Lolita ou la nostalgie des amours clémentines

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Lolita ou la nostalgie des amours clémentines
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e-mail : [email protected]
’Ashtaroût
Cahier hors-série n° 6 (décembre 2005) ~ Matriochkas & autres Lolitas / Le Cinquantenaire de Lolita, pp. 136-140
ISSN 1727-2009
Eddy Chouéri
Lolita ou la nostalgie des amours clémentines
E
n 1997 Lolita, le film d‟Adrian Lyne, fut
projeté sur les grands écrans de Beyrouth.
Quatre acteurs triés sur le volet jouaient les
personnages du roman de Vladimir Nabokov
paru en 1955. Jeremy Irons y interprétait le rôle
de Humbert Humbert, Melanie Griffith celui de
Mrs Haze, la mère de Lolita, tandis que le rôle de
celle-ci était confié à Dominique Swain, une actrice non professionnelle qui apparaissait alors
pour la première fois à l‟écran. Enfin, le magnifique Frank Langella tenait le rôle de Clare Quilty.
roman de Nabokov que celle de Kubrick, même
si elle diffère du roman sur quelques points de
détail, Ŕ signalés ci-dessous par un astérisque (*).
À mon avis, cette version colle mieux que celle
de Kubrick aux caractères des personnages, et,
en ce sens, le choix des acteurs est plus pertinent.
Lyne a ainsi très bien traduit l‟ambiance générale
du roman à travers les trois personnages principaux, Ŕ une ambiance humoristique et sentimentale. Humbert, est sentimental et ridicule, Lolita est
un lutin séducteur, Quilty, est cocasse et mystérieux.
Signalons au passage les bonus de la version
DVD d‟Adrian Lyne qui inclut des scènes supprimées lors du montage final, ainsi qu‟une répétition entre Irons et Swain dirigée par le metteur
en scène.
Après mon article sur Malèna, le film de Tornatore 1, j‟aborde ici, avec Lolita, un autre film-clé
traitant de la sexualité à l‟adolescence.
● MATERIEL
J‟ai lu le roman de Nabokov dans la première
traduction française d‟Eric H. Kahane, reprise
dans l‟ancienne édition de la collection Folio 2.
J‟en avais trouvé l‟année dernière un exemplaire
bradé pour 0.5 € au Centre Culturel Français.
J‟ai revu la version en DVD du film de Lyne
ainsi que la précédente version cinématographique tempo lente de Stanley Kubrick 3 qui remonte à
1962.
Il me semble que la lecture cinématographique de Lyne est plus esthétique et plus fidèle au
● L’INTRIGUE DU FILM D’ADRIAN LYNE
On peut diviser l‟intrigue en deux parties
selon que les événements ont lieu en France ou
en Amérique, au passé ou au présent narratif.
En France (le passé)
L’enfance
de Humbert
Sa mère meurt quand il a trois ans. Il est élevé par sa tante maternelle et son père qui ont
avec lui une très bonne relation. En gros Humbert
était un enfant aimé, sans histoires.
CHOUERI, Eddy : (2002) « Malèna... ou l‟entrée dans la vie de Renato », in ’Aschtaroût, cahier hors-série n°5, déc. 2002, pp. 42-45.
1
L’entré dans la vie
À 14 ans, au cours de l‟été, il rencontre son
premier amour : Annabelle. Il nous en confie
ceci : ils furent « passionnément gauchement franchement atrocement amoureux ». Écoutez encore ceci :
NABOKOV, Vladimir : (1955) Lolita, trad. d‟E.H. Kahane [1959],
rééd., Paris, Gallimard, Folio n°899, 1981, in-12, 502p.
3 Staring : James Mason (Humbert), Shelley Winters (Mrs Haze),
Sue Lyon (Lolita), Peter Sellers (Quilty), Ŕ 1962, 2h33.
2
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« désespérément car nous n’aurions pu apaiser ce désir de
possession mutuelle qu’en nous imprégnant littéralement
l’un de l’autre ». Durant cet été ils n‟ont pas l‟occasion de s‟aimer charnellement. Pire : sa bienaimée lui est arrachée ; elle meurt du typhus.
dégrader. Humbert devient de plus en plus possessif, et Lolita le quitte finalement pour Clare
Quilty.
