peut-on appliquer la garantie décennale aux travaux de

Transcription

peut-on appliquer la garantie décennale aux travaux de
MARCHÉS PUBLICS
Peut-on appliquer la garantie décennale
aux travaux de ravalement et lorsque l’étendue
des dommages n’est pas entièrement révélée
dans le délai de dix ans ?
Marché de travaux n Application de la responsabilité
décennale aux travaux de réfection n Application
de la responsabilité décennale aux dommages
dont l’étendue n’est pas entièrement révélée avant
l’expiration du délai de dix ans.
CE (7/2 SSR) 11 décembre 2013, Commune de Courcival, req.
n° 364311 – Mme Chicot, Rapp. – M. Pellissier, Rapp. public –
SCP Waquet, Farge, Hazan, Av.
Décision qui sera mentionnée dans les tables du Recueil Lebon.
Résumé
➥➥La responsabilité décennale d’un constructeur
peut être recherchée à raison des dommages
qui résultent de travaux de réfection réalisés
sur les éléments constitutifs d’un ouvrage,
dès lors que ces dommages sont de nature à
compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le
rendre impropre à sa destination. Il suffit que
les dommages soient apparus dans le délai
d’épreuve de dix ans, même s’ils ne se sont
pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration de ce délai.
Conclusions
Gilles PELLISSIER, rapporteur public
Les désordres apparus à la suite
de travaux de ravalement peuvent-ils
engager la responsabilité décennale
des personnes y ayant participé ?
Telle est la principale question, à
laquelle votre jurisprudence, qui n’a
que rarement eu à connaître de ce
type de travaux, n’apporte pas de
réponse nette, que pose le pourvoi de
la commune de Courcival.
Cette petite commune de la Sarthe
a entrepris en 2000 de restaurer son
église, consacrée à saint Brice, un
édifice datant principalement du
xvie siècle mais dont la partie la plus
ancienne remonte au xie siècle. Peu
après la réception des travaux de
ravalement, le 22 septembre 2000,
sont apparus des désordres consistant, selon les constatations de
l’expert mandaté par le tribunal de
grande instance du Mans, en des
cloquages accompagnés de décollement le long des soubassements, dus
aux remontées des eaux du sol et en
98
de nombreux cratères, faïençages et
microfissures sur l’ensemble des surfaces.
La commune a saisi le tribunal administratif de Nantes de conclusions
tendant à obtenir la condamnation
de la société ayant réalisé les travaux
et du maître d’œuvre à lui verser une
somme d’un peu plus de 100 000 €
en réparation des préjudices résultant
de ces désordres, sur les fondements
tant de leur responsabilité contractuelle que de la garantie décennale
des constructeurs. Le tribunal a rejeté
ses demandes, confirmée par la cour
administrative d’appel de Nantes qui,
par un arrêt du 5 octobre 2012, a
jugé, d’une part, que la réception sans
réserves des ouvrages faisait obstacle
à ce que soit recherchée la responsabilité contractuelle des cocontractants de la commune, d’autre part,
que les désordres affectant l’ouvrage
n’entraient pas dans le champ de la
garantie décennale, la date à laquelle
ceux d’entre eux affectant la solidité
de l’ouvrage ou le rendant impropre
à sa destination se manifesteraient ne
pouvant être précisée.
Vous n’avez admis ce pourvoi qu’en
tant qu’il est dirigé contre l’arrêt rejetant les conclusions de la commune
fondée sur la responsabilité décennale des constructeurs et, par voie de
conséquence, l’appel en garantie.
Application de la garantie
décennale aux travaux
de ravalement ?
La première question que pose ce
litige est celle de savoir si la garantie
décennale des constructeurs s’applique à des travaux de ravalement.
Elle n’est pas soulevée par les sociétés
défenderesses, qui n’ont pas produit,
mais elle relève du champ d’application de la loi, tout autant, par exemple,
que celle de savoir si la personne dont
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MARCHÉS PUBLICS
la responsabilité est recherchée est un
constructeur débiteur à ce titre de la
garantie décennale 1.
