choses dont il était depuis longtemps enceint,
il les enfante et leur donne naissance.13
ὅθεν δὴ τῷ κυοῦντί τε καὶ ἤδη σπαργῶντι
πολλὴ ἡ πτοίησις γέγονε περὶ τὸ καλὸν
διὰ τὸ μεγάλης ὠδῖνος ἀπολύειν τὸν
ἔχοντα.
D’où pour celui qui est enceint et déjà
gros, la grande stupeur qui le saisit à
l’entour du beau, du fait que celui qui le
possède est délivré d’une grande douleur
d’enfantement.14
Dans ces deux passages, la gestation semble
précéder la possession du beau, comme l’indiquent les expressions ἃ πάλαι ἐκύει et καὶ ἤδη
σπαργῶντι. Il est suggéré que, en possédant
le beau, l’amant serait soulagé, délivré de ses
douleurs d’enfantement.15 Logiquement, la signification ne peut être que pré-éjaculatoire (le
participe σπαργῶντι signifie ainsi le fait d’être
« plein » ou « gonflé » de sève).16
Le passage précédent décrit le comportement symétriquement inverse :
ὅταν δὲ αἰσχρῷ, σκυθρωπόν τε καὶ
λυπούμενον συσπειρᾶται καὶ ἀποτρέπεται
καὶ ἀνείλλεται καὶ οὐ γεννᾷ, ἀλλὰ ἴσχον
τὸ κύημα χαλεπῶς φέρει.
Lorsque c’est dans le laid, assombri et
affligé, il (l’enceint) se contracte, se détourne, se replie et ne donne pas naissance, mais se retenant, il porte péniblement l’embryon.17
Les métaphores de rétraction suggèrent que
l’amant, sur le point d’éjaculer, se retient parce
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qu’il ne trouve pas le beau, pour engendrer.
Kuèma aurait ici le sens de germe.18 Un autre
passage illustre bien cette situation :
ἐν τῷ γὰρ αἰσχρῷ οὐδέποτε γεννήσει.
τά τε οὖν σώματα τὰ καλὰ μᾶλλον ἢ
τὰ αἰσχρὰ ἀσπάζεται ἅτε κυῶν, καὶ ἂν
ἐντύχῃ ψυχῇ καλῇ καὶ γενναίᾳ καὶ εὐφυεῖ,
πάνυ δὴ ἀσπάζεται τὸ συναμφότερον, καὶ
πρὸς τοῦτον τὸν ἄνθρωπον εὐθὺς εὐπορεῖ
λόγων περὶ ἀρετῆς καὶ περὶ οἷον χρὴ εἶναι
τὸν ἄνδρα τὸν ἀγαθὸν καὶ ἃ ἐπιτηδεύειν,
καὶ ἐπιχειρεῖ παιδεύειν.
Car dans le laid, jamais il ne donnera
naissance. Et donc les corps beaux, plus
que les laids, il les accueille avec joie du
fait qu’il est enceint, et quand il rencontre
une belle âme, bien née et de bonne nature, il accueille tout à fait avec joie cet
ensemble, et aussitôt, à l’égard de cet humain-là, il est plein de ressources pour
des discours sur la vertu et sur comment
doit être l’homme de bien et de quoi il doit
s’occuper, et il entreprend de l’éduquer.19
Dans ce passage consacré à l’érotique emblématiquement diotimienne, il y a une analogie du corps et de l’âme. La métaphore du verbe
euporeîn, littéralement frayer ou faire un passage, appliquée à des discours éducatifs, permet
de supposer que, de même qu’au plan physique
l’amant fait passer le sperme dans le corps aimé,
de même, au plan psychique, l’amant déverse
ses discours sur son aimé. Il semble donc clair
que l’enceint de l’âme est à l’enceint du corps,
ce que l’euporie est à l’éjaculation.
Dans ces extraits, l’interprétation selon
laquelle la gestation serait une métaphore du
stade pré-éjaculatoire semble parfaitement
étayée. Le problème est malgré tout que cette
interprétation de la métaphore dissimule une
petitio principii. En effet, il va de soi pour tout
le monde que, dans ce contexte, la kuèsis appliquée aux hommes ne peut pas avoir sa signification habituelle (« féminine ») et qu’elle
doit être interprétée en un sens métaphorique,
dans la mesure où, après tout, un homme ne
peut pas être enceint. Nul ne s’interroge sur
le choix, par Diotime, de cette métaphore-là,
de ce mot particulier, plutôt qu’un autre. Une
métaphore est une comparaison implicite :20 le
comparé est l’objet dénoté par la métaphore,
le comparant constituant la connotation de
la métaphore, l’ensemble de ses significations
implicites. Quand bien même kuèsis dénoterait
le stade pré-éjaculatoire, cela n’expliquerait pas
la connotation de la métaphore : il reste à comprendre pourquoi Diotime choisit cette métaphore-là, avec sa connotation de gestation, pour
dire quelque chose qui relève de l’éjaculation.
En effet, il faut le souligner, elle est la seule à
le faire, y compris dans l’œuvre de Platon : par
exemple, dans le Timée, le stade pré-éjaculatoire est bien comparé aux douleurs d’enfantement (ôdinès, 86c6-7), une métaphore qui,
depuis Homère, 21 peut désigner une douleur
en général, mais pas à une kuèsis.
Or on peut noter une certaine insistance
de Diotime dans son emploi de la métaphore
: d’un point de vue statistique, le terme kuèsis
et ses dérivés apparaissent douze fois dans le
Banquet, et soulignons-le, exclusivement dans
le discours de Diotime. 22 Sachant que, dans la
tradition grecque, le terme kuèsis est le seul qui
soit exclusivement réservé aux femmes,23 il n’est
peut-être pas anodin non plus de remarquer
que jamais Diotime ne mentionne explicitement le terme « éjaculation », alors que ce terme
est bien présent par ailleurs chez Platon, dans
les contextes érotiques tels que celui du Phèdre,
(250e5), avec les verbes paidosporeîn « saillir »
ou bainein « monter ». Pourquoi donc, alors
que Diotime use du terme réservé aux femmes,
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kuèsis, laisse-t-elle de côté ces autres termes de
connotation virile ?
