approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en

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approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en
APPROCHES MULTINIVEAUX DU DILEMME DE LA QUESTION
NUCLÉAIRE EN CORÉE DU NORD ET DE LA SÉCURITÉ EN ASIE DU
NORD-EST
Kwang-Ho Chun
De Boeck Supérieur | Revue internationale de politique comparée
2012/3 - Vol. 19
pages 169 à 191
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Chun Kwang-Ho, « Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord et de la sécurité en
Asie du Nord-Est »,
Revue internationale de politique comparée, 2012/3 Vol. 19, p. 169-191. DOI : 10.3917/ripc.193.0169
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ISSN 1370-0731
Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 19, n° 3, 2012
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APPROCHES MULTINIVEAUX DU DILEMME
DE LA QUESTION NUCLÉAIRE EN CORÉE DU NORD
ET DE LA SÉCURITÉ EN ASIE DU NORD-EST
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique et la dissolution du bloc communiste dans les années 1990, la position de la Corée du Nord sur la scène
internationale a été considérablement affaiblie. Les changements radicaux
tant sur la scène internationale (élections présidentielles américaines) que
nationale (changement de leader) ainsi que des désastres naturels (inondations et appauvrissement des sols) ont mis le pays communiste dans une
position délicate en ce qui concerne ses attentes de sécurité face aux ÉtatsUnis. Ainsi fragilisée, la Corée du Nord a dès lors assimilé les aspects sécuritaires et les crises économiques à des menaces principales pour la survie
de son régime.
La surestimation du pouvoir de négociation diplomatique de la Corée du
Nord a amené à supposer que ce régime pouvait prévoir les réactions des
États-Unis et les manipuler à son avantage. En réalité, le processus décisionnel de Pyongyang se déroule dans un environnement beaucoup plus réduit
que celui des gouvernements démocratiques : seule une poignée de personnes de l’élite, principalement Kim Jung-il et quelques fonctionnaires militaires, se rassemblent et prennent les décisions au sujet de ses partenaires dans
les négociations.
De nombreux analystes ont étudié la Corée du Nord en appliquant une
méthode « réductionniste », c’est-à-dire qu’ils se sont concentrés sur « le
comportement des parties » plutôt que sur celui « du tout » en supposant
que les résultats internationaux sont simplement la somme des résultats produits par les États individuellement, et leurs comportements peuvent être
compris par leurs caractéristiques respectives.
La plupart des arguments réductionnistes relatifs à la Corée du Nord
peuvent être classés en trois visions. La première définit la Corée du Nord
comme un État voyou et un agresseur-né. Les défenseurs de ce point de vue
encouragent à arrêter le dialogue avec cette dernière parce qu’elle ne pourra
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Kwang-Ho CHUN
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Les théories structurales essayent d’expliquer la politique internationale
en relation avec la « structure » du monde. Parmi celles-ci, le néoréalisme
de Waltz (ou « réalisme structural ») considère que le système international
est indépendant des « agents » (les États et les individus), et constitue une
variable qui pourrait former et contraindre les rapports politiques parmi ses
membres 4. Cette analyse tente d’éviter le réductionnisme, mais elle ne fournit pas nécessairement une théorie complète des relations internationales ;
elle exigerait également une analyse interne et une approche individuelle
(en d’autres mots, une approche par le processus décisionnel) pour donner
un aperçu complet de la politique internationale 5.
Afin d’évaluer entièrement le comportement de Pyongyang, il serait
utile d’appliquer une approche structurale en plus de l’approche analytique.
Le comportement de politique étrangère de la Corée du Nord peut être
expliqué par l’interaction de deux dimensions : les préférences internes
(attitude favorable envers l’ordre global de l’après-guerre froide représentée par les réformes économiques) et les pressions externes (emprisonnement dans le système de la Guerre froide par les États-Unis).
1. Les représentants de cette vision incluent EBERSTADT N., The End of North Korea, Washington,
D.C., AEI Press, 1999 ; « Sound the Alarm : Defector Says North Korea Is Preparing for War », in Economist, 6, 1997 ; IKLE F., « U.S. Folly May Start Another Korean War », in Wall Street Journal,
October 12, 1998 ; TAYLOR W., « The Best Strategy Is to Do Nothing », in Los Angeles Times,
September 2, 1998 ; RISEN J., « CIA Sees a North Korean Missile Threat », in New York Times,
February 3, 1999 ; SOKOSKI H., GILINSKY V., « Bush Is Right to Get Tough with North Korea », in
Wall Street Journal, February 11, 2002.
2. Voir : LIM D-W « Inter-Korean Relations Oriented toward Reconciliation and Cooperation », in
Korea and World Affairs, vol. 16, n° 2, 1992, p. 123-223 ; SOON Y-H, « Thawing Korea’s Cold War »,
in Foreign Affairs, vol. 78, n° 3, 1999, p. 8-12 ; KANG D., « We Should Not Fear the North Koreans »,
in Los Angeles Times, June 13, 2000.
3. Les représentants incluent BRADNER S., « North Korea’s Strategy, » in SOKOLSKI H., (ed.),
Planning for a Peaceful Korea, Carlisle, Pa., Strategic Studies Institute, 2001, p. 23-82 ; SIGAL L.,
Disarming Strangers : Nuclear Diplomacy with North Korea, Princeton, N.J., Princeton University
Press, 1998 ; HARRISON S., « The Missiles of North Korea », in World Policy Journal, vol. 17, n° 3,
2000, p. 13-24.
4. DOUGHERTY J., PFALTZGRAFF R., JR., Contending Theories of International Relations – A Comprehensive Survey, New York, Addison Wesley Longman, 2001, p. 81-82.
5. WENDT A., « The Agent-Structure Problem in International Relations Theory », in International
Organization, vol. 41, n° 3, 1987, pp. 339-341.
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jamais devenir un partenaire de négociation 1. D’autres réductionnistes
croient en « l’effort sincère » de la Corée du Nord pour ouvrir sa société et
se réconcilier avec ses anciens ennemis… Les défenseurs de ce point de vue
arguent du fait que le régime peut changer – ou a effectivement changé – en
s’engageant dans des activités sociales, culturelles, et économiques avec
d’autres États 2. La troisième conception suppose que Pyongyang est un décideur rationnel. Elle soutient que Pyongyang emploie intentionnellement
cette tension pour dissiper des tensions internes et pour obtenir des négociations en vue d’une aide économique de la part des pays occidentaux 3.
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Cadre théorique pour l’analyse de la politique étrangère
Approches mononiveau des affaires internationales
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La perspective dominante en politique internationale se centre sur les traits
structurels qui rendent les États individuels interdépendants et créent ainsi
« le système international ». Ces théories se basent sur des facteurs tels que
la distribution de la puissance ou la hiérarchie internationale, mais n’incluent
pas l’hypothèse que les traits nationaux – tels que les différentes caractéristiques des décideurs d’une nation ou l’organisation de son gouvernement –
ont un impact conséquent sur le cours des relations internationales 6.
Waltz affirme la nécessité de l’approche structurale en évaluant le comportement des États en politique internationale 7. L’accent est mis sur
l’ensemble plutôt que sur les parties. La causalité dans les théories structurales affirme que la structure dicte les buts, et ceux-ci conduisent à certains
résultats. Le rôle joué par chaque nation est déterminé par sa place dans le
système international. Les grandes puissances s’engagent dans une compétition pour le contrôle du système international, et les États plus petits cherchent à profiter d’avantages en s’associant avec de grandes puissances ou
en restant en périphérie de la compétition entre les grandes puissances.
Bueno de Mesquita classe les théories structurales selon trois piliers : le
néoréalisme, le libéralisme, et le marxisme 8. Selon son point de vue, « tous
les États-nations, grands ou petits, veulent maximiser le même but, bien que
ce but diffère de théorie en théorie ». Par exemple, les néoréalistes supposent que la sécurité est le but le plus important ; pour les théoriciens libéraux
et la théorie du système national, c’est l’accumulation de la richesse 9.