Vous savez que la responsabilité
de plein droit des constructeurs d’un
ouvrage envers le maître de l’ouvrage
du fait des dommages apparus dans
le délai de dix ans suivant la réception et qui compromettent la solidité
de l’ouvrage ou le rendent impropre
à sa destination a d’abord été instituée pour les contrats de droit privé,
par les articles 1792 et 2270 du code
civil, avant d’être étendue, par la décision d’Assemblée Trannoy du 2 février
1973 2, aux contrats administratifs, sur
le fondement du principe général dont
s’inspirent les dispositions du code
civil.
Contrairement à la jurisprudence
judiciaire, votre jurisprudence n’a
que très rarement eu à se prononcer
sur le champ d’application matériel
de la garantie décennale, probablement parce que pendant longtemps,
jusqu’à la loi du 11 décembre 2001,
dite loi MURCEF, les règles déterminant votre compétence pour les marchés de travaux ne vous donnaient à
connaître que des travaux immobiliers
et qu’ils avaient le plus souvent pour
objet la construction d’un ouvrage.
En droit civil, la garantie décennale
ne s’applique qu’aux travaux participant à la réalisation d’éléments
structurels d’un immeuble, même si
elle n’est pas limitée aux travaux de
construction de l’ouvrage. Cela ressort clairement de l’article 1792-2 du
code civil qui étend la garantie « aux
dommages qui affectent la solidité
des éléments d’équipement d’un
ouvrage, mais seulement lorsque
ceux-ci font indissociablement corps
avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert ». La Cour de cassation fait une
distinction entre les ouvrages immobiliers, y compris par destination, qui
bénéficient de la garantie, et ceux qui,
parce qu’ils ne font pas corps avec
le sol ou un bâtiment, ne peuvent se
la voir appliquée 3. Ils relèvent d’un
autre régime de responsabilité de
plein droit, la responsabilité biennale.
Même si votre jurisprudence
consacre une conception plus extensive du champ de la responsabilité
décennale que celle résultant de
l’article 1792-2 du code civil, puisque
vous avez jugé qu’elle pouvait être
recherchée « pour des éléments
d’équipement dissociables de l’ouvrage s’ils rendent celui-ci impropre
à sa destination » 4, il n’en demeure
pas moins qu’un lien avec un ouvrage
est nécessaire et que cet ouvrage
ne peut être qu’un immeuble, qu’il
s’agisse d’un bâtiment ou de toute
autre construction, à condition qu’elle
soit incorporée dans le sol.
Limitation aux travaux
de construction
ou de reconstruction ?
Telle nous paraît être la portée de
l’une des rares décisions que vous
avez rendue sur le champ d’application matériel de la garantie décennale. Vous avez jugé, aux conclusions
contraires de votre commissaire du
gouvernement, le président Delarue,
que « dès lors que les travaux de
réfection de la peinture extérieure des
boiseries d’un bâtiment appartenant
à un OPHLM n’ont pas été réalisés à
l’occasion de la construction ou de la
reconstruction de cet immeuble, ces
travaux ne peuvent engager la responsabilité de l’entreprise à laquelle
ils ont été confiés sur le fondement
des principes dont s’inspirent les
articles 1792 et 2270 du code civil » 5.
Contrairement à ce qu’une lecture
rapide pourrait laisser penser, cette
motivation ne nous paraît pas réserver la garantie décennale aux travaux
de construction ou de reconstruction
complète d’un immeuble, en excluant
par principe des travaux intervenant
postérieurement. Elle nous semble
traduire l’idée selon laquelle la garantie décennale ne s’applique qu’aux
travaux pouvant être qualifiés de
construction ou de reconstruction,
c’est-à-dire portant sur les éléments
structurels d’un ouvrage immobilier,
ce qui n’est pas le cas de travaux de
peinture réalisés à la suite d’un changement des huisseries, comme l’a
d’ailleurs également jugé la Cour de
cassation pour des travaux de même
nature 6. Pour le dire autrement,
nous pensons que les notions de
construction et de reconstruction de
l’immeuble ont été employées pour
qualifier l’objet des travaux, au regard
de leur importance et non le moment
auquel ils ont été réalisés. Vous avez
d’ailleurs, à plusieurs reprises, statué
sur des questions relatives à la mise
en œuvre de la responsabilité décennale à l’occasion de travaux de rénovation ou de restauration d’ouvrages
existants, sans soulever d’office
l’inapplicabilité de ce régime 7.
La détermination du champ d’application de la garantie rejoint enfin la
définition des dommages garantis,
ainsi que cela ressort de votre décision précitée Société Borg Warner :
seuls les désordres compromettant
Voyez comme exemples de ce dernier cas
de figure : une maison mobile simplement
posée : Cass. civ. (3e ch.) 28 avril 1993, pourvoi n° 91-14215 : Bull. ; transformateurs démontables : Cass. civ. (3e ch.) 12 janvier 2005, pourvoi n° 03-18989 : Bull. ; appareil de production
d’eau chaude : Cass. civ. (3e ch.) 26 avril 2006,
pourvoi n° 05-13971 : Bull. ; un barbecue en parpaings accolé à une maison : Cass. civ. (3e ch.)
7 octobre 2008, pourvoi n° 07-17800 : Bull.
4
CE 8 décembre 1999, Société Borg Warner,
req. n° 138651 : aux Tables sur ce point.
5
CE18 juin 1996, OPHLM de la ville du Havre,
req. n° 126612 : aux Tables sur ce point.
6
Cass. civ. (3e ch.) 27 avril 2000, pourvoi n° 98-15970 : Bull. ; Cass. civ. (3e ch.)
3 décembre 2002, pourvoi n° 01-13716 ; Cass.
civ. (3e ch.) 3 janvier 2006, pourvoi n° 04-18507.
7
CE 9 juillet 2010, Commune de Lorry-les-Metz,
req. n° 310032 : aux Tables sur un autre point,
mais concernant des travaux de ravalement.
Voyez également pour des travaux de rénovation : CE 2 août 2011, Région Centre, req.
n° 330982 : aux Tables ; CE 17 mars 1999, Ville
du Havre, req. n° 159443.
B u l l e t i n j u r i d i q u e d e s c o n t r at s p u b l i c s N ° 9 3 99
CE 13 novembre1987, Syndicat intercommunal
pour la création et le fonctionnement de l’école
des Clos, req. n° 55445 : au Recueil.
2
Rec., p. 9.
1
3
MARCHÉS PUBLICS
la solidité de l’ouvrage ou le rendant
impropre à sa destination pouvant
être indemnisés au titre de cette
garantie, il est logique qu’elle soit
réservée aux travaux susceptibles de
provoquer de tels désordres. Ce lien
explique également que la question
du champ d’application de la garantie
se soit moins souvent posée que celle
des conséquences des désordres.
De ce qui précède, il nous paraît
possible de dégager deux conditions
pour que des travaux puissent bénéficier de la garantie décennale : ils
doivent porter, directement ou indirectement, sur un ouvrage immobilier et
contribuer à assurer sa solidité ou son
bon fonctionnement.
Des travaux de ravalement des
façades d’un immeuble n’ont pas, par
eux-mêmes, pour objet la construction d’un ouvrage. Ils ne font qu’y
participer, parce qu’ils portent sur un
immeuble et peuvent avoir pour objet
d’assurer la solidité de l’ouvrage ou
de permettre qu’il en soit fait un usage
conforme à sa destination.
Le cas des ravalements
à finalité esthétique
Entreront dans le premier cas les
ravalements visant à garantir l’étanchéité du bâtiment, ce qui est en
général l’objet des ravalements, mais
votre décision précitée Commune de
Lorry-les-Metz n’exclut pas totalement
les ravalements à finalité esthétique
lorsque cet aspect de l’immeuble
constitue un élément essentiel de
sa destination, comme pour les
ouvrages faisant partie du patrimoine
culturel ou touristique de la collectivité.
