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APPROCHES MULTINIVEAUX DU DILEMME DE LA QUESTION NUCLÉAIRE EN CORÉE DU NORD ET DE LA SÉCURITÉ EN ASIE DU NORD-EST Kwang-Ho Chun De Boeck Supérieur | Revue internationale de politique comparée 2012/3 - Vol. 19 pages 169 à 191 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2012-3-page-169.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Chun Kwang-Ho, « Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord et de la sécurité en Asie du Nord-Est », Revue internationale de politique comparée, 2012/3 Vol. 19, p. 169-191. DOI : 10.3917/ripc.193.0169 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur ISSN 1370-0731 Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 19, n° 3, 2012 169 APPROCHES MULTINIVEAUX DU DILEMME DE LA QUESTION NUCLÉAIRE EN CORÉE DU NORD ET DE LA SÉCURITÉ EN ASIE DU NORD-EST Depuis l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution du bloc communiste dans les années 1990, la position de la Corée du Nord sur la scène internationale a été considérablement affaiblie. Les changements radicaux tant sur la scène internationale (élections présidentielles américaines) que nationale (changement de leader) ainsi que des désastres naturels (inondations et appauvrissement des sols) ont mis le pays communiste dans une position délicate en ce qui concerne ses attentes de sécurité face aux ÉtatsUnis. Ainsi fragilisée, la Corée du Nord a dès lors assimilé les aspects sécuritaires et les crises économiques à des menaces principales pour la survie de son régime. La surestimation du pouvoir de négociation diplomatique de la Corée du Nord a amené à supposer que ce régime pouvait prévoir les réactions des États-Unis et les manipuler à son avantage. En réalité, le processus décisionnel de Pyongyang se déroule dans un environnement beaucoup plus réduit que celui des gouvernements démocratiques : seule une poignée de personnes de l’élite, principalement Kim Jung-il et quelques fonctionnaires militaires, se rassemblent et prennent les décisions au sujet de ses partenaires dans les négociations. De nombreux analystes ont étudié la Corée du Nord en appliquant une méthode « réductionniste », c’est-à-dire qu’ils se sont concentrés sur « le comportement des parties » plutôt que sur celui « du tout » en supposant que les résultats internationaux sont simplement la somme des résultats produits par les États individuellement, et leurs comportements peuvent être compris par leurs caractéristiques respectives. La plupart des arguments réductionnistes relatifs à la Corée du Nord peuvent être classés en trois visions. La première définit la Corée du Nord comme un État voyou et un agresseur-né. Les défenseurs de ce point de vue encouragent à arrêter le dialogue avec cette dernière parce qu’elle ne pourra DOI: 10.3917/ripc.193.0169 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Kwang-Ho CHUN 170 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Les théories structurales essayent d’expliquer la politique internationale en relation avec la « structure » du monde. Parmi celles-ci, le néoréalisme de Waltz (ou « réalisme structural ») considère que le système international est indépendant des « agents » (les États et les individus), et constitue une variable qui pourrait former et contraindre les rapports politiques parmi ses membres 4. Cette analyse tente d’éviter le réductionnisme, mais elle ne fournit pas nécessairement une théorie complète des relations internationales ; elle exigerait également une analyse interne et une approche individuelle (en d’autres mots, une approche par le processus décisionnel) pour donner un aperçu complet de la politique internationale 5. Afin d’évaluer entièrement le comportement de Pyongyang, il serait utile d’appliquer une approche structurale en plus de l’approche analytique. Le comportement de politique étrangère de la Corée du Nord peut être expliqué par l’interaction de deux dimensions : les préférences internes (attitude favorable envers l’ordre global de l’après-guerre froide représentée par les réformes économiques) et les pressions externes (emprisonnement dans le système de la Guerre froide par les États-Unis). 1. Les représentants de cette vision incluent EBERSTADT N., The End of North Korea, Washington, D.C., AEI Press, 1999 ; « Sound the Alarm : Defector Says North Korea Is Preparing for War », in Economist, 6, 1997 ; IKLE F., « U.S. Folly May Start Another Korean War », in Wall Street Journal, October 12, 1998 ; TAYLOR W., « The Best Strategy Is to Do Nothing », in Los Angeles Times, September 2, 1998 ; RISEN J., « CIA Sees a North Korean Missile Threat », in New York Times, February 3, 1999 ; SOKOSKI H., GILINSKY V., « Bush Is Right to Get Tough with North Korea », in Wall Street Journal, February 11, 2002. 2. Voir : LIM D-W « Inter-Korean Relations Oriented toward Reconciliation and Cooperation », in Korea and World Affairs, vol. 16, n° 2, 1992, p. 123-223 ; SOON Y-H, « Thawing Korea’s Cold War », in Foreign Affairs, vol. 78, n° 3, 1999, p. 8-12 ; KANG D., « We Should Not Fear the North Koreans », in Los Angeles Times, June 13, 2000. 3. Les représentants incluent BRADNER S., « North Korea’s Strategy, » in SOKOLSKI H., (ed.), Planning for a Peaceful Korea, Carlisle, Pa., Strategic Studies Institute, 2001, p. 23-82 ; SIGAL L., Disarming Strangers : Nuclear Diplomacy with North Korea, Princeton, N.J., Princeton University Press, 1998 ; HARRISON S., « The Missiles of North Korea », in World Policy Journal, vol. 17, n° 3, 2000, p. 13-24. 4. DOUGHERTY J., PFALTZGRAFF R., JR., Contending Theories of International Relations – A Comprehensive Survey, New York, Addison Wesley Longman, 2001, p. 81-82. 5. WENDT A., « The Agent-Structure Problem in International Relations Theory », in International Organization, vol. 41, n° 3, 1987, pp. 339-341. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur jamais devenir un partenaire de négociation 1. D’autres réductionnistes croient en « l’effort sincère » de la Corée du Nord pour ouvrir sa société et se réconcilier avec ses anciens ennemis… Les défenseurs de ce point de vue arguent du fait que le régime peut changer – ou a effectivement changé – en s’engageant dans des activités sociales, culturelles, et économiques avec d’autres États 2. La troisième conception suppose que Pyongyang est un décideur rationnel. Elle soutient que Pyongyang emploie intentionnellement cette tension pour dissiper des tensions internes et pour obtenir des négociations en vue d’une aide économique de la part des pays occidentaux 3. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 171 Cadre théorique pour l’analyse de la politique étrangère Approches mononiveau des affaires internationales Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur La perspective dominante en politique internationale se centre sur les traits structurels qui rendent les États individuels interdépendants et créent ainsi « le système international ». Ces théories se basent sur des facteurs tels que la distribution de la puissance ou la hiérarchie internationale, mais n’incluent pas l’hypothèse que les traits nationaux – tels que les différentes caractéristiques des décideurs d’une nation ou l’organisation de son gouvernement – ont un impact conséquent sur le cours des relations internationales 6. Waltz affirme la nécessité de l’approche structurale en évaluant le comportement des États en politique internationale 7. L’accent est mis sur l’ensemble plutôt que sur les parties. La causalité dans les théories structurales affirme que la structure dicte les buts, et ceux-ci conduisent à certains résultats. Le rôle joué par chaque nation est déterminé par sa place dans le système international. Les grandes puissances s’engagent dans une compétition pour le contrôle du système international, et les États plus petits cherchent à profiter d’avantages en s’associant avec de grandes puissances ou en restant en périphérie de la compétition entre les grandes puissances. Bueno de Mesquita classe les théories structurales selon trois piliers : le néoréalisme, le libéralisme, et le marxisme 8. Selon son point de vue, « tous les États-nations, grands ou petits, veulent maximiser le même but, bien que ce but diffère de théorie en théorie ». Par exemple, les néoréalistes supposent que la sécurité est le but le plus important ; pour les théoriciens libéraux et la théorie du système national, c’est l’accumulation de la richesse 9. Du point de vue structural, les différences internes dans les institutions politiques des différents États ne sont pas pertinentes. Les différentes actions des nations diffèrent seulement selon le rôle que ces nations jouent dans le système international 10. Toutes les théories structurales centrent leur attention 6. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics : People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 114-122. 7. WALTZ K., Theory of International Politics, Reading, Mass., Addison-Wesley, 1979, p. 39. 8. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics : People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 121-151. 9. BACH R., « On the Holism of a World System Perspective », in HOPKINS T., WALLERSTEIN I., (eds.), World System Analysis, Beverly Hills, Sage, 1982, p. 159-180. Voir aussi WALLERSTEIN I., The Modern World-System I, New York, Academic Press, 1974. 10. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics : People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 114-122. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Perspective structurale (systémique) 172 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur L’École anglaise adopte clairement une approche structurale du monde en considérant le système international comme une société gouvernée par des normes communes. Elle pourrait être considérée comme un précurseur de la théorie constructiviste contemporaine des relations internationales 12. En termes de structure mondiale et de ses agents – les États principalement – Wendt s’est d’abord concentré sur les relations entre eux dans les théories des relations internationales et a classé leurs modèles 13. Il définit les caractéristiques de la structure du système comme la formation d’identités flexibles selon les interactions entre les agents. Dans son constructivisme, à la différence de Waltz qui présuppose que la structure anarchique du système international existe indépendamment de ses unités ou « agents », Wendt développe la structure d’un système, où ses unités sont une entité indissociable, et sont « mutuellement constituées ». Mais le néoréalisme ne reconnaît pas que la manière dont les unités conçoivent le système international est influencée par leur « vision collective ou intersubjective » d’euxmêmes 14. La perspective de la prise de décision La théorie de la prise de décision identifie un grand nombre de variables pertinentes – organisations internes, bureaucrates, etc. – et suggère des corrélations possibles entre ces variables. Cette théorie ne se centre pas sur « les États en tant qu’abstractions métaphysiques, ni sur les gouvernements, mais elle cherche à mettre en évidence le comportement des décideurs humains spécifiques qui élaborent réellement la politique gouvernementale » 15. Comme Richard Snyder, H.W. Bruck, et Burton Sapin le signalent, « l’action des États est l’action de ceux qui agissent au nom de l’État » 16. 11. Op. cit., p. 149-150. 12. WENDT A., DUVALL R., « Institutions and international order », in CZEMPIEL E.-O., ROSENAU J. (eds.), Global Changes and Theoretical Changes, Lexington, Lexington Books, 1989, p. 51-73. Voir aussi BULL H., The Anarchical Society, New York, Columbia University Press, 1977. 13. Pour une discussion approfondie de cette catégorisation, voir WENDT A., Social Theory of International Politics, London, Cambridge University Press, 1999, p. 22-33. 14. Voir WENDT A., op. cit., 1987, p. 337-341. 15. DOUGHERTY J., PFALTZGRAFF R., Jr., Contending Theories of International Relations – A Comprehensive Survey, New York, Addison Wesley Longman, 2001, p. 554. 16. SNYDER R., BRUCK H.W., SAPIN B., « Decision-Making as an Approach to the Study of International Politics », in the book they edited, Foreign Policy Decision-Making, New York, Free Press, 1963, p. 65. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur sur les caractéristiques transnationales et globales qui définissent l’environnement international, mais tendent à négliger les attributs nationaux 11. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 173 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Approches multiniveaux des affaires internationales Théorie des jeux à deux niveaux de Putnam Putnam rejette les modèles qui prennent l’État comme un acteur unitaire et essaye de construire un modèle à deux niveaux et basé sur ce qu’il appelle un winset. Cette approche représente une déviation de celle de Kenneth Waltz et des autres réalistes structuraux qui font du système international le déterminant premier du comportement des États plutôt que les processus internes 18. « Au niveau national, les groupes domestiques poursuivent leurs intérêts en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il adopte des politiques qui leur soient favorables, et les politiciens cherchent la puissance en construisant des coalitions entre ces groupes. Au niveau international, les gouvernements nationaux cherchent à maximiser leur propre capacité à satisfaire les pressions domestiques, tout en réduisant au minimum les conséquences défavorables des développements étrangers » 19. Au niveau interne (« Niveau I »), la discussion entre les négociateurs se déroule et mène à une tentative d’accord. Au niveau international (« Niveau II »), on mène des discussions séparées dans chaque groupe de constituants pour savoir s’il faut ratifier l’accord. À ce stade, les groupes internes peuvent seulement voter en faveur ou en défaveur ; chaque amendement exige l’accord de toutes les autres parties concernées. Un « winset » pour un collège électoral donné du niveau II est l’ensemble de tous les accords possibles du niveau I qui gagneraient la majorité 17. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics: People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 153. 18. DOUGHERTY J., PFALTZGRAFF R., Jr., op. cit., 2001, p. 598-9. 19. PUTNAM R., « Diplomacy and Domestic Politics: The Logic of the Two level Games », in International Organization, vol. 42, n° 3, 1988, p. 427-460. Il est important de noter que certaines critiques peuvent être soulevées en ce qui concerne le degré d’applicabilité de ces théories au système politique coréen dont la rigidité pourrait faire obstacle à l’évaluation de ces modèles. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Selon Bueno de Mesquita, l’approche de la prise de décision se concentre sur la puissance et les intérêts dans les États individuels plutôt que sur les caractéristiques agrégées des attributs de tous les États. Selon lui, les intérêts des groupes d’influence en compétition influencent les choix de politique. En conséquence, les différentes politiques étrangères émergent d’un environnement caractérisé par la concurrence bureaucratique et organisationnelle. La politique internationale est simplement « un processus confus dans lequel les intérêts étroits, locaux dominent la pensée et motivent les actions » 17. 174 Kwang-Ho CHUN La taille d’un winset dépend de la distribution de la puissance, des préférences, et des coalitions possibles parmi des constituants du niveau II. La taille du winset dépend aussi des institutions politiques du niveau II. Plus l’autonomie des décideurs centraux de leurs constituants de niveau II est grande, plus leurs winsets sont grands et donc plus la probabilité de réaliser un accord international est grande ; mais ceteris paribus, plus un État est fort en termes d’autonomie par rapport aux pressions internes, plus faible est sa position de négociation relative sur la scène internationale. La taille du winset dépend aussi des stratégies des négociateurs du niveau I. Chaque négociateur veut maximiser le winset de l’autre partie, mais pas nécessairement le sien (cela augmenterait la probabilité d’atteindre l’accord, mais affaiblirait sa position dans la négociation). Pour maximiser les winsets de l’autre partie, les négociateurs essayeront de renforcer leur position réciproque avec leurs constituants respectifs et par conséquent augmenter leur winset. La perspective stratégique de Bueno de Mesquita La perspective stratégique de Bueno de Mesquita répartit les théories des relations internationales en deux catégories : les théories structurales et les théories de la prise de décision. Le structuralisme souligne la distribution de la puissance ou les contraintes des régimes internationaux sur la politique internationale. La compétition et l’interdépendance sont les dispositifs centraux des relations entre les États. Les comportements de politique étrangère sont inspirés par des motivations communes à toutes les nations comme la sécurité nationale ou la 20. Briefing Asie n° 56, « Essai nucléaire en Corée du Nord : les retombées », voir le Rapport Asie de Crisis Group, 2006. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur nécessaire parmi les constituants une fois voté pour ou contre. Plus le winset est grand plus l’accord de niveau I est possible, toutes choses étant égales par ailleurs. Plus les winsets sont petits, plus le risque de défection involontaire est grand, et, par conséquent, plus la littérature au sujet des dilemmes d’action collective est applicable. La défection involontaire se produit quand un agent ne peut pas tenir une promesse en raison d’un échec de ratification, qu’il faut distinguer de la défection volontaire, qui se produit quand un « égoïste rationnel » rompt un contrat inapplicable. En second lieu, la taille relative des winsets respectifs du niveau II affectera la distribution des gains communs issus de la négociation internationale. Un petit winset interne peut être un avantage de négociation 20. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 175 richesse nationale pour favoriser l’intérêt national. Des soucis internes sont supposés négligés quand les menaces extérieures et les pressions sont accablantes 21. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur La perspective stratégique sur les affaires internationales combine les aspects des théories structurales avec ceux des théories de la prise de décision. Elle met l’accent sur l’interaction entre les intérêts internes et les contraintes externes. Les décisions impliquent des « calculs stratégiques continus et complexes au sujet de la façon dont les décideurs locaux et étrangers répondront » à leur comportement politique 23. La perspective stratégique implique la tension entre les pressions internationales et internes. Les dirigeants doivent parfois choisir entre les actions qui satisferont les constituants internes, mais irriteront les adversaires étrangers ou les actions qui apaiseront les adversaires étrangers, mais contrarieront les constituants internes 24. La perspective stratégique fonctionne avec ou sans l’hypothèse de l’acteur unitaire. Pour les réalistes structuraux, comme Kenneth Waltz, l’État est un acteur unitaire, car il choisit des objectifs et des stratégies de politique pour maximiser sa sécurité dans le contexte international. Pour les théories stratégiques, « les objectifs politiques internationaux n’ont pas besoin d’être déterminés seulement par la position d’un État dans la structure internationale ; ils ne sont pas non plus dictés par la poursuite de la maximisation de la sécurité nationale ». Au lieu de cela, les dirigeants politiques choisissent des politiques internationales avec à l’esprit la maximisation de leur propre bien-être individuel, comme conserver leur puissance par exemple. Ces théories reconnaissent que le bien-être des dirigeants politiques est intimement lié à leur performance, même s’ils sont des monarques ou des dictateurs absolus 25. Selon cette analyse multiniveaux, les leaders de politique étrangère veulent d’une part augmenter leur statut politique sur la scène interne, et d’autre part, ils se concentrent également sur le contexte international dans lequel 21. 22. 23. 24. 25. BUENO de MESQUITA B., op. cit., 2000, p. 121-151. Ibid., p. 152-166. Ibid., p. 186. Ibid., p. 167-168. Ibid., p. 193-195. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Par contraste, les théories de la prise de décision soulignent la compétition entre les bureaucraties et des groupes d’intérêt dans un État. Elles accordent rarement attention aux conditions externes qui pourraient influencer des décisions de politique étrangère. Tous les décideurs luttent pour les ressources nationales et espèrent faire passer leurs intérêts avant ceux de leurs rivaux internes 22. 176 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Les théories de la perspective stratégique sont en désaccord avec la perspective purement interne de la politique incorporée dans l’approche des groupes d’intérêt. Le point de désaccord porte sur l’importance des conditions internationales dans la détermination des choix réalisée par les leaders de politique étrangère. Les théories des groupes d’intérêt écartent en grande partie tout ce qui se déroule en dehors de l’État ; en revanche, l’approche stratégique prend en compte ces derniers. Les théories de cette perspective sont en désaccord également avec les théories des systèmes, car elles écartent l’importance des considérations internes. Les approches structurales considèrent la politique interne comme sans conséquence quand il s’agit d’importants choix internationaux. La perspective stratégique estime que la politique interne doit être intégrée pour comprendre la prise de décision internationale. Les politiques sont élaborées selon les interactions entre les pressions internes et les contraintes structurales internes et internationales sur les options stratégiques. Dans la partie suivante, nous analyserons le cas de la Corée du Nord avec la perspective des interactions stratégiques. Analyse multiniveaux de la Corée du Nord Les winsets comme outil pour comprendre la politique Afin d’évaluer entièrement le comportement de la politique étrangère de la Corée du Nord, il est utile d’appliquer l’approche structurale et l’approche de prise de décision ensemble (c’est-à-dire, l’approche stratégique de Bueno de Mesquita). La politique étrangère de la Corée du Nord peut être expliquée par l’interaction de deux dimensions : les préférences internes (attitude favorable envers l’ordre global de l’après-Guerre froide représenté par les réformes économiques) et les pressions externes (enfermement dans le système de la Guerre froide imposé par les États-Unis). En effet, la pression politique américaine exercée sur Pyongyang pourrait être comparée à celle de la Guerre froide. Un des dispositifs les plus importants de l’interaction stratégique est la tension entre les pressions internationales et internes. Pour les pays communistes à la fin des années 1980, une réforme économique vers le marché capitaliste mondial signifiait que leur sécurité deviendrait plus vulnérable face aux flux capitalistes. Cette interaction peut se terminer sur un équilibre renforcé entre eux, c’est-à-dire, un équilibre semblable à ceux de l’ex-Union Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur ils doivent mettre en application leurs objectifs. Les dirigeants sont chargés de choisir les stratégies qui leur donneront la plus grande chance de réaliser leurs buts et de sécuriser de ce fait leur propre puissance. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 177 soviétique, de la République populaire de Chine, et de beaucoup d’autres États communistes en Europe de l’Est. Au lieu de cela, il reste un dilemme significatif pour la prise de décision de politique étrangère, comme on a pu le voir à Pyongyang pendant la dernière décennie. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur On suppose généralement que le but central de la politique de la Corée du Nord de 1989 a été d’assurer la survie de son régime. La politique étrangère de base de la Corée du Nord à cette époque était fondée sur l’ouverture pour répondre aux besoins économiques internes et pour assurer sa survie. Cependant, en 1993, l’atmosphère de Pyongyang a changé soudainement et a été dominée par un souci croissant lié aux pressions externes. Depuis lors, l’équilibre politique de la Corée du Nord entre les préférences internes et les pressions internationales, n’est pas encore stabilisé et toujours en cours d’ajustement, luttant entre les deux directions opposées : les décideurs de Pyongyang doivent gérer la sécurité militaro-politique imposée par les États-Unis, tout en essayant de participer à la société mondiale et aux activités économiques. Les préférences internes Une expansion régulière des structures du marché mondial et les changements sociétaux après la guerre froide ont sans aucun doute changé la politique interne en Corée du Nord. Son économie s’est presque effondrée et le pays a de plus en plus compté sur l’aide humanitaire 26. Ces facteurs poussent Pyongyang à tenter d’échapper à l’isolement en adoptant une politique de réconciliation d’après-Guerre froide ainsi qu’une réforme sur le modèle du marché. Si l’économie s’effondre, la stabilité politique pourrait être menacée par une mobilisation de masse impossible à contenir. Les réductions des dépenses militaires pour satisfaire des besoins non militaires risqueraient évidemment d’aliéner les forces armées et de retourner l’armée populaire coréenne (CPA) contre le régime. À la lumière des communiqués du régime (références répétées aux politiques « d’abord militaires ») et de son comportement (dépenses militaires croissantes face à l’augmentation de la dépendance à l’aide étrangère), la plupart de l’attention s’est tout naturellement concentrée sur l’option de la croissance 27. 