Du point de vue structural, les différences internes dans les institutions
politiques des différents États ne sont pas pertinentes. Les différentes actions
des nations diffèrent seulement selon le rôle que ces nations jouent dans le
système international 10. Toutes les théories structurales centrent leur attention
6. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics : People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 114-122.
7. WALTZ K., Theory of International Politics, Reading, Mass., Addison-Wesley, 1979, p. 39.
8. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics : People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 121-151.
9. BACH R., « On the Holism of a World System Perspective », in HOPKINS T., WALLERSTEIN I.,
(eds.), World System Analysis, Beverly Hills, Sage, 1982, p. 159-180. Voir aussi WALLERSTEIN I.,
The Modern World-System I, New York, Academic Press, 1974.
10. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics : People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 114-122.
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Perspective structurale (systémique)
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L’École anglaise adopte clairement une approche structurale du monde
en considérant le système international comme une société gouvernée par
des normes communes. Elle pourrait être considérée comme un précurseur
de la théorie constructiviste contemporaine des relations internationales 12.
En termes de structure mondiale et de ses agents – les États principalement
– Wendt s’est d’abord concentré sur les relations entre eux dans les théories des relations internationales et a classé leurs modèles 13. Il définit les
caractéristiques de la structure du système comme la formation d’identités
flexibles selon les interactions entre les agents. Dans son constructivisme,
à la différence de Waltz qui présuppose que la structure anarchique du système international existe indépendamment de ses unités ou « agents »,
Wendt développe la structure d’un système, où ses unités sont une entité
indissociable, et sont « mutuellement constituées ». Mais le néoréalisme ne
reconnaît pas que la manière dont les unités conçoivent le système international est influencée par leur « vision collective ou intersubjective » d’euxmêmes 14.
La perspective de la prise de décision
La théorie de la prise de décision identifie un grand nombre de variables
pertinentes – organisations internes, bureaucrates, etc. – et suggère des
corrélations possibles entre ces variables. Cette théorie ne se centre pas
sur « les États en tant qu’abstractions métaphysiques, ni sur les gouvernements, mais elle cherche à mettre en évidence le comportement des
décideurs humains spécifiques qui élaborent réellement la politique
gouvernementale » 15. Comme Richard Snyder, H.W. Bruck, et Burton
Sapin le signalent, « l’action des États est l’action de ceux qui agissent au
nom de l’État » 16.
11. Op. cit., p. 149-150.
12. WENDT A., DUVALL R., « Institutions and international order », in CZEMPIEL E.-O., ROSENAU J.
(eds.), Global Changes and Theoretical Changes, Lexington, Lexington Books, 1989, p. 51-73. Voir aussi
BULL H., The Anarchical Society, New York, Columbia University Press, 1977.
13. Pour une discussion approfondie de cette catégorisation, voir WENDT A., Social Theory of International Politics, London, Cambridge University Press, 1999, p. 22-33.
14. Voir WENDT A., op. cit., 1987, p. 337-341.
15. DOUGHERTY J., PFALTZGRAFF R., Jr., Contending Theories of International Relations – A
Comprehensive Survey, New York, Addison Wesley Longman, 2001, p. 554.
16. SNYDER R., BRUCK H.W., SAPIN B., « Decision-Making as an Approach to the Study of International Politics », in the book they edited, Foreign Policy Decision-Making, New York, Free Press,
1963, p. 65.
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sur les caractéristiques transnationales et globales qui définissent l’environnement international, mais tendent à négliger les attributs nationaux 11.
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Approches multiniveaux des affaires internationales
Théorie des jeux à deux niveaux de Putnam
Putnam rejette les modèles qui prennent l’État comme un acteur unitaire et
essaye de construire un modèle à deux niveaux et basé sur ce qu’il appelle
un winset. Cette approche représente une déviation de celle de Kenneth
Waltz et des autres réalistes structuraux qui font du système international le
déterminant premier du comportement des États plutôt que les processus
internes 18. « Au niveau national, les groupes domestiques poursuivent leurs
intérêts en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il adopte des politiques qui leur soient favorables, et les politiciens cherchent la puissance en
construisant des coalitions entre ces groupes. Au niveau international, les
gouvernements nationaux cherchent à maximiser leur propre capacité à
satisfaire les pressions domestiques, tout en réduisant au minimum les conséquences défavorables des développements étrangers » 19.
Au niveau interne (« Niveau I »), la discussion entre les négociateurs
se déroule et mène à une tentative d’accord. Au niveau international
(« Niveau II »), on mène des discussions séparées dans chaque groupe de
constituants pour savoir s’il faut ratifier l’accord. À ce stade, les groupes
internes peuvent seulement voter en faveur ou en défaveur ; chaque amendement exige l’accord de toutes les autres parties concernées.
Un « winset » pour un collège électoral donné du niveau II est l’ensemble de tous les accords possibles du niveau I qui gagneraient la majorité
17. BUENO de MESQUITA B., Principles of International Politics: People’s Preference and Perceptions, Washington, CQ Press, 2000, p. 153.
18. DOUGHERTY J., PFALTZGRAFF R., Jr., op. cit., 2001, p. 598-9.
19. PUTNAM R., « Diplomacy and Domestic Politics: The Logic of the Two level Games », in International Organization, vol. 42, n° 3, 1988, p. 427-460. Il est important de noter que certaines critiques
peuvent être soulevées en ce qui concerne le degré d’applicabilité de ces théories au système politique
coréen dont la rigidité pourrait faire obstacle à l’évaluation de ces modèles.
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Selon Bueno de Mesquita, l’approche de la prise de décision se concentre sur la puissance et les intérêts dans les États individuels plutôt que sur
les caractéristiques agrégées des attributs de tous les États. Selon lui, les
intérêts des groupes d’influence en compétition influencent les choix de
politique. En conséquence, les différentes politiques étrangères émergent
d’un environnement caractérisé par la concurrence bureaucratique et organisationnelle. La politique internationale est simplement « un processus
confus dans lequel les intérêts étroits, locaux dominent la pensée et motivent les actions » 17.
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Kwang-Ho CHUN
La taille d’un winset dépend de la distribution de la puissance, des préférences, et des coalitions possibles parmi des constituants du niveau II.
La taille du winset dépend aussi des institutions politiques du niveau II.
Plus l’autonomie des décideurs centraux de leurs constituants de niveau II
est grande, plus leurs winsets sont grands et donc plus la probabilité de réaliser un accord international est grande ; mais ceteris paribus, plus un État
est fort en termes d’autonomie par rapport aux pressions internes, plus faible est sa position de négociation relative sur la scène internationale.
La taille du winset dépend aussi des stratégies des négociateurs du
niveau I. Chaque négociateur veut maximiser le winset de l’autre partie,
mais pas nécessairement le sien (cela augmenterait la probabilité d’atteindre
l’accord, mais affaiblirait sa position dans la négociation). Pour maximiser
les winsets de l’autre partie, les négociateurs essayeront de renforcer leur
position réciproque avec leurs constituants respectifs et par conséquent augmenter leur winset.
La perspective stratégique de Bueno de Mesquita
La perspective stratégique de Bueno de Mesquita répartit les théories des
relations internationales en deux catégories : les théories structurales et les
théories de la prise de décision.
Le structuralisme souligne la distribution de la puissance ou les contraintes des régimes internationaux sur la politique internationale. La compétition et l’interdépendance sont les dispositifs centraux des relations entre les
États. Les comportements de politique étrangère sont inspirés par des motivations communes à toutes les nations comme la sécurité nationale ou la
20. Briefing Asie n° 56, « Essai nucléaire en Corée du Nord : les retombées », voir le Rapport Asie de
Crisis Group, 2006.
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nécessaire parmi les constituants une fois voté pour ou contre. Plus le winset
est grand plus l’accord de niveau I est possible, toutes choses étant égales
par ailleurs. Plus les winsets sont petits, plus le risque de défection involontaire est grand, et, par conséquent, plus la littérature au sujet des dilemmes
d’action collective est applicable. La défection involontaire se produit
quand un agent ne peut pas tenir une promesse en raison d’un échec de ratification, qu’il faut distinguer de la défection volontaire, qui se produit
quand un « égoïste rationnel » rompt un contrat inapplicable. En second
lieu, la taille relative des winsets respectifs du niveau II affectera la distribution des gains communs issus de la négociation internationale. Un petit
winset interne peut être un avantage de négociation 20.