Entre temps Rita, une jeune femme de trente
ans ayant l‟air d‟une nymphette, prend la relève.
Fatalité de la répétition : Lotita était une nouvelle
version d‟Annabelle, Rita est une nouvelle version de Valérie.
Puis un beau jour, Humbert reçoit une lettre
de Lolita lui réclamant son aide pécuniaire pour
joindre les deux bouts.
Armé de son revolver il se précipite chez elle,
mais ce n‟est pas pour la tuer, Ŕ elle la prunelle
de ses yeux. Il n‟en veut qu‟au salopard qui la lui
a ravie. Surprise : il découvre que Lolita est enceinte d‟un jeune homme nommé Dick avec qui
elle vit maritalement. Elle lui apprend que Clare
Quilty, l‟homme qui la lui a dérobée, lui avait
promis de faire d‟elle une star, mais qu‟il n‟était
en réalité qu‟un pervers impuissant. Il ne reste
plus à Humbert qu‟à exécuter son dessein en
allant tuer Quilty et à mourir lui-même en prison
pour expier ce crime.
La seule immortalité qu‟Humbert va partager
avec sa Lolita, est cette confession, rédigée en
prison, et qu‟il charge son avocat de publier à
titre posthume.
L’âge d’homme
Par la suite, les expériences sexuelles qui
furent le lot de Humbert ne sont qu‟analgésiques
ou palliatives. Il souffre de dépression et d‟insomnie. Entre temps, il est devenu un homme de
lettres. Mais, comme Edgar Allan Poe, il demeure hanté par son Annabelle.
Pour se protéger de ses fantasmes, dès lors
entièrement orientés vers les nymphettes de quatorze ans, il se marie avec Valérie qui se présente
à lui comme une imitation de petite fille. Le piteux compromis que constitue ce mariage ne dure pas. Valérie convole avec un autre. Après son
divorce, Humbert part s‟installer en Amérique.
En Amérique (le présent narratif)
La résurrection
d’Annabelle
De manière inattendue, la nymphette de sa
vie réapparaît sous ses yeux médusés sous les
traits de Lolita, la fille de sa logeuse Mrs Haze.
Lolita voit en lui l‟incarnation d‟une star de cinéma*. Mais c‟est Mrs Haze qui tombe amoureuse
de lui. Humbert décide de l‟épouser pour demeurer aux côtés de la jeune fille, âgée alors de treize
ans. Peu de temps après, Mrs Haze découvre son
dessein pervers en lisant son journal intime. Sa
fureur la précipite accidentellement sous une voiture, et elle meurt. Humbert devient le protecteur de Lo et ne tarde pas à en faire sa maîtresse.
Comme dans une sorte de lune de miel, ils
traversent l‟Amérique d‟un motel à l‟autre, à la
manière dont on saute d‟une pierre de gué à
l‟autre. Mais dans leur sillage un autre quadragénaire est à leurs trousses : Clare Quilty. C‟est aussi
un homme de lettres, un dramaturge à succès. La
relation entre Humbert et Lolita commence à se
● FILIATIONS
Avant de poursuivre notre analyse, examinons deux filiations culturelles de ce roman.
La première est soulignée dans l‟admirable
étude psycholinguistique du roman par Roger
Brown 1. L‟Annabelle de Nabokov procède de
l‟Annabel Lee du dernier poème d‟Edgar Allan
Poe en 1849. Il faut prendre au sérieux cette indication d‟intertextualité fournie au demeurant
BROWN, Roger : (1959) « A review of Nabokov‟s Lolita », repris
in Psycholinguistics, New York, Free Press, 1970, pp. 370-376. Trad.
de Eddy Chouéri, revue par Amine Azar : « Recension de la Lolita
de Nabokov », ’Aschtaroût, bulletin volant, n° 2005∙1116, nov.
