Documents sur la société et la culture sereer du

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Documents sur la société et la culture sereer du
Documents sur la société
et la culture sereer du Siin
par Guédj FAYE
Documents sur la société
et la culture sereer du Siin
par Guédj FAYE
Dakar, IRD
2014
Introduction
Nous avons rassemblé ici divers textes écrits par feu Guédj Faye lors des années où il a
pris part au programme “Sida”, mené à Niakhar de 1989 à 1993.
L’auteur a rédigé et proposé en version manuscrite des textes individuels sur les différents
thèmes qu’il a lui-même choisis ou que nous lui avons suggéré de traiter.
Guédj Faye utilise dans la plupart de ses contributions l’orthographe linguistique sereer à
laquelle il s’était formé à notre demande auprès de feu Wali Coly Faye, originaire de Sass
Mak.
Les textes ont été revus et sont très légèrement réécrits. Peu de suppressions ont été
réalisées même en cas de répétitions d’une contribution à l’autre. Dans ces quelques cas, le
passage quasi identique dans deux documents a été supprimé ou réduit légèrement, quand il
s’agissait de digressions, mais toujours sans que cela n’affecte le sens et le développement
spécifique.
Cependant, nous avons tenté de conserver en général la structure des textes originaux et
l’intégralité de leur contenu. Nous avons donc choisi de maintenir des développements
identiques que l’auteur avait insérés dans deux documents distincts.
Ce recueil vient en complément de la contribution majeure de Guédj Faye à la constitution
d’un corpus de proverbes sereer relatifs au corps et à la santé, puis au travail réalisé pour la
confection de documents en sereer pour les besoins des programmes.
Cette diffusion représente un hommage à l’auteur qui a été associé étroitement au projet
de Niakhar et a contribué à la mise en place des instruments de collecte des informations en
langue sereer à partir des années 1990.
Comme son ami, son alter ego et compère Tékheye Diouf, l’auteur a manifesté non
seulement son intérêt pour la santé, mais surtout sa profonde connaissance de la société sereer
qu’il a lui aussi voulu largement et généreusement partager.
Charles BECKER
La maladie
En général, celui qui se plaint de quelque chose n’est plus en bonne santé.
Traditionnellement, le sereer a toujours considéré le plein épanouissement comme le stade ultime
de la bonne santé et l’appelle o wood fo ßaal, qui signifie santé dans le sang et santé du corps (santé
intérieure et santé extérieure).
Une quelconque faille dans o wod fo ßaal est donc cause de maladie. En médecine sereer, la
maladie est divisée en deux classes bien distinctes qui sont :
- jir le roog a fi’na (les mêmes maladies faites par dieu ou maladies hormonales parce que naturelles)
- jir taamaala ou jir o yeng (les maladies du démon ou maladie de la nuit ; on les appelle aussi des
maladies mystiques).
Voyons d’abord les maladies naturelles
Ce sont des maladies qu’on évoque en général sans mettre en cause un phénomène extérieur. Elles
sont de nature endogène, se développent avec l’existence de l’être humain évoluent avec lui et peuvent
ou non se manifester au cours de leurs croissances parallèles (l’homme et la maladie naturelle).
Dans la classe des maladies naturelles, nous rencontrons quelques rubriques distinctives : jir o
rimtel (maladie congénitale), jir lamatir (maladie héréditaire), jir cosaan (maladie coutumière).
a) Jir o rimtel. Ou maladie congénitale comporte dans son terme ce que le sereer appelle o yoqit ; c’est
à dire le diminué. C’est la maladie mentale à des degrés divers. C’est celui à qui il manque une partie
du corps. C’est une maladie qui se manifeste dans les actes de l’individu, mais aussi est perceptible sur
sa physionomie, sa démarche et ses relations avec les autres. C’est ainsi que nous avons :
O liimu. C’est l’individu qui a un déficit mental dès la naissance. Il grandit avec une petite tête et
commence à parler avec des incohérences dans le langage. Il n’est pas complètement fou mais ne sera
jamais constant ou consistant dans ses propos. On reconnaît ce genre d’individu par une déformation
du volume de la tête qui est petite en général ou de toute sa physionomie qui n’est pas normale par
rapport à celle de l’être humain normal. C’est des gens qu’on laisse pour compte, il a comme voisins,
les débiles, les imbéciles ou idiots etc.
O yoom. C’est la non-virilité. Dès la naissance, l’enfant ne bande pas et même en urinant, sa mère
remarque déjà que le sexe de son enfant est inerte. C’est un organe mort.
A tik a maak ale. Traditionnellement, le Sereer pense que l’être humain est conçu avec la lèpre. C’est
avec la chaleur de la lèpre dit-on que l’ossature de la personne se solidifie. C’est au cours appelle
saasin qui signifie chauffer à point. Donc depuis le fœtus, la personne est dotée de lèpre. C’est dans
son évolution qu’elle se manifeste en maladie opérationnelle qui agit et diminue finalement l’individu.
En tout cas pour le Sereer, tout être humain renferme une dose de lèpre dans son organisme. Cette
conception est souvent évoquée aussi pour le kurfeten.
Ndimar ou stérilité. Là, on remarque des prédisposés à la stérilité dès leur enfance. Il existe chez
l’homme comme chez la femme. Leur apparence est toujours contraire au sexe normal dans lequel ils
sont..........
Nguunu’ngaana. Ou l’hermaphrodisme. Être humain qui n’a qu’un orifice pour uriner, dit le Sereer.
Goora rewa. C’est l’homme qui a un penchant de femme. Il part de l’efféminé à l’homosexuel.
b) Jir lamatir. Pour le Sereer, certaines maladies sont purement héréditaire. Ce sont :
1. O yooq ou goitre. Quand la mère ou le père a le goitre, leur enfant a souvent ça. Il existe d’autres
maladies de ce genre. À part leurs hérédités, leurs origines demeurent confuses. C’est o yorol : jambes
obèses.
Raa† maak (ou raa†el) : l’hydrocèle (littéralement les gros testicules).
c) Jir cosaan ou maladies coutumières. Regroupe toutes les maladies courantes telles que maux de
têtes : xoox ∂om, conjonctivites : a kid a †om ; xa saax xa †om, cer †om. Pour ces maladies souvent
passagères le malade ne s’appesantit pas sur sa maladie et pense que ça arrive souvent aux autres. Par
contre, certaines maladies coutumières sont dangereuses. Notons : xa ñaaw. C’est la maladie du
veuvage. De coutume, la femme qui vient de perdre son mari doit observer une période de chasteté,
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voire de suspension de toute relation sexuelle de 3 mois et 10 jours. tout réfractaire à cette obligation
encourt une maladie dangereuse que le Sereer appelle xa ñaaw.
Elle se manifeste par un raidissement graduel des articulations ; une inflammation virulente de tous
les conduits sanguins et la paralysie généralisée. Sans un traitement spécialisé, c’est la mort. À côté
d’elle, on note deux maladies voisines qui sont provoquées par la contre façon rituelle : ñaam tiimb =
manger de l’animal que votre tim, le nom de la famille évite de manger. Exemple : les Maroon ne
doivent pas manger de la viande de chèvre. Les Sareen ne doivent pas manger du hérisson. Tout
intéressé qui enfreint cette interdiction risque une maladie.
Duq tiimb. Toucher une chose qu’on vous interdit. Ex. Le peulh qui se couche avec une forgeronne est
sous la menace imminente d’une maladie sexuelle. un Fay qui touche à l’arbre qu’on appelle nje’nje
risque de devenir aveugle.
Abordons maintenant jir taamaala ou jir o yeng. Pour ce genre de maladies, nous allons voir les
rubriques suivantes :
1. Jir pokat. Qui regroupe téléguidage, maraboutage sort jeté, etc.
2. Song on yeng. Regroupe toutes les maladies de la sorcellerie.
3. Jir fangool. Toutes les maladies qui ont pour origine les pangool.
4. Qeñ paaxeer. Les mauvaises rencontres, les vents maléfiques des jin, des xon faaf etc.
5. Jir baxnax. Maladies du pilon (a unn) : maladie de chien, (o ßox) : maladie du chat (muus) : maladie
de la poule (o mbeefe†in) : la frayeur mystique ; maladie des cordons. (On peut dire que certaines
maladies sont des maladies de grossesses car elles interviennent dès que la femme est enceinte, ce sont
en résumé a uun ; o ßox xa kißß xa πaak et d’autres maladies infantiles moins courantes que certains
guérisseurs inventent ou colportent pour tout dire, élargir leur clientèle).
Qui est-ce que c’est en fait jir pikat. Elle commence par pokat qui signifie confondre avec le sort.
Pokat commence par les accidents à caractère mystique, rapides, imprévus et souvent mortels. Ils
peuvent provenir de la sorcellerie, du maraboutage etc.
1. Jir pokat est une maladie mystique. Elle peut arriver n’importe comment dans a πek tig par exemple.
A partir de l’aliment ensorcelé que l’individu mange, une partie de ces aliments n’est pas digéré. La
victime est constamment secouée de nausées qui ne viennent pas ; des difficultés respiratoires, de
constipations prolongées et de maux de ventre piquants.
2. Son o yeng. C’est une attaque de sorcier qui provoque diverses maladies parmi lesquels il y a diid.
C’est à dire la frayeur mystique qui cause a bif. A bif est une maladie qui se manifeste par le
palissement de la peau et un amaigrissement continu. Le malade perd l’appétit et se plaint souvent de
fièvre nocturne et une toux aigue. Dans sa phase chronique, a bif peut devenir ce qu’on appelle
couramment ox qui est une maladie voisine du BK. Dans le même ordre nous rencontrons jir taamalaa,
les maladies dues aux mauvaises rencontres pendant la nuit et qu’on appelle jir qetax. Elles sont dues
aux mauvais esprits et se manifestent par des délires, des syncopes momentanées, des crises
convulsives ou des maux de tête extraordinaires compliquées par des vertiges.
3. Jir fangool. Regroupe toute les maladies orchestrées par les pangool. Les attaques de pangool sont
des maladies-punitions qui peuvent se manifester n’importe comment, par des crises, des délires, par
des plaies, par la folie ou "†of a sak". La paralysie partielle ou totale, la cécité des yeux, troubles des
règles, avortement arrêt de fécondité, etc. Toutes ces maladies arrivent et se manifestent dans des
conditions qu’une simple description ne saurait clarifier. Elles interviennent quand le choisi par les
pangool ne se conforme pas à leur volonté ou ne fait pas les obligations qu’ils lui imposent.
4. Qeñ paaxeer. Autrement dit : Les vents ou souffles maléfiques (littéralement vents mauvais) ils
proviennent des jirna,etc.
Voyons d’abord nqeñ : se manifeste par des fièvres, l’anémie ou le gonflement des yeux et le
gonflement à l’endroit où les articulations se rencontrent ; les coudes, les chevilles, les phalanges des
doigts etc. C’est une maladie qui arrive à celui qui cotoie un jin de près.
A tik took ou a tif : Traditionnellement, le Sereer a toujours évité de pénétrer dans une case sans
lumière après le crépuscule. Quand il était contraint de le faire, il jetait dans la case une poignée de
sable auparavant. Il est dit que c’est à cette heure qu’un jin qui habite souvent les cimetières pénètre
dans les concessions avoisinantes et se réfugie dans certaines cases sombres. C’est un jin qu’on appelle
kayaafi. C’est justement lui qui provoque la maladie qu’on appelle a tik took ou a tif.
La maladie
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A tif se manifeste par une douleur subite sur une partie du corps et qui se concrétise par un abcès en peu
de jour. C’est un abcès paralysant et finalement mortel.
Fo’ut no wiin faaxeer : ou la poussière des morts vivants.. Quand une personne normale pénètre dans la
poussière que soulève le déplacement des morts vivants, il en sort avec une maladie. C’est pourquoi on
dit souvent : kaa rok na fo’ut no wiin faaxeer. Il est entré dans de la poussière des morts vivants. C’est
une maladie qui se manifeste par une toux sèche et des difficultés respiratoires. Le malade maigrit et se
réfugie dans une lassitude déprimante.
Parmi les maladies d’ordre mystiques, certaines sont spécifiques et gravitent autour de la mère et de
l’enfant. Elles se renferment dans le terme de jir a mbomeer ou maladies de la grossesse.
Chez la mère et avant l’accouchement, elle a o buun : l’envie aigue et qui conduit souvent
beaucoup de femme enceintes dans la géophagie, la kleptomanie alimentaire, etc.
Après l’accouchement meret ou fo’oy fo ∂angu est de la sorcellerie ou des pangool quand les
psychoses résistent au traitement traditionnel courant.
Après la naissance de l’enfant, une gamme de maladies infantiles s’annonce. C’est des maladies
punitives. Cela intervient quand la mère ne respecte pas certains rites ou interdictions de grossesse ou
quand elle a blessé pendant qu’elle était jeune fille certains animaux qui sont totem. En voilà quelques
unes :
a) o ßox. C’est une maladie qui se manifeste par des crises. La bouche de l’enfant sort une bave comme
celle du chien. Il meurt après trois jours si un spécialiste n’intervient pas.
b) muus. Se manifeste aussi par des crises. La poitrine de l’enfant grince et donne des difficultés
respiratoires. Le bruit de sa respiration imite un peu le miaulement du chat.
c) a unn. Traditionnellement, on dit qu’une jeune fille qui casse un pilon avant le mariage aura l’enfant
atteint de la maladie du pilon si elle ne se purifie pas à temps après son accouchement. C’est une
maladie qui se manifeste par une respiration accélérée mais intermittente. L’enfant est animée d’une
haute fièvre et halète avant de pouvoir expirer.
Quand au "mbeefe†in" ou maladie de la poule, c’est une maladie générale qui est sujette à
différentes sources de provenance. Certains guérisseurs disent que le mbeefe†in provient des crachats
de poule ou de canard. D’autres soutiennent qu’il est causé par un jin qui guette les femmes qui
arrivent tard sur le tas d’immondices communautaires pour y déposer leurs ordures ou des détritus de
mil (ñaax ou a siind).
Toujours est-il que mbeefe†in ou épilepsie est une maladie très connue qui se manifeste par des
crises.
A kißß. Pour parler de cette maladie infantile, on dira d’abord que c’est une maladie artificielle qui est
provoquée par certains guérisseurs. Elle se propage comme une épidémie de bouton, de rhum, de plaies
ou de fièvre. C’est secrètement que le guérisseur véreux dépose son mal au puits où les femmes d’un
même village vont généralement chercher de l’eau. Dès que l’enfant d’une mère prend la maladie, la
transmission commence. Aussitôt, le guérisseur se déclare compétent. Il leur fait la contre-version avec
des gris-gris de sa connaissance et devient ainsi le sauveur de tous les nouveaux-nés atteint de cette
maladie dont il est l’auteur occulte.
Xa πaak. C’est la maladie du cordon ou plus exactement du filet de pêche. Traditionnellement, on dit
qu’une femme de la savane qui voit un filet de pêche ou le piétine quand elle est en début de grossesse
aura l’enfant atteint de xa πaak. C’est une maladie qui se manifeste par l’amaigrissement de l’enfant. Il
est souvent animé de diarrhées et vomissements. Finalement, il est aussi victime d’un gonflement des
membres inférieurs. Avec cette maladie l’enfant ne marche pas et est victime d’un retard de croissance.
Sans traitement, cette maladie conduit à la paralysie.
Voyons maintenant les maladies de personne à personne. Le Sereer appelle qaße’xaße. Cette
dénomination regroupe toutes les maladies que la personne peut transmettre à son prochain. Parmi ces
maladies, nous allons y inclure les maladies sexuellement transmissibles.
Parmi les MST, analysons d’abord celles qui sont purement sexuelles et qui sont rarement
évoquées.
a) Les maladies menstruelles ou jir inooru no’mbaax : Elles sont étranges et se manifestent sous des
formes diverses. Elles interviennent souvent du fait de l’homme qui contracte des rapports sexuels avec
une femme qui est en période de règles.
Quelques effets courants ; chez la femme d’abord.
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a) Fambup fa sumu : le sexe chaud. Cette maladie se manifeste par le changement de couleur des urines
et une inflammation intense au niveau du bassin de la femme. Elle provoque d’abord un arrêt des
règles, évolue avec des difficultés d’urines et des douleurs abdominales piquantes. Finalement, la
femme est victime d’une constipation qui empêche d’uriner ou d’aller à la selle.
b) Chez l’homme, c’est des maux de ventre, des dysenteries et des douleurs de pénis qui peuvent être
cause de mystérieuses réactions.
Parmi les maladies purement sexuelles, nous citerons en passant ∂’afi’∂afi et a pudax jofi.
Au sujet du dafi’dafi, notons que l’homme est sexuellement surexcité. Il a le sac à sperme vidé et
n’éjacule plus. Peut satisfaire plusieurs partenaires en une nuit mais son sexe ne sort que du sang quand
il est en état de jouissance.
Quand à a pudax njofi : c’est la défaillance sexuelle. L’homme ne bande que périodiquement et
n’est plus viril dans la majeur partie du temps. C’est une maladie qui arrive souvent aux hommes âgés
et épuisés. Peut arriver aussi à certains adultes qui ont l’instinct maniaque. Prématurément épuisés, ils
arrivent vite à terme et ne sont virils que momentanément. Concernant la femme qui a le socet ; elle est
à la base de plusieurs maladies. Notons que sa maladie provient du chancre. Le socet a des dérivés qui
sont : siti, jangaru kajoor (voir les guérisseurs). Quand aux maladies sexuellement transmissibles,
référons nous aux entretiens avec les guérisseurs. Quatre maladies mystiques spéciales à citer enfin :
1- O fes jini ;
2- O fes fangool ;
3- A kum o nqali ;
4- A kum a las.
1. O fes jini. C’est une maladie qui se manifeste souvent par des écoulements de sperme périodiques
chez l’homme qui a une fiancée Jin. S’agissant de la femme, elle évite souvent les rapports sexuels.
Dans les rares moments où elle se donne à l’homme, elle a des maux de tête et des douleurs vaginales.
Ne fait l’amour que dans le rêve et avec un amant mystérieux qui lui apparaît sous une forme
d’homme respectable. Il s’agit pour le guérisseur d’un amant Jin. Lorsque cette femme est enceinte, il
suffit d’avoir de tels rapports sexuels pour être victime de menaces d’avortement.
2. O fes fangool. C’est un esprit-fangool qui hante la femme et devient son second mari (dans un sens
mystérieux). Quand il est jaloux, il provoque l’avortement, la stérilité ou les accouchements de mortsnés.
3. A kum o nqali. C’est une maladie orchestrée par un rival mécontent d’avoir perdu celle qu’il aimait.
À celui qui lui arrache sa convoitise, il lui lance le sort appelé o nqali. C’est une maladie qui se
manifeste par une suspension temporaire courte ou prolongée de la virilité. L’homme est impuissant et
le reste tant que le sort qu’on lui a jeté n’est pas écarté.
4. A kum a las. ou queue maléfique. C’est une maladie de sorcellerie qui tue les nouveau-nés.
Aujourd’hui, elle est fréquemment confondue avec le tétanos ombilical. Leurs manifestations sont
identiques. Elle se manifeste par des crises convulsives et se caractérise surtout par le raidissement de
la nuque et éventuellement des mâchoires du bébé. De sa bouche sortent des bulles blanches. À sa
mort, le corps de l’enfant a l’aspect d’une bûche carbonisée
La médecine préventive sereer face aux épidémies
La médecine traditionnelle sereer est plutôt préventive que curative. Dans ses fondements
historiques, elle n’intervenait en cure que dans le cadre de certaines maladies courantes et naturelles.
C’est ainsi qu’une politique sanitaire très souple fut instaurée. La répartition des circuits
d’administration des traitements concernant ces maladies d’ordre courant parce que maîtrisées était
jadis du ressort des différents kurcala (lignée paternelle) et des tim (†een-yaay = sein maternel ou
lignage maternel).
De coutume, la vraie médecine sereer résidait dans la prévention des épidémies (a seel). Pour parer
de telles calamités, la collectivité sereer mobilisait toutes ses autorités, ses connaissances, ses
chercheurs et savants et enfin son environnement.
Voilà pourquoi l’institution du xooy (prédication) fut instaurée à différents niveaux : Royaume,
Province, village-hameau. Son rôle était de connaître par le pouvoir mystique de certains spécialistes
(saltiki) ce qu’augurait demain.
Le penchant de tout un chacun était de savoir de quel côté se trouvait la menace proche ou
lointaine d’une épidémie. À partir de son imminence, toutes les mesures préventives générales étaient
édictées au cours du xooy. Une à une, nous allons les voir en détail.
- Wegwa’†at ake ngarna kam saax le : fermer les routes qui entrent dans chaque localité. Il s’agissait
dans ce cas d’un blocus par des procédés mystiques appropriés.
Pour ce faire, des gris-gris capables d’empêcher l’épidémie en vue de pénétrer dans le village
étaient enterrés à la croisée de tous les chemins permettant une entrée ou une sortie.
Ses gris-gris sont dénommés begax a seel (fermetures d’épidémie) et étaient connus, cherchés et
enfouis à des endroits bien précis par un noyau d’ancien de la localité.
- Wegwa’carin ake : fermer le seuil des concessions. Il consistait à des cendre ce procédé de
prévention jusqu’aux concessions. Pour cette circonstance, il était laissé à chaque chef de concession
de mettre en branle ses connaissances propres pour se protéger des épidémies. En gros, chaque
responsable de famille s’affairait à se manière pour mettre à l’abri tous les membres de sa concession
des sévices éventuelles de la prochaine épidémie.
- Baa’leng a rokat, baa’leng a sut wat : que personne ne rentre, que personne ne sorte ! Il s’agit là
d’une forme traditionnelle de quarantaine. Au cours de toute cette période, toutes les cérémonies sont
interdites. Le vagabondage intercommunautaire n’est plus toléré, passants ou étrangers en visite dans
la zone sont refoulés avant leur arrivée aux limites de la contrée ou de la localité.
Les lieux de pâturage à bétail sont restreints et ne dépassent plus les limites d’une localité.
En ces circonstances de pré-calamité, les anciens disaient : a seel a nenange, oxuu refa kaa war o
moof me ta gen-na : quand une épidémie est annoncée, chacun doit rester chez lui.
- Fat maak we ? mbegwa’koπ ale : que les anciens ferment la brousse. Il s’agit là de la protection
préventive de l’environnement immédiat.
- Fo pind ke : et les concessions aussi.
Dans un cadre général, les sages faisaient d’habitude la recommandation suivante :
... O yaal mbind oxuu refna, fat a waa† a πaÚ seelunq ; a paÚ baan, a paÚ seew fa’paÚ quj. A
fiyangaan ta huupin na carin um : que chaque chef de concession cherche une racine de seelunq
(Cassia sieberiana) ; une racine de baan (?) ; une racine de seew (Parkia biglobosa) et une racine de
πuj. Après cela, il enterre le tout au seuil du portail de sa concession (a carin).
... Kirand nuu refua, bo’kid a njaßraa, fat nu ngeπand na carin ake, o jam xa quut : chaque soir, des
feux doivent être allumés à côté des entrées des concessions. Ces feux doivent être fait avec des tiges
de xa quut (plantes légumières).
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O yaal mbind oxuu saxooruuna, a seel ale garangaa, rokkee no mbinum : tout chef de concession qui
observe régulièrement ces recommandations, n’aura pas l’épidémie chez lui.
Dans un canari où les femmes mettent les provisions d’eau potable, on recommande l’introduction
de racine de muc et de murax (deux plantes différentes).
Derrière la localité, c’est le guet permanent (a yetax). Chaque soir et dans chaque concession qui
est de tour on désigne deux à trois hommes pour aller surveiller pendant la nuit le point qui lui aura été
confié. Tout compte fait personne ne rentre ni ne sort des limites du village, de jour comme de nuit.
Tout au long de cette période, les réunions de sages et les xooy restreint (xa qooy o guk) prédications
officieuses) sont fréquents. La localité est journellement informée de l’avance de l’épidémie ; de ses
manifestations (dégâts et comportements des victimes) dans les autres localités où elle sévit déjà ; les
causes mystiques de l’épidémie et l’arrivée éventuelle d’agents contaminants de l’épidémie qui se
dirigent sur le village. C’est au cours de ces concertations informelles que les nouvelles mesures
préventives sont prises. Parmi elles, les plus extrêmes ont un caractère expéditif. C’est ainsi qu’il est
souvent arrêté à pareille époque que tout agent porteur de la maladie épidémique devra être détourné
du village ou détruit s’il y a lieu. C’est au cours des xooy o guk souvent improvisés par les saltiki de la
localité où toutes ces dispositions et décisions étaient prises. Par la voie mystique on pouvait savoir
d’avance si l’agent devant introduire l’épidémie dans le village sera un visiteur, ou un passant ou au
contraire, il s’agira d’un voisin malfaisant (naq) qui habite le village.
Les moyens courants pour combattre ses agents de propagation étaient les suivants :
1. o ngulmataan. Il consiste à enterrer une racine qui provient d’une plante dénommée o ngulmataan
sur la route que devra emprunter le probable visiteur ou passant. Dès qu’il piétine ce piège occulte, il a
tout de suite le sens de l’orientation perturbé. Il perd ainsi la bonne route qui mène au village et se
dirige ailleurs sans en être conscient.
2. Boom. C’est un meurtre mystique. Ce procédé expéditif est foudroyant. On l’emploiera pour le
passant porteur de la maladie. On lui expédie par télescopage mystique un fléau de mort qui le tue en
cours de route. L’on dit couramment : o ñaaÚ oxe na garaa ta seq jir le ; baa fadiid-fat a day na †at
ale : le voyageur porteur de la maladie et qui vient vers nous ne doit pas arriver. Qu’il s’arrête (qu’il
meurt) en cours de route.
Et un spécialiste de déclarer : xetwaanum fo’fud ∂om ta ßaat fo jirum - xan a xon : je lui ai barré la
route avec un mal de ventre qu’il ajoute à sa maladie. Il mourra.
Pour le cas du naq soupçonné d’avoir le projet d’apporter l’épidémie dans le village, on use de
deux procédés possibles pour le neutraliser. On les appelle : raar et o feep. Entrons dans les détails de
ces deux préventifs. Ils sont presque analogues et sont mis en exécution pour se débarrasser d’un
ennemi gênant.
Ils se manifestent sur leur cible sous la forme d’une démence active. La personne atteinte décide
brusquement de quitter la localité. Rien ne l’arrête. Un tel sujet vivant dans une île préférait d’aller se
noyer que de souffrir une minute de plus sa présence dans son village.
En plus de tout cet arsenal de préventifs, les précautions alimentaires ne sont pas en reste. Des
plats médicamenteux sont recommandés à faire consommer aux membres des concessions. En passant
nous citerons le célèbre plat dit a tooñ tafar fa xa pas sand : bouillie médicamenteuse avec un additif
d’écorces de l’arbre dénommé tafar en sereer et de l’arbre sand. Ces plats ont pour vocation
d’immuniser leurs consommateurs de l’épidémie quand elle arrive malgré tout dans la localité.
Enfin, et cela ne fut pas de moindre importance, il y avait jik-ñek : achat de vaccin. Sa pratique
constituait la vaccination traditionnelle (Ñekax cosaan).
Dès l’annonce d’une épidémie, les guérisseurs et les hommes de savoir étaient en période de
recherche intensive pour trouver le remède efficace contre l’épidémie. Certains d’entre eux
expérimentaient des vaccins dits immunisants. Ils étaient à base de poudre spéciale (provenant d’arbre,
d’herbes ou d’animaux) et qu’on introduisait par incision dans une partie du corps du vacciné (c’était
généralement au poignet).
Au poignet de certains anciens qui ont vécu l’épidémie de peste de 1917, les marques de ces
vaccins traditionnels sont toujours visibles.
La médecine préventive sereer face aux épidémies
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Concernant les épidémies infantiles la prévention courante consiste à mettre aux devantures des
concessions et en dessus des portes de chambres à coucher des portions de feuilles de rôniers (xa kay
ndof). En guise de protection directe, on attache ces portions de feuilles de rôniers aux chevilles des
enfants.
Grâce à tout ce capital de savoir, beaucoup d’hommes sereer ont survécu aux naufrages des
épidémies. Ils ont pu concevoir d’autres hommes qui se targuent d’être cartésiens (ndußaaß ßaal we :
les blancs-nègres). parmi eux des médecins sont nés et ne veulent plus entendre parler de médecine
traditionnelle. De nos sages guérisseurs, il ne reste que des charlatans que suivent à tort ou à raison la
fâcheuse étiquette de colporteurs de soins (fan). Médecins onéreux ou charlatans aux enchères, où irait
le pauvre ou l’humble sereer si une épidémie de dimension nationale s’annonçait aujourd’hui ?...
Fo-oy, le sang
Étymologiquement fo-oy vient de oy-oyin qui veut dire cette petite flamme qui grandit pour devenir un
feu.
Objectivement donc, ce rapprochement comparatif du flux sanguin de la flamme qui marche, qui grandit
a traditionnellement produit en milieu sereer de profondes analyses. Nous les expliquons en détail.
I. Le Sereer conçoit deux types de fo-oy ; fo-oy a pindoo† (le sang conceptuel) et foßaal (le sang ou
le groupe sanguin qui détermine les races, les ethnies et les castes).
Voyons d’abord fo-oy a pindoo†. Il s’agit du sang de la constitution du foetus humain. Littéralement fooy a pindoo† veut dire : le sang avec lequel on inscrit, ou écrit, ou procrée.
Pindoo† vient de bind qui signifie créer un signe, écrire. Le mot veut dire en fait la façon d’inscrire, le
moyen utilisé pour inscrire, procréer, pour constituer enfin.
Donc, fo-oy a pindoo† est considéré comme étant cette goutte de sang à fertiliser et qui grandit ; qui
devient une boule de sang. Cette boule de sang est le signe précurseur de la grossesse d’une femme. Le
Sereer dit alors que cette goutte de sang provient de la ceinture (reins) de l’homme et tombe dans le bassin
de la femme.
Déduction faite, le sang est paternel et le lait maternel. L’homme donne et la femme reçoit. Enfin, fo-oy
faap (le sang paternel) fo∂een yaay (le lait maternel). Nous touchons là l’origine du kurcala (ceinture
paternelle, lignée paternelle) et le tim ou †een yaay ou enfin a ndok yaay (Le lien initial de naissance est le
sein maternel, la case maternelle).
À ce stade, le sang est à l’état pur. C’est au cours de la fécondation qu’il devient foßaal ; autrement dit le
sang plus des additifs.
II. En fait, que veut dire fo-oy foßaal ? Le Sereer dit que dans l’évolution de la grossesse, fo-oy a
pindoo† reçoit et renferme en cours de fécondation le caractère, les maladies ataviques ou héréditaires
d’origine paternelle, mais aussi les vertus ou les faiblesses.
De la femme, il prend les caprices, certaines souillures conjugales avec le non-respect de certains
interdits, certaines fautes de mariage qui engendrent punitions, etc. Tout cela vient constituer fo-oy foßaal.
C’est ainsi que la bravoure ou la lâcheté, la prédisposition à la folie ou à l’éléphantiasis sont dites
directement de provenance paternelle.
Quand à l’anthropophagie, la lèpre, la kleptomanie, elles sont de souche maternelle.
Le Sereer distingue aussi du foßaal : qoolu fo qooleer ; autrement dit le sang pur et le sang impur ; le
sang propre et le sang souillé. Est pur le sang de l’individu issu de deux conjoints de même hiérarchie sociale
(un couple de paysans, un couple d’esclaves, un couple de sang royal ; qui donne un enfant de foßaal fo
xoolu (de sang pur).
Le produit de l’adultère, l’enfant issu d’un nègre et d’une blanche ; d’un paysan et d’une esclave ; d’une
forgeronne et d’un griot sera dit de foßaal fo xooleer (autrement dit métissé, impur ou douteux).
Voilà pourquoi la coutume sereer était rigoureuse en ce qui concerne la compatibilité sociale en matière
de mariage.
Jadis, le choix du sang était un préalable avant toute alliance dans l’ethnie la caste, etc.
C’est ainsi qu’un homme atteint de lèpre trouvait rarement une épouse dans sa propre ethnie ou sa caste.
Originellement, le Sereer considère la lèpre comme une maladie atavique et qui se régénère dans la
descendance du couple.
À côté de la caste, l’anthropophagie gravite. Mélanger son sang avec celui d’une sorcière ou d’une
femme castée était impensable. Dans foßaal aussi, le Sereer discerne deux variétés : foßaal fo ßuuß et po-oy
sumu. Il met en exergue les gens doux, voir normaux (ßuußu) et les autres qui sont hargneux, violents (fo-oy
fo sumu).
Dans la seconde rubrique le Sereer range les déments et les malades mentaux. Le Sereer a souvent dit : o
Kurcala leene, fo-oy den kaa sum ; faaxee : Ce kurcala, leur sang est chaud ; il n’est pas bon. Ce jugement
Fo-oy, le sang
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est souvent fait aux familles prédisposées à la débilité ou à la folie. Jadis on évitait d’aller faire des unions
avec elles.
Les assassins, les parricides surtout étaient rangés dans cette catégorie. Là aussi, la déduction sereer était
claire. Elle disait : a laal reef’a den : c’est une malédiction par le sang qui les poursuit en parlant d’une
descendance d’un assassin. On y retrouve souvent un meurtrier dit-on.
Quand un vieux Sereer vous dit : jegaam o wod foßaal, cela veut dire : j’ai la santé générale que me
donne mon sang. Son sang est alors normal ; à chaleur normale ; en quantité normale et en circulation
normale dans toutes les parties de son corps. Dès qu’il y a lourdeur corporelle, paresse, lassitude ou chaleur
ressentie ou constatée, le Sereer met d’abord en cause le fonctionnement sanguin avant le constat de toute
autre affection.
III. Conception sereer de la maladie d’origine sanguine
Dès que le sang est de trop ou de moins, l’individu est sur le chemin de la maladie. Le signe de l’excès
de sang réside avant tout dans la grosseur. Le Sereer le dit en ces termes : o magnel oluu ga-oona jiroo.
Toute forme d’être gros est une maladie. Son contraire étant l’amorce d’un amaigrissement l’on dit : kaa
fiiiswaa : il s’épuise (fait allusion à un manque de sang) avant le manque de force et l’amaigrissement
apparent.
