La miséricorde dans la Bible

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La miséricorde dans la Bible
La miséricorde dans la Bible
Belleu le samedi 9 janvier 2016
+ Renauld de Dinechin
Evêque de Soissons, Laon et St Quentin
Commençons par un conte de tradition indienne.
Un mendiant se trouve au bord de la route. Toute la journée il a espéré qu’un passant lui
donnerait l’obole. Rien. Le soir au coucher du soleil, un carrosse doré (royal) arrive … s’arrête …
Le roi descend… Le mendiant se dit : « le bonheur tant attendu est-il en train d’arriver ? ». Il tend
la main. Mais le roi aussi, tend la main … Le mendiant est déconcerté, il pensait recevoir, il doit
donner. Mettant la main dans sa besace, il sort un grain de blé qu’il pose dans la main royale qui
repart. Déception. Plus tard, c’est l’heure de son diner, il ouvre sa besace pour manger ses grains
de blé. Sur le tas de blé, il y a un grain en or ! Pris de remords, il gémit : « je n’ai donné qu’un
grain de blé, pourquoi ne les ai-je pas donnés tous ? »
Ce conte nous positionne sur un aspect central de l’expérience de la miséricorde : le don de soi.
Dieu se donne dans sa miséricorde, mais pour recevoir, il faut lui donner. Dieu se communique
en se donnant. A mon tour, je ne le reçois qu’en me donnant. Il s’agit d’entrer dans le mystère de
la bonté de Dieu, de la surabondance de Dieu.
Le pape François a écrit la bulle Miséricordiae Vultus, ou Le visage de la miséricorde, pour lancer
l’année de la miséricorde. C’est un texte très inspirant : au n° 6, on y lit : « La miséricorde est le
propre de Dieu dont la toute-puissance consiste justement à faire miséricorde ». Ces paroles de
saint Thomas d'Aquin montrent que la miséricorde n'est pas un signe de faiblesse, mais bien
l'expression de la toute-puissance de Dieu. C'est pourquoi une des plus antiques collectes de la
liturgie nous fait prier ainsi : « Dieu qui donne la preuve suprême de ta puissance lorsque tu
patientes et prends pitié ». Dieu sera toujours dans l'histoire de l'humanité comme celui qui est
présent, proche, prévenant, saint et miséricordieux ». (n° 6)
Je développerai cet enseignement en trois parties : 1. L’expression de la miséricorde dans la
Première Alliance (Ancien Testament), 2. La contemplation de Jésus-Christ miséricordieux, 3.
Entrer dans les œuvres de miséricorde.
L’expression de la miséricorde dans la Première Alliance
Pointons d’abord deux péchés qui marquent profondément l’Alliance entre Dieu et les hommes
dans la Première Alliance ; deux péchés en Israël qui nécessitent la miséricorde:
La surdité. C’est la surdité du cœur, lorsque le croyant reste indifférent à Dieu, il demeure
hermétique. Pour émerger de ce péché, chaque matin à son lever, le juif pieux prononce un
oracle, la prière fondamental chez les Juifs, le « Shema Israël » : « Ecoute Israël, le Seigneur ton
Dieu est l’unique Seigneur. Tu aimerais le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme
et de toute ta force ». « Shema » est un mot hébreu qui veut dire également : écouter et obéir.
1
Ainsi, pour sortir du péché de l’oubli, deux attitudes sœurs sont l’écoute et l’obéissance. L’action
de Dieu va consister à faire sortir l’homme de sa surdité, à renouer la relation, à rétablir
l’alliance. Le salut c’est l’écoute.
Deuxième péché, l’oubli. Car Dieu se penche sur Israël, il l’accompagne et le comble de ses dons.
Mais après une première étape d’accueil et de gratitude, Israël pense à autre chose et oublie Dieu
et sa bonté. Comment sortir du péché de l’oubli ? il s’agit de faire mémoire. Et de manière
récurrente, nous voyons Moïse éduquer le peuple hébreu : « Souviens-toi » (Exode 20, 1). Pour
sortir du péché de l’oubli, il faut faire mémoire.
L’épopée de Moïse nous ouvre aux premières manifestations de la miséricorde de Dieu dans
l’Ancien Testament. Ouvrons le livre de l’Exode pour pointer quelques passages :
Au Buisson ardent, la voix de Dieu se manifeste à Moïse : « Le Seigneur dit : J’ai vu, oui, j’ai vu la
misère de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants.
