Le Safir francophone
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SUPPLÉMENT MENSUEL PARUTION LE 1ER LUNDI DU MOIS FÉVRIER 2016 LE SAFIR FRANCOPHONE J. Tannauer, « Peter le grand », 1724. Ambassadeur de la pensée politique et culturelle arabe Karl Brilluov, « Portrait de la comtesse Yulia Samoilova », 1843. Ilya Glazunov, « Ivan le terrible », 1974. Vasily Vereshchagin, « Mausolée du Taj Mahal », 1876. Sergei Prisekin, « Tout le pouvoir aux Soviets », 1988. Vasily Perov, « Procession pascale dans un village », 1861. ÉDITORIAL Talal Salman Moscou se réaffirme comme un acteur clé des décisions mondiales L e seul espoir qui a récemment émergé dans le paysage politique de la région, est porté par la résolution russe d’intervenir de manière décisive dans la guerre en Syrie, ce qui a surpris le monde entier. Cette résolution a donné à Moscou l’occasion de se réaffirmer comme un acteur clé des décisions mondiales, ce bien après la chute de l’Union soviétique et en dépit de circonstances politiques et économiques défavorables, comme le blocus sévère sur la Russie visant à l’épuiser économiquement, l’incitation d’une partie de l’Ukraine à la sécession, la baisse significative du prix du pétrole, ainsi que les manœuvres de tous ceux qui cherchent à se passer du gaz russe. Ladite résolution ne se contente pas de protéger l’unité de la Syrie ; elle modifie également le climat prévalant dans la région, lequel alimentait le feu des guerres civiles aux impulsions confessionnelles et sectaires dans l’Orient tout entier… Bien entendu, la Russie de Poutine n’est pas l’Union soviétique ni le bloc communiste d’antan, pas plus que Ivanov, Premier la Turquie d’Erdogan n’est l’Empire ottoman. Mais la anniversaire de la Turquie cherche à s’imposer comme un grand Etat, Révolution, 1918. tant en Occident qu’en Orient, et dans le second par le seul recours à des slogans islamiques ; la Russie de Poutine quant à elle, se présente de par son rôle hérité à la fois des communistes et des tsars, comme un chef de file naturel dans le concert des nations. Le régime communiste est tombé, mais demeure un Etat fort de ses capacités et de ses stocks de pétrole, de gaz et d’or, ainsi que de son potentiel humain. Telle est sa place au niveau international. Quant aux Arabes, ils vouent dans leur majorité une grande affection à la Russie, qui n’a pas été pour eux un Etat colonisateur ; ils se souviennent également que le régime communiste a dénoncé la conspiration occidentale de l’accord SykesPicot en 1916, en vertu duquel Français et Anglais se sont partagés le Levant, préparant la voie à l’édification de l’Etat israélien sur la terre de Palestine. La Russie a même aidé les Arabes à se libérer de la colonisation occidentale ; elle n’a cessé d’être l’« amie des Arabes », en dépit de tous les changements qu’ont subi leurs régimes, lesquels les ont soumis à une nouvelle domination occidentale, passée simplement des mains européennes à celles de l’Amérique. Et la seconde moitié du siècle dernier a vu l’essor de la coopération arabo-russe, portant sur les armes qualitatives et diverses réalisations dans le domaine civil, parmi lesquelles le haut barrage d’Assouan en Egypte, ainsi que de nombreuses constructions et une assistance technique d’experts russes dans les secteurs du pétrole et du gaz. Et si la Turquie perd chaque jour un peu plus de son crédit auprès des Arabes, la Russie en gagne au contraire, notamment avec son combat contre Daech qui lui a déjà coûté un avion et ses passagers. ■ Rédacteur en chef : Talal Salman Directrice de la publication : Leila Barakat Contributeurs : Ayman Akil, Hani Chadi, Stéphanie Nassif, Edmond Saab Traducteur : Joseph Nammour Correctrice : Anne van Kakerken Maquettiste : Ahmed Berjaoui Le Safir francophone est fondé par Leila Barakat. Publié grâce au soutien des éditions [liR]. Adresse : Le Safir francophone As-Safir - Rue Mneimné - Beyrouth - Liban Courriel : [email protected] www.facebook.com/safir.francophone Site web : www.assafir.com Chernyshev, Fête des travailleurs à Moscou, 1918. 2 14 FÉVRIER, FÊTE DE LA SAINT-VALENTIN Que lui offrira-t-il à la Saint-Valentin ? Leila Barakat – « Est-ce que tu m’aimes ? » Amina fut surprise de la question de son conjoint, lui qui abhorrait d’ordinaire l’usage du vocabulaire amoureux. S’être restreint à une seule épouse était l’unique preuve d’amour qu’Ahmed lui avait fournie – alors que sa religion autorisait ce fantasme masculin d’en posséder trois de plus. En revanche, il lui interdisait d’écouter la moindre chanson d’amour ou de suivre tout feuilleton romantique, qu’il accusait de bafouer les enseignements de l’islam. Il l’avait même rabrouée pour les sous-vêtements affriolants parsemés de cœurs rouges qu’elle s’était offerts à la Saint-Valentin : « N’as-tu pas honte ? Ce n’est même pas une fête musulmane ! » Sa question était donc tout à fait incongrue. – « Pourquoi me le demandes-tu, ce n’est pas dans tes habitudes ?! » Elle s’était approchée de lui pour lui répondre, et s’était agenouillée afin de souligner qu’elle ne souhaitait nullement profiter de son attendrissement pour se départir de son statut de femme soumise. – « Est-ce que tu m’aimes ? répéta-t-il d’un ton morose. Je veux savoir. » Elle acquiesça et ferma ses yeux avec pudeur, puis commença à déboutonner sa chemise noire, convaincue que les mots de son époux devaient forcément mener à l’acte sexuel, un devoir conjugal qu’elle subissait d’accoutumée sans hésiter, quel que fût son état d’âme. Ahmed détourna pourtant la tête, mais sa docilité de musulmane pieuse ne l’autorisait pas à s’en vexer. – « Je veux juste savoir si ton amour est suffisamment profond pour que tu m’obéisses, quoi que je te demanderai. » Elle murmura un « oui » timide, et, alors qu’elle s’attendait à recevoir son désir d’homme pour prix de son aveu, elle entendit simplement « al hamdulillah (1) ». Puis, assuré de la docilité de son épouse, Ahmed se contenta de cette phrase lapidaire : « Quand le temps viendra, je te rappellerai ta promesse. » Il se sentait désormais le détenteur d’un chèque en blanc. Il sortit donc et claqua la porte sans prolonger cette mise en scène théâtrale de l’amour. Les jours suivants, Amina s’interrogea sur ce qu’Ahmed pouvait bien avoir à lui demander. Allait-il la solliciter pour hypothéquer sa chaîne et son pendentif du Coran en or, afin de rembourser quelque dette ? Elle