2005, 5 p. (Ici même, pp. 131-135)
1
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par Nabokov lui-même. Le poème de Poe traite
du « plus poétique sujet du monde : la mort d’une belle
femme ». Mais la vie amoureuse de Poe, épousant
à l‟âge de 29 ans sa cousine Virginie âgée ellemême de 14 ans, semble avoir été à la source de
l‟inspiration de Nabokov. Le cas est loin d‟être
exceptionnel. Ainsi, un autre romancier contemporain, Milan Kundera, sera également fasciné
par ces sortes d‟« amours discordantes » entre un
homme âgé et une nymphette, plaçant l‟intrigue
entre le vieux Gœthe et la toute jeune Bettina
Brentano au centre de l‟un de ses meilleurs romans intitulé significativement : L’Immortalité 1.
L‟autre filiation est celle que signale Denis de
Rougemont 2 qui considère le roman de Nabokov comme l‟une des nouvelles métamorphoses
de l‟archétype médiéval de Tristan. Il classe Lolita
ainsi que deux autres romans contemporains Ŕ
Le Docteur Zivago de Boris Pasternak et L’Homme
sans qualités de Robert Musil Ŕ comme de vrais
romans d‟amour-passion du XXe siècle. Il note
plusieurs points communs entre eux : un obstacle, une relation hors du mariage, la mort
précoce de la mère, un philtre, etc. Le nom de
l‟hôtel (Les Chasseurs Enchantés) où se passe la nuit
de la séduction rappelle, selon Rougemont, l‟état
de transe de la scène des aveux dans Tristan. Et
comme dans Tristan l‟auteur n‟est pas intéressé
par le côté sexuel mais par la magie d‟Éros...
homme asservi par le choix d‟objet de son adolescence au point de devenir un criminel et un
meurtrier ?
Ainsi, déjà au cours de son mariage avec Mrs
Haze, Humbert rêve de la tuer en la noyant dans
un lac. Pourtant, il se voit lui-même comme un
doux rêveur mélancolique, prêt à sacrifier sa vie
pour avoir une chance de toucher sa nymphette.
Il ne se voit pas comme un tueur ou un assassin.
« Les poètes ne tuent point », dit-il… Néanmoins, il
exécute Quilty dans le film d‟une façon poétique * Ŕ certes Ŕ mais assurément brutale !
● CONFRONTATIONS
Pour mieux cerner cette énigme, je me suis
appuyé sur deux autres films, d‟autant que Nabokov a fait de Humbert un personnage psychologiquement opaque et sur qui nous n‟avons pas de
prise directe. Il faut trouver un biais par quoi
accéder à lui latéralement. Le premier film est
« Léon » de Luc Besson 3, le second « Lost in
translation » de Sofia Coppola 4. J‟utiliserai Léon
comme un portrait en négatif de celui de Humbert et Lost in translation comme un point d‟appui
pour explorer mon contre-transfert personnel.
Entre Humbert et Léon les situations sont
communes, mais chacun y réagit de manière diamétralement différente. Tout les deux sont
« séduits » par des Lutins adolescentes de 12/13
ans laissées seules au monde, ce qui leur permet
à eux de jouer le rôle de sauveurs, et de vagabonder ensuite d‟un motel (ou d‟un hôtel) à l‟autre.
Dans Léon, le point fort à mes yeux est
l‟équation phallique de Souveraineté où la mort
est regardée droit dans les yeux et défiée avec

Tout cela, voyez-vous, me confond et me
laisse perplexe ! Malgré le titre, centré sur Lolita,
le personnage qui m‟intéresse personnellement
est Humbert.
Par quel mécanisme un enfant gai et normal
comme ce qu‟il avait été se transforme en un
Titre anglais : « The Professionnal ». Staring Jean Reno (Léon),
Gary Oldman (le policier véreux) et Nathalie Portman (Mathilda).
Gaumont, 1994, 1h45.
4 Staring Bill Murray et Scarlett Johanssen. Universal, 2005. Le
titre perd sa saveur si l‟on tente de le traduire en français : perdu en
cours de correspondance...
3
KUNDERA, Milan : (1990) L’Immortalité, traduit du tchèque par
Eva Bloch, postface de François Ricard, Paris, Gallimard, Folio
n° 2447, in-12, 1998, 536p.