On a prétendu 24 que kueîn pouvait avoir
une signification causale, au sens de « rendre
enceint », et s’appliquerait alors au rôle masculin, actif, dans la procréation. Ce serait le
cas chez Eschyle : ekuse gaîan (il a rendu Gaia
enceinte).25 Mais remarquons qu’Eschyle n’emploie pas le verbe contracte kueîn (être enceint,
porter dans son sein), mais le verbe kuein avec
un accusatif complément d’objet qui signifie
« rendre enceinte », ce que ne fait justement
jamais Diotime. Il ne s’agit pas de dire qu’elle
ne pourrait pas employer l’expression « rendre
enceinte », mais il faut être attentif au fait que
lorsque Diotime se place dans l’optique causale,
étiologique, de la gestation (comment une femme devient enceinte), c’est pour aussitôt opérer
une étrange manipulation discursive. Ainsi,
lorsque Pénia, mère d’Erôs, devient enceinte
de Poros :
ἡ οὖν Πενία ἐπιβουλεύουσα διὰ τὴν
αὑτῆς ἀπορίαν παιδίον ποιήσασθαι ἐκ
τοῦ Πόρου, κατακλίνεταί τε παρ’ αὐτῷ
καὶ ἐκύησε τὸν Ἔρωτα.
Alors Pauvreté formant le projet, à cause
de son propre manque de ressources, de se
faire faire un enfant de Ressource, s’étend
près de lui et la voilà enceinte d’Erôs. 26
Diotime propose indubitablement une description étiologique de la gestation. Mais attardons-nous sur ce passage : le verbe poieîn, employé à la voix moyenne, souligne la dimension
active (certes paradoxale) de Pénia. Pénia, une
femme dont le nom indique qu’elle manque de
ressources, se montre capable de ressources en
profitant de ce que Poros (dont le nom indique
au contraire qu’il est riche de ressources) a perdu toute ressource : il s’est endormi après avoir
trop bu, il est inconscient de ce qui se passe, ce
27
qui lui donne un rôle passif. 27 Comme on dit
en français : Pénia se fait faire un enfant, pour
indiquer que, si l’agent du processus est bien
Poros, Pénia s’approprie son action, comme si
elle « volait » le sperme de Poros inconscient.
Pour bien comprendre la portée de cet épisode
il faut remarquer qu’il n’est nullement question pour Diotime de revendiquer un sperma
de la femme. En particulier, aucun élément ne
permet d’affirmer que Diotime se placerait
dans le cadre de théories pourtant existantes
et admises par les Grecs, telle que la théorie
démocritéenne ou hippocratique de la « double
semence » ;28 jamais elle ne mentionne comme
Euripide « la semence féminine » (Bacchantes,
v. 35). Voler le sperme, ce n’est pas remettre
en question l’origine masculine de la semence,
c’est la mettre à disposition, sous contrôle de
« gestion », pour en « gérer » les effets. Cet
épisode, qui montre que Diotime sait bien que
rien n’est plus facile que d’occulter l’identité
de l’agent de la procréation, constituerait donc
un premier indice que la métaphore de la kuèsis ne connote pas le rôle actif de l’éjaculation
lors de la procréation, mais plutôt son effet.
A supposer que la gestation soit la métaphore
du stade pré-éjaculatoire, cela indique qu’insistance est faite sur la possibilité pour une
femme d’en annexer l’initiative pour provoquer
une gestation en un sens non métaphorique
et « féminin ». Or, étant donné que Diotime
ne paraît pas s’appuyer sur les théories de la
« double semence », une conséquence indirecte
de l’épisode que nous venons d’examiner est
qu’il se laisse interpréter comme le pendant
inversé des mythes d’annexion de la gestation
par un dieu.
Examinons le mythe de la naissance d’Athéna qui intervient en clôture du passage précité
d’Eschyle. L’histoire que raconte Eschyle est
double : d’un côté, dans les premiers vers, l’éja-
28
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culation est privilégiée, avec le rôle du père,
mais d’un autre côté, dans les vers suivants, le
père, Zeus, est comparé à une mère enceinte,
et ce n’est plus alors d’éjaculation qu’il s’agit.
Zeus est dit enfanter Athéna, comme s’il accouchait d’Athéna. Il ne s’agit pas ici d’éjaculation
puisque c’est de sa tête que naît Athéna, comme
d’une matrice. Tout le sens du mythe est de
souligner la supériorité de la matrice de Zeus
sur celle des femmes : οὐκ ἐν σκότοισι νηδύος
τεθραμμένη, ἀλλ’ οἷον ἔρνος οὔτις ἂν τέκοι
θεά, « elle n’a pas été nourrie dans l’obscurité
de la matrice, mais comme un fruit qu’aucune
déesse ne pourrait enfanter ». 29
Notons qu’il en est de même dans tous
les mythes du même type : dans la Théogonie
d’Hésiode où Métis étant sur le point d’accoucher, Zeus l’engloutit dans son sein (le mot
nèdus, au vers 899, pouvant désigner l’estomac
ou les intestins mais aussi la matrice, comme
dans le passage d’Eschyle), et il enfante alors
Athéna (verbe etikte vers 922, sous-entendu
au vers 924). Dans les Bacchantes d’Euripide,
Zeus est dit avoir arraché à Sémélè l’enfant
Dionysos, alors qu’il était encore dans son
sein. Il le cache ensuite dans sa cuisse (v. 96-97
et 523-530). Enfin, les vases athéniens placent
souvent une ou plusieurs Ilithyies aux côtés
de Zeus, pour souligner son annexion de la
part maternelle. 30
En conséquence, lorsque, selon la thèse de
Diotime, les mâles aspirent à être « enceints »,
la métaphore peut se comprendre tout simplement à la lumière de la tradition olympienne de
l’annexion masculine de la maternité. 31 Dans
ce cas, la connotation de la métaphore de la
kuèsis ne concernerait pas la spécificité du
stade pré-éjaculatoire, mais bien sa spécificité
« féminine ».
Dans cette perspective, force est de constater que certains extraits du discours de Dio-
time sont incompatibles avec l’interprétation
pré-éjaculatoire.
