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Note de veille, 25 novembre 2011
Les implications du réseau ferroviaire à grande vitesse chinois
pour la sécurité alimentaire du pays
La Chine développe actuellement un réseau ferroviaire à grande vitesse qui devrait atteindre
16 000 kilomètres (km) d’ici 2020. Une note d’analyse publiée par la S. Rajaratnam School
of International Studies (université technologique de Nanyang) de Singapour 1 envisage les
implications de ce réseau pour la sécurité alimentaire du pays.
La Chine a lancé un plan très ambitieux de développement de son réseau ferroviaire à grande
vitesse (entre 250 km/h et 350 km/h). Né en 2007, le réseau est déjà le plus long du monde.
Avec plus de 8 000 kilomètres de ligne fin 2010, il devrait atteindre 13 000 kilomètres d’ici
2012 et 16 000 kilomètres d’ici 2020. L’objectif est de relier toutes les villes de plus de
500 000 habitants afin que le réseau puisse desservir 90 % de la population.
1
ZHANG Hongzhou et ZHANG Mingliang. « China’s High Speed Rail System: Impact on Food
Security ». RSIS Commentaries, n° 146/2011, 13 octobre 2011, www.rsis.edu.sg
© Futuribles, Système Vigie, 25 novembre 2011
1
Plan prévisionnel du réseau ferroviaire à grande vitesse chinois en 2020
Source : AMOS Paul, BULLOCK Dick et SONDHI Jitendra. High Speed Rail: The Fast
Track to Economic Development ? Pékin : Banque mondiale, juillet 2010, IV-23 p.,
www.worldbank.org/china
Une succession d’événements a récemment placé ce projet pharaonique sur la sellette 2. Il y
eut d’abord, en février 2011, le limogeage du ministre chinois des Chemins de fer, Liu
Zhijun, accusé de corruption. Vinrent ensuite les pannes et les retards à répétition sur la
nouvelle ligne de train à grande vitesse reliant Pékin à Shanghai (1 300 km), seulement
quelques semaines après son inauguration en grande pompe, le 30 juin 2011, à la veille du
90e anniversaire du Parti communiste chinois. Le 23 juillet 2011, enfin, près de Wenzhou
(province de Zhejiang) la collision de deux trains à grande vitesse faisait au moins 40 morts
et près de 200 blessés.
Suite à cet enchaînement, les critiques ont essentiellement visé la rationalité économique du
projet ainsi que la sécurité du réseau. Le montant des investissements pour l’achèvement de
la totalité du réseau est évalué par le ministère des Chemins de fer à 300 milliards de dollars
US. Suite aux emprunts colossaux contractés auprès des banques pour financer la
construction, la dette du ministère des Chemins de fer était estimée en mars 2011 à 274
milliards de dollars US. Il s’agit « peut-être [du] plus grand programme d’investissement sur
le transport de passagers jamais lancé par un seul pays », indique un rapport de la Banque
mondiale 3. En matière de sécurité, le grave accident survenu près de Wenzhou a confirmé les
doutes sur les choix technologiques et les conditions de construction d’un réseau développé à
marche forcée, dans un contexte entaché de corruption et de passation frauduleuses des
marchés publics.
2
THIBAULT Harold. « Chine : une collision nourrit les interrogations sur les nouveaux trains ». Le
Monde, 24 juillet 2011.
3
AMOS Paul, BULLOCK Dick et SONDHI Jitendra. Op. cit.
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2
Dans une analyse publiée par la RSIS de Singapour, deux universitaires, Zhang Hongzhou et
Zhang Mingliang, plaident pour une évaluation des implications de ce réseau à grande vitesse
fondée sur une perspective plus large, qui puisse en particulier inclure les aspects liés à la
sécurité alimentaire. Selon les statistiques officielles, la construction de la ligne PékinShanghai a nécessité l’utilisation de 500 000 hectares. Si l’ensemble de cette superficie
n’était pas exclusivement constitué de terres agricoles, l’extension du réseau ferroviaire à
grande vitesse entraîne une diminution non négligeable des réserves de terres cultivables,
d’autant plus qu’elle intervient dans un contexte déjà tendu.
La Chine dispose de 9 % des terres de la planète pour nourrir 20 % de la population
mondiale. L’industrialisation et l’urbanisation qui ont accompagné l’émergence de la Chine
au cours des années récentes ont eu pour conséquence un recul constant de la superficie des
terres cultivables, encore aggravé par les spéculations sur le marché foncier. En 2006, les
autorités chinoises avaient fixé à 120 000 hectares le seuil de la superficie des terres
cultivables au dessous duquel la sécurité alimentaire du pays était menacée. Or, celui-ci est
aujourd’hui pratiquement atteint, avec une superficie des terres cultivables estimée à 121,7
millions d’hectares.