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richesse nationale pour favoriser l’intérêt national. Des soucis internes sont
supposés négligés quand les menaces extérieures et les pressions sont
accablantes 21.
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La perspective stratégique sur les affaires internationales combine les
aspects des théories structurales avec ceux des théories de la prise de décision. Elle met l’accent sur l’interaction entre les intérêts internes et les contraintes externes. Les décisions impliquent des « calculs stratégiques
continus et complexes au sujet de la façon dont les décideurs locaux et
étrangers répondront » à leur comportement politique 23.
La perspective stratégique implique la tension entre les pressions internationales et internes. Les dirigeants doivent parfois choisir entre les actions
qui satisferont les constituants internes, mais irriteront les adversaires étrangers ou les actions qui apaiseront les adversaires étrangers, mais contrarieront les constituants internes 24.
La perspective stratégique fonctionne avec ou sans l’hypothèse de
l’acteur unitaire. Pour les réalistes structuraux, comme Kenneth Waltz,
l’État est un acteur unitaire, car il choisit des objectifs et des stratégies de
politique pour maximiser sa sécurité dans le contexte international. Pour les
théories stratégiques, « les objectifs politiques internationaux n’ont pas
besoin d’être déterminés seulement par la position d’un État dans la structure internationale ; ils ne sont pas non plus dictés par la poursuite de la
maximisation de la sécurité nationale ». Au lieu de cela, les dirigeants politiques choisissent des politiques internationales avec à l’esprit la maximisation de leur propre bien-être individuel, comme conserver leur puissance
par exemple. Ces théories reconnaissent que le bien-être des dirigeants politiques est intimement lié à leur performance, même s’ils sont des monarques
ou des dictateurs absolus 25.
Selon cette analyse multiniveaux, les leaders de politique étrangère veulent d’une part augmenter leur statut politique sur la scène interne, et d’autre
part, ils se concentrent également sur le contexte international dans lequel
21.
22.
23.
24.
25.
BUENO de MESQUITA B., op. cit., 2000, p. 121-151.
Ibid., p. 152-166.
Ibid., p. 186.
Ibid., p. 167-168.
Ibid., p. 193-195.
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Par contraste, les théories de la prise de décision soulignent la compétition entre les bureaucraties et des groupes d’intérêt dans un État. Elles
accordent rarement attention aux conditions externes qui pourraient
influencer des décisions de politique étrangère. Tous les décideurs luttent
pour les ressources nationales et espèrent faire passer leurs intérêts avant
ceux de leurs rivaux internes 22.
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Kwang-Ho CHUN
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Les théories de la perspective stratégique sont en désaccord avec la perspective purement interne de la politique incorporée dans l’approche des
groupes d’intérêt. Le point de désaccord porte sur l’importance des conditions internationales dans la détermination des choix réalisée par les leaders
de politique étrangère. Les théories des groupes d’intérêt écartent en grande
partie tout ce qui se déroule en dehors de l’État ; en revanche, l’approche
stratégique prend en compte ces derniers. Les théories de cette perspective
sont en désaccord également avec les théories des systèmes, car elles écartent l’importance des considérations internes. Les approches structurales
considèrent la politique interne comme sans conséquence quand il s’agit
d’importants choix internationaux.
La perspective stratégique estime que la politique interne doit être intégrée pour comprendre la prise de décision internationale. Les politiques
sont élaborées selon les interactions entre les pressions internes et les contraintes structurales internes et internationales sur les options stratégiques.
Dans la partie suivante, nous analyserons le cas de la Corée du Nord avec la
perspective des interactions stratégiques.
Analyse multiniveaux de la Corée du Nord
Les winsets comme outil pour comprendre la politique
Afin d’évaluer entièrement le comportement de la politique étrangère de la
Corée du Nord, il est utile d’appliquer l’approche structurale et l’approche
de prise de décision ensemble (c’est-à-dire, l’approche stratégique de
Bueno de Mesquita). La politique étrangère de la Corée du Nord peut être
expliquée par l’interaction de deux dimensions : les préférences internes
(attitude favorable envers l’ordre global de l’après-Guerre froide représenté
par les réformes économiques) et les pressions externes (enfermement dans
le système de la Guerre froide imposé par les États-Unis). En effet, la pression politique américaine exercée sur Pyongyang pourrait être comparée à
celle de la Guerre froide.
Un des dispositifs les plus importants de l’interaction stratégique est la
tension entre les pressions internationales et internes. Pour les pays communistes à la fin des années 1980, une réforme économique vers le marché capitaliste mondial signifiait que leur sécurité deviendrait plus vulnérable face
aux flux capitalistes. Cette interaction peut se terminer sur un équilibre renforcé entre eux, c’est-à-dire, un équilibre semblable à ceux de l’ex-Union
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ils doivent mettre en application leurs objectifs. Les dirigeants sont chargés
de choisir les stratégies qui leur donneront la plus grande chance de réaliser
leurs buts et de sécuriser de ce fait leur propre puissance.
Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
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soviétique, de la République populaire de Chine, et de beaucoup d’autres
États communistes en Europe de l’Est. Au lieu de cela, il reste un dilemme
significatif pour la prise de décision de politique étrangère, comme on a pu
le voir à Pyongyang pendant la dernière décennie.
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On suppose généralement que le but central de la politique de la Corée du Nord
de 1989 a été d’assurer la survie de son régime. La politique étrangère de base
de la Corée du Nord à cette époque était fondée sur l’ouverture pour répondre
aux besoins économiques internes et pour assurer sa survie. Cependant, en
1993, l’atmosphère de Pyongyang a changé soudainement et a été dominée par
un souci croissant lié aux pressions externes. Depuis lors, l’équilibre politique
de la Corée du Nord entre les préférences internes et les pressions internationales, n’est pas encore stabilisé et toujours en cours d’ajustement, luttant entre
les deux directions opposées : les décideurs de Pyongyang doivent gérer la
sécurité militaro-politique imposée par les États-Unis, tout en essayant de participer à la société mondiale et aux activités économiques.
Les préférences internes
Une expansion régulière des structures du marché mondial et les changements sociétaux après la guerre froide ont sans aucun doute changé la politique interne en Corée du Nord. Son économie s’est presque effondrée et le
pays a de plus en plus compté sur l’aide humanitaire 26.
Ces facteurs poussent Pyongyang à tenter d’échapper à l’isolement en
adoptant une politique de réconciliation d’après-Guerre froide ainsi qu’une
réforme sur le modèle du marché. Si l’économie s’effondre, la stabilité politique pourrait être menacée par une mobilisation de masse impossible à contenir. Les réductions des dépenses militaires pour satisfaire des besoins non
militaires risqueraient évidemment d’aliéner les forces armées et de retourner l’armée populaire coréenne (CPA) contre le régime. À la lumière des
communiqués du régime (références répétées aux politiques « d’abord
militaires ») et de son comportement (dépenses militaires croissantes face à
l’augmentation de la dépendance à l’aide étrangère), la plupart de l’attention s’est tout naturellement concentrée sur l’option de la croissance 27.