Si l’on interprète, en effet, la kuèsis comme
une métaphore de la phase pré-éjaculatoire,
alors nécessairement, le partenaire sexuel sera
celui qui sera « pénétré ». Mais tel n’est pas le
cas comme nous allons le voir.
Diotime utilise une tournure remarquable :
en tôi kaloi (cette expression, qui apparaît déjà
en 206c5, est reprise en 206e5) :
ἔστιν γάρ, ὦ Σώκρατες, ἔφη, οὐ τοῦ
καλοῦ ὁ ἔρως, ὡς σὺ οἴει. Ἀλλὰ τί μήν;
Τῆς γεννήσεως καὶ τοῦ τόκου ἐν τῷ καλῷ.
Car Socrate, dit-elle, ce n’est pas du beau
que l’amour est l’amour, comme toi tu
le crois. Alors quoi donc ? C’est celui
(l’amour) de la génération et de l’enfantement dans le beau. 32
Une expression semblable apparaît encore
plus loin :
ζητεῖ δὴ οἶμαι καὶ οὗτος περιιὼν τὸ καλὸν
ἐν ᾧ ἂν γεννήσειεν·
celui-là aussi cherche alors, je crois, en
tournant autour, le beau dans lequel il
puisse donner naissance33
Ces passages soulignent que l’enfantement
ou la naissance de l’enfant doivent avoir lieu
dans le beau, mais il reste à comprendre ce que
désigne ici le beau. On peut le comprendre de
deux manières qui ne s’excluent pas.
Il semble qu’il faille traduire l’expression
en toî kalôi non par « dans le beau » comme le
font la plupart des traducteurs, mais comme le
fait Luc Brisson, par « à terme » (notamment
en 206c5, en tenant compte de la différence
entre les manuscrits et le papyrus d’Oxyrinchos
datant de 200 ap. J.C.), et le sens serait identique
à « au bon moment » (en toî kalôi khronôi). Cela
signifie que l’accouchement doit se produire « à
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terme », par opposition à un accouchement prématuré. J’ajoute d’ailleurs un argument supplémentaire pour confirmer cette interprétation :
dans la suite du texte, dans un parallélisme
syntaxique frappant, Diotime use de l’expression en toî anarmostôi, « dans ce qui est discordant », « dans ce qui n’est pas en harmonie »
(206c8). L’expression antithétique, qui apparaît
en 206d1-2, harmotton … anharmoston, semble
faire allusion à la conception pythagoricienne
de la gestation selon l’harmonie cosmique et
musicale, l’enfant étant considéré comme viable
à 7 ou 9 mois, mais non viable à 8 mois. 34 Sans
m’attarder sur les détails de cette référence, je
ferai seulement remarquer que dans le Phèdre
(276b1-8), il est dit que 8 mois sont nécessaires
à la maturation de la semence philosophique,
allusion qui contredit de façon claire la théorie pythagoricienne des 7 ou 9 mois, et prouve
du même coup que celle-ci doit être prise en
compte dans la compréhension de notre passage. Notons donc que la gestation prend du
temps et qu’interpréter l’expression en tôi kalôi
au sens de « à terme » constitue évidemment un
argument en faveur de la dimension féminine
de la gestation. 35 Mais un second sens peut être donné à l’expression en tôi kalôi.
En effet, kallos désigne souvent, dans les
relations dites « homophiles » masculines, le
pais ou l’érômène. 36
Dans deux passages consacrés à l’ascension érotique vers le beau en soi, l’ambiguïté
est d’ailleurs soigneusement entretenue entre
to kalon et kallos, le beau au sens de la beauté
et la beauté au sens du pais :
μετὰ δὲ τὰ ἐπιτηδεύματα ἐπὶ τὰς
ἐπιστήμας ἀγαγεῖν, ἵνα ἴδῃ αὖ ἐπιστημῶν
κάλλος, καὶ, βλέπων πρὸς πολὺ ἤδη τὸ
καλὸν μηκέτι τὸ παρ’ ἑνί, ὥσπερ οἰκέτης,
ἀγαπῶν παιδαρίου κάλλος ἢ ἀνθρώπου
29
τινὸς ἢ ἐπιτηδεύματος ἑνός, δουλεύων
φαῦλος ᾖ καὶ σμικρολόγος, ἀλλ’ ἐπὶ
τὸ πολὺ πέλαγος τετραμμένος τοῦ
καλοῦ καὶ θεωρῶν πολλοὺς καὶ καλοὺς
λόγους καὶ μεγαλοπρεπεῖς τίκτῃ καὶ
διανοήματα ἐν φιλοσοφίᾳ ἀφθόνῳ, ἕως
ἂν ἐνταῦθα ῥωσθεὶς καὶ αὐξηθεὶς κατίδῃ
τινὰ ἐπιστήμην μίαν τοιαύτην, ἥ ἐστι
καλοῦ τοιοῦδε.
Et après les occupations, (il faut qu’)il
avance vers les savoirs, afin de voir alors
la beauté des savoirs ; et, afin que, en
regardant vers le beau désormais abondant, n’aimant plus la beauté en une seule
chose, celle d’un enfant, d’un humain, ou
d’une occupation unique, il ne soit plus,
en étant esclave, médiocre et pauvre discoureur, mais que, s’étant tourné vers la
mer abondante du beau et la contemplant,
il enfante nombre de beaux et grandioses
discours ainsi que des pensées dans une
philosophie sans envie jalouse, jusqu’au
moment enfin où, ayant assez de force et
de croissance, il verra un savoir unique,
tel que l’est celui du beau de cette sorte. 37
ὅταν δή τις ἀπὸ τῶνδε διὰ τὸ ὀρθῶς
παιδεραστεῖν ἐπανιὼν ἐκεῖνο τὸ καλὸν
ἄρχηται καθορᾶν, σχεδὸν ἄν τι ἅπτοιτο
τοῦ τέλους.
Quand donc à partir de ces choses, s’étant
élevé vers ce beau-là au moyen d’une paidérastie38 correcte, on commence à le voir,
on touche presque au but. 39
L’allusion à la paiderastia, vraisemblablement celle préconisée par les sophistes tels que
Pausanias 40 et Prodicos,41 semble confirmer
que le dessein de Diotime est de substituer la
beauté des connaissances à celle du pais, ce qui
permet de comprendre du même coup que la
formule en tôi kalôi peut désigner l’érômène.