Oui, je connais ses souffrances » (Exode 3, 7). D’emblée, celui qui s’adresse à Moïse est un Dieu
compatissant, à l’écoute de son peuple en souffrance. Deux qualités se dévoilent : écoute et
compassion.
Nous assistons ensuite au dialogue de Dieu avec Moïse à la tente de la rencontre : « Le Seigneur
dit : je vais passer devant toi avec toute ma splendeur, et je proclamerai devant toi mon nom qui
est : LE SEIGNEUR. Je fais grâce à qui je veux, et je montre ma tendresse à qui je veux » (Ex 33,
19). 1
Peu après, nous voici au moment de la remise des deuxièmes tables de la Loi par Dieu à Moïse :
« Il passa devant Moise et proclama : LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR, Dieu tendre et
miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité, qui garde sa fidélité jusqu’à la
millième génération, supporte faute, transgression et péché, mais ne laisse rien passer, car il
punit la faute des pères sur les fils et les petits-fils , jusqu’à la troisième et la quatrième
génération » (Ex 34, 6).
Méditant sur les évènements de l’histoire du salut, le Pape François affirme : « “Patient et
miséricordieux”, tel est le binôme qui parcourt l'Ancien Testament pour exprimer la nature de
Dieu. Sa miséricorde se manifeste concrètement à l'intérieur de tant d'événements de l'histoire
du salut où sa bonté prend le pas sur la punition ou la destruction ». (n° 6)
Abondement, les psaumes chantent la miséricorde de Dieu. D'une façon particulière, les Psaumes
font apparaître cette grandeur de l'agir divin (voir n° 6 dans la Bulle) : « Il pardonne toutes tes
offenses et te guérit de toute maladie ; il réclame ta vie à la tombe et te couronne d'amour et de
tendresse » (Ps 102, 3-4). D'une façon encore plus explicite, un autre Psaume énonce les signes
concrets de la miséricorde : « Il fait justice aux opprimés ; aux affamés, il donne le pain ; le
Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les
accablés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège l'étranger. Il soutient la veuve et
l'orphelin, il égare les pas du méchant » (145, 7-9). Voici enfin une autre expression du psalmiste
: « [Le Seigneur] guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures… Le Seigneur élève les
humbles et rabaisse jusqu'à terre les impies » (146, 3.6). En bref, la miséricorde de Dieu n'est
pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle Il révèle son amour comme
celui d'un père et d'une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d'eux-mêmes par leur fils.
Il est juste de parler d'un amour « viscéral ». Il vient du cœur comme un sentiment profond,
naturel, fait de tendresse et de compassion, d'indulgence et de pardon.
1
Intéressant de réaliser que c’est juste après cette manifestation de tendresse que Dieu révèle à Moïse l’une
des vérités les plus douloureuses à accepter : « Et il dit : tu ne pourras pas voir mon visage, car un être
humain ne peut pas me voir et rester en vie ».
2
Dans sa Bulle, le Pape François s’arrête d’une manière particulière sur le Grand Hallel, Ps 135. Le
Grand Hallel est un acte de mémoire de la miséricorde de Dieu au sein des évènements humains.
Probablement est-ce une indication pour que cette forme de louange - qui est mémorial – habite
l’année sainte de la miséricorde. Comment allons-nous marquer cette forme de louange dans le
diocèse de Soissons ? François nous invite explicitement à en faire le refrain quotidien de notre
prière de louange.
Le Pape François explicite son intuition : « Eternel est son amour » : c'est le refrain qui revient à
chaque verset du Psaume 135 dans le récit de l'histoire de la révélation de Dieu. En raison de la
miséricorde, tous les événements de l'Ancien Testament sont riches d'une grande valeur
salvifique. La miséricorde fait de l'histoire de Dieu avec Israël une histoire du salut. Répéter sans
cesse : « Eternel est son amour » comme fait le Psaume, semble vouloir briser le cercle de
l'espace et du temps pour tout inscrire dans le mystère éternel de l'amour. C'est comme si l'on
voulait dire que non seulement dans l'histoire, mais aussi dans l'éternité, l'homme sera toujours
sous le regard miséricordieux du Père ». (n° 7)
Le début du Grand Hallel s’arrête sur le cosmos. Ainsi, la Contemplation du cosmos est lieu de
reconnaissance de l’amour de Dieu. Tout dans le temporel dit l’amour éternel de Dieu. C’est le
rapport d’un Dieu éternel à un homme fini. C’est la présence de Dieu dans l’histoire d’Israël.