C’est ainsi que les premiers signes de la grossesse d’une femme, à savoir vertige et vomissements
périodiques, sont considérés comme découlant d’un excès de sang.
Après l’accouchement, le meret, qui provient d’un défaut de l’écoulement du sang usagé que la femme
se doit d’éjecter, conduit la femme à la folie (meret fee kaa fiaay : c’est le meret qui est monté) ou (meret
warun : c’est le meret qui l’a tuée).
Une goutte de ce sang d’après accouchement ou qui provient du sang menstruel que consomme l’homme
par le biais des aliments engendre une dangereuse maladie dénommée en milieu sereer bagir no koor :
grossesse masculine. Sa finalité est une mort incontournable. Voila une maladie d’origine sanguine qui est
souvent confondue avec l’hépatite virale.
Pour bien l’éviter aux maris, la tradition prescrit pour l’accouchée une rupture d’activités conjugales de
deux mois au maximum. Cette période est dénommée a siidnax. À cette occasion, la femme quitte son mari
et va chez ses parents pour se reposer.
L’origine de la mère des maladies vénériennes aussi est de ce sang menstruel. On l’appelle o mboot.
Avoir des rapports sexuels avec une femme qui a ses règles, rend malade disait le Sereer, le nom historique
de la maladie a été et reste o mboot.
En milieu sereer, la maladie sanguine la plus dangereuse, la plus extraordinaire est une affection
traditionnelle qui reste jusqu’à nos jours sans dénomination objective. On l’appelle couramment : jir a keen :
la maladie debout.
Ce mal commence par une fatigue corporelle qui alite. Un début d’amaigrissement lui emboite le pas. La
peau du malade se fane et sa chevelure rabougrit. L’évolution de la maladie se poursuit avec une toux
périodique qu’accompagnent quelques fois des diarrhées et vomissements. Le malade rétrécit à vue d’œil et
s’essouffle même quand il marche. Il a souvent de la dysenterie et perd presque tout son appétit d’antan.
Quand jir a keen atteint sa phase chronique, la victime qui n’est jamais alitée, a la jonction des articulations
un peu enflée et la peau du corps collante sur le squelette. Avant sa mort inévitable, tous les soins et les
diverses formes de traitement lui seront prodigués.
On lui fera des libations s’il est issu d’une famille à pangool. Des bains spéciaux pour traiter les frayeurs
mystiques ou les attaques de sorcellerie lui seront administrés. La médecine moderne sera sollicitée. Le
malade fera tout ce circuit avant de s’avouer vaincu. Le jour qu’il arrêtera de se déplacer, de parler pour se
coucher est le jour prélude de sa mort très prochaine.
Après son enterrement, les gens qui l’ont transporté en brancard au cimetière disent : o dal o yelefuy
πisu ; o ndeßandoofi sax moÚ-un o me∂. O dal daal kaa me∂aa ndaa’xaana fogee teen : Nous avons
transporté un cadavre léger, celui d’un enfant était plus lourd. Un cadavre est généralement lourd, mais celuilà en fait exception.
Dans certains cas, c’est cette réplique qui est souvent dite : nu nga-a de, to mbir a ree†u. Keene taxu
maak we layooguyee : o kiin foofiyoo rek. Vous voyez et pourtant il était bâti en lutteur. Voila pourquoi les
anciens disaient que l’être humain n’est que de l’eau. Jir a keen est une maladie traditionnelle contagieuse.
Si l’un des conjoints en meurt, l’autre suivra et dans les mêmes conditions. Maladie bien que rare en milieu
sereer, y a apparu et y sied. La médecine moderne la confond à tort avec la tuberculose. Diagnostic et
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
analyses opportuns de rapprochement des deux affections n’ont donné qu’une négation ferme et sans
nuances possibles.
Tout dernièrement, certains charlatans-guérisseurs ont tenté de l’amalgamer avec xa ñaaw (maladie du
veuvage). Ce fut une maladresse, car les symptômes perceptibles et l’origine de chacune de ces deux
maladies sont différents.
L’origine de xa ñaaw, c’est les rapports sexuels avec une veuve ou un veuf qui ne s’est pas purifié avant
de reprendre son train de vie normale. xa ñaaw se manifeste par des douleurs de nerfs et le sang qui se caille
à la jonction des articulations pour provoquer une paralysie généralisée du malade.
Quand à jir a keen, son origine nous reste inconnue. C’est une maladie qui ne fait que déprimer
dangereusement l’individu, mais elle n’immobilise pas. C’est un mal qui se généralise en l’individu et seule
l’apparence corporelle du malade qui passe nous permet de dire qu’il est souffrant.
De jir a keen ?
A yaaf aussi est une maladie du sang (yaaf = cloque). C’est une maladie du nez. Elle se manifeste par des
cloques dans les fosses nasales et qui regorgent de sang. Ces cloques viennent périodiquement. Ils sont
sources de maux de têtes atroces, de vertiges et de réduction d’acuité visuelle. Le seul traitement qui
s’impose alors est de le percer pour vider le sang qui y est. Pour certains qui ont la membrane des fosses
nasales légère, leurs cloques éclatent sans intervention et libèrent le sang. C’est ce que le Sereer appelle tu
(saignements de nez)
En médecine traditionnelle, on dit que a yaaf provient de la maladie du socet, une autre maladie qui est
elle aussi en rapport étroit avec le sang.
Pour conclure, le Sereer pense que les maladies du sang ne sont pas brutales ; elles évoluent avec l’âge
(kaa maakaa : grandissent). La plus connue et la plus fréquente s’appelle o ngoopeel. O ngoopeel est une
maladie voisine de la bilharziose. L’enfant pisse en partie du sang. Sans soins précoces, il devient
immanquablement un déficient sexuel quand il grandit.
En tout cas, mêler son sang à celui d’un autre était pour le Sereer d’hier une sérieuse décision. On ne la
prenait qu’après une mûre et profonde réflexion. La première rigueur qui était mise comme préalable était
l’investigation méticuleuse dans tout ce qui touche de près ou de loin le sang de l’autre. Et c’était vice-versa.
Le questionnaire général que se posaient les deux parties (dans le cas des projets de mariage) était le suivant.
- Est-ce qu’il est d’un bon sang ?
- Quelles sont les maladies qui sont fréquentes dans leur sang ?
- Y a-t-il un sang étranger dans le leur ?
- Est-ce qu’à l’origine, les deux sang ne souffrent d’aucune malédiction, contradiction ou maudissement
réciproque ?
C’est au vu de toutes ces préoccupations fondamentales que le Sereer acceptait ou non la souffrance
d’avoir à mêler son sang à celui d’un ou d’une autre.
Maladies du sang
Celle qui est la plus connue chez le Sereer est le ngoopeel ou la bilharziose.
C’est la maladie propre aux petits bergers qui ont l’habitude de boire les eaux de ruissellement
pendant l’hivernage.
Le ngoopeel se manifeste par des urines qui se terminent en partie avec du sang. Le malade est en
proie à des douleurs de vessie quand il urine. Quand il devient chronique, il est source de difficultés
urinaires. Chez l’adulte, ces difficultés s’accompagnent de pets avant l’expulsion dérisoire des urines.
Pour traiter cette maladie du petit berger, on lui faisait le sanq (déparasiter) qui consiste à lui faire
boire des urines de vache. Dans les cas chroniques, on l’envoyait chez des spécialistes qui utilisent un
sang médicamenteux pour le soigner.
Citons o ngasaan. C’est une maladie qui rend finalement les gencives de l’enfant exsangue.
Enlève finalement toute sa dentition et provoque aussi la déformation des lèvres ou des mâchoires.
Les gencives saignent et se creusent graduellement. La bouche de l’enfant sent mauvais. C’est une
maladie qui était contagieuse, affirmait-on.
Maladies infantiles provoquées
De coutume, le Sereer a connu des maladies artificielles. De tous les temps, elles furent le fait de
guérisseurs véreux et en rupture de consultant. Ces maladies étaient d’habitude provoquées par des
maléfices dont certains de la médecine traditionnelle fabriquaient pour nuire l’enfance.
Ce type de guérisseur se faisait aussi le spécialiste exclusif de faire ou de défaire son maléfice et
avec toutes les conséquences qui en dérivaient. Grâce à cela, il devenait le guérisseur en vogue.
Les maléfices mis au point étaient placé à la croisée des chemins qui vont aux champs ou au puits.
Dès qu’une mère le piétine par mégarde et c’est le début du commencement. Son enfant est
d’office atteint de la maladie véhiculée par le maléfice en question.
Ces genres de maladies artificielles sont dénommés dans le langage courant : xa kißre : nœuds de
cordons.
Par xa kißre, certains guérisseurs arrivent à propager de petites épidémies qui peuvent prendre des
proportions de contamination très importantes. Pendant la période du mal, le guérisseur fautif et
traitant en même temps est au zénith de la célébrité. Les consultants arrivent de partout et les
honoraires aussi.
Parmi ces kißre, nous citerons en passant celui dénommé O kiß ole’mbiimoor : le nœud de mbimor.
Il a été inventé par un Peul de Mbimor (voir entretien Ngouye Diouf à Niakhar, avec René Collignon
et Tékheye Diouf).
Dans la majeure partie de ces maladies, les symptômes sont caractéristiques. Dès qu’elles
s’annoncent, les habituées indiquent à la mère de l’enfant le nom du guérisseur qu’il faut contacter.
L’on dit assez généralement : kene de ; xa kiß axe ndeetar a nandtu : cela ressemble aux nœuds
maléfiques d’un tel.
Ils sont violents et demandent un traitement d’urgence que seul l’instigateur du maléfice peut
donner. Certains retards pour aller rapidement le consulter font des décès foudroyants d’enfants.
Ces maladies se manifestent souvent par des diarrhées bizarres ou des fièvres qui se terminent par
des crises mortelles.
Tant que le spécialiste n’intervient pas, la maladie reste incurable et impose une mort inévitable.
C’est par ces moyens malhonnêtes et sataniques que certains mauvais guérisseurs arrivaient à se faire
un renon tout en rançonnant leur voisinage.
Parmi eux, d’autres créent même des conjonctivites contagieuses qui ne s’attaquent qu’aux
enfants. Les yeux s’enflent et saignent en fin de compte s’ils n’interviennent pas en temps opportun.
La même pratique se constate chez certains guérisseurs qui ont détenu un maléfice propagateur de
la maladie mentale. Ils se sont fait un renom et ont finalement eu droit de cité dans les hôpitaux
modernes de psychiatrie.
Le traitement de ces maladies est très simple. Le spécialiste qui détient son antidote ne fait que le
mettre dans de l’eau. Dès que le malade s’y baigne et en boit quelques gorgées, il amorce
automatiquement une guérison. Les diarrhées ou les fièvres régressent rapidement. Dans le cas de
crises convulsives ou de folie, le malade retrouve aussitôt son sommeil et son train de vie normal.
Les maladies infantiles artificielles ne sont pas à confondre avec d’autres maladies épidémiques de
sorcellerie qui déciment périodiquement l’enfance.
Les unes sont l’œuvre de guérisseurs et les autres proviennent des naq (anthropophages). La
première rubrique est initiée dans le but d’avoir une consultation abondante ; quand à la seconde, elle a
pour but de détruire carrément des vies humaines et mêmes animales.
Parmi ces maladies artificielles, certaines mères les contractent dès la grossesse. La contagion
attaque directement le fœtus et se développe avec lui. Dès la naissance de l’enfant on fait le constat de
Maladies infantiles provoquées
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la maladie. Et l’on dit : xa πaak ndamun. Ye yaay fee refna’fud a xaße’den : il est atteint de la maladie
des cordons. C’est quand sa mère fut enceinte qu’elle fut contaminée.
La maladie de xa πaak est souvent localisée chez l’enfant au niveau du ventre ou de la tête. C’est
une maladie qui freine sa croissance et peut finalement provoquer la paralysie. D’habitude, on les
coupe pour libérer l’enfant. L’incision est faite par un guérisseur spécialiste. (Voir l’entretien de
Mbaye Diouma Diop avec René Collignon).
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Maladies infantiles d’origine alimentaire
Par l’alimentation, l’enfant sereer a contracté des maladies bénignes mais qui ont toujours eu un impact néfaste dans la démographie. Examinons-les une à une.
a) O fud o wuunu : un ventre ballonné. Le petit sujet a effectivement le ventre ballonné ; les joues sont
grosses et déforment un peu son visage. C’est un enfant maigre et a toujours l’apparence d’un convalescent qui sort d’une longue période diarrhéique. Dans un groupe de la même tranche d’âge que lui, il se
caractérise par le volume de son ventre et sa chevelure triste. Sa taille est la plus décevante. Cet état diton est provoqué par les restes de couscous du petit déjeuner que l’on donne aux enfants avant la cuisine
du repas de midi. C’est un frein à la croissance et le Sereer le reconnaît par cette déduction : Saa© ñaal
kaa ngoñaa’deßandoong = le couscous diurne freine la croissance d’un enfant. Quand cette situation est
chronique, l’enfant devient maladif. Ce fait reste marquant quand il devient adulte. Il lui reste ainsi une
tendance incurable à la paresse et à la somnolence.
b) O ngoopeel : c’est la maladie des petits bergers. Par le lait frais et chaud qu’ils ont l’habitude de boire,
ils finissent par avoir des urines qui se terminent par du sang. La phase chronique de o ngoopeel est
l’arrivée difficile des urines et s’accompagne généralement avec des caillots de sang. L’on dit alors : kaa
nesnel = qu’il est parasité. O ngoopeel est traité par o sanq (déparasitage traditionnel).
c) Ndilicaan : c’est une maladie qui est fréquente chez les enfants sereer. C’est une tendance d’aller uriner fréquemment. L’enfant ne maîtrise plus ses urines. Il mouille pour cela son cache-sexe (a lafat) sans
en être conscient. À la longue, il se plaint souvent de douleurs abdominales et sera souvent battu à tort
pour avoir mouillé le lit.
Cette maladie est contractée par certaines tiges de petit mil qui sont sucrées. On les appelle a canq
(une espèce de canne à sucre). Avant la maturation des plantes alimentaires, la recherche de ces tiges de
mil qui ne fleurissent jamais résume l’activité des petits sereer.
Avant la récolte des arachides, leurs coques qui sont à l’état tendre sont aussi une alimentation de
prédilection pour l’enfance rurale. Des rhumes à base de canq a areer (arachide qui n’est pas encore mûre) sont fréquents à cette époque.
d) O yoox : cette maladie intervient au début de la récolte du petit mil et de l’arachide. En cette période,
les enfants qui viennent de sortir de la soudure font de grillades d’épis de petits mil sélectionnés (muum)
exagérées. Quand aux arachides, c’est le temps des sil et wuuclaand : arachides grillées ou fumées dans
un trou. Il résulte de tout cela des diarrhées où l’on remarque dans les selles liquides des enfants des
grains de mil ou des particules de graines d’arachides non mastiquées comme cela se doit. Autour de ces
diarrhées, les anciens disent souvent : ñaamel qas ke na laxadaa xa pud axen teßandoofi axe : c’est la
nouvelle alimentation qui nettoie les ventres d’enfants.
Prévention traditionnelle de la santé infantile
Sauvegarder la santé de l’enfant et protéger sa croissance fut le premier souci du Sereer. Pour cela,
une gamme variée de recettes préventives a été mise au point à travers les âges et les différents contextes
de la natalité.
Un peu mises au second plan aujourd’hui en faveur de l’épanouissement de la médecine européenne,
ces recettes protectrices de la santé de l’enfant d’hier résistent encore grâce à leur efficience inaliénable.
La médecine des civilisés n’a pas réussi à résorber les maladies que ces recettes de prévention conjuraient. C’est ce qui fait encore leur recours fréquent.
Il s’agit de :
- Baxnax, yoog †ag, daaj. Chacun de ces rites ou pratiques est un moyen pour protéger l’enfant contre la
maladie. Cet ensemble de connaissances qui se transmettait de coutume de mère à fille et a fait que toute
femme productrice ou non avait ces procédés bien en tête. Les ignorer était mettre ses futurs enfants dans
une situation sanitaire trouble ou aléatoire. Nous allons les voir séparément.
Maladies infantiles d’origine alimentaire
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I. Baxnax
Baxnax est un rite qui absout de toutes les fautes de jeunesse. Puisque traditionnellement on dit que
maltraiter les animaux domestiques tels que chien et chat, la poule et les ustensiles de cuisine, pilon, calebasse, etc. engendre une malédiction sur les enfants d’une future mère.
Une telle infraction était ultérieurement punie et l’effet de la punition ne se manifestait que sur les
naissances de la fille devenue mère.
Spécialité exclusive des yaal-pangool ; leur vases remplis d’eau qui servent à cette purification regorgent d’un amalgame d’ossements et de morceaux d’ustensiles de cuisine. Le non-respect du baxnax occasionne dans le monde sereer des maladies qui sont bien connues et portent les noms de o ßox (la maladie
du chien) ; muus (la maladie du chat) ; a cek (la maladie de la poule qui se manifeste par des crises épileptiformes) ; a un (la maladie du pilon), etc.
2. Yoog
C’est un procédé rituel qui suspend les maladies infantiles à caractère traditionnel. Jusqu’à l’âge où
l’enfant aura la force de les supporter. Yoog préserve des maladies comme a cun (paludisme), a †eg foofi
(la coupure d’eau qui s’attaque souvent aux bébés très gros) les mamans d’hier en faisaient la pratique
pour ne pas avoir en portage un enfant maladif et surtout le yoog leur évitait les tracasseries des maladies
hivernales.
Ainsi, certains enfants qui bénéficiaient du yoog n’étaient atteints de la rougeole (o fias) ou de la coqueluche (o nqolocaan) qu’au seuil de l’adolescence. D’autres avaient même la chance de n’avoir pas été
atteints d’une quelconque maladie de infantile jusqu’à l’âge adulte.
3. ™ag
Ce rite préventif se faisait au profit de l’enfant maladif pour l’aider à supporter les variétés de maladies précoces qui le harcèlent souvent. On usait du †ag. Pour se préserver de la mortalité infantile. Les
enfants ayant fait l’objet d’un †ag avaient la vie sauve malgré leur état un peu pitoyable.
4. O daaj
Ce rite concerne a cii† a paaxeer. Pour obliger cet enfant extraordinaire ayant la faculté de vivre ou de
mourir quand il veut à rester en vie malgré lui, on faisait o daag pour lui. Grâce à ce procédé, son pouvoir
mystique à mourir comme il le désire est neutralisé. Bon gré et malgré, cet enfant vieillira dit-on souvent.
Retkatee sen ; xan a nogoy fa nuun : il ne repartira plus et vieillira avec vous.
Tant qu’on ne lui enlève pas son daaj, il perdurera dans son coma. La seule façon de l’achever sera de
connaître l’endroit où est mis son daaj et d’aller l’enlever.
Un cinquième procédé rituel est souvent fait en milieu sereer. On l’appelle pogdinax. Les mères qui
ont un enfant en portage le pratiquent avant de consommer toutes les plantes de contre-saison.
Ce rite dit-on préserve des fièvres qui découlent de cette infraction et qui attaquent l’enfant si ce rite
n’était pas fait.
Avant l’arrivée des vaccins et des vaccinations, la médecine traditionnelle n’avait que ces procédés de
prévention pour protéger l’enfance. C’est ainsi que de grands médecins d’aujourd’hui ignorent ou tournent le dos à cette grande pratique médicale d’hier à qui ils doivent tous leurs vies
Abortifs et contraceptifs traditionnels sereer
Jadis, la faute la plus lourde et la plus impardonnable à la femme sereer était la grossesse foraine.
D’une manière catégorique on la rejetait par ce proverbe d’une brusquerie qui ne laisse aucune nuance au
sujet des conséquences qu’elle pouvait engendrer, et engendrait fréquemment. En sereer, on disait souvent, rimkiim o piy o njegee’faap = je n’enfanterai pas un fils sans père.
Ce proverbe frappe de prohibition toute procréation humaine qui avait lieu hors du cadre légal du mariage. Grave infraction sociale dans la communauté sereer, elle couvrait l’adultère féconde (o piy o seeqe)
et la grossesse des demoiselles ou des femmes en rupture d’alliance.
Face à cette situation anormale qui était presque maudite, il fallait donc adopter des solutions anormales pour la contourner.
Nous allons séparément les analyser. Voyons d’abord les contraceptifs sereer.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
1. La jalousie. Elle fut généralement le meilleur des contraceptifs. Dans ce contexte, la fille était toujours retenue à domicile. En ces rares sorties de concession, elle était toujours avec sa mère. Cette époque
était dite celle du pagne sereer (pay nqiisu). À cette époque, la puberté était sacrée et une fille donnée en
mariage et qui n’avait pas son pagne (n’est pas vierge) au sortir de ses premiers rapports avec son mari,
s’attirait ainsi les foudres de ses parents. Ces derniers mêmes (père et mère), ayant été déshonorés par leur
propre fille, subissaient en plus le déshonneur du voisinage. Ils étaient indexés comme de mauvais éducateurs et tous les autres qualificatifs de bassesse étaient bon pour eux.
Puisqu’il valait mieux prévenir que guérir, il était dit qu’une demoiselle ne devait jouir de sa relative
liberté d’aller et de venir que chez son mari.
2. Les guérisseurs. Avec des enfants romantiques, la prévention contre la grossesse ne trouvait sa prophylaxie que chez les guérisseurs.
Les mères s’investissaient avec beaucoup d’ardeur en des démarches et les consultations chez des
guérisseurs-spécialistes de la contraception. Dans la médecine préventive sereer, il y avait et cela existe
de nos jours des plantes spéciales qui empêchent de féconder et d’autres qui protègent des MST.
Parmi ces gris-gris contraceptifs que les mamans achetaient aux guérisseurs pour leurs filles qui
étaient dites de tendances pernicieuses (kaa wat o mbind) nous allons citer le plus courant. On l’appelle o
reex a se† : bâtonnet de van.
Le van est une espèce de panier évasé et qui est traditionnellement fabriqué avec des tiges tendre de
ndag (quinquéliba) ou de nqu† (arbuste). Il servait généralement au transport de la paille d’arachide dans
les concessions ou à celui des immondices de concession vers les champs comme fumures. Il est dit qu’en
attachant ce bâtonnet comme gris-gris et solidement en collier à la ceinture d’une fille sournoise, sa mère
peut dormir tranquille et la laisser vagabonder comme elle l’entend. Tant qu’elle aura ce gris-gris sur elle,
elle pourra avoir des rapports sexuels à sa guise sans encourir le risque d’être enceinte.
L’inconvénient reste qu’en perdant ce gris-gris, la fille devenait stérile pour de bon. Sa mère ne
l’enlevait qu’au seuil de son mariage.
D’autres préventifs plus ou moins efficaces sont confectionnés chez ces guérisseurs. De toutes les variétés, celle qui a fait ses preuves jusqu’à maintenant est le bâtonnet de van. Quand aux autres, les mères
se lamentent souvent de leur inefficacité par ces termes : o pan oxaa’naxaxam : le guérisseur m’a trompé.
Cela pour dire en clair que, malgré l’intervention du guérisseur, sa fille turbulente est devenue grosse.
Nous arrivons ensuite aux abortifs. Ils ne sont pas nombreux, mais existent quand même.
En milieu sereer, la seule position qui fut adoptée en cas de grossesse irrégulière était l’avortement.
On l’appelle a batin o fud : défaire une grossesse. Pour cette pratique, le Sereer était minutieux et très expéditif. Dès les premiers symptômes de concession, la mère de l’intéressée n’est point dupe. Après ou
sans concertation avec le père, elle opte pour aller à la recherche d’abortifs. Les unes consultent secrètement des guérisseurs-avorteurs de leur connaissance et les autres, qui sont des connaisseuses, se mettent
tout de suite à l’œuvre pour se débarrasser de ce début de grossesse-vacarme pour libérer en plus leur fille
d’une honte éventuelle.
Elles vont spontanément faire la collecte de plantes abortives. Mieux encore, les connaisseuses
confectionnent dans le plus strict secret des tisanes ou des breuvages efficaces avec de fameuses recettes
d’avortement. Parmi ces recettes, nous indiquons ci-après les plus courantes.
a) Les racines de mbeñefeñe. On les brise avant de les introduire dans l’eau. La solution est cachée dans
un récipient où la fille enceinte ira boire dès qu’elle a soif. D’une saveur aigre et lourde, l’effet se manifeste dit-on par des coliques intermittentes et une constipation. Après trois jours, des diarrhées se manifestent. La fille finit au lit et commence son calvaire. Quand elle renouera avec le voisinage, elle sera
maigre, paresseuse et avec un physique déficient.
b) Les tamarins. Ils diluent la boule de sang qui commence à former le début de la grossesse. Leur effet se
traduit par des pertes sanguines plus ou moins importante et selon la durée de la grossesse. Les tamarins
provoquent un lavage propre de toute trace de grossesse.
Chez les guérisseurs, la pratique d’avortement est plus complexe et devient plus dangereuse. Les
avorteurs donnent en général une collation d’abortifs comme remèdes. Ces breuvages à base de plantes
multiples enlèvent non seulement la grossesse mais peuvent devenir du poison quand ils sont administrés
à moyen ou à long terme. Résultat, c’est la mort de la future mère qui s’en suit.
À propos des maladies sexuellement transmissibles (MST)
La maladie sexuellement transmissible en général fait aujourd’hui l’objet d’une confusion de signification par rapport à celle traditionnelle qui avait fait son apparition chez les anciens.
D’abord, elle était rare à cette époque. Les voyages ou les rencontres susceptibles d’occasion-ner
des rapports sexuels avec une partenaire de fortune et porteuse d’une telle maladie étaient presque
inexistants. Les communications intercommunautaires sont devenues variées et lointaine que la maladie sexuellement transmissible s’est elle aussi diversifiée et a donné naissance à des appellations sobriquet dans le milieu sereer.
La seconde conception de la MST vient des guérisseurs mêmes.
Pour eux, forger un nom pour une maladie était plus facile étant donné qu’ils furent les premiers
voyageurs hors zone. A beau mentir qui vient de loin. La seconde raison ; qui peut soigner une maladie peut bien lui attribuer une appellation, lui donner une dimension qu’elle n’a pas, apeurer enfin pour
avoir la soumission totale du malade. Tous ces facteurs de parcourt font aujourd’hui que la MST qui
était naguère une ; est devenue multiple.
La conception de la M ST par les anciens sereer
Traditionnellement le Sereer connaissait deux formes de maladies sexuelles. L’une transmissible et
qu’on appelait jir no koor et l’autre d’origine mystique ou provoqué qu’on appelait : ndoom. À propos
de jir no koor ou maladie d’homme. Un proverbe sereer dit : o ñaañaaÚ na nanaa fop, a andaa fop
ndaa’ten na ßi siidaa fop : autrement dit c’est le voyageur ou le vagabond qui entend tout, qui connaît
tout mais aussi, c’est lui qui revient avec tout. Tout s’explique par ce proverbe. Le voyageur est revenu
avec une maladie contagieuse qu’il transmet à une ou plusieurs partenaires. C’est une autre raison aussi pour dire qu’à l’origine l’homme est à l’origine de la MST et non la femme qui ne fut qu’une victime.
C’est quand jir no koor (et non jangaru no koor) cette appellation a été colportée chez les SDereer
par des émigrés (qui avaient parmi eux des charlatans venus du Kajoor et du Bawol) a fait des pas
qu’un dérivé lui a été donné en appellation sobriquet d’abord.
Quand exceptionnellement un homme était atteint de jir no koor on disait derrière lui : kaa footel
et qui vient de a πoot qui signifie la petite entrée d’une concession.
Cette appellation veut dire que l’homme est passé par la petite entrée pour aller trouver la femme
sans être vu. C’est kaa footel qui a donné naissance à o mboot que les guérisseurs ont vite vulgarisé au
cours de leurs tentatives pour soigner jir no koor.
C’est d’ailleurs pour éviter la propagation de jir no koor que les anciens Sereer l’avaient entouré
d’interdits à caractères sexuels.
1. Il était interdit à un Sereer d’avoir de rapports sexuels avec une forgeronne, une peulh ou une étranger quelconque de passage au clan ou dans la tribu. Que toute personne qui transgressait cet interdit
serait victime d’une maladie ou d’un maléfice de pauvreté.
2. Quand on revenait récemment d’un voyage il était interdit d’avoir des rapports sexuels avec sa
femme. Cette dernière prétextait toujours d’ailleurs d’avoir ses règles. C’était juste le temps pour voir
si on arrive pas avec une maladie.
3. Quand une femme était soupçonnée d’être facile, et peut être source de maladie contagieuse,
l’homme qui la fréquente pendant sa relégation était frappé du même sort. Tout cela était mis en oeuvre pour se couvrir des maladies sexuelles contagieuses et incompréhensibles.
Dans le milieu sereer, ce sont les émigrés repentis revenus au terroir et les migrants venant du Kajoor et du Bawol qui ont été les vrais propagateurs des MST et de leurs appellations et cela avec le
concours des guérisseurs.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
C’est ainsi que les appellations de sopii, de safikar et de socet qui sont importées ont échappé à
l’affection de jir no koor pour être ériger en maladies sexuelles propres.
Jir no koor avait plusieurs manifestations. Voyons-en quelques unes :
a) A seed a suxu ou urine obstruées (rétention d’urine). Le malade était fermé. Pas d’urines et pas de
selles. On est constipé. Tant qu’on ne lui fait pas un yerin ou un mbaar pour diarrhée, le malade risquait le mort.
b) ndoom socet, traditionnellement on dit qui le bouton de socet de la femme qui grandit, devient un
cornet dont l’extrémité est pointue dans l’utérus. Au cours des rapports sexuels avec elle, si par mégarde cette extrémité vous pique ; il secrète un bouton sur le sexe de l’homme. Ce bouton éclatera et
l’eau qui s’y trouve touchera d’autres endroits du sexe où apparaîtront d’autres boutons.
Ces boutons demandent toujours à être gratté et c’est ce qui les transforme en plaies.
Évolution du ndoom socet sans soins
Ces boutons devenus plaies se rejoignent et forment une plaie circulaire qu’on retrouve souvent
autour du gland de pénis. C’est ce que les anciens appelaient : ngot, qui signifie coupure. C’est cette
appellation qui a été manipulée par la charlatan colporteur de savoir pour recevoir le nom de safikar ou
chancre.
Le ngot du socet peut se transmettre car disaient les anciens, le liquide limpide d’abord et qui finit
par devenir en se coagulant du pus se colle dans la rainure de la coupure peut sécréter des boutons
contagieux que l’on transmet à l’autre dès qu’il y a rapport sexuel.
Voyons à présent ndoom no naq ou soox o yeng. Ndoom no naq est d’ordre sorcier. C’est pourquoi, les diverses explications qu’en donnent les guérisseurs ne peuvent que semer la confusion. Seul
un ma∂ag ou un sorcier pourrait dans ce domaine donner des informations fiables. Pour ce genre de
maladie sexuelle qui n’est d’ailleurs pas contagieuse les manifestations peuvent être différentes bien
que visant le même but. C’est ainsi que l’on rencontre :
1. Soox †aleer ou ndoom †aleer. C’est la forme la plus foudroyante. Après les rapports sexuels, la victime est aussitôt abattue. Survient une constipation rapide du bassin au sexe, tout se gonfle. En moins
de trois jours l’individu est enflé puis meurt. Là, c’est une transmission directe mais sans contagion.
Le ndoom †aleer est un korte sexuel qui ne laisse pas au malade le temps d’aller se soigner. Cette action de sorcellerie courante rencontre souvent une contre-attaque qui réagit de la même façon. La victime qui reçoit le coup détient un contre-pouvoir et renvoie le maléfice à son auteur. C’est ce que disait le Sereer par l’expression : kaa daknel ndoom ne ou kaa daknel soox um : signifie on lui a renvoyé
son coup. C’est pourquoi, les anciens Sereer disaient en proverbe : ndoom mbaa soox a ∂alangee nee
∂axeel : quand le coup n’a pas manqué sa cible, on ne le soigne pas.
Nota. Kaa daknel ndoom ou kaa daknel soox ont donné naissance à ndakin, nom donné à
l’écoulement de sperme dont sont victime certains amoureux.
Ils disent : ndakin signifie écoulement, ce qui est totalement faux. En sereer, quand une personne
avait des pertes de sperme ou disait : ka ßaxaa foofi, il déverse de l’eau, qui est une forme de pudeur
pour ne pas dire abruptement : kaa ßaxaa fogoor : il déverse du sperme. Cette situation arrive souvent
dans les circonstances suivantes :
a) ∂uq timb of. Avoir des rapports avec un sexe maudit par les Sereer (peulh, forgerons etc...).
b) ka duq tig no kiin. Avoir des rapports sexuels avec la femme d’autrui dont le mari a fait du tooke
(vecteur de maladies sexuelles fabriqué par les peulh) sur sa femme afin de punir toute adultère.
c) O toog jini mbaa’toog fangool. Quand l’homme a une fiancée jin ou fangool, qui est jalouse, il lui
fait subir ces pertes de sperme pour tempérer ces élans d’amoureux.
Voyons maintenant ndoom ou soox †alu : signifie le coup manqué. Il est d’ordre mystique et ses
réactions peuvent être tardives et prolongées. Le sexe du malade est recouvert de plaies qui suppurent
en permanence. Au lieu de lui couper le gland de pénis, elles remontent vers le bassin et qu’elles attei-
À propos des maladies sexuellement transmissibles (MST)
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gnent si un traitement efficace n’est pas intervenu. Là, ou le malade meurt, ou il vit un calvaire car il
sera dans un état incurable tant qu’il ne trouve pas un grand spécialiste de la question sorcière.
Sobriquets donnés pour o yoom
1. O dis. Testicules aplatis au marteau c’est comme on procède pour castrer les bovins.
2. O ßaraa†. Fessu comme une femme mais ne peut rien avec elle.
3. O mbap o πuußu. Pantalon frais qui ne sent jamais la colère du pénis en érection.
Autres maladies sexuelles
1. Il existe une maladie sexuelle qui attrape certains hommes et que les guérisseurs appellent dafi-dafi.
Ils n’y font pas allusion mais la connaissent.
Le dafi-dafi n’est pas une défaillance sexuelle mais plutôt un excès.
L’homme a accès aux rapports sexuels, mais n’éjacule pas. Cette maladie a été cause de beaucoup
de divorces.
