PISTES PEDAGOGIQUES – Jérôme André
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PISTES PEDAGOGIQUES – Jérôme André
PISTES PEDAGOGIQUES – Jérôme André, professeur-relais DAAC MOLIERE LES FOURBERIES DE SCAPIN MISE EN SCENE DE LAURENT BRETHOME SOMMAIRE I - FICHE SIGNALETIQUE DE LA PIECE II - LA CELEBRE SCENE DU SAC ACTE III, SCENE 2 III - LE PERSONNAGE DE SCAPIN IV - SITOGRAPHIE I - FICHE SIGNALETIQUE DE LA PIECE A - CONTEXTE DE CREATION : Depuis 1668, L'Avare et Amphitryon, deux comédies imitées de Plaute, l'une en prose et l'autre en vers libres, Molière n'a plus écrit directement pour le public parisien. Toute son activité créatrice a été mobilisée par la cour pour laquelle il a composé Monsieur de Pourceaugnac, Les Amants magnifiques, Le Bourgeois gentilhomme, et, tout dernièrement, Psyché. Toutes ces œuvres sont des pièces à grand spectacle, alliant comédie, musique et danse, et sont représentatives de la collaboration établie avec le musicien Lully. Dans ce contexte, Les Fourberies de Scapin, comédie en 3 actes et en prose, fait un peu figure de bouche-trou entre les représentations de Psyché à la cour (aux Tuileries) et à la ville (au Théâtre du Palais-Royal transformé). La pièce est représentée pour la première fois le dimanche 24 mai 1671 au Théâtre du PalaisRoyal, en même temps qu'une reprise du Sicilien ou l'Amour peintre, comédie-ballet de Molière Le succès est plutôt modeste - seulement 18 représentations - et la recette dépasse rarement 700 livres, la moyenne se situant plutôt autour de 300 livres. La Lettre en vers à Madame, de Robinet, indique néanmoins un certain retentissement de la comédie, le 30 mai 1671 : « À Paris. [...] On ne parle que d'un Scapin, Qui surpasse défunt l'Espiègle (Sur qui tout bon enfant se règle) Par ses ruses et petits tours, Qui ne sont pas de tous les jours... » Toutefois, il est reproché à Molière la grossièreté de ses procédés comiques et l'immoralité du sujet. Boileau critique son côté populaire et Fénelon, l'exagération des caractères. BOILEAU (Art poétique, III, vers 391-400, 1674) : « Étudiez la Cour et connaissez la ville: L'une et l'autre est toujours en modèles fertile. C'est par là que Molière, illustrant ses écrits, Peut-être de son art eût remporté le prix, Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures, Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures, Quitté, pour le bouffon, l'agréable et le fin, Et, sans honte, à Térence, allié Tabarin. Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe, Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope. » FENELON (Lettre à l'Académie, 1716) : « Il faut avouer que Molière est un grand poète comique [...], mais ne puis-je pas parler en toute liberté de ses défauts? [...] Il a outré souvent les caractères : il a voulu, par cette liberté, plaire au parterre, frapper les spectateurs les moins délicats et rendre le ridicule plus sensible [...]. Je ne puis m'empêcher de croire avec M. Despréaux, que Molière, qui peint avec tant de force et de beauté les mœurs de son pays, tombe trop bas quand il imite le badinage de la Comédie italienne. » LE MERCURE DE FRANCE (mai 1736) : « Plaute n'aurait pas rejeté le jeu même du sac, ni la scène de la galère, et se serait reconnu dans la vivacité qui anime l'intrigue. » VOLTAIRE (Sommaire des Fourberies, 1739) : « On pourrait répondre à ce grand critique [Boileau] que Molière n'a point allié Térence avec Tabarin dans ses vraies comédies où il surpasse Térence, que, s'il a déféré au goût du peuple, c'est dans ses farces, dont le seul titre annonce du bas comique et que ce bas comique était nécessaire pour soutenir sa troupe. Molière ne pensait pas que les Fourberies de Scapin ou le Mariage forcé valussent l'Avare, le Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes savantes, ou fussent du même genre. De plus, comment Despréaux peut-il dire que Molière « peut-être de son art eût remporté le prix » ? Qui aura donc ce prix, si Molière ne l'a pas ? » On peut étudier en classe ces divers extraits pour montrer comment la critique évolue selon les goûts et les époques, qui amènent souvent un regard plus favorable au génie des auteurs. Si les Classiques reprochent à Molière une certaine facilité dans le comique et une visée plus populaire ou outrancière, le XVIIIème est bien plus admiratif du vis comica qu'il exprime à merveille. B - DISTRIBUTION INITIALE (les conjectures sont en italique) : Scapin : Molière Sylvestre : La Thorillière Argante : Hubert Géronte : Du Croisy Octave : Baron Léandre : La Grange Zerbinette : Mlle Beauval Hyacinthe : Mlle De Brie ou Mlle Molière Les seules certitudes de cette distribution de la création nous sont données par la Lettre en vers à Monsieur, de Robinet, du 30 mai 1671 : « ... Cet étrange Scapin-là, Est Molière en propre personne, Qui, dans une pièce qu'il donne Depuis dimanche seulement, Fait ce rôle admirablement; Tout ainsi que La Torrillière, Un furieux porte-rapière, Et la grande actrice Beauval, Un autre rôle jovial, Qui vous feroit pâmer de rire. » C - LISTE COMPLETE DES PERSONNAGES Argante (père d'Octave et de Zerbinette) Son nom vient d'une épopée italienne en vers du XVe siècle, La Jérusalem délivrée, Le Tasse. C'est celui d'un guerrier, donc un nom à connotation positive. Ceci ne l'empêche pas d'être avare et autoritaire, comme la majorité des pères chez Molière. Géronte (père de Léandre et de Hyacinte) : Le nom est construit sur le mot grec géron, signifiant vieillard. Le mot a de fortes connotations négatives. Comme souvent, chez Molière, les personnages âgés, pères de surcroît sont avares. Octave (fils d'Argante et amant de Hyacinte, ce qui signifie qu'il aime la jeune fille et en est aimé en retour) Léandre (fils de Géronte et amant de Zerbinette) Zerbinette (fille d'Argante, amante de Léandre) Le nom vient de la Commedia dell'arte et correspond à un rôle d'amoureuse galante. Ce nom convient à une "Egyptienne", c'est-à-dire à une bohémienne caractérisée par des vêtements très colorés. Hyacinte (fille de Géronte et amante d'Octave) Scapin Molière le définit par son statut social "valet de Léandre" et par une caractéristique morale "fourbe". Son nom vient de la Commedia dell'arte, c'est celui d'un "zani" ou "zanni" (nom vénitien d'un personnage de la comédie italien correspondant à l'italien Giovanni, du latin Johannes, Jean) ; originaire de Milan, il est rusé, habile et trompeur. Il apparaît en France, à l'époque de Louis XIII, joué par Francesco Gabrieli, définitivement "typé" par Mezzetin (un autre acteur) : justaucorps, culotte et manteau rayés de rouge et de blanc, vaste bonnet de même étoffe. Le rôle, à la création, est tenu par Molière, non parce que c'est le rôle principal mais parce que c'est le personnage qui doit faire rire. Sylvestre (valet d'Octave) Son nom vient du latin sylvester ou silvester signifiant "qui grandit dans la forêt" ; "homme des bois". Sylvestre n'a rien de la finesse ni de la rouerie de Scapin. Plutôt prudent et méfiant, il se laisse aussi entraîner par la verve et l'énergie de Scapin et lui sert de complice. Nérine (nourrice de Hyacinte) Carle (fourbe) : il sert de messager, il aide Scapin à organiser son dernier tour. Deux porteurs D - INTRIGUE En l’absence de leurs parents partis en voyage, Octave, fils d’Argante et Léandre, fils de Géronte, se sont épris l’un de Hyacinte, jeune fille pauvre et de naissance inconnue qu’il vient secrètement d’épouser, le second de Zerbinette, une jeune esclave Égyptienne. Au retour de son père Argante, Octave, inquiet de ce que sera sa réaction à l’annonce de son union avec