26. Voir World Food Program, « Democratic People’s Republic of Korea’s ‘Already Severe Humanitarian Crisis’ Will Dramatically Worsen Without Immediate Aid, Say UN Heads », April 30, 2002, available at : http ://www.wfp.org/newsroom/subsections/preview.asp?content_item_id=528 &item_id=465§ion=13> 27. NOLAND M., The Korean Journal of Defense Analysis, vol. 14, n° 2, 2002, p. 76. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur La position de Pyongyang dans le monde de l’après-Guerre froide 178 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Le système international qui a confiné les décideurs de Pyongyang est né de l’hostilité et de l’antagonisme entre la Corée du Nord et les États-Unis pendant et après la guerre de Corée en 1950. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, la position de la Corée du Nord a été considérablement affaiblie dans ses relations avec les États-Unis. Suite à la structure bipolaire du monde et à la présence (militaire) grandissante des États-Unis sur la scène internationale, il a été de plus en plus difficile pour la Corée du Nord d’agir seule. Protégée par la Chine de Mao à l’ouest et par l’Union soviétique au nord, elle a pu pratiquer sa politique de « juché » à l’intérieur et de soutien aux ennemis des États-Unis à l’extérieur. En moins de deux ans, la brutale transformation du système de Guerre froide l’a laissée perplexe et, après 1991, l’arrêt de toute aide en provenance de Russie l’a fragilisée. Sans connaître la réelle intention des États-Unis et de leurs alliés, la Corée du Nord se méfie fortement de l’intention de la superpuissance et se sent plus facilement menacée qu’elle. Pyongyang s’est efforcée de développer des armes de destruction massive pour assurer la survie du régime, aussi bien que pour augmenter sa puissance de négociation contre les États-Unis, alors que ceux-ci et leurs alliés considèrent ces démarches comme une menace à leur encontre. Le système politique interne de la Corée du Nord est également sensible aux contraintes internationales. Les caractéristiques totalitaires et le traitement déplorable de sa population ont souvent été critiqués par les États-Unis. Vues indépendamment de la politique au niveau interne, toutes ces pressions externes ont forcé le régime nord-coréen à favoriser un programme d’armement nucléaire pour « une dissuasion minimale », ou « une stratégie asymétrique ». Application : La Corée du Nord de l’après-Guerre froide Comportement de politique étrangère de la Corée du Nord depuis 1989 Août 1989 – mars 1993 (avant retrait du TNP) : Besoins internes de réconciliation – Détente de l’après-Guerre froide La détente de l’après-guerre froide en Asie du Nord-Est est apparue avant la chute du mur de Berlin. Pyongyang s’est engagée activement dans divers dialogues intercoréens, répondant à la politique de détente de l’administration de Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Les pressions externes 179 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Roh Tae-woo 28. Avec l’augmentation des échanges politiques, économiques et culturels durant cette période, les Corées du Nord et du Sud ont obtenu des résultats fructueux tels que l’entrée commune aux Nations Unies (1991), l’Accord de Base sur la Réconciliation, la Non-agression, les Échanges et la Coopération (1991), la Déclaration commune sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne (1992). Sur le plan interne, la Corée du Nord a révisé sa constitution lors de la troisième session de l’assemblée du peuple de la 9e Assemblée Populaire Suprême (APS) en avril 1992 en excluant la « mention de Marx et Lénine », et en y inscrivant à la place « l’autonomie », « la paix », et « l’amitié » comme les principes de base de sa politique étrangère 29. Pyongyang a également tenté d’améliorer ses relations avec les États-Unis et d’autres pays occidentaux, quitte à devoir abandonner son programme d’armes nucléaires 30. L’attitude de la Corée du Nord, a changé environ trois mois avant l’annonce de son retrait du TNP, quand Pyongyang a signifié à la Corée du Sud qu’elle rejetterait la 9e rencontre des hauts fonctionnaires à l’agenda. Une approche systémique peut aider à comprendre l’action du Nord et en particulier, l’environnement international en tant que variable systémique. Pour Pyongyang, la détente d’après-Guerre froide a été de plus en plus considérée comme une menace contre sa sécurité parce qu’elle a affaibli ses liens avec la Russie et la Chine, alors que le camp des États-Unis est demeuré intact. En août 1992, la Corée du Sud a établi des relations diplomatiques avec la Chine et a également signé un Traité de relations avec la Russie, tandis que la Corée du Nord n’était pas entièrement engagée dans une relation formelle avec les États-Unis. Avec l’apparition des nouveaux rapports de la Corée du Sud avec la Chine et la Russie, la dissolution de la structure de Guerre froide a mené à l’isolement diplomatique du Nord. Après que les aides militaires et économiques de la Russie et de la Chine soient devenues incertaines, Pyongyang commença à se focaliser sur les armes nucléaires et les programmes de missiles. Ces programmes étaient principalement destinés à l’autodéfense et à permettre des gains économiques issus de la vente d’armes plutôt qu’à lancer des attaques militaires préventives 31. 28. À partir du 19 août 1989, il y a eu 10 tours de discussion préliminaires pour les rencontres parlementaires Nord-Sud, neuf rencontres pour une participation conjointe aux jeux asiatiques, sept rencontres de la croix rouge et huit rencontres des hauts fonctionnaires pendant cette période. 29. Article 17 de la Constitution de la République Démocratique Populaire de Corée (Révisés le 8 avril 1992). Pour une discussion approfondie, voir LIM J-H, « Transforming factors and Corresponding Strategies of North Korean Foreign Policy in the Post-Cold War Era », in The Korean Journal of International Relations, vol. 41, n° 4, 2001, p. 107-109. 30. De mai 1992 à mars 1993, la Corée du nord a accepté six fois les inspections de l’AIEA et signé l’accord de sauvegarde des inspections de l’IAEA. De même, un éditorial du Roddong Shin-mun du 25 juin 1992 encourageait explicitement l’amélioration des relations avec les USA. 31. PARK J-Y, « North Korea’s Nuclear and Missile Development Policy: Goals and Reality », in The Korean Journal of International Relations, vol. 39, n° 1, 1999, p. 228-229. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Deux autres contraintes internationales incluent la demande insistante de l’Agence internationale de l’énergie atomique de pouvoir effectuer des inspections spéciales dans deux emplacements nucléaires suspects de Yongbyon et la reprise des exercices militaires américano-sud-coréens Team Spirit en janvier 1993 32. Le régime nord-coréen a souffert du changement d’environnement sécuritaire et les options de politique viables pour Pyongyang ont été certainement davantage réduites qu’avant. Le régime de Pyongyang affirmait que la décision de se retirer du TNP a été rendue « nécessaire » par les demandes « injustes » de l’AIEA ainsi que par les exercices militaires considérés par Pyongyang comme un effort conjoint des Sud-Coréens et des Américains pour se préparer à une attaque préventive contre le régime 33. Tous ces changements au niveau international ont accru l’inquiétude de Pyongyang sur sa sécurité nationale et la survie de son régime pendant cette période. Faisant face aux inspections spéciales obligatoires de l’AIEA, la Corée du Nord a annoncé, 12 mars 1993, son intention de se retirer du TNP, mettant en avant des considérations suprêmes de sécurité nationale. Pour résumer le point de vue constructiviste, la fin de la confrontation de la guerre froide a fondamentalement changé les environnements diplomatique et sécuritaire des deux Corées, les conduisant à élaborer de nouvelles normes et des identités différentes de celles de la guerre froide 34. L’apparition des normes et des identités auraient pu, à leur tour, avoir mis fin à la confrontation, apporter une nouvelle structure d’après-guerre froide en Asie du NordEst et aider à renforcer les changements structurels en cours au niveau global. Cependant, une telle interaction entre les « agents » et la « structure » n’était pas assez active pour produire une nouvelle structure qui aurait pu mettre fin à la confrontation dans la région à cause de la pression militaro-politique externe des États-Unis qui a contraint le régime depuis la guerre de Corée. Mars 1993 (retrait du TNP par le Nord) – octobre 1994 (Accord de Genève) : Pressions sécuritaires externes – la première confrontation Le retrait de la Corée du Nord du TNP peut être expliqué par le souci de sécurité. Kim Il Sung, chef nord-coréen de l’époque, n’était pas enclin à continuer les activités sur le site de Yongbyon sachant que le Président Clinton pourrait autoriser des actions militaires. Du point de vue systémique, ce 32. STEIN J. « Direction and Defection: Security Regimes and the Management of International Conflict », in International Journal, vol. 40, n° 4, 1985, p. 601. 