2. Xa ñaaw. C’est une maladie sexuelle dite maladie du veuvage. Atteint l’homme qui n’a pas respecté
la période de deuil imposée à la veuve ou au veuf. Elle se manifeste par un raidissement du corps et
entraîne la mort lorsque le malade ne se purifie pas.
3. Yoom faa’kum o nqali. Deux maladies qui sont proches, mais différentes. Toujours est-il qu’il s’agit
de défaillance ou d’impotence sexuelle. A kum o nqali est une maladie de rivalité. Il consiste à rendre
le prétendant vainqueur inopérant lors des premiers rapports sexuels. Concernant o yoom, on en rencontre deux catégories :
- Rimtel yoom. L’impuissance congénitale.
- A pudax jofi (littéralement descente de lit). C’est une maladie de vieillesse ou maladie de faiblesse
(fatiguement, épuisement sexuel pour l’homme qui a trop fait la femme).
Au sujet de la femme, une maladie courante yelef pay (avoir le pagne léger). Cette femme n’est
pas prostituée mais plutôt hérétique. Court toujours à la recherche d’un partenaire et à défaut d’en rencontrer peut même utiliser des objets quelconque pour jouir (bâton, morceau de pilon, mettre ses
doigts dans son vagin.
Contamination par l’urine ou le sperme
L’ancien serer disait : o toog a fadangaa dolu waratee fe na ndok faap um ; waratee rok’w o mbap
faap um to waratiran o dap : qui veut dire littéralement : quand la fille atteint l’âge du mariage, elle ne
doit plus passer la nuit dans la case de son père ; elle ne doit plus porter le pantalon de son père et ne
doit plus le linger.
Voila la phrase qui renferme toute la conception philosophique du Sereer sur la sexualité. C’est
d’abord une vision prophylactique en matière d’amour et de nuptialité mais aussi c’est un cadre réfléchi dans lequel toutes les causes de contamination et les précautions à prendre se reflètent.
C’est ainsi que la première forme de contamination chez le Sereer se trouve être la fécondité.
Comment ?
Quand il dit : o toog waree rok’wo mbap faap um to wariran o dap (La demoiselle ne soit pas linger, ni porter le pantalon de son père), c’est dans le souci d’éviter le contact du sexe de la fille avec la
souillure de sperme d’après rapports sexuels qui tâche le fond du pantalon du père.
Il a pensé qu’avec ce germe de sperme une fécondation est possible avec la fille vierge à l’âge
d’enfanter et qui a cette époque a un organisme génital neuf sensible à toutes les affections possibles.
Rien qu’avec le contact du pantalon paternel, la fille peut être enceinte. C’est pourquoi, il est toujours
interdit à la fille de laver ou de porter le pantalon de son père. En règle générale, il est défendu dans la
société sereer de porter les effets vestimentaires d’un malade ou d’un mort avant de les avoir désinfectés ou purifiés.
Le non-respect de cette règle engendre toutes les formes de contamination.
Nota. Comme désinfectant purificateur nous avons.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Pour la maladie avec perte de sang ou crachat et urine : la cendre. Pour les effets du mort, c’est
l’incinération, les écorces de cad et les feuilles de liit-roog. C’est pourquoi sur la bave laissée par
l’épileptique après une crise, sur les urines ou le sang menstruel de la femme malade on versera de la
cendre pour éviter tout contact contagieux. Traditionnellement, les effets vestimentaires du mort seront
quatre fois lingés avec des écorces de cad, des feuilles de liit-roog et du savon avant d’être remis en
usage.
Au sujet de la contamination hors rapports sexuels des MST, les causes exogènes sont variées.
C’est ainsi que nous avons : a qaß ngulπa ou la contamination par le pagne ou le pantalon. Là, puisque
le pantalon ou dessous du malade (le pagne de la malade aussi) est toujours souillé, il va sans dire que
le germe de sa maladie s’y trouve en permanence. Le port de ce vêtement ou tout autre contact manuel
ou sexuel peut être contagieux.
A qaß xulang ou contamination à l’urinoir. C’est le lieu de résidence de tous les germes malades
ou sains. C’est pour cette raison aussi qu’on interdit et surtout aux jeunes filles d’aller à l’urinoir des
adultes pour pisser. Rien qu’avec ça, la jeune fille peut être victime d’avoir des règles en bas âge. Les
jets d’urine déterrent les germes de maladies qui sont fréquentes dans ce lieu et les germes du sang
menstruel y compris.
A qaß o jaf ou la contamination par le pied. Un proverbe sereer clarifie cette forme de contamination. Il a dit : o jaf a moofkangee’dak toy. Quand on ne finit pas d’aller et de venir, on piétine à la fin
des matières fécales. En clair, le promeneur ou le vagabond n’a pas de choix ou d’endroit décent où il
va au besoin. Le coin isolé d’une route ou le bosquet sont là pour lui. C’est là aussi où les malades qui
se cachent ou ont honte de leur affection vont pour préserver leur anonymat. Celui qui les remplace au
même endroit où ils ont fait leurs besoins risque aussi la contamination (toujours par jet d’urine ou
piétinement de matières fécales).
A laal. C’est une forme de contamination mystique. A laal est un oiseau au plumage vert-cendre qui
porte malheur. C’est ainsi que le parricide, l’homme qui verse le sang d’un fou ou de celui de certains
animaux inoffensifs et la femme qui ébouillante son mari par exemple risquent de recevoir par transmission occulte les mêmes effets infligés à la victime.
Propreté et hygiène chez les Sereer
O xool signifie la propreté en sereer. Elle embrasse tout un univers qui part du simple au composé
et des l’abstrait au concret.
Pour aller dans le sens large de la propreté en pensée sereer, nous allons commencer l’analyse de
son proverbe suivant : Kaam xool a koopo ; mbindoo ! Littéralement cela veut dire, je suis propre en
brousse comme dans la concession. À entendre s’exclamer un Sereer de la sorte, on peut spontanément
en déduire que voilà un sereer qui fait de sa propreté une nature. En fait un gars qui fait de la propreté
une réalité plus forte que l’hygiène sociale et ses implications.
Cette exclamation peut tromper dans son essence profonde la compréhension du non averti car elle
renferme une considération très vaste sereer. Nous allons voir qu’est-ce qu’elle veut rationnellement
dire :
A) kaam xool = veut dire je suis propre. Part d’abord de la propreté de l’individu.
B) Kaam xool = définit ici la propreté sociales de l’individu. Dans ce cas de propreté, nous sommes
devant un sereer honnête, sans vie privée obscure. On y ajoute souvent : o puung refum qui veut dire ;
je ne connais rien de la sorcellerie.
À partir de ces deux formes de propreté qui embrassent la vision générale du Sereer sur la propreté
et l’hygiène ; nous allons un peu détailler.
Voyons d’abord ce que c’est la propreté objective et individuelle qui gravite autour du Sereer : elle
se résume par o qoolel : être propre et se comprend de la manière suivante.
1) O xool o rimel : être d’une naissance propre. L’on indique ici l’individu issu d’un mariage légal et
qui est né dans des conditions saines et sans heurts.
Là, l’intéressé se vante d’une naissance sans souillure d’adultère ; il est en outre venu de deux
sources équivalentes où aucune maladie socialement méprisée n’est connue. Qu’il est né dans une
concession respectable, bien faite où les règles du bien-être sont de rigueur.
2) O xool cer : la propreté du corps. Elle renferme o xool kam fa tafil : propre du dedans et du dehors.
Voyons d’abord o xool tafil : Propreté du dehors. Elle part du corps de l’individu, je veux dire de
sa peau jusqu’à ses parties non apparentes. L’intéressé y apporte tous les égards possibles pour les
mettre en bon état et à l’aise. Il y met aussi toute l’attention et les soins nécessaires pour les tenir en
bonne forme. par un habillement protecteur et prévoyant, la personne récuse et s’éloigne de tout ce qui
peut modifier de près ou de loin le cours de sa propreté corporelle. Pour son corps, il ne cultive que la
santé. D’habitude, il dit souvent à son entourage : kaam sibid, certes mbugee qooleer : je suis
allergique à la saleté (ndo) et mon corps n’aime pas le manque de propreté. Une telle personne
affectionne à l’entretien de son corps et de son habillement avec une attention méticuleuse.
O xool kam. Intérieur propre. Là, il y a d’abord o xool yiif : l’esprit propre. Il s’agit d’un individu
intelligent. Ses réactions sont vives et vont toujours dans le bon sens. Il comprend rapidement et réagit
immédiatement avec raison. A toujours de résultats positifs à la suite des oeuvres ou travaux qu’il
entreprend. Mentalement, il ne souffre d’aucune tare. Cette personne dit souvent à ses camarades : yiif
es kaa xool ; a fel. Neem o wee caa dara : j’ai l’esprit propre (clair) et agréable, je n’oublie rien. Pour
cela, l’intéressé est réceptif et n’est atteint d’aucun mal de l’esprit ; même oubli (naax ; beec).
Ensuite, il faut avoir o roon o xoolu. Une alimentation propre ; car le Sereer dit : o fud refee doktal
a weteel ; a leeleel. Kuu’ßekaa teen, kaa war o xool. Qui veut dire : le ventre n’est pas un débarras
qu’on ouvre et nettoie (balaye). Tout ce qu’on y introduit doit être propre. C’est pour dire que la
nourriture de la personne doit être bien entretenue, bien préparée et bien protégée avant d’être avalée
et consommée. Elle ne doit occasionner aucune souffrance éventuelle dans son ventre.
Pour clore ce chapitre le Sereer se résume par ce proverbe : O wod oxe eettaa no xool kam fa tafil :
avoir la santé commence par être propre du dehors et du dedans. C’est ainsi qu’au cours du Mbe
(cérémonie rituelle pendant le mariage sereer) des recommandations fondamentales concernant
l’hygiène et la propreté sont faites à la nouvelle mariée.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
D’abord on lui dit :
a) O tew o seeseeq kaa wennoora xa peem : la femme adultère fait insulter ses enfants (voir o xool o
rimel).
b) O tew ; o qoolel malun : la propreté est une qualité d’épouse. Ici, c’est pour résumer les impératifs
de la mariée dans son foyer conjugal. Elle doit tenir dans une stricte propreté ses ustensiles de cuisine,
les habits de son mari, de ses beaux-parents ; de ses enfants, la cour de la concession conjugale et ses
dépendances. Elle doit être propre elle-même avant d’être en contact avec les aliments ou d’avoir des
rapports sexuels avec son mari (d’où abstinences en période de règles).
c) Ba ref saatofiaat no gen of : ne sois pas la salade de tes camarades. Ce proverbe insinue que la
mariée ne doit pas se négliger au point de se faire souvent remarquer entre ses camarades par des
effets sales ou par un entrain repoussant. Qu’elle sera à chaque occasion tenue d’être comme les autres
en tenue correcte et propre ; aura apporté à son corps tous les soins requis pour la circonstance.
d) Ba seq o qoolel a cek : n’aie pas une propreté de poule. Elle est bien comprise la propreté de la
poule. Dans la cour, elle est belle et propre de plumage, mais vas voir à l’intérieur de son poulailler.
En clair, cette boutade veut astreindre la nouvelle mariée à veiller sur propreté sans reproche de sa
chambre à coucher, mieux, de tout son environnement intime. Elle lui assigne la recommandation de
tenir le canari qui contient l’eau à boire constamment potable ; d’y mettre un couvercle pour
qu’aucune nocivité ne s’y introduit ou n’y tombe. Le lit doit être toujours couvert par des draps
propres et impeccables. Balayer, nettoyer tous les recoins de sa chambre où l’œil indiscret peut voir et
y constater un laisser-aller.
B. Voyons maintenant l’expression kaam xool et qui a trait à la propreté sociale. Elle commence par la
prohibition de certains mariages à cause de facteurs dits sales en milieu sereer.
Le premier facteur observé en matière d’alliance est la maladie. Pour sauvegarder le
développement harmonieux de la santé familiale et son respect scrupuleux ; le Sereer a toujours
abordé le mariage avec un maximum de méfiance et d’analyses interfamiliales des plus critiques.
C’est ainsi qu’une famille où sévit la lèpre (a tik a maak ale) ou la tuberculose (ox) trouvait jadis
difficilement une autre où donner une épouse ou en marier. Sans une autre famille équivalente, je veux
dire une autre qui a les mêmes problèmes ; une personne issue du dit milieu ne pouvait presque pas
trouver un conjoint(e). Le Sereer disait au sujet d’une telle famille : nqoole kaa seq o †oomel lamatir :
il ne sont pas propres ; ils ont une maladie héréditaire.
Le bannissement pour cause d’anthropophagie ; pour démence et kleptomanie ; la méfiance autour
des tims à pagne léger (tim où les femmes en mariage se caractérisent par une tendance à l’adultère) ;
tous ces facteurs écartaient l’individu et sa famille de la propreté sociale. Il en était de même pour les
familles d’esclaves. L’on disait après elles : nqoolee, jege yoo. Ne sont pas propres, c’est des
propriétés.
Chez le Sereeer, pour être propre il fallait résister à une analyse limpide et sans concession. Ainsi,
il fallait être :
- d’une famille bien portante où une tare sanitaire n’y est pas endémique.
- être de tim et kurcala de bonne moralité (sans comportements ou défauts sociaux indésirables).
- avoir une vie équilibrée ; vivre dans une concession décente et d’une autosuffisance alimentaire
régulière. Après tout cela, un Sereer pouvait dire : kaam xool no mbind : je suis propre à domicile.
Analysons maintenant o xool na kop : je suis propre en brousse ou ailleurs. Il s’agit là d’une
propreté difficile à acquérir. Là, c’est l’entourage voisin ou même éloigné de l’individu qui juge. Et
son observation dépasse le cadre intérieur de l’individu. En fait, sa propreté est évaluée en fonction de
ses actes quotidiens chez lui, dans la collectivité, dans ses propres œuvres et dans celles des autres.
Concernant la propreté interne ou individuelle, le Sereer la résume par ce proverbe : waag o taan,
eetteen na sal njong of : pour bien dormir, commences par le pieu qui soutient ton lit. Autrement dit :
pour aspirer à la propreté, commences par toi-même.
Quand à la propreté extérieure ou extériorisée, il ajoute : boo laaswaa’xool, na kop ; etteen no
bitof (pour te vanter d’avoir une grande propreté externe ; commence la par la palissade de ta
concession).
Propreté et hygiène chez les Sereer
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C’est ainsi qu’après avoir défini l’hygiène requise pour l’individu, sa famille et sa concession, la
pensée sereer s’est déployée dans l’environnement extérieur de l’individu. Voyons comment le Sereer
appréhende o xool na kop.
La propreté extérieure commence par le pourtour clôturé de la concession dit-il (ßit).
Par mesure de prophylaxie, en vue d’écarter les serpents, les rats et souris loin des concessions, un
désherbage des abords de concession est toujours recommandé et surtout avant la réintégration des
récoltes. Ainsi, tous ces déprédateurs et autres parasites pouvant être sources de maladies sont écartés
grâce à cette forme d’assainissement et de propreté. Pour flétrir le nom respect de cette
recommandation d’hygiène, le Sereer a dit : o yaal ßit ñoxoßu wee fañ o gen fa fangool mbaa’†omel :
quand la palissade d’une concession n’est pas décente, son propriétaire ne peut refuser de vivre avec le
serpent ou la maladie.
Dans sa vue pour l’hygiène la propreté extérieures, le Sereer se définit encore par ce proverbe :
oxuu siñjna mbind o Sex a †at a tadak :
- 1 A le jofnan poy ke ;
- 2 A len qol axe ;
- 3 Fa’le jofna na ngas ale. Ce proverbe veut dire : qui fonde une concession est obligé de créer trois
passages. Le 1er va au cimetière, le second aux champs et le troisième au puits. Pour l’évolution d’une
concession, ces trois passages sont indispensables et revêtent un caractère hygiénique. Par le premier
on se débarrasse des morts qui ne peuvent plus vivre dans la concession pour des causes que l’on sait
(putréfaction ; exhalaison d’odeur, etc.).
Le second est une source de vie incontournable. Sans elle, aucune possibilité d’hygiène ou de
santé.
Et enfin, le troisième qui permet l’accès aux ressources alimentaires n’est pas aussi de moindre
importance.
À propos des endroits où mènent ces passages, le Sereer ajoute :
1. Pour les cimetières, il a dit : xoox poy ; xoox mbind’foo : désherber les cimetières, c’est assainir sa
vraie concession. Celle où nous vivons sur terre n’est que passagère. La vraie demeure reste donc la
tombe. Voila pourquoi, un investissement humain à caractère religieux est annuellement programmé.
À cette occasion, les cimetières de villages sont désherbés, nettoyés et remis en bon état.
2. Pour le puits, l’eau à boire, pour faire la cuisine, se baigner en un mot le moyen unique d’asseoir
une propreté humaine permanente est dans le puits. Il faut le protéger, s’en occuper pour qu’il ne tarit
pas et veiller à ce que son eau ne devienne pas empoisonnée ou odorante. Propre, limpide et potable, il
faut que l’eau du puits reste ainsi pour que vive le Sereer.
En résumé, le Sereer s’en tire par ce proverbe : o ßogwangaa xool, yer xeÚ, foofi matu ma. Si tu te
laves proprement et bois à ta soif, c’est l’eau qui y est proche.
3. Pour ce qui concerne le champ, la vision prophylactique de propreté du Sereer est riche et variée.
Elle commence par ce proverbe :
- yaaj fik, may ax moÚun : il est meilleur d’avoir assez de semences que d’avoir défriché une grande
étendue. Autrement dit, cette surface rendue propre au prix de grands efforts retourne toujours dans la
jachère forcée par manque de semences.
- Neew o qol taa xool na ßarnaa’yaaj o qol ta ßoow : petit champ propre et bien entretenu reçoit
toujours grand champ mal cultivé comme un pique-assiette. Autrement dit : pour avoir un rendement
optimum, c’est la propreté du champs qui est d’abord l’élément moteur. C’est ainsi que l’importance
de la superficie cultivée n’aura plus de sens si elle n’est pas propre. Comme les êtres humains dit le
sereer, gañcax kaa haataa : les plantes respirent. Quand on ne leur donne pas les conditions d’hygiène
nécessaires ; elles s’étiolent, étouffent et meurent. C’est pourquoi et après les semis, le brave paysan
sereer de l’époque des labours traditionnels cultivait chacun de ses champs trois fois de suite.
L’on disait : o qol o cooxangaan a las um, ta lalong ke ta cooxkang : celui qui donne à son champ
l’entretien ; les soins et l’état de propreté qu’il mérite, il te montrera ce que tu en récolteras.
Les noms respectifs de ces trois passages laborieux dans les champs sont :
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
1. Baxaaw. premier labour qui intervient dans la première quinzaine de la germination. Elle est opérée
pour empêcher les mauvaises herbes de dominer les jeunes plantes, et de faciliter l’évolution de la
germinaison.
2. Biyaat. second labour, il permet de terrasser les herbes parasites qui ont tardivement germé. C’est
aussi une autre façon d’approcher le plus près possible l’assise de la plante, de la secouer. Cela lui
permet d’avoir plus de vitalité.
3. Nambaat. C’est le dernier labour. Il fait une bonne maturation et donc une bonne récolte et qui sera
facilité par une propreté intérieure du champ. Quand le Sereer avait rempli toutes ses conditions, il
pouvait librement clamer : kaam xool a kopoo, mbindoo. Et la réplique du voisinage quand il disait
vrai été : ndigil a layu ; o kiinoo tigi ! Il dit vrai, c’est une personne vraie.
Toujours dans le même cheminement, nous allons nous ouvrir dans le chapitre : Propreté et
médecine traditionnelle sereer.
En ce domaine, il s’agit d’acquérir deux formes de o xool (propreté) qui n’ont pas les mêmes
aspects théoriques. Le Sereer les différencie par ce proverbe : boo wodaa o xool, to boo xoolaa, o xox
ndo†, xox soße : pour avoir la santé, il faut être propre et pour être propre, il faut résister au salissement
(Ndo†) et à la souillure (Soße). Le premier concept ayant été analysé au départ, nous allons maintenant
entrer dans le domaine combien complexe du second.
Ndot-Soße engendre le salissement mystique dit souillure ou impureté. En un mot, il s’agit là de
l’impropreté scientifique traditionnelle. Pour acquérir cette seconde forme de propreté une seule
solution s’impose : la purification. Elle est obtenue par une opération curative de médecine
traditionnelle que le Sereer dénomme : Pogi". Fait en outre l’objet d’une pratique de géomancie avant
le traitement qui est généralement effectué par des yaal pangool ou des spécialistes qui connaissent les
plantes nécessaires (ßooßog).
Les différentes formes de πogid sont :
1. Pogid-Bek : Purification de celui qui est fermé (là on fait allusion à celui dont la situation sociale
n’évolue plus. Les portes de toutes les chances lui semblent fermées). Dans ce cas, l’individu échoue
dans la réalisation de ses projets. Chez le guérisseur ou le voyant on lui dira tout bonnement : Bogwi
bo xool ; koo ro∂ig. Ndo† ke mbegong : laves-toi proprement (purifies-toi), tu es sales et, c’est cette
saleté qui te ferme. Après cela, un bain spécial à base de racines, poudres, incantations et autres lui
sera administré pendant un certain temps. Ce traitement a pour but d’ôter toute souillure nocive en
l’individu.
Finalement, il est dit ouvert, le constat se fait par une subite évolution et une réussite récente dans
les projets.
Ainsi, l’impureté mystique qui a naguère paralysée l’évolution sociale de l’intéressé est dite lavée,
et le guérisseur lui dira une autre fois : xoolaa bo nen o onqeq : tu es très propre, comme un nouveauné (on fait là allusion à la propreté du nouveau-né dont on dit qu’il arrive au monde sans souillure).
2. Pogid nqeñ mbaaxeer : Il s’agit ici d’un salissement : maladie.
Nqeñ mbaaxeer veut dire : vent mauvais, vent nocif, vent maladie. Il est occasionné par les mauvais
esprits (jini : jin ; o qon o paaf = mort vivant, etc.). C’est un vent souillé qui pénètre l’individu et le
rend malade. L’individu a le corps pâle, il maigrit et tousse souvent. À l’état chronique, nqeñ
mbaaxeer s’attaque au sang du malade et qu’il fait cailler jusqu’à ce que mort s’en suive. La pâleur du
corps de l’individu est dite occasionnée par une poussière mystique dite fo ut o faaxeer et que nqeñ
mbaaxeer dépose sur la peau de sa victime avant de la pénétrer. Dans une telle situation, seul un bain
de purification long et complexe sauve l’individu du trépas.
3. ∏ogid calel : Purification de la victime d’un maraboutage. Il s’agit là d’un bain de purification pour
conjurer les diverses maladies dites de vengeance qui se font entre les individus antagonistes. Elles ont
pour noms : korte, xa kenjen, o faÚ, soox, etc.
4. Naawtax, a sutax oo njuli ; pogid no kulook écartent chez les concernés (veuves, circoncis récents et
nouvelles mariées) des impuretés qu’il faut enlever par des bains de purification avant de remettre en
selle les intéressés pour leur réapparition dans l’arène sociale. Dans leurs conditions de départ, ils ont
été fermés avant d’être protégés par une certaine gamme de gris-gris variés. Pour qu’ils retrouvent leur
état normal il est donc dit de les ouvrir (les purifier) par ce procédé.
Propreté et hygiène chez les Sereer
29
5. ∏ogid leepneer fo mbaap : leepneer est constitué par les derniers effets vestimentaires trouvés sur
un mort. Ce sont les neveux maternels du père de l’individu mort et qui lui font son dernier bain
d’avant enterrement qui les prennent.
Mbaap constitue l’ensemble des habits du mort. Jadis, c’est la famille maternelle du père du
trépassé qui en héritait. Aujourd’hui, ce sont les frères directes ou les enfants du défunt qui se le
partage. Après l’héritage de tous ces effets, le Sereer fait la recommandation stricte de les linger trois
ou quatre fois de suite et de les purifier en fin de compte avant d’en faire usage.
6. A Pog o qon : La toilette du mort. Il s’agit là du dernier bain terrestre de la personne. Il est fait dans
des conditions particulières et rigoureuses. En cette occasion, toutes les parties corporelles apparentes
ou officieuses et intimes sont astiquées et bien mises au propre. Son linceul est neuf et parfumé. Tous
les égards sont en définitive observés et pratiqués pour que le défunt aille dans sa tombe avec de
bonnes odeurs. Sinon dit le Sereer : xan a dakwiid fo qit peleer = il risque de revenir (le mythe de la
résurrection, réincarnation, etc.) avec une odeur désagréable.
Et l’on conclue avec ce proverbe sereer : ßogu cer’f a nqool jafeñee ; o xool jafeñu : se laver et
avoir le corps propre n’est pas difficile. Ce qui est difficile, c’est être propre...
Les soins corporels et la culture physique chez les Sereer
Dans la coutume sérère la culture physique est une nécessité voir un remède capital pour l’être
humain. Elle était et reste une exigence recommandée à la femme enceinte. Le passage suivant ressort
toute l’importance donnée aux soins corporels par le biais de la culture physique : O pomeer kaa war o
yo-nuwaa baa onj ; a fiyangiran rek ; xan gaaj um a ∂om : la femme enceinte doit se remuer jusqu’à
transpiration si elle ne le faisait pas, son travail de pré-accouchement sera douloureux.
C’est dans cet esprit que l’on faisait faire un épuisant sport à la femme enceinte. Quand elle n’avait
rien à faire pendant la journée, on lui faisait faire de longues marches sous le soleil. Revenue dans la
concession, après une telle endurance, elle était haletante et trempée de sueur.
Après l’accouchement aussi, le même sport lui était recommandé. Pour faciliter l’écoulement du
sang, une longue marche sous la chaleur du soleil était un grand remède.
Pour ce qui concerne le nouveau-né, l’assouplissement voir l’embellissement de ses membres avec
la chaleur du feu et du beurre de karité.
Durant les premières semaines qui suivent sa naissance, c’est une gymnastique rigoureuse et
excitante qu’on lui fait faire. Toutes ses jonctions d’articulations sont touchées et soignées. Ses fosses
nasales, la bouche et les oreilles sont régulièrement tenues et corrigées dans une position adéquate. On
disait à sa mère : na††een ndax cer um a mok Assouplis-le, pour que son corps soit maniable. C’est
donc en bas âge que le corps de l’enfant est mis en bonne condition physique.
M archer. L’enfant en fait le constat lui-même au cours des variétés de jeux avec ses camarades
de tranche d’âge. Parmi ces jeux de culture physique nous allons en découvrir quelques uns.
I. An ya-um a nâttu (qui fut assoupli (massé) par sa mère). Un cercle se forme autour de
l’interpellant. Aussitôt, il s’érige en moniteur de gymnastique. En position debout, c’est la tête et le
cou qui sont mis à l’épreuve. Au cours de cet exercice, ceux qui ne résistent pas au vertige ou qui
n’ont pas les jambes bien équilibrées et bien posées par terre, tombent. Il sont excluent.
Le groupe passe à la position “assis”. la première épreuve est de recourber les jambes au niveau
des genoux et de les croiser. Pour terminer, on soulève un peu les fesses et dans cette position croisée
des jambes ; on tente doucement de les ramener en dessous de ses fesses. Dès que c’est réussi, on
s’assoit sur elles. Dans cette seconde phase, ceux qui échouent sont encore éliminés. La fin de ce test
de souplesse, consiste étant assis, de soulever une jambe et de l’accrocher à son cou.
II. Ndof Njaang est le second jeu (palmier sans feuillage). C’est le jeu de la pyramide. Le dernier des
enfants qui se place au sommet est debout ; raide et droit. Avec maîtrise, il fait sur place des
acrobaties, telles que : se tenir sur une jambe (o ngongol ou se vouter en milieu d’homme et tendre une
jambe par derrière (o ñeet). O sut : faire sortir. C’est un jeu qui consiste à former un cercle où une
partie du groupe sied. Les autres camarades vont les en sortir pour les y remplacer comme convenu.
Ce jeu est l’apprentissage primaire de la lutte sans ou avec frappe. Ceux qui sont dans le cercle vont
résister aux attaques de leurs camarades du dehors. Après chaque charge des attaquants, un membre du
cercle est sorti et c’est son élimination. Dans la mêlée, c’est des crocs-en-jambe, des tours de hanche et
des renversements surprises qui sont effectués de part et d’autre.
Tous ces jeux courants avaient pour objets de fortifier le corps, de l’équilibrer et de l’habituer à
l’endurance que requièrent les futurs travaux champêtres, les pâturages et même les guerres.
S’agissant de la culture de l’esprit, elle était plus méticuleuse, rigoureuse et plus exigeante. Ce sont
les anciens qui s’en occupaient exclusivement. Elle visait deux buts ; forger l’intelligence et acquérir
une connaissance généalogique suffisante pour se faire connaître partout où besoin se fera sentir. Le
jeu de l’esprit le plus célèbre et qui était enseigné en priorité s’appelait : a cikax-jaangoc (le commerce
du crabe).
Les soins corporels et la culture physique chez les Sereer
31
Le marchandage du crabe se faisait de la manière suivante :
Jikwaam Jaangoc
Wo ; an ?
mi, Geej
Geej, an ?
Geej Jogoy Fa Maak
Jogoy Fa Maak an ?
Jogoy Fa Maak Geej Mbambul
Geej Mbambul an ?
Geej Mbambul Mbisaan Menge
Mbisaan Menge an ?
Mbisaan Mengé Jogoy Fa Maak
Jogoy Fa Maak an ?
Jogoy Fa Maak Tuul Maadaan
Tuul Maadaan an ?
Tuul Maadaan Feedeem Kumba Njaay
Feedeem K. Njaay an ?
Feedem Waal lJogo Jayi
Waal Jogo Jayi an ?
Waal Jogo Jayi Tase
Tase an ?
Tasé Bugar
Bugar an ?
Bugar Biram
Biram an ?
Biram o Ngoor Fay
O Ngoor an ?
Ngoor O Kaañ Fay
vends-moi un crabe
toi, qui ?
Moi, Guédj
Guédj de qui ?
Guédj de Diogoye Fa Mak
Diogoye Fa Mak de qui ?
Diogoye Fa Mak de Guédj Mbamboul
Guédj Mbamboul de qui ?
Guédj Mbamboul de Mbissane
Mbisaane Mengué de qui ?
Mbissane Mengé de Diogoye Fa Mak
Diogoye Fa Mak de qui ?
Diogoye Fa Mak de Toul Madane
Toul Madane de qui ?
Toul Madane de Fédéne K. Ndiaye an ?
Fédène K. Ndiaye de qui ? m.
Fédème de Wal Diogo Diayi.
Wal Diogo Diayi de qui ?
Wal Diogo Diayi de Tasé ;
Tasé de qui ?
Tassé de Bougar
Bougar de qui ?
Bougar de Biram (Diakhère) Faye
Biram de qui ?
Biram de Ngor Faye
Ngor de qui ?
Ngor de Kâne Faye.....
Ainsi, on obtenait par cet enseignement l’essentiel de sa généalogie paternelle. Et chaque soir, a
cikax jaango© était l’entrainement récréatif de priorité avant de passer aux autres divertissements de la
veillée.
La généalogie maternelle n’est pas en reste. C’est le même procédé culturel qui était employé :
Wo, an ?
Mi, Geey
Geej an ?
Geej Ndew Juuf
Ndew Juuf an ?
Ndew Juuf Penda Fay
Penda an ?
Penda Juma Joob
Juma an ?
Juma Mosaan Juuf
Toi qui,
Moi, Guédj
Guédj de qui ?
Guédj de Ndew Diouf
Ndew Diouf de qui ?
Ndew Diouf de Penda Faye
Penda de qui ?
Penda de Diouma Diop
Diouma de qui ?
Diouma de Mossane Diouf.....
À côté de celui-là ; d’autres jeux pour le développement de l’esprit ont été établis. Nous citerons
en passant celui qui concerne le langage codifié et dénommé : a Lemb Kajoor (Langage du Kayor).
C’est en renversant les mots sérères qu’on obtenait un tel langage. C’est ainsi que deux sérères qui s’y
connaissent pouvaient se parler à côté d’un troisième non initié sans avoir la crainte d’être compris par
ce dernier. En voici un passage comme exemple :
En Lemb Kajoor voici une phrase : riga neme i wanga o narke, maya aka boso. En sereer
déchiffré, cela veut dire : gari mene, i nqaw o kenar yaam kaa sob : viens, nous allons battre l’étranger
car il est impoli.
Avant d’entrée dans la vie active ; et de l’enfance à l’adolescence, le jeune sérère était
corporellement et spirituellement modeler par de multiples préparations pour y être efficace. Les
courses-poursuite à travers champ (nda†atir) préparait l’enfant à la chasse. L’entrainement au
maniement de l’hilaire en cultivant de petites portions délimitées par le père préparait le futur
cultivateur. En un mot, tous les aspects de la vie sociale pouvant avoir une facette pratique étaient
donnés à l’enfant sous forme de jeux. Son corps était préparé à la fatigue, à la souffrance et à la
maîtrise de soi. L’esprit de mémoire aussi était tôt cultivé en lui. Enfin, l’on peut avancer que
l’éducation de l’enfant sérère était dispensée sous forme de sport physique et spirituelle.
32
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Ce proverbe en est une illustration : Bo’m hoolwaa’koor, a piy um a yoonaa yiif um : pour que
j’aie confiance à un homme, il faut que son acte s’accompagne avec son esprit.
Toujours dans le cadre des jeux traditionnels qui étaient destinés à aiguiser l’esprit de l’enfant pour
le rendre calculateur et vivace nous retenons encore les suivants :
al-yole (yoote en wolof). Il s’agit là d’un carré qui comporte 25 cages qu’on aménage par terre.
Chacun des deux enfants (ou même deux adultes) est armé de douze bâtonnets de même couleur. Les
bâtonnets (ou pis : chevaux) des deux adversaires sont de couleurs différentes. Dans d’autres cas, l’un
a des bâtonnets et l’autre des morceaux de cailloux.
Au cours de ce jeu, chacun essaye de piéger le cheval de l’autre dès qu’il l’introduit dans une cage.