Le croyant n’est pas toujours à l’aise pour chanter l’amour de Dieu dans le cosmos. Une anecdote
de n’enfance de Thérèse de l’Enfant Jésus nous ouvre à ce chemin de louange. Cela se passe au
cours de ses vacances chez ses cousins au bord de la mer. Vers 6-7 ans à Trouville, elle aimait se
retrouver face à la mer le soir au coucher du soleil : « J’avais six ou 7 ans, lorsque papa nous
conduisit à Trouville. Jamais je n’oublierai l’impression que me fit la mer, je ne pouvais m’empêcher
de la regarder sans cesse, sa majesté, le mugissement de ses flots, tout parlait à mon âme de la
Grandeur et de la Puissance du Bon Dieu. […] Le soir à l’heure où le soleil semble se baigner dans
l’immensité des flots laissant devant lui un sillon lumineux, j’allais m’asseoir toute seule sur un
rocher avec Pauline… […] Près de Pauline, je pris la résolution de ne jamais éloigner mon âme du
regard de Jésus, afin qu’elle vogue en paix vers la patrie des Cieux ! … »2
Ainsi, l’âme humaine est capable d’accueillir l’éternité de Dieu. Car en lui-même, l’homme est
porteur d’une présence d’éternité. Voilà encore une réalité avec laquelle le croyant se trouve
parfois déconcerté. Voici le témoignage d’une dame de Cergy qui me prend à parti au cours d’un
partage biblique, tant elle était oppressé par une question vitale : « On dit l’âme, on dit l’âme…
c’est quoi l’âme ? » La violence de son émotion m’obligeait à peser mes mots pour tenter de lui
répondre : « L’âme, c’est précisément cette capacité d’éternité qui est en l’homme. C’est la
capacité d’un amour infini en l’homme ». Seule l’âme humaine est capable de dire « Eternel est
son amour ». « L’athée, ce n’est pas celui qui ne croit pas en Dieu, c’est celui qui ne croit pas à
l’éternité de son âme » affirmait un philosophe l’autre jour. Le drame de notre occident, c’est le
« désamour de soi-même ». Le contraire du désamour de soi, c’est l’estime de soi. La capacité de
croire en soi, ou plutôt, en Dieu présent en soi.
St Paul : « La charité ne passera jamais ». Il sait que la foi passera, l’espérance passera, la chariét ne
passera pas, parce qu’elle est de la nature même de Dieu. Et donc tout acte de charité pure est
communion à Dieu et donc éternel. St Jean est le seul qui ose affirmer : « Dieu est amour ». Tout acte
d’amour est donc éternel ; c’est pourquoi il y une possibilité d’éternité en nous.
[Ici l’on peut introduire une séquence sur le prophète Osée. Grâce à sa relecture de l’histoire
d’Israël, il fait comprendre un aspect majeur de la miséricorde de Dieu. LECTURE DU CHAPITRE
11 du prophète Osée.]
2
Thérèse de l’Enfant Jésus, Manuscrit autobiographique, Man. A, 21 v°.
3
La contemplation de Jésus le Christ miséricordieux
Portons maintenant notre regard sur la personne de Jésus-Christ et son visage. Laissons la
parole au Pape François : « Le regard fixé sur Jésus et son visage miséricordieux, nous pouvons
accueillir l'amour de la Sainte Trinité. La mission que Jésus a reçue du Père a été de révéler le
mystère de l'amour divin dans sa plénitude. L'évangéliste Jean affirme pour la première et
unique fois dans toute l'Ecriture : « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8.16). Cet amour est désormais
rendu visible et tangible dans toute la vie de Jésus. Sa personne n'est rien d'autre qu'amour, un
amour qui se donne gratuitement. [NDLR : les auteurs médiévaux affirment que Dieu est
« Bonum diffusivum sui », la bonté qui par elle-même, se donne]. Les relations avec les
personnes qui s'approchent de lui ont quelque chose d'unique et de singulier. Les signes qu'il
accomplit, surtout envers les pécheurs, les pauvres, les exclus, les malades et les souffrants, sont
marqués par la miséricorde. Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque de
compassion ». (n° 8). Sublime affirmation finale : Tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui
ne manque de miséricorde. Cela incite à scruter une telle plénitude et à s’en nourrir.