qui avait vécu dans la sécurité jusque-là, se sentait soudain perplexe. Montrer à un époux « intéressé » combien on l’aime, n’est-ce pas s’exposer à un danger ? Elle s’en ouvrit à sa mère qui s’évertua à la raisonner : « Ma fille, il y a des hommes avec lesquels, Allah ybarik (2), il ne faut jamais s’inquiéter. Avec sa conduite édifiante, Ahmed est luimême le refuge et l’abri. » Il est vrai que durant cette première partie de leur vie conjugale, l’irréprochable Ahmed ne lui avait pas causé le moindre vague à l’âme. Le souvenir de leurs premières rencontres confortait sa confiance en sa pureté : il l’avait repérée sur son lieu de travail, une association locale de bienfaisance qui s’occupait des enfants cancéreux, et sitôt qu’il s’était assuré qu’en musulmane pratiquante parfaite, elle effectuait cinq prières par jour aux horaires officiels, il s’était empressé de demander sa main. « Allah t’a envoyé Ibn al Hallal (3) », avait commenté la mère d’Amina, qui considérait que son intuition de croyante ne la trompait jamais. Sa famille était pauvre, celle de son prétendant peut-être plus encore : Ahmed avait été élevé dans les vastes cimetières du Caire, comme des centaines de milliers d’Egyptiens. La misère ne gênait donc ni les uns ni les autres. D’ailleurs Amina, ravie de se trouver un parti, se laissait ensorceler par la sérénité de cet homme. Sensible au plus haut point, il était doux et paisible comme un agneau qui paissait l’herbe. Tout de blanc vêtu, il égrenait son chapelet, laissant pousser sa barbe et bannissant la moustache, suivant les préceptes du prophète dans le Hadith (4). Il parlait à voix basse, montrait l’humilité des pieux, se rendait à la mosquée le jour, et se laissait absorber la nuit par les enseignements religieux et moraux envahissant radios et chaînes satellites arabes. Ses yeux avaient la couleur du miel, et ses tendres baisers en prodiguaient le goût. Quand il la prenait dans ses bras, sa voix devenait chaude et chantante à ses oreilles. Il n’avait jamais recours à la violence, et pour cela ses cousines et ses voisines l’enviaient, dans un quartier où bâtonner sa femme n’était guère tabou. « Nous sommes heureux, n’est-ce pas ? » lui répétait-elle malgré leur pauvreté, afin de ne pas lui faire sentir un jour qu’en tant que chef du foyer, il aurait manqué à ses devoirs. Mais c’était lui apparemment qui ne goûtait pas au bonheur. « Tu manques de maturité politique », lui répétait-il. « Sous les régimes militaires et les voleurs qui détiennent nos destinées, jamais je ne pourrai offrir une éducation convenable à nos futurs enfants, ni soigner mes proches au besoin. Le bonheur sans argent, le bonheur sans dignité, le bonheur sans liberté, existe-t-il ? » Tel avait été le premier épisode de leur vie de couple. Et des mois passèrent sans qu’Ahmed mentionnât le gage d’amour. Un jour, il annonça qu’il comptait partir travailler au Koweït pour s’assurer que le ménage ne manquerait de rien dans le futur. L’ascète Amina, qui avait ce don oriental de se contenter de peu en se persuadant qu’elle avait beaucoup, sentit son petit monde s’écrouler. Ahmed, qui considérait dangereux pour l’évolution d’une société de se résigner à vivre dans le dénuement, ne partageait point son désintéressement : « Jusqu’à la mort des « Pour tuer les longues journées d’attente et d’ennui, Amina partagea son temps entre le hammam et la prière. » Jean-Léon Gérôme, « Le bain de vapeur », 1889. CULTURES ET RENCONTRES SUPPLÉMENT MENSUEL - FÉVRIER 2016 3 Des ténèbres à la lumière, du moi au nous Stéphanie Nassif D John Wreford (Egypte). riches est plus belle que la vie des pauvres », lui lança-t-il, et les larmes d’Amina ne surent pas le retenir. « Le refuge », « l’abri » s’en allaient au loin. « Les hommes appartiennent à un monde plus vaste que celui des femmes », dédramatisait sa mère. « Allah est grand, il te le rendra nanti. » Effectivement, Amina reçut d’importants virements d’argent dès les premiers mois, si bien que son entourage condamna ses jérémiades et accabla de louanges son époux « absolument parfait », d’autant que ce dernier ne devait pas avoir la vie facile auprès des fortunés du Golfe qui humiliaient à volonté les Egyptiens à leur service. Pour tuer les longues journées d’attente et d’ennui, Amina partagea son temps entre le hammam et la prière. Elle priait le matin pour le retour de son conjoint sain et sauf, puis elle allait se baigner au hammam, pour retrouver le Coran à son retour. Si l’argent coulait à flots désormais, elle ne rêvait en secret que de voir réapparaître Ahmed, le jour pourquoi pas de la Saint-Valentin, précisément à cette fête qui n’est rien pour l’islam, arborant un bouquet de roses rouges pour lui prouver la force – et la couleur – de son amour. Croire fort en tout ce que nous aimons, croire fort en tous ceux qui nous aiment : telles étaient les devises de celle qui quêtait chaque jour des nouvelles de son Valentin auprès de ses parents et amis. Les nouvelles tant attendues finirent par arriver, avec la visite d’un cousin d’Ahmed, accompagné de son épouse. « Hayyaki Allah (5), Amina. Je viens chargé d’un seul bagage, une promesse qui t’engage à l’égard d’Ahmed. » « Le gage d’amour », songea Amina sans oser proférer un mot, tentant de dissimuler ce qui restait de leur intimité dévoilée. « Dans le monde arabe, dictatures et démocraties engendrent la même corruption et la même injustice, avec les unes c’est l’ordre, avec les autres le chaos, mais rien ne change. Il existe, al hamdulillah, une troisième voie : le jihad… », expliqua l’homme à Amina qui n’écoutait que d’une oreille, s’affairant à servir le thé chaud. Puis, alors qu’elle s’asseyait en fermant les yeux, comme étourdie par ses rêves, le cœur plein d’espoir, impatiente d’être rassurée sur la santé de son bien-aimé, son visiteur reprit : – « La Ilah Illa Allah (6). Ahmed te demande, honorable Amina, de suivre les entraînements nécessaires pour effectuer une opération-suicide contre les figures du despotisme et leurs sbires. Allahou Akbar (7). » Epilogue : Les Egyptiens les plus démunis vivent dans la rue ou parmi les morts, ils constituent un terrain fertile pour le terrorisme, qui instrumentalise jusqu’au sexe faible. Cet article doit donc peu à l’imaginaire. Et n’y voyez pas un fait divers exceptionnel, il n’est que vérité, généralisée, dépassant de loin les frontières de l’Egypte. De quoi faire