En cas de réussite, il l’élimine. Par élimination successive et alternative ; les deux adversaires vont
mesurer leurs intelligences réciproques par le biais du yole. S’il n’y a pas d’élimination par frappe (a
qaw) pendant le remplissage des cages ; il ne reste qu’une cage de vide (o ñaa Úand) quand tous les
pièges dressés des deux côtés ont échouées.
En faisant l’étude de ce graphique, on remarque que toutes les cages ont été remplies sauf la cage
de marche qui reste vide. Enfin de remplissage, celui qui a les chevaux noirs a été piégé de façon à être
obligé de venir mettre son dernier cheval dans l’une des deux dernières cages de garde de son
adversaire.
Dans ce cas, la frappe est inévitable. Celui qui a les chevaux rouges élimine le cheval noir de son
adversaire qui se trouve dans sa zone de garde d’où de frappe. Il lui prend en outre un autre cheval en
otage (a tamand) ce qui lui ouvre la possibilité de lui éliminer un autre. Par esprit de calcul, le second
cheval pris en otage est dit éliminé par la convention du yole. L’adversaire qui a les chevaux rouges
choisira de l’autre côté un cheval noir qui, dès qu’il l’élimine lui facilitera l’élimination d’une
troisième et ainsi de suite. Dans la situation normale et recherchée, il ne laissera aucune chance
d’échapper ou une possibilité de marche à son voisin. Enfin de jeu tous les chevaux noirs seront
éliminés. Et le détenteur des chevaux rouges est le vainqueur.
Pour matérialiser les cages du yole par terre une forme de décompte traditionnelle est récitée. Elle
a l’équivalence de dire deux, quatre, six, huit et dix. En sereer du Ndiafadji, elle se dit de la manière
suivante :
Deux, yole, yole
quatre, yol a ndeer
Six, xooxeem, Finondaar kaa nqawlook
Huit, a mbar fañiig,
Dix, a Ciyaam Xoox Laa
faire du yole.
du yole entre deux
ceux de Ngayokhème et de Mbinondar, partis à la chasse
ont tué un éléphant,
et m’ont offert la tête.
Ce récital usé à deux reprises permet de matérialiser vingt cages. On y ajoute derrière une rangée
simple de cages (5) et notre jeu de yole est confectionné.
B. O nqaal baam. Est un autre yole qui est plus simple. Il est fait pour les enfants au seuil de la
raison intuitive. Nqaal-baam comporte neuf cages la neuvième est le centre de gravité du jeu. Chacun
des enfants a quatre chevaux et cherchera à isoler ceux de l’autre. En cas d’impossibilité la procédure
de l’élimination désignera le vainqueur.
Dans ce cas l’isolement des chevaux rouges est très visible. Celui qui détient les chevaux noirs est
automatiquement vainqueur. Voyons le second procédé où l’élimination par cheval devient la seule
solution.
Grâce à ces jeux que des adultes font même quand ils sont désœuvrés, le quotient intellectuel de
l’enfant se développait. Pour juger des facultés de son petits fils, un grand père invitait souvent son
petit-fils à ce genre de distraction. À la fin, il pouvait dire si ce dernier est un futur débile ; un fainéant,
intelligent, courageux, etc. Quant aux filles, c’est avec des jeux comme wore, o kaf, etc. À côté de
leurs mères, elles s’initient et s’expérimentent.
Rêve chez les Sereer du Bassin arachidier (Sénégal)
Jadis, le Sereer a dit : le jour et la nuit (o yeng fo ñaal). Il a ensuite réparti le jour en périodes
précises qui sont :
- le matin :
- le début de la journée
- le jour en évolution
- le Soleil au zenith
- l’après-midi
- l’avant-crépuscule
- le crépuscule
nqes
njetangin
naal ne
njoloor
yaaraa-koor
njaßran a kiol
a kid a caßru.
Quant à la nuit, elle se répartit comme suit :
- a cuax a padu
- kirin
- Ndeer o yeng
- o yeng o ÚiÚu
- mbeet
le temps du diner
le temps de la veillée
le milieu de la nuit
la nuit solide
l’aube qui est répartie en deux périodes :
- A siik a peraand, le premier chant du coq ou l’aube.
- A siik a yengtu (bo rew we unaa) ou le second chant du coq ou le temps du réveil des femmes
pour le pilage du mil, c’est la grande aube et qui rejoint : nqes.
Au cours de tous ces moments, à chaque fois que l’être humain s’endort, il y avait possibilité de
rêver.
C’est en fonction de cette division du temps aussi qu’un rêve pouvait ou pas avoir de fondement
éventuel. C’est ainsi que le Sereer répartira ses rêves en fonction de ces périodes. Il les a regroupés en
suite en trois grandes catégories :
1. O ™aa∂ no puung (rêves des êtres humains en générale)
2. O ™aa∂ a xaamiit (rêves de turbulance ou de grâce matinée)
3. O ™aa∂-fangool (information donnés par les esprits sous la forme nuancée de rêve).
À côté de ces visions plus ou moins claires du yaal pangool et qu’on ne saurait classifier que dans
les rêves, viennent celles qui sont plus précises du yaal a ngid a soxodu, celles du ma∂ag. quant à
celles du satiki, elles appartiennent à un autre domaine. L’interprétation d’un rêve ne peut donc
provenir que la représentation circonstancielle durant l’une de ces périodes et de sa source.
Voilà pourquoi, certains rêves ou cauchemars ont eu aussi une interprétation inamovible et
d’autres qui varient selon l’intelligence hypothétique ou la croyance de chaque intéressé.
Je souligne que notre intellectuel est plus cartésien qu’un chercheur qui veut être dans les normes
de son milieu de recherche. Repensons un peu son passage qui suit :
La tranche horaire qui va de quatre heures à cinq heures du matin environ et qui prépare l’aube est
la composante de la nuit la plus propice à la réalisation du rêve prémonitoire.
Si l’on tient compte du temps horaire : quatre heures du matin représentent chez les Sereer le
premier chant du coq ou la petite aube. Cette fraction du temps, est dit traditionnellement celui du
retour des forces nocturnes en (vagabondage) dans leurs foyers respectifs. Certains humains même
sont éveillés, soit pour aller voyager, soit pour aller piler le mil, soit pour aller voir le bétail. Cette
période d’après les anciens ne regroupe que xa ™aa∂ a qaanmiit. Par contre, les rêves prémonitoires
sont dit avoir actualités entre ndeer o yeng et o yeng o ÚiÚu. L’équivalence horaire ne peut se situer
qu’entre minuit et trois heures du matin.
Il faut dire clairement que le Sereer se couche sur son lit la tête toujours dirigée vers le sud-est.
Autrement dit, c’est comme on couche un mort dans son tombeau. Il s’agit là du flanc droit. Le
dormeur a donc la tête qui se repose sur la main droite. Elle est la seule position initiale et la seule qui
est recommandée.
La position recroquevillée provoque ce qu’on appelle en sereer : o goor o moo†. Il engendre
toujours les cauchemars.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Quant à la position dite wondu ndaxaan, elle n’est recommandée qu’aux femmes mariées attendant
leurs maris qui peuvent venir dormir à côté d’elles d’un instant à l’autre. C’est une position qui met le
dormeur à l’aise mais qui n’engendre en fait que de puissants ronflements.
Aux sujets des saltiki, nous disons, modestement que saltiki est un titre traditionnel qui fait l’objet
d’héritages paternel ou maternel. Le détenteur de ce titre peut être le dernier des cancres de la
hiérarchie des ma∂ag, mais restera tant bien que mal leur responsable et véhiculera l’information
devant l’opinion publique l’ayant investi pour jouer un rôle.
Le ma∂ag et le yaal-pangool qui de part leur morphologie ont été crées de façon à avoir de spéciales
propriétés de vues précises dans le monde mystérieux. Notons ici la hiérarchie des Ma∂ag :
- 1 o yaal a ngid a saxodu
- 2. o yaal fangool
- 3. o yaal Cii†
- 4. o Naq
- 5. a cii† a maak
- 6. o ma∂ag.
Quant aux saltiki, ils ne font que l’objet de généalogies familiales et au niveau des villages qui en
disposent.
À propos des paramètres d’interprétation du rêve, il y a toujours eu des paramètres traditionnels
immuables qui interprètent valablement les rêves à périodes sensées. Toutes les autres interprétations
ou je dirai plus franchement les innovations d’interprétation intelligente ont été finalement faites par
certains guérisseurs ou les intermédiaires de l’administration coloniale pour apeurer les paysans sereer.
En réalité, elles n’ont eu que d’infimes suites sur la réalité future ou passée dans la valeur morale du
rêve traditionnel ou actuel.
Paramètres traditionnels d’interprétation des rêves
Notons que le rêve a commencé sa signification par la femme à la suite d’absences de règles on lui
avait posé la question suivante : quel est ton dernier rêve ?
Réponse : un serpent m’a mordue ou un fou m’a violée. Conclusion : tu es enceinte. Depuis lors, le
serpent ou le fou qui attaque la femme à l’âge de féconder sont l’équivalent de a cii† qui hante et
s’introduit dans la femme productrice. S’agissant de l’adolescent qui n’est pas circoncis, cela l’expose
généralement cette année à l’épreuve et rite de circoncision. Le serpent représente en terme
d’interprétation, le futur fiaamaan qui lui coupera la membrane à défalquer du pénis.
Par contre, être circoncis une seconde fois ou être remariée en rêve sans être divorcée est un signe
de mort probable. Et dans la majeure partie des cas, c’est cela qui se réalise.
Lorsqu’on rêve voir un parent mourir, l’interprétation est automatique, l’ancien te dira tout de
suite que votre parent a eu un dîner copieux la nuit de ton rêve.
Monter à cheval, est le signe traditionnel du mariage par contre le chameau dément, le vautour et le
chien enragé sont des signes d’attaque anthropophagiques.
Une nouvelle concession faite par un chef de concession encore parmi nous, augure sa mort
prochaine ; par contre, s’il s’agit d’un jeune marié ou d’un prince hériter, il est à peu près certain que
l’intéressé risque d’avoir à court terme sa propre concession ou de recevoir la couronne, etc.
En matière de rêve, tous ceux qui ont abondé au sujet du colonialisme étaient des ma∂ag et avec
tout ce que cela comporte de hiérarchie. Il s’agit là de visions transcendantalistes et qui ont été prédites
avec précision bien avant leurs manifestations.
À côté de ces visions divinatoires dites par ce que j’appellerai des extraterrestres ou ma∂ag, le rêve
et sa réalité hypothétique n’ont pas de place.
Avant l’arrivée de l’homme o Tußaaß, plus blanc que o Naar (Mauritanien) et o Pulaane (le Peulh)
qui furent les signes d’interprétation de jin et pangool, certains hommes à haute vue l’avaient déjà
annoncée.
Pour raccourcir, disons seulement que l’arrivée des gelwaars et la conquête coloniale ont été vues
et précisées par des hommes spéciaux ; par des saltiki qui n’avaient pas du tout rêvé.
Rêve chez les Sereer du Bassin arachidier (Sénégal)
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Traditionnellement, être ligoté, les mains sur le dos est interprété comme être condamné, être saisi
comme un captif après la commission d’un forfait. À l’époque où le colon institua les constructions
carcérales ou prisons certains guérisseurs ou pseudo-ma∂ag en ont profité pour les brandir sous formes
de menaces. En réalité la prison en rêve signifie l’obtention d’une nouvelle construction ou d’une
nouvelle fonction.
C’est simplement pour dire qu’il ne faudrait pas confondre rêve et narration. L’interprétation du
rêve qui équivaut traditionnellement à la mise en prison dans les temps modernes n’a cependant pas
changé de manifestation nocturne.
Racontée à un guérisseur, charlatan de cette époque, il peut même signifier une menace d’incendie
ou n’importe quoi. L’essentiel pour lui sera de t’apeurer au point de te soutirer facilement des sous.
L’on évoque souvent dans le Siin cette métaphore : a mbaaw a le jaxaaw, o xuu refanaandeena
maaga, a garengaa’kipmong qui veut dire : la hutte de Diakhao, lorsqu’un on y a pas un des siens,
quand cela arrivera, elle te tombera dessus. En clair, cela veut dire qu’à la capitale du Siin, Diakhao,
lorsqu’on n’y avait pas de protecteur ou de parent, tout malheur pouvait t’arriver de là-bas.
C’est dire que depuis l’époque des rois et même pendant l’époque coloniale, toutes les décisions
prises ou toutes les situations qu’on devait faire vivre aux paysans venaient de la capitale. Ceux des
badolos qui y étaient représentés en étaient avertis d’avance et prenaient leurs précautions. Pour alerter
les proches et garder son anonymat l’on entendait souvent un Sereer dire à son parent : ∂aa∂aam o
maad o fudu a Ngooxeem o feet : j’ai vu en rêve le roi du Siin descendre dans Ngayokhèm demain.
Effectivement, le roi arrivera dans ce village le lendemain ou le surlendemain, car le soi-disant rêveur
en était déjà informé en sourdine par un parent qui vit à la cour de Diakhao. Ainsi, pour celui qui n’a
pas compris, la manifestation du rêve de son voisin a été immédiate. Au lieu d’un rêve, ce dernier n’a
fait que narrer quelqu’un sur un projet qu’on lui aurait annoncé en douce.
Encore un autre rêve naration : ∂aa∂aam lukit a jeg rend Ndeer Ñaaxar fa in. Kaa’m ga a
kuumaandañ ta Ñaay na karoos a garaa to maa ta reefna’yaaja. Ce qui veut dire : cette année, il faut
qu’il y ait des travaux forcés. J’ai vu en rêve le commande qui nous arrive. Il est monté sur une
carrosse et est passé sur une large route aménagée. En réalité, il ne s’agit pas d’un rêve, c’est l’un des
hommes de paille ou courtisans du chef de canton qui lui a fait cette confidence.
Aujourd’hui, ce sont les séquelles de ces fausses interprétations qui sont en vogue. Ajoutez ce que
le Sereer appelle xa ™aa∂ a qaamiit (ou rêves de turbulences qui se résument par ce proverbe : oxuu
yongna no mbi’-lakaan o ∂aa∂ yufaa qui passe une journée de turbulence rêve fuir pendant la nuit et
voyez l’importance de la confusion qui règne maintenant autour de l’interprétation des rêves.
Pour conclure, je réitère que le rêve fondé a sa période – son fondement réel demeure le même
aussi. S’agissant des racolages contemporains qu’on lui prête, on ne peut que les verser dans les
narrations et certains refoulements de subconscient qui se caractérisent par des bêtises diurnes.
Il ne faut pas aussi confondre la sagesse d’interprétation du rêve avec le connaisseur de rêve.
Les sages ont fixé les noms et signes du rêve fondé. Jusqu’à nos jours ; dès qu’un rêve s’annonce,
un fils d’ancien l’interprète d’une façon désintéressée. C’est ainsi qu’un silence autour de
l’interprétation immédiate d’un rêve traditionnel augure toujours de mauvais effets.
Quant aux connaisseurs de rêves, ils vivent dans chaque village. L’amalgame qu’ils font de tous
les paramètres du rêve n’est qu’un ensemble bien arrangé, adroit et intelligent. En un mot, je dis que
c’est un ensemble hétérogène et pédant.
Pour terminer, je n’entrerai pas dans les accessoires et matériaux divinatoires qui sont de certains
ma∂ag et autres. Il s’agit là d’un autre domaine qui n’est pas rationnellement explicité par notre
auteur. Sommairement, j’ajouterai en outre que le titre qui tend à faire du rêve une source de résistance
à l’oppression coloniale est un titre pompeux qui vient peut-être d’un intellectuel patenté mais je
l’aurai changé par ce titre qui répond le plus à la réalité : prévention après rêves ou prédication sur
l’oppression coloniale.
S’il y a une résistance, elle existe entre le colon et les derniers vestiges de la noblesse déchue. S’il
y a liquidation mystiques ou règlements de comptes aussi, ce fut entre le colon et la noblesse qui ne se
jouaient qu’un marché de dupes.
Dans les milieux du Sereer profond la règle était mieux vaut prévenir que guérir. Cela fut le seul
souci du sage. Le savoir divinatoire ou l’absolution du rêve ont été toujours utilisés à des fins de
protection. Je cite en exemple ce que le Sereer appelle bek (voir René Collignon - Guédj Faye Guirane Bakhoum).
Signes et rêves de malheur en société sereer
En grands observateurs, les anciens Sereer nous ont laissé un répertoire traditionnel
d’interprétation des signes et rêves qui annoncent l’arrivée d’un mal. Généralement, même si ce mal
doit intervenir dans le moyen ou long terme, la manifestation du signe ou du rêve ne manquera pas
d’être constatée.
Pour les passer en revue détaillée, commençons par le répertoire d’interprétation des signes de
malheur les plus courants et les plus fréquents.
1. O Njaa© onqaa na leelaa’maax : un enfant qui balaie sans l’avis d’un adulte la cour d’une
concession. Ce fait indique l’arrivée d’étrangers. La manifestation se réalise souvent avec le
déroulement imprévu d’une cérémonie dans la concession. À court terme, il peut s’agir de funérailles.
Dans le moyen ou le long terme, ce geste de l’enfant peut annoncer une naissance avec un baptême
prochain ou l’organisation d’une lointaine cérémonie de circoncision. Tout compte fait, il peut
interpréter des voisins qui viennent intervenir pour arrêter une bagarre qui se déroule dans cette
concession.
2. Xa caa© xa pokatooru, a mba∂waa : un groupe d’enfants qui imitent en refrain le cri de détresse que
les femmes sereer font lorsqu’un individu vient de mourir pour annoncer son décès officiel.
Sans autre forme de procès, ce signe veut dire que quelqu’un mourra dans ce village en de brefs
délais.
3. O njaa© o mayu xa lool : l’enfant pleureur. L’on dit souvent qu’il pleure déjà la mort du père ou de
la mère.
4. O njaa© onqe gend um a ndaxaa ta ref o kuu∂ den : L’enfant qui accepte d’être le voleur poursuivi
par le groupe de camarades au cours de leurs jeux. Dès que ses parents en sont informés ou l’ont
constaté, ce fait les édifie. Ils deviennent conscients que le devenir de leur enfant sera une source de
malheur pour eux et éventuellement pour le voisinage. Dans ces cas, le père ne manquera pas de dire à
son épouse : wo jalun de, andaayee, o kuu∂ rimo : c’est ton travail, tu sais que tu as enfanté un voleur.
Quand cet enfant grandit, les symptômes de l’interprétation du signe surgissent. Un voleur né se
manifeste.
5. O njaa© onqe na humneel pis : l’enfant cheval. Souvent deux enfants se mettent à jouer au cheval et
au cavalier. L’enfant cavalier met une cordelette dans la bouche de l’enfant cheval en guise de mors. Il
monte et le fait courir comme un cheval.
Quand le père de l’enfant cheval est témoin, il devient malheureux car il en déduit tout de suite
que cette attitude dénote un futur vaurien.
D’autres signes de malheurs sont aussi observés chez les animaux domestiques. Retenons les
signes de malheurs suivants :
a) pis ne na gasaa jugal um : quand le cheval de la concession creuse avec ses sabots l’endroit où il se
couche. L’on dit alors : ka sut’w o ßay no yaalum : il est sorti de la main de son propriétaire. Cela veut
dire que ce cheval n’est plus une propriété ou l’animal doit mourir ou c’est son propriétaire qui doit
mourir. En tout cas, voilà un cheval qu’il faut sortir d’urgence de la concession car sa présence y
devient un porte-malheur. En remède, l’animal est alors vendu ailleurs pour conjurer le mal qu’il peut
occasionner.
b) Muus ngusu : un chat qui abandonne délibérément le domicile de son maître. La mort du maître ou
d’un des membres de son domicile s’avère irréversible.
c) O ßox olaa na faa-uundaa na carin faa-uund est une espèce de râle langoureuse que profère le
chien en détresse. Les chiens d’un village font de concert cette espèce de cri aux abords d’un village
quand un grand malheur doit y avoir lieu. (La mort du chef, du saltiki ou du kumax par exemple).
Signes et rêves de malheur en société sereer
37
Ce cri du chien à la devanture ou à l’arrière d’une concession présume donc l’arrivée d’un
éventuel grand malheur (mort du chef de concession, incendie, etc.
Certains animaux et oiseaux sauvages qui s’approchent des concessions peuvent aussi annoncer
des malheurs. Les plus célèbres sont :
d) O yag : c’est un animal qui est un peu voisin du chien. Quand de nuit, il s’approche des concessions
et se met à hurler, il annonce l’enterrement d’un mort qui devra sortir de cette localité.
e) O ßox a koπ : le chacal. Ses cris nocturnes ont la même signification que ceux de o yag.
f) A sambaa† ou loy : oiseau nocturne avec de grands yeux. Ces cris rauques augurent une mort proche.
g) O jek a koπ : (littéralement la petite poule de brousse). C’est un autre oiseau nocturne qui n’annonce
que la mort imminente par ses cris saccadés.
Voyons maintenant les rêves de malheurs qui rendent anxieux après leur interprétation.
1. ∆aa∂ xucwatin mbaa, o gilgeel to ref na tolax : quand un homme rêve de se circoncire à nouveau,
ou qu’une femme mariée va dans son rêve en second mariage. La réponse d’interprétation est nette.
C’est la mort en cours.
2. Être attaqué en rêve par un vautour ou un chien enragé : dans tous les cas, il s’agit d’une attaque
d’anthropophagie (song a tud mbaa’ßox o say).
3. Ga, o yaal mbind ta sinjaa : voir en rêve, un chef de concession qui déplace sa concession. La
nouvelle fondation n’est en réalité que sa tombe.
4. Ga o nogoy ta adin xa teßandooñ : un vieillard qui conduit des jeunes. Ce rêve traduit la mort d’un
vieillard qui n’interviendra qu’après celle des jeunes qu’il conduisait dans le rêve. S’il ouvre la marche
au cours du rêve, il mourra le premier ; s’il la ferme, il devra mourir après eux.
5. ∆aa∂ yen na ngas : Quand on dort assoiffé on fait souvent ce rêve en cauchemar (tomber dans un
puits). Quand le puits n’a pas d’eau, il peut être interprété comme étant l’éventuelle tombe où doit être
prochainement enterré l’individu ou une probable prison où il doit être détenu.
6. ∆aa∂ jootaa kam foofi fo mayu : traverser à pieds beaucoup d’eau veut dire un grand litige dont la
finalité sera un procès en justice et avec une importante plaidoirie.
7. Fomb quuraand kam saax : une ruche d’abeilles en mouvement : traduit l’annonce d’une épidémie
ou d’une invasion de criquets pèlerins.
8. Roku taaweer : un habillement étriqué et court. Ce rêve annonce la folie en cours ou la pauvreté.
9. D’aa∂ jalaa. Rire en rêve : dans la réalité, c’est le contraire qui se passe. Une chose qui implique
des pleurs lui arrivera sous peu.
D’autres signes et rêves de bonheur ou de malheur ont été répertoriés par les anciens et que des
spécialistes gardent jusqu’à nos jours comme un legs traditionnel.
Avant de conclure, voici quelques signes naturels qui annoncent le malheur.
Taxar maak ke’naa yenaa : quand les grands arbres meurent et tombent c’est le signe du grand départ
des anciens pour l’au-delà.
A naaq taxar ke yenaa : s’il s’agit des branches, cette année, le taux de mortalité sera plus important
dans la jeunesse.
O xoor o yetu : l’étoile volante : c’est le signe de la mort future d’une grande personnalité.
O nqool o ngeewu : une pleine lune ayant à son centre une ombre : c’est le signe des grandes
cérémonies ou d’événements sociaux importants. Il peut annoncer les funérailles princières, des
anniversaires de la mort d’une célèbre personnalité, etc.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
O nqool o mbatu, a rungu : une nouvelle lune en porte à faux (en oblique) annonce une famine : une
disette ou en tout cas un phénomène de malheur qui risque de se généraliser.
- A cii† a teerew a xetangaa fo’koor yaa ta waa†kaa fat a nomtu : une créature femme (dans le cas de
l’homme-femme) ; quand elle rencontre en premier lieu un homme sur le chemin qu’il emprunte,
qu’elle fasse demi-tour, qu’elle rebrousse chemin. Les anciens disent qu’un homme ou une femme
dont la petite soeur directe suit après sa naissance, est un homme-femme ou une femme-femme. Cela
veut dire qu’en allant chercher fortune, faire une première rencontre avec un homme est un signe
contradictoire, donc un porte-malheur et c’est vice-versa.
Sources de malédiction en milieu sereer
L’ancien Sereer a toujours fait de l’observation la première source de la sagesse. Avec patience, il
avait fait alors une fouille très intéressée de son environnement immédiat, de son voisinage et enfin de
la nature. Du fruit de son méticuleuse observation, l’ancien a appréhendé très tôt des éléments qui ;
dans concret comme à l’abstrait produisent des relations de causes à effets. Et de cause à effet, la
finalité a été toujours positive ou bénéfique ou négative parce que malheureuse. C’est ainsi que
certains comportements, certaines situations et certaines représentations qui se réalisent dans le milieu
où aux abords proches de l’environnement immédiat de la société peuvent être porteur de malédiction.
Nous allons voir de ce fait les sources de malédictions les plus courants dans le milieu sereer.
D’abord dans la concession
La cassure de certains ustensiles principaux de cuisine (o πaxañ o qefu) peut être interprétée
comme le prélude d’un malheur. C’est ainsi que le fait de briser un pilon lors d’un pilage est devenue
une source de maladie traditionnelle que le Sereer dénomme par a un (la maladie du pilon : voir Guédj
Faye, Tékheye Diouf et René Collignon. Maltraiter un chien domestique engendre une autre maladie
dite o ßox en sereer (la maladie de vengeance du chien). Certains hennissements de cheval, une
certaine manière de se coucher et les pleurs de chien pendant la nuit, augurent de la malédiction.
L’ensemble de ces signes annoncent l’imminence d’un malheur (mort, maladie, conflit sanglant, etc.).
Entrer dans une case après le crépuscule sans mettre du feu à l’intérieur provoque une maladie
satanique dite a tif (voir Guédj Faye, Tékheye Diouf et René Collignon).
Lorsque les enfants d’une concession imitent les pleurs d’adultes, cela porte malheur. C’est un
signe d’approche funèbre. Certains animaux domestiques (chat et chien) qui désertent une concession
la rendent suspecte de malédiction.
Des tourbillons très caractéristiques par la couleur ou la poussière qu’ils sécrètent dans leur
déplacement prédisent malédiction. Leur entrée dans une concession implique la mort ou l’incendie
dans le village ; ils représentent l’annonce d’une prochaine épidémie mortelle.
Les pleurs injustifiés d’un nouveau-né augurent sa mort, celle de son père ou de sa mère.
Une ruche d’abeilles qui se réfugie dans une concession est un avertissement des pangool. Faire
des libations pour avoir des garanties de protection s’impose, sinon un malheur arrivera dans la
concession (maladie, mort ou incendie).
Dans le village et ses environs, quand des enfants jouent sur la place publique, cela va sans dire.
Des funérailles proches sont prévisibles. Lorsque les petits arbres dépérissent, c’est un signe de
mortalité pour l’enfance du village. Si ce sont les arbres géants, ce phénomène représente le départ des
anciens pour l’au-delà. O yag (animal sauvage) et o jek a koπ (poule sauvage) sont des annonciateurs
de malheurs quand leur cris sont entendus aux abords d’un village.
Les grands arbres qui meurent sans tomber et résistent malgré tout aux intempéries sont vecteurs
de malheurs quand ils se dressent dans un village.
Dans la nature avoisinante, lorsque l’abandon des fourmilières est important dans une zone, c’est
le signe d’approche d’une famine.
Les vautours qui attendent perchés non loin des environs ne portent pas bonheur. Ou ils reçoivent
une charogne d’animal, ou ce sont les détritus d’estomac d’un bœuf de funérailles qu’ils attendent.
Tuer accidentellement un chien ou l’oiseau que le Sereer appelle a laal est un signe de
malédiction. Il en est de même pour celui qui traverse consciencieusement o salit (là où deux chemins
font une forme d’équerre avant de constituer un seul passage). Les cris nocturnes du hibou (loy),
quand ils se prolongent dans le temps, impliquent le mal.
Le renard qui se manifeste aux abords des concessions par des cris saccadés annonce une
prochaine visite aux cimetières. Les xa sagal (oiseaux) qui bruissent subitement au cours de la nuit ou
un concert d’un groupe de chien qui part des concessions vers les champs en nocturne, est le signe du
passage des morts-vivants qui guettent.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Il existe d’autres sources de malédiction qui figurent dans le répertoire sereer. Elles sont générales,
mais dans certains endroits, elles peuvent variées dans leur représentativité ou leur interprétation.
C’est ainsi que pour les sens, implanter une concession est une source d’ennemis tandis que pour
d’autres c’est recommandé, car il s’agit là d’un arbre très fruitier et donc synonyme d’une grande
famille. Dans d’autres circonstances aussi, les interdits familiaux sont des sources sûres dont la
contrefaçon n’apporte que malédiction. Il en est de même de la transgression de certaines règles
sociales : les disputes en matière d’héritage de terre sont de cet ordre. En gros, c’est pour dire tout ce
qui se rapproche du milieu sereer, son environnement y compris est partout. C’est l’interprétation du
langage des choses qui est difficile à appréhender. Et c’est cette difficulté ou l’ignorance de la valeur
des choses dans leur équivalence dans la réalité qui fait dire avec résignation qu’un tout petit
bruissement de feuilles cache à travers lui le langage de nos morts. Il reste qu’il y a des faits parlants
qui se font remarquer par eux-mêmes. En retenir un certain nombre est début de sagesse disaient les
anciens. Les ignorer aujourd’hui n’est plus faute regrettable, car la raison cartésienne a eu raison
d’eux et les a enterrés avec le concours du modernisme.
O hiid = l’année
bes fa ndakwiidu = la semence
fe (ou bes) = le jour
o nqool = le mois
Traditionnellement voilà comment le Sereer avait divisé hap (la durée ou le temps). Ce proverbe
résume en gros la conception ancienne sur la durée ou temps Kuu ga-oona hap a jegu = toute chose a
son temps (d’existence).
Hap étant le temps divin (hap le Roog), l’ancien Sereer pour se fixer l’avait rapproché de
l’événement social afin de se créer des repères plus ou moins précis. Grâce à ce système, un décompte
de la vie jusqu’à la mort fut mis en place.
C’est ainsi que de la naissance qui commence par fe ou bes jusqu’à la mort qui pouvait intervenir
à partir de bes (jour), bes fa ndakwiidu (semaine), o nqool (le mois), o hiid (l’année) et plus, le Sereer
pouvait dire avec le maximum de précision la durée de l’événement.
Pour entrer dans ce détail, nous allons donc commencer par le simple qui est fe ou bes = jour.
Chez l’ancien Sereer qui n’avait pas la notion de l’heure, il avait divisé le jour en moments. Les
plus courants sont :
Naal qui débute à partir du soleil levant et se termine au crépuscule (a kid a cabru ) et
O yeng qui part de a kid a cabru jusqu’à nqes (le matin avant le lever du soleil)
Cherchant toujours à appréhender le temps avec plus d’approche, ces deux composantes de fe ont
été encore réaménagées et définies par des sous multiples C’est ainsi que dans naal nous avons :
Nqes (le petit matin) compris dans le temps moderne comme le moment qui part de sept heures à
neuf heures.
Yoor-yoor qui chasse le matin et vit avec le soleil jusqu’à onze heures (temps moderne).
Njeec ndeer xoox (soleil au milieu de la tête) ou a put a padu (l’heure de confection des repas).
C’est midi de notre époque.
Njoloor est la période allant de midi à 14 heures.
Kirand part de la fin de njoloor et accompagne le déclin du soleil Il se termine avec a kid a cabru
(crépuscule), d’où commence la division de o yeng (la nuit).
Ensuite nous en venons aux sous multiples de o yeng :
A cuax a padu qui est le moment du dîner. Il va de 9 heures à 10 heures.
Kirin c’est la veillée
Ndeer o yeng = le milieu de la nuit ; c’est minuit
A bond = le coucher
A siik a ayu = le chant du coq En milieu sereer, il est divisé en deux
a) A siik a peraand = premier chant
b) A yengit = dexième chant Et le Sereer de préciser a siik a laya mbeet = le coq a dit l’aube Et le
Sereer distingue ainsi la petite et la grande aube.
Voyons maintenant la semaine ou bes fa ndakwiidu. Elle est comptée comme étant naal betuu tik
fa xa yeng den (sept journées et leur nuit).
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
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Pour se retrouver dans la semaine avec moins d’erreurs, chaque bes a été homologué et ce depuis
la tradition avec une naissance intervenue dans la même durée Ainsi nous avons les jours suivants :
1 - Tenin = lundi
2 - Talaata = mardi (emprunté au wolof)
3 - Ardaba = mercredi
4 - Arxemes = jeudi
5 - Jumaling = vendredi
6 - Fogaaw = samedi (emprunté au wolof )
7 - Diiboor = dimanche.
L’histoire de la nomination des jours en sereer est bien connue Il a été dit dès le début qu’il fallait
les correspondre avec la naissance de filles pour que Roog (Dieu) en fasse une suite féconde
C’est ainsi que l’ancien Sereer disait toujours : o tew kaa reefu = la femme a toujours une suite.
Pour ce qui concerne o nqool, il est la somme de quatre semaines : pes (bes au singulier) nahik
takwiidu = quatre jours qui reviennent successivement. Cependant l’ancien Sereer s’est voulu très rigoureux dans son décompte pour mesurer la durée d’un mois Il le commence ainsi au lendemain du
soir de l’apparition du croissant lunaire. On dit alors : o nqool onqe a wata diiboor kirand a limtel a
tenin =la lune a paru un dimanche soi; son premier jour sera le lundi.
La première quinzaine d’éclairage lunaire est dite a qoor Au 16e jour on dit = o nqool onqe a wara
niinax = la lune a tué une fourmi; autrement dit c’est le début de la pleine lune Et l’astre accuse dorénavant un retard qui croissant pour éclairer la veillée. Ce privilège reviendra à l’aube et jusqu’au 25e
jour; époque à laquelle le face à face lune-soleil se constate.
Cette période est dénommée par le sereer : muus no nqool = le début malin qui augure la fin du
mois lunaire et qui dure deux jours En sereer, le décompte théorique pour connaître le début de la
nouvelle lune qui suit est couramment dit de la manière suivante : o nqool onqe xesa na Jumaling ;
xan a muus a Fogaaw, a muus a Diiboor saa quuqi-el tenin = la lune est partie ce vendredi matin, elle
ne sera pas vue le samedi et le dimanche ; donc la nouvelle lune doit être acclamée le lundi (soir).