Hyacinte et, de plus, fort à court d’argent, implore le secours de Scapin, valet de Léandre. Scapin fait croire au vieil homme que son fils, ayant été surpris chez sa belle, a été contraint de l’épouser. Tout n’est pas perdu, suggère le fourbe Scapin! … car le frère de Hyacinte serait prêt à un arrangement en échange d’une forte somme d’argent. La force de conviction de Scapin, puis les menaces physiques de ce prétendu frère parviennent à convaincre Argante : Il se résigne à donner les deux cents pistoles rackettées. De son côté, Argante apprend à son amie Géronte la nouvelle qu’il tient d’une indiscrétion de Scapin selon laquelle Léandre aurait commis une grave sottise. Aussi Léandre, fort mal accueilli par sa mère, corrige vertement le valet Scapin pour sa trahison. Mais il quitte bientôt son ressentiment pour le supplier de lui venir en aide : il lui faut payer une rançon s’il ne veut pas voir Zerbinette enlevée par les Égyptiens. Scapin décide de s’entretenir avec Géronte. Il lui fait croire que son fils Léandre a été enlevé et qu’il est retenu dans une galère turque. Celui-ci ne pourra être libéré que contre le paiement d’une rançon de quinze cents écus. La vieille femme se lamente et essaie par tous les moyens d’échapper au paiement de la rançon. Elle finit toutefois par laisser sa bourse à Scapin… Mais Scapin cherche tout de même à se venger de Géronte qui l’a desservi auprès de Léandre : Il fait croire à la vieille femme que des hommes sont à sa recherche parce qu’il a tenté de rompre le mariage d’Argante et qu’ils souhaitent lui faire un mauvais sort. Afin de le soustraire à ce danger, Scapin le cache dans un sac... Contrefaisant sa voix et jouant plusieurs rôles, il le roue de coups de bâton. Mais Géronte finit par découvrir la supercherie: Scapin doit s’enfuir… Le coupable paierait cher ses fourberies si une double reconnaissance ne révélait en Hyacinte la fille perdue de Géronte, et en Zerbinette celle d’Argante. Scapin qui simule sa mort par suite d’un accident, arrache le pardon des vieillards. E - SOURCES L'intrigue est empruntée au dramaturge latin Térence (IIe siècle avant Jésus-Christ), dans la comédie intitulée Phormio (en français Phormion), personnage éponyme représentant le type traditionnel du « parasite » et hérité de la Comédie nouvelle illustrée en Grèce par Ménandre. Le parasite est une sorte de filou réjouissant, sans morale ni respect. La comédie de Térence, elle-même imitée d'un modèle grec perdu (attribué à Apollodore), met en scène des fils qui épousent sans autorisation, en l'absence de leurs pères respectifs, des jeunes filles dont il faut racheter la liberté. Les esclaves fripons qui sont au service des jeunes gens, soutenus par l'inventivité du parasite, aboutissent au triomphe de la jeunesse, un peu aidé par d'opportunes reconnaissances. Plaute, autre source latine chère à Molière (il lui a inspiré L'Avare et Amphitryon), lui fournit dans Les Bacchides la fin de la scène 6 de l'acte II, où il s'agit de soutirer de l'argent à un vieillard en le mettant face à un soudard menaçant. Autres sources littéraires des Fourberies de Scapin : À ses contemporains et prédécesseurs immédiats, Molière emprunte des bouts de scène : - à Rotrou (La Sœur, 1645), le début de l'acte I - à Cyrano de Bergerac (Le Pédant joué) la célèbre scène du « Que diable allait-il faire dans cette galère? » (elle-même inspirée d'une pièce italienne de Flaminio Scala, Il Capitano, 1611) et le récit de Zerbinette à Géronte. Fréquentant quotidiennement Scaramouche, le célèbre acteur italien avec la troupe duquel il partage son théâtre, Molière ne pouvait pas non plus échapper à son influence : l'art de la pantomime et de l'improvisation, et même le jeu du masque. On apprend, par le Mercure de France, que les vieillards des