La jurisprudence judiciaire, qui
contient davantage d’illustrations que
la vôtre de responsabilité encourues
pour des désordres apparus à la suite
de ravalement mal exécutés, ouvre
également la garantie décennale
lorsque les travaux avaient pour objet
d’assurer la pérennité de l’ouvrage
et tient compte des finalités esthé100
tiques pour certains bâtiments 8. La 3e
chambre civile a ainsi jugé récemment
que des travaux comportant notamment la restauration des pierres de
façade, qui avaient pour objet de maintenir l’étanchéité nécessaire à la destination de l’immeuble et constituaient
une opération de restauration lourde,
d’une ampleur particulière compte
tenu de la valeur architecturale de
l’immeuble et de son exposition aux
embruns océaniques, participaient de
la réalisation de l’ouvrage au sens de
l’article 1792 du code civil et que les
désordres esthétiques généralisés
des façades, qui affectaient sensiblement son aspect extérieur et devaient
être appréciés par rapport à la situation particulière de l’immeuble qui
constituait l’un des éléments du patrimoine architectural de la commune de
Biarritz, portaient une atteinte grave à
la destination de l’ouvrage 9.
En l’espèce, le ravalement des
façades de l’église de la commune
de Courcival avait pour but d’assurer l’étanchéité du bâtiment et de
lui donner un aspect conforme à la
place qu’occupe cet édifice historique
dans le patrimoine de la commune.
Il entrait donc bien dans le champ
de la responsabilité décennale des
constructeurs.
Les principes que nous avons dégagés pour aboutir à cette conclusion ne
pourront que vous conduire à écarter
le moyen de la commune tiré de ce
que la cour aurait commis une erreur
de droit en évaluant les conséquences
des désordres sur le bâtiment et non
par rapport aux travaux commandés,
puisque ce n’est que parce que ces
derniers portent sur l’ouvrage et sont
susceptibles d’affecter ses éléments
essentiels qu’ils peuvent donner lieu à
une responsabilité décennale.
Si la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a pas commis
Cass. civ. (3e ch.) 3 mai 1990, pourvoi
n° 88-19.642 : Bull. ; 12 janvier 2005, pourvoi
n° 03-16.813.
9
Cass. civ. (3e ch.) 4 avril 2013, pourvoi
n° 11-25198 : Bull..
8
l’erreur de droit qui lui est reprochée
par la commune en recherchant si
les désordres affectaient la solidité
du bâtiment ou rendait son usage
impropre à sa destination, elle a en
revanche entaché son arrêt d’une telle
erreur en jugeant que les désordres
n’engageaient pas la responsabilité
décennale des constructeurs au motif
que la date de leur réalisation ne pouvait être précisée.
Peu importe la date
de réalisation des effets
des désordres
Vous jugez en effet de manière
constante que les dommages apparus dans le délai de dix ans doivent
être « de nature à compromettre la
solidité de l’ouvrage ou à le rendre
impropre à sa destination dans un
délai prévisible », qui peut être supérieur à dix ans 10. Vous avez confirmé
cette position par une décision du
31 mai 2010, Commune de Parnes 11
après le revirement opéré par la
Cour de cassation, qui considère
désormais que non seulement les
désordres, mais leurs effets doivent
se produire dans le délai décennal 12.
L’exigence tenant à ce que les effets
des désordres prennent leur caractère décennal dans un délai prévisible
signifie donc simplement pour vous,
comme le faisait observer N. Boulouis
dans ses conclusions sur la décision
Commune de Parnes, qu’il doit être
certain qu’ils finiront par compromettre la solidité de l’ouvrage ou par
le rendre impropre à sa destination,
quelle que soit la date à laquelle ces
effets se produisent. La notion de
délai prévisible ne comporte donc
10
CE 25 mai 1966, Société de constructions
industrielles publiques et privées : Rec., p. 364 ;
CE 30 décembre 1998, Andrault, Parat et Carré,
req. n° 165042 : Rec., p. 521.
11
Req. n° 317006 : aux Tables.
12
Cass. civ. (3e ch.) 8 octobre 2003, Syndicat
des copropriétaires de la Résidence la Croix du
Sud c/ CAP et autres, pourvoi n° 01-17.868 : Bull.
civ. III, n° 170.
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aucun aspect temporel ; il importe
peu de savoir quand les désordres
deviendront importants dès lors qu’il
est certain qu’ils le deviendront un
jour. Or, en fondant sa décision sur
la circonstance « que, selon l’expert,
si ces anomalies sont évolutives
et devraient se poursuivre par des
décollements plus généralisés, la
date d’apparition de ces ultimes manifestations ne peut être précisée », la
cour nous semble bien avoir subordonné la mise en œuvre de la garantie décennale à une condition tenant
à ce que la date de réalisation des
effets décennaux des désordres soit
connue, en méconnaissance des
principes que vous avez dégagés.
Nous vous proposons de casser,
dans la limite de l’admission du pour-
voi, l’arrêt pour ce motif, ce qui vous
dispensera d’examiner les autres
moyens du pourvoi, qui ne sont pas
fondés. La cour n’a pas commis
d’erreur de droit en refusant de tenir
compte d’une expertise non contradictoire dont les constatations étaient
fortement contestées par les parties.
Elle n’a pas davantage dénaturé les
faits en estimant que les désordres,
tels qu’ils se manifestaient à la date
à laquelle elle statuait, n’étaient pas
d’une gravité telle qu’ils compromettaient la solidité de l’ouvrage et,
comme nous l’avons dit, elle a refusé
de tenir compte de leur évolution à
plus long terme. Enfin, si, comme
vous l’avez indiqué par votre décision
Commune de Lorry-les-Metz, écarter
par principe toute atteinte à la desti-
nation de l’ouvrage du point de vue
esthétique constituerait une erreur
de droit, il ne nous paraît pas que la
cour l’ait commise du seul fait qu’elle
n’a pas évoqué de tels dommages,
compte tenu de l’argumentation très
succincte de la commune devant elle
à ce sujet.
2. Considérant qu’il résulte des principes dont s’inspirent les articles 1792 et
2270 du code civil que des dommages
apparus dans le délai d’épreuve de dix
ans, de nature à compromettre la solidité
de l’ouvrage ou à le rendre impropre à
sa destination dans un délai prévisible,
engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie
décennale, même s’ils ne se sont pas
révélés dans toute leur étendue avant
l’expiration du délai de dix ans ; que la
responsabilité décennale d’un constructeur peut être recherchée à raison des
dommages qui résultent de travaux de
réfection réalisés sur les éléments constitutifs d’un ouvrage, dès lors que ces dommages sont de nature à compromettre
la solidité de l’ouvrage ou à le rendre
impropre à sa destination ;
3. Considérant qu’il résulte de ce qui
précède que la cour administrative d’appel de Nantes n’a pas commis d’erreur
de droit en jugeant que les désordres
résultant des travaux de ravalement des
façades de l’église communale n’étaient
susceptibles d’engager la responsabilité décennale de la société S2e que
s’ils étaient de nature à compromettre
la solidité de cette église ou à la rendre
impropre à sa destination ; qu’elle a, en
revanche, commis une erreur de droit
en jugeant que les désordres en cause
n’entraient pas dans le champ de la
garantie décennale, au seul motif que
« la date d’apparition de leurs ultimes
manifestations » ne pouvait être précisée ;
4. Considérant qu’il résulte de ce qui
précède, sans qu’il soit besoin d’examiner
les autres moyens du pourvoi, que l’arrêt
attaqué doit être annulé en tant qu’il statue
sur la responsabilité des constructeurs au
titre de la garantie décennale et sur l’appel
en garantie qui s’y rapportait ;
5. Considérant qu’il y a lieu, dans les
circonstances de l’espèce, de mettre à
la charge de la société S2e la somme
de 3 000 € à verser à la commune de
Courcival, au titre des dispositions de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
B u l l e t i n j u r i d i q u e d e s c o n t r at s p u b l i c s N ° 9 3 101
Vous pourrez renvoyer l’affaire à la
cour administrative d’appel de Nantes
et condamner à verser 3 000 € à la
commune de Courcival au titre des
dispositions de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative. n
Décision
Vu la décision du 15 mai 2013 par
laquelle le Conseil d’État, statuant au
contentieux, a prononcé l’admission des
conclusions du pourvoi de la commune
de Courcival dirigées contre l’arrêt du
5 octobre 2012 de la cour administrative
d’appel de Nantes en tant que cet arrêt statue sur la responsabilité des constructeurs
au titre de la garantie décennale et sur l’appel en garantie qui s’y rapportait ; […]
1. Considérant qu’il ressort des pièces
du dossier soumis aux juges du fond qu’en
vue de la restauration de l’église communale, la commune de Courcival a, par un
marché conclu le 27 mars 2000, confié la
maîtrise d’œuvre des travaux à la société
S2e et l’exécution du lot n° 1 « maçonnerie-pierre de taille » à la société CetB
Perche ; que les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 22 septembre 2000 ;
que, toutefois, des désordres affectant
les façades du bâtiment sont apparus à la
fin de l’année 2000 ; que la commune de
Courcival se pourvoit en cassation contre
l’arrêt du 5 octobre 2012 par lequel la
cour administrative d’appel de Nantes a
rejeté sa requête tendant à l’annulation du
jugement du 23 juillet 2010 par lequel le
tribunal administratif de Nantes a rejeté sa
demande tendant à la condamnation de
la société S2e à la réparation du préjudice
résultant des désordres affectant la façade
de son église ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 5 octobre
2012 est annulé en tant qu’il statue sur la
responsabilité des constructeurs au titre
de la garantie décennale et sur l’appel en
garantie qui s’y rapportait.
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans
cette mesure, à la cour administrative
d’appel de Nantes. Article 3 : La société
S2e versera une somme de 3 000 € à la
commune de Courcival au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative.
[…] n
MARCHÉS PUBLICS
Observations
Les juridictions administratives n’avaient pas encore
eu l’occasion de se prononcer sur certaines conditions
d’application de la garantie décennale lorsqu’étaient
en cause des contrats qui n’étaient pas forcément des
contrats administratifs avant l’intervention de la loi
MURCEF. La présente espèce contribue donc à forger
la jurisprudence administrative sur la responsabilité
décennale des constructeurs, reposant sur des
principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du
code civil.
La première question qui se posait au Conseil d’État
était de savoir si des travaux de ravalement d’une
église étaient susceptibles d’entrer dans le champ
de la garantie décennale. Normalement, seuls les
travaux de construction ou de reconstruction sont
susceptibles d’engager la responsabilité décennale des
constructeurs. Mais cette notion ne doit pas revêtir une
signification uniquement temporelle, comme se limitant
aux travaux effectués à l’occasion de la construction ou
de la reconstruction. Elle signifie au sens matériel que
les travaux doivent porter sur les éléments structurels
d’un ouvrage immobilier. Partant, la garantie décennale
peut s’appliquer à des travaux de réfection ou de
ravalement. Le Conseil d’État confirme ici explicitement
ce qu’il avait admis implicitement auparavant 13. Mais
cela ne suffit pas : les dommages doivent être de
nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le
rendre impropre à sa destination. Certains dommages
résultant de travaux de ravalement peuvent entrer dans
cette catégorie. Le rapporteur public situe la frontière
aux travaux ayant pour but d’assurer l’étanchéité
d’un bâtiment et de lui donner un aspect conforme
à la place qu’il occupe dans le patrimoine historique
de la commune. Sans reprendre à son compte ces
précisions, le Conseil d’État se contente de rappeler les
critères généraux : les travaux de ravalement doivent
avoir causé des dommages de nature à compromettre
la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa
destination.
La seconde question posée au Conseil d’État était
de savoir si la responsabilité décennale pouvait être
engagée lorsque l’étendue exacte des dommages
n’est pas révélée au cours du délai de dix ans. Le
Conseil d’État applique sur ce point sa décision du
31 mai 2010, Commune de Parnes 14 et admet la mise
en jeu de la garantie alors que la date d’apparition des
ultimes manifestations des dommages ne pouvait être
précisée. Le juge administratif s’éloigne de la position
prise par la Cour de cassation, qui considère quant à
elle, de manière plus restrictive, que non seulement
les désordres mais également leurs effets doivent se
produire dans le délai décennal 15. n
S. N.
Req. n° 317006 : BJCP n° 72, 2010, p. 317, concl. Boulouis.
Cass. civ. (3e ch.) 8 octobre 2003, Syndicat des copropriétaires de la
Résidence la Croix du Sud c/ CAP et autres, pourvoi n° 01-17.868 : Bull. civ.
III, n° 170.
14
15
CE 9 juillet 2010, Commune de Lorry-les-Metz, req. n° 310032 : BJCP
n° 72, 2010, p. 349, concl. Dacosta.
13 102
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