J`ai osé divorcer à la retraite
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J`ai osé divorcer à la retraite
Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Dossier coordonné par Christine Grandin ” e it a tr e r la à r e c r o iv d “J’ai osé Divorcer à la retraite est de plus en plus courant. Pourtant, c'est une décision plus difficile à prendre parce que les conséquences familiales touchent plusieurs générations. Décryptage et témoignages. @ TÉMOIGNAGES RÉAGISSEZ sur acines.fr www.magazine-r “Je veux finir ma vie tranquille…” “Q uand, je me suis mariée, j'étais très jeune. Cela va faire 58 ans. À l'époque, j'avais mon Brevet, et je travaillais dans l'enseignement. Nous sommes tous les deux nés au Maroc. Quand je me suis mariée, j'ai arrêté de travailler parce que pour mon mari, Pied-Noir, la femme devait rester à la maison, "obéir". Nous sommes rentrés en France en 1958. J'ai eu trois enfants. Aujourd'hui, j'ai treize petitsenfants et deux arrière petits-enfants. Je ne peux pas dire que mon mari ait de gros défauts. Mais c'est un homme avec qui on ne peut pas s'expliquer ou dialoguer : “l'homme a toujours raison”. Mais comme il avait sa vie et moi la mienne, je m’en suis accommodée. Avec les enfants, j'étais toujours très occupée, avec la maison, le ménage et le jardin. On a fait construire, ça a été très dur avec un seul salaire. On vivait ensemble comme ça, j'avais des activités à l'extérieur, je faisais beaucoup de bénévolat, j'allais marcher, j'avais beaucoup de copines. Et puis, il s'est retrouvé à la retraite en 1985. On a changé de logement : RACINES 18 avril 2009 il n'aimait pas le jardin, il n'aimait pas bricoler, on a donc pris un appartement. Et là il a commencé à me dire : "tu fais quoi ? Tu vas où ? Tu reviens à quelle heure ?" J'ai commencé à stresser vraiment, à ce moment-là, parce que j'étais constamment contrôlée. C'est toujours lui qui prenait le volant, je ne pouvais pas prendre la voiture ou partir seule. Il fallait que je lui fasse à manger, je faisais tout dans la maison. Là, j'ai mis les choses au clair : je lui ai dit, "toi, tu as ta vie ; moi j'ai la mienne." J'ai pu continuer à marcher, à voir La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous mes copines. Avec mon mari, on se côtoyait, mais sans trop se gêner. Et puis, il y avait toujours du monde à la maison, des amis, la famille, les petits-enfants. Nous n'avions pas d'ascenseur et il ne m'aidait jamais pour les courses. Un jour, j'en ai eu marre, parce que je me tapais tout le boulot pendant qu'il regardait la télévision. Je lui ai dit : "on va vendre cet appartement, tu mèneras ta vie, moi la mienne". Il m'a répondu qu'il n'en était pas question et qu'il ferait des efforts. On a pris un T3 ailleurs avec un ascenseur. Mais moi, je suis une fille de la campagne. Ça me manque. Mais, je me suis adaptée à la situation. Et puis, il a été malade en vieillissant (il a 84 ans) et il est devenu très exigeant, sans le dire clairement. Avec de petites brimades : quand j'écoute la radio, il l'éteint. Quand je fais les mots croisés, il m'enlève le journal… Je ne crois pas qu'il le fasse exprès, je ne sais pas trop. Je lui ai dit : "on est un couple, on est mariés depuis longtemps, il faut parler…" La seule chose qu'il me dit c'est : "ne t'inquiète pas, je ferai des efforts…" Et quand je lui dit, "je veux partir", il me répond : "tu peux partir, mais tout ici est à moi." Il n'est pas méchant, et il y a plus malheureux que moi. Mais j'ai envie de finir ma vie tranquillement. Je suis en train de me renseigner pour envisager la séparation. Mais je ne pourrai avoir que 630 € par mois pour vivre. Si je pars, c'est moi qui suis "punie". Je prends des antidépresseurs, je n'en peux plus.” Juliette, 76 ans “Soulagée d'avoir pris une