porter à l’écriture son deuil : notre réalité devient plus noire que la plus obscure de nos histoires. Mais ce n’est pas le sort de la créativité qui nous inquiète. C’est celui de notre monde. Ouvrez bien vos yeux, même si cela heurte la vue : nous vivons dans un monde proprement « dramatique »… … Et paradoxal. C’est en déambulant dans un quartier intégriste du Caire que je suis tombée sur la lingerie la plus affriolante qu’il m’ait été donné de voir. ■ (1) Dieu merci. (2) Qu’Allah le bénisse. (3) Le fils d’une famille pieuse. (4) Recueil des actes et paroles de Mahomet. (5) Le salut d’Allah soit sur toi. (6) Il n’y a de dieu que Dieu. (7) Allah est le plus grand. e tout temps le rapport à l’autre dans sa différence a constitué une entrave à des relations humaines harmonieuses. Depuis quelques années cet obstacle semble se transformer en barrière hermétique, derrière laquelle se retranchent des groupes revendiquant une identité ethnique ou religieuse spécifique. Cette crispation identitaire, très largement entretenue par des antagonismes politiques, économiques et sociaux à l’échelle planétaire, repose sur une évidence : de plus en plus, la différence fait peur. De fait, la diversité n’est plus perçue comme un atout mais bien comme une faiblesse. La différence est une menace, un danger face à un système de valeurs établies considérées comme des vérités, ou au contraire elle est revendiquée comme une appartenance exclusive qu’il faut conserver à tout prix. Le résultat est le même : le repli sur soi, le refus de tout échange avec l’autre. Cette attitude aboutit à la stigmatisation de la différence, car en mettant dos à dos des systèmes de valeurs incomparables, on oppose les cultures jusqu’à les écarteler. Il est vrai qu’il est plus facile de rejeter la différence plutôt que de chercher à la comprendre et à l’accepter. En effet, chercher à la comprendre c’est bouleverser ses repères et accepter de remettre en cause son propre système de valeurs. Ecrivain française, libanaise de cœur, installée depuis quelques années au Liban, j’ai expérimenté ce rapport à l’autre dans la différence : une confrontation directe entre Occident et Orient, une découverte quotidienne de ce qui fait diverger deux systèmes de vie, de pensée, de valeurs sociales, religieuses, politiques et économiques. Je me suis appliquée à extraire la richesse essentielle de cette diversité, jusqu’à comprendre enfin la clé du rapport à l’autre, telle que la révélait André Malraux : « Juger, c’est de toute évidence, ne pas comprendre ; si l’on comprenait, on ne pourrait plus juger. » Car c’est bien l’absence de compréhension, que ce soit par ignorance ou par refus, qui conditionne l’étanchéité de cette barrière qui tend à devenir infranchissable. A bien des égards, le Liban constitue un parfait microcosme du rapport à l’autre dans sa différence. Les évènements politiques, confessionnels, économiques, sociaux - voire environnementaux - de ces dernières années sont le reflet d’un écartèlement identitaire de plus en plus marqué, traduisant également une fragilisation incontestable du tissu social. Il ne fait aucun doute que cette opposition est stérile - voire dangereuse - car elle ne permet pas d’avancer, ni à titre individuel ni à l’échelle d’une société. Il est par conséquent essentiel de réapprendre à accepter la différence et de la comprendre. Car finalement, cette identité revendiquée par certains groupes communautaires est-elle irréversible ? Peut-on véritablement dire qu’un individu reste le même toute sa vie ? En entendant les propos d’une étudiante libanaise affirmant avec une certaine surprise à mon sujet « elle est comme nous » lors d’une conférence sur la francophonie, j’ai soudain pris conscience que l’autre que je découvrais il y a quelques années en m’installant au Liban, celui que je percevais avec mon regard d’Occidentale, est en partie moi aujourd’hui ! Par conséquent, l’identité d’un individu, loin d’être figée, évolue au cours de la vie, en fonction notamment de ses aptitudes d’ouverture à l’autre. Pour conclure et en guise d’invitation, je livre à votre réflexion ces quelques mots de la préface de mon dernier roman, Le trésor du temple de Melqart – L’héritage phénicien : « Dès que l’homme parvient à dépasser le MOI pour devenir NOUS, oubliant ses rancœurs et ses différences, il s’élève chaque jour un peu plus vers l’infini. » ■ Ecrivain française, Stéphanie Nassif retranscrit l’expérience de la diversité dans ses ouvrages, mélange de cultures et de rencontres. Ismail Nasra. 4 DOSSIER DU MOIS : LA RUSSIE INSTIGATRICE D'UN NOUVEL ORDRE MONDIAL ? Le prince Yusopov peint par Lampi (1820). La fabrication du terrorisme : vers un nouvel ordre mondial ? communiste » à Kaboul, les utilisant pour combattre les Soviétiques « infidèles », « impies » et ennemis de l’islam, et les bouter hors d’Afghanistan. Edmond Saab L’école américaine de Daech T andis que les États et les puissances soutenant les armées terroristes et les takfiristes se préparaient à donner « l’assaut final » contre Damas pour renverser son régime, le président russe fustigeait, le 28 septembre dernier du haut de la tribune de l’ONU, une administration Obama « corrompue, stupide et bonne à rien », l’accusant d’avoir « engendré le chaos dans le monde ». Et pendant qu’Américains et Occidentaux prenaient ce discours à la légère, le considérant comme faisant partie du « folklore » annuel exhibé à l’ONU, Poutine se préparait deux jours plus tard à ordonner aux avions russes le début des frappes contre les positions des terroristes de tous poils, en particulier Daech, el-Qaïda représenté par le Front al-Nosra, Jaych el-Fatah (l’Armée de la conquête, soutenue par la Turquie), l’Alliance islamique saoudienne, ainsi que les petites organisations extrémistes et takfiristes qui leur sont affiliées. Puis, le 22 novembre, Poutine a révélé les objectifs de l’opération russe en Syrie, trois semaines après le début de la « tempête Sukhoï » qui a embarrassé en un laps de temps record la multitude des chefs par procuration en lice en Syrie, en particulier la partie américaine. Celle-ci en effet s’était abritée jusque-là derrière une soi-disant « Armée syrienne libre » et d’hypothétiques combattants « modérés » pour couvrir son principal rôle dans la guerre syrienne, lequel consiste à soutenir el-Qaïda, les salafistes et les Frères musulmans, et à les approvisionner