33. Pour plus de détails sur le retrait de la Corée du Nord du TNP, voir MAZARR M., North Korea and the Bomb: A Case Study in Nonproliferation, London, McMillan Press, 1995, p. 101-122. 34. Pour une discussion plus approfondie, voir CHUN Chae-sung, « The Cold War and Its Transition for Koreans : Their Meanings from A Constructivist Viewpoint », in MOON C-I, WESTAD A., KAHNG G-H (eds.), Ending the Cold War in Korea: Theoretical and Historical Perspectives, Seoul, Yonsei University Press, 2001, p. 136-138. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur 180 Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 181 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Les États-Unis et la Corée du Nord ont terminé quatre mois de négociations en adoptant « l’Accord de Genève » le 21 octobre 1994. Il stipule que la Corée du Nord gèle et démantèle par la suite ses installations nucléaires. Il permet également à l’AIEA d’en vérifier la conformité par « des inspections spéciales ». En outre, l’accord stipule également que les États-Unis et la Corée du Nord se dirigent vers la pleine normalisation de leurs relations politiques et économiques. La pression renforcée des besoins économiques internes était un des éléments dominants qui ont contraint la Corée du Nord à rechercher des accords, ou du moins à négocier 36. La situation interne du régime et les différentes caractéristiques de son chef en étaient d’autres. Ces « trois images » du Nord ont finalement conduit le pays à la table des négociations d’une manière coopérative. Octobre 1994 (Accord de Genève) – mars 2001 (Politique nord-coréenne de Bush) : la période post-accord Genève ; négociation de Pyongyang basée sur une structure domestique et systémique plus faible Après l’accord de Genève, Pyongyang se serait sentie plus en sécurité qu’en 1993, et ses soucis de sécurité ont certainement été allégés. Cette période post-Accord de Genève peut également être vue comme une période où la Corée du Nord a développé ce que l’on appelle la « diplomatie du chantage ». Certains affirment que ce modèle de négociation n’a pas été prévu à l’origine par le régime lui-même, mais qu’il aurait été appris par les jeux répétés avec les États-Unis. Une théorie systémique suggérera que la diplomatie du Nord était possible parce que les contraintes systémiques de la Corée du Nord pendant cette période s’étaient affaiblies considérablement en raison de l’accord de 1994. 35. Pour plus de détails sur la diplomatie USA-Corée du Nord à propos du nucléaire et des missiles, voir : <http ://www.armscontrol.org/factsheets/dprkchron.asp> 36. XXX Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur que le régime voulait, ce n’était pas de créer une menace contre les ÉtatsUnis, mais de développer des capacités d’autodéfense par ses propres moyens. Suite aux discussions en juin 1993 avec les États-Unis, la Corée du Nord a suspendu sa décision de se retirer du TNP. Elle accepta aussi l’application des mesures de sauvegarde de l’AIEA. En retour, Washington a offert des garanties contre la menace et l’utilisation de la force, y compris par les armes nucléaires, mais également de ne pas interférer dans les affaires internes de la Corée du Nord 35. Avant juin 1994, les décideurs et les élites du régime étaient prêts à négocier et à conclure un accord avec Washington. 182 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Néanmoins, les tensions en Asie du Nord-Est ont commencé à diminuer à partir du 12 septembre 1999, quand la Corée du Nord, lors d’entretiens avec les États-Unis à Berlin, a déclaré un moratoire sur les tests de tous les missiles à longue portée pendant la durée des négociations. Pyongyang a également accepté « de ne pas produire, ne pas tester, ne pas déployer des missiles d’une portée jusqu’à 300 miles, et offert de suspendre la vente de missiles, de composants de missile, de technologies de missile, et de formation, y compris ceux sous contrat » 39. Ce climat de détente dans la péninsule coréenne a connu son apogée le 15 juin, lors du premier sommet intercoréen, quand les deux chefs d’État ont signé une déclaration commune affirmant qu’ils acceptaient de résoudre le problème de la réunification de la Corée et de faciliter les échanges économiques et culturels. À cette occasion, Washington allégea ses sanctions économiques contre la Corée du Nord le 19 juin. Le lendemain, Pyongyang répondait en réaffirmant son moratoire sur les essais de missile 40. Cependant, ce climat optimiste n’a pas duré. Pendant les négociations sur les missiles entre Washington et Pyongyang à Kuala Lumpur en juillet – juste après le sommet intercoréen, la Corée du Nord a refusé de cesser de développer des missiles, exigeant une compensation d’un milliard de dollars par an 41. Étant donné la volonté de l’administration Clinton de trouver une solution pacifique à la question nord-coréenne, une concession du Nord à ce moment-là aurait pu faire sortir le pays de ses va-et-vient continuels entre deux préférences de politiques contrastées – la politique de sécurité et la politique pour l’économie interne –, et l’aurait mené à un point d’équilibre relativement stable, comme l’ont montré la Chine ou le Vietnam. Les 37. On suspectait le site de contenir un réacteur à graphite destiné à produire du plutonium, ainsi qu’un site de retraitement. Le gouvernement américain était impliqué dans une série de négociations pour vérifier ce site. À la fin, les Nord-Coréens ont accepté les inspections sur le site de Kumch’angri en mai 1999, et de nouveau en mai 2000. Les deux inspections n’ont trouvé aucune preuve de constructions suspectes. 38. A multi-stage space launch vehicle (SLV) / missile balistique de portée intermédiaire (IRBM), qui a été testé le 31 août 1998. 39. PRZYSTUP J., « Anticipating Strategic Surprise on the Korean Peninsula » in Strategic Forum, n° 190, 2002, p. 3-4. 40. <http ://www.armscontrol.org/factsheets/dprkchron.asp> 41. New York Times, July 13, 2000. « North Korea Vows to Continue Missile Program ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Ainsi, les fréquentes tensions militaires du nord pendant cette période peuvent être mieux expliquées par l’effort du régime de se maintenir extérieurement et intérieurement – en d’autres termes, par une approche interne du régime. Les événements générateurs de tension en Corée du Nord incluent un programme secret suspecté d’armes nucléaires à Kumch’angri 37 et le lancement du Taepo-dong I 38 dans l’espace aérien japonais. Ces incidents ont pu avoir été intentionnellement provoqués au niveau interne afin d’exiger des concessions des États-Unis et des autres pays. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 183 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Basé sur des pressions internes et systémiques plus faibles, c’est-à-dire peu de contraintes sécuritaires internationales et des pressions économiques et sociales modérées, Pyongyang a développé ses propres décisions et politiques relativement immunisées de ces influences internes et externes. Le régime pouvait utiliser son programme de missile et d’armement nucléaire comme moyen de négociation et aussi effectuer certains gestes pacifiques afin d’obtenir l’aide économique des pays occidentaux. Cependant, l’élite de Pyongyang n’est pas parvenue à se libérer complètement du dilemme politique. Des besoins internes et des contraintes internationales relativement moindres ont permis d’arriver à une telle décision. Néanmoins, cette période montre la possibilité dont disposait la Corée du Nord pour s’évader de la structure politique inconfortable dans laquelle elle était enfermée et dépendante de la volonté et de l’interaction des décideurs avec leurs partenaires. Selon Wendt, la structure peut changer par les modèles d’interaction des états individuels puisque le système n’existe pas en dehors des acteurs qui le composent, mais la structure et les acteurs « sont mutuellement constitués ». La politique de la main tendue de Kim Dae-jung avait prévu de tels changements structurels en convainquant la Corée du Nord à s’engager dans plus d’activités économiques intercoréennes. Cependant, le gouvernement sud-coréen seul ne peut pas réaliser une telle transformation structurelle du Nord puisque son influence externe sur le régime est négligeable, étant donné les contraintes systémiques des ÉtatsUnis. Seule l’administration américaine pouvait susciter ce changement. Par conséquent, les contraintes systémiques sur le régime, malgré la politique d’engagement du Sud, se sont énormément développées à cause de l’attitude dure de l’administration Bush envers la Corée du Nord. Mars 2001 (Politique nord-coréenne de Bush) – juillet 2002 (reprise des négociations intercoréennes) : pressions sécuritaires – la deuxième confrontation Quand George W. Bush a gagné l’élection présidentielle, on s’est largement attendu à ce que la ligne dure républicaine se manifeste contre la Corée du Nord. La politique nord-coréenne de l’administration s’est avérée ferme et résolue en ce qui concerne les armes conventionnelles et celles de destruction massive. Au cours des négociations avec Pyongyang, le Président Bush a insisté continuellement sur la « réciprocité » et la « vérification », une attitude différente de celle de l’administration Clinton. La fermeté de Washington prédisait la fin de la période des négociations post-Accord de Genève. Depuis lors, Pyongyang a commencé à subir les changements systémiques dans son environnement. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur winsets politiques de la Corée du Nord auraient pu atteindre un équilibre, de nouveau, quand la politique d’engagement de l’administration Clinton était à son faîte, et Madeleine Albright, alors secrétaire d’État, a visité Pyongyang pour rencontrer Kim Jong-il en octobre 2000. 184 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Se sentant menacée et donc plus agressive, la Corée du Nord de cette période peut être décrite comme accablée de soucis sécuritaires. Une analyse au niveau du système prévoit que c’est cette période où le Nord, nerveux et agressif, adopte une attitude dure, du fait des remarques belligérantes du Président W. Bush, et commet parfois des agressions apparemment peu raisonnables et absurdes. Basé sur cet ensemble de conditions, le 29 juin 2002, le désaccord entre les deux Corées à propos de la mer occidentale a éclaté en une bataille navale. Bien que les théories systémiques ne puissent pas directement expliquer la cause de la précipitation de cet incident, elle fournit une base qui peut aider à mieux expliquer le comportement agressif du nord. Les trois arguments réductionnistes qui se concentrent seulement sur les caractéristiques internes semblent échouer à analyser les causes complètes de l’incident. À première vue, l’argument qui définit la Corée du Nord comme un régime « mauvais » semble pertinent chaque fois que celle-ci commet de tels incidents, mais ne peut pas expliquer pourquoi Pyongyang était désireux de reprendre des négociations et poursuivre une politique d’ouverture juste après la bataille navale. De même, un autre argument qui croit à la volonté sincère du Nord de s’ouvrir n’explique pas non plus correctement l’incident, puisque des agressions telles que l’accrochage naval nient totalement l’hypothèse de départ. Cela n’explique pas non plus pourquoi la Corée du Nord est maintenant obsédée par son programme d’armement nucléaire et autres AMD. Le troisième argument réductionniste est que les agressions de Pyongyang sont intentionnelles et destinées à augmenter la tension dans la péninsule coréenne pour se maintenir et pour obtenir un pouvoir de négociation plus grand. Cet argument n’explique pas les aspects irrationnels de l’agression, surestimant apparemment le processus rationnel du régime dans la prise de décision. 42. New York Times, March 15, 2001, « North Korea Turns Up the Heat; Calls U.S. a Nation of Cannibals ». 43. Le discours sur l’état de l’Union du 29 janvier 2002. Voir : <http ://www.whitehouse.gov/news/ releases/2002/01/20020129-11.html> Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Après une série de remarques fermes de l’administration Bush depuis son inauguration, la Corée du Nord subit de profondes préoccupations de sécurité, et se retranche de l’environnement « hostile ». Le 13 mars, la Corée du Nord annula des rencontres de niveau ministériel avec la Corée du Sud. Deux jours plus tard, elle a également menacé les États-Unis de lancer « une vengeance multipliée par mille » 42. Ce qui a irrité Pyongyang encore davantage, et provoqué son attitude, était la remarque sur l’« axe du mal » du Président Bush. Celui-ci critiquait la Corée du Nord parce qu’elle était « un régime s’armant avec des missiles et des armes de destruction de massive, tout en privant ses citoyens de nourriture » et déclarait que la Corée du Nord, avec l’Irak et l’Iran, « constituent un axe du mal, s’armant pour menacer la paix du monde » 43. 185 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Les décisions du Nord, sans aucun doute, doivent être étudiées après une considération approfondie de sa propre manière de faire, calculant leurs coûts et leurs avantages. Cependant, la troisième analyse n’a pas identifié que la sphère de sécurité internationale envers la Corée du Nord influence également la prise de décision à Pyongyang en tant que variable systémique. Un petit groupe exclusif d’élites politiques, comparé à ceux des démocraties pluralistes, sera plus sensible aux changements dans l’atmosphère de sécurité et basculera plus facilement parce qu’il existe, dans ce groupe, peu de coordonnateurs pour vérifier, équilibrer et soutenir des résultats politiques stables. Par conséquent, bien que destinées à être rationnelles au niveau interne, les agressions de la Corée du Nord s’avèrent être, dans une certaine mesure, irrationnelles à cause des contraintes de son système politico-militaire. Aucune des trois analyses n’a apporté une pleine explication parce que leurs analyses définissent d’abord les caractéristiques du régime, les considèrent comme données, et essayent ensuite de découvrir les causes de l’incident dans ces caractéristiques « données ». Cependant, les caractéristiques du régime de Pyongyang ne sont pas fixes, mais disposent en fait d’une certaine marge de manœuvre, dans laquelle il évolue facilement et est influencé par l’environnement international créé principalement par les États-Unis. La bellicosité de la Corée du Nord et les agressions commises durant cette période sont en grande partie issues de décideurs qui ont perçu une menace croissante de la part de l’administration Bush et sont donc hantés par des soucis de sécurité. L’impression croissante de crise filtre depuis les hauts fonctionnaires et les officiers militaires, se répand parmi les particuliers et s’imprime dans leurs esprits. En d’autres termes, les éthos militaro-politiques de la Guerre froide ont de plus en plus dépassé la demande de changements économico-sociaux internes, et ont conduit le régime à s’enfermer et à rester en état d’alerte totale contre le monde extérieur. Juillet 2002 (reprise des négociations intercoréennes) – octobre 2002 (jusqu’à la visite de James Kelly à Pyongyang) : préférences économiques internes Après l’incident, Pyongyang s’est retrouvé sous une pression croissante de la part de la société internationale ; le scepticisme a surgi en Corée du Sud concernant les aides économiques à la Corée du Nord ; l’administration Bush a reporté une visite officielle à Pyongyang. Au niveau interne, le régime a dû passer par une profonde réflexion jusqu’à ce qu’il décide une série de gestes de réconciliation. Après un mois de silence suite à l’accrochage naval, le 25 juillet, la Corée du Nord a officiellement proposé au gouvernement du Sud la reprise des rencontres au niveau ministériel à Séoul et a également transmis ses « regrets à propos de la bataille navale ». Le 31 juillet 2002, pendant le Forum régional de l’ASEAN, le ministre des Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 186 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Au niveau interne, Pyongyang a ressenti un fort besoin d’échapper à l’isolement international et de stabiliser son économie bancale, ce qui a mené le régime à tendre un rameau d’olivier à Séoul, au Japon et à Washington. Octobre 2002 – octobre 2006 : pressions sécuritaires – la troisième confrontation Pendant la visite d’une