décision” est moi qui ai quitté mon mari après plus de 40 ans de vie commune. L'alcoolisme, les femmes, ça faisait beaucoup, j'ai préféré partir pour avoir une chance de finir ma vie un peu plus tranquille. J'ai fait le gros dos pendant des années, quelquefois la "garde-malade" quand il allait trop mal. C'est difficile à faire après tout ce temps, mais en évitant de vivre le passé en vivant au présent, j'ai arrêté de survivre et commencé à revivre. La décision n'est pas facile, mais quand on a sauté le pas, quel soulagement !” “C' Françoise, 63 ans “Mes parents ne s'entendent plus” ela fait des années que nos parents se déchirent et vivent comme chien et chat, ou bien chacun de leur côté la plupart du temps. Et bien sûr, c'est pire depuis qu'ils sont à la retraite. Ma mère, qui s'est confiée à moi, voudrait bien partir, mais comme elle n'a pas beaucoup travaillé, elle ne sait pas de quoi elle va vivre. Moi et mes frères et sœurs préférerions que la situation soit claire en l'aidant à se séparer ou à divorcer, même si nous n'avons rien "contre" notre père. C'est leur vie à eux, mais je ne comprends pas pourquoi, ils sont restés si longtemps ensemble en vivant comme ça, sans amour, dans une situation invivable, quelquefois, pour leur entourage.” “C Cécile, 48 ans “Une retraite chamboulée” nseignante, je prends ma retraite cette année. Je vais être obligée de demander le divorce pour cause d'abandon du domicile conjugal par mon mari qui est parti avec une jeune femme, dont "il est fou amoureux" m'a-t-il dit. Je suis actuellement séparée, mais j'ai l'impression qu'on m'a volé 35 années de ma vie. J'ai mes enfants près de moi, c'est ce qui me fait tenir. Mais je vais devoir vendre la maison de famille, avec tous les souvenirs qui vont avec. J'ai beaucoup de mal à me faire à tous ces bouleversements et je ne vois pas ce que l'avenir me réserve. Divorce, solitude, déménagement, ça fait beaucoup.” “E Annie, 58 ans RACINES 19 avril 2009 Association des Solos “La séparation des parents est désormais à l'origine des trois quarts des familles monoparentales. Un changement radical par rapport à 1962, où les veufs et veuves représentaient 55 % de ces familles. Un pourcentage qui s'est réduit à 7,5 % en 2004. On enregistre en France plus de 152 000 divorces par an contre environ 45 000 en 1972…” Ces évolutions sont à l'origine de la création, en 2000, de l'Association Française des Solos qui compte aujourd'hui 70 antennes et plus de 7 000 adhérents à travers la France. Vivre une séparation, c'est faire un deuil, se retrouver seul, perdre quelquefois ses repères. Les antennes des Solos proposent un nouveau réseau amical, en tissant des liens dans le cadre des activités de l'association (festives, culturelles et sportives). Cette structure incite aussi les personnes à gérer leur divorce ou leur séparation en recherchant toutes les solutions amiables possibles pour éviter les déchirements et préserver l'équilibre des enfants. Dans notre région : Les Solos 49 à Angers : contact Colette au 06 10 07 10 98 ou au 02 53 61 65 71. Les Solos du Cadre noir à Saumur : contact Dominique au 06 83 67 24 87 ou sur [email protected] Les Solos nantais à Nantes : contact Jocelyne au 06 11 04 26 95 ou sur [email protected] Site national : www.asso-des-solos.fr La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous Par Jeanne Vrignaud conseillère familiale de l’association Couples et familles(1) L’avis de l’expert Lors de vos entretiens de conseillère conjugale, rencontrez-vous de plus en plus de couples qui se séparent avant ou après la retraite. Voire lorsqu'ils sont très vieux ? C'est surtout vers la soixantaine, généralement deux ou trois ans après la prise de retraite des deux conjoints, que l'on voit effectivement de plus en plus de divorces. Dans nos