30
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Mais il faut tenir compte encore d’une chose
pour comprendre pleinement le sens de la formule en tôi kaloi. Examinons le texte suivant :
Μοῖρα οὖν καὶ Εἰλείθυια ἡ Καλλονή ἐστι
τῇ γενέσει. διὰ ταῦτα ὅταν μὲν καλῷ
προσπελάζῃ τὸ κυοῦν, ἵλεών τε γίγνεται
καὶ εὐφραινόμενον διαχεῖται καὶ τίκτει
τε καὶ γεννᾷ·
Donc la Beauté, pour la venue à l’existence, est une Moire et une Ilithye. C’est
pourquoi, chaque fois que ce qui est enceint s’approche du beau, il devient joyeux
et se détend de contentement, et il enfante
et fait naître.42
La présence des déesses présidant à l’accouchement, dans le contexte de ce passage,
infléchit le sens du participe substantivé neutre
to kuoûn. L’emploi du neutre signifie que l’on
envisage tout ce qui est enceint, mâle comme
femelle, animal ou humain, peu importe. Mais
l’élément important, c’est que c’est du point
de vue de la gestation féminine que tout est
envisagé, ce que souligne évidemment la présence d’Ilithye et de la Moire (Lakhesis), qui
déjà chez Pindare,43 sont les déesses présidant
aux accouchements. Ce que ce texte permet
de constater, c’est que le « beau » désigne non
pas celui ou celle dans lequel l’amant éjacule
ou qu’il féconde, mais une présence semblable
à celle d’une déesse de l’accouchement. Cela
interdit donc d’interpréter la gestation comme
métaphore pré-éjaculatoire qui impliquerait
que kallos relèverait de la fonction maternelle,
alors que tel n’est justement pas le cas. L’Ilithye
ne peut pas avoir la fonction d’une mère : elle
est une sage-femme.
On constate du même coup que le pais n’est
pas celui dans lequel l’amant pénètre, mais celui
près duquel il accouche de discours, et analogiquement, toutes les occurrences précédentes
s’en trouvent infléchies : le pais est ainsi l’équivalent d’une sage-femme, et non d’une mère.
Du reste, c’est ce que prouve Diotime elle
-même, illustrant la façon dont on doit aimer :
Ἀλλὰ ἐγώ σοι, ἔφη, ἐρῶ. ἔστι γὰρ τοῦτο
τόκος ἐν καλῷ καὶ κατὰ τὸ σῶμα καὶ κατὰ
τὴν ψυχήν.
Eh bien je te le dirai/t’aime. Car c’est un
enfantement dans le beau, au sens physique et au sens psychique (selon le corps
et selon l’âme).44 Cette définition est remarquable pour
trois raisons. La première est que Diotime
est en train de définir l’amour par l’enfantement dans le beau (au sens ambivalent de
« à terme » et « près du pais »). La seconde est
que la formulation elle-même est ambiguë :
comme je l’ai montré par ailleurs, erô peut
être aussi bien le futur du verbe legein (dire)
que le présent du verbe erân (aimer). 45 La situation est la même qu’en 210a3-4. On peut
noter en outre que dans la suite immédiate
de ce passage, Socrate emploie pour désigner
sa relation avec Diotime, le verbe ephoitôn
(fréquenter, 206b6) ce qui suggère discrètement un commerce érotique entre lui et
elle. Diotime, qui profère de beaux discours
devant Socrate dont elle est l’éraste, incarne
donc elle-même le processus de gestation. Il
faut remarquer à ce stade que la situation est
inverse de celle du Théétète, puisque dans le
discours de Diotime, Socrate est un érômène
accoucheur, alors que dans le Théétète il est
un éraste-accoucheur. 46
Ajoutons un argument supplémentaire.
A un moment donné, Diotime évoque les auteurs de poésie épique ou les politiciens et les
artisans, pour dire qu’ils sont les géniteurs et
donc les pères de leur œuvre :
ANNE GABRIÈLE WERSINGER |
ὧν δή εἰσι καὶ οἱ ποιηταὶ πάντες
γεννήτορες καὶ τῶν δημιουργῶν ὅσοι
λέγονται εὑρετικοὶ εἶναι·
enfin de ceux-là tous les poètes aussi sont
les géniteurs, et aussi tous ceux des artisans qu’on dit inventeurs.47 Dans ce passage, l’inventeur (heuretikos)
fait l’objet d’une métaphorisation notoirement
masculine :48 il est dit géniteur (gennètor), et
l’on remarquera qu’il n’est pas question de
kuèsis.
καὶ πᾶς ἂν δέξαιτο ἑαυτῷ τοιούτους
παῖδας μᾶλλον γεγονέναι ἢ τοὺς
ἀνθρωπίνους, καὶ εἰς Ὅμηρον ἀποβλέψας
καὶ Ἡσίοδον καὶ τοὺς ἄλλους ποιητὰς
τοὺς ἀγαθοὺς ζηλῶν, οἷα ἔκγονα ἑαυτῶν
καταλείπουσιν, ἃ ἐκείνοις ἀθάνατον
κλέος καὶ μνήμην παρέχεται αὐτὰ τοιαῦτα
ὄντα· εἰ δὲ βούλει, ἔφη, οἵους Λυκοῦργος
παῖδας κατελίπετο ἐν Λακεδαίμονι
σωτῆρας τῆς Λακεδαίμονος καὶ ὡς ἔπος
εἰπεῖν τῆς Ἑλλάδος. τίμιος δὲ παρ’ὑμῖν
καὶ Σόλων διὰ τὴν τῶν νόμων γέννησιν,
καὶ ἄλλοι ἄλλοθι πολλαχοῦ ἄνδρες, καὶ
ἐν Ἕλλησι καὶ ἐν βαρβάροις, πολλὰ καὶ
καλὰ ἀποφηνάμενοι ἔργα, γεννήσαντες
παντοίαν ἀρετήν· ὧν καὶ ἱερὰ πολλὰ ἤδη
γέγονε διὰ τοὺς τοιούτους παῖδας, διὰ δὲ
τοὺς ἀνθρωπίνους οὐδενός πω.