en argent et en armes. Les Russes ont pris connaissance de ces faits en consultant une note américaine émise en 2012 par la DIA (Defence Intelligence Agency), agence de renseignement du secrétariat américain à la Défense, qui l’a transmise aux départements et administrations concernés, dont l’état-major des armées et le FBI. De plus, durant le forum international du club Valdaï, Poutine a déclaré « le jeu est fini », précisant que l’Occident devait en prendre acte, en particulier les États-Unis et leurs alliés, tout comme ceux qu’ils utilisent pour combattre en leur nom et pour leur compte, lesquels participaient déjà avec eux à un jeu similaire en Afghanistan dès avril 1979, soit six mois avant l’invasion de ce pays par les Soviétiques, et deux mois après la révolution islamique en Iran. Une révolution, rappelons-le, qui a affolé Américains et Saoudiens, puisque la perte de l’Iran et la déclaration par les Iraniens de leur hostilité envers Washington, avec leur slogan « Mort à l’Amérique », plaçaient l’océan Indien et le golfe AraboPersique sous la coupe des Soviétiques. On se souvient que l’administration Carter avait alors décidé d’armer les moudjahidine islamistes pour faire face au « gouvernement Les renseignements américains avaient œuvré avec le shah d’Iran à monnayer la loyauté de quelques chefs de tribu qui traitaient avec le gouvernement socialiste afghan ; l’argent coulait à flots vers la centrale américaine du renseignement (la CIA) pour financer ces opérations secrètes en Afghanistan, avec des fonds clandestins à hauteur de trois milliards de dollars, auxquels s’ajoutait un montant identique provenant d’Arabie saoudite, laquelle entendait lutter contre la révolution islamique en Iran parce que, selon elle, son influence dans les pays musulmans s’en trouvait menacée. L’ancien général américain Brent Scowcroft, en révélant dans sa biographie Strategy quelques aspects du « jeu afghan », assure qu’il s’agissait d’un grand projet, comportant des plans et des programmes, dont l’établissement de huit mille écoles coraniques officielles au Pakistan pour former les jihadistes au combat « contre les impies de l’Occident », en plus de vingt-cinq mille autres écoles non officielles. La CIA a aussi appelé les autres « jihadistes de l’islam » dans le monde à se joindre à leurs camarades afghans dans leur « guerre sainte contre les infidèles ». En un temps record, l’Afghanistan s’est alors transformée, d’après Scowcroft, en un immense camp d’entraînement « aux attentats, assassinats et guérillas », avec un certain Edmond Mac comme « chargé américain de la coordination avec les jihadistes ». Ironiquement, là comme en Syrie, la CIA a refusé de financer des islamistes « modérés » et de leur fournir de l’armement, prétendant que s’ils existaient, ils seraient moins motivés au combat que les extrémistes. Des atrocités ont été commises à l’encontre de l’armée soviétique, qui comptait treize mille tués et trente-cinq mille blessés lorsqu’elle évacua l’Afghanistan en 1989. Les Américains arrêtèrent alors de financer les jihadistes, d’abord partiellement puis totalement, et les Saoudiens prirent généreusement la relève. Les jihadistes ayant été ignorés par les Américains après le départ des Soviétiques, ils se sont retournés contre eux : une première attaque contre le World Trade Center a eu lieu en 1993, puis des assassinats en Égypte, des explosions en Inde et des accrochages au Cachemire. (…) À Valdaï, Poutine a voulu dire deux choses, la première que le jeu était fini, la seconde : « Je ne suis pas Gorbatchev » (en référence à celui qui a ordonné l’évacuation de l’armée soviétique d’Afghanistan), donc « ne vous trompez ni d’homme ni de reddition de comptes », a-t-il ajouté, insinuant au passage que le jeu commencé en Afghanistan en 1979 était bel et bien terminé, et que « des leçons doivent être correctement tirées des expériences du passé ». (…) En vérité, la feuille de route russe contient les grandes lignes nécessaires à l’instauration d’un nouvel ordre mondial, objectif premier de l’intervention russe en Syrie. La Russie en effet entend que les décisions de guerre et de paix soient du ressort de la loi internationale et des Nations unies, mettant en garde contre les dangers de toute mainmise sur l’équilibre mondial et l’économie ; afin d’être en mesure d’adopter des solutions pacifiques et de dialogue, et non l’option militaire, il faut certes contenir la situation explosive actuelle au Moyen-Orient due aux différends confessionnels, sectaires et ethniques, mais surtout faire cesser les jeux doubles, tels que la lutte contre le terrorisme d’un côté et le financement des terroristes de l’autre, instrumentalisés dans des guerres internes en vue de renverser des régimes et de les remplacer par d’autres au moyen du fer et du feu. Dans ce contexte, le soutien financier et logistique apporté par les Américains aux différents groupes terroristes, considérés comme « les forces principales à la tête de la révolution en Syrie » selon les termes de la note de la DIA, a suscité un tollé au sein des départements du Pentagone, notamment ceux qui sont concernés par la lutte contre le terrorisme et la traque d’el-Qaïda. Paul Craig Roberts, l’un des grands experts en stratégie, accuse ainsi la Maison-Blanche de pratiquer « le mensonge, le tapage et l’impuissance », en particulier « lorsque le monde a constaté que le rapport de force penchait en faveur des Russes après le 30 octobre ». Le directeur sortant de la DIA Michael Flynn s’est hâté de jeter la lumière sur ladite note lorsqu’elle a été déclassifiée en mai dernier, et a publié un article dans le journal en ligne à large diffusion Daily Beast : « Tout chef de famille en Amérique doit en prendre connaissance » car « c’est une source fiable, centrale et vitale qui dévoile les origines de Daech, et qui doit faire l’objet d’un large débat national portant sur la politique américaine en Syrie et en Irak ». S’exprimant en anglais à la chaîne de télévision al-Jazeera, Flynn a dévoilé le mensonge pratiqué par l’administration américaine à l’encontre de son opinion publique et du monde entier au sujet du financement du terrorisme en général, d’el-Qaïda et de Daech en particulier. « La Maison-Blanche a décidé de soutenir les éléments armés en Syrie, déclare-t-il, en dépit des mises en garde du renseignement, qui avait prévu l’émergence de l’État