Les États-Unis et la lutte contre le terrorisme

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Les États-Unis et la lutte contre le terrorisme
Les États-Unis et la lutte
contre le terrorisme international
depuis le
11 septembre 2001
Carole ANDRÉ-DESSORNES
Consultante en géopolitique, doctorante chercheure à l’EHESS,
auteure et conférencière
INTRODUCTION
Le 11 septembre 2001 a marqué un tournant dans l’histoire des relations internationales. Il y a eu l’après-Seconde Guerre mondiale et l’émergence d’un monde
bipolaire qui a dominé la scène internationale durant toute la guerre froide, puis
la chute du bloc soviétique qui a suscité les espoirs les plus fous ! À cela il faut
ajouter, comme date clé, le 11 septembre ; il y a eu un avant-11 septembre et un
après-11 septembre.
La lutte contre le terrorisme est devenue un axe majeur de la politique étrangère américaine, ce qui ne signifie pas pour autant que cette lutte était inexistante
auparavant, mais celle-ci va devenir une clef de voûte de la politique conduite par
Washington.
L’administration Bush est donc passée d’une politique étrangère qui au départ se
voulait comme la moins interventionniste à une politique essentiellement fondée sur
cette « guerre contre le terrorisme ».
Avant d’aller plus loin, il convient de voir quelles définitions du terrorisme – et le
pluriel s’impose ici – les États-Unis ont adoptées. Pour bien comprendre la difficulté
à délimiter ce qu’est le terrorisme, il faut savoir que, selon les experts des Nations
unies, on ne dénombre pas moins de quelque deux cents définitions ; jusqu’à maintenant, aucune d’elles n’a fait l’unanimité et aucune n’a donc été adoptée de façon
officielle et définitive par l’ONU.
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Pour en revenir aux États-Unis, la difficulté reste la même, plusieurs définitions
se font jour, cependant trois d’entre elles peuvent retenir notre attention du fait
qu’elles émanent d’institutions incontournables et directement concernées par cette
lutte contre le terrorisme :
– En effet, pour le ministère de la Défense, le terrorisme comprend tout type de
mouvement qui recourt délibérément à la violence illicite, destinée à inspirer la peur
pour intimider, voire contraindre les pouvoirs publics et la société à changer leur
attitude, en vue de fins généralement politiques, religieuses ou idéologiques1.
– Pour ce qui est du FBI, ce phénomène englobe tout recours illicite à la force
et à la violence, dirigé contre des personnes tout autant que des biens, dans le but
d’intimider ou de contraindre les pouvoirs publics et les civils, dans la volonté de
poursuivre des objectifs d’ordre politique ou social2.
– En ce qui concerne le Département d’État, ce dernier inclut dans le terrorisme
tout type de violence préméditée, à motif politique, qui est perpétrée à l’encontre de
cibles non combattantes (personnels militaires et civils qui ne sont pas armés ou sont
en repos) par des mouvements propres à un pays ou des agents clandestins, et dont
l’objectif final est d’influer sur la population3
N’oublions pas d’ajouter que le « terrorisme international », quant à lui, implique
les citoyens et territoires de plus d’un pays. On peut parler de terrorisme globalisé !
Se lancer dans une « guerre contre le terrorisme international » soulève un problème majeur, à savoir s’engager dans une lutte hors des sentiers battus, car il ne s’agit
pas d’affronter un pays précis, mais de s’aventurer dans un combat contre un ennemi
« interétatique » flou, fluctuant et difficile à identifier !
QUELLE GUERRE CONTRE LE TERRORISME ?
Aux origines d’une situation devenue inextricable
La situation actuelle, qui médiatiquement fait la part belle aux réseaux islamistes
djihadistes, au nombre desquels on compte Al-Qaida, trouve ses origines dans une
politique américaine qui n’a pas hésité à financer, à s’appuyer sur ces groupuscules
1. United States Department of Defense, 12 avril 2001, http://www.dtic.mil/doctrine/jel/
new_pubs/jpl02.pdf.
2. Counterterrorism Threat Assesment and Warnong Unit, 1999, http://www.fbi.gov/
publications/terror/terror99.pdf.
3. Office of the Coordinator for Counterterrorism, 2002, 2003, http://www.state.gov/
documents/organization/20177.pdf.