Fourberies ont été joués sous le masque, à la manière italienne, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Ces procédés issus de la Commedia dell'arte prennent donc naturellement leur place dans la représentation d'une comédie qui doit tant aux différentes traditions comiques qui l'ont précédée. Peut-on voir un signe de cette connivence avec les Italiens dans le fait que Molière crée Les Fourberies de Scapin en l'accompagnant d'une reprise du Sicilien, dont le premier vers est un hommage à son ami : "Le ciel est habillé ce soir en Scaramouche." ? C'est d'ailleurs dans la ville de Naples que Molière situe l'action de sa comédie. Sans doute Les Fourberies de Scapin ont toute l'apparence d'une farce : comique de gestes (coups de bâtons, quiproquos, gags visuels), de situation (la traditionnelle opposition des pères et des fils), de personnages (caricatures qui deviennent des « types »), de langage (répétitions, jargons, accumulations), mais c'est une farce écrite, dont la langue témoigne du génie littéraire de Molière. L'improvisation existe seulement dans le jeu des interprètes. II - LA CELEBRE SCENE DU SAC ACTE III, SCENE 2 Ces divers emprunts et reprises sont en réalité des variations sur des procédés comiques traditionnels, qu'ils soient originaires de la comédie antique, de la farce française ou de la commedia dell'arte italienne. Et même si on a pu, avec Boileau, attribuer le « gag » du sac (acte III, scène 2) à l'illustre farceur de tréteaux qu'était Tabarin, on sait qu'il se trouvait déjà dans Les Facétieuses nuits de Straparole, traduites au XVIe siècle par Jean Louveau et Pierre de Larivey. Par ailleurs, les Turlupin, Gaultier-Garguille et autres Gros-Guillaume de l'Hôtel de Bourgogne ne dédaignaient pas l'utilisation comique des coups de bâton, dont la tradition remontait aux farces médiévales. De même, les bateleurs du Pont-Neuf et les Comédiens Italiens intégraient dans leurs pantomimes des plaisanteries du même genre. Molière lui-même avait joué, en 1661, 1663 et 1664, une petite pièce intitulée Gorgibus dans le sac. On ne sait pas en revanche si Molière en était l'auteur, comme il l'était de ces « petits divertissements qui lui avaient acquis quelque réputation et dont il régalait les provinces » (Préface de La Grange à l'édition des œuvres complètes, en 1682). Scène 2 (Géronte, Scapin) Scapin effraie Géronte en lui faisant croire que le frère de Hyacinte veut maintenant le faire mourir et qu'il fouille la ville à sa recherche avec des amis. Scapin cache alors Géronte dans un sac en lui ordonnant de ne pas se montrer, et se propose de l'amener discrètement chez lui. En cours de route, Scapin fait croire qu'il rencontre des ennemis et frappe le sac (dans lequel se trouve Géronte) à coup de bâton pour faire croire qu'on l'attaque. Finalement, Scapin est découvert et s'enfuit. MOLIERE, Les fourberies de Scapin, Acte III, scène 2, 1671 (extrait) SCAPIN : Cachez-vous : voici un spadassin qui vous cherche. (En contrefaisant sa voix) "Quoi ? Jé n’aurai pas l’abantage dé tuer cé Géronte, et quelqu’un par charité né m’enseignera pas où il est ?" (à Géronte avec sa voix ordinaire) Ne bougez pas. (Reprenant son ton contrefait) "Cadédis, jé lé trouberai, sé cachât-il au centre dé la terre," (à Géronte avec son ton naturel) Ne vous montrez pas. (Tout le langage gascon est supposé de celui qu’il contrefait, et le reste de lui) "Oh, l’homme au sac !" Monsieur. "Jé té vaille un louis, et m’enseigne où put être Géronte." Vous cherchez le seigneur Géronte ? "Oui, mordi ! Jé lé cherche." Et pour quelle affaire, Monsieur ? "Pour quelle affaire ?" Oui. "Jé beux, cadédis, lé faire mourir sous les coups de vaton." Oh ! Monsieur, les coups de bâton ne se donnent point à des gens comme lui, et ce n’est pas un homme à être