Et chacun préférerait qu’il lui soit arrivé
de tels enfants plutôt que les enfants humains, tournant ses regards vers Homère,
Hésiode et les autres bons poètes, et regardant avec envie quels descendants ils
laissent derrière eux, qui leur offrent une
renommée et une réputation immortelle,
du fait qu’ils le sont aussi. Et si tu veux,
dit-elle, prendre un autre exemple, les
enfants que Lycurgue a laissés comme
sauveurs pour Lacédémone et pour ain-
31
si dire pour la Grèce. Et plus prisé chez
vous, Solon aussi, pour la génération
des Lois, et d’autres hommes ailleurs,
en maint endroit, chez les Grecs et chez
les Barbares, puisqu’ayant fait apparaître
nombre de beaux ouvrages, ils font naître des vertus diverses. Pour ces hommes,
sont advenus dès lors aussi de nombreux
cultes par le biais de tels enfants, mais
par le biais des (enfants) humains, pour
personne encore.49 Diotime construit une analogie : les poètes,
artisans, inventeurs, sont les géniteurs de leurs
œuvres comme les humains le sont de leurs
enfants. Il est clair que les enfants en question
sont les enfants nés et non pas leurs embryons.
C’est ce que montre aussi le passage suivant :
καὶ παρὼν καὶ ἀπὼν μεμνημένος, καὶ
τὸ γεννηθὲν συνεκτρέφει κοινῇ μετ’
ἐκείνου, ὥστε πολὺ μείζω κοινωνίαν τῆς
τῶν παίδων πρὸς ἀλλήλους οἱ τοιοῦτοι
ἴσχουσι καὶ φιλίαν βεβαιοτέραν, ἅτε
καλλιόνων καὶ ἀθανατωτέρων παίδων
κεκοινωνηκότες.
De près ou de loin, en se souvenant, il
nourrit le rejeton, en compagnie de celui-là, de sorte que de telles personnes
possèdent entre elles une communauté
bien plus grande que celle des enfants,
et une amitié plus solide, dès lors qu’ils
ont en commun des enfants plus beaux
et plus immortels. 50 Le géniteur de l’œuvre nourrit, élève son
œuvre en compagnie de quelqu’un d’autre,
comme les parents nourrissent ensemble leurs
enfants, ce qui suppose qu’œuvres et enfants
sont déjà nés.
D’où l’analogie : l’inventeur est à son œuvre
ce que les parents sont à leur enfant. Or on
32
| Le sens de la « kuèsis » dans la perspective des mythes de la gestation (Banquet 201d-212b)
voit aussitôt que l’analogie est bancale : car
dans le cas des enfants humains, la mère est
nécessairement supposée avoir accouché du
nouveau-né, alors que dans le cas de l’inventeur, c’est lui-même qui a fait venir au monde
son « nouveau-né ». La conséquence est alors
la suivante : soit l’inventeur est métaphoriquement aussi bien père que mère, et l’on doit
de toutes façons lui supposer une gestation.
Soit, il est seulement père, mais dans les deux
cas, le partenaire dont il est question en 209c3
(κοινῇ μετ’ ἐκείνου) a la dimension non pas
d’une mère mais bien d’une Ilithye.
Pour le moment, il n’a été question que des
mythes olympiens d’annexion de la gestation.
Mais, un autre modèle existe, celui des mythes
orphiques dont le Papyrus de Derveni offre
la version la plus ancienne. On y lit, en particulier, que Zeus avale Protogonos, le « premier-né » (XIII, 4), avant de devenir lui-même
« le commencement, le milieu et la fin de toutes
choses » (XVII, 12), et d’entamer le procès d’une
nouvelle création, (XVI, 3-6). Selon Bernabé,
Zeus remonterait dans le temps, à l’origine, et
redémarrerait l’histoire de l’univers, en devenant la « nouvelle mère » de celui qui avait
été l’aîné. 51 Une telle dualité des rôles sexuels
est admise par toute la postérité du Papyrus
Derveni. Les Hymnes orphiques plus tardifs
semblent interpréter le rôle de Zeus comme
une dualité sexuelle à commencer par l’Hymne
à Zeus (vers 4) cité dans le Traité du Monde du
Ps.-Aristote 401a25 : « Zeus naquit mâle, Zeus
immortel fut une nymphe ».
De même, dans l’Hymne orphique 6 (trad.
P. Charvet) :52
Πρωτόγονον καλέω διφυῆ, μέγαν,
αἰθερόπλαγκτον,
ὠιογενῆ, χρυσέαισιν ἀγαλλόμενον
πτερύγεσσι,
ταυροβόαν, γένεσιν μακάρων θνητῶν τ’
ἀνθρώπων,
σπέρμα πολύμνηστον, πολυόργιον […]
J’invoque le Premier né, aux deux sexes,
le Grand qui hante l’éther
né de l’œuf, glorieux avec ses ailes d’or,
mugissant tel le taureau, lui l’origine des
Bienheureux et des hommes mortels,
la semence aux multiples souvenirs, aux
multiples orgies.
Cette tradition se poursuit tardivement,
comme en témoignent deux auteurs latins,
Tibérianus et Avienus.
Tu genus omne deum, tu rerum causa
uigorque
Tu natura omnis, deus innumerabilis
unus
Tu sexu plenus toto, tibi nascitur olim
Hic deus, hic mundus, domus hic hominumque deumque.
Toi, première origine des dieux, toi, cause
et force des choses,
Toi, nature universelle, dieu unique innombrable,
Toi, plein de tout sexe, c’est de toi que
naissent un jour
Ce Dieu, ce monde, cette demeure des
hommes et des dieux. 53
[…]
iste colorem
imposuit rebus sexuque inmixtus utroque
atque aevi pariter gemini simul omnia
lustrans
sufficit alterno res semine. […]
[…] il a imposé la couleur des choses,
mêlé aux deux sexes
participant d’une double vie, partout
répandu à la fois
il pourvoit aux choses par la semence des
deux sexes. 54
ANNE GABRIÈLE WERSINGER |
L’accent est mis ici sur la dualité des sexes de
Zeus, dualité qui semble confirmée par un autre
passage du Papyrus de Derveni (colonne VII) :
Ἀφροδίτη Οὐρανία
καὶ Ζεὺς καὶ ἀφροδισιάζειν κ̣αὶ θόρνυσθαι
καὶ Πειθὼ
καὶ Ἁρμονία τῶι αὐτῶι θεῶι ὄνομα κεῖται.