Mais je reprends un propos du Pape François ci-dessous : « le regard fixé sur Jésus et son visage
miséricordieux, nous pouvons accueillir l’amour de la sainte Trinité ». Est-il si facile pour nous
d’ »accueillir l’amour de la sainte Trinité » ? Il me semble que Thérèse de l’Enfant Jésus a une
trouvaille pour nous aider à « entrer dans l’amour de la sainte Trinité ».
En 1895, au cours d’une année de plénitude et d’harmonie intérieure, Thérèse compose sa plus
belle – et plus longue – prière : l’acte d’offrande à l’amour miséricordieux de Dieu. Tous au long
de cette prière, son regard est tournée vers Dieu Trinité. D’abord Dieu le Père à qui elle
s’adresse ; ici elle semble écrasée par la paternité divine et sa Toute-puissance. Alors, elle
demande la douce médiation du Fils : « Je vous supplie, [oh mon Dieu,] de ne me regarder qu’à
travers la Face de Jésus et dans son cœur brulant d’Amour3 ». La puissance de la présence
paternelle semble adoucie par le visage et le cœur du Fils crucifié. Elle a besoin d’un filtre entre
elle et Dieu ; à ce « filtre », la théologie chrétienne lui donne un nom : Jésus est l’unique
médiateur entre Dieu et les hommes. Ce qui traduit les propos de Saint Jean : « Si quelqu’un vient
à pécher, nous avons un défenseur devant le Père, Jésus-Christ, qui est juste » 1 Jn 2. 1.
Dans ce même Acte d’Offrande, nous trouvons une autre formule où Thérèse, avec un audacieux
absolu, s’en remet à Dieu amour : « Au soir de cette vie, je paraitrai devant vous les mains
vides4 ». L’aspiration profonde de Thérèse de l’Enfant Jésus nous enseigne sur l’attitude
vraiment féconde et elle nous donne l’orientation d’une vie théologale. A cette pauvreté
spirituelle, le prêtre est appelé. La promesse de fécondité repose sur lui. Le prêtre aux mains
vides, sait « reconnaitre » les richesses des autres : il sait exprimer de la reconnaissance pour les
dons, les actions, les mérites des membres de sa communauté. Et tout d’abord de Dieu.
Cette formule de Thérèse est utile pour nous. Nous pensons naturellement que c’est par nos
qualités, nos talents, nos compétences et nos succès que nous irons à Dieu. L’expression « les
mains vides » nous incite à aller à Dieu par nos fragilités, nos failles, nos limites, nos blessures,
nos échecs et notre péché. Tandis que je parle ce matin, descends dans tes fragilités et tiens-toi
là sans crainte.
3
4
Acte d’offrande à l’amour miséricordieux du Bon Dieu, § 2.
Acte d’offrande à l’amour miséricordieux du Bon Dieu, § 7.
4
Revenons à la contemplation de Jésus dans l’évangile. Nous voyons Jésus aller vers ceux qui
souffrent (physiquement, moralement, spirituellement) Jésus est comme aimanté. Dans la
première partie de son ministère, Jésus va à la rencontre des souffrances individuelles (des
boiteux, des paralysées, aveugles, sourds, et aussi des possédés…). Ensuite cela évolue, dans la
deuxième partie, en étendant ses bras sur la Croix, il va à la rencontre de la grande souffrance
universelle : l’injustice, le péché structurel.
Dans la Bulle d’indiction, le Pape François cite une parole de Jésus qui articule l’expérience
subjective de la miséricorde et l’envoi en mission. Faisons la lecture de la guérison du possédé
de Géraza au chapitre 5 de St Marc. Après avoir libéré le possédé en envoyé les démons dans un
troupeau de porcs, Jésus envoie le possédé en mission : « Annonce tout ce que le Seigneur a fait
pour toi dans sa miséricorde5 » (Mc 5, 19) (n° 8). Nous percevons ici le lien entre miséricorde et
témoignage. C’est pourquoi, en l’année sainte de la miséricored, il nous faut d’une part faire
chacun l’expérience subjective de la miséricorde, et d’autre part être des missionnaires de la
miséricorde.
Le pardon est une force dans la mission de l’Eglise. « La miséricorde est le pilier qui soutient la
vie de l'Eglise. Dans son action pastorale, tout devrait être enveloppé de la tendresse par laquelle
on s'adresse aux croyants. Dans son annonce et le témoignage qu'elle donne face au monde, rien
ne peut être privé de miséricorde. La crédibilité de l'Eglise passe par le chemin de l'amour
miséricordieux et de la compassion. L'Eglise « vit un désir inépuisable d'offrir la miséricorde ».