Lorsqu’elle n’était pas vue et acclamée ce lundi, on dit alors = o nqool onqe kaa kaamiir = cette
lune a une anomalie d’apparition. Et un jour de plus devient inévitable pour faire sa durée. Ce sont ces
dates de parution lunaire à problèmes qui se répercutent souvent dans les autres mois et l’année qui
créent les décalages de périodes retenues pour certaines de nos cérémonies ou rites.
Enfin nous abordons o hiid = l’année. Elle compte Niig fo Ciid (un hivernage et une saison sèche).
Ndiig commence par Ngam mberaand = c’est l’époque de la première pluie et des semis
d’arachides.
Celle qui suit est dénommée Baxaaw fo biyaat (premier sarclage du mil et de l’arachide) qui dure
de 15 jours à un mois
O nqool pendanira arrive ensuite; c’est la soudure et elle est suivie de près de o naax o baal qui
voit fleurir le mil.
A saxad fa a qaq constituent les deux périodes de la récolte du mil et des arachides Le moment qui
clôture l’hivernage est dite o seek o deb (la petite saison sèche).
La seconde parie de l’année s’appelle ciid. Elle se décompose comme suit :
1 - Seek qui débute par taaw-ciid (ou le mois de janvier) et se termine dans la période couvrant
février
2 - O nqool o ndiimb (ou mois maudit) qui couvre la période du mois de mars Il est interdit à titre
absolu d’organiser une quelconque cérémonie pendant la durée de cette période
A sarandam est la période de reprise des cérémonies Elle couvre la période avril-mai et enfin ;
A tuup kaaf (semis anticipé du petit mil) qui intervient entre mai-juin ; après ce stade nous entrons
à nouveau dans ndiig, même si ngam mberaan ne se produit pas.
o daaj saax
La société sereer n’a rien laissé au hasard ; et la prévoyance des anciens aura tout dit et tout fait.
Voilà pourquoi l’organisation d’une concession et d’un village était autrefois sujette à d’importantes
modalités d’implantation. Nous allons d’abord partir de concession-village pour comprendre comment
une localité à pu évoluer, s’épanouir pour finalement regrouper plusieurs concessions qui deviendront
par le biais de rapprochement des hameaux.
Mobiles qui ont conduit à la création de la concession-village
Le besoin d’avoir la paix et la liberté d’action a toujours eu une place de choix dans l’esprit sereer.
L’esprit de possession suit. Ainsi donc, le portage de la chose collective entre le groupe a de tous les
temps fait émerger dans le milieu sereer le mécontentement, la révolte et le mépris. Ce proverbe en dit
long : moof xaaj reel mbaa o qiereel, o jegan xoox of moÚun. Se partager ou se tirailler pour quelque
chose est un fait, mais avoir pour soi est meilleur. Autrement dit, la chose familiale est un acquis, mais
la propriété personnelle est le meilleur des acquis. Ainsi donc, le Sereer a tôt cherché à élargir ses
possessions morales et matérielles dans un individualisme qui persiste encore. Il en découle
aujourd’hui une tare déplorable car, peu de Sereer ont le sens de la grande spéculation. Cet
individualisme aura confiné le Sereer dans une aire restreinte et loin des affaires. Là dans son petit
coin, il rumine ce qu’il sait et cache ce qu’il a. Pour ce faire, dès que la situation se présente, le Sereer
prenait ses distances avec ses propres affaires. Sa famille etc. Donc le déplacement ou l’émigration
d’un Sereer était en fait souvent motivé par cette tendance individualiste. D’habitude on la tait cette
tendance. L’évocation courante du Sereer qui veut s’en aller est : kaa un fiiq : je suis restreins ; je n’ai
pas assez de place. Dans d’autres circonstances, on évoque les pangool qui rejette l’individu. Le
maraboutage des parents qui cherchent à éloigner quelqu’un d’un bien de famille ; ou qu’on se
réclame de ces individus dit a cii† a koπ (prédestinés à vivre hors de ses origines). Mais de toute
manière, l’idée force part de : je dois me gérer. Ainsi donc, l’intéressé s’y prépare car aller créer une
concession village exigeait plusieurs démarches :
- aller voir le guérisseur-voyant pour avoir sa direction de marche. Par la même occasion on est édifié
sur les écueils de parcourt qu’on risque de rencontrer. Pour cette première consultation, on aura aussi
des informations descriptives de sa zone d’établissement et ses caractéristiques particulières. Le jour
de départ, d’arrivée et celui où la meilleure implantation doit se faire.
- aller voir certains sages-confidents pour qu’ils vous aident, les uns vous donnent des gris-gris de
protection pour la famille et la future concession destinée à devenir un village.
Les anciens lui feront des recommandations particulières. C’est après avoir donc pris toutes les
précautions nécessaires que le Sereer fondait sa propre concession village. Dans les cas de
déplacement, il s’agit d’aller s’isoler au milieu de son périmètre champêtre. Pour ce qui est de
l’émigration qui est plus lointaine, il s’agit d’aller à la recherche d’un lieu ou s’établir. Muni de tout ce
qui lui est indispensable, l’ancien Sereer arrive seul sur les lieux. Il y choisit d’office un repère
inamovible où il enterre son daaj.
Quelques éléments constitutifs d’un daaj.
Certains daaj se composaient de :
- quatre racines de muc (plante protectrice)
- un épi de petit mil (o ßol moo†)
- un peu de coton (∂ir)
- un peu de sel (fojem)
- une racine de πuj (arbre)
- une racine de seelunq (arbre) + tous les autres gris-gris que les anciens avaient offerts à
l’intéressé pour l’aider dans son entreprise.
Après cette formalité, l’entrée en vigueur du daaj est imminente. Le Sereer commençait à
débrousser pour avoir une surface où s’implanter. Un dimanche à l’aube, il y allumera son premier
feu. La première case est immédiatement implantée. Elle est celle du chef de concession. Les autres
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
suivent après. Une nouvelle œuvre a vu le jour ; une nouvelle vie commence. Sachant que c’est de la
valeur de son daaj dont dépendra pour l’avenir l’importance de sa concession-village, le chef de
concession aura à partir de ces jours la délicate mission d’aller voir tous les grands spécialistes pour
ces choses là car un fondateur veut toujours être célèbre.
C’est ainsi qu’il retournera à son village d’origine pour faire venir ses pangool de famille dans sa
nouvelle localité. Cette opération s’appelle en sereer gilgik pangool of (aller pour épouser ses
pangool). Ce sont d’ailleurs les esprits ancestraux ainsi transférés chez soi qui assureront la garantie
du daaj. Un autel est né ; il est en même temps le repère de la localité où son initiateur a convoqué ses
pangool qui doivent venir le rejoindre après leur ngulook (mariage). Les libations commencent. Les
visiteurs arrivent et repartent, des parents viennent s’établir à côté. Des particuliers arrivent aussi ; la
concession-village évolue et prend ainsi des proportions. Son daaj (ensemble de gris-gris enterrés lors
de la création) a donc bien donné. pangool et daaj confondus sont remerciés alors par des libations
assidues surtout quand les récoltes des premiers hivernages passés à l’endroit sont régulièrement
bonnes. Un village est donc acquis. Son organisation géopolitique s’impose. Mbind (concession)
devient saax (village) mbind an (la concession de qui ait-on mbind sej est la réponse (la concession de
Guédji). À l’échelon village la localité peut garder cette même appellation ou une autre dénomination
que le fondateur lui avait forgée auparavant. Ensuite viennent les structures. Un hameau central est
délimité à partir de la concession-village. Cette partie du village est souvent le regroupement des
parents et amis du fondateur. Les autres hameaux seront placés par ordre d’arrivée et selon les
convenances autour d’une place qui sera toujours inoccupée. Le Sereer l’appelle nqel saax (la place à
palabre d’un village), dans les autres hameaux on retrouve souvent d’autres nqel (qel au pluriel) et
qu’on appelle nqel faap (oncle paternel).
Enfin, pour que le village arrive à son terme, le fondateur ira à la recherche de deux autres épouses
à marier. Il s’agit d’un griot devant assurer la fabrication des outils agricoles. Jadis, je veux dire après
les lamanes ; quand un village prenait de l’importance, son fondateur allait réclamer à l’administration
centrale féodale un saaxaax (chef de village) pour venir assurer le commandement et l’ordre public
dans la localité. Cela faisait alors l’objet d’une dernière démarche pour le mariage d’une troisième
épouse.
M odalité de mariage du griot de village ou gilgik o kawul saax (aller prendre en
mariage un griot qui vit ailleurs et venir l’installer à son village)
Pour ce faire, le fondateur allait d’abord chez les griots de son village d’origine et s’adressait aux
anciens griots de ses parents par cette boutade courante : saax a roofangaa a gilig o kawul ; kaam bug
no cooxaam o kawul ra yungatkaam. Quand un village est prospère, il marie un griot, je voudrais que
vous me donniez un griot pour qu’il vienne avec moi m’assister. Des négociations sont engagées pour
réaliser cette opportunité et dans le cas où un ménage griot n’est pas disponible, l’intéressé ira ailleurs.
Dès que le fondateur a son griot, un jour est fixé pour venir le prendre avec sa famille ses cases et
ses bagages. Dans le cas des transports lointains, les cases du marié sont laissées sur la place.
Le fondateur revient alors dans son village et réunit alors tous ses habitants. Il les informe et
donne enfin de compte les mesures d’accueil qui s’imposent. Les plus fondamentales étaient :
- un emplacement pour les maisons des griots
- fabrication de cases pour le griot et sa famille
- constitution du stock de vivre pour l’arrivant
- affectation de champs à cultiver. Les périmètres des cimetières qu’un non-griot ne doit pas
cultiver lui revenaient de droit dès son arrivée.
Enfin, l’obligation du nqontin serait en vigueur dès son installation. Nqontin est une redevance
coutumière dont chaque paysan s’acquitte annuellement envers son griot de village. Elle est donnée en
mil après chaque récolte. Elle découle aussi du fait que dès son arrivée, il fera le rite symbolique de
semer quelques paquets dans chaque champ de concession du village. À l’époque des semis de mil,
c’est elle qui transporte sur sa tête les semences jusqu’au champ de concession (o qol mbind) et c’est
elle aussi qui fait le premier rite symbolique de semis. C’est après que toute la concession se mettra à
la tâche. En récompense, la nouvelle mariée recevra son nduuduufin le même jour dès son retour à la
maison conjugale. Nduuduufin est souvent donné en coq ou en bouc avec lequel la nouvelle mariée
prépare ce jour un repas copieux. Le jour de l’arrivée du griot sera aussi un jour de fête. Dans tous les
cas, ces mariages spéciaux s’opèrent de la même façon et même pour le saasaax qui venait en tant
O daaj saax
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qu’autorité. À partir de ce stade, le village sereer devenait une entité réglementaire dans le concert des
structures reconnues du royaume et de la province dans lesquels il devient alors une composante.
Saasaax commandait avec l’appui de son jaraaf fondateur et détenteur du droit de hache de la localité.
Il est à bien noter que la concession du village qui donna naissance au village est issue d’un droit de
hache qui a été antérieurement accordé par un lamane (grand gestionnaire d’un droit de feu ou
découpage (o lif). Ainsi donc, jaraaf qui est le gestionnaire second des terres et par droit de hache est
l’autorité coutumière qui a l’emprise réelle sur la population. Sans son concours, la présence d’un
saasaax ne serait qu’un meuble. Son pouvoir de répartir les terres lui conférait en même temps une
représentativité incontournable.
Pour terminer, o daaj était autrefois l’âme d’un village. Par cette grande œuvre occulte, des
localités ont fleuries à d’autres qui furent abandonnées parce que leur n’a pas eu de l’efficience.
Toutes les capitales du Siin ne sont là que grâce à leur daaj. Elles n’ont été choisies ni à cause de leur
importance, ni à cause de leur positionnement géographique. La noblesse de Waasila Fay fondateur de
Jaxaaw n’a pas suffi pour faire la capitale de royaume. Il a fallu le concours d’un grand daaj qui fut
confectionné par un grand savant pour que le projet en arrive là.
Tiimb ken seereer : les interdits chez les Sereer
Tiimb est le pluriel de Ndiimb ou diimb qui veut dire l’interdit. Ce qu’on recommande d’éviter de :
- toucher ;
- manger ;
- faire, dire ou voir.
Tiimb renferme donc l’ensemble des choses que traditionnellement et par expérience l’ethnie
sereer recommande d’éviter à l’intérieur de la communauté même. Les tiimb dans leurs différentes
motivations ; constituent un ensemble fécond de mesures de sécurité ; de respect de mythes pour
l’enracinement et la discipline de l’esprit de groupe dans tout ce qui touche de près ou de loin les
règles de vie commune chez les Sereer.
C’est ainsi que les tiimb se retrouvent dans tous les domaines sociaux de la société traditionnelle
sereer sous forme de dogmes préventifs. Les uns sont endogènes et concernent tout le monde. Leur
gravité manifeste ont fait depuis toujours leurs preuves dans le milieu. On entend souvent un Sereer
dire :
Koom dimban yaam kaa maliraam : j’en fais un interdit par allergie. Il faut comprendre par là qu’il
s’agit d’un interdit personnel. L’individu ayant vu et constaté après expérience que telle chose lui est
nuisible, se l’impose finalement comme un interdit.
Un autre qui dit : kaay ndiimban : nous l’évitons. Il s’agit là d’un interdit que l’individu observe
parce que sa famille au sens large en fait la recommandation (†een yaay ou kurcala).
Un villageois peut dire aussi : kaa diimbeel mene, cela fait l’objet d’un interdit dans notre localité.
Il s’agit là d’un interdit qui a trait au respect de la chose ou de son bannissement par la collectivité
sereer concernée.
Avant de passer donc dans le détail des implications de ndiimb dans la vie privée ou sociale du
Sérère, nous résumons pour dire que les tiimb dans leur généralité représentent des recommandations
anciennes qui avaient et qui ont pour but de sauvegarder la santé, l’éthique de la personnalité
respectable et respectueuse de son environnement et l’enracinement rigoureux de la discipline de
groupe ou d’ethnie.
Les circonscriptions idéales où l’influence des tiimb est plus importante sont les suivantes :
1. Médecine préventive
2. Alliances
3. Cérémonies de cultes et cérémonies traditionnelles particulières (circoncision et tatouage)
4. L’alimentation.
Au détail, nous commencerons d’abord par quelques tiimb de la médecine préventive
traditionnelle sereer.
Il faut d’abord qu’au début d’une épidémie, tous les objets, les animaux ou plantes qui étaient
considérés comme des stimulants du mal étaient d’office frappés d’interdits. Le bétail était déplacé
ailleurs, des chiens étaient abattus et toute forme de cérémonies collectives suspendues jusqu’à nouvel
ordre.
Dans le même ordre le Sereer dit toujours : o woda†arangaa ba ñaamfaat xa qaasuuπ †egeÚ fambe
yaam kaa utaa’cangaru : quand on n’a pas la santé, ne mange pas des feuilles de ngaasuuπ ou de la
viande de chèvre.
Cet interdit fait allusion à la lèpre. D’habitude, ces deux aliment extériorisent la lèpre. Depuis lors,
leur consommation fait l’objet de tiimb dans certaines familles où la lèpre s’est souvent manifestée.
C’est ainsi que la famille Maroon fait de la chèvre une cousine paternelle Fambe Maroon a sime :
Tiimb ken seereer : les interdits chez les Sereer
47
la chèvre est de la famille Maroon. Depuis lors, les Maroon ne mangent plus sa viande. Les individus
de la famille Maroon qui ont contredit ce ndiimb ont été frappé de lèpre violente.
Concernant les tiimb inter-alliances. Voyons d’abord les interdits de mariage.
Depuis nos ancêtres, l’endogamie a toujours fait l’objet et la rigueur d’interdits divers. L’inceste
étant la première chose à bannir de toute union ; le Sereer a toujours entouré d’une réglementation
filtrée les possibilités d’unir un couple.
Le mariage entre cousin et cousine croisée qui fut le seul admis fut malgré cela le plus combattu,
car le Sereer disait toujours : a tolax no fog na yaqaa’fog. C’est le mariage interfamilial qui détruit en
fin de compte toute parenté.
C’était pour dire qu’un couple de ce genre qui ne met pas les obligations parentales à l’avant-garde
de la vie de ménage finit toujours par détruire l’harmonie qui a concouru aux négociations ayant fait
aboutir le mariage.
Frères et sœurs consanguins ou cousins et cousines paternelles directs ne peuvent en aucun cas se
marier. Leur union est non seulement frappée d’interdit, mais mieux encore, elle est maudite voir
bannie. C’est plutôt les alliances exogamiques qui ont de tout les temps grossi les familles.
Là encore, l’échelle des tiimb est très élevée ; d’où les négociations serrées qui s’imposent avant la
réalisation d’un mariage sereer. Voici quelques exemples d’interdits qui ont traditionnellement
empêché la réalisation du mariage exogamique :
A tolax na ndok alaa jir maak le refna ou le mariage avec une famille ou la lèpre est endémique. Jadis,
une telle famille ne pouvait rien donner, ni prendre femme que dans une autre de son genre. Cet
interdit rejoint tant d’autres qui veillent à la bonne santé familiale. Ainsi, le risque de transfert de cette
maladie à d’autres familles de la communauté était étouffé par cette forme de ndiimb.
B. Dolnir fo waa na tooñeel ou contracter un mariage dans une famille présumée sorcière.
Là aussi, l’interdit ne vise que la préservation de l’intégrité familiale.
C. We nqetna no Maad nqetkatee na tolax. Autrement dit deux familles qui ce sont rencontrées en
justice ne peuvent plus négocier un mariage. Ici, la peur de ressusciter le litige qui opposa les deux
familles est toujours tenue en compte et devient ainsi un interdit coutumier ne pouvant être transgressé
entre elles.
Diverses circonstances ont en outre légitimé l’application d’interdits particuliers entre les tim, les
kurcala et les castes ; ce sont : les mariages raccourcis par la mort brève et brusque de l’un des
conjoints.
- Les suspicions d’anthropophagie
- Certaines familles où les femmes sont ditess prédisposées au pagne léger (ceeq ou adultère).
- Les familles d’origine captive ou qui sont au vu de l’arbre généalogique à prédominance castée ;
- et d’autres familles à tim appauvrissant tel que le tim o Tik, etc. En fait, tout ce qui pouvait porter
un préjudice à l’intégrité d’une famille sereer était souvent frappé d’interdits. Le griot pour ce qui
concerne l’accès à la concession d’autrui.
Ils étaient toujours à côté du roi et bénéficiaient d’une liberté d’expression qui leur faisait dire tout
ce qu’ils veulent ou ce qu’ils voient ailleurs.
Pour cacher certaines ressources pouvant faire l’objet de convoitises à la cour royale tels que
chevaux de race, belles demoiselles. Bien matériels et autres, il a fallu instaurer cet interdit pour
écarter la curiosité de ces libertins du milieu privé des familles purement paysannes. Certains chefs de
concessions siide (riches bergers) étalaient même devant le portail de leurs concessions des bâtons
provenant d’un arbre que le Sereer appelle "mam" pour empêcher à ces indésirables d’y entrer. C’est
une espèce de gris-gris, cause de mort du griot ou du saañiit (bouffon de la cour), une fois qu’il
l’enjambe et pénètre dans cette concession.
La plupart de ces interdits restent en général observés lors des baptêmes. L’épouse mère est tenue
de les respecter. Et le Sereer de préciser : O tew jegee tiimb, tiimb no korum ndefu tiimb um la femme
n’a pas d’interdit qui lui soit propre. Ce sont les interdits de son mari qui seront les siens. C’est dire
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
que le respect des interdits parentaux par une demoiselle n’est que provisoire. Dès qu’elle a un mari et
le rejoint, elle les abandonne à son kurcala et met ceux de son mari en vigueur.
La rigueur de l’observation de ces interdits familiaux s’accentue au cours de la première grossesse.
Dans certaines familles ils sont stricts et manifestent leurs effets dès que l’intéressée les contrefait. Par
exemple, le fait de parler à un griot, de manger du lait de pain de singe pendant la grossesse, de sortir
de la concession conjugale pour aller dans une autre concession et s’asseoir sur le lit d’autrui ; tous ces
interdits sont souvent sources d’avortement, de maladies diverses de grossesse, etc.
L’épouse respectera les interdits sur la flore et la faune et qui sont de coutume reconnus comme
étant des déformateurs fœtus. La femme enceinte ne mange pas de rat. Elle évite de faire un face à
face avec des animaux tels que singe, biche, porc, etc. La transgression de ces interdits engendre
souvent la naissance d’un enfant voleur ou qui a une ressemblance malencontreuse de l’une de ses
bêtes. L’on dit qu’elles ont un pouvoir extraordinaire de se “photo-reproduire” (sic) et qui fait une
projection rapide dans l’évolution d’une grossesse humaine. Il faut ajouter que la femme est la plus
grande prêtresse du culte des interdits en milieu sereer.
Elle est tenue pour cela de les observer de la naissance jusqu’à la mort.
Après le sevrage, il sera interdit à une enfant sachant marcher d’aller à l’urinoir des adultes sous
peine d’avoir des règles précoces, de maltraiter chien ou chat au risque de voir quand elle sera mère
son enfant poursuivi par la vengeance de ces animaux. Il est dit qu’elle se manifeste par deux maladies
que le Sereer dénomme o ßox (maladie du chien) et muus (maladie du chat) et qui se caractérisent par
une attaque de crises convulsives à la naissance de l’enfant. Il lui est interdit aussi de casser un pilon.
Cette faute que la femme commet souvent quand elle fut adolescente ou demoiselle engendre une
éventuelle maladie de son futur enfant. On l’appelle a un (la maladie du pilon) (voir La médecine
traditionnelle : René Collignon et Tékheye Diouf).
En un mot, il a été traditionnellement interdit à la femme de maltraiter, de blesser certains animaux
ou de mutiler certains accessoires de ménage aux risques d’exposer à ses enfants leur vengeance
mystique. Le pardon de tout cela, ne s’obtient en général que par le rite du baxnax (le rite du portage).
Avec tous ces tiimb, elle endossera dès son mariage une série d’interdits particuliers propres à sa
famille conjugale. À côté de ceux-ci, elle est tenue, dans le cadre général, d’observer et de respecter en
plus d’autres tiimb institutionnels dont toute femme mariée fait les siens ; ce sont :
- ne jamais sortir de la concession sans mettre son mouchoir de tête ;
- ne jamais porter la paire de chaussures du mari ;
- ne pas défaire ses tresses ou se les faire confectionner des tresses de tête le jour du vendredi ;
- éviter d’aller au puits, au tas d’immondices ou aller prendre un bain au πangoorand (réduit affecté
aux bains) après le crépuscule, etc.
Quant aux hommes, il n’y a que les tiimb de kurcala (lignée paternelle) et quelquefois de tim
(lignage maternel) qui leur incombent. La tradition leur laisse une marge d’action plus importante dans
ce cadre-là. Certains des cultes qu’ils sont tenus de respecter sont même spécifiques à chaque kurcala.
Ils sont en fait à l’origine d’une déférence due à certaines plantes, certains animaux qui ont eu à
intervenir pour la survie de la famille primitive de l’individu, quand elle fut en danger. Dans la
majeure partie des cas, ces redevances de respect, ces alliances parentales et ces sacralisations
totémiques de plantes, d’arbres ou d’animaux découlent du secours mystique, alimentaire ou de
protections par ces derniers lors de leurs déplacements, migrations ou voyages périlleux. Depuis lors,
certaines familles ne touchent plus le caméléon et d’autres vont même jusqu’à donner leur nom de
famille à la plante ou à l’animal qu’elles respectent pour donner plus de poids à leurs tiimb.
Ex. Les Njaay disent que le lion est leur parent paternel. Ils se le justifient par le fait qu’un ancêtre
Njaay a été jadis épargné par un lion repu au cours d’un voyage.
Pour revenir aux tiimb généraux qui incombent particulièrement à l’homme, les anciens ont dit :
A. Un homme ne doit fonder sa concession, ni la déplacer qu’à l’aube d’un jour de dimanche.
B. Il ne doit pas prendre femme au cours du mois que le Sereer appelle o ngool o ndimb (c’est le mois
lunaire qui point avant celui qui correspond aux miss et xooy). En calendrier français, ces deux mois
coïncident avec mars et avril. L’interférence du temps des semailles et aussi frappée d’interdit.
Tiimb ken seereer : les interdits chez les Sereer
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Pour ce qui concerne la circoncision et le tatouage, des interdits familiaux sont pour ou contre
l’opération faite par un Ñamaan (circonciseur) et une Tooroom (tatoueuse) castés (forgeron(ne) et
griot(e).
D’apparence pléthorique, la rupture avec ces Tiimbs entraîne souvent des causes néfastes. Cette
rupture intervient automatiquement par le toucher, le manger ou la simple vue.
Interdits qui gravitent autour des cérémonies de cultes
En pays sereer, dès qu’on parle de culte, on pense aux pangool. Les pangool sereer constituent
trois catégories :
1. Pangool maas (ou cléments). Ils sont moins exigeants et plus protecteurs. Les interdits qu’ils
imposent sont souvent le port des vêtements rouges devant leurs autels, la présentation d’offrandes
douteuses (mil volé et transformé en fonq ; mil acheté ne venant pas des réserves qui proviennent des
propres greniers de l’intéressé, etc.).
La mise dans le feu de chauffe de certains arbres qui matérialisent l’autel de ces pangol, etc.
2. Pangool qaa∂ (ou virulents, voir méchants). Ils sont en général carnivores. Ils interdisent et
détestent tout ce qui est blanc. Leur exigence principale demeure le sang. Généralement, ils n’ont pas
fixé beaucoup d’interdits, car ils préfèrent réagir dès que l’on outrepasse leur volonté.
3. Pangool gooÚe (ou pangool apprivoisés). Ce sont les cultes les plus nombreux dans le monde
sereer. Leur origine n’est en fait que le fruit de l’imagination et de la complaisance sont devenus à la
longue une réalité pangoolique. Malheureusement c’est cette réalité qui a été depuis la source de
beaucoup de tiimb et n’ont fait que compromettre notre quiétude sociale.
L’on voit certains pseudo yaal pangool qui déclarent que leurs compagnons (les pangool)
n’aiment pas qu’on leur touche la nuque ou la tête. Il leur est interdit de manger du riz, de la viande,
etc.
- Ne doivent pas aller à tel village
- Ne doivent pas se baigner ou se raser la chevelure.
Il existe dans cette rubrique une multitude d’interdits créés de toutes pièces qu’on ne pourrait
aligner dans ce rapport. Sans vouloir faire un tort à mon propre milieu, ces interdits ne sont que des
caprices et ne protègent que des humeurs ou des personnalités forgées.
Avant de conclure, il faut ajouter certains tiimb qui viennent d’un bannissement par la collectivité
sereer concernée. Ces interdits découlent de circonstances malheureuses qu’une collectivité aurait
vécu. Il s’agit des famines par exemple.
Poukham-o Ndièm. Dans ce village, il est formellement interdit de dire Puxaam o njem ; o njem sac,
maan xa yaay axaa qui veut dire : Poukham le salin ; le sel salé et l’on va derrière le bosquet récolte
abondante, cette localité avait décidé de faire l’hivernage suivant des vacances. Entre temps, ils
épuisèrent leurs réserves de mil et une famine commença. Situé à proximité des tannes à sel de
Ndiémou, la population de cette époque du village de Poukham se rabattit sur ce sel pour en faire de la
nourriture. Elle fut presque décimée par des diarrhées. Ce sont les survivants qui allaient ramasser les
cadavres derrière les bosquets de Yaay.
Depuis lors, cette phrase est d’interdite. Quiconque la prononce à Poukham risque d’être tué.
Leurs cousins des villages de Thiomby et du quartier de Ndia-Ndiaye de Fatick sont les seuls à la
proférer librement et sans être inquiétés.
Depuis l’époque féodale jusqu’à nos jours, un maa-Joyin (chef de province de Diohine) ou un chef
de canton dont le prénom commence par Laa a été frappé d’interdit pour gouverner cette province ou
canton.
Ce ndiimb découle d’un conflit ayant opposé la cour d’un rituel insolent et méchant qui s’appelait
Laafaatiim Kumba Cirool Juuf à la population de Diohine rangée derrière un riche berger du terroir
nommé Geej Cimbaan Joyin a Njaafaaj Juuf. Le résultat fut catastrophique. Les deux principaux
antagonistes y avaient trouvé d’ailleurs la mort. C’est ainsi que de nos jours, cet interdit reste en
50
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
vigueur.
Il est utile d’évoquer enfin l’interdit réciproque doublé d’un cousinage à plaisanterie entre les Halpulaar et les Sereer. Il est strictement interdit au Sereer de maltraiter, de blesser ou de chagriner un
Haal-pulaar. Cela fait l’objet d’un malheur imminent disait l’ancien.
Pour conclure, disons simplement que les interdits authentiques font toujours ceux utilisé. Ils sont
le fruit de remarques sages qui définissaient les affinités de l’homme avec son environnement. Et le
vieux Sereer disait souvent : oxuu ñaamna tiimb of ñaamaa gaañ of qui veut dire : qui mange son
interdit a mangé son serment.
C’est pour dire que les interdits étaient finalement des tables mystiques de valeur où à défaut du
roi on pouvait apposer un serment. Le vieux Sereer disait aussi : o xon moÚamaxam o ñaam tiimb es to
ñaam timbes moÚanaxam o fi ke layoona ce qui veut dire : je préfère mourir que manger mes interdits,
et je préfère manger mes interdits que de faire ce que tu me dis.
C’est la phrase de la fin.
L’éducation en milieu sereer
Ce proverbe sereer est éducateur : oxuu na yaraa mbir, bo ta maafaa’leng, a maafong : qui éduque
un lutteur, avant qu’il ne terrasse un autre, il te terrassera. En d’autres termes, le résultat de l’éducation
donnée à l’enfant se ressentira d’abord par son éducateur. En clair, l’enfant voleur commencera à
soustraire les biens de ses propres parents avant d’extérioriser ses forfaits. Et le sage sereer d’ajouter :
Teel o xoox o oqof fa teel o yar o πeef mbodu ; refee yaq : labourer tôt son champ et éduquer tôt son
enfant sont pareils, ce n’est pas un gâchis.
Partant de cette large vision, l’éducation sereer commence bien avant le sevrage. Elle débute par
les bonnes habitudes, faire acquérir à son enfant de bonne habitudes.
C’est ainsi que la mère de l’enfant qui est sa nourrice, mais aussi son éducatrice postnatale, va
jouer un rôle capital pendant toute cette période d’éducation primaire. Les bonnes habitudes
commencent d’abord :
- Par la tétée (numin). À chaque tétée, la mère donne à son enfant les deux seins en prises respectives.
À la longue une habitude se crée. Après avoir tété dans le sein droit de sa mère, le bébé cherchera par
des gestes de main le sein gauche où il doit terminer sa tétée. S’il ne le trouve pas et qu’on ne le lui
présente pas, c’est généralement des pleurs de frustration qui s’en suivent.
Dès que ce besoin d’avoir les deux seins est ancré chez l’enfant, il ne peut plus être autrement. Le
refus d’un des seins par l’enfant suppose une maladie (kaa’geer, a fañ o sipu) : on soupçonne alors
une constipation car l’enfant n’urine plus à partir de ce refus. Du côté de la mère, c’est †een ngarabu
(maladie des seins) qui en résulte. Et au cours de leurs jeux d’adolescents et surtout quand deux
enfants se partagent quelque chose on entend souvent l’un des deux rétorquer à l’autre : †een fik
numum ; numiim †een leng : j’ai tété deux seins ; je n’ai pas tété à un sein. Autrement dit : ne me
donne pas une part, il m’en faut deux comme au temps où je tétais les deux seins de ma mère. En fait,
voilà une habitude qui persiste dans la jeunesse de l’individu.
- A πuucnax. Il consiste à faire prendre à l’enfant l’habitude de faire les selles avant chaque tétée. A
πuucnax est une espèce de sifflement un peu rauque que la mère effectue par un pincement des lèvres.
C’est une façon d’exciter l’enfant d’aller aux selles. Elle fait déféquer bébé pour qu’il puisse prendre
la quantité réglementaire de lait.
Après les tétées règlementaires, les pleurs prolongés de bébé sont considérés comme étant des
(fugues) à corriger tôt. Quand ils ne sont pas dus à une maladie, on laisse l’enfant pleurer jusqu’à la
fatigue. On dira à la jeune maman qui s’en inquiète : xaÚeen ta lool ; ka waa†aa ngang. A xijangaa rek
xan a ∂aan : laisse-le pleurer, il cherche une poitrine (allusion au développement de la poitrine). Dès
qu’il se fatigue il dormira.
Cette prise en main pour l’acquisition de bonnes habitudes par l’intuition à l’enfant sera de rigueur
jusqu’au sevrage.
- A pudin (descente de portage ou sevrage) l’acte même est un créneau pour l’éducation dans la
mesure où son opportunité est voulue précoce. Autrement dit, il est dit qu’un sevrage tardif peut rendre
un enfant débile. Le Sereer en dit ceci : a pudin a celu kaa ßodaxnaa’njaa† : une descente de portage
tardive rend débile (A pudin varie entre 18 à 24 mois). C’est ainsi que le Sereer commence
l’approfondissement de l’éducation un peu après le sevrage. Apprendre à manger avec les mains
commence. L’initiation de manger, de travailler ultérieurement et à titre exclusif avec la main droite
est exigée de l’enfant. Cette exigence devient même une imposition pour les fillettes quand leurs
mamans leur inculquent la maîtrise de certains travaux ménagers courants. La main gauche ne sert
qu’à la toilette du bas ou de la plaie dit le Sereer. La main gauche ne doit jamais être introduite dans
une alimentation recommande-t-on à la jeune fille. Les boutades suivantes résument l’éducation
desservie pour l’hygiène des mains :
a) : O ßay o janoon no fu† a jege mbaa no ∂oy = la main gauche est faite pour les organes du bas ou
pour les soins d’une plaie.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
b) : O ßay o janoon nee ßekeel no ñaamel = la main gauche ne doit jamais être introduite dans les
aliments.
c) : A ñamaak kaa war o xoolaa, yaam o ten genufo ‘roon = la droite doit être tenue propre car elle est
la voisine constante du plat d’aliments.