Aphrodite Ourania
Zeus, faire l’amour, éjaculer, Persuasion
Harmonie, noms donnés au même dieu.
Dans cette suite paratactique où noms propres et verbes d’action sont juxtaposés et assimilés aux noms du même dieu, Zeus, identifié à
des divinités féminines, on peut voir la preuve
que Zeus acquiert effectivement les deux sexes.
Et si Zeus est bien le Noûs, il faut tenir compte
de la colonne XXVI, où le Noûs est explicitement appelé la « mère » des autres choses.
Afin de montrer l’ancienneté du mythe de
la bisexualité de Zeus, Bernabé relate d’ailleurs
un mythe hourrite connu à partir d’une version
hittite, le Règne aux Cieux ou Théogonie. Dans
cet épisode, Anou, le dieu du Ciel, est émasculé
par la morsure de Koumarbi. Il avale le phallus
du Ciel, puis se trouverait « enceint» de plusieurs dieux. Même si la tradition orphique du
Papyrus de Derveni ne fait que rendre un écho
de ce mythe hourrite, la dualité des sexes de
Zeus y semble bien attestée.
Ces divers passages qui mentionnent à
propos de Zeus, la bisexualité, l’éjaculation, 55
la maternité, doivent être interprétés en relation avec un autre fait capital, peu remarqué
jusqu’ici : c’est dans le contexte orphique que
la création est assimilée pour la première fois
à un enfantement, que poieîn c’est désormais
tikteîn. 56 Il ne s’agit pas seulement de l’assimilation de la création à une génération, comme
en témoigne un poème orphique où l’on peut
lire que, par Zeus, le premier géniteur (ar-
33
chigenethlos), « toutes choses ont été faites »
(Dios d’ek panta tetuktai). 57 Ce dont il s’agit
ici, c’est de la création comme enfantement au
sens maternel, assimilation qui aurait pour
origine l’interprétation de l’orphisme offerte
par la « Nouvelle Musique ». Ainsi, le musicien Timothée de Milet, notoire innovateur en
matière musicale et promoteur de la Nouvelle
Musique, mentionne dans ses Perses, 58 Orphée,
demi-dieu, fils de la Muse Calliopè dans des
termes révélateurs pour notre propos :
Premier à la muse foisonnante
il a enfanté (eteknôsen) une lyre59
le fils de Calliopè, Orphée, en Piérie.60
L’enfantement d’une lyre qui, en tant qu’instrument de musique, constitue un objet technique et non naturel témoigne de l’assimilation des deux registres, celui de la démiurgie
et celui de la génération, et cette référence est
explicitement orphique. Bien que lacunaire, le
passage qui met en scène Orphée prend tout
son sens à être comparé avec l’Hymne homérique à Hermès, où Hermès est dit « fabriquer
une chanteuse » (tektènat’aoidon) (vers 25), la
chanteuse désignant la lyre faite à partir de la
carapace de la tortue.61
Toute une théorie de la création pourrait
trouver son sens dans cette perspective où le
créateur enfante, comme une femme.
Dans la comédie d’Aristophane, Les Thesmophories, le poète-musicien Agathon représentant de la Musique Nouvelle est montré en
pleine action. Il est en train de composer une
tragédie du genre de Phèdre, et recourt au mode
musical propre à la tragédie (un mixolydien par
exemple, qui passe pour être « féminin »). Dans
ce but, le créateur doit se livrer à une mimèsis
d’un type spécial qui consiste à se mettre dans
l’esprit (gnômè) du mode féminin, c’est-à-dire
34
| Le sens de la « kuèsis » dans la perspective des mythes de la gestation (Banquet 201d-212b)
à « penser en femme », à se « sentir femme »
jusque dans le corps. Telle est la théorie des gunaikeîa dramata, selon laquelle un compositeur
de drames féminins doit pousser la mimèsis si
loin qu’il conforme ses propres manières aux
personnages qu’il crée.62 C’est pourquoi il possède les attributs féminins, ce que Aristophane
caricature. Cela ne signifie pas qu’Agathon soit
un homme efféminé, comme en témoigne la
description de la virilité du poète (vers 149-156 :
il est un anèr et ne possède « dans son corps »
que des attributs masculins).
Il y a de fortes chances pour que dans son
dithyrambe intitulé les Douleurs d’enfantement de Sémélè, 63 Timothée de Milet ait usé
de la même théorie mimétique de la création
qu’Agathon : une anecdote racontée par Callisthène semble suggérer que les sons émis par
les chœurs masculins lors de l’imitation des
cris de Sémélè étaient particulièrement intenses,64 et Boèce mentionne un décret qui semble
condamner les Semelès ôdîna, qu’il ne convient
pas à des jeunes gens de mimer,65 et qui offre
un écho tardif des condamnations présentes
dans la République de Platon où il est interdit
aux gardiens de mimer les femmes dans leurs
douleurs d’enfantement (ôdinousan, 395e1-2).
Mais il y a plus encore. Car si le thème de
l’enfantement et des douleurs d’enfantement
apparaît en relation avec la création, c’est une
création caractérisée par l’invention toujours
neuve. Ainsi le poète comique du Vème siècle, Eupolis, déclare que « ‘la Musique est une
chose (pragma) profonde et complexe’ et elle
est constamment en train d’offrir de nouvelles
découvertes (aiei te kainon hexeuriskei) pour
ceux qui peuvent les atteindre ».66
Le producteur par excellence, c’est le musicien ; or le musicien, illustré par Agathon,
est non seulement celui qui enfante, mais celui
qui enfante toujours quelque chose de nouveau,
comme le néo-musicien. Du reste, comme Timothée ou Philoxène, il est « passionné de
nouveauté, philokainos ».67
Ce qui n’a guère, en effet, été remarqué jusqu’ici, c’est que le poète-musicien Agathon du
Banquet,68 tout comme Timothée de Milet,69 témoigne d’une certaine obsession du « nouveauné », le neos, qui représente symboliquement
l’invention musicale « toujours neuve ». Ainsi, Agathon fait l’éloge d’Erôs, décrit comme
le poète-musicien, en le proclamant neôtatos
(« le plus nouveau ») et aei neos (« le toujours
nouveau », Banquet, 195c), écho d’un nome de
Timothée où figure l’un des manifestes de la
Nouvelle Musique :
οὐκ ἀείδω τὰ παλαιά,
καινὰ γὰρ ἀμὰ κρείσσω·
νέος ὁ Ζεὺς βασιλεύει,
τὸ πάλαι δ’ ἦν Κρόνος ἄρχων·
ἀπίτω Μοῦσα παλαιά.