consultations de couple, cela représente au moins 20 % des cas. Ce qui ne veut pas dire que tous ceux qui consultent vont divorcer. Mais la majorité est déjà presque en rupture. Surtout les femmes. “Ce sont les femmes, qui, la plupart du temps demandent le divorce à cet âge-là.” Des couples très vieux, c'est plus rare. Mais mes confrères en maison de retraite m'ont dit que cette situation existait. Quand on vient vivre en couple en établissement, l'univers est “rétréci”, l'espace de vie à deux plus réduit et cela peut faire surgir des tas de rancœurs. Qui demande le divorce ? Cela touche-t-il toutes les catégories sociales ? Cela touche tout le monde, et surtout, toutes les femmes, qui actuellement bénéficient d'une retraite, qu’elle soit confortable ou un peu moins. Devenues autonomes financièrement, cela explique qu'aujourd'hui ce sont elles qui, la plupart du temps, demandent le divorce à cet âge-là. Pour la génération d'avant, c'était beaucoup plus difficile, voire impossible. C'est aussi à ce moment-là qu'elles avouent : “Je n'ai pas été heureuse, mon mari ne s'occupait pas de moi.” Ou “il a bu pendant un certain temps”, ou encore “il m'a trompée”… Beaucoup d'entre elles sont restées “à cause des enfants”, et ne voulaient “pas partir avant qu'ils soient casés”. À partir du moment où l'on se retrouve tous les deux face à face, là, le conflit éclate. Et elles (ou ils) prennent la décision de s'en aller. Dans ces circonstanceslà, la demande vient, dans la grande majorité des cas, des femmes. Je ne veux pas généraliser, mais pour les hommes, le cas de figure le plus courant, c'est qu'ils ont trouvé une conjointe plus jeune. Certains veulent “revivre une deuxième RACINES 20 avril 2009 jeunesse”, alors que les femmes insistent moins sur cet aspect-là et plus sur les sentiments. Quelles en sont les raisons concrètes ? L'argument de la séparation tient aussi au fait, qu'à 60 ans, on a encore “la vie devant soi”, ou en tout cas vingt à 25 ans, voire plus à vivre. Quand la situation est trop intenable, pas heureuse du tout, on se dit, “Je vais me séparer pour me retrouver seul(e), sans mon conjoint, pour pouvoir faire ce que je veux.” Ce qui rejoint un sentiment de liberté, souvent exprimé. Mais pas forcément libre pour refaire un autre couple. Au départ, c'est être libre au sens d'être “libéré(e)” de ce conjoint que l'on supporte depuis plus de trente ou quarante ans. Elles ou ils se posent, veulent rester seuls(es). Mais les motifs d'une séparation peuvent prendre toutes les graduations : de la routine à deux que l'on ne peut plus porter après toutes ces années, au harcèlement moral, voire à la violence physique ou gestuelle. Comme dans les situations d'épouses d'hommes alcooliques qui sont restées parce qu'elles pensaient que, peutêtre, à la longue, elles arriveraient à le sortir de là. Cela n'a pas marché, alors, elles s'en vont. C'est aussi tout simplement quelquefois un empilement, un entassement, une compilation de tout un tas de petits détails que l'on ne peut plus supporter. L'entourage, les amis, les enfants surtout, prennent souvent mal cette décision. Comment l'annoncer ? Quand on décide de se séparer, la grosse pierre d'achoppement c'est : La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Magazine Racines, le temps de vivre près de chez vous “qu'est-ce que les enfants vont dire ?” “Comment vont-ils le prendre ?” Aujourd'hui, on passe par-dessus. Mais plus ou moins facilement. Certains, malgré toute leur envie, mettent du temps à franchir le pas. La vie familiale va en être totalement bouleversée, et la plupart du temps, les enfants ne s'y attendent pas. Parce que ce ne sont pas des choses que l'on met sur la table en famille. On garde ça pour soi, souvent depuis des années. Quand les enfants sont mis devant