2 ROUGEMONT, Denis de : (1961) Les Mythes de l’amour, Paris, Gallimard, collec. Idées n°144, 1967, in-12, 317 p. ( → pp. 51-88)
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morgue. Natalie Portman en Mathilda y est absolument impayable.
pas faute de le lui traduire en clair après le décès
de sa mère, au moment où il cherche ses mots,
s‟embarrasse et bredouille. Lolita vient à son secours brutalement et lui rétorque avec insolence :
« Le mot juste est inceste ». Mais non pas n‟importe lequel, s‟il vous plaît ! On est tenté de penser à
l‟inceste de type œdipien, entre père et fille. Poe
nous révèle le sens exact de ce mot. Il appelait sa
Virginie « Sis », diminutif de sister : sœur. L‟inceste est donc ici de type sororal, fraternel.
Autre chose lie encore Léon et Humbert :
c‟est la tendresse. À la page 185 et à la page 191
Humbert le formule d‟une façon très claire :
« J’ai beaucoup de tendresse pour toi, c’est tout »…
« J’éprouve envers toi une tendresse profonde ». Le rapport sexuel y est donc de surcroît.
ACHTUNG ! Il existe plusieurs versions commercialisées de Léon où certaines séquences ont été censurées.
En particulier celle qui m’intéresse ici.
Mathilda réclame à Léon de l‟amour, à quoi
ce dernier se dérobe. Elle se saisit alors du revolver, le pointe sur sa tempe, et joue à la roulette
russe l‟amour ou la mort : « Dis que tu m’aimes, ou
je me tue » !
Je présume que c‟est le même « motif » qui
fait bouger Humbert. La mort lui a pris son
Annabelle et, conformément à ce que j‟ai appelé
l‟équation phallique de souveraineté, Humbert se
revanche sur Clare Quilty. L‟instance de l’autre∙
jouisseur 1 Ŕ ce Schadenfreude qui se repaît de nos
peines et jouit de nos malheurs Ŕ s‟incarne une
première fois pour Humbert dans la figure du
« Typhus » qui lui a ravi son Annabelle, et elle
s‟incarne une nouvelle fois dans la figure de
« Clare Quilty » qui lui a ravi sa Lolita. Humbert
adolescent ne pouvait rien contre le typhus, mais
Humbert adulte peut tout contre Clare Quilty.
Intrépide, il lui inflige la mort Ŕ une mort poétique* Ŕ sans que sa main ne tremble ni que sa
volonté ne fléchisse.
En lisant la Lolita de Nabokov le psychoclinicien repère facilement en Humbert un caractère d‟obsessionnel typique, autrement dit un caractère articulé obsessionnellement dans une
lutte sans merci contre l‟autre∙jouisseur. À mon
avis, c‟est sa passion amoureuse gauchement franchement atrocement désespérément imprégnante d‟une
part, et l‟équation phallique de Souveraineté
Amour/Mort, d‟autre part, qui ont épinglé Humbert à son fantasme des nymphettes.
Le choix d‟objet de Humbert est assurément
de type incestueux, et Lolita-la-délurée ne se fait
Tels sont les points communs entre les deux
hommes ; mais ce qui les sépare, c‟est le passage
à l‟acte sexuel et le passage à l‟acte meurtrier.
Encore que la question se pose de savoir si Léon
est un assassin ou un simple cleaner...
Si Léon a réprimé la séduction de Mathilda et
repoussé à plusieurs reprises ses avances, c‟est à
cause d‟une expérience malheureuse qu‟il a vécue
à l‟âge de 16 ou 17 ans. Il s‟est depuis convaincu
« qu’il n’est pas fait pour ces affaires-là », mais l‟amour
tendrement et sororalement incestueux persiste
toujours dans son for intérieur.
Ce qui sépare Humbert de Léon c‟est la prise
de conscience et la conviction intime acquises
par ce dernier de n‟être pas fait pour ces affaireslà. En outre, Léon avait d‟emblée pris sa revanche sur la figure de l’autre∙jouisseur ayant renversé
ses premières espérances. Il s‟est vengé sur le
père de sa bien-aimée avant de quitter l‟Italie et
de s‟enfuir en Amérique où, pour vivre, il s‟est
mis à pratiquer le métier de cleaner, Ŕ de nettoyeur. Il tue pour ainsi dire non pas par vocation, mais par nécessité. Il tue pour subsister.
AZAR, Amine : (2002) « L‟instance de l‟autre∙jouisseur illustrée
par des exemples pris chez Zola, Schreber & le marquis de
Sade », in ’Aschtaroût, cahier hors-série n°5, déc. 2002, pp. 22-40.