délégation des États-Unis menée par James Kelly 44 à Pyongyang, la Corée du Nord a reconnu avoir un nouveau programme d’armement nucléaire secret. Face aux preuves directes des États-Unis qui ont démontré l’existence de ce programme destiné à produire des matières fissiles par l’enrichissement de l’uranium, Pyongyang a décidé d’entreprendre une grande démarche contre les États-Unis. Le vice premier ministre des Affaires étrangères, Kang Suk-ju, a reconnu ce programme, accusant explicitement les États-Unis d’être hostiles au régime 45. Cette reconnaissance inattendue du Nord a depuis lors créé des implications de grande envergure dans la société internationale. L’élite de Pyongyang considère l’attitude des États-Unis comme menaçant le régime lorsque ceux-ci répétèrent sans relâche leur souci au sujet des armes de destruction de massive, du développement et de l’exportation de missiles, de la menace des armes conventionnelles du Nord pour ses voisins et des violations des droits de l’homme perpétrés à l’encontre de leur propre population. Comme dans les autres périodes de domination politique militaire, la Corée du Nord s’est sentie mise en danger, et est devenue plus agressive. Au niveau systémique, l’admission et la dénonciation des Américains par les décideurs, ont été en grande partie influencées par l’attitude de la superpuissance, et la gamme de leurs options de politique s’est réduite à cause de leur souci de sécurité. Bien que la décision ait été probablement prise par 44. Le secrétaire d’État adjoint pour l’Asie et les affaires pacifiques. 45. <http ://www.cnn.com/2002/US/10/16/us.nkorea/index.html> Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Affaires étrangères nord-coréen, Paek Nam sun, a rencontré le secrétaire d’État des États-Unis Colin Powell et a exprimé plusieurs fois l’acceptation de son pays de recevoir un envoyé des États-Unis à Pyongyang. Il a également rencontré la ministre des Affaires étrangères japonaise Yoriko Kawaguchi et a discuté du renouvellement des entretiens bilatéraux en vue de la normalisation pendant le Forum. La Corée du Nord a depuis lors donné une image d’ouverture et de changement : introduction de certaines fonctions du Marché dans l’économie, résolution d’enjeux en attente avec le Japon par une réunion au sommet entre le premier Ministre, désignation de Sinuiju comme zone spéciale, etc. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 187 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Cependant en 2002, des rumeurs ont circulé que la Corée du Nord poursuivait à la fois des technologies d’enrichissement de l’uranium et des technologies de retraitement du plutonium dans le déni de l’accord-cadre. La Corée du Nord a répété aux diplomates américains en privé qu’ils étaient en possession d’armes nucléaires, citant les échecs américains à respecter leur propre engagement « de l’accord-cadre » comme force de motivation. La Corée du Nord plus tard a clarifié qu’elle ne possédait pas encore d’armes nucléaires, mais qu’elle avait le droit d’en posséder. Fin 2002, début 2003, la Corée du Nord a pris des mesures pour éjecter des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique tout en réacheminant les barres de combustible usées pour retraiter le plutonium et produire des armes. Au cours de 2003, les fonctionnaires nord-coréens et américains ont échangé des mots durs et ont mis en place des exercices militaires qui ont été interprétés par l’autre partie comme agressifs. Aussi tard que la fin de 2003, la Corée du Nord a annoncé qu’elle gèlerait son programme nucléaire en échange de concessions américaines – en particulier un traité de non-agression –, mais un accord définitif n’a pas été atteint et les négociations suivantes ont été annulées ou ont échoué. La Corée du Nord s’est alors retirée du Traité de non-prolifération nucléaire en 2003, n’ayant pas reçu les réacteurs à eau légère promis par les États-Unis et supposés être livrés en échange du gel du développement des centrales nord-coréennes, comme convenu dans l’accord-cadre. En 2004, une équipe d’inspecteurs américains, menée par l’ancien directeur Siegfried S. Hecker du laboratoire national de Los Alamos, a été autorisée à inspecter les sites de production du plutonium de la Corée du Nord. Hecker a témoigné plus tard devant le Congrès des États-Unis qu’il n’a vu aucune preuve qu’ils avaient produit réellement une arme efficace. En septembre 2004, cependant, les fonctionnaires nord-coréens ont annoncé qu’ils avaient transformé avec succès le plutonium de Yongbyon en force de dissuasion nucléaire utilisable. Au cours de 2005, d’autres négociations diplomatiques ont été lancées entre les États-Unis, la Corée du Nord, la Corée du Sud, la Chine, le Japon, et la Russie (les négociations à six), mais peu de changement concret s’est produit. Bien que la Corée du Nord ait effectué de nombreux essais de missiles (dont certains ont été qualifiés d’échecs par les experts internationaux), la question de savoir s’ils maîtrisent réellement tous les aspects de la technologie de l’armement nucléaire – s’étendant de la production de matériaux à la conception complexe des armes nucléaires requise pour produire la détonation finale – est restée sans réponse. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur « un calcul rationnel », cela ressemble plutôt à un arrangement sauvage. Comme mentionné plus tôt, un groupe politique de petite taille basculera facilement sous l’influence du système et produira souvent des décisions apparemment absurdes. 188 Kwang-Ho CHUN Octobre 2006 – présent : La pression de sécurité revisitée Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur L’approvisionnement en énergie de la Corée du Nord s’est détérioré depuis les années 1990, et les réacteurs à graphite actifs sont une source importante de leur puissance. Les deux réacteurs à eau légère, à construire, seraient une source importante d’électricité dans une nation dont les ressources sont rares. Bien que placé dans un rapport dérisoire, Donald Rumsfeld a démontré le manque grave d’électricité pour la nation entière par une photographie publiée en octobre 2006 46. De nombreuses parties ont un intérêt dans la prétention que la Corée du Nord possède des armes nucléaires. Pour la Corée du Nord, ça a été un outil de négociation pour ouvrir des discussions diplomatiques et recevoir l’aide internationale nécessaire à son économie. Le Grand National Party, actuellement le parti d’opposition en Corée du Sud, a fait de son désaccord avec la politique de la main tendue, un point politique important. L’aile droite du parti conservateur au Japon a exprimé le désir d’enlever l’article 9 de la constitution et la menace d’une Corée du Nord nucléaire alimente le besoin perçu de pouvoir utiliser leur force armée et de défense de « manière normale ». L’administration W. Bush aux États-Unis a également fait de la menace du terrorisme le foyer central de sa politique étrangère depuis les attaques du 11 septembre 2001. Ils maintiennent également une force de presque 40 000 hommes en Corée du Sud, la deuxième plus grande en Asie de l’Est, qui devrait probablement être réduite si la situation politique changeait de manière significative en Corée, ce qui affectera négativement la sphère d’influence des États-Unis dans la région. Le 9 octobre 2006, le gouvernement nord-coréen a annoncé qu’il avait effectué avec succès un essai nucléaire pour la première fois. L’enquête géologique des États-Unis et les autorités sismologiques japonaises ont détecté un tremblement de terre en Corée du Nord avec une magnitude préliminaire estimée de 4,2 sur l’échelle de Richter, corroborant certains aspects des affirmations nord-coréennes. On estime que le souffle a eu une force explosive de moins d’une kilotonne, et des traces radioactives ont été détectées. Les fonctionnaires des États-Unis ont suggéré que le dispositif explosif nucléaire a pu rencontrer des problèmes techniques. Un fonctionnaire anonyme de l’ambassade nord46. Pour plus d’information et de photos, voir : http ://www.dailymail.co.uk/pages/live/articles/news/worldnews.html?in_article_id=410158&in_page_id=1811 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Certainement, la Corée du Nord utilise les armes nucléaires principalement comme stratagème politique, en particulier pour amener les États-Unis à la table des négociations et pour commencer à rétablir des relations normales et mettre fin au long embargo économique contre la Corée du Nord. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 189 coréenne à Beijing a dit à un journal sud-coréen que le rendement explosif était plus petit que prévu. En raison de la nature réservée de la Corée du Nord et du faible résultat de l’essai, il reste à savoir si c’était un essai réussi exceptionnellement petit, ou un « coup dans l’eau ». Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur La France, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis ont exprimé leur soutien à l’application de sanctions contre la Corée du Nord selon la partie VII, l’article 41 de la charte des Nations Unies, et la NouvelleZélande a déclaré qu’elle inviterait « le Conseil de sécurité… à appuyer de son plein poids sur… les discussions » 47. Le 14 octobre, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a voté unanimement l’imposition de sanctions à la Corée du Nord selon la résolution 1718. Le 9 novembre 2006, le journal nord-coréen Minju Joson a accusé la Corée du Sud d’accumuler des moyens militaires dans le but d’attaquer la Corée du Nord, affirmant que « l’armée sud-coréenne clame haut et fort que le développement et l’introduction de nouvelles armes ont pour cible le Nord. » Pyongyang a accusé la Corée du Sud de conspirer avec les ÉtatsUnis pour attaquer cet État isolé et appauvri, une accusation fréquemment adressée par le Nord et régulièrement démentie par les États-Unis. En 2007 des rapports émanant de Washington suggéraient que les déclarations de la CIA en 2002 selon lesquelles la Corée du Nord développait la technologie d’enrichissement de l’uranium avaient exagéré ou mal interprété les renseignements. Les dirigeants américains ne considéraient plus cette question comme un sujet essentiel des pourparlers à six 48. Le 17 mars 2007, la Corée du Nord a annoncé aux délégués qui participaient aux pourparlers internationaux sur les questions nucléaires qu’elle se préparait à fermer sa principale installation nucléaire. L’accord a été obtenu à la suite d’une série de pourparlers à six, auxquels participaient la Corée du Nord, la Corée du Sud, la Chine, la Russie, le Japon et les États-Unis, et qui avaient débuté en 2003. En vertu de cet accord, une liste des programmes nucléaires sera soumise et l’installation nucléaire sera démantelée en échange de la fourniture de carburant et de pourparlers de normalisation avec les États-Unis et le Japon. Ceux-ci avaient été reportés depuis avril en raison d’un contentieux avec les États-Unis au sujet de Banco Delta Asia, 47. Le Monde, 09.10.2006, « Condamnation internationale de l’essai nord-coréen » 48. POITEVIN C., « Nucléaire et Corée du Nord, le plus difficile reste à venir, », Note d’Analyse, GRIP, 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur La Chine a envoyé une alerte d’urgence à Washington via l’ambassade des États-Unis à Beijing et le Président George W. Bush a été informé « peu de temps après 10 heures du soir (UTC-4) qu’un essai était imminent » par le conseiller à la Sécurité Nationale Stephen Hadley. 190 Kwang-Ho CHUN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Au cours de l’année 2008, les tensions ont resurgi entre la Corée du Nord et les États-Unis au sujet de différences de points de vue concernant le processus de désarmement issu des pourparlers à six. Selon certaines sources, les pourparlers ont commencé à se rompre après que les États-Unis aient exigé des mesures de vérification plus intrusives que celles que la Corée du Nord était prête à accepter. Le 8 octobre 2008, les inspecteurs de l’AIEA se vont vu interdire par le gouvernement nord-coréen de poursuivre les inspections sur le site. Deux jours plus tard, les États-Unis supprimaient la Corée du Nord de la liste américaine des États soutenant le terrorisme et on s’attendait donc à ce que le processus de démantèlement de Yongbyon reprenne 49. Mais, le 25 avril 2009, le gouvernement nord-coréen annonçait que les installations nucléaires du pays avaient été relancées et que l’activité de retraitement des combustibles irradiés pour en faire du plutonium militaire avait repris. Le 25 mai 2009, la Corée du Nord a effectué un second essai d’une arme nucléaire à l’endroit même où avait eu lieu le premier essai. L’arme utilisée pour ce test avait une puissance équivalente à celle des bombes atomiques lancées sur le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale (ce qu’ont confirmé la Corée du Sud et la Russie). En même temps qu’elle effectuait cet essai, la Corée du Nord a également testé deux missiles à courte portée, selon la chaîne de télévision sud-coréenne YTN. En mai 2010 un article paru dans le Rodong Sinmun a annoncé que la Corée du Nord avait réussi à déclencher une réaction de fusion nucléaire. Cet article, qui qualifiait ce test présumé « d’événement majeur qui démontrait le développement rapide des sciences et de la technologie de pointe en République démocratique de Corée du Nord », faisait également référence aux efforts accomplis par les scientifiques nord-coréens pour développer une « nouvelle énergie sûre et respectueuse de l’environnement », et ne mentionnait aucun projet visant à utiliser la technologie de la fusion dans le cadre du programme d’armement nucléaire 50. Bien que le décès soudain de Kim Jong Il ait bouleversé tant le monde que la péninsule coréenne, il est encore trop tôt pour déterminer si son suc49. Veille CRC-EHESS Actualités. « Nucléaire : les États-Unis et la Corée du Sud déterminés à stopper Pyongyang », Veille Actualités pour les Études coréennes, 2009. 50. KOITA S., « Arme nucléaire : Séoul soutient la Corée du Nord et l’Iran se rebelle, » <http :// www.durable.com/actualite/article_arme-nucleaire-seoul-soutient-la-coree-du-nord-et-l-iran-serebelle_851>, 2010. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur mais le 14 juillet, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique confirmèrent la fermeture du réacteur nucléaire de Yongbyon en Corée du Nord. Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord... 191 cesseur Kim Jung Eun a l’intention de poursuivre la « politique le de la priorité militaire » mise en avant par son père. Cependant, le régime de Kim Jung Eun pourrait survivre s’il choisissait de suivre la voie tracée par son père Kim Jong Il avec l’appui d’anciens partisans tels que Jang Sung Taek et Kim Young Hee. Bien qu’à l’heure actuelle la situation demeure encore floue, la question se pose impérieusement de savoir comment Kim Jung Eun dirigera la Corée du Nord durant les trois années à venir. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Une approche à plusieurs niveaux de la Corée du Nord aidera les analystes à expliquer le comportement déroutant et donnerait une image plus complète de la Corée du Nord depuis la fin de la Guerre froide. La Corée du Nord a été sensible à la pression internationale qui évolue principalement sous l’effet des actions des États-Unis. L’effort continuel de Pyongyang pour développer un programme d’armement nucléaire est, à cet égard, une tentative d’atteindre des capacités d’auto-défense et de surmonter sa paranoïa de sécurité. Ce dont le régime a le plus besoin pour sortir de l’impasse est une garantie convaincante des États-Unis comme un traité de non-agression et de non-intervention dans le cadre de rapports diplomatiques normaux. En 1999 et 2000, les deux interactions contradictoires qui influençaient la Corée du Nord auraient pu se terminer par une convergence vers un équilibre stable. Néanmoins, le rôle de l’individu a dépassé les contraintes systémiques : Kim Jung-il a refusé de répondre à l’offre. Avec l’effondrement de l’Union soviétique, le régime de Pyongyang a été placé dans une structure revitalisée de la guerre froide due à la possibilité croissante d’action militaire des États-Unis contre elle, et des améliorations rapides des relations de la Corée du Sud avec ses anciens alliés, la Russie et la Chine.En attendant, les options de la politique du régime ne peuvent pas éviter d’être limitées par les besoins internes de réforme économique pour gérer l’expansion du marché capitaliste. L’État communiste éprouve deux pressions constantes : l’une venant de la pression externe principalement par les États-Unis et l’autre venant du besoin interne de stabilité économique. La société internationale est encore anarchique. Ce dont le régime a le plus besoin c’est une relation diplomatique formelle avec les États-Unis, qui pourrait être atteinte avec succès, avec en prime une garantie de sécurité. Sinon, Pyongyang continuera à passer d’une attitude à l’autre comme elle l’a fait jusqu’à présent. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.35.225 - 04/11/2013 10h56. © De Boeck Supérieur Conclusion