(n° 10)
Pour illustrer la béatitude « heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde », vous me
permettrez ici un témoignage personnel. J’étais curé de paroisse sur Cergy-Pontoise. Pour
conduire la vie de la paroisse dont j’étais le curé, nous avions une équipe d’animation pastorale
(EAP) composée de huit membres, laïcs et prêtres. Sa composition hétéroclite et la diversité de
ses membres faisait que notre collaboration patinait. Et moi, le responsable, je ne savais pas
dans quel sens conduire les choses. Et surtout, la nuit, une voix intérieure jetait en moi le
trouble : « vous n’y arriverez jamais, vous êtes si différents. Ne vois-tu pas que vous êtes
incompatibles ! ». Evidemment ce raisonnement devenant obsessionnel, m’entrainait vers le
découragement.
Pour un besoin pastoral important, je m’étais mis à apprendre par cœur le « sermon sur la
montagne » qui débute par les Béatitudes. Mon but était que les catéchumènes puissent saisir la
cohérence d’ensemble du propos de Jésus. Cet exercice de mémorisation des Ecritures donne
accès à un contact plus intérieur de la Parole qu’elles contiennent.
C’est alors qu’une autre voix commença à se faire entendre, celle des Béatitudes. Elle me disait :
« Ouvre les yeux, regarde dans ton équipe, untel c’est un artisan de paix : autour de lui ça
pourrait exploser et c’est la paix. Et regarde, il y en a plusieurs que tu a vu pleurer à la tâche ; et
puis il y a des doux. Et puis certains se battent pour la justice, on ne peut pas les en faire
démordre… ». Et j’entendis l’Esprit me questionner : « la communauté des Béatitudes, c’est vous !
Est-ce que tu y crois, ou non ? ». C’était le moment de la décision. Le moment de l’acte de foi
dans les signes qu’éclaire la Parole.
De cette impasse pastorale où je me trouvais, j’étais en chemin pour sortir ; c’était au prix d’un
acte de foi dans la vérité contenue dans les Béatitudes. Elles m’avaient enfin ouvert leur secret.
Ce n’était plus de la poésie, c’était une Parole de salut. Oui Seigneur, ta Parole est Vivante !
Energique, elle pénètre au plus profond de l’âme ! Cette Parole était en train de sauver l’Equipe
5
« Annonce tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde » : il est très intéressant que cette
formule contienne simultanément l’acte de mémoire d’un évènement de miséricorde, et l’injonction de
l’annonce, c’est-à-dire la mission de témoigner.
5
d’Animation Pastorale de notre paroisse, merci Seigneur ! Elle me rouvrait le chemin. Elle nous
ouvrait le chemin.
« Comme on peut le remarquer, la miséricorde est, dans l'Ecriture, le mot-clé pour indiquer
l'agir de Dieu envers nous. Son amour n'est pas seulement affirmé, mais il est rendu visible et
tangible. D'ailleurs, l'amour ne peut jamais être un mot abstrait. Par nature, il est vie concrète :
intentions, attitudes, comportements qui se vérifient dans l'agir quotidien ». (n° 9) On cite
souvent la très belle et exacte définition de St Augustin : « Qu’est-ce que la miséricorde sinon,
dans notre cœur, la compassion pour une misère d’autrui, et qui nous pousse absolument à lui
porter secours si nous le pouvons » (La Cité de Dieu, IX, 5).
Après le témoignage de vie communautaire, un autre aspect de l’expérience de la miséricorde,
est qu’elle restaure notre relation avec le Ciel. Le Ciel, c’est-à-dire le monde invisible, les anges,
les saints, et aussi nos frères défunts. Voici le témoignage de Thérèse de l’Enfant Jésus.