traité de la sorte. "Qui, cé fat dé Géronte, cé maraut, cé velître ?" Le seigneur Géronte, Monsieur, n’est ni fat, ni maraud, ni belître, et vous devriez, s’il vous plaît, parler d’autre façon. "Comment, tu mé traites, à moi, avec cette hautur ?" Je défends, comme je dois, un homme d’honneur qu’on offense. "Est-ce que tu es des amis dé cé Geronte ?" Oui, Monsieur, j’en suis. "Ah ! Cadédis, tu es de ses amis, à la vonne hure." (Il donne plusieurs coups de bâton sur le sac) "Tiens. Boilà cé qué jé té vaille pour lui." Ah, ah, ah ! Ah, Monsieur ! Ah, ah, Monsieur ! Tout beau. Ah, doucement, ah, ah, ah ! "Va, porte-lui cela de ma part. Adiusias." Ah ! diable soit le Gascon ! Ah ! En se plaignant et remuant le dos, comme s’il avait reçu les coups de bâton. GÉRONTE, mettant la tête hors du sac : Ah ! Scapin, je n’en puis plus. SCAPIN : Ah ! Monsieur, je suis tout moulu, et les épaules me font un mal épouvantable. GÉRONTE : Comment ? c’est sur les miennes qu’il a frappé. SCAPIN : Nenni, Monsieur, c’était sur mon dos qu’il frappait. GÉRONTE : Que veux-tu dire ? J’ai bien senti les coups, et les sens bien encore. SCAPIN : Non, vous dis-je, ce n’est que le bout du bâton qui a été jusque sur vos épaules. GÉRONTE : Tu devais donc te retirer un peu plus loin, pour m’épargner. SCAPIN lui remet la tête dans le sac : Prenez garde. En voici un autre qui a la mine d’un étranger. DIVERSES MISES EN SCENE DE LA SCENE DITE DU SAC Théâtre filmé de et avec Roger Coggio (1980) Mise en scène de Jean-Louis Benoît, avec Philipe Torreton (1997) Deux jugements sur la scène 1 - La scène du sac met en évidence la virtuosité du personnage : Il s’agit d’une scène physiquement très éprouvante pour un comédien et qui met en évidence l’amour du jeu théâtral chez Scapin. Dans la mise en scène de Jean-Louis Benoît, le bâton destiné à frapper Géronte sert aussi à Scapin à frapper, au début de la scène, les 3 coups : Scapin est donc un acteur et un metteur en scène avant tout (c’est ainsi lui qui guide Sylvestre dans sa répétition du rôle du spadassin). Le personnage est d’ailleurs tellement emporté par le plaisir du jeu qu’il en oublie les règles les plus élémentaires de prudence et notamment Géronte enfermé dans son sac ! 2 - Quand il enferme Géronte dans le sac (une scène dont Jean-Louis Benoit au moyen d'un second rideau souligne à juste titre le caractère de théâtre dans le théâtre), ce qu'il montre n'est pas de l'ordre de la prouesse. Peu importe que Scapin soit crédible dans son imitation des voix, des accents et des bruits, seule compte la pure folie de l'acteur lancé en effet dans une «entreprise hasardeuse». Et le grand mérite du spectacle est bien là: il s'agit de retrouver dans Scapin non l'actualité de tel ou tel thème mais l'amour du théâtre. Mise en scène d'Omar Porras (2009) Mise en scène de Christian Remer ( Scapin, spectacle de marionnettes) Mise en scène de Laurent Brethome (photo de répétition © Philippe Bertheau) Dans la mise en scène de Laurent Brethome, "la scène 7 de l’acte II et le fameux « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? » est géniale. Benoît Guibert qui interprète Géronte est formidable. Un peu plus tard dans la scène du sac, il sera hissé dans une poubelle en plastique qui vole dans les airs. Une sacrée trouvaille qui fonctionne à merveille dans cette atmosphère portuaire." "Les containers ne sont pas que du décor : ils sont aussi des supports de jeu, tout comme la cabine de commandement et la façon – très spéciale – qu’ont les personnages d’en descendre. Remplacer les épées par des revolvers était déjà utilisé dans le Romeo + Juliet avec Di Caprio, mais ici, l’on a aussi des battes de baseball. Le sac est un sac, mais aussi une poubelle (réminiscence beckettienne ?) puis un container. Bref, on joue avec les