1
Passons à l‟autre film que j‟ai signalé : Lost in
translation, écrit et dirigé par une femme, Sofia
140
Coppola. Voilà un titre qui a dû beaucoup plaire
au Pr Laplanche. Le film m‟a été chaudement recommandé par Amine Azar au décours d‟une
discussion au sujet de mon contre-transfert à
propos du film et du roman de Lolita.
Dans Lost in translation il ne se passe absolument rien en dessous du nombril. Tout baigne
dans une atmosphère attachante et mélancolique
traitée en clair-obscur. Deux êtres se rencontrent
à l‟étranger, un peu désemparés, un peu désorientés par le décalage horaire, la disparité culturelle, l‟insomnie arrosée d‟alcool, les pas amortis
sur d‟épaisses moquettes, l‟ennui et le désœuvrement. C‟est la rencontre dans un grand hôtel de
Tokyo entre deux Américains : un acteur sur le
retour venu tourner un clip pour la publicité
d‟une marque de whisky local, et la très jeune
épouse d‟un jeune photographe en mission par
monts et par vaux.
Grâce à ce film j‟ai senti que derrière tout ce
maquillage d‟inceste et de perversion réside une
chose plus humaine et qui est la recherche d‟un
certain idéal incarné par l‟amour-tendresse. Une
tendresse au charme captivant, capiteux et profond, par rapport à laquelle le rapport sexuel
vient Ŕ je le répète Ŕ de surcroît, s‟il n‟est pas
entièrement superflu.
Souvenez-vous qu‟à la fin de Lolita, quand
Humbert débarque chez elle pour lui apporter
l‟aide pécuniaire qu‟elle a réclamée, elle fait un
mouvement en avant pour s‟approcher de lui.
Humbert a alors une réaction paradoxale. Tout
en émoi, il lui dit : « Je meurs si tu me touches ». Ŕ
Noli me tangere ! Défense de toucher !
Il en est de même dans Lost in translation où
cet aspect est souligné par la totale absence d‟attouchements sexuels aux moments justement où
l‟on s‟y attendrait le plus naturellement du monde. Ajoutez encore à cela cette nostalgie des
quadragénaires pour une expérience idéale manifestant ce sentiment profond d‟une tendresse
éperdue, et vous aurez la formule complète de
l‟énigme dont nous avons cherché à percer le
mystère.

● MORALITE
À la puberté, la sexualité humaine, dans son
facteur de complémentarité, fait irruption dans le
monde des adolescents avec une brutalité traumatique 1. Il n‟est pas étonnant que l‟on garde
par la suite la nostalgie des amours enfantines où
la tendresse primait.
La passion des nymphettes procède de cette
nostalgie.
● POUR FINIR
Pour finir, je signalerai que j‟ai beaucoup apprécié et j‟ai même été subjugué par le jeu des
acteurs des seconds rôles, Frank Langella dans
Lolita dans le rôle de Clare Quilty, et Gary Oldman dans Léon dans le rôle du policier véreux
(bad cop), toxicomane et sadique ; de même que
par l‟art magistral d‟Adrian Lyne quand il dirige
le meurtre « poétique » de Quilty, et la direction
sublime de Gary Oldman par Luc Besson.
J‟espère que vous irez voir (ou revoir) ces
trois films à la lumière des pages précédentes, et
que vous me tiendrez au courant de votre réaction sur le e-mail de notre bulletin ’Aschtaroût.
En ce qui me concerne, je suis en train
d‟acheter deux billets pour aller voir La Mala
Educación, le nouveau film de Pedro Almodovar,
bien que je fusse parfaitement convaincu de
deux choses au moins. D‟une part, je suis convaincu que le choix d‟objet amoureux est « conventionnel », Ŕ à cet égard il suffit de jeter un
coup d‟œil sur la liste des perversions sexuelles
dressée par Krafft-Ebing. D‟autre part, je suis
également convaincu que l‟insatisfaction est toujours au rendez-vous de la sexualité humaine,
quelles que soient les formes qu‟elle puisse
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GUTTON, Ph. : (1991) Le Pubertaire, Paris, PUF, 1991, chap. Ier.