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Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
radicaux dans le seul but de mener à sa perte le bloc communiste, l’« Axe du mal »
de la guerre froide.
Dans une interview accordée au Nouvel Observateur le 15 janvier 19984, Zbigniew
Brzezinski, ancien conseiller pour la Sécurité nationale du président Jimmy Carter
de 1977 à 1981, reconnaît que l’aide officiellement apportée en 1980 aux moudjahidine en Afghanistan, soit après l’invasion soviétique de décembre 1979, a en fait
débuté en juillet 1979 lors de la signature d’une première directive d’assistance clandestine aux opposants au régime prosoviétique de Kaboul, augmentant les chances
d’une intervention russe en Afghanistan et contribuant ainsi à favoriser la chute de
l’Empire soviétique.
Le fondamentalisme islamique n’était alors qu’un outil, le véritable danger à
l’époque était incarné par le communisme, et tout valait mieux que cette idéologie
qui entendait diriger la moitié du monde, si ce n’est plus !
Washington a opté ouvertement pour les groupuscules les plus radicaux et
Gulbuddin Hekmatyar5 était alors l’un des plus « dignes représentants » de cet extrémisme.
Ce choix visait à créer un mouvement qui contaminerait toutes les républiques
d’Asie centrale de l’URSS, où les musulmans étaient majoritaires. Parallèlement à
cela, il était essentiel, pour Washington, d’éviter que des progressistes prennent la
tête de la lutte, car cela aurait conduit inévitablement à une vraie indépendance, ce
qui n’était évidemment pas souhaité.
Quand les Soviétiques sont partis en 1989, le pays a sombré dans l’anarchie la
plus totale et Washington, qui soutenait financièrement les talibans, ayant atteint
son objectif, a stoppé le financement et le soutien logistique alors massifs ; mais c’est
Ben Laden qui, après avoir soutenu Hekmatyar, a choisi le camp des talibans et développé le réseau Al-Qaida, déjà créé en 19876, mais qu’il a dirigé seul depuis 1989
et qui s’est très vite transformé en centre logistique du djihadisme international.
Les cellules implantées au Pakistan ainsi que sur le territoire afghan ont aussi
bénéficié de l’aide de l’administration Reagan jusqu’en 1989.
4. Interview de Zbigniew Brzezinski, in Le Nouvel Observateur, 15-21 janvier 1998, p. 76.
5. Il a été le chef du parti islamiste Hezb-i-islami, à la tête duquel il a d’abord combattu les
Soviétiques lors de la guerre d’Afghanistan dans le cadre de l’opération Cyclone de la CIA et
avec le soutien des services secrets pakistanais (ISI).
6. Al-Qaida, « La base », mouvement d’inspiration sunnite fondamentaliste, a été fondé par
le cheik d’origine palestinienne Abdhullah Yusuf Azzam et son disciple Oussama Ben Laden.
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Les États-Unis vont faire l’objet d’attaques virulentes à travers des discours
de responsables fondamentalistes d’une ampleur inégalée, lesquelles attaques ne
seront que la première étape d’une escalade sans précédent
L’arrivée au pouvoir du régime taliban avec le mollah Omar à sa tête va entraîner
le retour de Ben Laden en Afghanistan, pays qu’il a quitté auparavant pour se rendre
en Arabie Saoudite, puis au Soudan, où il a trouvé refuge quelque temps.
Les États-Unis sont très rapidement devenus la cible d’une vague d’attentats
bien avant ceux du 11 septembre 2001. L’attentat du World Trade Center du 26 février 1993, très probablement organisé par une cellule d’Al-Qaida, a été le premier
d’une longue série d’attaques ciblant les États-Unis. Cet attentat a été planifié par un
groupe de conspirateurs, parmi lesquels se trouvait Ramzi Yousef7.
Il est suivi par l’attentat visant les tours de Khobar en Arabie Saoudite le 25 juin
1996, où 19 Américains et un Saoudien ont péri, et 372 personnes ont été blessées.