26. Voir World Food Program, « Democratic People’s Republic of Korea’s ‘Already Severe Humanitarian
Crisis’ Will Dramatically Worsen Without Immediate Aid, Say UN Heads », April 30, 2002, available at :
http ://www.wfp.org/newsroom/subsections/preview.asp?content_item_id=528 &item_id=465&section=13>
27. NOLAND M., The Korean Journal of Defense Analysis, vol. 14, n° 2, 2002, p. 76.
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La position de Pyongyang dans le monde de l’après-Guerre froide
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Le système international qui a confiné les décideurs de Pyongyang est né de
l’hostilité et de l’antagonisme entre la Corée du Nord et les États-Unis pendant et après la guerre de Corée en 1950. Depuis l’effondrement de l’Union
Soviétique, la position de la Corée du Nord a été considérablement affaiblie
dans ses relations avec les États-Unis. Suite à la structure bipolaire du
monde et à la présence (militaire) grandissante des États-Unis sur la scène
internationale, il a été de plus en plus difficile pour la Corée du Nord d’agir
seule. Protégée par la Chine de Mao à l’ouest et par l’Union soviétique au
nord, elle a pu pratiquer sa politique de « juché » à l’intérieur et de soutien
aux ennemis des États-Unis à l’extérieur. En moins de deux ans, la brutale
transformation du système de Guerre froide l’a laissée perplexe et, après
1991, l’arrêt de toute aide en provenance de Russie l’a fragilisée.
Sans connaître la réelle intention des États-Unis et de leurs alliés, la
Corée du Nord se méfie fortement de l’intention de la superpuissance et se
sent plus facilement menacée qu’elle. Pyongyang s’est efforcée de développer des armes de destruction massive pour assurer la survie du régime, aussi
bien que pour augmenter sa puissance de négociation contre les États-Unis,
alors que ceux-ci et leurs alliés considèrent ces démarches comme une
menace à leur encontre.
Le système politique interne de la Corée du Nord est également sensible
aux contraintes internationales. Les caractéristiques totalitaires et le traitement déplorable de sa population ont souvent été critiqués par les États-Unis.
Vues indépendamment de la politique au niveau interne, toutes ces pressions externes ont forcé le régime nord-coréen à favoriser un programme
d’armement nucléaire pour « une dissuasion minimale », ou « une stratégie
asymétrique ».
Application : La Corée du Nord de l’après-Guerre froide
Comportement de politique étrangère de la Corée du Nord depuis 1989
Août 1989 – mars 1993 (avant retrait du TNP) : Besoins internes
de réconciliation – Détente de l’après-Guerre froide
La détente de l’après-guerre froide en Asie du Nord-Est est apparue avant la
chute du mur de Berlin. Pyongyang s’est engagée activement dans divers dialogues intercoréens, répondant à la politique de détente de l’administration de
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Les pressions externes
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Roh Tae-woo 28. Avec l’augmentation des échanges politiques, économiques et culturels durant cette période, les Corées du Nord et du Sud ont
obtenu des résultats fructueux tels que l’entrée commune aux Nations Unies
(1991), l’Accord de Base sur la Réconciliation, la Non-agression, les
Échanges et la Coopération (1991), la Déclaration commune sur la dénucléarisation de la péninsule coréenne (1992). Sur le plan interne, la Corée
du Nord a révisé sa constitution lors de la troisième session de l’assemblée
du peuple de la 9e Assemblée Populaire Suprême (APS) en avril 1992 en
excluant la « mention de Marx et Lénine », et en y inscrivant à la place
« l’autonomie », « la paix », et « l’amitié » comme les principes de base de
sa politique étrangère 29. Pyongyang a également tenté d’améliorer ses relations avec les États-Unis et d’autres pays occidentaux, quitte à devoir abandonner son programme d’armes nucléaires 30.
L’attitude de la Corée du Nord, a changé environ trois mois avant
l’annonce de son retrait du TNP, quand Pyongyang a signifié à la Corée du
Sud qu’elle rejetterait la 9e rencontre des hauts fonctionnaires à l’agenda.
Une approche systémique peut aider à comprendre l’action du Nord et en
particulier, l’environnement international en tant que variable systémique.
Pour Pyongyang, la détente d’après-Guerre froide a été de plus en plus
considérée comme une menace contre sa sécurité parce qu’elle a affaibli ses
liens avec la Russie et la Chine, alors que le camp des États-Unis est demeuré
intact. En août 1992, la Corée du Sud a établi des relations diplomatiques
avec la Chine et a également signé un Traité de relations avec la Russie, tandis que la Corée du Nord n’était pas entièrement engagée dans une relation
formelle avec les États-Unis. Avec l’apparition des nouveaux rapports de la
Corée du Sud avec la Chine et la Russie, la dissolution de la structure de
Guerre froide a mené à l’isolement diplomatique du Nord. Après que les
aides militaires et économiques de la Russie et de la Chine soient devenues
incertaines, Pyongyang commença à se focaliser sur les armes nucléaires et
les programmes de missiles. Ces programmes étaient principalement destinés à l’autodéfense et à permettre des gains économiques issus de la vente
d’armes plutôt qu’à lancer des attaques militaires préventives 31.
28. À partir du 19 août 1989, il y a eu 10 tours de discussion préliminaires pour les rencontres parlementaires Nord-Sud, neuf rencontres pour une participation conjointe aux jeux asiatiques, sept rencontres de la
croix rouge et huit rencontres des hauts fonctionnaires pendant cette période.
29. Article 17 de la Constitution de la République Démocratique Populaire de Corée (Révisés le 8 avril
1992). Pour une discussion approfondie, voir LIM J-H, « Transforming factors and Corresponding Strategies of North Korean Foreign Policy in the Post-Cold War Era », in The Korean Journal of International
Relations, vol. 41, n° 4, 2001, p. 107-109.
30. De mai 1992 à mars 1993, la Corée du nord a accepté six fois les inspections de l’AIEA et signé
l’accord de sauvegarde des inspections de l’IAEA. De même, un éditorial du Roddong Shin-mun du
25 juin 1992 encourageait explicitement l’amélioration des relations avec les USA.
31. PARK J-Y, « North Korea’s Nuclear and Missile Development Policy: Goals and Reality », in The
Korean Journal of International Relations, vol. 39, n° 1, 1999, p. 228-229.
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Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
Kwang-Ho CHUN
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Deux autres contraintes internationales incluent la demande insistante de
l’Agence internationale de l’énergie atomique de pouvoir effectuer des inspections spéciales dans deux emplacements nucléaires suspects de Yongbyon et la reprise des exercices militaires américano-sud-coréens Team
Spirit en janvier 1993 32. Le régime nord-coréen a souffert du changement
d’environnement sécuritaire et les options de politique viables pour Pyongyang ont été certainement davantage réduites qu’avant. Le régime de
Pyongyang affirmait que la décision de se retirer du TNP a été rendue
« nécessaire » par les demandes « injustes » de l’AIEA ainsi que par les
exercices militaires considérés par Pyongyang comme un effort conjoint
des Sud-Coréens et des Américains pour se préparer à une attaque préventive contre le régime 33.
Tous ces changements au niveau international ont accru l’inquiétude de
Pyongyang sur sa sécurité nationale et la survie de son régime pendant cette
période. Faisant face aux inspections spéciales obligatoires de l’AIEA, la
Corée du Nord a annoncé, 12 mars 1993, son intention de se retirer du TNP,
mettant en avant des considérations suprêmes de sécurité nationale.
Pour résumer le point de vue constructiviste, la fin de la confrontation de
la guerre froide a fondamentalement changé les environnements diplomatique et sécuritaire des deux Corées, les conduisant à élaborer de nouvelles normes et des identités différentes de celles de la guerre froide 34. L’apparition
des normes et des identités auraient pu, à leur tour, avoir mis fin à la confrontation, apporter une nouvelle structure d’après-guerre froide en Asie du NordEst et aider à renforcer les changements structurels en cours au niveau global.
Cependant, une telle interaction entre les « agents » et la « structure » n’était
pas assez active pour produire une nouvelle structure qui aurait pu mettre fin
à la confrontation dans la région à cause de la pression militaro-politique
externe des États-Unis qui a contraint le régime depuis la guerre de Corée.
Mars 1993 (retrait du TNP par le Nord) – octobre 1994 (Accord de
Genève) : Pressions sécuritaires externes – la première confrontation
Le retrait de la Corée du Nord du TNP peut être expliqué par le souci de
sécurité. Kim Il Sung, chef nord-coréen de l’époque, n’était pas enclin à
continuer les activités sur le site de Yongbyon sachant que le Président Clinton pourrait autoriser des actions militaires. Du point de vue systémique, ce
32. STEIN J. « Direction and Defection: Security Regimes and the Management of International Conflict », in International Journal, vol. 40, n° 4, 1985, p. 601.
33. Pour plus de détails sur le retrait de la Corée du Nord du TNP, voir MAZARR M., North Korea and
the Bomb: A Case Study in Nonproliferation, London, McMillan Press, 1995, p. 101-122.
34. Pour une discussion plus approfondie, voir CHUN Chae-sung, « The Cold War and Its Transition for
Koreans : Their Meanings from A Constructivist Viewpoint », in MOON C-I, WESTAD A., KAHNG G-H
(eds.), Ending the Cold War in Korea: Theoretical and Historical Perspectives, Seoul, Yonsei University
Press, 2001, p. 136-138.
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Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
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Les États-Unis et la Corée du Nord ont terminé quatre mois de négociations en adoptant « l’Accord de Genève » le 21 octobre 1994. Il stipule que
la Corée du Nord gèle et démantèle par la suite ses installations nucléaires.
Il permet également à l’AIEA d’en vérifier la conformité par « des inspections spéciales ». En outre, l’accord stipule également que les États-Unis et
la Corée du Nord se dirigent vers la pleine normalisation de leurs relations
politiques et économiques.
La pression renforcée des besoins économiques internes était un des éléments dominants qui ont contraint la Corée du Nord à rechercher des
accords, ou du moins à négocier 36. La situation interne du régime et les différentes caractéristiques de son chef en étaient d’autres. Ces « trois
images » du Nord ont finalement conduit le pays à la table des négociations
d’une manière coopérative.
Octobre 1994 (Accord de Genève) – mars 2001 (Politique nord-coréenne
de Bush) : la période post-accord Genève ; négociation de Pyongyang
basée sur une structure domestique et systémique plus faible
Après l’accord de Genève, Pyongyang se serait sentie plus en sécurité qu’en
1993, et ses soucis de sécurité ont certainement été allégés. Cette période
post-Accord de Genève peut également être vue comme une période où la
Corée du Nord a développé ce que l’on appelle la « diplomatie du
chantage ». Certains affirment que ce modèle de négociation n’a pas été
prévu à l’origine par le régime lui-même, mais qu’il aurait été appris par les
jeux répétés avec les États-Unis. Une théorie systémique suggérera que la
diplomatie du Nord était possible parce que les contraintes systémiques de
la Corée du Nord pendant cette période s’étaient affaiblies considérablement en raison de l’accord de 1994.
35. Pour plus de détails sur la diplomatie USA-Corée du Nord à propos du nucléaire et des missiles,
voir : <http ://www.armscontrol.org/factsheets/dprkchron.asp>
36. XXX
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que le régime voulait, ce n’était pas de créer une menace contre les ÉtatsUnis, mais de développer des capacités d’autodéfense par ses propres
moyens. Suite aux discussions en juin 1993 avec les États-Unis, la Corée du
Nord a suspendu sa décision de se retirer du TNP. Elle accepta aussi l’application des mesures de sauvegarde de l’AIEA. En retour, Washington a
offert des garanties contre la menace et l’utilisation de la force, y compris
par les armes nucléaires, mais également de ne pas interférer dans les affaires internes de la Corée du Nord 35. Avant juin 1994, les décideurs et les élites du régime étaient prêts à négocier et à conclure un accord avec
Washington.
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Néanmoins, les tensions en Asie du Nord-Est ont commencé à diminuer
à partir du 12 septembre 1999, quand la Corée du Nord, lors d’entretiens
avec les États-Unis à Berlin, a déclaré un moratoire sur les tests de tous les
missiles à longue portée pendant la durée des négociations. Pyongyang a
également accepté « de ne pas produire, ne pas tester, ne pas déployer des
missiles d’une portée jusqu’à 300 miles, et offert de suspendre la vente de
missiles, de composants de missile, de technologies de missile, et de formation, y compris ceux sous contrat » 39. Ce climat de détente dans la péninsule
coréenne a connu son apogée le 15 juin, lors du premier sommet intercoréen, quand les deux chefs d’État ont signé une déclaration commune affirmant qu’ils acceptaient de résoudre le problème de la réunification de la
Corée et de faciliter les échanges économiques et culturels. À cette occasion, Washington allégea ses sanctions économiques contre la Corée du
Nord le 19 juin. Le lendemain, Pyongyang répondait en réaffirmant son
moratoire sur les essais de missile 40.
Cependant, ce climat optimiste n’a pas duré. Pendant les négociations
sur les missiles entre Washington et Pyongyang à Kuala Lumpur en juillet
– juste après le sommet intercoréen, la Corée du Nord a refusé de cesser de
développer des missiles, exigeant une compensation d’un milliard de dollars par an 41. Étant donné la volonté de l’administration Clinton de trouver
une solution pacifique à la question nord-coréenne, une concession du Nord
à ce moment-là aurait pu faire sortir le pays de ses va-et-vient continuels
entre deux préférences de politiques contrastées – la politique de sécurité et
la politique pour l’économie interne –, et l’aurait mené à un point d’équilibre relativement stable, comme l’ont montré la Chine ou le Vietnam. Les
37. On suspectait le site de contenir un réacteur à graphite destiné à produire du plutonium, ainsi qu’un
site de retraitement. Le gouvernement américain était impliqué dans une série de négociations pour vérifier ce site. À la fin, les Nord-Coréens ont accepté les inspections sur le site de Kumch’angri en
mai 1999, et de nouveau en mai 2000. Les deux inspections n’ont trouvé aucune preuve de constructions
suspectes.
38. A multi-stage space launch vehicle (SLV) / missile balistique de portée intermédiaire (IRBM), qui
a été testé le 31 août 1998.
39. PRZYSTUP J., « Anticipating Strategic Surprise on the Korean Peninsula » in Strategic Forum,
n° 190, 2002, p. 3-4.
40. <http ://www.armscontrol.org/factsheets/dprkchron.asp>
41. New York Times, July 13, 2000. « North Korea Vows to Continue Missile Program ».
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Ainsi, les fréquentes tensions militaires du nord pendant cette période
peuvent être mieux expliquées par l’effort du régime de se maintenir extérieurement et intérieurement – en d’autres termes, par une approche interne
du régime. Les événements générateurs de tension en Corée du Nord
incluent un programme secret suspecté d’armes nucléaires à Kumch’angri 37
et le lancement du Taepo-dong I 38 dans l’espace aérien japonais. Ces incidents ont pu avoir été intentionnellement provoqués au niveau interne afin
d’exiger des concessions des États-Unis et des autres pays.
Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
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Basé sur des pressions internes et systémiques plus faibles, c’est-à-dire
peu de contraintes sécuritaires internationales et des pressions économiques
et sociales modérées, Pyongyang a développé ses propres décisions et politiques relativement immunisées de ces influences internes et externes. Le
régime pouvait utiliser son programme de missile et d’armement nucléaire
comme moyen de négociation et aussi effectuer certains gestes pacifiques
afin d’obtenir l’aide économique des pays occidentaux. Cependant, l’élite
de Pyongyang n’est pas parvenue à se libérer complètement du dilemme
politique. Des besoins internes et des contraintes internationales relativement moindres ont permis d’arriver à une telle décision.
Néanmoins, cette période montre la possibilité dont disposait la Corée
du Nord pour s’évader de la structure politique inconfortable dans laquelle
elle était enfermée et dépendante de la volonté et de l’interaction des décideurs avec leurs partenaires. Selon Wendt, la structure peut changer par les
modèles d’interaction des états individuels puisque le système n’existe pas
en dehors des acteurs qui le composent, mais la structure et les acteurs
« sont mutuellement constitués ». La politique de la main tendue de Kim
Dae-jung avait prévu de tels changements structurels en convainquant la
Corée du Nord à s’engager dans plus d’activités économiques intercoréennes. Cependant, le gouvernement sud-coréen seul ne peut pas réaliser une
telle transformation structurelle du Nord puisque son influence externe sur
le régime est négligeable, étant donné les contraintes systémiques des ÉtatsUnis. Seule l’administration américaine pouvait susciter ce changement.