Je ne chante pas les antiquités,
mes nouveautés sont, en effet, supérieures.
Jeune, Zeus règne,
dans l’antiquité, c’était Kronos qui
commandait ;
au loin, Muse antique.70
De telles références au Nouveau Zeus, combinées à la nouveauté musicale, assimilée de son
côté à l’enfantement d’un nouveau-né, sont loin
d’être négligeables, d’autant qu’elles ne sont pas
isolées. Ainsi, selon Athénée, un poète comique
du IVème siècle, Anaxilas, aurait dit dans son
Hyacinthus : « La musique, comme la Lybie,
grâce aux dieux enfante (tiktei) une nouvelle
créature (kainon) chaque année ».71
Autrement dit, le néo-musicien se targue
d’ « enfanter » toujours plus de nouveauté, l’accumulation de nouveauté impliquant nécessai-
ANNE GABRIÈLE WERSINGER |
rement un enfantement rapide qui, pour être
prolifique, doit s’effectuer pour ainsi dire « en
continu ». Dans cette perspective, ce que l’on
retient inévitablement de l’expérience féminine
de la gestation, c’en est le terme douloureux, au
mépris de sa durée performative et gérondive.
Ces références confèrent alors, du même
coup, une certaine vraisemblance à l’hypothèse
selon laquelle ce serait contre cette doctrine de
la création « en continu », qui revient à focaliser
l’attention sur le jet, l’émission, le produit, que
prend toute sa valeur l’insistance contraire de
Diotime sur la gestation dans sa durée. A la
lumière des mythes orphiques qui inspirent les
néo-musiciens du Vème siècle pour lesquels la
gestation est conçue de manière projective, la
théorie de la gestation énoncée par Diotime
aurait pour visée d’insister sur la nécessité
d’allonger, de prolonger le temps de la maturation dans un contexte qui est celui de la philosophie. On pourrait comprendre alors pourquoi l’expérience de la gestation qui informe le
niveau cognitif est nécessairement pensée par
Diotime dans la dimension dite « féminine ».
Et n’est-ce pas alors pour cela que même les
mâles doivent être enceints, porter longtemps
leur enfant, parce que la maturation est le seul
vrai gage de sa viabilité ?
35
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ANNE GABRIÈLE WERSINGER |
NOTES
1
Cette contribution a fait l’objet d’un premier
exposé lors du Symposium Platonicum de Pise, en 2013.
Elle a bénéficié en particulier des remarques de Christopher Gill, Debra Nails, Rafael Ferber, que je voudrais ici
remercier, ainsi que Luc Brisson et Sylvie Perceau pour
leur relecture.
2
Sur le problème de l’énonciation chez Platon :
Wersinger, 2012 et 2011.
3
Halperin 1990, 146, sur le silence des femmes.
4
Il ne s’agit donc pas ici d’examiner la pensée
philosophique du discours de Diotime, mais seulement le
contenu d’une métaphore, celle de la gestation.
5
En disant cela je ne préjuge en rien de la question d’une « essence » du féminin au sens dénoncé à juste
titre par Halperin 1990, 150-151.
6
« Recreative love », au sens de Halperin 1990,
143.
7
Halperin 1990, 143
8
Ce qui, Halperin l’a montré, revient à construire le désir féminin sur un paradigme masculin, dans
la mesure où chez les hommes seuls, la reproduction
présuppose le désir sexuel,. Halperin 1990, 141-142.
9
Platon, Timée 91c8-d5.
10
Leitao 2012, 15 sq.
11
Morrisson 1964, 54.
12
Leitao, 2012, 3.
13
Platon, Banquet 209c2-4. Sauf mention contraire, les traductions sont les miennes.
14
Platon, Banquet 206d7-e1.
15
Pour le moment je ne m’occupe pas de définir
le beau en question.
16
Pender (1992, 72-75), qui déclare que la « gestation » masculine doit se comprendre analogiquement à
l’éjaculation, considère, comme Morrisson (1964, 51-52),
qu’en 206c5, tokos désigne l’éjaculation (Pender, 75) et
qu’en 208e1, egkumones désigne ceux qui sont « gros »
de sperme, dès lors qu’il s’agit des hommes à l’égard des
femmes (Pender, 76). Ce passage trouve un parallèle dans
le Phèdre : lorsqu’il regarde la beauté de son pais (251c6),
l’amant éprouve les démangeaisons sexuelles que décrit,
entre autres, la métaphore de la croissance des plumes
(Csapo 1997, 12), puis, une fois que son âme a reçu
l’himeros, elle est soulagée de sa douleur (odunès, 251 d1).
17
Platon, Banquet 206d5-7.
18
Leitao 2012, 184.
19
Platon, Banquet 209b4-c2.
20
Molinié 1992, 213.
21
La blessure douloureuse d’Agamemnon comparée aux douleurs de l’enfantement (Iliade XI, 269-271) ;
la douleur du cyclope aveuglé par Ulysse est désignée par
le verbe ôdinô (Odyssée IX, 415).
22
Platon, Banquet : 203c1, ekuèse ; 206c1,
kuoûsi, c7, kuèsis, d4, kuoûn, d7, kuèma, d8, kuoûnti ;
208e2, egkumones ; 206c1, 209a1, kuoûsin, a2, kuêsai, b1,
egkumôn, b5, kuôn, c3, ekuei.