En clair, les trois premières années de l’après sevrage sont surtout consacrées à l’éducation
concernant l’entretien et l’hygiène corporelle. C’est au cours de cette époque que la mère qui baignait
son enfant et l’habillait lui apprendra à le faire lui même.
Elle lui dira de se laver débarbouiller, de bien rincer avec les mains toutes les parties corporelles
creuses où un dépôt de souillures est capable de résister.
Quant à la fille, on lui apprend tôt à linger ses propres effets vestimentaires. Aux enfants, il est
recommandé d’aller faire leurs besoins dans les bosquets; surtout aux filles. Une fillette qui fréquente
tôt les toilettes réservées aux adultes dans certaines concessions est souvent victime de la vue
prématurée de ses règles.
C’est à partir de cette époque aussi qu’intervient la séparation de dortoir. Le mari se construit une
chambre à coucher et laisse son épouse et les enfants dans une chambre commune.
L’éducation qui a trait à la pudeur commence. Pour se marier, la femme ira dorénavant voir son
mari dans sa case individuelle où ils seront libres et loin de leurs enfants. Souvent on entend une
femme mariée confier à sa copine: kaa’m dabataa : je rejoints maintenant (veut dire qu’elle a sa
chambre propre où elle dort avec les enfants). Pour satisfaire les exigences du mariage, elle rejoint
dorénavant son mari dans une autre chambre à coucher.
Pour les garçons, on commencera à en faire des bergers-assistants. Ils rencontreront les autres et
loin des concessions. Il y aura les bagarres, les bastonnades des plus grands, etc. L’enfant reviendra le
soir dans les concessions avec des contusions, un œil poché ou en boitillant. Son père ne lui
demandera jamais ce qui lui est arrivé car dit-on en sereer :
1) ke na fiyeel na koπ nee ßiseel no pind : ce qui se fait en brousse n’est pas à dire à la concession. Il
est donc interdit à l’enfant de raconter ce qu’il endure quand il va avec ses copains ou quand il part
avec les bergers aux pâturages.
2) Mbind a yarangirang a koπ a yarong : quand l’éducation des concessions a failli, c’est celle de la
brousse qui s’impose (si la concession ne t’éduque pas, c’est la brousse qui va t’éduquer).
Ce proverbe veut dire que la tolérance dont bénéficie l’enfant à côté de ses parents l’entraîne
souvent dans le carcan de l’enfance gâtée. Pour corriger ce facteur néfaste, il est souvent recommandé
aux parents d’envoyer leurs enfants avec les autres.
Tout enfant doit aller en brousse pour un complément d’éducation au lieu d’être cajolé en
permanence dans la concession. Le Sereer conclut par ce proverbe : o njaa© o sutweer a tooq a refaa,
tew sax na tanean : un enfant qui ne sort pas devient comme un corbeau (poltron comme un corbeau) ;
finalement une femme devient plus pondérée que lui (tendance efféminée).
De son côté, la fillette recevait les recettes fondamentales qui feront d’elle une bonne ménagère.
La base de l’éducation en milieu sereer est riche et variée. Ainsi il est interdit tôt à l’enfant :
1) O wat mbid : être curieux et sans retenue. Un enfant de ce genre est incontrôlable, il n’est jamais
avec ses camarades et ne fait que guetter la causerie des adultes. Dès que papa ou maman reçoit un
étranger, il s’empresse d’être présent. Rien ne lui échappe de l’éventuelle entrevue. Il est racontard et
finit par semer la discorde dans la concession.
Pour éviter aux enfants cette mauvaise réputation on les renvoie jouer dès qu’un hôte arrive dans la
chambre. Quand il devient un peu plus grand, il s’exécutera sans qu’on le lui demande.
b) Fañ dam o roon : omettre de retenir l’extrémité du plat où l’enfant mange avec les adultes. L’enfant
qui mange avec les adultes sans veiller à l’équilibre du plat ne devait en aucun cas bouger : il était
automatiquement qualifié d’impoli et de sans éducation. L’on disait : ndeetar daal yaree’πeem onqe ;
L’éducation en milieu sereer
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ñaamkiro fo’ten muk bota dam o roon olaa : un tel n’a pas du tout éduqué son fils : on ne mange
jamais avec lui pour le voir retenir le plat.
Pour lui éviter de telles observations, la manière de manger et la position de respect du plat et des
adultes qui pouvaient partager le plat avec l’enfant étaient directement inculqué à l’enfant par ses
parents. Le Sereer s’appesantit dans la rigueur à mettre dans ce volet d’éducation par le proverbe
suivant : o neß a xoolangaa’ßay ; a wang o ñaam fo’maak : quand le jeune à la main propre, il peut
manger avec un adulte. Ce proverbe enseigne en réalité le respect de la nourriture qui est source de vie
; le respect des anciens qui sont les juges et les correcteurs du devenir de l’enfant.
Dès le début de l’enfant dans le cercle du plat collectif qu’un ménage prend matin, midi et soir, on
exige de lui le comportement suivant : - avoir les deux genoux par terre ; - s’asseoir sur les fesses, regarder directement dans le plat où l’on mange, - garder un silence absolu, - éviter de laisser tomber
des miettes d’aliments par maladresse en prenant en excès. Et enfin - tenir par son côté et de sa main
gauche l’extrémité du plat pour qu’il ne bouge pas.
c) O rokwa†ar : fouiner dans les concessions voisines. Aux enfants, il était demander d’aller jouer en
brousse, aux portails des concessions ou à la place publique. Après les jeux, chaque enfant regagnait le
foyer de ses parents. Certains enfants habitués au laisser-aller rentraient avec d’autres camarades chez
eux et partageaient avec ces derniers leurs repas. En milieu sereer, ce comportement est mal vu, car il
engendre finalement la tendance à devenir « pique-assiette » (a πarax). Les adolescents vagabonds ont
pris ce sillage pour arriver à leur fin dit-on. À l’adolescence l’enfant a déjà maîtrisé trois grands axes
existentiels fondamentaux. Il s’agit des champs, du troupeau et de l’amour de la concession paternelle.
Et la sagesse traditionaliste de conclure par ce proverbe : o ndeßandoofi o mbaax tadik
kene’waru’foñik o qol faapum ; o siir faapum; moof no mbind faapum : un bon adolescent doit prendre
en importance ces trois destins : le champ de son père (y être assidu) le troupeau de son père (le
conduire dans des pâturages où son développement est assuré), rester dans le foyer paternel (pour en
devenir dans le futur le chef).
O SooÚ fayar (ou l’éducation de base) chez les Sereer
Le sage sereer a dit : O ndeßandoofi a andangaa njanoonum fo ñamaakum fayar yoqu = quand
l’enfant discerne sa gauche et sa droite, il ne reste que l’éducation.
C’est ainsi qu’après le sevrage, l’enfant est laissé à lui-même. Beaucoup de ses caprices continuent
d’être tolérés. On lui laisse son entière liberté, sauf le système de surveillance qui gravite autour de sa
personne et qui n’a qu’un but protecteur. Le cache sexe (a lafat) lui est mis à titre facultatif, car il n’a
pas encore le sens de la pudeur et son intuition n’est pas encore aigue. Durant toute cette période
d’épanouissement sans contrainte, la notion de fille ou de garçon n’est point mise en relief.
Sur le même lit, garçons et filles dorment ensemble. Au cours de leurs jeux, aucune ségrégation
n’entrave le regroupement des enfants quand ils décident d’aller s’amuser. Tous nus, la distinction et
le constat de la mélange du groupe ne se font qu’en regardant et de près les sexes d’enfant.
L’éducation d’un enfant ne commencera donc qu’avec son parler clair et d’élan qu’il amorce pour
comprendre.
La première question de l’enfant qui mobilise ses parents à lui donner les prémisses formelles de
l’éducation est : pourquoi m’interdit-on de manger avec la main gauche ?
À partir de cette date le père met le cache-sexe à son garçon (a lafat) et si c’est une fille, la mère
confectionne pour sa fillette a kuleembang (sorte de cache-sexe à deux extrémités libres : l’avant et
l’arrière) ou un slip. Il est alors dit que l’enfant a la notion de pudeur. La nudité de l’enfant devient
partielle. Le a lafat et a kuleembang inaugurent aussi le début de la distinction entre fille et garçon. Et
le sage sereer enchaîna avec la recommandation suivante : A lafat, o loq ngaynaak na doonwaa teen.
Après le cache-sexe c’est le bâton de berger. Quand à la fillette, l’ancien ajoute : ya-um a matandwan
yaa ta jalaa : sa mère se l’approche quand elle travaille.
Au cours de cette période, le garçon est dirigé et se trouve chargé du gardiennage des petits ruminants qui sont souvent conduits à l’écart des concessions. Il rencontre d’autres jeunes du même âge. Sa
rencontre avec d’autres dans une même occupation crée un groupe aux mêmes idées, à la même passion pour les jeux et où les mêmes susceptibilités de jeunesse se rencontrent. Ce groupe est dit : ngend.
Chez les filles aussi, la même chose se réalise.
Pour le garçon, c’est l’époque de a pacax et pour la fille c’est de temps de a yulax et de humel
mber ndet.
- A pacax consiste à libérer le gland de pénis de la membrane interne du prépuce qui le couvre anormalement. C’est une opération douloureuse qui provoque souvent un saignement. Elle est faite par un
adulte et alerte tôt l’enfant sur ce que doit être l’acte de circoncision. La maman qui sait dès le départ
que son mâle subira de toute façon cette pré-circoncision lui verse de la terre glaise dans le prépuce
pour rendre ultérieurement cet acte moins pénible.
- A yulax est le fait de percer le bout des oreilles. Après cet acte qui se fait généralement avec une aiguille neuve (pour éviter le tétanos) on y introduit un bout de fil torsadé où l’on garrotte une perle à
chacune des deux extrémités du fils pour le maintenir dans l’orifice laissé par l’aiguille.
C’est après la guérison que ce fil (o loÚ) est enlevé et remplacé par des boucles d’oreilles.
Quant à mber ndet, c’est ce collier de perles ou collier du serment de fidélité qui fut remis à la mère lors de son mariage par la sœur d’honneur de son mari (voir Entretien Diamtew Ngom, Tékheye
Diouf et René Collignon, sur le mariage pa toon o roon).
Quand le garçon est berger de petits ruminants, un autre changement remarquable intervient encore. Il ne dort plus dans la case de sa mère. Si le père à son dortoir à lui, il le retire de celui de sa mère
pour l’habituer à dormir à ses côtés. Dans le cas d’une case collective, il ira dormir sur le lit du père. À
ce stade, la séparation de destinée entre fille et garçon est déjà consommée. Elle est approfondie par la
différence d’activités et de loisirs qui ira en croissant.
L’éducation du garçon évolue. De l’enfant-berger de petits ruminants, il sera finalement transféré
au grand troupeau pour la conduite des bovins. Il vivra dorénavant la majeure partie de l’année dans la
brousse. Son contact avec les concessions deviendra de plus en plus rare. Avant l’adolescence solide,
l’enfant était déjà pétri dans l’endurance, la privation et la pesanteur martyrisante de ses aînés qu’il
O SooÚ fayar (ou l’éducation de base) chez les Sereer
55
rencontre aussitôt son arrivée dans le grand troupeau. C’est là qu’il apprend à se défendre, à se débrouiller pour atténuer soif et faim loin de ses père et mère. Il apprendra par la force des circonstances
à vivre étaient orientés en groupe à donner et recevoir des coups, à lutter, à voler et à cacher ses forfaits. Durant cette période, le jeune Sereer vaque à intervalles régulières à deux formations dites fondamentales : la conduite du troupeau paternel et qui est faite à tour de rôle entre les enfants d’une
concession et aller labourer au champ à côté du père lorsqu’on n’est pas de tour pour aller avec le
troupeau.
Toute l’activité de l’enfant et son suivi entre le troupeau et les champs. Sa présence en concession
n’était que pour manger. Dans les concessions, les fillettes un peu filles recevaient à doses régulières
les différents travaux dévolus aux femmes : piler le mil, aller puiser de l’eau au puits, faire la cuisine,
être toujours présente dans la concession où il y a toujours un travail de femme qui attend.
À cet âge, la propreté des ustensiles de cuisine incombe rigoureusement à la fillette-fille.
Bien avant son mariage, la mère est déchargée des travaux les plus pénibles. Dès qu’elle est adolescente, sa fille sait tout faire à sa place. Le choix d’une épouse dépendait aussi de l’efficience de
l’éducation d’une jeune fille. Bien faite, la fille d’une telle et d’un tel faisait tôt objet de convoitise.
Dans le cas contraire, la demoiselle devenait vieille avant d’avoir un mari.
Le même processus était valable pour un garçon. La circoncision ne donnait pas droit à l’épouse.
Auparavant, l’apprentissage pour être un homme complet devra influencer la facilité d’avoir la main
d’une fille choisie ou la difficulté d’en trouver parce qu’on est mal apprécié.
On ne peut conclure sans évoquer l’époque des baignades dans les marigots. Le marigot est
l’endroit presque exclusif où garçons et filles peuvent se rencontrer occasionnellement en milieu sereer. C’est aussi le lieu où l’instinct pervers qui a échappé à la correction des parents se révèle.
Les garçons qui ont profité de l’insouciance de leurs parents pour découvrir la pratique des rapports sexuels en font la pratique avec des filles de leur âge dites garces précoces (fo njaga fo ndeß). Ce
genre de fillette que d’inconscientes mères cajolent passent rapidement par là pour perdre leur virginité bien avant le mariage.
Enfin, c’est le carrefour où se rencontrent des maladies telles que la bilharziose. Dans les bosquets
ou tous buissons qui entourent souvent ces mares ou marigots des termitières sont là. Les jeunes géophages profitent de ces occasions. Au lieu d’être parmi les baigneurs, ils vont en cachette à côté de ces
termitières pour manger leur terre. C’est au cours de ces rencontres aux marigots que des sympathies
juvéniles qui se transforment en amour vont naître.
À propos de la circoncision
La circoncision a été un rite traditionnel qui mettait toute la communauté sereer en branle. Elle
regroupait toutes les différentes familles et leurs alliances. Pour son déroulement, d’importantes décisions devaient au préalable être prises. C’est ainsi que le problème de la circoncision n’était pas une
décision de famille, mais celle d’un conseil d’anciens.
Pour ce qui concerne le Siin, c’est son roi qui, après une consultation informelle avec les sages de
la couronne, décidait unilatéralement de la tenue d’une année de circoncision. C’est le roi du Siin aussi
qui fixait sa date et les modalités générales du cérémonial d’ensemble. Dans la promulgation de la décision royale, on disait partout O maad a ci’ta ndut : Le roi donne le droit de circoncision. C’est ainsi
que deux formes de ndut pouvaient être envisagées et réalisées. Le ndut ordinaire qui regroupait les
jeunes en âge de se circoncire originaires d’un ou deux villages. Son nombre ne dépassait pas en
moyenne quarante à cinquante njuli (circoncis).
Et kasak qui avait une dimension territoriale. De toutes les provinces du Siin, des jeunes en âge
d’être circoncis étaient acheminés au lieu fixé par la décision royale. Son nombre variait entre cent à
trois cent njuli. C’est pourquoi d’ailleurs la plus haute responsabilité des kasak était entre les mains
personnelles du roi donateur et cependant toute la période d’initiation des circoncis. Elle était longue
et s’échelonnait entre deux et trois mois. Traditionnellement voici les zones qui parrainaient un kasak :
1. Diakhao
2. Mboul
3. Niakhar
4. Diohine, qui survit tant bien que mal jusqu’à nos jours. Ce kasak porte le nom devenu très célèbre de Koojegaan.
Dès qu’un ndut était officiellement promulgué et sa date d’exécution connue ; chaque concession
ou chaque patrilignage regroupait pour son compte les adolescents qui devaient être circoncis. Pour
cette rencontre des anciens du kurcala ; beaucoup d’alcool était au rendez-vous. C’est en cette occasion aussi que l’on procédait au rite dit rok o yang. C’est une opération qui consiste à mettre autour du
poignet du jeune à circoncire un bracelet en argent comme signe distinctif de sa candidature à la circoncision. C’est ce même jour aussi qu’on lui faisait porter sur différentes parties du corps tous les
leemax nécessaires (leemax : pléthore de gris-gris protecteurs de tous les mauvais sorts possibles).
Après ce rite, c’était la période du rite dit a asax. C’est une période durant laquelle, le futur circoncis et son accompagnant rendent visite à tous les membres de sa famille dans le sens large du mot
pour les informer qu’il est partant pour la circoncision. C’est une période aussi d’aller effectuer toutes
les libations lointaines ndut le haat n’aura plus les moyens d’atteindre le jour de la circoncision proprement dite.
O haat : adolescent en instance de circoncision. Comme signe révélateur, on habillait le haat avec des
habits de femmes et avec des colliers et d’autres parures féminines quand il allait vers les parents à
informer. Auparavant des tresses traditionnelles de femmes appelées nduñ étaient confectionnées sur
sa tête.
Dès la fin du a sax, arrivait ensuite la phase qui précède ; on l’appelle woong ou la période des festivités. Pour l’organiser, l’oncle maternel et le père du haat tuaient chacun un bœuf. Durant tout le déroulement du woong, c’étaient ivresse, louanges, danses, bagarres et bouffes.
Le woong est un ensemble de danses traditionnelles que tout pré-circoncis devait exécuter pendant
une nuit et deux jours avant l’acte final de la circoncision. C’est durant le woong aussi que toutes les
connaissances magiques du monde sereer faisaient leur apparition. L’invulnérabilité trahissait alors
beaucoup d’adeptes qui s’enfonçaient des couteaux ou des coupe-coupes en signe de solidarité avec
celui à circoncire. C’est ainsi que le woong était commencé un mercredi soir par un prélude dénommé
a a qatax ou o ngoomaar. C’est la première soirée d’initiation du haat à la danse traditionnelle du
woong.
Toute la journée et la nuit du jeudi étaient consacrées à ce spectacle de danses traditionnelle ; le
vendredi matin aussi.
C’est le vendredi, entre 16 heures et 18 heures que le fiaaman survint avec son assistant pour circoncire l’adolescent qui entre peu après dans la case (ndut) réelle des hommes.
À propos de la circoncision
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À propos du fiaamaan.
fiaamaan est une appellation sereer du circonciseur. C’est une profession héréditaire qui était réservée à certaines familles (la noblesse étant exclue), paysannes en un mot. Dans chaque quartier, il y
avait un spécialiste de la circoncision.
L’idée qui définit le fiaamaan comme l’officiant casté de la circoncision n’est qu’une formulation
de l’esprit ou résulte d’une interprétation erronée qui ne concorde pas avec la réalité traditionnelle.
Scientifiquement le fiaamaan est un détenteur de o seem : don du pouvoir d’avoir à verser du sang.
Le détenteur de o seem devient un chasseur ou un fiaamaan.
Le choix du fiaamaan
Certaines concessions ou kurcala avaient forcément leur fiaamaan parmi les gens de caste, en
principe parmi les forgerons.
Mais dans la majeure partie des cas, le choix du fiaamaan a toujours eu des pourtours mystiques.
Dès l’annonce d’une date de circoncision les fiaamaan se disputaient par la voie occulte les adolescents à circoncire. Par des pouvoirs spéciaux qui leur permettent de se projeter dans le rêve, ils hantent
chacun pour soi les adolescents qu’ils circoncissent en mystique avant d’aller le faire réellement.
C’est ainsi que certains adolescents rêvent bien avant la date de leur circoncision d’avoir été mordus par une vipère. Dès que le haat raconte son rêve, on lui dira tout de suite : ton fiaamaan sera un
homme de teint noir.
De la sorte, tout fiaamaan savait avant la date de la circoncision, le nombre de haat à circoncire.
Déroulement de l’opération de circoncision
Dès le début de l’après-midi, le haat termine toutes les libations à faire sur place. Il rejoint après le
lieu où doit se dérouler l’opération de circoncision proprement dite.
Déjà sur place, le fiaamaan et son assistant appelé o kuuhum ou l’attacheur de cordons qui délimitent la partie parasite du pénis dite o sool attendent impatiemment. Après un petit rituel à base
d’incantations et de gris-gris de dernière minute pour attiser sa bravoure qui implique avoir une position correcte durant toute l’opération, le jeune s’assoit en face des deux spécialistes et présente son
sexe.
Derrière lui des battements de tam-tam timides et des louanges anciennes qui lui rappellent la bravoure de ses aïeux. Pendant ce temps, le kuuhum attache les cordons de séparation appelés xa πaak. Un
signal furtif est donné. Entre le moment où le haat bascule sa tête vers l’arrière pour ne pas voir l’acte
final et la fin de son geste, le fiaamaan a déjà terminé son travail. Surprise générale à cause de la rapidité de l’opération. Pleurs et lamentations de parents proches et c’est la fin. tout le monde reprend le
chemin des concessions.
Le nouveau circoncis est conduit dans un bosquet où ses parents adultes lui donnent les premiers
soins. De là, il ira rejoindre ses camarades circoncis dans la hutte d’initiation ou ndut naa.
Ndut naa est un centre de formation d’homme intégral. C’est à partir d’une vulgarisation initiatique des vicissitudes sociales qu’il sera porteur à son retour au village de toute la sagesse de l’homme
sereer.
Ndut naa aussi est un centre d’initiation à la médecine traditionnelle. Les premières base de
connaissances de tout guérisseur ou guérisseuse sont faites là-bas.
À noter aussi que les femmes aussi ont leur ndut. Mais que signifie de ndut ? C’est un nid. Mais
dans le sens figuré, c’est presque comme une école préparatoire où ne vont que des élèves non alphabétisés.
Séjour du circoncis dans le ndut
Durant tout son séjour au ndut, le njuli ne se lavera pas. Au lieu d’un bain on l’enduit de cendre.
C’est seulement à l’aube de sa sortie d’initiation qu’il renoue avec l’eau par un bain spécial appelé πogid (purification).
C’est ainsi que nuit et jour, il est astreint à une intense formation. À côté de lui il y a les adultes
formateurs ou selbe sous la direction d’un kumax, responsable morale du ndut. L’ensemble de la formation est à base de cax et de a kim ngoor.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Cax : veut dire devinettes. Grâce aux cax qu’on lui donne le njuli saura dénouer tous ses problèmes au
cours de sa vie d’homme.
A kim ngoor : chansons traditionnelles qui font valeur de cax.
Pour conclure voilà un chant et cax en même temps.
†aaf mbelaan ne’ngal a yaqin
†e †aaf mbelaan ne
qui veut dire : l’acajou succulent mais rendue défectueux par le ngal (ver parasite qui ronge les arbres
et arrive même à les terrasser.
Signification objective : entre hommes circoncis, dès qu’un camarade chante cette chanson traditionnelle, il vous signale dans un langage nuancé que la demoiselle que l’on courtise est très belle,
mais n’a pas de perspectives d’avenir, car c’est une anthropophage.
Les soins traditionnels du circoncis
De coutume la circoncision était opérée par un spécialiste dénommé fiaamaan (circonciseur). Cet
acte fondamental pour tout jeune adolescent sereer faisait l’objet d’un professionnalisme qui n’était
réservé qu’à certaines familles.
Tout le savoir rituel était exclusivement de la connaissance de ces familles. L’on disait d’elles :
kaa lam nquc, o seem reefu’den. O xaÚangee, o xucaa : elle a hérité de la circoncision, le rite de verser
le sang les suit (les membres de ces familles) qui n’est pas un chasseur (o †ana ou o qaaxaÚ) devient
forcément un circonciseur (fiamaan).
Après avoir coupé le prépuce du jeune dans les formes traditionnelles avec le couteau (japil fa
nqucir = couteau pour circoncire) ; la dernière tâche du fiaamaan était d’attacher la blessure (hum ngot
ne). Il s’agit là d’un traitement oral effectué avec des incantations appropriées.
Une suite d’amis et de parents conduiront ensuite le njuli (circoncis récent) dans le bosquet voisin
pour lui prodiguer des soins approfondis et à cycle régulier.
Voici l’inventaire des premiers soins :
a) la sève de liit Roog autrement dit fogoon mbadarapoli. C’est une espèce d’alcool indigène. Il sert à
désinfecter et à arrêter l’écoulement du sang après la circoncision.
b) mbi∂el a naf baan : poudre à base de feuilles pilées de l’arbre appelé baan en sereer. Cette poudre
sert à assécher la partie sectionnée et fait que le risque d’abondance de pus dans la plaie qui se forme
après soit moindre
c) ndeep naak : bouse de vache. Elle est pilée et est la dernière couche médicamenteuse versée sur le
pénis du circoncis.
d) xa tefire : ou les cordeaux de retenue du pansement. Après le traitement proprement dit, on fait le
pansement au njuli avec une bande d’étoffe servant ainsi à retenir tous les médicaments versés sur sa
blessure. Des tefire sont mis sur cette bande d’étoffe et l’immobilise sur le sexe du circoncis. Les tefire
sont attachés au milieu et sur la bande d’étoffe d’une manière méthodique, car ils servent surtout à tenir le pénis dans une position adéquate. Les tefire sont faits au njuli pour lui éviter toute infirmité du
sexe après la guérison. C’est ainsi qu’ils sont attachés sous forme de nœuds coulants à l’extrémité
couverte de la partie blessée du pénis. Grâce à ce système, il sera facile de serrer ou de deserrer leur
prise sur le pansement. Quant aux deux autres extrémités coulissantes qui restent libres après le nœud,
leurs prolongements seront attachés aux gris-gris ceinturant le circoncis.
Après cette précaution d’usage, le njuli a le pénis dans sa position initiale. Il pourra faire des déplacements sans entrave et marchera normalement sans risque de frottement douloureux de son sexe
sur les cuisses.
Chaque soir il est couché le ventre en l’air et les jambes écartées. Cette position pour se coucher
lui est imposée par ses selbe (surveillants) pour lui éviter toute possibilité de blessures qui pourraient
être dues à d’éventuels changements de position pendant son sommeil.
Dans le cas des njuli turbulents pendant le sommeil, on leur faisait ce qu’on appelle xa teng (pointe
en bois). C’est des bouts de pieu enfoncés en terre et qui limitent l’écartement où le njuli est maintenu.
Avec un bout de corde attaché à la cheville du njuli récalcitrant. L’autre bout est attaché au pieu. Ainsi
il est contraint de garder la position souhaitable jusqu’à son réveil.
À propos de la circoncision
59
Pour revenir au traitement du njuli, les premiers soins sont renouvelables tous les deux jours et
pendant les premiers 20 jours après la circoncision.
Dans le cas d’un début d’infection (saxin) ou d’abondance de pus après un enflement du sexe
(mbor mayu), l’administration des médicaments énoncés est suspendue. À leur place on met sur cette
plaie en infection primaire l’espèce de pollen jaune qui couvre le fruit de pain de singe (ñaax-ßaak).
Ce produit détruit les microbes et nettoie proprement la plaie dit-on. Dès qu’une amélioration est constatée, la médication normale est reprise et jusqu’au constat d’un début de cicatrisation.
Au cours de ce stade second, les tefire sont enlevés, les soins deviennent légers. De la poudre de
bouse de vache est directement administrée sur la plaie et on fait au njuli son pansement.
Dans certains cas, on utilise même lanq a loot ou max saas (terre de termitière ou terre déposée
par les termites sur des troncs des acacia albida comme remède de cicatrisation.
Pour ce qui concerne la guérison et la sortie du njuli de la hutte d’initiation, une variété d’aléas et
de séquelles de circoncision est souvent rencontrée :
1) la guérison incomplète (o woda†ar). Dans ce cas, le njuli retourne aux concessions avec ses camarades complètement guéris, mais continuera secrètement à être soigné par un autre traitement approprié.
Ce cas est particulièrement observé chez les njuli atteint de lèpre en début d’activité ou de kurfetefi
méchant (kurfetefi fa soxodu). L’on constate alors que la plaie persiste et résiste au traitement habituel.
Le circoncis sera finalement traité par les soins donnés en addition et avec lesquels o soigne les malades de kurfetefi ou de lèpre.
2. Pe∂id = déchirures périodiques. Elles peuvent être du kurfetefi ou de l’instinct d’avoir des rapports
sexuels. Sont fréquemment constaté chez les njuli adultes (entre 20 et 25 ans) qu’on avait traditionnellement l’habitude de circoncire jadis à cet âge.
Dès que le pénis est en érection, il s’en suivait une déchirure au niveau de la partie coupé. À cause
de cela la guérison s’avérait lente. Elle ne faisait pas l’objet d’un second traitement, mais disait-on, la
sérénité que le njuli retrouvait avec le retour dans sa concession lui faisait perdre cette envie. Finalement il guérissait.
A qon no ndut : mortalité pendant l’initiation. C’est l’infection mortelle. Dans ce cas, c’est le doute
complet. Kumax (responsables des circoncis) et selbe (les surveillants) ont toujours mis en cause les
naq et autres mauvais esprits. En réalité, il s’est toujours agi d’infections qui ont pu être dues soit :
- au tétanos du couteau du fiaamaan
- soit à la variété des médicaments qui étaient amalgamés sur la blessure du njuli.
Puisque le njuli était exempté de bain ou de changement de linge de corps pendant toute la période
d’initiation (qui était autrefois de 2 à 3 mois), l’infection mortelle pouvait aussi être de cette source.
On ne peut conclure sans apporter une définition de l’objectif qu’a incarné la circoncision dans la
pensée sereer. Elle est d’abord une porte d’accès au savoir des hommes responsables. Grâce à
l’initiation, l’existence est passée au peigne fin.
Elle est ensuite un remède. Pour certains adolescents maladifs, les anciens disaient à leurs parents :
xuceen, japil a malangaan ndiiki ta jibi : circoncis-le, si le couteau lui fait du bien, il fleurira tout de
suite.
Enfin, la circoncision fut une source de maladie ; la plus déplorée étant la dévirilisation. Dans la
société sereer, ceux qui se sont circoncis presque à l’âge adulte ont été victimes dans beaucoup de cas
de ce malheur, ils sont sexuellement impotents. Leurs proches s’en lamentent par ces propos : no nquc
a daamtun ndaa’okoor a ree†u : il l’a eue (la non-virilité) à la suite de la circoncision ; auparavant il
était un vrai homme (il avait la possibilité sexuelle).
Les maladies de la circoncision
Le mariage et la circoncision ont toujours revêtu un caractère particulier. C’est parce que c’est à ce
stade que l’individu était plus vulnérable.
Pour ce qui concerne la circoncision, si le Sereer l’a entouré d’une mystique, qui était rigoureuse,
c’est qu’il avait mesuré à leur juste valeur les conséquences que l’acte pourrait occasionner. La maladie était la première crainte du Sereer.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Ainsi bien avant la circoncision le Sereer entourait les jeunes hommes de toutes les protections
possibles. C’était pour lui éviter certaines maladies en majeure partie mystiques qui pouvaient endiguer son épanouissement d’homme après la sortie de la case initiatique. Ainsi il y avait :
1) o haat o raare
Le jeune homme à circoncire est dépourvu de tout courage. Il fuit l’acte ou quand il n’a pas la possibilité, il quittera le village pour toujours dès sa sortie de la case initiatique. C’est une maladie qui se
manifeste par une peur permanente. Le jeune homme devient subitement claustrophobe et fuit tout
contact.
2) M buf ngupu
C’est le circonciseur qui coupe en profondeur. S’il ne mutile pas le gland du pénis, il coupe d’une
manière qui endommage le sexe du circoncis.
3) Nqoy
C’est le tétanos du couteau. Quand le couteau du circonciseur est mal entretenu, les conséquences
néfastes d’après circoncision se manifestent par des décès ou des maladies en forme de crises.
4) Yoom japil
C’est l’impuissance sexuelle d’après circoncision. Là c’est l’incision qui a été mal faite. On a coupé où il ne fallait pas couper. Le résultat fait que le circoncis est guéri, mais ne peut plus bander.
5) Ngirid
C’est une maladie qui se manifeste trois jours après la circoncision. Quand le pénis est enflé dans
le pansement, la peau du pénis s’allonge et revient couvrir le gland du pénis. Là, deux solutions sont
possibles : soit refaire la circoncision, soit retrousser cette peau de trop pour que le gland du pénis réapparaisse. Cette situation provoque souvent une plaie sur le pénis qui persiste des mois chez le circoncis à la sortie de la hutte initiatique.
6) Gaal
Il se manifeste par un évanouissement ou une syncope aussitôt après la circoncision. Généralement
quand le futur circoncis fait des rapports sexuels à la veille de l’acte de circoncision, il devient victime
de cet état. Voilà pourquoi les jeunes hommes à circoncire étaient strictement surveillés durant les
préparatifs de la circoncision.
7) O wondwa†ar
Au cours de la première semaine après la circoncision, une seule position pour se coucher était
exigée du circoncis. Il se couche sur le dos, le ventre en l’air, bien droit et les jambes écartées. C’est
pour lui éviter toute blessure sur le pénis. Certains qui désobéissent ou sont fatigués de se coucher
dans cette position, attendent la nuit pour dormir comme ils le veulent. Finalement, ils ont le pénis déformé.
8) Xa pe∂id
C’est le propre du circoncis âgé qui a déjà fait l’amour avant la circoncision. Il bande fréquemment et est toujours victime de déchirures qui retardent sa guérison. Il en est de même pour les circoncis atteints de lèpre ou de kurfetefi.
Ca des hommes et Ce des femmes
Au cours d’une veillée d’initiation, si tu entends le ndut prendre en chœur les chants suivants,
saches que c’est le chapitre qui traite de la conception de l’homme sur la femme qui est introduit.
Le selbe formateur commence par : Fa njaaxoo pelaan ke no goor rew a nanaan.
Cette première phrase est reprise en chant par les njuli et autres selbe. Elle signifie : Secret éternel,
c’est ce plaisir des homme dont les femmes ne peuvent qu’entendre mais pas voir ou comprendre.
En réalité, le sage avait inventé cette chanson traditionnelle de ndut (a kim ndut) pour faire
allusion à la curiosité de la femme pour connaître la mystique du ndut des hommes ; ce qui s’y passe et
s’y fait ; le motif profond qui oblige les hommes d’éloigner les circoncis des concessions et des
femmes pour procéder à leur formation ; la valeur qu’a cette période d’initiation et comment s’opère
les transformations qu’elles constatent chez les nouveaux initiés quand ces derniers reviennent dans
leur société.