Par conséquent, les contraintes systémiques sur le régime, malgré la politique d’engagement du Sud, se sont énormément développées à cause de
l’attitude dure de l’administration Bush envers la Corée du Nord.
Mars 2001 (Politique nord-coréenne de Bush) – juillet 2002 (reprise des négociations intercoréennes) : pressions sécuritaires – la deuxième confrontation
Quand George W. Bush a gagné l’élection présidentielle, on s’est largement
attendu à ce que la ligne dure républicaine se manifeste contre la Corée du Nord.
La politique nord-coréenne de l’administration s’est avérée ferme et résolue en
ce qui concerne les armes conventionnelles et celles de destruction massive. Au
cours des négociations avec Pyongyang, le Président Bush a insisté continuellement sur la « réciprocité » et la « vérification », une attitude différente de celle
de l’administration Clinton. La fermeté de Washington prédisait la fin de la
période des négociations post-Accord de Genève. Depuis lors, Pyongyang a
commencé à subir les changements systémiques dans son environnement.
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winsets politiques de la Corée du Nord auraient pu atteindre un équilibre, de
nouveau, quand la politique d’engagement de l’administration Clinton était
à son faîte, et Madeleine Albright, alors secrétaire d’État, a visité Pyongyang pour rencontrer Kim Jong-il en octobre 2000.
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Se sentant menacée et donc plus agressive, la Corée du Nord de cette
période peut être décrite comme accablée de soucis sécuritaires. Une analyse
au niveau du système prévoit que c’est cette période où le Nord, nerveux et
agressif, adopte une attitude dure, du fait des remarques belligérantes du Président W. Bush, et commet parfois des agressions apparemment peu raisonnables et absurdes. Basé sur cet ensemble de conditions, le 29 juin 2002, le
désaccord entre les deux Corées à propos de la mer occidentale a éclaté en
une bataille navale. Bien que les théories systémiques ne puissent pas directement expliquer la cause de la précipitation de cet incident, elle fournit une
base qui peut aider à mieux expliquer le comportement agressif du nord.
Les trois arguments réductionnistes qui se concentrent seulement sur les
caractéristiques internes semblent échouer à analyser les causes complètes
de l’incident. À première vue, l’argument qui définit la Corée du Nord
comme un régime « mauvais » semble pertinent chaque fois que celle-ci
commet de tels incidents, mais ne peut pas expliquer pourquoi Pyongyang
était désireux de reprendre des négociations et poursuivre une politique
d’ouverture juste après la bataille navale. De même, un autre argument qui
croit à la volonté sincère du Nord de s’ouvrir n’explique pas non plus correctement l’incident, puisque des agressions telles que l’accrochage naval
nient totalement l’hypothèse de départ. Cela n’explique pas non plus pourquoi la Corée du Nord est maintenant obsédée par son programme d’armement nucléaire et autres AMD.
Le troisième argument réductionniste est que les agressions de Pyongyang
sont intentionnelles et destinées à augmenter la tension dans la péninsule
coréenne pour se maintenir et pour obtenir un pouvoir de négociation plus
grand. Cet argument n’explique pas les aspects irrationnels de l’agression,
surestimant apparemment le processus rationnel du régime dans la prise de
décision.
42. New York Times, March 15, 2001, « North Korea Turns Up the Heat; Calls U.S. a Nation of Cannibals ».
43. Le discours sur l’état de l’Union du 29 janvier 2002. Voir : <http ://www.whitehouse.gov/news/
releases/2002/01/20020129-11.html>
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Après une série de remarques fermes de l’administration Bush depuis son
inauguration, la Corée du Nord subit de profondes préoccupations de sécurité,
et se retranche de l’environnement « hostile ». Le 13 mars, la Corée du Nord
annula des rencontres de niveau ministériel avec la Corée du Sud. Deux jours
plus tard, elle a également menacé les États-Unis de lancer « une vengeance
multipliée par mille » 42. Ce qui a irrité Pyongyang encore davantage, et provoqué son attitude, était la remarque sur l’« axe du mal » du Président Bush.
Celui-ci critiquait la Corée du Nord parce qu’elle était « un régime s’armant
avec des missiles et des armes de destruction de massive, tout en privant ses
citoyens de nourriture » et déclarait que la Corée du Nord, avec l’Irak et l’Iran,
« constituent un axe du mal, s’armant pour menacer la paix du monde » 43.
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Les décisions du Nord, sans aucun doute, doivent être étudiées après une
considération approfondie de sa propre manière de faire, calculant leurs coûts
et leurs avantages. Cependant, la troisième analyse n’a pas identifié que la
sphère de sécurité internationale envers la Corée du Nord influence également la prise de décision à Pyongyang en tant que variable systémique. Un
petit groupe exclusif d’élites politiques, comparé à ceux des démocraties pluralistes, sera plus sensible aux changements dans l’atmosphère de sécurité et
basculera plus facilement parce qu’il existe, dans ce groupe, peu de coordonnateurs pour vérifier, équilibrer et soutenir des résultats politiques stables.
Par conséquent, bien que destinées à être rationnelles au niveau interne, les
agressions de la Corée du Nord s’avèrent être, dans une certaine mesure, irrationnelles à cause des contraintes de son système politico-militaire.
Aucune des trois analyses n’a apporté une pleine explication parce que
leurs analyses définissent d’abord les caractéristiques du régime, les considèrent comme données, et essayent ensuite de découvrir les causes de l’incident dans ces caractéristiques « données ». Cependant, les caractéristiques
du régime de Pyongyang ne sont pas fixes, mais disposent en fait d’une certaine marge de manœuvre, dans laquelle il évolue facilement et est influencé
par l’environnement international créé principalement par les États-Unis.
La bellicosité de la Corée du Nord et les agressions commises durant cette
période sont en grande partie issues de décideurs qui ont perçu une menace
croissante de la part de l’administration Bush et sont donc hantés par des
soucis de sécurité. L’impression croissante de crise filtre depuis les hauts
fonctionnaires et les officiers militaires, se répand parmi les particuliers et
s’imprime dans leurs esprits. En d’autres termes, les éthos militaro-politiques de la Guerre froide ont de plus en plus dépassé la demande de changements économico-sociaux internes, et ont conduit le régime à s’enfermer et
à rester en état d’alerte totale contre le monde extérieur.
Juillet 2002 (reprise des négociations intercoréennes) – octobre 2002
(jusqu’à la visite de James Kelly à Pyongyang) : préférences économiques
internes
Après l’incident, Pyongyang s’est retrouvé sous une pression croissante de
la part de la société internationale ; le scepticisme a surgi en Corée du Sud
concernant les aides économiques à la Corée du Nord ; l’administration
Bush a reporté une visite officielle à Pyongyang. Au niveau interne, le
régime a dû passer par une profonde réflexion jusqu’à ce qu’il décide une
série de gestes de réconciliation. Après un mois de silence suite à l’accrochage naval, le 25 juillet, la Corée du Nord a officiellement proposé au gouvernement du Sud la reprise des rencontres au niveau ministériel à Séoul et
a également transmis ses « regrets à propos de la bataille navale ». Le
31 juillet 2002, pendant le Forum régional de l’ASEAN, le ministre des
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Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
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Au niveau interne, Pyongyang a ressenti un fort besoin d’échapper à l’isolement international et de stabiliser son économie bancale, ce qui a mené le
régime à tendre un rameau d’olivier à Séoul, au Japon et à Washington.
Octobre 2002 – octobre 2006 : pressions sécuritaires – la troisième
confrontation
Pendant la visite d’une délégation des États-Unis menée par James Kelly 44
à Pyongyang, la Corée du Nord a reconnu avoir un nouveau programme
d’armement nucléaire secret. Face aux preuves directes des États-Unis qui
ont démontré l’existence de ce programme destiné à produire des matières
fissiles par l’enrichissement de l’uranium, Pyongyang a décidé d’entreprendre une grande démarche contre les États-Unis. Le vice premier ministre des
Affaires étrangères, Kang Suk-ju, a reconnu ce programme, accusant explicitement les États-Unis d’être hostiles au régime 45. Cette reconnaissance
inattendue du Nord a depuis lors créé des implications de grande envergure
dans la société internationale.