23
Diotime emploie 8 fois le verbe tiktein : 206c1,
37
c4, d5, 209b2, c3, 210c1, d5, 212a3. Tiktein, certes employé majoritairement pour les femmes, n’exclut pas les
hommes. Leitaio (2012, 282), fait un relevé d’occurrences
du verbe tiktein mais il oublie le verbe kueîn, ce que je
ne peux m’empêcher de trouver symptomatique du geste
d’occultation de la gestation.
24
Morrisson 1964, 53 ; Evans 2006, 15, et n°2.
25
Fr. 44 Nauck. 26
Platon, Banquet 203a3-203c.
27
Halperin1990, 148.
28
Sur ces doctrines, Leitao 2012, 16.
29
Eschyle, Euménides, v. 662-666.
30
Brommer 1961, planche 8 ; Loraux 1981, 31.
31
Pour autant, je ne m’occuperai pas ici des
arguments ethnographiques selon lesquels les hommes
investissent rituellement la gestation ou déploient une
pseudo-gestation, par exemple la couvade (voir Halperin
1990, 143-144).
32
Platon, Banquet 206e2-5.
33
Platon, Banquet 209b2-4.
34
Hippocrate, Du régime, 8, 7-12 ; Censorin, De
die natali, 7, 2. Voir aussi Lehmann 2011, 174-177.
35
La dimension temporelle de la gestation n’est
pas immédiatement visible. En Français, nous employons des métaphores mi-géométriques mi-urbanistes
(« être enceinte »), ou mi-topologiques mi-nutritionnistes
(« grossesse »), ou encore dynamiques (« porter »). En grec
ancien, le verbe kuèô est de la même racine que kûma,
la vague qui enfle ou qui ondule, qui gonfle, mais aussi
kûros, la force, la souveraineté, et il faudrait le rattacher
au védique su-sva- « s’accroître, être fort » (Chantraine
2000, 596 ; Benveniste 1969, II, 183). La gestation assure la
prospérité. En Latin l’étymologie de gestare (fréquentatif
de gerere, « mener » et de la même famille que le ou la
geste) suggère que (outre le fait de « porter ») la gestation
consiste en une action qui implique une durée.
36
Platon, Banquet 194d4 ; Phèdre, 251b1, d7,
252b2 etc..Pour les références, complètes Wersinger 2012,
10.
37
Platon, Banquet 210c6-d8.
38
J’use à mon tour de ce néologisme calqué sur
le mot grec, pour éviter autant que possible les connotations du mot français habituel.
39
Platon, Banquet 211b5-7.
40
Halperin 1990, 117.
41
Leitao 2012, 129 sq.
42
Platon, Banquet 206d1-5.
43 Péan, Fr. 52m, 17 Maehler.
44
Platon, Banquet 206b6-8.
45
Wersinger 2012, 12. J’ajoute que Platon est friand de ce jeu de mots qui figure aussi à la fin du discours
de Lysias, dans le Phèdre (Wersinger 2001, 93).
46
Wersinger 2012, 12.
47
Platon, Banquet 209a4-5.
48
Diotime emploie 11 fois le terme gennèsis
et ses dérivés : γέννησις (206b8, c5, 207a1), γέννησιν
(209d8), γεννήσεως (206 e3, e5), γεννήσει (209b5),
γεννᾷ (206d5, d7, 209c4), γεννᾶν (207a9, 209b3, 210a8),
γεννήσειεν (209b4), γεννήτορες (209a4), γεννηθὲν
38
| Le sens de la « kuèsis » dans la perspective des mythes de la gestation (Banquet 201d-212b)
(209c4), γεννήσαντες (209e2-3), γενναίᾳ (209b6).
Rappelons que le grec réserve au rôle masculin le verbe
gennân (faire naître, factitif de gignesthai) dont dérive
gennèsis, la génération (et non pas la genèse), gennaîos,
bien né, de bonne race, et gennètor, celui qui propage la
lignée.
49
Platon, Banquet 209c7-e4.
50
Platon, Banquet 209c3-7.
51
Bernabé 2010, 78.
52
1-4 Quandt. Voir aussi l’hymne 30, v. 2.
53
Tiberianus, Versus Platonis de deo, v. 21-24
Mattiacci.
54
Avienus, Les Phénomènes d’Aratos, v. 25-28
Soubiran.
55
Il n’est pas possible d’aborder ici le problème
controversé de l’interprétation de la formule que l’on
rencontre dans la colonne XIII, 4, « Il avala le Vénérable
(aidoîon katepinen) » que, par exemple, Barnabé assimile
au phallus, ce qui est contesté par Brisson.
56
Wersinger 2009, 2013. Leitao (2012, 122) le
remarque sans plus.
57
Fr. 21a, vers 2, Kern, cité par Apulée, de Mundo 37, et Porphyre, Peri Agalmatôn 3, 7. Ce poème date du
IIème siècle après J.-C., mais une version ancienne serait
citée dans le Papyrus de Derveni.
58
Vraisemblablement composés entre 417 et
408, Hordern 2002, 15 ; Lambin 2013, 113. Rappelons que
la victoire d’Agathon est située en 416 ce qui coïncide avec
l’action du Banquet.
59
Le papyrus d’Abousir (P. Berolinensis 9875)
qui contient le fragment 791 des Perses présente une
lacune.
60
Fr. 791, voir Page 1962, v. 221-224.
61
Detienne 1989, 112 ; Svenbro 1992, 135-136.
62
Saetta Cottone 2003, 457 ; Wersinger 2012, 16.
63
Hordern 2002, 249 ; Leitao, 2012, 65, 155 ;
Lambin 2013, 80-82.
64
2b, 124, F. 5, 54-56 Jacoby ; Hordern 2002, 249
; Leitao 2012, 65.
65 Institution musicale, I, 1, 182-183, Lambin
2013, 82, note 47.
66
Athénée, Deipnosophistes 14, 18, 8-10 Kaibel.
67
Il n’est pas possible ici de montrer comment la
musique finit par s’identifier à la nouveauté, pour devenir
la musique « nouvelle ». Wersinger 2014.
68
Pour une étude précise du style musical
d’Agathon en relation avec la nouvelle musique, voir
Wersinger 2001, 79 sq.
69
La meilleure monographie consacrée à Timothée demeure celle de Hordern, 2002.
70
Timothée, fr. 20 Page.
71
Deipnosophistes 14, 18, 11-13 Kaibel.