Le premier plaisir évoqué par l’ancien dans ce chant d’homme est le tourment qu’il provoque chez
toute femme qui l’entend. là, la première question qu’elle se pose est : pourquoi les hommes font-ils
allusion à nous dans les initiations de njuli qu’ils dispensent ? Rien que par ce mystère, la mystique
qui renferme la conception de l’homme sur la femme en général est amorcée.
La connaître objectivement et regrouper des moyens scientifiques pour la dominer seront abordés
par la suite dans d’autres cantiques de Ndut.
L’importance de ce chant réside dans le fait qu’il fait allusion au pouvoir de l’homme de pouvoir
maîtriser une série de connaissances absolues et profond sur la femme tout en ayant la capacité d’en
garder le secret...
Et notre selbe-formateur de continuer : Ndee Nduuroo o tew a roka no ndut naa a gef xoox’moo !
qui veut dire, Ndew Ndour ; femme qui s’est introduite dans la hutte d’initiation (ndut naa) s’est
cassée la tête. Il s’agit là d’un chant qui rappelle l’histoire d’une femme qui tentât de percer le secret
des ndut.
Pour ce faire, elle s’était déguisée en homme et était allée avec un groupe d’hommes qui allait
assister à une veillée d’initiation. Malheur lui arriva car elle fut découverte et maudite des hommes.
Elle devint stérile et vécut sans soutient dans le malheur jusqu’à sa mort.
Il est chanté pour décourager toute folle curiosité de la femme qui aurait la tendance excessive de
vouloir s’approcher du ndut (ou †iif ne) pour savoir ce que font les hommes pour créer un homme.
Cette chanson est aussi un avertissement. La femme qui cherche à trop connaître l’homme expose
à d’autres calamités. Connaître les secrets de l’hommes avait réduit Ndew Ndour d’être la première
femme stérile à vie.
Connaître l’homme dans sa vie sexuelle peut même être un mal lorsqu’on en abuse nuance
l’ancien sérére (les MST).
Ainsi donc, le risque d’avoir l’indiscrétion de la femme ayant été écarté de près ou de loin du ndut,
notre selbe-formateur va continuer.
†aaf mbelaan ne ngal a yaqinee †aaf mbelaan ne. Pomme d’acajou succulente mais gangrènée par
un ngal (ver parasite qui ronge ce fruit de l’intérieur). En réalité on évoque dans ce chant nuancé
l’existence parmi les femmes de certaines qui sont attirantes, mais qui sont dangereuses d’étique.
La belle femme n’est pas forcément la bonne épouse dit le sage sereer. D’ailleur, c’est la belle
femme qui était souvent suspicionnée de sorcière à tort ou à raison dans la société sereer.
C’est pour mettre en exergue la méfiance de l’homme dans le choix d’une épouse que cette
chanson est dite. Elle dénonce en fait la beauté féminine comme étant le premier signe de
l’anthropophagie. Donc, apparemment une bonne graine mais pourrie de l’intérieur ; extérieurement
propre mais intérieurement sale (les MST).
Et enfin, notre selbe-formateur peut clôturer avant de céder la place à un autre par ces deux
cantiques.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
1) bounqit, fanq saas le yee bunqit : fragile, roc d’accacia albida, fragile. Évoque dans un sens
l’existence de femmes faciles qu’on peut rencontrer dans la recherche d’une épouse. Elles ne sont pas
forcément des prostituées mais ne peuvent se suffire des rapports sexuels normaux avec leurs seul
mari. Elles en rechercheront d’autres (l’adultère ou a seeq).
2) Gañsiri yee soπaam a yaa maak a riwnaa saaw ; gañsiri yee soπaam a gañsiri kam oo njemaan :
Gaguesiry, j’ai trouvé la grande tante Farie tisser un pagne couleur de pintade ;
Gagnesiry, oh ! j’ai trouvé Gagnesiry dans Ndiémane-village. En clair, ce chant veut dire que la
bonne femme est celle qui n’a pour ambition que de vieillir dans son ménage et d’y accumuler des
pagnes tissés pour ses enfants, ses petits-fils et pour les linceuls de ses parents morts.
Paisible et travailleuse doit donc être l’épouse à rechercher par les jeunes initiés quand leur
mariage sera décidé.
Pour remettre les choses à un autre, il dira avant de sortir du cercle : O nqamaq et tous de répondre
en choeur : πek tel yiif : tout enseignement et les autres de répondre : est à conserver dans l’esprit.
Après ces quelques exemples, il devient alors clair que depuis le début, la tradition sérére a inséré
la relation homme-femme au centre de ses préoccupations cognitives. L’évocation de la femme dans
ces vicissitudes essentielles au cours des initiations d’homme le témoigne.
C’est ainsi que de générations en génération, les hommes se sont transmis les connaissances
fondamentales qu’il faut retenir de la femme. À la sortie du ndut, le nouvel homme (après initiation)
sait alors tout ce qu’il lui faut avant de se choisir une compagne pour créer un foyer.
Par des cax (devinettes de sagesse) et des chants appropriés qui ont aussi valeur de cax et qui lui
ont été déjà enseignés et clairement expliqués, le jeune buloor (sorti de la hotte d’initiation) a tout le
bagage spirituel qu’il faut pour affronter la femme en tant qu’être social.
De la hotte d’initiation il sait par ce proverbe : o kiin wee and ken goor, and ken rew ; qu’on ne
peut connaître tout des hommes et tous des femmes.
Ce proverbe lui trace objectivement les limites des connaissances qu’il vient de recevoir dans le
domaine du monde féminin. Et qu’en définitive, ce monde est d’une complexité qui renferme des
surprises inimaginables. Il rencontrera au cours de sa vie sociale pour les connaître, les maîtriser
personnellement et les dépasser.
Au retour dans les concessions, le buloor est dépourvu de toute requête d’élimination due à
l’éducation maternelle d’antan. Il n’appellera plus celle qui l’a mis au monde par le qualificatif de
mère. Il appellera cette dernière directement par son nom. Exemple : au lieu de dire mère, je veux
voyager, il dira : Ndéo, Amy, Yandé, Penda, Siga, etc., je vais en voyage.
Grâce à ce système de formation, la mère de l’adolescent d’hier est automatiquement avertie que
son enfant est devenu l’homme qui domine la femme.
Les hommes-formateurs ont depuis l’histoire du ndut de circoncis pensé que pour faire passer
toutes les exigences de la supériorité masculine sur la féminine, il faut commencer par la mère.
L’amour maternel dans ses faiblesses pour le fils ne peut que rendre ses exigences douces et
acceptables.
L’application de ce principe de supériorité sur sa propre mère prévient la futur épouse qu’elle est
condamnée à la soumission. La sagesse de l’initiation ne va pas les yeux fermés dans la pratique de ses
connaissances sur et avec la femme.
En matière de supériorité, elle dira au jeune initié : o tew axu a adna qui signifie : c’est la femme
qui a semé le mondé (procrée) et d’ajouter aussitôt : ya of koo ref no ten rek ndaa kalta roog fo
pangool, fo-oy faap bindong : ta mère, tu y est passé au cours de la conception ; mais après dieu et les
pangool, tu n’es constitué que de sang paternel.
L’initiation expliquera dans ce cas que la femme-mère n’est qu’un réceptacle et une nourrice par
son lait mais l’essentiel (le sang)qui rend possible la constitution matérielle de l’être humain ne
provient que du père (Cf. la constitution matérielle de l’être (a ci†) : René Collignon, T. Diouf, G. Faye
et E. Faye dans Médecine traditionnelle).
Et l’initiation continue : fat o ßop a ya of ndaa baa adnong baa sa∂ong, baa saa∂arong, to ba jaß
ta yaf a faap of yaan seercer kaa tee : Roog fa barke faap fa wasik yaay a ndeef ngaa o piÚ rek ta
faaxi∂ : protège ta mère mais qu’elle ne te domine pas ; qu’elle te craint sans avoir peur de toi ; refuse
qu’elle sous-estime ton père à cause de ta présence car le Sereer dit ceci : avec l’aide de Dieu, et la
baraka du père et la chance qui émane du travail de la mère protègent le fils, ce dernier a du bien.
Ca des hommes et Ce des femmes
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Là, les principes de l’initiation préconisent l’autorité du fils entre ses parents pour préserver
l’entente et l’harmonie familiale qui ne doivent souffrir d’aucune entorse à cause de lui en tant
qu’homme comme son père.
Grâce à ce proverbe, on démystifie et combat en même temps, la tendance de certaines femmes
rancunières qui amorcent une vengeance sournoise sur leur mari dès que leurs enfants grandissent.
Elles font un travail de sape de façon à mettre ses derniers dans son camp. Dès qu’elles réussissent,
elles ont toutes les latitudes possible pour maltraiter leurs conjoints. Certains époux se font même
rosser par leurs épouses aidées de leurs enfants ou relégués au délaissement pur et simple jusqu’à leur
mort par chagrin.
Pour éviter au jeune homme les retombées des conséquences qui dérivent d’une telle attitude, les
anciens formulent de tels conseils pour leurs initiés dans le ndut. Faap ßiloo, o πiy a ref ßeef ßil le
dalangaa no ßoof le ta gef, ßoof le dal no ßil le a gef. Le père est un caillou et le fils est un oeuf.
Quand le caillou cogne sur l’œuf, il le brise et si l’œuf se cogne sue le caillou il se brise.
En clair on flétrit ces cas néfastes où peuvent être impliqué l’enfant devenu homme intégral pour
lui éviter le bannissement et autres punitions à caractère divin qui peuvent enrayer son évolution
social. Sans le dire, c’est toujours pour mettre en valeur la supériorité de l’homme.
L’intéressé est aussi mis en garde que la soumission d’une femme dans la réception des affres
conjugales et sévices se transforme en révolte et en vengeance dès qu’elle trouve un autre soutien en
son fils devenu homme. Encourager ce fait ou participer à sa réalisation, le met dans la situation d’en
être une victime dans l’avenir, car lui aussi, il se veut un futur marié et un père de famille.
Dans les proverbes séréres (cf. C. Becker) il est clair dit : Nu o foytaa o tokoor of ; xa tokoor of we
†eetang : En organisant les funérailles de ton oncle, les neveux l’observent. Ce qui veut dire que la
mauvaise volonté ou le mal fait à l’oncle te sera rendue par tes neveux. Entre le père et le fils aussi,
c’est la même chose.
À partir de la hutte d’initiation donc, le nouvel homme est formé pour être d’abord un équilibre
entre ses parents et un relais d’ombrage où en ces derniers doivent dorénavant trouver une source de
repos. Jusqu’à son propre mariage, on lui fixe le devoir rituel de ne vaquer qu’à cela.
Cela ne va pas tarder ; mais là aussi, les principes de choix d’une compagne sont déjà reçus. Les
connaissances qu’un homme doit observer d’une future épouse sont déjà acquises. Il ne se liera avec
une fille quelconque qu’en faisant son analyse méticuleuse par la pyramide typologique des épouses
(Cf. G. Faye, dans types d’épouses).
À cette époque, l’homme nouveau est devenu o ñann (solide jeune homme dans la plénitude de sa
force physique) et a déjà mis en pratique quelques recettes qui ont trait à la sexualité. C’est l’époque
où l’homme rencontre fréquemment les MST en minimisant certains conseils déjà reçus pour ça.
Connues de nom seulement, il connaîtra par l’un de ses copains de tranche d’âge l’une de ces maladies
dans ses réelles manifestations et conséquences.
À l’heure du choix d’une future épouse, il est tenu de passer par l’enseignement des anciens qui ne
disaient jamais à un jeune homme d’aller courtiser ou se fiancer, mais plutôt d’aller observer : reti
∂eetik o πiy ndeetar : vas voir, va observer la fille d’un tel. Là aussi, les critères d’observation lui ont
été répertoriés depuis le ndut (Cf. G. Faye, in “Qu’est ce qui fait une bonne épouse en milieu sereer”).
C’est après le compte rendu des observations faites à ses parents et spécialistes pour les questions
financières que son choix sera pris en considération et que l’autorisation lui sera donnée pour se
prononcer ouvertement si ses propres parents ne le font pas à sa place. Même des moyens divinatoires
sont mis en branle en ces moments pour connaître ce que recèle la vie cachée de la demoiselle choisie.
C’est pour dire que certaines femmes présentant des signes et comportements idéaux pour le
mariage peuvent contradictoirement être décommandées, car leur vie oraculaire est décourageante.
C’est ainsi que les connaissances humaines ne peuvent en aucun cas rendre compte à elles seules
dans l’absolue de ce qu’est la femme en général ; d’où les innombrables consultations de voyants et
d’observations à caractère rituel avant les négociations d’une alliance en milieu sereer (Cf. le rite du
mariage par T. Diouf, R. Collignon, G. Faye). À propos du mariage proprement dit, l’homme
rencontrera les qualités et défauts de la femme, ses caprices et les pièges inédites ou connus qu’elle
peut confectionner pour tempérer l’esprit de supériorité dont il se targue d’avoir sur elle.
Les femmes dresssent des obstacles à l’homme quand il s’agit de mariage. L’extrême est la
............ de l’époux pour consommer son mariage. Le plus connu de ces obstacles s’appelle a kum o
nqali : attache à l’arc c’est une forme de maraboutage qui provoque l’impuissance sexuelle provisoire
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
(Cf. Le rôle du mariage par T. Diouf, R. Collignon et G. Faye). Ce procédé de remise en cause de la
vanité des hommes d’être supérieur aux femmes a causé beaucoup de mal (migration, suicide et
pauvreté après dépenses excessives pour se soigner).
Il n’est pas unique et les femmes en inventent d’autres qui font toujours la surprise aux hommes.
Cependant l’homme finit toujours par se tirer d’embarras grâce aux connaissances qu’il gère de la
femme. Il a les moyens de défaire a kum nqali ou d’autres façons imprévues et qu’elle est capable
d’improviser pour le nuire.
En revanche, l’homme dispose de moyens qui lui permettent même de changer le cours de la
fécondation de la femme. D’après A. Diockel Faye (un guérisseur) certains hommes rancuniers se
vengent de leurs épouses en ne leur faisant produire que des garçons (Cf. M. Thioune & G. Faye sur
l’infécondité et MST).
Et justement, il faut que l’on s’arrête au concept de mariage parce que c’est un stade où toutes les
connaissances de l’homme sur la femme et celles de la femme sur l’homme s’affrontent. Ce duel
commence par la création d’institution et de mythes parallèles. Lorsque l’homme créa nquc (le rite de
la circoncision, et institua le ndut (période d’initiation à la vie d’un homme) ; la femme instaura le
ndoom (tatouage) et institua le ndut (période d’initiation à la médecine traditionnelle féminine). On
voit tout de suite que ces deux rites se mesurent en douleurs. Dans la circoncision la notion de
nécessité est dépassée pour celle du courage. le tatouage ne vise pas que cette opportunité. Par lui, le
femmes démontrent aux hommes que la bravoure n’est pas leur chasse gardée.
Chez les hommes, leur mythes de ndut s’appelle Maam (Cf. Henri Gravrand dans Civilisation
sereer). Pour les femmes, il s’appelle Jooj. Chacun de ces deux mythes sanctionne par son apparition
rituelle la période de fin d’initiation et l’admission de l’initié dans le concert des hommes ou des
femmes majeurs.
Dans chacun des ndut, chacun a pour ce qui le concerne des cantiques et des cax (devinettes) qui
lui sont propres. C’est à l’occasion des cérémonies de mariage ou de rentrée de buloor au village que
des séances de confrontation de cax sont organisées. Elles regroupent des hommes et des femmes de
mêmes tranches d’âge.
C’est au cours de ces rencontres dites d’échanges de savoir traditionnel qu’homme et femme se
complètent un peu. Le déchiffrage des cax s’opère dans une violence amicale mais qui engendre
souvent des pleurs chez certaines femmes pas courageuses.
Pendant le caxir (confrontation de cax), chaque cax posé exige une réponse. Lorsque la partie
adverse l’ignore, elle doit l’acheter et son rachat n’est autre qu’une série de coups de bâton sur le dos.
Les poltrons ou poltronnes parmi les deux groupes qui s’affrontent finissent par fuir et ne reviennent
plus participer.
Ainsi donc, le mariage étant le pivot de maturation de l’homme après le ndut, l’ancien en parle
sans embrase et dit : o koor o queweet dolner refee o koor : un incirconcis et non marié n’est pas un
homme.
Dans ce proverbe, il nuance que la vocation d’homme ne réside pas seulement dans le fait de
s’acquitter du rite de circoncision, il faut en outre se marier pour atteindre le statut d’homme
responsable. Ce proverbe renferme sans le dire que c’est grâce au mariage que tout ce que le ndut n’a
pas eu le temps d’enseigner va socialement être connu et vécu. C’est partant du mariage qu’un jeune
voit comment on négocie une alliance ; les parties contractant et les dépenses à engager ; la
responsabilité de chacun ; en un mot la fonction parentale dans son efficience. C’est dire qu’au sortir
de tout cela, la fougue de jeunesse est tempérée par une subite responsabilité. La femme et les enfants
éventuels chassent pour de bon l’homme instruit en l’homme. À la fin, il ne restera de l’homme qu’un
homme cultivé.
Pour entrer dans le chapitre de ken rew, je ne peux introduire sans affirmer que l’homme n’est pas
dupe des insuffisances et failles qu’il a de ses connaissances sur le femme.
En voici la preuve. Les hommes ont confectionné à la limite du marigot des champs un passage
compliqué pour le bétail. On l’appelait nof no tew : oreille de femme (littéralement). Ce passage était
confectionné à l’approche de l’hivernage après que tout le périmètre des champs qui se juxtapose avec
ce marigot ait été entouré d’une haie vive. Les animaux qui paissaient dans la zone de ce marigot
passaient par le naf no tew, mais ne pouvaient l’emprunter pour sortir sans être aidé par un humain ;
tellement c’est tortueux.
L’homme qui l’a confectionné l’appelle oreille de femme : nof no tew o koor waagiran no daaw
qui veut dire : l’homme n’atteindra jamais dans ses prévisions l’idée que mijote une femme.
Ca des hommes et Ce des femmes
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Ainsi donc, l’homme qui se veut l’éternel maître de la femme appréhende ses limites sur elle et
accepte sans vouloir souvent l’avouer que la femme a un domaine exclusif qui est a elle et à elle seule.
Donc ken goor, Ce des hommes restent pour eux et bien qu’une intrusion nous donne certains
aperçus dans ken rew. Ce des femmes la partie la plus rationnelle dans leur domaine propre nous
restera toujours inconnues. Même les indiscrétions de la science je crois ne bouleverseront pas cette
règle absolue.
L’exemple le plus frappant est la période menstruelle de la femme. On sait par son comportement
ou son refus des rapports sexuels qu’une telle a ses règles, mais aucun homme ne sait quand et
comment son épouse acquiert sa menstrue. On ne maîtrise pas encore son origine. Le sage sereer ne se
trompe pas alors quand il dénomme cette période menstruelle par o mbaax no tex : la coutume d’une
femme (une chose que toutes les femmes ont coutume de voir) (Cf. Tening Diouf, R. Collignon, C.
Becker et G. Faye, enquête sur les MST).
C’est pour dire que malgré les assaults de l’homme pour la connaître intégralement aux fins
d’assurer sa soumission totale. Elle a réagi de manière à faire l’épargne de son milieu propre. Elle rend
les mêmes assauts à l’homme et est souvent supérieur ou égale à lui dans certains domaines.
Voyons d’abord le domaine mythique. Dans ce domaine, à part les pangol communautaires qui
sont souvent un legs du fondateur d’une localité à sa descendance, tous les autres cultes qui font
l’objet de libations sont l’œuvre des femmes.
Leurs chefs de cultes peuvent devenir des hommes à la suite d’une généalogie de succession, mais
à l’origine les pangool ont été apprivoisés (xooÚ pangool) par des femmes.
C’est ainsi que seules les femmes furent les vraies détentrices du savoir traditionnel efficient. Les
pangool d’homme ne sont là que pour protéger un village et n’étaient au début qu’un ensemble de
gris-gris et non des esprits immatériels.
Par le lait caillé qu’elles versaient sur l’arbre d’à côté ou au seuil de leur case-dortoirs, certaines
choses mystiques invisibles ont fini par devenir les consommateurs. Depuis lors, une relation s’était
établie entre cette femme et la chose invisible. Ils se parlèrent, négocièrent des contrats et se rendirent
services. La place où se versait le lait devint un autel. Les libations sont la paie des services que les
esprits qui fréquentent l’autel et hantent cette femme pour lui confier des secrets ou des connaissances
mangent.
S’agissant des hommes, leur supériorité ne se constatait que dans l’accumulation des ressources de
prestige (vaste lamanat, grand troupeau, beaucoup de femme et d’enfants etc).
En médecine traditionnelle. Là encore, les femmes étaient les guérisseuses les plus sûrs. Elles
n’amalgamaient pas des remèdes ou des plantes médicinales selon leurs caprices ou par des
suppositions en partant du goût, de l’odeur ou du nom de la plante pour dire qu’elle doit être en
mesure de soigner telle ou telle affection.
Tout ce qu’elle faisait dans ce domaine n’était autre que les confidences de leurs pangool.
Quand à l’homme, il a eu quelques recettes de médecine traditionnelle dans le ndut ; certains ont
eu un complément par le biais des anciens et les plus curieux sont allés en voyage d’étude pour
connaître d’autres plantes, d’étranges procédés de traitement et même leur gamme variée de nouveau
noms de maladies. C’est ainsi qu’en médecine traditionnelle l’homme qui y fait profession est plus
charlatan qu’un guérisseur.
C’est d’ailleurs pourquoi l’anthropophagie est rangée du côté maternel. L’homme qui se voit
supplanté par la femme l’accuse de sorcellerie, car les réalités qu’elle maîtrise grâce à ses esprits amis
lui donnent une supprématie sur l’homme son maître.
Elle l’aide même dans ses fonctions sociales. C’est pour dire que certains saltiki-hommes étaient
devenu des célébrités dans le monde de la prédiction grâce à leurs épouses. Avant ces genres de
rencontres, c’est l’épouse qui disait à son mari saltiki de faire telle déclaration car sa manifestation est
irréversible d’après ce qu’en révèlent les pangool. La prédication se réalisait et tous les honneurs
revenaient au saltiki.
Dans le monde sereer, les saltiki-femme sont souvent taxées de sorcières par les saltiki-homme
parce qu’elles sont plus savantes qu’eux. La réalité est qu’elles n’inventent rien et déclarent
exactement ce que leur confient les esprit.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Dans le domaine social. En tant que gestionnaire du grenier, la femme est l’économe du foyer. Les
anciens l’ont su depuis. Ce proverbe en témoigne : o tew o yaayaq, o kor o koo hom. Une femme
gaspilleuse, un mari quémandeur de nourriture.
Dans chaque cérémonie, l’influence de la femme se fait sentir. Sans elle, rien n’est alors
consistant. L’organisation sociale place l’homme en tête dans beaucoup de prises de décision, ce
dernier est dépassé et n’a de savoir sur la véracité de qui se fait que par le compte rendu de la femme.
C’est grâce aux femmes que l’enterrement traditionnel résiste encore aux calques sur les
enterrements catholique ou musulman.
Pour conclure, sans dire que la supériorité de l’homme sur la femme n’est que nominale. C’est ce
qui fait de l’homme le sexe fort, cette une espèce de qualificatif de complaisances.
Il est dès lors constaté et surtout dans la société sereer d’hier, que partout où une œuvre homme est
louée, elle a reçu un apport de complémentarité entrepris d’une femme avant de revêtir une importance
quelconque.
On peut donc dire que le sexe dit fort avant de l’être le doit à celui dit faible au début et à la fin de
son développement. Sans la femme et ses possibilités créatrices d’importantes initiatives ou décisions
masculines seraient lettres mortes.
Ainsi donc, lorsque certaines féministes prônent l’égalité entre l’homme et la femme, je pense
qu’ils parlent de sexe en tant qu’il est sûr que, du sommet et à la base, ce sont les femmes qui décident
ou manipulent les décideurs et cela depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Tout souverain renversé a été
d’abord boycotté par son épouse. En perdant les titres pompeux de la grandeur d’établissement dans
l’emporalité sociale, la femme est restée et reste celle qui tire sur les ficelles qui créent le bonheur ou
le malheur. La femme a, après tout cela, dit que l’homme n’est qu’un grand naïf : o koor kaa naxax.
Là, elle a raison dans toute la ligne car nous faisons les frais dans tous nos rapports avec les
femmes. En matière de sexualité, la femme manipule l’homme au point de lui faire confesser toutes
ses bassesses mondaines.
Les dangers qu’elle risque dans sa procréation ne l’arrête pas. Dans ce domaine, faire de l’homme
son jouet est un art pour les femmes. Et depuis lors, la soumission de l’homme à la femme dans ce
domaine précis n’a rien apporté.
L’homme y reçoit toujours un plaisir acheté au prix fort. Les conseils et recommandations des
anciens dans le domaine de la nuptialité et autres (voir T. Diouf, R. Collignon dans le rite du mariage)
n’ont aucune influence pour changer le cours de ce rachat de bonheur sexuel que la femme dispense à
l’homme.
L’homme sereer a même institué des obligations et des punitions à caractère divin pour normaliser
ses rapports sexuels avec la femme. La peur remède qu’il a escompté obtenir d’elle n’a presque pas en
lieu (Cf. Tiimb dans l’accouchement par R. Collignon, T. Diouf, Médeine Traditionnelle).
La jalousie a toujours prédominé en la femme et tant qu’elle y résidera, elle exploitera toujours sa
supériorité sur l’homme dans tous les domaines où elle est maîtresse d’oeuvre. Les anciens résume
cette ambition féminine matrimoniale par ce proverbe : o koor ngeeñ o xontaa to a pesooro† no tew
ßekun o ten. L’homme meurt avec l’amorce d’une envie de pleurer ; c’est le comportement de la
femme qui le met dans cet état. C’est pour dire que les pièges de la femme pour martyriser l’homme
ne l’épargnent jamais et même au seuil du trépas.
Dans le domaine des enterrements traditionnels en monde sérére, les pagnes multiples dont est
couvert le trépassé constitue un troc bien ficelé et bien imaginé par les femmes.
Au nom d’un mort, on annonce en général une vingtaine de pagnes tissés pour son linceul, en
réalité on ne l’enterre qu’avec quatre au grand maximum. tout le reste est gardé par l’épouse du mort,
sa sœur ou ses filles. Ses pagnes ne sont pas donnés gratuitement et il faut les rendre à tour de rôle. À
chaque fois qu’un parent de celle qui avait participé en pagne es décédé, il faut y aller rendre un
pagne. L’épouse qui a reçu ces pagnes à la mort de son mari laisse cette même dette à payer par ses
filles s’il arrive qu’elle meure entre temps.
Pour ce qui concerne l’organisation des funérailles traditionnelles sereer, elles sont pompeuses ou
modestes selon l’humeur des femmes.
Sans leur participation matérielle rien n’est consistant ou, on suspend à titre indéfini les dites
funérailles.
Ca des hommes et Ce des femmes
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Les dizaines de têtes de bétails qui sont sont souvent exposées pour magnifier l’importance des
funérailles d’un tel en sont le reflet. Qu’un homme soit riche ou pauvre, le réglement funéraire
traditionnel ne prévoit que l’abattage de deux bœufs : celui du tim et celui du lignage paternel. Tout le
reste sont des bœufs de koo seer ou bœuf tué à crédit pour raffernir une alliance de mariage (Cf.
Funérailles traditionnelles de T. Diouf et R. Collignon). Ainsi donc, les funérailles pompeuses se
mesurent au nombre de filles données en mariage.
Pour le baptème, la femme en fait son ressort exclusif depuis l’accouchement. C’est elle qui
procède au ramassage de l’enfant (ngis), donne le prénom officieux à ce dernier (init gon) et (Cf. T.
Diouf dans « Baptême sérére »). Dans ce domaine, elle n’a besoin de l’homme que si l’accouchement
pose problème (Cf. A.S Diouf, C. Becker et G. Faye dans enquête MST et guérisseurs).
En d’autres circonstance l’homme n’est qu’un simple veilleur de bébé pour lui éviter d’être
victime de kum a las (Cf. Médecine traditionnelle avec R. Collignon et T. Diouf).
Dans le domaine du semis et de la récolte, la femme est à l’avant-garde de l’action rituelle à mener
avant la semence. Là, c’est toujours la dernière arrivée dans une concession qui enfouit les quatre
premières pincées de graine de mil ou d’arachides sous terre et qu’elle accompagne avec ses propres
prières (Cf. T. Diouf, dans nduuduufin).
Avant la consommation des nouvelles récoltes, les femmes en donnent le signal par unrite
dénommés πodinax (Cf. Médecine traditionnelle, R. Collignon, T. Diouf et G. Faye). Pour
l’organisation de la circoncision qui est d’abord du ressort privilégié des hommes, les femmes étaient
au centre des décisions à l’époque du Woong (Cf. G. Faye). Le domaine où la femme sérére est
entièrement coupable, mais reste impunie c’est l’environnement.
Dans la conduite incontrôlée pour s’approvisionner en bois de chauffe, elle a finalement détruit
tous les bosquets de village après la grande broussaille. Et la sécheresse aidant, les acacias albida qui
fertilisaient nos terres ont été aussi transformés en bois de chauffe dès qu’ils commencent à vieillir ou
à dépérir.
Aujourd’hui, toutes les localités qui se rapprochent de plus de quatre kilomètres peuvent de
concessions, s’apercevoir. Elles ont mis tout à nu. Le nord de ce pays n’est maintenant qu’un presque
désert, clairsemé de villages qui s’aperçoivent respectivement et à distances variables.
Au cous de toue cette période néfaste, l’homme qui se dit chef de la femme n’a rien dit. C’est sur
le chemin de la transhumance forcée (voir Molaan, film d’A. Lericollais) qu’il protesta. Pour la
migration, ce terme qui est pratique récente chez les Sereer n’a eu de l’importance en son sein que
lorsque la femme emboîta le pas à l’homme. Au paravant, le Sereer ne connaissait que l’exil (raay) et
c’est d’ailleurs dans la contrainte et la résignation qu’il devait quitter les sieux pour aller vivre loin.
L’accusation d’antropophagie, l’impuissance sexuelle, la fuite des représailles du souverain ont
exceptionnellement obligé la famille sereer à partir en exil.
Toutes les autres absences n’étaient que de longs voyage dont le principal était ndiiglaan : aller
cultiver ailleur pendant l’hivernage pour revenir dans son village d’origine. Seuls des jeunes hommes
à l’âge de se marier s’adonnent à cette pratique. Dès qu’ils se mariaient il ne bougeaient plus de leur
localité.
Il a donc fallu les fortes mutations naturelles et sociales que l’on sait pour la migration ait un sens
pratique en milieu sereer. C’est d’abord l’homme sereer qui a connu la ville et l’a fait connaître à la
femme. Le travail saisonnier en ville a aussi été initié par lui tant que la femme n’avait pas suivi,
l’homme retournait toujours au terroir à l’approche de l’hivernage.
Il a alors fallu le malheureux bouleversement occasionné par un long cycle de sécheresse pour que
l’exode rural ait lieu. Dans ce sens peu massif que nul ne pouvait endiguer, les femmes vivent aussi en
ville. Et ce fut la migration quand l’esprit de s’y sédentariser submergea tout le monde.
Les conséquences et les résultats de cette migration feront l’objet d’un thème libre et non
scientifique.
Dans le domaine des institutions sociales traditionnelles, la femme reste la conservatrice pertinente
de nos traditions. Quand à l’homme sereer, il a vite fait de faire table rase des plus importes
institutions masculines qui garantissaient son épanouissement et même sa survie. Plus de kasaak
(grande congrégation de circoncis sereer ; plus de ndut (voir H. Granvrand dans Civilisation sereer).
On les a tronqués avec ndut no elew : circoncision d’élèves ou circoncision à bas âge pour s’éviter du
tout frais de cérémonie.
Les xooy (assemblée de prédication) d’hommes sont fait à huit clos (o xooy o guk) et ont perdu
tout leur caractère traditonnel. L’homme sereer qui a embrassé l’islam et le catholicisme a alors
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
maladroitement enterré son patrimoine spirituel pour rien. Où il amalgame tout et n’y retient que ce
qu’il a bien assimilé où il greffe. L’une de ces religions importe pour les besoins de sauvegarde d’un
intérêt immédiat. Les funérailles traditionnelles actuelle sont un lucide exemple.
Quand aux femems, elle gardent encore leurs institutions vivantes et actives. Dans le Djiguem, le
tatouage est encore en vigueur. Le ndut féminin se fait encore correctement même si la durée et
certains rites du mariage sont écourtés. Les xooy sont actuellement du ressort des saltiki-femmes. Les
enterrements traditionnels féminins n’ont subi aucune entorse (voir Molaan, le film d’A. Lericollais).
Même au cours de la sécheresse, seules les femmes avaient pris l’initiative de redynamiser à bar a
kaa† (tuerie du morts-vivant qui empêche l’eau de pluie de tomber).
On ne peut conclure sans parler de l’homme et la femme contemporaine : ken goor we fo rew we
xaye : ce des hommes et ce des femmes d’aujourd’hui.
À l’approche de l’an 2000, on vit déjà la boutade de Senghor quand il disait à Sékou Touré que
c’est un voleur qui crie au voleur !. Jadis, la femme d’aujourd’hui est une voleuse qui crie au voleur.
L’homme contemporain n’est qu’un bon parleur et n’occupe le devant de la scène que pour cela. Il est
Président, ministre, banquier et autres titres pour peu, mais dans la réalité des choses, il n’est presque
rien à côté de la femme qui s’active sous son ombre. Il en découle que c’est la femme d’aujourd’hui
qui est crédible à la banque. Pour se faire élire, l’homme verse les plus importants pots de vin qu’il
distribue aux femmes.
Ministres, Marabout et autres riches de notre monde actuel n’agissent ou n’investissent que grâce à
certaines influences ou manipulaations féminines. Le mode et l’actualité sont dominées par la femme.