islamique. » Nouvel ordre mondial Dans son livre Nouvel Ordre mondial publié récemment, le grand stratège qu’est Henry Kissinger conseille à l’Occident de reconnaître qu’un changement a eu lieu dans le rapport de force mondial, et de ne plus avoir recours à l’option armée pour résoudre les conflits. « Les armes annihilent les civilisations et les valeurs, et compromettent l’équilibre », écrit-il, sous-entendant également que Poutine a pris la décision adéquate en considérant l’arène syrienne comme l’endroit idéal pour rechercher un nouvel ordre mondial car, affirme-t-il, « l’objectif de notre époque devrait être la réalisation de l’équilibre, pendant que nous maîtrisons les chiens enragés de la guerre ». (…) ■ La Russie des Tsars La comtesse Sheremeteva peinte par Nikolai Argunov (1802). L’empereur Paul I peint par Benedetta Batoni. Le Tsar Alexandre III peint par Ivan Kramskoi (1886). Peinture anonyme dans le Musée d’Architecture à Moscou. Le Tsar Alexandre I peint par George Dawe. La princesse Ekatarina peinte par Van Loo (1759). L’impératrice Catherine II peinte par Vigilius Eriksen (1762). SUPPLÉMENT MENSUEL - FÉVRIER 2016 DOSSIER DU MOIS : LA RUSSIE INSTIGATRICE D'UN NOUVEL ORDRE MONDIAL ? 5 La Russie est-elle vraiment une grande puissance ? Ayman Akil P ratiquant avec passion le judo et la plongée sous-marine, participant à des campagnes de sensibilisation pour la protection des ours polaires, Poutine n’apparaît pas, aux yeux du monde, comme un président traditionnel. Un reportage télévisé le montre en train de déterrer de ses propres mains un trésor historique. On le voit tantôt torse nu sur la couverture des magazines – signe de puissance et de virilité ? –, tantôt aux commandes d’un char ou d’un sous-marin, ou en campagne en train de donner des directives militaires. Des méthodes certes pour le moins sujettes à controverse pour l’Occident, mais qui ont contribué à relever sa popularité de manière significative auprès des Russes, dont l’inconscient collectif aime à voir ravivé le mythe du père de la nation remontant au tsar Pierre le Grand. Poutine a le mérite d’avoir ranimé cette ancienne nostalgie. Il faut dire que tout successeur du président-désastre qu’a été Boris Eltsine ferait figure de héros national en Russie ; on comprend alors ce qu’il en est d’un président charismatique ayant directement pris les rênes du pouvoir dans le sillage d’Eltsine. D’après le politologue américain George Friedman, les appréhensions occidentales vis-àvis de la Russie ne sont pas dues à sa force mais à son impuissance. (…) Toutefois, la Russie est-elle vraiment faible ? Il est vrai que lui manque une structure économique moderne et qu’elle ne figure pas parmi les dix premières économies du monde ; d’un côté l’État russe tire ses revenus de secteurs qui lui assurent un certain avantage dans les domaines industriel, technologique et militaire, mais il pâtit par ailleurs de graves problèmes démographiques, sa population décroissant de façon inquiétante. Ainsi, à titre d’exemple, dans la région russe extrêmement sensible de Mandchourie, ne vivent que cinq millions de Russes, contre cent millions de personnes du côté chinois ; le problème a déjà été évoqué par Poutine, moult rapports faisant état des sérieuses difficultés rencontrées par l’armée pour enrôler les effectifs qui suffiront à activer ses unités. Le commandement russe a dû élaborer des plans visant à moderniser l’appareil militaire hérité de l’époque soviétique, surtout après les revers subis en Géorgie ; pour dynamiser l’armée, il a fallu concevoir des unités plus petites et plus efficaces car plus mobiles. En parallèle, de multiples transactions ont été conclues pour l’achat de chars et de véhicules plus modernes pour le transport de troupes, ou pour renforcer la puissance de feu de la marine russe. Néanmoins, plusieurs de ces plans tombèrent à l’eau du fait de la chute des prix du pétrole. Et même si la puissance de l’armée russe est un fait généralement reconnu et acquis, ceci suffit-il à faire de la Russie un État puissant et une nation forte ? L’expansion de l’OTAN vers les pays d’Europe de l’Est peut être considérée comme une provocation de la Russie, une tentative de l’Occident pour la dompter, pensant être en mesure de réduire sa capacité et ses velléités à s’opposer à lui efficacement. D’ailleurs, en essayant de modifier son environnement stratégique, et à défaut de canaux diplomatiques, il ne reste à la Russie que son bras militaire exécutif, dont elle a fait usage en Ukraine et qu’elle utilise à présent en Syrie. Certaines élites russes pro-occidentales affirment que l’Occident, durant la période ayant suivi l’effondrement de l’URSS, n’a pas réussi à traiter convenablement avec la Russie, répétant à l’envi et avec amertume que le peuple russe s’attendait à un plan d’action de la part des pays occidentaux, comme il y eut un plan Marshall pour aider à la reconstruction de l’Allemagne et des pays d’Europe de l’Ouest, ou des mesures mises en place au Japon par MacArthur au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ceci n’a pas eu lieu, laissant un sentiment de frustration au cœur du peuple russe, le poussant à croire dur comme fer que l’Occident est hostile non seulement au communisme, mais aussi à la nation russe. L’on comprend dès lors que Poutine tire son extrême popularité du sein même de la Russie patriote, pour la simple raison qu’il y titille des sentiments nationaux bafoués. (…) ■ Grands peintres russes Ivan Firsov, « Un jeune artiste », 1770. Karl Briullov, « Le dernier jour de Pompéï », 1833. Konstantin Savitsky, « Réparation d’une ligne de chemin de fer », 1874. Nikolai Yaroshenko, « La vie est partout », 1888. Boris Kustodiev, « La foire », 1906. Ilya Repin, « Procession pascale à Koursk », 1833. 