L’élite de Pyongyang considère l’attitude des États-Unis comme menaçant le régime lorsque ceux-ci répétèrent sans relâche leur souci au sujet des
armes de destruction de massive, du développement et de l’exportation de
missiles, de la menace des armes conventionnelles du Nord pour ses voisins
et des violations des droits de l’homme perpétrés à l’encontre de leur propre
population.
Comme dans les autres périodes de domination politique militaire, la
Corée du Nord s’est sentie mise en danger, et est devenue plus agressive.
Au niveau systémique, l’admission et la dénonciation des Américains par
les décideurs, ont été en grande partie influencées par l’attitude de la superpuissance, et la gamme de leurs options de politique s’est réduite à cause de
leur souci de sécurité. Bien que la décision ait été probablement prise par
44. Le secrétaire d’État adjoint pour l’Asie et les affaires pacifiques.
45. <http ://www.cnn.com/2002/US/10/16/us.nkorea/index.html>
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Affaires étrangères nord-coréen, Paek Nam sun, a rencontré le secrétaire
d’État des États-Unis Colin Powell et a exprimé plusieurs fois l’acceptation
de son pays de recevoir un envoyé des États-Unis à Pyongyang. Il a également
rencontré la ministre des Affaires étrangères japonaise Yoriko Kawaguchi et
a discuté du renouvellement des entretiens bilatéraux en vue de la normalisation pendant le Forum. La Corée du Nord a depuis lors donné une image
d’ouverture et de changement : introduction de certaines fonctions du Marché dans l’économie, résolution d’enjeux en attente avec le Japon par une
réunion au sommet entre le premier Ministre, désignation de Sinuiju comme
zone spéciale, etc.
Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
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Cependant en 2002, des rumeurs ont circulé que la Corée du Nord poursuivait à la fois des technologies d’enrichissement de l’uranium et des technologies de retraitement du plutonium dans le déni de l’accord-cadre. La
Corée du Nord a répété aux diplomates américains en privé qu’ils étaient en
possession d’armes nucléaires, citant les échecs américains à respecter leur
propre engagement « de l’accord-cadre » comme force de motivation. La
Corée du Nord plus tard a clarifié qu’elle ne possédait pas encore d’armes
nucléaires, mais qu’elle avait le droit d’en posséder. Fin 2002, début 2003, la
Corée du Nord a pris des mesures pour éjecter des inspecteurs de l’Agence
internationale de l’énergie atomique tout en réacheminant les barres de combustible usées pour retraiter le plutonium et produire des armes. Au cours de
2003, les fonctionnaires nord-coréens et américains ont échangé des mots
durs et ont mis en place des exercices militaires qui ont été interprétés par
l’autre partie comme agressifs. Aussi tard que la fin de 2003, la Corée du
Nord a annoncé qu’elle gèlerait son programme nucléaire en échange de concessions américaines – en particulier un traité de non-agression –, mais un
accord définitif n’a pas été atteint et les négociations suivantes ont été annulées ou ont échoué. La Corée du Nord s’est alors retirée du Traité de non-prolifération nucléaire en 2003, n’ayant pas reçu les réacteurs à eau légère promis
par les États-Unis et supposés être livrés en échange du gel du développement
des centrales nord-coréennes, comme convenu dans l’accord-cadre.
En 2004, une équipe d’inspecteurs américains, menée par l’ancien directeur Siegfried S. Hecker du laboratoire national de Los Alamos, a été autorisée à inspecter les sites de production du plutonium de la Corée du Nord.
Hecker a témoigné plus tard devant le Congrès des États-Unis qu’il n’a vu
aucune preuve qu’ils avaient produit réellement une arme efficace. En
septembre 2004, cependant, les fonctionnaires nord-coréens ont annoncé
qu’ils avaient transformé avec succès le plutonium de Yongbyon en force
de dissuasion nucléaire utilisable. Au cours de 2005, d’autres négociations
diplomatiques ont été lancées entre les États-Unis, la Corée du Nord, la
Corée du Sud, la Chine, le Japon, et la Russie (les négociations à six), mais
peu de changement concret s’est produit.
Bien que la Corée du Nord ait effectué de nombreux essais de missiles
(dont certains ont été qualifiés d’échecs par les experts internationaux), la
question de savoir s’ils maîtrisent réellement tous les aspects de la technologie de l’armement nucléaire – s’étendant de la production de matériaux à
la conception complexe des armes nucléaires requise pour produire la détonation finale – est restée sans réponse.
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« un calcul rationnel », cela ressemble plutôt à un arrangement sauvage.
Comme mentionné plus tôt, un groupe politique de petite taille basculera
facilement sous l’influence du système et produira souvent des décisions
apparemment absurdes.
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Kwang-Ho CHUN
Octobre 2006 – présent : La pression de sécurité revisitée
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L’approvisionnement en énergie de la Corée du Nord s’est détérioré
depuis les années 1990, et les réacteurs à graphite actifs sont une source
importante de leur puissance. Les deux réacteurs à eau légère, à construire,
seraient une source importante d’électricité dans une nation dont les ressources sont rares. Bien que placé dans un rapport dérisoire, Donald Rumsfeld a
démontré le manque grave d’électricité pour la nation entière par une photographie publiée en octobre 2006 46.
De nombreuses parties ont un intérêt dans la prétention que la Corée du
Nord possède des armes nucléaires. Pour la Corée du Nord, ça a été un outil
de négociation pour ouvrir des discussions diplomatiques et recevoir l’aide
internationale nécessaire à son économie. Le Grand National Party, actuellement le parti d’opposition en Corée du Sud, a fait de son désaccord avec
la politique de la main tendue, un point politique important. L’aile droite du
parti conservateur au Japon a exprimé le désir d’enlever l’article 9 de la
constitution et la menace d’une Corée du Nord nucléaire alimente le besoin
perçu de pouvoir utiliser leur force armée et de défense de « manière
normale ». L’administration W. Bush aux États-Unis a également fait de la
menace du terrorisme le foyer central de sa politique étrangère depuis les
attaques du 11 septembre 2001. Ils maintiennent également une force de
presque 40 000 hommes en Corée du Sud, la deuxième plus grande en Asie
de l’Est, qui devrait probablement être réduite si la situation politique changeait de manière significative en Corée, ce qui affectera négativement la
sphère d’influence des États-Unis dans la région.
Le 9 octobre 2006, le gouvernement nord-coréen a annoncé qu’il avait
effectué avec succès un essai nucléaire pour la première fois. L’enquête
géologique des États-Unis et les autorités sismologiques japonaises ont
détecté un tremblement de terre en Corée du Nord avec une magnitude préliminaire estimée de 4,2 sur l’échelle de Richter, corroborant certains
aspects des affirmations nord-coréennes.
On estime que le souffle a eu une force explosive de moins d’une kilotonne, et des traces radioactives ont été détectées. Les fonctionnaires des
États-Unis ont suggéré que le dispositif explosif nucléaire a pu rencontrer
des problèmes techniques. Un fonctionnaire anonyme de l’ambassade nord46. Pour plus d’information et de photos, voir : http ://www.dailymail.co.uk/pages/live/articles/news/worldnews.html?in_article_id=410158&in_page_id=1811
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Certainement, la Corée du Nord utilise les armes nucléaires principalement
comme stratagème politique, en particulier pour amener les États-Unis à la
table des négociations et pour commencer à rétablir des relations normales
et mettre fin au long embargo économique contre la Corée du Nord.
Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
189
coréenne à Beijing a dit à un journal sud-coréen que le rendement explosif
était plus petit que prévu. En raison de la nature réservée de la Corée du
Nord et du faible résultat de l’essai, il reste à savoir si c’était un essai réussi
exceptionnellement petit, ou un « coup dans l’eau ».