En aout 1897, un mois ½ avant sa mort Thérèse répond à l’abbé Bellière qui sait qu’elle
intercèdera avec tendresse pour lui quand elle sera au ciel, mais qui pense qu’elle aura en
horreur ses fautes. Il est donc dans l’angoisse, par crainte d’être jugé par elle, et écrit à Thérèse :
« au ciel, participant à la Divinité, vous acquerriez les prérogatives de justice, de sainteté… et
toute tache doit vous devenir objet d’horreur pour vous – voilà pourquoi je craignais… ». La
réponse de Thérèse la montre sur une autre longueur d’onde : « Je vous avoue, mon petit frère,
que nous ne comprenons pas le ciel de la même manière. Il vous semble que participant à la
justice, à la sainteté de Dieu, je ne pourrai comme sur terre excuser vos fautes. Oubliez-vous
donc que je participerai aussi à la miséricorde infinie du Seigneur ? Je crois que les bienheureux
ont une grande compassion de nos misères, ils se souviennent qu’étant comme nous fragiles et
mortels, ils ont commis les mêmes fautes, soutenu les mêmes combats et leur tendresse
fraternelle devient plus grande encore qu’elle ne l’était sur la terre, c’est pour cela qu’ils ne
cessent de nous protéger et de prier pour nous6. »
Mise en demeure d’apaiser l’abbé Béllière, Thérèse trouve les mots pour lui transmettre la
miséricorde apaisante du Seigneur. Se déploie alors une pensée vaste, allègre, fondée sur une
expérience personnelle. Nous relevons les incontournables lieux ou s’enracine sa croyance, et sa
contemplation. Il ressort de ce texte une tendresse qui est très éloignée de la rigueur, de la
raideur, que l’on associe volontiers à la sainteté.
Jugement + Vérité + tendresse
 1 Jn : « Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne
tout7 ».
 Le jugement : si tu ne te laisses pas juger par Lui, c’est toi-même qui te condamneras ».
Entrer dans les Œuvres de miséricorde
Nous voici entrés dans l’année sainte de la miséricorde. Une merveilleuse opportunité pour se
laisser attirer par la tendresse du Père éternel. Pour oser faire un pas dans la vérité… Le Pape
François formule une de ses trouvailles : « J'ai un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse
durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles ». Alors le Pape
6
7
10 aout 97, LT 263.
ère
1 Epitre de St Jean 3. 20.
6
François décline les démarches possibles en distinguant les œuvres de miséricorde corporelles
et les œuvres de miséricorde spirituelles :
1. Voici les œuvres de miséricordes corporelles : donner à manger aux affamés, donner à
boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir l’étranger, assister les
malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts.
2. Voici les œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute,
enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses,
supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les
morts
L’année sainte ne fait que commencer. La bonne question : comment ne pas louper le train ?
Quatre choses peuvent nous empêcher de monter dans le train. Quatre tentations (qui peuvent
d’ailleurs devenir des péchés) :
 1ère tentation : cette voix négative : la miséricorde, c’est pour les faibles ! Sois autonome,
sois auto-référencé, construis-toi par toi-même. C’est la tentation nietzschéenne : pas de
signe de vulnérabilité. Sois autonome ! (naïf, notre libération, c’est de dépendre
d’avantage de Dieu !). Notre libération, c’est de dépendre d’avantage du Seigneur, de se
mettre sous l’emprise du Seigneur. Comme ces jeunes chrétiens qui avaient imprimé sur
leur sweet-shirt : « Jesus addict » ! Être addict du Christ, c’est être libre. Le Philosophe
Maurice Bondel affirme : « si tu ne te laisses pas juger par le Christ, c’est toi-même qui te
condamneras ! ». Laisse-toi regarder par le Christ, laisse-toi regarder car il t’aime.
 2ème tentation : la miséricorde, c’est ce qu’il faudrait pour mon frère ! pour ma voisine
aussi d’ailleurs. Je vois très bien en quoi ça concerne les autres… moi, pas tellement
concerné ! (là, on n’est pas loin du pharisien !)
 3ème tentation : moi, c’est plutôt dans l’action concrète ! Moi je ne suis pas un mystique. Ni
un spirituel d’ailleurs. Erreur, c’est l’argument qui nous prend tous aujourd’hui, or dans
notre société moderne, personne n’échappe à l’agitation superficielle. Or nous avons
besoin d’un surcroît d’intériorité ! Pose-toi ! Accepte de te mettre en question devant
Dieu ! consens à faire la vérité devant Dieu, car il est tendresse. : il fait naître le repentir.
« Montre-nous ta bonté Seigneur, donne-nous enfin le Sauveur ! »
 4ème tentation : l’indifférence. Le Pape François dénonce la mondialisation de
l’indifférence : mon frère souffre ou meurt, ce n’est qu’un fait divers qui ne parvient pas à
modifier mon mode de vie. (face à la détresse des réfugiés, face au découragement d’un
chômeur de longue durée, face au sans-abri je ne peux pas me satisfaire d’être bien au
chaud). Non à la mondialisation de l’indifférence.