tailles, les échelles, on inverse le grand et le petit." Activités pédagogiques : - comparer les diverses mises en scène et effets produits par cette image fixe : quelle atmosphère générale? Observez la lumière, le moment de la journée repérable (plein jour, crépuscule, nuit), la mise en espace du lieu - décrire le décor : minimaliste (benoît), baroque (Porras), respectant l'époque (Coggio), et définir les intentions du scénographe pour lire la pièce - le personnage de Scapin : aspect physique, impression face aux personnages et ressentis (sympathie, méfiance, étonnement) - le sac : que penser de l'évolution du sac de toile de jute, au sac poubelle, et récemment à la poubelle plastique…jusqu'au container? Effets produits : modernité, décalage, dégradation du personnage (détritus jeté mis dans une poubelle à ordures….), etc. III - LE PERSONNAGE DE SCAPIN • SCAPIN, subst. masc. Étymol. et Hist. 1740-55 (Saint-Simon, Mém., éd. A. de Boilisle, t. 1, p. 137). De Scapin, n. d'un valet intrigant et sans scrupule dans les Fourberies de Scapin de Molière (1671), personnage inspiré par le Scappino de la Commedia dell'Arte (v. FEW t. 11, p. 286b et Hope, p. 302). Historique du personnage Scapin. - Personnage de comédie, l'un des bouffons (zanni) du théâtre italien : il parle les idiomes bergamasque et lombard et joue le rôle d'un fourbe, en opposition avec l'Arlequin maladroit. Son caractère rappelle celui des esclaves de Plaute et Térence; intrigant et fripon, il sert les passions des jeunes libertins. Le Scapino italien se rattachait aussi au personnage de Brighella : vêtu d'habits très amples, coiffé d'un chapeau à plume, il portait le masque et la barbe. Les troupes de comédiens italiens qui vinrent en France en 1645 et 1653 n'importèrent pas le personnage de Scapin, ancien cependant dans le théâtre italien. Il ne figurait pas non plus dans le théâtre de la Foire, bien que Molière en ait fait le héros de sa pièce, les Fourberies de Scapin. Ce n'est qu'en 1716 que la nouvelle troupe italienne le mit en scène en France; en 1739, le Napolitain Ciavarelli y débuta et y acquit une grande réputation. Dans la comédie française, Scapin est un des types principaux du valet bouffon et tient un emploi intermédiaire entre ce personnage des farces françaises du XVIIe siècle et celui de la comédie italienne improvisée. Scapin abandonna le masque en passant sur la scène française et porta le pantalon, la veste et le manteau blanc galonnés de vert; Mascarille, Gros-René, Sganarelle s'en sont affublés depuis. En devenant français, le valet bouffon devient dévoué à son maître : il le gronde pour son bien. Banville a mis à son tour Scapin en scène dans les Fourberies de Nerine (1864), mais c'est pour le montrer à son tour dupe d'une soubrette. Jacques Callot (1592-1635) : Le zani ou Scapin, vers 1618. Eau forte rehaussée de burin. Musée de Strasbourg Scapin, valet de Léandre, est le personnage central de la pièce. Il s’agit en fait d’un personnage « emprunté » à la Comedia dell’ arte, dont Molière s’est d’ailleurs largement inspiré dans Les Fourberies de Scapin. Son nom italien est Scappino. Ancien escroc plusieurs fois condamné par le passé, Scapin a conservé un caractère fourbe, rusé et audacieux. Scapin est passé maître dans l’art de la manipulation. Il possède une imagination débordante assortie d’un réel talent de comédien. Courageux, il ne recule devant aucun obstacle. Le comique de la pièce vient du fait que Scapin sort de son rôle de domestique pour prendre le pouvoir sur ses maîtres. Il se comporte de manière très théâtrale, emploie volontiers un vocabulaire exagéré tout en gesticulant. Rancunier, Scapin n’hésite pas à se venger s’il se sent humilié. Pourtant, il peut faire preuve de dévouement, et n’hésite pas à prendre des risques pour servir les intérêts de Léandre et d’Octave. APPRECIATION DE L'ORIGINALITE DU PERSONNAGE DE SCAPIN (site Tout Molière) La qualité des Fourberies de Scapin tient enfin au personnage du héros, qui n’est à l’origine qu’un masque de la comédie italienne, un zanni milanais, mais très sensiblement enrichi. Scapin connaît la vie, il moralise volontiers et fait montre d’une certaine sagesse pratique, mais sa véritable dimension lui vient de son imagination créatrice, du jaillissement constant de son invention, des « étincellements et [des] éclats d’une gaieté jeune, ardente, bondissante, intraitable, presque féroce », comme l’écrit Jacques Copeau (coll. « Mises en scène », Paris, Le Seuil, 1951). Ces qualités, il les met au service de son art ; il n’est ni généreux, ni cupide : c’est l’amour « de ces gentillesses d’esprit, de ces galanteries ingénieuses » (I, 9) qui le stimule. Et l’exercice de ce talent singulier ne va pas sans fierté, ni sans plaisir : "Je puis dire, sans vanité, qu’on n’a guère vu d’homme qui fût plus habile ouvrier de ressorts et d’intrigues, qui ait acquis plus de gloire que moi dans ce noble métier." [...] "Je me plais à tenter des entreprises hasardeuses." (Respectivement I, 2 et III, 1) On le voit, le valet de la tradition a pris un relief et une consistance qui en font un personnage neuf. En outre, une lecture métaphorique permet d’y voir, comme le fait Jean Serroy ("Scapin dramaturge", Recherches et travaux ; Théâtre et dramaturgie en hommage à Pierre Monnier, Grenoble, Bulletin de l’Université, n° 34, 1988), une apologie du jeu théâtral. En effet, Scapin est une sorte d’homme de théâtre complet. D’une part, il invente des scénarios comme un dramaturge : c’est lui qui imagine l’histoire de la galère et qui se présente comme le plus « habile ouvrier de ressorts et d’intrigues ». D’autre part, il met en scène les acteurs et les fait répéter, ainsi qu’il le fait avec Octave avant la rencontre réelle avec son père : « Répétons un peu votre rôle, et voyons si vous ferez bien. Allons. La mine résolue, la tête haute, les regards assurés. » De même, il conçoit des jeux de scène et prête sa voix à plusieurs personnages quand il bâtonne Géronte qu’il a fait entrer dans le sac (III, 2). Enfin, il est lui-même acteur, jouant divers rôles de composition, comme celui du sage qui philosophe sur la jeunesse (I, 4) ou celui du mourant qui se fait conduire sur une civière afin de se faire pardonner (III, 12). En un mot, il règne sur le monde de l’illusion. Ce personnage, plus riche qu’il n’y paraît au premier abord, a ainsi engendré une double postérité du rôle ; on a tantôt joué Scapin « à l’italienne », privilégiant, comme Daniel Sorano ou Robert Hirsch, entre autres, la fantaisie comique, l’aspect bondissant du personnage au cœur d’une sorte de ballet à la chorégraphie impeccable ; tantôt, au contraire, on a souligné, comme Jacques Copeau ou Jean-Louis Barrault, la finesse, le côté rêveur, plein d’esprit, de l’homme qui raisonne et qui philosophe même. À cette œuvre pure qui, selon Jacques Copeau, constitue « l’expression du théâtre en soi, du pur théâtre », la postérité a rendu justice de manière éclatante. Quelques Scapin dans des costumes et lises en scène originales ou transposées 1 - Les costumes conçus par Sébastien Dionne, fabriqués de tissus imprimés colorés, sont tout à fait dans l'esprit de Molière. Ils constituent un beau mélange des genres avec une touche contemporaine. (Mise en scène de Jacques Leblanc, avec Christian Michaud, Canada) 2 - Théâtre du Kronope, mise en scène Guy Simon (masque), dans l'esprit d'une commedia dell'arte grotesque et boursouflée 3 - Version transposée au début du XXème siècle dans la mise en scène de Pierre Fox 4 - Jeremy Lopez (au centre), dans une version moderne, rock et portuaire Pistes pédagogiques Analysez en classe les diverses manières d'interpréter un personnage : quels changements et quelles intentions vous semblent présider à ces propositions théâtrales plus modernes ou décalées? - Montrer la modernité ou le caractère intemporel de la pièce, ce qui expliquerait en partie le succès d'une mise en scène renouvelant un classique - Changer l'image souvent "poussiéreuse" ou simplement "scolaire" des œuvres de répertoire ; dépoussiérer les classiques pour accueillir un public plus large, qui redécouvre avec plaisir et jubilation un texte ancien - varier l'intensité de la pièce en poussant le curseur vers des voies nouvelles ou des éclairages plus noirs, actuels (L. Brethome, qui montre un Géronte ensanglanté dans un container en final de la scène du sac) - Démontrer que les pièces ont des sujets toujours contemporains, que les thèmes (amours contrariées, pères autoritaires, enfants ayant du mal à trouver leur place,…) sont des problématiques tout à fait d'actualité, ici ou ailleurs Exercice à l'écrit ou l'oral : imaginez une transposition de la pièce dans un autre temps / époque / lieu / culture Quel cadre spatio-temporel choisiriez-vous et pourquoi ? Que deviendrait le personnage de Scapin dans votre adaptation? Quel costume lui donneriez-vous? Imaginez une scénographie représentant le cadre de votre transposition. Imaginez la scénographie et la conduite d'une scène particulière, par exemple la scène du sac : conduite lumière et son, déplacements, etc. IV - SITOGRAPHIE Entretien avec Laurent Brethome qui présente son parcours et sa compagnie Le menteur volontaire (à Bourg en Bresse) (2'59) https://www.youtube.com/watch?v=SPqlO0zBEO4 - Entretien avec Laurent Brethome pour le théâtre de la Croix-Rousse (3'53) à propos des Fourberies https://www.youtube.com/watch?v=Go4BNylX4FY - Interview du metteur en scène Laurent Brethome et du comédien Jérémy Lopez pour le spectacle "Les Fourberies de Scapin" (5'40) http://www.theatre-video.net/video/Les-Fourberies-de-Scapin-entretien-avec-LaurentBrethome-et-Jeremy-Lopez - Chronique de Stéphane Capron le 09/11/14 Journal de 10h sur France Inter https://www.youtube.com/watch?v=13-w29_s01k - Extraits de la mise en scène de Laurent Brethome (4'32) http://lementeurvolontaire.com/fr/creations/les-fourberies-de-scapin/ LA PIECE INTEGRALE OU PAR EXTRAITS - Les Fourberies de Scapin par la Compagnie Les Malins Plaisirs. Pièce intégrale (1''49) https://www.youtube.com/watch?v=C7aWIGHxpyQ Teaser (3'48) par la même compagnie https://www.youtube.com/watch?v=KeZq6t2B7VE Mise en scène de J-L Benoit, Comédie française (pièce intégrale : 1''45') https://www.youtube.com/watch?v=04-9MENA0ug Extraits de la pièce mise en scène par Omar Porras (attention : qualité d'image moyenne) Acte I, scène 3 https://www.youtube.com/watch?v=TIsK7veCRgc Acte III, scène 7 https://www.youtube.com/watch?v=4Aoko-9o7xQ Film de Roger Coggio en cinq extraits (attention : qualité d'image très moyenne) https://www.youtube.com/watch?v=gZmzkHnMiWg&list=PLxc-WVbLR1tkjBPpO3bDk4P8AwP7cQwY&index=1 Teaser de la pièce mise en scène par Guy Simon Théâtre du Kronope (4'43) https://vimeo.com/66718458 Présentation de la pièce (interview entrecoupée d'extraits) de compagnie québécoise du Théâtre de la Bordée (Jacques Leblanc) (2'33) https://www.youtube.com/watch?v=EUxoh0cbo04 La scène du sac Acte III, scène 2 Mise en scène de Jean-Louis Benoit, Comédie française, 1998, avec Philippe Torreton https://www.youtube.com/watch?v=edkZn8KeLZQ Mise en scène d'Omar Porras https://www.youtube.com/watch?v=0eOG_8Yl5Nc Scène jouée par Sim et Francis Perrin pour les Grosses têtes! https://www.youtube.com/watch?v=SIgMIdoaKHo Jean-Louis Barrault dans le rôle de Scapin en 1949, mise en scène Louis Jouvet, décor et costume Christian Bérard