Le 7 août 1998, les ambassades américaines à Nairobi, au Kenya et à Dar el-Salam, en Tanzanie, ont été prises pour cibles. Ces opérations suicides ont été menées
par des membres locaux d’Al-Qaida et ont fait de très nombreuses victimes : l’attaque
contre l’ambassade de Nairobi a tué au moins 213 personnes dont 12 Américains,
blessé de 4 000 à 5 500 personnes8, celle contre l’ambassade à Dar el-Salam a tué
11 personnes et en a blessé 85.
Entre temps, Ben Laden a lancé en février 1998 sa célèbre fatwa contre « juifs et
croisés », visant plus précisément les Américains9.
7. Ramzi Ahmed Yousef, d’origine pakistanaise a été l’un des planificateurs de l’attentat de
1993 ainsi que de l’opération Bojinka (c’était un plan d’attentats terroristes sur des avions de
ligne américains, découvert en janvier 1995. Ce plan est considéré comme le précurseur des
attaques terroristes du 11 septembre 2001). Il a été arrêté à Islamabad en 1995 et extradé aux
États-Unis où il purge une peine de prison à vie.
8. http://www.voanews.com/french/news/a-46-2008-08-07-voa1-91961649.html?CFTOKE
N=38131282&CFID=68411897.
9. International Islamic Front for Jihad Against the Jews and the Crusaders.
Ben Laden lance une fatwa : « Nous appelons chaque musulman qui croit en Dieu à tuer les
Américains et à piller leurs richesses, où que ce soit et dès que ce sera possible. Nous appelons
également chaque musulman à attaquer les troupes sataniques américaines et ses démons alliés.
L’ordre de tuer des Américains est un devoir sacré dans le but de libérer les mosquées d’Al-Aqsa
et de La Mecque. »
Le Monde, 20 septembre 2001, et presse internationale
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Où va l’Amérique de Barack Obama ?
Ce n’est pas George Bush qui est à l’origine de cette guerre contre le terrorisme ;
en effet, au cours de son second mandat, Bill Clinton va promulguer une succession
de lois antiterroristes, au nombre desquelles figurent l’Antiterrorism and Effective
Dealth Penalty of 199610 et l’Illegal Immigration and Migrant’s Responsibility Act11.
Clinton va remettre au goût du jour la notion de War on Terror12 face à une montée
du terrorisme international.
VERS LA GLOBAL WAR ON TERROR, OU LE SYMBOLE DES
ANNÉES BUSH
Une politique étrangère qui a pour socle la lutte contre les puissances du mal
Toutes ces lois n’ont pas pour autant pu empêcher de nouvelles actions violentes, ni stopper les déchaînements médiatiques des groupes radicaux à l’encontre
des États-Unis, puisque, le 12 octobre 2000, c’est l’USS Cole, le 17e destroyer de la
classe Arleigh Burke de l’US Navy, qui a été victime d’une attaque à l’embarcation
piégée à Aden, tuant pas moins de 17 marins et en blessant une cinquantaine.
Un an plus tard, le destin des États-Unis basculait dans l’horreur13, l’objectif ici
n’est pas de revenir sur cette journée, mais plutôt sur les conséquences de celle-ci sur
la politique adoptée par Washington.
Les attentats du 11 septembre ont entraîné une réponse immédiate qui s’est traduite par l’invasion de l’Afghanistan qui a eu lieu sous le nom de code Operation
Enduring Freedom14, mettant fin au régime taliban au pouvoir depuis 1994.
10.
http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=104_cong_public_laws&
docid=f:publ132.104.
11. http://www.americanlaw.com/1996law.html.
12. Cette War on Terror avait déjà été utilisée par Reagan mais dans un contexte de lutte contre
l’Axe du mal qui était alors assimilé au bloc soviétique. Le but ultime était alors, purement et
simplement, la disparition de ce bloc.
13. Quatre attentats suicides sont perpétrés le 11 septembre 2001 aux États-Unis par des
membres du réseau Al-Qaida. : dix-neuf terroristes détournent quatre avions de ligne afin
de les écraser sur des bâtiments hautement symboliques du Nord-Est du pays. Deux avions
sont projetés sur les tours jumelles du World Trade Center à New York, et le troisième sur le
Pentagone, à Arlington, près de Washington DC. Le quatrième avion, volant en direction de
Washington, s’est écrasé en rase campagne en Pennsylvanie, après que des passagers et membres
d’équipage ont essayé d’en reprendre le contrôle. Les attaques ont entraîné la mort de 2 995
personnes.