le fait accompli, ils ont beaucoup de mal à comprendre. Leur réaction dépendra de la relation qu'ils ont avec leur père ou leur mère. Si le dialogue existe, on pourra s'expliquer, et généralement ils finiront par admettre. Les relations familiales seront, bien sûr, modifiées par cet événement, d'autant plus s'ils ont un rôle de grandsparents. Cela décompose toute une chaîne, c'est pour ça que la décision est beaucoup plus difficile à cet âgelà. Vis-à-vis des amis, c'est plus facile. Ils seront moins étonnés : maintenant, c'est la “mode”, si ça ne va plus, on s'en va. “On s'est aimés, on ne s'aime plus, on n'a plus de désir l'un pour l'autre”, alors on se sépare. La société admet plus facilement les séparations qu'autrefois. (1) Jeanne Vrignaud est aussi conférencière et formatrice dans le cadre de l'association nationale Couples et familles. Contact de La Roche-sur-Yon au 02 51 36 38 09. À Nantes : 02 40 43 83 04. Fédération nationale : 01 42 85 25 98. www.couples-et-familles.com Yves Clercq, psychologue des âges de la vie (1) “Le divorce des seniors reflète notre société actuelle” ociologiquement : le divorce des seniors est révélateur du fait que nous n'ayons plus affaire à la même génération de retraités. Ils sont à l'image de leur temps, avec un désir d'épanouissement personnel et de liberté. D'après certains auteurs, cela révèle aussi un changement profond du statut de la femme dans notre société : autrefois quand il y avait divorce, c'était plus généralement l'homme qui partait pour une femme plus jeune. On se rend compte qu'aujourd'hui le divorce est beaucoup plus le fait de femmes qui attendent la retraite, ou que leurs enfants soient complètement lancés dans la vie, pour partir et quitter une vie de couple peu épanouissante, un statut qui ne leur convient pas. Il est aussi question de la place de la sexualité et du plaisir dans cette génération qui a été adolescente à l'époque des Sixties… S Psychologiquement : avec la retraite d'un des deux conjoints, les liens traditionnels du couple (engagement, enfant, etc) se distendent parfois et mettent à jour des conflits sous-jacents ou des décalages importants. Actuellement (cotisation retraite oblige !), il arrive assez souvent que les hommes prennent leur retraite avant les femmes et que cette nouvelle place à la maison ne soit pas toujours simple à vivre. La vie à deux sans enfants, sans travail, si elle n'est pas accompagnée par un vrai projet commun et individuel, risque d'être mise à mal par le remaniement identitaire qui accompagne ce temps de la vie. La tentation de repartir à zéro, de refaire sa vie peut être très grande. Ce qui, hélas, n'est pas sans conséquences, parfois sur le long terme, pour les enfants ou pour les personnes elles-mêmes. Pour certaines la tentation du divorce peut être aussi une tentative de fuite psychologique de la peur de vieillir et de la dépendance. Ou bien un besoin de se rassurer sur sa capacité à plaire et à rester performant. condamnés au divorce. On sait aussi que les époux qui ont appris à vivre une sexualité qui dépasse la “performance sexuelle” et qui ont accepté les différences de rythme de leur conjoint (e) plus âgé(e), ont une bien meilleure vie intime après 60 ans et jusque dans le grand âge. (1) Consultant à l'Institut de Meslay, à Montaigu. Personnellement : la crise du couple est normale au moment de la retraite, voire nécessaire. Si le divorce des seniors est un phénomène qui reflète en fin de compte notre société actuelle, celui-ci n'est pas forcément inéluctable. Les couples qui préparent leur retraite, qui acceptent que la vie de couple soit faite de remaniements des rôles et de leur place dans cet espace à deux, ne sont pas forcément RACINES 21 avril 2009 La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine