La perte du rating AAA pour la France et ses effets

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La perte du rating AAA pour la France et ses effets
Apériodique – n°1/2012 – 16 janvier 2012
La perte du rating AAA pour la France et ses effets
 L’agence Standard and Poor’s a annoncé le
vendredi 13 janvier 2012 qu’elle dégradait
d’un cran la notation de 5 pays de la zone
euro (la France, l’Autriche, l’autre AAA à être
dégradé, Malte, la Slovaquie et la Slovénie),
et de deux crans celle de quatre autres pays
(l’Italie, le Portugal, l’Espagne et Chypre).
 De surcroît, pour tous les pays de la zone
euro (sauf l’Allemagne et la Slovaquie) la
note est assortie d’une perspective
négative, ce qui peut ouvrir la voie à de
nouvelles dégradations dans les mois à
venir. Il ne s’agit donc pas d’une
dégradation de la France mais plutôt d’une
dégradation de l’ensemble de la zone euro.
 L’agence explique principalement ces
dégradations par les insuffisances des
plans européens, axés autour de la rigueur
budgétaire. Il n’y aurait pas assez de
flexibilité dans les mécanismes d’aide. En
même temps, les réformes doivent porter
sur le soutien à la compétitivité et la
croissance.
 Cette décision arrive à un moment où des
premiers signes de stabilisation semblaient
se dessiner, avec une détente généralisée
des primes de risque sur les souverains
fragiles. Dans ce contexte, la France et
l’Autriche peuvent apparaître comme les
deux grands perdants, en décrochant de
l’Allemagne, qui est un des rares pays aux
côtés des Pays-Bas, de la Finlande et du
Luxembourg à conserver le meilleure note
possible et le seul AAA à garder une
perspective stable.
 Les marchés avaient déjà intégré cette
menace de dégradation, du moins en partie,
si bien que la réaction ne devrait pas être
intempestive. Mais il s’agit surtout de ne
pas oublier le message de politique
économique envoyé par l’agence en matière
de soutien à la croissance de chaque pays
et de gouvernance de la zone : la rigueur
budgétaire ne suffit pas.
 Cet abaissement de note devrait être
synonyme de taux longs durablement plus
élevés, ce qui va peser sur la charge de la
dette et sur les équilibres budgétaires. La
France dispose de marges de manœuvre
budgétaires suffisantes pour absorber ces
hausses de coûts avec des effets sur la
conjoncture
qui
devraient
rester
relativement limités, mais les marges de
manœuvre sont étroites.
Pourquoi la France a-t-elle perdu
son triple A ?
Standard and Poor’s avance cinq principales
raisons :
-
Pour la zone euro : le manque de cohérence
et d’unité au niveau des gouvernements
européens pour résoudre la crise et
renforcer la convergence économique et
budgétaire au sein de la zone euro.
- Pour la France, la hausse significative du
spread entre OAT et Bunds : 150 pb en
novembre et 120 pb en décembre contre
38 bp en moyenne au premier semestre,
- les risques de resserrement du crédit,
- le risque de récession économique,
- le niveau élevé des dettes publiques et
privées.
Moody’s (qui maintient la note de la France)
avance des points d‘inquiétudes comparables :
- ratio de dette publique sur PIB, prévu à
87,5 % en 2012, nettement supérieur à
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ne pas trop affecter la conjoncture. Ainsi, il n’y
a pas de hausse du taux principal de TVA
(19,6 %), mais hausse du taux réduit (de 5,5 %
à 7 %), et sur un petit nombre de produits. Les
mesures fiscales (désindexation de l’impôt sur
le revenu et de l’ISF, prélèvement libératoire
accru pour les dividendes et intérêts, hausse
de la CSG sur les revenus du capital, taxation
accrue des plus-values immobilières…)
concernent surtout les ménages les plus aisés,
les revenus du capital et les patrimoines. Elles
touchent peu les revenus moyens et modestes,
qui ont la propension à consommer la plus
élevée.
ceux des autres pays triple A de la zone
euro : Allemagne (81 %), Pays-Bas (65 %),
Finlande (50 %). Déficit public élevé, 4,5 %
du PIB en 2012 contre 3,2 % dans
l’ensemble de la zone euro ; déficit
structurel important, même s’il est censé se
réduire, 5,2 % en 2010, 3,8 % en 2011,
2,6 % en 2012,
- poids des dépenses publiques le plus élevé
d’Europe, 57 % du PIB,
- conjoncture économique fragile et prévision
officielle trop optimiste,
- risques liés à une remontée durable des
taux des OAT,
- inquiétudes sur la capacité de la France à
maintenir
une croissance potentielle
suffisante pour financer son modèle social.
Plus profondément, comme dans la plupart des
pays européens, les marchés financiers et les
agences de notation semblent craindre que la
France ne s’installe dans une spirale négative :
endettement élevé ; plans de rigueur successifs
pour réduire rapidement le déficit budgétaire
structurel ; net affaiblissement de la croissance ;
dégradation des soldes budgétaires conjoncturels ;
remontée des taux obligataires ; nécessité de
mettre en place de nouvelles mesures de rigueur,
etc. Selon Standard and Poor’s, les mesures de
rigueur doivent être accompagnées de réformes
structurelles
permettant
de
renforcer
la
compétitivité et la croissance potentielle. Or on
sait que ces mesures structurelles ont toujours un
effet à court terme négatif (courbe en J),
notamment en matière d’emploi.
Une décision sévère en partie injustifiée
Il est clair que l’endettement public de la
France est très élevé et que son déficit public
se réduit plus lentement que chez nos
principaux partenaires.