14. http://www.globalsecurity.org/military/ops/enduring-freedom.htm.
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George Bush va utiliser l’expression « Axe du mal » dans son discours sur l’état
de l’Union en 2002 pour désigner les pays suspectés, voire accusés de soutenir le
terrorisme, ce qui va lui permettre de préparer également le terrain pour d’autres
interventions.
Ainsi, après la chute du régime taliban en Afghanistan, chute qui, rappelons-le au
passage, n’a aucunement permis aux États-Unis de mettre la main sur le « cerveau »
du 11 septembre, Oussama Ben Laden, c’est au tour de Saddam Hussein d’être dans
la ligne de mire. Lequel Saddam Hussein était déjà tombé en disgrâce depuis la
guerre du Golfe en 1990-1991.
C’est donc en avril 2003 que le régime baasiste tombe, mais cette opération
de libération s’enlise assez vite dans une guérilla contre l’occupant, doublée d’une
guerre civile.
À cela s’est ajoutée l’installation d’Al-Qaida en Irak. En effet, si l’administration
Bush s’est appuyée sur des preuves volontairement erronées, à savoir la détention
d’ADM15, liens entre le pouvoir baasiste et Al-Qaida (il n’est pas inutile de rappeler
que ces liens ne reposaient sur aucun fondement), pour justifier cette intervention
armée au nom de la sécurité internationale, cette arrivée massive des troupes américaines a offert l’opportunité à Al-Qaida de jeter de vraies bases en Irak, pays qui
avait été jusque-là épargné par l’implantation de groupes djihadistes islamistes dits
transnationaux et qui se trouve être aujourd’hui un vivier de terroristes. Force est
de constater qu’un bon nombre de terroristes qui ont servi en Irak sont réapparus
au Koweït, en Arabie Saoudite, en Jordanie entre autres… Nous avons affaire à une
nouvelle génération de terroristes qui n’hésitent pas à se mettre au service d’autres
groupes aussi radicaux, au nom de la défense d’une vision quelque peu déformée de
l’islam.
Toute la politique de Bush reposait sur un « remodelage » du Grand MoyenOrient, incluant, outre les pays arabes du Moyen-Orient, l’Iran, le Maghreb (qui
comprend non seulement le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, mais aussi la Libye et la
Mauritanie), la Turquie, le Pakistan et l’Afghanistan. Cette guerre globale contre le
terrorisme, qui inclut les opérations militaires en Afghanistan et en Irak, était le plus
sûr moyen d’étendre l’influence de la puissance américaine sur une zone énergétique
(pétrolière et gazière) de premier ordre en prenant soin de toujours mettre en avant
cette lutte pour un monde plus sûr et par conséquent d’y redéployer les troupes
militaires.
15. ADM, « armes de destruction massive ».
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À cela s’ajoutent d’autres théâtres d’opérations, notamment en Afrique du Nord,
plus précisément en Algérie16, au Maroc, mais aussi au Tchad, au Mali… Des unités
militaires américaines fournissent un soutien logistique, une formation des forces
locales de sécurité ainsi que des services de renseignements à ces pays afin de lutter
contre divers groupuscules armés se réclamant ou non du réseau Al-Qaida.
Il est néanmoins intéressant de souligner que l’Arabie Saoudite, pourtant connue
pour être une place forte des idéologies radicales, wahhabite et salafiste, n’a pas été
inquiétée du fait même du pacte historique scellé en 1945 entre le président américain, Franklin D. Roosevelt, et le roi d’Arabie Saoudite17. Ce pacte faisait de l’Arabie Saoudite un fidèle allié de Washington et un acteur incontournable du secteur
pétrolier.
De même que nous devons nous rendre à l’évidence que la volonté des ÉtatsUnis de s’attaquer à Saddam Hussein n’était pas sans lien avec la découverte, au
grand dam du royaume saoudien, qu’un certain nombre de kamikazes du 11 septembre étaient de nationalité saoudienne. Ceci aurait donc conforté Washington
dans le choix d’attaquer l’Irak, autre réservoir de pétrole, ce qui permettait aux ÉtatsUnis de sécuriser leurs approvisionnements et par là même limitait la dépendance de
ces derniers à l’égard de l’Arabie, sans pour autant rompre les liens avec le royaume !
Parallèlement aux opérations militaires, les États-Unis, qui depuis 2001 disposaient de données bancaires de citoyens européens, avaient signé déjà en 2007 un
premier accord Swift18 avec l’Union européenne afin d’encadrer ces transferts de
données. Le Parlement européen souhaitait mettre à jour ce texte, ce qui est chose
faite depuis le 8 juillet dernier, permettant ainsi au Trésor américain d’accéder aux
données financières de près de 8 000 institutions et banques dans près de 200 pays
gérés par la société Swift.
16. Une base américaine est déjà établie en Algérie, celle-ci est située à côté de l’oasis d’Ihérir, à
110 km au nord-ouest de Djanet et à 220 km de la frontière libyenne, dans le Tassili des Adjer.
17. Le 14 février 1945, le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt reçoit à bord du
croiseur Quincy le roi d’Arabie Saoudite, Adb al-Aziz, sur le lac Amer, dans le canal de Suez en
Égypte. Les États-Unis proposent alors au régime saoudien le soutien américain et la garantie
de la sécurité de son territoire contre l’exploitation de ses richesses pétrolières.
18. La Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (Swift) est une société
coopérative de droit belge, basée près de Bruxelles, détenue et contrôlée par ses adhérents,
parmi lesquels se trouvent les plus grosses banques mondiales. Fondée en 1973, elle a ouvert un
réseau opérationnel de même nom en 1977.
Comme elle gère l’enregistrement des BIC, le terme Code Swift est par ailleurs utilisé pour
désigner le BIC.
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Le Parlement a profité de cette mise à jour pour exiger de renforcer la protection
des citoyens européens ; reste à savoir si ces exigences seront respectées. Ainsi les
demandes émanant du Trésor devront-elles être justifiées et les données transmises
seront, quant à elles, réduites à ce qui sera strictement nécessaire pour mener à bien
une enquête.
Peter Hustinx, contrôleur européen des données, reconnaît lui-même que cet
accord permet une transmission des informations qui va bien au-delà de ce qui est
nécessaire19.
L’après-11 septembre a été l’occasion pour l’administration Bush de répartir les
pays en différentes catégories et de mettre en exergue un certain nombre d’entre eux,
alors considérés comme étant des États finançant le terrorisme20. Sept États ont été
désignés comme faisant partie de cette dernière catégorie, à savoir la Corée du Nord,
Cuba, l’Iran, l’Irak, la Libye21, le Soudan et la Syrie ; ces États sont qualifiés de rogue
states.
Que signifie concrètement cette inscription sur cette « liste noire » ?
Pour ces pays, c’est être soumis à quatre types de sanctions, c’est-à-dire :
– Un embargo sur les exportations et toutes les ventes d’armes à ces pays.
– Une application de restrictions aux exportations d’articles à double usage à
ces mêmes pays. Tout ce qui pourrait accroître les capacités militaires des pays en
question doit être ratifié.
– Une suspension de toute aide économique.
– Une application de toute une batterie de restrictions financières, comme l’opposition des États-Unis aux prêts de la Banque mondiale, du FMI, etc., la levée de
l’immunité diplomatique, la suppression de crédits d’impôts sur les revenus réalisés
dans l’un de ces pays, la suppression de la franchise des droits de douane, l’interdiction à tout citoyen américain de réaliser une transaction financière d’une valeur
supérieure à 100 000 dollars avec des entreprises contrôlées par un des États figurant
sur cette liste.
19. AFP, le 8 juillet 2010
20. Dans un discours prononcé le 20 septembre sur l’état de l’Union, le président Bush a
déclaré que « chaque État, sur chaque continent, doit maintenant prendre une décision : soit il
est avec nous, soit il est avec les terroristes ».
21. La Libye a été retirée de la liste en 2004.
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Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
Dès septembre 2002, Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la Défense, a également montré sa détermination à aller plus loin dans cette lutte en accordant plus
de place aux actions clandestines à l’étranger par le biais de forces spéciales qui se
voyaient attribuer un rôle croissant dans la lutte contre le terrorisme international ;
cela signifiait mener des actions à l’étranger dans la plus grande clandestinité.