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La France, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis ont exprimé leur
soutien à l’application de sanctions contre la Corée du Nord selon la
partie VII, l’article 41 de la charte des Nations Unies, et la NouvelleZélande a déclaré qu’elle inviterait « le Conseil de sécurité… à appuyer de
son plein poids sur… les discussions » 47. Le 14 octobre, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a voté unanimement l’imposition de sanctions à la
Corée du Nord selon la résolution 1718.
Le 9 novembre 2006, le journal nord-coréen Minju Joson a accusé la
Corée du Sud d’accumuler des moyens militaires dans le but d’attaquer la
Corée du Nord, affirmant que « l’armée sud-coréenne clame haut et fort que
le développement et l’introduction de nouvelles armes ont pour cible le
Nord. » Pyongyang a accusé la Corée du Sud de conspirer avec les ÉtatsUnis pour attaquer cet État isolé et appauvri, une accusation fréquemment
adressée par le Nord et régulièrement démentie par les États-Unis.
En 2007 des rapports émanant de Washington suggéraient que les déclarations de la CIA en 2002 selon lesquelles la Corée du Nord développait la
technologie d’enrichissement de l’uranium avaient exagéré ou mal interprété les renseignements. Les dirigeants américains ne considéraient plus
cette question comme un sujet essentiel des pourparlers à six 48.
Le 17 mars 2007, la Corée du Nord a annoncé aux délégués qui participaient aux pourparlers internationaux sur les questions nucléaires qu’elle se
préparait à fermer sa principale installation nucléaire. L’accord a été obtenu
à la suite d’une série de pourparlers à six, auxquels participaient la Corée du
Nord, la Corée du Sud, la Chine, la Russie, le Japon et les États-Unis, et qui
avaient débuté en 2003. En vertu de cet accord, une liste des programmes
nucléaires sera soumise et l’installation nucléaire sera démantelée en
échange de la fourniture de carburant et de pourparlers de normalisation
avec les États-Unis et le Japon. Ceux-ci avaient été reportés depuis avril en
raison d’un contentieux avec les États-Unis au sujet de Banco Delta Asia,
47. Le Monde, 09.10.2006, « Condamnation internationale de l’essai nord-coréen »
48. POITEVIN C., « Nucléaire et Corée du Nord, le plus difficile reste à venir, », Note d’Analyse,
GRIP, 2007.
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La Chine a envoyé une alerte d’urgence à Washington via l’ambassade
des États-Unis à Beijing et le Président George W. Bush a été informé « peu
de temps après 10 heures du soir (UTC-4) qu’un essai était imminent » par
le conseiller à la Sécurité Nationale Stephen Hadley.
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Kwang-Ho CHUN
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Au cours de l’année 2008, les tensions ont resurgi entre la Corée du Nord
et les États-Unis au sujet de différences de points de vue concernant le processus de désarmement issu des pourparlers à six. Selon certaines sources,
les pourparlers ont commencé à se rompre après que les États-Unis aient
exigé des mesures de vérification plus intrusives que celles que la Corée du
Nord était prête à accepter. Le 8 octobre 2008, les inspecteurs de l’AIEA se
vont vu interdire par le gouvernement nord-coréen de poursuivre les inspections sur le site. Deux jours plus tard, les États-Unis supprimaient la Corée
du Nord de la liste américaine des États soutenant le terrorisme et on
s’attendait donc à ce que le processus de démantèlement de Yongbyon
reprenne 49.
Mais, le 25 avril 2009, le gouvernement nord-coréen annonçait que les
installations nucléaires du pays avaient été relancées et que l’activité de
retraitement des combustibles irradiés pour en faire du plutonium militaire
avait repris.
Le 25 mai 2009, la Corée du Nord a effectué un second essai d’une arme
nucléaire à l’endroit même où avait eu lieu le premier essai. L’arme utilisée
pour ce test avait une puissance équivalente à celle des bombes atomiques
lancées sur le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale (ce qu’ont confirmé la Corée du Sud et la Russie). En même temps qu’elle effectuait cet
essai, la Corée du Nord a également testé deux missiles à courte portée,
selon la chaîne de télévision sud-coréenne YTN.
En mai 2010 un article paru dans le Rodong Sinmun a annoncé que la
Corée du Nord avait réussi à déclencher une réaction de fusion nucléaire.
Cet article, qui qualifiait ce test présumé « d’événement majeur qui démontrait le développement rapide des sciences et de la technologie de pointe en
République démocratique de Corée du Nord », faisait également référence
aux efforts accomplis par les scientifiques nord-coréens pour développer
une « nouvelle énergie sûre et respectueuse de l’environnement », et ne
mentionnait aucun projet visant à utiliser la technologie de la fusion dans le
cadre du programme d’armement nucléaire 50.
Bien que le décès soudain de Kim Jong Il ait bouleversé tant le monde
que la péninsule coréenne, il est encore trop tôt pour déterminer si son suc49. Veille CRC-EHESS Actualités. « Nucléaire : les États-Unis et la Corée du Sud déterminés à stopper
Pyongyang », Veille Actualités pour les Études coréennes, 2009.
50. KOITA S., « Arme nucléaire : Séoul soutient la Corée du Nord et l’Iran se rebelle, » <http ://
www.durable.com/actualite/article_arme-nucleaire-seoul-soutient-la-coree-du-nord-et-l-iran-serebelle_851>, 2010.
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mais le 14 juillet, les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie
atomique confirmèrent la fermeture du réacteur nucléaire de Yongbyon en
Corée du Nord.
Approches multiniveaux du dilemme de la question nucléaire en Corée du Nord...
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cesseur Kim Jung Eun a l’intention de poursuivre la « politique le de la priorité militaire » mise en avant par son père. Cependant, le régime de Kim
Jung Eun pourrait survivre s’il choisissait de suivre la voie tracée par son
père Kim Jong Il avec l’appui d’anciens partisans tels que Jang Sung Taek
et Kim Young Hee. Bien qu’à l’heure actuelle la situation demeure encore
floue, la question se pose impérieusement de savoir comment Kim Jung Eun
dirigera la Corée du Nord durant les trois années à venir.
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Une approche à plusieurs niveaux de la Corée du Nord aidera les analystes
à expliquer le comportement déroutant et donnerait une image plus complète de la Corée du Nord depuis la fin de la Guerre froide.
La Corée du Nord a été sensible à la pression internationale qui évolue
principalement sous l’effet des actions des États-Unis. L’effort continuel de
Pyongyang pour développer un programme d’armement nucléaire est, à cet
égard, une tentative d’atteindre des capacités d’auto-défense et de surmonter sa paranoïa de sécurité. Ce dont le régime a le plus besoin pour sortir de
l’impasse est une garantie convaincante des États-Unis comme un traité de
non-agression et de non-intervention dans le cadre de rapports diplomatiques normaux. En 1999 et 2000, les deux interactions contradictoires qui
influençaient la Corée du Nord auraient pu se terminer par une convergence
vers un équilibre stable. Néanmoins, le rôle de l’individu a dépassé les contraintes systémiques : Kim Jung-il a refusé de répondre à l’offre.
Avec l’effondrement de l’Union soviétique, le régime de Pyongyang a
été placé dans une structure revitalisée de la guerre froide due à la possibilité
croissante d’action militaire des États-Unis contre elle, et des améliorations
rapides des relations de la Corée du Sud avec ses anciens alliés, la Russie et
la Chine.En attendant, les options de la politique du régime ne peuvent pas
éviter d’être limitées par les besoins internes de réforme économique pour
gérer l’expansion du marché capitaliste. L’État communiste éprouve deux
pressions constantes : l’une venant de la pression externe principalement par
les États-Unis et l’autre venant du besoin interne de stabilité économique.
La société internationale est encore anarchique. Ce dont le régime a le
plus besoin c’est une relation diplomatique formelle avec les États-Unis, qui
pourrait être atteinte avec succès, avec en prime une garantie de sécurité.
Sinon, Pyongyang continuera à passer d’une attitude à l’autre comme elle
l’a fait jusqu’à présent.
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Conclusion