6 DOSSIER DU MOIS : LA RUSSIE INSTIGATRICE D'UN NOUVEL ORDRE MONDIAL ? L’ours russe ne connaît pas les règles les plus élémentaires de la diplomatie, vu que c’est un ours Walid Joumblatt Le spectacle auquel nous assistons en Syrie est effrayant et tragique. Le peuple syrien est, une fois de plus, abandonné entre l’enclume de l’État islamique et le marteau d’un régime sauvage soutenu par l’ours russe qui broie sans ménagement. Le pays entier semble avoir été déraciné, massacré et déplacé ; par ses drames il rejoint désormais le peuple palestinien. L’ours russe ne connaît pas les règles les plus élémentaires de la diplomatie. Pourquoi s’en étonner ? C’est un ours. Il prétend combattre Daech, alors qu’il attaque en réalité l’Armée syrienne libre à Rastan et ses environs. ■ Le dégel entre Moscou et l’Occident aura-t-il lieu ? Hani Chadi L es présidents russe et américain, Vladimir Poutine et Barack Obama, se sont entretenus en novembre dernier, lors d’un tête-à-tête au sommet du G20 en Turquie, au sujet de la crise syrienne et de la guerre contre Daech. Il s’agissait de leur première rencontre depuis le déclenchement des opérations aériennes russes en Syrie, rencontre que des observateurs russes et occidentaux ont décrite comme une tentative de dégel entre la Russie et les États-Unis. Le président russe n’avait échangé qu’une brève poignée de main avec le président américain en septembre, en marge de la session plénière de l’Assemblée générale de l’ONU, lors de laquelle il avait annoncé le début des opérations aériennes en Syrie. Mais après le crash de l’avion russe au-dessus du Sinaï, dont Poutine a reconnu officiellement qu’il s’agissait d’une opération terroriste, et depuis les attentats de Paris, il semblerait que l’Occident soit amené à reconsidérer sa position à l’égard de la politique russe dans la question syrienne. En effet, le président français a amorcé un rapprochement avec son homologue russe, convenant avec lui de la coordination des opérations militaires contre Daech en Syrie ; François Hollande s’est ainsi rendu à Moscou en novembre, juste après une visite à Washington. Fait notable, le président russe a considéré comme alliés les marins français à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle naviguant au large de la Syrie, et a ordonné à l’équipage du croiseur lancemissiles Moskva, qui soutient les opérations russes en Syrie, de coopérer avec les vaisseaux de guerre français dans les coups portés contre Daech. Par ailleurs, des sources américaines indiquent que le porte-avions Harry-Truman pourrait rester un certain temps en Méditerranée, pour pilonner les positions de Daech en coopération avec les forces navales françaises, certains observateurs russes s’attendant à une coordination entre les vaisseaux de guerre des trois pays dans la lutte contre l’organisation terroriste. Dans le contexte des tentatives de dégel entre la Russie et l’Occident, le président américain a loué depuis les Philippines le rôle russe en Syrie, soulignant que les États-Unis appuyaient les opérations aériennes de la Russie contre Daech. De surcroît, le secrétaire de presse du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que la lutte contre Daech était désormais un but stratégique commun pour Moscou et Washington en dépit de l’existence de divergences tactiques ; le quotidien Nezavissimaïa Gazeta, dans son numéro du 17 octobre, affirmait quant à lui que Washington considérait toujours Moscou comme « un ennemi et un danger semblables à Daech » mais qu’il était « subitement devenu un partenaire pour les plans visant à éradiquer les menaces terroristes ». D’autres médias, citant une source proche du Premier ministre britannique, David Cameron, ont affirmé que les ÉtatsUnis et les pays européens avaient convenu d’un commun accord, dès avant le sommet du G20, de la possibilité de garder Moscou proche de la coalition occidentale antiDaech ; l’ancien président français Nicolas Sarkozy avait notamment déclaré qu’il n’était pas possible qu’il y ait « deux coalitions en Syrie combattant le terrorisme ». De son côté, le président russe a mis l’accent, lors de ses multiples interventions au sommet du G20, sur l’existence de personnalités politiques en Europe qui sont bien conscientes de l’impossibilité de régler le conflit syrien sans coopérer avec la Russie, martelant dans le même temps : « Les États-Unis ne peuvent continuer à donner des leçons au monde, lui dictant ses déclarations et les positions qu’il doit adopter. » (…) ■ Communisme et Perestroïka Sketch de S. V. Gerasimov, Premier anniversaire de la Révolution à Moscou, 1918. Critique par Alexander Tarasov de l’organisation communiste des jeunes (formulée durant la Perestroïka). Critique par Voogre et Khaavamyagi du recours excessif à la Vodka (formulée durant la Perestroïka). SUPPLÉMENT MENSUEL - FÉVRIER 2016 4 février : Journée mondiale contre le cancer Un sens à nos maux on nom continue à faire frémir, l’énoncer, le prononcer en diagnostic donne la sensation d’un mal insidieux injustement et silencieusement installé dans notre corps. Le cancer demeure l’une des principales causes de mortalité dans le monde, et les efforts d’une médecine toujours plus sophistiquée ne semblent pas en mesure de l’enrayer. Démunis, les malades courent chercher le salut auprès de praticiens de santé dont on attend la toute-puissance du remède. Cependant, sommes-nous réellement démunis ? Les médecines alternatives, médecines douces et naturelles, issues souvent de savoirs millénaires, proposent d’emprunter une autre voie, d’extirper le sentiment de fatalité. Elles expliquent qu’en vous pensant incompétent dans la compréhension et la gestion de votre corps, vous vous condamnez à l’impuissance, mais si vous contactez les besoins réels de votre être, vous retrouverez de l’autonomie, et peut-être même serez-vous en mesure de donner un sens à vos maux. Pourquoi alors certaines cellules de mon corps se mettent-elles soudain à proliférer de façon anarchique, au point de créer une tumeur qui menace mes tissus sains, et jusqu’à ma vie ? Pour le comprendre, il vous faudra d’abord considérer votre corps comme un ensemble intelligent, qui n’a de cesse de maintenir l’équilibre précaire de la santé dans ses échanges avec l’extérieur, échanges de nourriture et d’eau, d’énergie et d’informations. En amont du cancer, bien avant son apparition, votre corps vous a lancé des signaux d’alarme parce que vous ne respectiez pas ses besoins ou qu’il se trouvait exposé à toutes sortes d’agressions ; des incidents innombrables se sont répétés avant que votre cerveau ne déclenche ce mécanisme de défense qu’est le cancer, chargé de neutraliser les éléments toxiques en circulation dans votre corps à présent débordé. Le cancer est donc construit par votre organisme, voulu en quelque sorte, comme une réaction immunitaire ultime, qui ne devrait être que transitoire si les causes des désordres initiaux sont identifiées et éliminées à temps. Toutes les médecines douces s’accordent alors à