Qu’en est-il de la politique intérieure ?
Faire face à cette menace terroriste est également devenu un leitmotiv sur le
plan intérieur. C’est à ce titre qu’un certain nombre de mesures ont été adoptées,
au nombre desquelles on compte l’USA Patriot Act, véritable appareil législatif qui a
permis de contourner l’Habeas Corpus en facilitant la détention de personnes soupçonnées de projeter des actes terroristes, sans les inculper, en les plaçant dans la
catégorie de « combattant ennemi ». Le camp de Guantanamo en a été la pièce
maîtresse22. Le fait d’avoir implanté volontairement la prison sur ce site, donc hors
du territoire national, a surtout été une façon d’éviter que les prisonniers aient le
moindre recours aux lois américaines.
À côté de cela, les vols clandestins23 de la CIA ainsi que les centres de détention
clandestins sur le territoire européen représentent l’autre partie immergée de cet iceberg, à savoir l’ensemble d’activités menées hors de tout cadre juridique légal.
L’USA Patriot Act va finir par imposer l’usage des passeports biométriques afin de
bénéficier de l’exemption des visas ; en effet, en 2004, l’Union européenne entendait
généraliser le passeport à l’ensemble de ses ressortissants qui souhaitaient « fouler le
sol » américain.
D’autres lois vont compléter cet ensemble comme l’Aviation and Transportation
Security Act le 19 novembre 200124, le Maritime Transportation Security Act of
200225…
22. Donald Rumsfeld a annoncé le 27 décembre 2001 que la base américaine située à Cuba
pourrait accueillir dans les jours qui suivaient 300 premiers prisonniers talibans ou du réseau
Al-Qaida arrêtés en Afghanistan.
23. http://www.ledevoir.com/international/europe/111062/dick-marty-publie-son-rapportsur-les-vols-de-la-cia-14-pays-europeens-de-connivence-avec-la-cia.
24. http://archives.lesechos.fr/archives/2007/PremiumAero/01/09/300129139.htm.
25. http://www.tsa.gov/assets/pdf/MTSA.pdf.
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Les États-Unis et la lutte contre le terrorisme international Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
En novembre 2003, l’administration Bush crée une nouvelle agence, le Terrorist
Screening Center26, sous la houlette du FBI, chargée d’identifier et de stocker des
données concernant toute personne suspectée d’être terroriste.
Toutes ces mesures vont maintenir un état d’inquiétude permanent à l’intérieur
du pays, tout autant qu’une pression de plus en plus forte à l’extérieur, sans que cela
ait mis un terme définitif au terrorisme international. Force est de constater que
tout ceci a contribué à la réélection de George W. Bush en 2004, le seul candidat,
aux yeux d’une majorité d’Américains traumatisés par les attentats du 11 septembre,
capable d’assurer une protection du territoire national ainsi que des ressortissants à
l’étranger.
L’autre effet sera d’augmenter le budget militaire et par là même de satisfaire un
certain nombre d’intérêts financiers parmi les proches de l’administration américaine.
Il ne faut pas pour autant négliger les tentatives d’attentats déjouées par les forces
de sécurité : on peut citer le cas de Richard Reid27 qui, le 22 décembre 2001, devait
faire exploser en plein vol un Boeing reliant Paris à Miami, une charge dissimulée
dans sa chaussure. En mai 2002, c’est au tour de Jose Padilla, citoyen américain, de
se faire arrêter alors qu’il envisageait de faire exploser une bombe dite « sale », intégrant des éléments radioactifs, visant des immeubles d’habitation.
En 2002 et 2003, des projets de détourner des avions pour viser la côte ouest
ainsi que la côte est ont été déjoués. Toujours en 2003, Lyman Faris, chauffeur routier, est arrêté tandis qu’il projetait de détruire le pont de Brooklyn… Et la liste est
longue.
QUEL BILAN AUJOURD’HUI ?
QU’EN EST-IL DE L’ADMINISTRATION OBAMA ?
Un virage sémantique ?
Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Barack Obama a souhaité opérer un virage.
Cela va commencer par l’abandon des termes de Global War on Terror, contre-productifs et qui ont fini par imposer l’idée que les États-Unis menaient une guerre
contre l’islam. C’est ainsi que, au cours d’une étude menée sur près de 648 groupes
26. http://www.fbi.gov/about-us/nsb/tsc/tsc.
27.
http://www.lefigaro.fr/international/2010/05/02/01003-20100502ARTFIG00058-lesattentats-dejoues-aux-etats-unis-depuis-2001-.php.
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Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
terroristes de 1968 à 2006, Seth G. Jones et Martin C. Libicki28 ont livré leurs
conclusions, et il s’est avéré que seuls 7 % de ces groupes ont été vaincus militairement, ce qui prouve bien que la guerre contre le terrorisme n’est pas une guerre
classique et que ce phénomène ne peut être combattu par les stratégies classiques !
La Global War on Terror va laisser place aux Overseas Contingency Operations.
À côté de cela, Obama a sonné le glas des interrogatoires menés sous la torture
et a annoncé, le 21 janvier 2009, la fermeture du camp de Guantanamo, ce qui
est loin d’être chose aisée, puisque des résistances, venant notamment de pays peu
enclins à accueillir d’anciens détenus de Guantanamo, ont retardé l’application de
cette mesure.
Malgré cette rupture voulue par Barack Obama, les différentes tentatives avortées d’attentats29 sur le sol américain depuis son arrivée ont quelque peu modifié la
position de Washington, qui semble, ces derniers temps, reprendre à son compte les
orientations conduites par l’administration Bush, tant critiquées lors de la campagne
électorale de 2008.
Actuellement, la liste des États considérés comme étant liés, de près ou de loin, à
l’activité terroriste s’élève à 14 nations. Dix sont jugés comme des « pays à risques »,
on y trouve l’Afghanistan, l’Algérie, l’Irak, le Liban, la Libye, le Nigeria, le Pakistan,
la Somalie et le Yémen ; aucun ne figure sur la liste des rogue states, statut qui concerne
les quatre autres États qui sont clairement désignés comme sponsorisant les activités
terroristes, à savoir le Soudan, la Syrie, l’Iran et Cuba30.
Malgré cet abandon de la « guerre contre le terrorisme », le gouvernement démocrate a amplifié son combat contre les réseaux terroristes, dont Al-Qaida, qui figure
toujours en tête des groupes djihadistes les plus dangereux.
28. ��������������������������������������
Seth G. Jones and Martin C. Libicki, How Terrorist Groups End: Lessons for Countering al
Qa’ida, RAND, 2008.
29. Le 19 septembre 2009, trois hommes d’origine afghane sont arrêtés aux États-Unis dans le
cadre d’une enquête sur un projet d’attentat dans le métro de New York.
25 décembre 2009 : c’est un Nigérian de 23 ans qui embarque en portant sur lui une bombe
artisanale destinée à faire exploser en plein vol, le jour de Noël, un avion reliant Amsterdam à
Detroit.
Le 1er mai dernier : un véhicule piégé contenant des matériaux explosifs est découvert dans la
soirée en plein Times Square à New York.
30. Le Monde, 4 janvier 2010
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Les États-Unis et la lutte contre le terrorisme international Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
John Brennan31, conseiller du président pour la Sécurité, a déclaré, l’été dernier,
l’intention de Washington de « déplacer la lutte contre Al-Qaida et ses alliés extrémistes sur le terrain où ils complotent et s’entraînent, et ce où que ce soit ». Sont
donc visés l’Afghanistan, le Pakistan, le Yémen, la Somalie, le Sahel… Cette décision
ne va pas être sans conséquences sur la politique sécuritaire ainsi que sur les relations
avec les populations locales.
Une administration en proie à des difficultés pour le moment difficilement
surmontables
Le 27 mars 2009, le président Obama dévoilait sa stratégie concernant l’Afghanistan et le Pakistan. Ce dernier a relancé l’idée de mener une nouvelle offensive
contre les talibans32.
Lors de son allocution prononcée à l’occasion de sa remise du prix Nobel de la
paix le 10 décembre 2009, Barack Obama n’a pas dérogé à la règle en vigueur dans
la plus grande puissance démocratique, en montrant sa détermination à lutter contre
ce fléau, le terrorisme. Il n’a pas hésité à parler du mal en s’adressant à l’assistance :
« Car ne vous leurrez pas : le mal existe dans le monde. Ce n’est pas un mouvement
non violent qui aurait pu arrêter les armées d’Hitler. Aucune négociation ne saurait
convaincre les chefs d’Al-Qaida de déposer leurs armes. Dire que la guerre est parfois
nécessaire n’est pas un appel au cynisme, c’est la reconnaissance de l’histoire, des
imperfections de l’homme et des limites de la raison33. »
Même s’il entend marquer, haut et fort, cette rupture avec l’administration précédente, il n’en demeure pas moins que l’actuel président dénonce tout autant le
radicalisme et cette lutte conduite pas les extrémistes au nom de Dieu : « Ces extrémistes ne sont pas les premiers à tuer au nom de Dieu ; la cruauté des croisades est
très largement documentée […]. Parce que vous croyez réellement que vous exécutez la volonté divine, alors il n’y a pas besoin de retenue – pas besoin d’épargner la
femme enceinte, ni le médecin, ni même la personne qui professe la même foi que
vous. Une vue aussi déformée de la religion est incompatible non seulement avec le
concept de la paix, mais aussi avec l’objet même de la foi34. »
31. http://www.whorunsgov.com/Profiles/John_O._Brennan.
32. La première offensive avait été lancée le 7 octobre 2001 par Bush, entraînant en décembre
de la même année la chute du régime taliban, à la tête duquel se trouvait le mollah Omar.
33. Allocution prononcée lors de la remise du prix Nobel le 10 décembre 2009.
34. Ibid.
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Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
C’est dans cette logique de résistance au radicalisme que le 13 février 2010 est
lancée l’opération Mushtarak, la plus vaste opération militaire depuis que le président des États-Unis a annoncé l’envoi de soldats supplémentaires sur le sol afghan.
Elle a été menée conjointement par l’armée nationale afghane, l’armée américaine
et les forces britanniques, dans la province d’Helmand en Afghanistan ; près de
15 000 soldats ont été impliqués. Cette opération n’a malheureusement pas mis
en déroute les talibans qui contrôlent, avec la complicité de Seigneurs de la guerre
locaux, la guérilla dans cette région.
L’axe afghano-pakistanais est la vraie source du terrorisme, aux yeux de Barack
Obama. Il est vrai que le Pakistan semble lui-même rencontrer des difficultés à faire
face à des désordres internes, de même que la zone du Waziristân35 semble échapper
à son contrôle.
En même temps que le compte à rebours du désengagement militaire américain36
est lancé, les États-Unis ne déploient pas moins de 30 000 hommes supplémentaires
en Afghanistan dans le cadre d’une politique de renfort.
La question suivante se pose : alors que la présence américaine en Irak n’a pas eu
les effets escomptés pour la Maison-Blanche et encore moins pour la stabilité du pays
(même si, il faut le reconnaître, la position des Kurdes d’Irak s’est améliorée), est-il
envisageable pour les États-Unis de mener à bien ces opérations en Afghanistan, afin
que le pays devienne un allié de poids pour mettre un terme à ce risque terroriste
dans la région, mais aussi en Occident, et ainsi permettre à l’influence de la puissance
américaine de s’étendre, ou doit-on craindre un enlisement dans cette zone, qui
historiquement et à plusieurs reprises a montré sa ténacité ainsi que son aptitude à
repousser les puissances étrangères ?
L’avenir répondra à la question, même si l’on peut craindre le pire quant à l’équilibre de la région !
Il est de plus en plus clair que d’autres acteurs peuvent tirer avantage de cette
politique américaine, comme la Turquie et l’Iran qui en profitent pour asseoir petit
à petit leur audience, voire un ascendant sur cette partie du monde. Mais ceci est un
sujet qui pourra faire l’objet d’une autre étude !
35. Le Waziristân est une zone actuellement contrôlée par les talibans, celle-ci longe la frontière
afghane. Une partie de cet espace était incluse dans le royaume afghan jusqu’au tracé de la ligne
Durand imposé par les Britanniques le 12 novembre 1893.
36. Désengagement qui selon les sources officielles de Washington prendra fin en 2011.
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