Mais le jugement des agences semble sévère
et aurait pu être tempéré par les éléments
suivants :
- Le ciblage des mesures d’assainissement
budgétaire permet un impact limité sur
l’activité et la spirale négative redoutée par
les marchés a peu de chance de se
matérialiser. L’impact d’une baisse d’un point
de PIB du déficit structurel est estimé à une
diminution de 0,5 % du taux de croissance du
PIB. Les mesures de rigueur programmées en
2011 et 2012 sont significatives, atteignant
3 points de réduction du déficit structurel sur
deux ans. Mais elles ont été ciblées de façon à
N°1/2012 – 16 janvier 2012
- Le net ralentissement conjoncturel actuel
ne remettra pas en cause l’objectif de
déficit 2012. La croissance française va
nettement ralentir en 2012, 0,2 % en moyenne,
avec une récession technique (T4 2011T1 2012). Comme vu plus haut, ceci n’est que
marginalement
lié
aux
mesures
d’assainissement budgétaire et s’explique
avant tout par la forte dégradation du contexte
économique et financier mondial (fragilité de la
reprise
américaine,
crise
des
dettes
souveraines en Europe, net ralentissement de
nos partenaires européens) qui conduit à une
chute de la confiance des entreprises et des
ménages, à des difficultés de financement, à
un net ralentissement de l’investissement et à
une remontée du chômage. La prévision
officielle pour 2012, 1 %, est donc trop
optimiste. Mais le gouvernement a répété
qu’au cas où la croissance serait plus faible
que prévu, de nouvelles économies seraient
mises en place pour respecter l’objectif de
4,5 % pour le déficit 2012. Une croissance de
0,2 % (et non 1 %) exigerait ainsi 8 milliards
d’économies supplémentaires. Ceci serait en
bonne partie fourni par un recours aux crédits
budgétaires mis en réserve (6 milliards). Audelà, la France dispose de marges de
manœuvre importantes en matière de niches
fiscales et plus encore de dépenses publiques
pour opérer ces économies (poids très élevé
des dépenses publiques dans le PIB, 57 % en
2010).
-
La France souffre certes de faiblesses
structurelles :
taux
de
prélèvements
obligatoires élevé (particulièrement pour les
cotisations sociales employeurs) ; poids des
réglementations de l’Etat, notamment en
matière de marché du travail ; compétitivité
prix et qualité insuffisante ; fragilité des PME,
qui souffrent pour la plupart d’une taille et
d’une solidité financière insuffisante. Mais elle
dispose aussi de nombreux fondamentaux
positifs (soulignés d’ailleurs par S&P) :
qualité des infrastructures de transport,
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logistique,
télécommunication,
santé,
éducation ; qualité de la main-d’œuvre et
productivité horaire élevée ; entreprises
performantes
dans
certains
secteurs :
aéronautique, ferroviaire, nucléaire, armement,
agroalimentaire, luxe ; taux d’épargne des
ménages élevé et endettement privé non
excessif, contrairement à la plupart de nos
partenaires.
Impact négatif mais modéré sur l’activité
- Remontée des taux obligataires. La
dégradation de la notation devrait a priori se
traduire par une hausse de la prime de risque
exigée par les investisseurs. Le spread OATBunds risque ainsi de s’accroître, même si son
niveau actuel (130 pb) reflète déjà les effets de
cette perte du triple A. Ceci affectera les
déficits publics, mais de manière limitée. Une
hausse de 100 bp du taux OAT alourdit la
charge de la dette publique de 2 mds environ
la première année, soit 0,1 % du PIB (et 4 mds
la seconde année, 0,2 % du PIB). Cet
alourdissement du déficit s’ajouterait à celui lié
au ralentissement conjoncturel, de nouvelles
économies seraient donc nécessaires. Mais
comme on l’a vu plus haut, ceci resterait
gérable grâce aux marges de manœuvre dont
dispose la France. Il faut également souligner
que si la tendance des taux est haussière, leur
niveau n’en reste pas moins historiquement
faible (autour de 3% contre 4,10% en moyenne
sur la période 2000-2011.
- Risque de dégradation du rating d’un
certain nombre d’organismes publics, mais
aussi d’entreprises et d’institutions de
crédit. Ceci pourrait accentuer le risque de
resserrement des conditions de crédit. Ce
resserrement se traduirait par une plus grande
sélectivité et une remontée des taux de crédit,
qui renforcerait le freinage des dépenses
d’investissement et la correction en cours du
marché immobilier. Il faut rajouter à ce stade
les effets négatifs en chaine liés à la
dégradation de la conjoncture et à la remontée
des taux longs dans la plupart des pays
européens.
- Nouvelles mesures visant à renforcer la
compétitivité de la France. Face à la
nécessité de rassurer les investisseurs et de
respecter les objectifs de déficits en redressant
la conjoncture, la priorité doit être plus que
jamais donnée à des mesures à même de
renforcer la compétitivité (prix et qualité) de
l’économie française. De nouvelles réformes
devraient être lancées ces prochaines
semaines, notamment la mise en place d’une
« TVA sociale » (dont le contenu est à préciser)
avec baisse des cotisations employeurs. Cette
mesure ne permettra pas forcément un rebond
à court terme de la conjoncture (hausse de
l’inflation importée) mais devrait contribuer à
restaurer la compétitivité, les profits des
entreprises et la croissance à moyen terme.
Au total, cette dégradation de l’essentiel de la
zone euro, plus que de la seule France
conduit certes à des efforts, mais aussi à leur
partage, impliquant notamment l’Allemagne et
la BCE, et dans le cadre français, à des
réformes, à discuter et à débattre. 
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