Avec Marie, c’est la profondeur. C’est Marie qui nous aidera le mieux à entrer dans la
miséricorde. Ainsi parle le Pape François : « Personne n’a connu comme Marie la profondeur du
mystère de Dieu fait homme. Sa vie entière fut modelée par la présence de la miséricorde faite
chair. La Mère du Crucifié Ressuscité est entrée dans le sanctuaire de la miséricorde divine en
participant intimement au mystère de son amour » (Pape François, Misericordiae Vultus 24).
Beaucoup parmi vous aiment prier le chapelet. C’est vraiment la prière mariale qui ouvre le
cœur et qui fait des saints. Merci à tous ceux qui se réunissent pour prier le chapelet : « chaque
fois que deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux ».
7
Annexe n° 1
C'est ainsi que saint Jean-Paul II justifiait l'urgence de l'annonce et du témoignage à
l'égard de la miséricorde dans le monde contemporain : « Il est dicté par l'amour envers
l'homme, envers tout ce qui est humain, et qui, selon l'intuition d'une grande partie des
hommes de ce temps, est menacé par un péril immense. Le mystère du Christ … m'a
poussé à rappeler dans l'encyclique Redemptor Hominis sa dignité incomparable,
m'oblige aussi à proclamer la miséricorde en tant qu'amour miséricordieux de Dieu
révélé dans ce mystère. Il me conduit également à en appeler à cette miséricorde et à
l'implorer dans cette phase difficile et critique de l'histoire de l'Eglise et du monde ».[10]
Son enseignement demeure plus que jamais d'actualité et mérite d'être repris en cette
Année Sainte. Recevons ses paroles de façon renouvelée : « L'Eglise8 vit d'une vie
authentique lorsqu'elle professe et proclame la Miséricorde, attribut le plus admirable
du Créateur et du Rédempteur, et lorsqu'elle conduit les hommes aux sources de la
Miséricorde du Sauveur, dont elle est la dépositaire et la dispensatrice ». (n°11)
8
Il y a donc pour saint Jean Paul II un acte de foi à porter en Eglise et à propager : « L’Eglise vit d’une vie
authentique lorsqu’elle professe et proclame la Miséricorde ».
8
Annexe n°2
Le Grand Hallel – Ps 135
01 Rendez grâce au Seigneur : il est bon, éternel est son amour !
02 Rendez grâce au Dieu des dieux, éternel est son amour !
03 Rendez grâce au Seigneur des seigneurs, éternel est son amour !
Dieu créateur : Dans le cosmos, Présence de Dieu Créateur
04 Lui seul a fait de grandes merveilles, éternel est son amour !
05 lui qui fit les cieux avec sagesse, éternel est son amour !
06 qui affermit la terre sur les eaux, éternel est son amour !
07 Lui qui a fait les grands luminaires, éternel est son amour !
08 le soleil qui règne sur le jour, éternel est son amour !
09 la lune et les étoiles, sur la nuit, éternel est son amour !
Dieu Rédempteur : dans l’Histoire d’Israël, Présence de Dieu dans les évènements
10 Lui qui frappa les Égyptiens dans leurs aînés, éternel est son amour !
11 et fit sortir Israël de leur pays, éternel est son amour !
12 d'une main forte et d'un bras vigoureux, éternel est son amour !
13 Lui qui fendit la mer Rouge en deux parts, éternel est son amour !
14 et fit passer Israël en son milieu, éternel est son amour !
15 y rejetant Pharaon et ses armées, éternel est son amour !
16 Lui qui mena son peuple au désert, éternel est son amour !
17 qui frappa des princes fameux, éternel est son amour !
18 et fit périr des rois redoutables, éternel est son amour !
19 Séhon, le roi des Amorites, éternel est son amour !
20 et Og, le roi de Basan, éternel est son amour !
21 pour donner leur pays en héritage, éternel est son amour !
22 en héritage à Israël, son serviteur, éternel est son amour !
23 Il se souvient de nous, les humiliés, éternel est son amour !
24 il nous tira de la main des oppresseurs, éternel est son amour !
25 A toute chair, il donne le pain, éternel est son amour !
26 Rendez grâce au Dieu du ciel, éternel est son amour !
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