soigner, non seulement le tissu malade, mais le « terrain », un terme qui invite à considérer la santé de manière globale, prenant en compte aussi bien le physique que l’émotionnel, le mental et même le spirituel, car nos dimensions sont multiples et interdépendantes. Cancer du poumon causé par la cigarette (Source : Internet). Robert Bereny, « Modiano cigarettes », 1926. Anne van Kakerken S Enfant atteint de cancer (Source : Internet). Avons-nous respecté les lois naturelles dont nous sommes partie intégrante ? Avons-nous en premier lieu su nous nourrir sainement, évitant les excès et aliments nuisibles à la santé ? Il est vrai qu’aujourd’hui les éléments cancérigènes sont légion dans nos sociétés, dans la pollution de l’air, les locaux où nous travaillons, dans notre alimentation dévitalisée et bourrée de produits chimiques ; peu d’Etats œuvrent pour une véritable politique de santé préventive dans ce domaine, dont un des premiers actes serait de bannir la chimie de nos assiettes – le crime contre l’humain des industries agroalimentaires sera peut-être un jour dénoncé. Votre corps est armé pourtant pour éliminer bon nombre d’éléments agressifs, et votre première barrière immunitaire, la plus efficace, c’est votre intestin, votre ventre, lui que les médecines orientales considèrent comme notre second cerveau. Choyez-le, écoutez-le ! C’est lui aussi qui est parfois dépassé par les effets d’un choc émotionnel intense, comme le montre notamment le docteur Hamer en Allemagne, décrivant la genèse de nombreux cancers qu’il a étudiés : la maladie serait alors une réponse à un événement vécu dramatiquement et dans l’isolement, prenant la personne à contre-pied, la nature du choc pouvant même déterminer le type de cancer ou l’organe touché, comme si le mal donnait à lire dans vos cellules un message précis, vous invitant à le décrypter pour vous guider vers la guérison. Toutes notions que vous trouverez rarement dans la tête et les pratiques de vos médecins, mais que je vous invite à méditer. ■ La troisième édition de Photomed Liban : une lutte contre l’intolérance La photographie pour contrecarrer l’intolérance qui ravage la région ? N’est-ce pas puéril ? A moins qu’il ne faille de la puérilité, ces temps-ci, pour recréer l’espoir. C’est en tout cas le pari de Photomed Liban, lancé en 2014 dans le cadre du festival de la photographie méditerranéenne. « Nous travaillons avec les photographes pour construire une image et un discours positifs dans la région méditerranéenne, faire face à l’extrémisme et préserver à travers le dialogue interculturel, des valeurs communes contre l’intolérance », assure Philippe Heullant, président du comité organisateur de Photomed. Du 20 janvier au 10 février 2016, la 3ème édition de Photomed Liban apparaît donc comme un rendez-vous incontournable de la photographie à Beyrouth. Les expositions présentant des photographes internationaux et libanais sont organisées dans différents lieux, le Beirut Exhibition Center, l’Institut français du Liban, le siège central de la Byblos Bank, ou encore l’Hôtel Le Gray. Cette édition 2016 met l’Espagne à l’honneur, en rendant hommage aux photographes Toni Catany, Alvaro Sanchez-Montanes et Luis Vioque, et en présentant la collection du célèbre acteur espagnol Gabino Diego. Les œuvres de plusieurs photographes français sont également Randa Mirza, « Beyrouth est de retour », 2016. exposées, avec Antoine d’Agata, Emma Grosbois ou Arno Brignon, sans oublier une importante rétrospective consacrée à Edouard Boubat. L’Italie est aussi présente à travers les œuvres d’Alessandro Puccinelli et Angelo Antolino, aux côtés du Liban bien sûr, avec les photographes Karim Sakr, Randa Mirza et Elsie Haddad. Enfin, l’art vidéo est aussi privilégié avec l’exposition « Expressions méditerranéennes. De la poésie à l’engagement », qui présente le travail vidéo d’artistes méditerranéens de la collection de la Maison Européenne de la Photographie. Un programme enthousiasmant, tout le bassin méditerranéen rassemblé dans le fameux petit pays « patchwork »… presque de quoi occulter que le Liban est composé de sectes qui ne se tolèrent toujours pas. Il est si aisé de faire assaut de tolérance par photographies interposées, les fanatiques et les guerriers, ce sont toujours les autres. Mais comme le dit si bien Victor Hugo, « l’intolérance des tolérants existe, de même que la rage des modérés ». ■ 8 CONSEIL SUPÉRIEUR DE DISCIPLINE Conseil supérieur de discipline : la virtuosité de la lutte anti-corruption L e Safir francophone s’est jusqu’ici peu penché sur la vie des établissements publics. Leur marasme n’inspire pas nos plumes. Mais la réactivation du Conseil supérieur de discipline fait figure de cas exceptionnel et mérite d’être analysée. La longue agonie du Conseil convenait parfaitement à une classe politique majoritairement corrompue et qui ne souhaitait pas voir son action entravée par des organismes de contrôle. Le poste le plus important du Conseil, celui de président, était vacant depuis plusieurs années, avec le départ à la retraite de Nicolas Daïa. Son budget de fonctionnement réduit au minimum, et constitué seulement d’une maigre poignée de fonctionnaires, l’inertie était complète. D’après notre confrère As-safir, des piles de dossiers concernant les fonctionnaires fautifs restaient bloquées dans les bureaux du Conseil. Le bâtiment obscur n’était pas non plus à l’abri des coupures d’électricité, et c’est à la lueur des bougies que les fonctionnaires végétaient dans cet établissement physiquement et moralement « éteint ». Marwan Abboud, le nouveau président du Conseil depuis 2012, semble insuffler une seconde vie à l’institution. Le Safir francophone l’a approché pour s’enquérir du sort des piles de dossiers qui dormaient dans les tiroirs. Raïs Marwan, comme on le surnomme, nous a répondu sans ambages : « le Conseil a statué sur ces dossiers et statue désormais sur une vingtaine de dossiers par an. Nous tenons jusqu’à vingt séances pour chaque dossier déféré devant le Conseil, c’est-à-dire que le fonctionnaire fautif est traduit une vingtaine de fois devant notre tribunal, et nous écoutons parfois vingt ou trente témoins convoqués avant d’émettre notre jugement : nous œuvrons à donner de l’épaisseur et de la solidité à nos enquêtes, et par là de la crédibilité. D’ailleurs, chaque jugement rendu est de trente-six pages, non d’un ou deux