La construction du réseau ferroviaire à grande vitesse chinois est marquée par la création de
gares immenses qui occupent des superficies foncières considérables. La nouvelle gare de
Shanghai-Hongquiao, inaugurée le 1er juillet 2010, s’étend par exemple sur plus de 130
hectares, ce qui en fait la plus grande gare d’Asie 4. Les autorités locales considèrent les voies
à grande vitesse comme l’opportunité d’attirer les investissements et ont établi des projets de
développement dans un rayon de deux kilomètres autour de pratiquement toutes les gares du
réseau, avec pour conséquence une accélération du processus d’urbanisation et une perte de
terres cultivables souvent de grande qualité.
Toujours en lien avec la problématique de la sécurité alimentaire, mais sur le versant positif,
la construction du réseau ferroviaire à grande vitesse pourrait contribuer à une efficacité plus
grande de la chaîne d’approvisionnement. L’immensité de la Chine constitue un défi pour
l’acheminement des denrées alimentaires des centres de production vers les principaux
marchés de consommation. Le transport routier est souvent trop lent, le transport aérien trop
coûteux et l’utilisation des lignes ferroviaires normales est réservée en priorité au transport
des passagers. De nombreux experts attribuent aux dysfonctionnements de la chaîne
d’approvisionnement la hausse ou la baisse importante des prix alimentaires, en particulier
pour les fruits et légumes. Le réseau ferroviaire à grande vitesse pourrait contribuer à
améliorer l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement pour deux raisons. D’une part, en
diminuant le nombre des passagers sur le réseau ordinaire, il libérera une capacité qui pourra
être employée pour le transport des denrées alimentaires à un coût réduit. D’autre part, en cas
de situation d’urgence, il pourra être mobilisé pour le transport des denrées alimentaires en
direction des régions touchées par la pénurie, dans les délais appropriés, afin de prévenir la
panique et de stabiliser le marché.
Les revers qui se sont succédé au cours de l’année 2011 et une défiance croissante de
l’opinion publique n’ont pas entamé la détermination du gouvernement chinois à mener le
plan de développement du réseau ferroviaire à grande vitesse à son terme. Celui-ci est
4
Xinhua. « Shanghai to Have Asia’s Largest Railway Station », 12 août 2006,
http://news.xinhuanet.com
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3
présenté « comme un élément majeur de l’œuvre de modernisation du pays par l’État-Parti et
comme l’une des nouvelles fiertés nationales 5 ». Les remises en cause ne sont pas allées audelà d’une campagne d’inspection des infrastructures et d’une limitation de la vitesse des
trains à 250 km/h pour les plus rapides. Après un brève période de flottement, l’État central a
réitéré son engagement à long terme dans le secteur en annonçant au début du mois de
novembre 2011 une injection massive de capital, 200 milliards de yuans (23 milliards
d’euros) mis à la disposition du ministère des Chemins de fer 6.
Comme dans d’autres entreprises d’envergure comparable et qui furent également l’objet de
controverses (on pense on barrage des Trois Gorges), l’analyse rationnelle des implications
de la construction du réseau ferroviaire à grande vitesse cède le pas devant l’inclination
démiurgique de l’État-Parti et la puissance d’intérêts opaques que la révélation des affaires de
corruption n’identifie que superficiellement. « Pour un projet aussi gigantesque que le réseau
ferroviaire à grande vitesse, ses ramifications sociétales élargies, particulièrement au sujet de
la sécurité alimentaire, doivent être soigneusement examinées 7 » continuent à plaider les
partisans d’une approche qui mette rationnellement en balance coûts et bénéfices, risques et
avantages.
Autre source : « Les trains à grande vitesse sont sur la bonne voie ». China Daily, 7 mars
2011.
Yann Vinh
Champ de veille : Dynamique des territoires
Mots clefs : Chine / Transport ferroviaire / Alimentation
5
THIBAULT Harold. Op. cit.
GRESILLON Gabriel. « Pékin rassure les investisseurs en injectant des liquidités dans ses chemins
de fer ». Les Échos, 2 novembre 2011.
7
Zhang Hongzhou et Zhang Mingliang. Op. cit.
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© Futuribles, Système Vigie, 25 novembre 2011
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