P`tit Quinquin - Rouge Profond

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P`tit Quinquin - Rouge Profond
Avant-première mondiale de P'Tit Quinquin, mini-série (3h20mn) de Bruno Dumont – Quinzaine des Réalisateurs, Festival de Cannes, 21 mai 2014
P'tit Quinquin ou Des corps burlesques
La parole de P'tit Quinquin reste un corps, mais réinventé : un corps burlesque.
Comme dans les autres films de Bruno Dumont, cette parole est originaire et primitive.
Elle est aussi la langue première du cinématographe, celle de la pantomime, « art
populaire et sauvage », définie par Baudelaire comme « le comique absolu, l'épuration
de la comédie, l'élément comique pur ».
Le commissaire de P'tit Quinquin irradie l'écran dès les premiers plans par son visage
excessivement expressif, déformé. Il communique avant tout par le gauchissement et
le bégaiement de ses gestes. Il enquête sur une série de crimes « insolites » (des corps
découpés d'hommes et de femmes sont retrouvés dans des cadavres de vaches) dans la
région du Boulonnais. Mais ce commissaire ne se prend pas pour ce qu'il n'est pas, un
profiler ou un expert de la crim affublé d'une virilité hasardeuse. Bruno Dumont courtcircuite les codes du genre par la maladresse d'un corps pris dans ses mouvements et
ses suspensions. Le commissaire, surnommé « le brouillard » surprend le cadre de ses
apparitions, jouant toujours avec les limites du réel. La logique de son enquête est une
logique de l'absurde. Le burlesque devient alors désordre, excès, « enflure1 »où
s'origine une autre voix, celle du cinéaste qui réitère son inquiétude sur le mal et sur ce
qu'il nous fait, mais toujours sans jugement moral ni psychologisme. Ces corps
carnavalesques, qui vont à l'encontre de corps normalisés et esthétisés, ne sont pas
pervertis : leur expressivité subversive dévoile la pureté encore possible du monde,
celui de ces gens du Nord, ces borgate dumontiens qui parlent dans leur langue
régionale, celui de ce couple originel Ève et P'tit Quinquin dont la relation amoureuse
n'est jamais affectée malgré les événements sordides et la cruauté des enfants.
1
Bruno Dumont, propos livrés à l'issue de la projection en avant-première mondiale de P'tit Quinquin à La
Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, 21 mai 2014.
Si P'tit Quinquin est une série, ce n'est ni dans son rythme ou sa forme, mais dans un
sens musical : le comique de répétition insiste et fait déborder du cadre ces corps
vivants, uniques, inimitables, incarnés par les lignes que tracent leurs déplacements.
Film musical aussi par l'emploi du contrepoint (l'Aria de Bach sur les images d'une
cour de ferme avec des porcs, chanson pop dans l'église lors de l'enterrement).
Enfin, tous les films de Bruno Dumont circulent dans P'tit Quinquin révélant un geste
d'humanité, celui d'une possible autodérision et d'une distance de son auteur, mais
aussi d'une réflexivité toujours à l’œuvre : le cinéma réfracte le réel, il ne représente
pas mais dé-couvre et « déclenche le spectateur à lui-même » : alors que l'enquête de
Pharaon dans L'humanité ne s'intéressait pas à trouver la vérité des faits mais de l'être,
celle du commissaire de P'tit Quinquin ne serait-elle pas de retrouver la vérité d'un
corps ?
Oui, P'tit Quinquin est une série, originale : pionnière, elle ouvre la voie à une forme
nouvelle, totalement déjantée, où « Gendarmerie nationale » et « On y va,
Carpentier ! », sur l'air de « Because I Knew You », deviendront autant d'adresses aux
spectateurs impatients de retrouver « c'te bête humaine de commissaire » « au cœur du
mal ».
MARYLINE ALLIGIER

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