feuillets. » De quoi décourager, en tout cas, les politiciens véreux tentés de défendre leurs hommes de main. En réponse à la question : « Quelles sont les réalisations principales du Conseil depuis sa nomination ? », on apprend combien Abboud s’est attelé dans un premier temps à soigner l’identité du Conseil supérieur de discipline, et à lui créer une image institutionnelle sérieuse. Un logo pour sa visibilité, de nouveaux meubles, des livres pour remplir les rayons des bibliothèques, des tableaux (de paysages libanais) : le Conseil siège à présent dans des locaux décents. Il a par ailleurs bataillé pour obtenir les crédits nécessaires et recruter les cadres compétents, et ce à l’ombre d’un gouvernement paralysé et d’un parlement qui a suspendu ses sessions. Il a donc fallu une pression constante auprès des membres du gouvernement ; en réalité, armé d’un passé d’incorruptible en tant que procureur par intérim de la Cour des comptes, Abboud est des plus respectés auprès de la classe politique – les politiciens au Liban, grand paradoxe, respectent ceux qu’ils ne peuvent manipuler. Les cadres que le nouveau président a recrutés sont jeunes, dynamiques et motivés, et tentent de suivre son exemple. « J’ai surtout donné au Conseil supérieur de discipline l’envergure d’un corps judiciaire, explique-t-il. J’ai formé le comité du Conseil qui ne se réunissait pratiquement plus. De plus, j’ai constitué dès 2012 un autre comité disciplinaire dont le mandat porte sur les chefs des municipalités. Les deux comités se réunissent régulièrement et selon un rythme dynamique. » Des jugements sont émis. Des sanctions sont infligées régulièrement : avertissement, blâme, exclusion temporaire de fonctions, radiation du tableau d’avancement, abaissement d’échelon… Certains présidents de municipalités ont donc subi des sanctions allant jusqu’à l’exclusion temporaire de fonctions. Le président de la municipalité de Jezzine a démissionné avant que le jugement le condamnant ne soit émis. La municipalité de Falougha a quant à elle été abolie. Marwan Abboud a donné au Conseil supérieur de discipline l’envergure d’un corps judiciaire. Marwan Abboud prêtant serment devant le président de la République lors de sa nomination. De plus, les enquêtes sont menées aujourd’hui sur le terrain, on ne se contente plus de questionner derrière son bureau. Elles se font dans la discrétion, bien entendu, loin des fanfares médiatiques, mais dans la manière dont elles sont conduites, quelque chose de fondamental a changé : le Conseil avait cette mauvaise réputation de se trouver un petit fonctionnaire et de le harceler, évitant de compromettre les grosses têtes intouchables qui jouissent d’une couverture politique. Maintenant, on élargit intelligemment et stratégiquement la portée des enquêtes. Ainsi trente-trois fonctionnaires se trouvent impliqués dans un même dossier (tel celui du port). Le Conseil considère que la déviance d’un petit fonctionnaire implique une mauvaise gestion de la part de l’administration qui le chapeaute, et un relâchement dans la discipline ; il se donne donc le droit de convoquer les supérieurs et d’enquêter avec eux. Ce n’est pas un détail : toute la virtuosité de la lutte anti-corruption est là. La sécurité est aussi présente, un élément très important dans un pays où les miliciens portent une cravate, mais adoptent toujours les méthodes des bandes de la guerre civile, menaces et passage à l’acte. Aujourd’hui, un directeur soutenu politiquement se retrouve encadré par des policiers, et il attend jusqu’à trois heures pour être entendu, ce qui constitue un précédent. On le fouille. On lui retire son téléphone. Cela ne se produisait plus depuis très, très longtemps. Dans un pays corrompu dont la classe dirigeante ne veut surtout pas lutter contre la corruption, Marwan Abboud entend montrer qu’on ne se présente plus au Conseil supérieur de discipline comme si l’on entrait dans un salon, et que le simple fait d’y être convoqué montre la gravité de la faute. A la Cour des comptes, l’intègre Marwan avait également suffisamment de force de caractère pour faire face aux pressions des politiciens (auxquels le secteur de la justice est inféodé). Ces pressions sont-elles plus fortes à présent qu’il a un poste plus important ? « Tout à fait, assure-t-il, parce que le rapport est plus direct ; je rencontre les responsables politiques continûment dans les occasions officielles. » Nous lui faisons confiance pour se tirer d’affaire : son téléphone sonne, il ne décroche pas. Ainsi évite-t-il adroitement la friction avec les politiciens et se dérobe-t-il à leurs ingérences. Il convient pourtant de nuancer, le paysage de la lutte anti-corruption n’est pas aussi encourageant qu’on le souhaiterait. Le Conseil reçoit les dossiers communiqués par l’Inspection centrale (ou l’autorité ayant le pouvoir de nomination), donc son dynamisme et sa charge de travail dépendent principalement de l’Inspection centrale. Abboud est-il satisfait du travail de l’Inspection centrale au milieu de l’avalanche de critiques qu’elle reçoit ? « Les organismes de contrôle, malheureusement, traversent leur période la moins glorieuse dans l’histoire du Liban, en l’absence d’un climat de réforme au plus haut niveau de l’Etat », répond-il. De plus, la classe politique (majoritairement corrompue) nomme et promeut les présidents, les juges et les cadres des organismes de contrôle. Comment espérer un réel combat contre la corruption de la part de ces organismes tant que le mécanisme de nomination et de promotion est tel ? Abboud reste réaliste, il estime qu’un combat décisif ne peut avoir lieu dans un futur proche ; pour cela, il nous faudrait un président de la République de l’envergure d’un Fouad Chéhab, lequel coordonnait lui-même le travail des organismes de contrôle. Bien souvent, les organismes de contrôle censés se dresser contre le système corrompu finissent par faire partie de ce même système. Les gens qui suivent avec intérêt le combat contre la corruption espèrent pourtant un changement avec la personnalité d’Abboud. A la question : « Y a-t-il un risque qu’un jour le Conseil supérieur de discipline sous Marwan Abboud finisse par faire lui aussi partie du système ? », il nous répond modestement : « Que Dieu nous donne assez de force d’âme pour y résister. Parce que la lutte la plus ardue est finalement celle que l’on mène contre soi-même. » ■