Dans les morgues d’hopitaux, plus de cadavres d’homme que de femmes parce que l’homme qui
s’abîme pour elle est ses caprices ne réalise qu’il est malade que lorsqu’il se sent irrécupérable.
Je dis qu’aujourd’hui, les hommes construisent des maisons, achètent des actions et des
automobiles qui leur appartiennent de fait, mais ne leur revient plus de droit parce qu’elles ne portent
plus leur prénoms et noms.
Sous l’ombre de l’homme donc, la femme suce le jus et ne laisse à l’orange que sa peau. Président,
Ministre et banquier le veut ou en prison mais les réelles prérogatives sont entre les mains de la
femme.
En conclusion, entre l’homme et la femme il devient urgent de revoir d’important facteurs. Et deux
questions fondamentales doivent être posées : est-ce que l’homme se complaira-t-il toujours dans sa
supériorité de façade sur la femme ?
Est-ce que l’égalité qu’exige la femme correspondra avec le partage équitable du fruit du labeur et
celui des souffrances dans le labeur ?
Devant la supériorité de mainmise sur les ressources humaines sans le paraître et où vit la femme,
est-ce que cette dernière acceptera de perdre ce privilège reposant pour être l’égal normatif de
l’homme ce malheureux de tous les temps.
Devant toutes ces questions qui peuvent avoir des réponses différentes de conception, je rejoinds
pour ma part le proverbe réponse des anciens : o koor o fud o watu yoo ; l’homme n’est qu’une couche
avortée.
Expériences d’enquêtes
Après plus de deux décenies aux côtés de différentes chercheurs comme enquêteurs, l’idée d’écrire
le constat global de mes sentiments et ce que je pense du monde de la recherche est née.
Qu’est-ce qu’un enquêteur ? C’est d’abord l’auxiliaire du chercheur. Il est chargé de
l’interprétation d’un questionnaire dressé par ce dernier.
Sans formation dans la plupart des cas sauf son niveau de scolarisation qui lui a permis de lire,
d’écrire et de comprendre le libellé des questions qu’il administre seul ou en compagnie de son chefchercheur, ce subordonné de la recherche scientifique a deux appellations :
1. Il est interprété quand il opére avec le chercheur
2. Il est enquêteur quand il est seul sur le terrain et qu’une relation confiance lui est donnée pour
poser des questions et recevoir des réponses qu’il anote au fure et à mesure.
C’est ainsi que l’enquêteur est souvent recruté dans le tas des échecs scolaires et qui restent au
terroir en refusant de venir en ville. L’enquêteur (ou l’interprêté) est crédible en fonction de son
Ca des hommes et Ce des femmes
69
niveau et de sa capacité à comprendre ce qu’on attend de lui. Il peut être d’une importante utilité
quand il a la hauteur de compréhension requise et une conscience de ce qu’il a à faire. Placé entre un
quotat de gens à enquêter et un chercheur maître d’œuvre, son rôle est toujours astreint à vivre à deux
humeurs différentes.
Par le fait que l’enquêteur n’a au préalable qu’une formation informelle et de fortune pour la durée
d’une recherche quelconque, il tombe souvent dans les appats que lui tendent l’habitude du
questionnaire. C’est ainsi qu’est né dans les programmes d’enquête un enquêteur rôturier. Celui là est
toujours obéissant et entre très rapidement dans les bonnes grâces de son chef-chercheur. Il exécute
tout ce qu’on lui dit et les yeux fermés. Pour lui, les enquêtés ne comptent pas ou comptent peu. Son
souci est de vaquer aux caprices de son chef : à savoir la connaissance du questionnaire par cœur,
veiller au respect fidèle des anotions à vérifier avec le chercheur maître d’œuvre quand il descend sur
le terrain et le langagement litéral des questions à poser.
Face à l’enquêté, l’enquêteur routinier n’a que des questions à poser. Les réponses qu’il reçoit sont
spontanément matées sans aucun esprit critique ou d’objectivité. Pour lui, il ne cherche pas si
l’enquêté se presse de lui raconter des blagues pour s’en débarrasser rapidement ou non.
Dans son cas, c’est la quantité des réponses reçues qui importe. De leur qualité il ne se formalise
guère. Sa connaissance de la langue de la zone d’enquête n’est presque d’aucun recours, car la
traduction litérale est aveugle du questionnaire aurait fini de désaxer la compréhension constructive
qui devait régner entre chaque enquêté et lui.
En voici un exemple : pendant l’enquête collaborative avec l’OMS sur la santé mentale à des
degrès divers (par Babacar Diop, René Collignon et Momar Guèye), un collègue enquêteur (interprête
ce jour), car tous les chercheurs cités étaient présents, a posé litéralement la question suivante et à un
vieux de 70 à 75 ans.
L’interprète (C.D.), vieux ; est-ce qu’il t’arrive étant seul de laisser délibérément échapper des pêts
?
La vraie question en termes scientifiques était je crois : vous arrive-t-il étant seul d’éventer
délibérément ?
Réponse du vieux : va poser cette question à ton père. Et dans tout ça, vous n’êtes qu’un groupe
d’impolis. Allez-vous en. Malheureusement, ses enfants et ses petits-fils n’étaient pas loin et avaient
entendu. La décision spontanée était de nous rosser.
Il a fallu rectifier pour sauver nos peaux et de la manière suivante : c’est Tékheye Diouf qui reprit
immédiatement la question en disant : non vieux, il n’a pas compris. Il veut dire que lui (C.D.), s’il
vous dit qu’il lui arrive d’être seul et de prendre la liberté de prêter (xaasaa) à son aise ; est-ce que
vous trouvez ça normal ?
Aussitôt l’entourage qui était fâché et le vieux, en tête, rigola d’un trait. Le vieux donna une
seconde réponse qu’on pouvait mettre dans la case, oui, car bien que nuancée, elle était positive.
Réponse (2) du vieux : oui, cela arrive. Revenus au campement, les chercheurs avaient reçu la
question. Sa valeur scientifique, l’opportunité de la poser ou de ne pas la poser ; et s’il faut la poser,
comment la poser pour avoir une réponse tout en évitant une quelconque friction avec les enquêtés.
J’attirais leur attention sur le fait que la question en elle-même ne comportait pas de risque, que
c’était plutôt la manière litérale de l’avoir posée qui fut maladroite. Lorsque C.D. s’adressa au vieux, il
n’a pas tenu compte de l’âge du vieux et le questionnaire aussi.
C.D. ne tient pas compte des égards culturels qui sont de rigueur dans son terroir et dans sa langue.
Ce qui comptait pour lui c’est de poser une question qu’il maîtrise et tant pis pour les reste.
L’habitude d’administrer le même questionnaire crée aussi un enquêteur routinier car dans
certaines zones d’enquête, on constate finalement que l’enracinement dans un certain mode de vie est
effectif. Rares sont les variations que l’on y rencontre.
Las de poser les mêmes questions pour recevoir les mêmes réponses, certains enquêteurs qui se
soucient plus de la rémunération qu’ils perçoivent pour leur travail ne vont que le terrain que pour
respecter la consigne D’autres qui sont plus inconscients tombent dans le dernier piège : ils fonc
l’enquête sur le lit.
Comme son nom l’indique, elle consiste à remplir un questionnaire sans faire le terrain.
L’enquêteur routinier qui connaît par habitude les réponses courantes de l’enquêté ne prend plus la
peine d’aller jusqu’à lui pour lui en faire la répétition, il répond à sa place pour rester en vacances chez
lui.
70
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
En voici un exemple.
Un enquêteur est chargé d’administrer un questionnaire sur l’alimentation. Il constate après deux
mois d’activités que la concession (3) ne consomme que du ngeer. ∫aan à midi et du couscous le soir.
Il se dit dans sa courte déduction que c’est la même chose qu’il risque de trouver dans ce ménage
comme alimentation.
Les imprévus possibles n’aiguisent guère sa conscience du travailleur. De cette recherche où il ne
retire aucun enseignement socioculturel parce qu’il n’y pense même pas, cet enquêteur ne joue que le
jeu : remettre un questionnaire rempli de réponses conformes aux questions posées. Ces enquêtes sur
le lit ont faussé d’importantes recherches en partie ou en totalité. Et sauf pour le cas de certaines
structures qui ont déjà une synthèse préconçue de ce qu’ils cherchent, beaucoup de chercheurs ont eu à
faire le dépouillement et l’analyse d’une quantité de questionnaires où, en parties, sont couchées des
réponses fictives.
Parmi les enquêteurs routiniers, il y a aussi ceux des enquêteurs-accompagnants : ce genre
d’enquêteur qui noue la familiarité avec l’enquêté ne le fait pas pour les besoins de l’enquête, mais
plutôt pour ses propres facilités de travail.
La relation enquêteur-enquêté a des limites si l’enquêteur veut conserver une constante
personnalité qui lui permet de poser avec probité morale des questions et de recevoir des réponses
sérieuses et positives qui instruisent la recherche.
Seule la souplesse ferme façonne l’enquêteur de carrière. Elle permet d’abord de ce revêtir de
manteau, de chercher qui descend sur le terrain avec une certaine majesté qui sent le culte du respect.
La souplesse ferme donne ensuite une efficience immédiate car l’enquêteur est dès le départ pris au
sérieux. L’enquêté lui parlera par conséquence avec le maximum de franchise et ne répondra que
spontanément et donc sur ce dont-il est sûr.
La familiarité ou les petites amitiés de l’enquêteur avec les enquêtés trompent souvent le jugement
du chercheur sur son enquêteur parce qu’il voit à travers ces facteurs que son auxiliaire y gagne en
facilité et en capacité dans l’administration du questionnaire. Malheureusement c’est le contraire qui
se passe dans le cours des choses. Par la familiarité, l’enquêteur-accompagnant perd du temps à
expliquer.
Il devient à la longue un guide pour l’enquêté et l’aide souvent dans la formulation de ses
réponses. C’est ainsi que l’enquêteur-accompagnant remplit son questionnaire de réponses qu’il a luimême construites. Dans ce cas, l’enquêté n’est plus concerné et oublie ce qu’on lui a fait dire dès que
son interlocuteur s’en va. Le passage d’un superviseur dès le lendemain pour poser la même question
risquerait alors de donner une autre réponse.
De tels enquêteurs sont souvent jugés convainquants, mais dans la réalité des choses, ils ne le sont
pas ; et résultats : les données sont fausses quelque part.
On rencontre dans la corporation ce que j’appelle l’enquêteur-conformiste.
Cet enquêteur ne fait que ce qu’on lui demande de faire et pas plus. Sur le terrain, il ne cherche pas
à savoir si ce qu’on lui répond est réel ou non. L’essentiel pour lui est d’inscrire un oui ou un non dans
l’une des cases réponse du questionnaire qu’on lui confie.
Il évite surtout des annotations pouvait faire apparaître l’incompréhension d’une réponse car
retourner avec son chercheur chez l’enquêté pour voir le fond d’une réponse est inpensable.
Pour lui, c’est une chose qui peut être prise pour de l’incompétence. Et puisqu’il connaît son
questonnaire et à l’habitude de l’administrer à son tempérament sans heurt, ce n’est pas à cause d’une
ou de deux réponses nuancées ou incomprises qu’il va changer de système. Il se trouve que
l’escamotage de ces deux réponses peut, dans une certaine mesure, assombrir une importante zone de
réflexion qui pouvait guider l’esprit de synthèse du chercheur patenté.
L’enquêteur conformiste ne se mouille jamais dans des choses à revoir. Sur un questionnaire déjà
administré, le chercheur n’y verra aucune annotation ou un point d’interrogation qui puisse attirer son
attention au sujet d’une difficulté rencontrée.
L’ensemble des copies de questionnaire qu’il rend pour dépouillement est propre, bien entretenu et
est rapidement revu par l’intéressé. Dans les faits, on constate en général que les réponses que cet
enquêteur rend sont vides et ne répondent pas à l’essence du questionnaire. Pas en totalité certes, mais
il suffit de les confronter avec celles d’un autre enquêteur plus motivé ou avec celle dites de test faits
par le chercheur lui-même pour voir où l’enquêteur conformiste s’est arrêté dans ses approches.
Ca des hommes et Ce des femmes
71
Nous arrivons enfin à l’enquêteur de carrière. C’est celui l’habitué aux recherches. Il a fait du
chemin pour avoir cotoyé plusieurs chercheurs dans des recherches variées.
On peut l’appeler l’initié à la recherche scientifique, car il est arrivé à un stade qui lui permet de se
débrouiller avec n’importe quel questionnaire tant dans son administration que dans sa cueillette des
réponses.
Cependant l’enquêteur de carrière n’est pas pour autant absout d’imperfection. Puisqu’il a l’art de
jongler dans l’interprétation d’un questionnaire grâce à une facilité de compréhension acquise tout au
long de sa carrière, il peut être bon ou mauvais.
Lorsqu’il pense qu’en travaillant bien son prestige en sort grandi, ce qui augmente ses chances
d’être souvent sollicité ou d’être gardé par le milieu de la recherche.
Mauvais quand il ne fait que jouer le jeu du chercheur dans un marché de dupes qui consiste à ne
suivre que le cheminement d’un questionnaire à l’aveuglette.
Pour qu’un enquêteur le soit de sa vocation, il faut qu’il arrive par expérience à un niveau tel qui
condère toute étude où il sert devienne sa chose ; je veux dire par exemple un objet favori que l’on
perd et que l’on cherche avec amour.
Dans ce cas, l’enquêteur pense qu’à chaque jour il faut rajouter un autre effort aux autres pour
retrouver son bien. Il dépasse ainsi l’opportunisme qui motive certain. Il a le goût des enquêtes parce
qu’il en fait une source qui valorise au fur et à mesure sa culture générale. Le bon enquêteur retire de
chaque étude ou du fait de participer des connaissances utiles qu’il pouvait ne jamais rencontrer.
Quand il croit à ce qu’il fait et refuse d’être marginalisé, il devient dans n’importe quelle recherche
un collaborateur subtile au lien d’un auxiliaire confiné uniquement aux besoins non sujets à réflexion.
Valeur professionnelle de l’enquêteur : dans le monde scientifique, la notion d’enquêteur a deux
définitions : l’une est de concept. Il s’agit de l’enquêteur spécialisé qui est en d’autres termes le
chercheur.
Quand à l’autre, l’appeller enquêteur n’est qu’un accomodement. Dans la réalité, l’enquêteur
auxiliaire n’est qu’un interprête faisant fonction d’enquêteur. Il l’est pour combler les absences du
chercheur dans la zone d’études.
Pour ce qui concerne le Sénégal, l’enquêteur auxiliaire n’appartient à aucune corporation bien
définie ou régie par un statut connu dans la législation du travail. Ses employeurs l’assimilent souvent
à des catégories subalternes avec lesquelles il peut plus ou moins être rangé.
L’enquêteur auxiliaire est souvent recruté dans les ratés de l’école primaire ou secondaire. Il n’a
aucune formation spéciale après le scolaire. Commis aux enquêtes en fonction de son niveau
d’instruction, il serait pourtant intéressant d’améliorer cette profession qui est forgée dans le monde de
la recherche.
La profession d’enquêteur mérite en un sens qu’on la revalorise car il occupe une place non
négligeable dans la recherche et surtout à cette époque où toutes les sciences imposent aux chercheurs
des études constantes de terrain qui nécessitent enquêtes et enquêteurs.
Malheureusement, certains enquêteurs spécialisés se confinent, et des fois avec un regain proche
du mépris, à la seule collecte d’information ou à des tâches négrières qu’ils trouvent fastidieuses de
faire eux mêmes.
Dans ce climat d’hostilité et de sous-estimation qui paralyse certains enquêteurs auxilaires qui
n’ont de leur profession que l’appât du gain, le talent et l’efficacité ont cédé la place au bradage de la
bonne foi. Mal en arrive aussi à certains chercheurs chauvins. Ils font des conclusions qui souffrent la
compilation et la remise en question dans beaucoup de domaines de leur recherche.
C’est pour dire qu’il y a tromperie quelque part entre le chercheur unilitatéraliste et son enquêteur
auxiliaire qui veut maintenir son gagne-pain tout en évitant les brimades possibles de cet employeur de
circonstances.
C’est finalement un antagoniste discret qui règne entre ces deux. L’un manifeste à l’autre dans ses
réactions que sa présence dans l’étude n’est presque pas significative, mais ne veut pas s’en séparer.
Quant à l’autre, il se borne à n’exécuter strictement que ce qu’on lui demande de faire et s’en arrêter
là. Dans ces conditions, les données fiables que devaient produire l’enquête en question ne peuvent
qu’en souffrir.
Les chercheurs de vocation quant à eux font de l’enquêteur auxiliaire un collaborateur de premier
plan. Sans être paternaliste, il fait régner entre eux un climat de confiance (qui n’exclut pas le
72
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
contrôle) où prédominent la concertation et le travail dans la rigueur. C’est dans ce cadre d’harmonie
où point le goût de l’enquêteur pour une recherche déterminée. Son rendement et sa connaissance
totale des informations claires à rechercher lui permettent alors d’être crédible auprès des enquêtés
comme s’il était le chercheur lui même.
Il ne se laissera jamais berner ou d’être confondu à équivoque pour recevoir des données sans
fondement ou créées pour le “bon débarras”.
L’enquêteur auxilaire mis dans cette aisance cherchera souvent les discussions et les contrôles (sur
le terrain) de son chercheur pour faire valoir les efforts qu’il déploie pour être à la hauteur de sa
mission et pour être sûr qu’il est toujours sur le bon chemin. Les conclusions d’une recherche
effectuée de cette manière ne peuvent être que satisfaisants.
Des concertations touts les questions qui paraissent inopportunes ou inadaptable dans la zone de
recherche ou d’enquête ont été venues, retouchées, corrigées ou élagées du questionnaire.
Du travail rigoureux qui se fait et les contrôles qui en découlent et ne se font que pour avoir leur
approche réelle de ce que l’on recherche, toutes les nuances, les imprécisions et les incompréhensions
sont planifiées.
Au regard de tout cela, on sait que le chercheur spécialisé n’est pas dupe. Parmi eux, il y en a qui
mettent des superviseurs entre eux et leurs enquêteurs auxiliaires. Ce beau système est dans la plupart
des cas de la rigolade.
Certains de ces supéviseurs ne sont que des intermédiaires zélés et finissent par n’avoir d’utilité
que dans le ramassage des questionnaires ou précéder à des dépouillements préliminaires en vue de
déceler quelques incohérences. En gros, où ils sont dans le poche de l’enquêteur ou dans celles du
chercheur et c’est la catastrophe pour l’étude qui se fait. Il est clair que les contrôles que le chercheur
opère sur l’enquêteur sont périodiques et brefs et ne lui permettent pas de connaître rééllement ce que
ce dernier fait et comment il opère objectivement dans son secteur d’enquête.
Il est lui aussi là pour mettre l’enquêteur auxiliaire au pas et à la place du chercheur chauvin, mais
il est condamné à la collaboration avec ce dernier, sinon il ne jouera pas son rôle. Pour conclure disons
modestement que pour le bon aboutissement d’une recherche ou d’une étude quelconque, il est
fondamental que toute forme de subordination active soit dépassée entre chercheur, superviseur et
enquêteur. Qu’elle cède enfin la place à la collaboration franche, à la concertation et à la confiance
réciproque.
À propos du mariage
Le mariage légal est le lien coutumier religieux ou juridique qui lie l’homme et la femme à vivre
ensemble durant leur existence. C’est un contrat matériel social et spirituel qui peut être résilié devant
certaines contraintes.
Dans la communauté sérère deux formes de mariages existent : le traditionnel. Et le mariage
contemporain dit à façade religieuse. Voyons un à un ces deux types d’union :
Le mariage traditionnel sérère : Hier, le sérère faisait les négociations de mariage avec le maximum
de célérité. Avant toute décision d’alliance, les parties impliquées étaient avisées et donnaient leur
accord.
Les négociations d’un mariage traditionnel se faisaient entre trois parties :
1) La famille paternelle et maternelle du prétendant (père et oncle) la famille paternelle de la jeune
fille (le père et ses parents) et la famille maternelle de la jeune fille (la fille, l’oncle maternel et sa
mère).
D’habitude le mariage entre cousins et cousine croisés était le mieux encouragé, parce que le
moins complexe en matière d’investigations avant de sceller la future alliance. Au départ, les
pourparlers d’un mariage futur commençaient autour d’une bouteille de vin. C’est le père du futur
prétendant qui achetait cette bouteille et l’offrait au père de la jeune fille pour l’informer de son désir
de demander la main de sa fille pour son fils. En présence d’un groupe d’anciens ; l’accord de
préconsentement était donné ou différé. Dans l’affirmative, le père ordonnait alors à son fils d’aller
voir la fille d’un tel. C’est alors le début de fiançailles autorisées en vue d’un mariage.
Dès le premier entretien jeune-fille prétendant, le père de la fille avisait le responsable de la
famille maternelle de cette dernière (oncle, grand père ou frère maternel).
Là aussi, et dans sa part de responsabilité vis à vis de la demoiselle, tout était passé au peigne fin.
Des questions d’ordre social se posaient et se résolvaient avant que le côté maternel ne se prononce.
Voici les questions courantes que les détenteurs du dernier mot de la famille maternelle se posaient
avant d’affirmer ou d’infirmer leur accord pour l’alliance en cours :
1) Est-ce que le mariage de notre parente avec la famille paternelle et maternelle du prétendant n’est
pas frappé d’interdit (il s’agit de problèmes judiciaires, problèmes de supériorité de caste ; famille
fainéante, mort précoce d’une ancienne épouse donnée à la famille du prétendant).
2) Est-ce que le prétendant de notre parente est propre des deux côtés (problème d’anthropophagie).
Est-ce que le prétendant de notre parente n’est pas d’une famille maternelle où sévit la lèpre ou la
tuberculose, etc. C’est après ce diagnostic sociologique que les fiançailles évoluaient ou se laissaient
tomber.
C’est ainsi que de père à oncle maternel l’accord de marier leur fille et nièce pouvait avoir lieu. En
clair, la puissance maternelle était prépondérante en matière de mariage traditionnel, à cause de
l’union avec biens séparés.
Le mariage traditionnel et ses frais
La première visite du prétendant se faisait avec une feuille de tabac qu’il remettait au père de la
jeune fille. La seconde visite avec un gros rondin de bois de chauffe pour le foyer du père de la jeune
fille. La troisième visite était celle des parents du prétendant qui viennent négocier l’ensemble de ce
qu’il faut pour obtenir entièrement la main de la fille. C’est ainsi que trois parts étaient de coutume
réclamées :
a) Njeleme Faap ou part paternelle. Dans ce cas, le père ne réclamait que ce qu’il avait donné au père
de la mère de la jeune fille (veau, génisse, jument, etc.).
b) A ñaam yaay. C’est la part de la mère et de sa fille qui pouvait ainsi se donner en nature ou en bétail
(coton non cardé, veau, etc.).
c) Halal kelfa ou part de l’oncle maternel. D’habitude, c’était toujours un veau. C’est après tous ces
frais et les autres divers dus aux femmes qu’un mariage était annoncé comme finalité. C’est après la
remise de tout cela que la date de la célébration du mariage était projetée.
74
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
L’arrivée de la nouvelle mariée au domicile était aussi une seconde source de dépenses.
D’abord, il y avait la cérémonie du rituel où les femmes avaient le dernier mot. À cette occasion
on fait ce qu’on appelle : a batin o kulook qui veut dire le baptême de la mariée. Ce baptême avait
pour but de marquer le passage du stade de demoiselle à celui d’épouse. Le batin est le début de la
période du ndut féminin.
Le mariage contemporain à façade religieuse
Chez les Sereer islamisés, la première remarque qui se fait est une prostitution des règles qui
régissaient le mariage traditionnel. C’est ainsi qu’on procède au tak ou yeew buum. Tak qui signifie
normaliser les rapports sexuels entre un homme et une femme qui s’aiment. Dès que le prétendant
donne le premier don à la fiancée, il suffit que son père verse la part paternelle à celui de la fille pour
que le tak soit possible.
Le lendemain ou le même soir du jour du tak, le mari nominal peut venir consommer son mariage
chez ses beaux parents. C’est au cours du tak que les parts affairant au mariage légal sont fixées, mais
en argent liquide. Et c’est ainsi que la femme fait l’objet d’un troc avec des estimations variables
d’une contrée à une autre.
Finaliser un mariage aujourd’hui est devenu une rare denrée. Le mariage contemporain à façade
religieuse permet ce qu’on l’appelle luπ qui veut dire emprunt. Donc, il est aujourd’hui possible
d’emprunter sa femme lorsqu’on n’est pas en mesure de finaliser son mariage. Dans un autre cas, c’est
la demoiselle même qui, ayant déjà consommé son mariage à partir de chez ses parents manifeste le
désir de rejoindre n’importe comment le domicile conjugal.
Il y a deux sortes de tak
- Le taki-suuf que le sérère appelle aussi a kum o πaak. On dit aussi tak o toañ. C’est une façon pure et
simple de légaliser le concubinage. Avec un kilo de kola et la modique somme de mille francs, le
mariage est dit autorisé à la mosquée. C’est une forme de mariage applicable aux demoiselles
enceintes avant le mariage légal, aux femmes stériles, aux vieilles dames et à certaines veuves.
- Quant à l’autre forme taki-kaw, c’est la forme non finalisée du mariage. Au cours de son exécution
les parents du prétendant sont informés de montant des frais qu’on leur réclame pour finaliser.
Aujourd’hui, les frais d’un mariage sont purement financières et s’échelonnent comme suit :
Je prends ici l’exemple d’un village : Ngayokhem.
Premier don
Part maternelle
Part paternelle
Part de l’oncle maternel
75 000 frs
60 000 frs
75 000 frs
de 50 à 60 000 frs
Analyse comparative de mariage traditionnel par rapport au mariage contemporain à
façade religieuse
La première remarque à faire réside dans les négociations du mariage. Traditionnellement, garçon
et fille n’avaient pas besoin de se voir ou de se connaître, de s’aimer avant leur mariage. Les
négociations et la décision de mariage étaient entièrement prises en charge par les parents de la fille et
du garçon. Un proverbe sérère résume toute cette conception : o tew nee bugaa kaa meraa : la femme
n’aime pas, elle s’habitue. Aujourd’hui, c’est la femme même qui négocie son mariage, choisit son
homme et peut refuser tout compromis qui sent le mariage forcé.
La deuxième remarque : les critères de précautions qu’on observait de tradition avant le mariage
ne sont plus de mise. Actuellement, c’est l’argent et l’amour des deux futurs conjoints prévalent. C’est
pourquoi, les interdits de mariage de naguère sont relégués au second plan.
La troisième remarque : le mariage traditionnel obéissait à la loi de la solidarité familiale.
Autrefois, la dot d’un mariage se constituait grâce à la contribution du père, de la mère, des sœurs
mariées et de l’oncle maternel. C’est ainsi que le divorce unilatéral n’était pas possible pour la bonne
raison que le mari à lui seul ne pouvait prendre à lui seul le parti de se défaire de son épouse. Il fallait
avant une concertation en concession pour la prise d’une telle décision. D’ailleurs, la seule cause de
divorce qui était concevable découlait du mariage infécond. À présent, le mariage est une volonté
individuelle. C’est le prétendant qui finance et finalise son mariage par ses propres moyens. La
À propos du mariage
75
participation des parents n’est que théorique, c’est l’épargne individuelle qui finalise ou freine
l’évolution d’une alliance. Jadis la femme rejoignait son mari en un an parce que toute sa dot a été
couverte. Maintenant, sauf quelques privilégiés, qui sont riches, la finalisation d’un mariage traîne
d’un à cinq ans au minimum. C’est le système du luπ qui est alors fait. Ainsi, malgré les frais qui
restent à verser, on remet tant bien que mal la mariée à son homme.
En matière de divorce, une fois que les tentatives de réconciliation échouent, mari et femme se
quittent avec ou sans remboursement de dot.
Ngulook Seereer
Le mariage sereer
Chez le Sereer, le mariage était d’une importance capitale. C’est pour cela que les anciens
l’avaient entouré d’une variété de règlements. Il était à l’époque contracté avec rigueur et sans complaisance.
D’abord, le mariage était une affaire entièrement de famille et non d’homme à femme. Les négociations en vue d’un mariage partaient des deux plus hauts responsables de deux familles (famille demandeuse et famille donneuse) et s’élargissaient au niveau des membres concernés de ces deux familles. Avant la réalisation d’un mariage, les collèges qui composaient les deux parties contractantes
liaient un accord sans faille. Naguère, garçon et fille n’avaient pas besoin de se voir, de s’aimer pour
se marier. Leur union ou non se décidait par leurs familles respectives.
Généralement on distinguait :
1. a tolax ngentan, ou le mariage entre voisin. C’est une alliance qui était fondée dans une confiance
réciproque. Quand deux chefs de famille d’un même village ont vécu dans de bonnes conditions et
sont connus réciproquement de généalogie, il arrivait souvent qu’ils décident de marier leurs enfants.
Pour ce mariage, on n’avait pas besoin de faire des investigations pour connaître les hauts et les
bas qui pouvaient entraver sa réalisation puisque tout est antérieurement connu.
Cependant, après la réalisation de ce mariage, « une cause malheureuse » peut engendrer un
second mariage dit : a tolax a πop.
Il s’agit là d’un mariage raccourci par mort de l’épouse. À l’époque traditionnelle, on remplaçait la
défunte par sa petite sœur non encore mariée. Ce mariage tacite était décidé par les beaux parents du
mari veuf quand des enfants sont déjà nés du premier. La petite sœur ne fait que reprendre le ménage
de la grande et sous la forme d’un héritage.
Elle continue ainsi le mariage, gère les enfants laissés par la défunte et hérite de ses biens. Les
propres enfants et ceux laissés par sa grande sœur sont considérés comme étant d’une même mère, car
issus de deux sœurs de même père et mère.
NB. Pour a tolax a πod, si le premier mariage a été entièrement finalisé, le second n’implique pas
d’autres frais. Par contre, si pendant le premier, il y avait eu des frais suspendus et dont le mari devait
s’acquitter ultérieurement ; ils sont exigibles avant ou après la réalisation du second.
2. a tolax andir ou mariage de relation concernant ce type d’alliance, à part le critère de bonne famille,
aucune forme de parenté, de voisinage ou d’amitié n’est mise en relief. Toutes les négociations et les
enquêtes nécessaires sont strictement faites avant le mariage. Aucune redevance ou suspension de frais
n’est acceptée pendant le versement de la dot, sauf peut être le bœuf de garantie qu’on appelle a
cukeer.
A cukeer est un frais de mariage qui garantit la légitimité de la puissance paternelle sur les filles
qui naîtront et ce à l’effet de les marier librement.
Après l’avoir remis à son beau père qui à son tour l’avait donné, le mari aura toute la liberté de
donner ses filles au prétendant de son choix. Le veto de la famille maternelle n’est recevable dans ce
cas que si elle évoque du côté maternel un interdit solvable qui l’oppose à la famille du prétendant (anthropophagie, litige judiciaire). Sans la remise de a cukeer par l’époux (ou sa famille maternelle), la
puissance paternelle sur le fils et surtout la fille était donc très affaiblie en milieu sereer.
3. A tolax a uut o dung ou le mariage entre cousins croisés. Ce genre d’alliance est souvent opéré après
la mort de la tante paternelle de la fille. Dans ce cas, le père de la fille, qui est le frère de la défunte
mère du prétendant, se voit avec le père de sa nièce et une décision est vite arrêtée en vue de cette
union. Voici un schéma explicite.
Je prends un exemple ma sœur Ami Faye et moi-même Guédj Faye.
Pour le bon déroulement de ce type de mariage, en tant que père de la fille et oncle maternel du
prétendant, je perds le versement de la part paternelle en tant que gestionnaire des biens de ma sœur et
Ngulook seereer - Le mariage sereer
77
de mon neveu. C’est ma femme Fatou Ngom et son frère, c’est-à-dire l’oncle maternel de ma fille, qui
reçoivent leurs parts. Sans compter le premier don que la future mariée reçoit évidemment.
Dans ce contexte aussi, ma fille vient remplacer sa tante paternelle qui est ma sœur dans sa maison
conjugale d’hier. On peut même la loger dans la case laissée par ma sœur. Traditionnellement c’est ce
qu’on appelait a tolax a ut o dung.
S’agissant du schéma contraire, c’est-à-dire dans le cas où c’est mon fils qui mariait ma nièce, je
perdais ainsi la part de l’oncle qui me revient de droit ; mon fils n’aurait qu’à verser la partie maternelle et paternelle, je veux dire une part pour le père de sa cousine et une autre pour sa tante paternelle,
ma sœur. Voilà un genre d’alliance complexe qui est très difficile à réaliser bien que très recherché en
milieu sereer. Seule la mort de la mère ou de l’oncle maternel le rend moins difficile à réaliser.
4. A tolax a qemban ou le mariage de solidarité, ou d’arrangement
Ce genre de mariage a toujours recelé des variétés d’alliance. Toutes les femmes à problème y sont
enrôlées et trouvent par ce biais une union légalisée, car l’ethnie sereer exige de toute personne en âge
de se marier de le faire comme il se doit. C’est ainsi que nous constatons les variétés suivantes :
a) a tolax no laabeer ou le mariage de la femme enceinte
Pour ce type d’union, c’est la famille de la fille qui contacte un parent, un ami, un habitué de la
famille ou un non-Sereer en résidence d’adoption dans le village. Il s’agira là d’un mariage rituel qui
n’engage que peu de frais.
La femme regagne le domicile conjugal sur la pointe des pieds ; un proverbe résume toute notre
conception d’un tel procédé de mariage.
Fi luu ref na, a jega nqoox um qui veut dire : chaque génisse a son bœuf. Ainsi, aucune femme
n’est exclue du mariage. S’agissant des filles aveugles, trop vilaines, un peu débiles ou paralytiques,
c’est souvent le grand père paternel ou maternel qui est sollicité.
Il y avait aussi un type de mariage qui disparaît presque aujourd’hui sauf peut-être vers Diohine ou
la tradition persiste encore, on l’appelle ngif. C’est le mariage par un kidnapping traditionnel.
Pour cette forme de mariage, il n’y a pas de négociations. Ce sont les riches bergers qui demandaient à leur entourage d’aller kidnapper une belle fille. Après l’opération, ce dernier conduisait son
troupeau chez les parents de la fille en question et leur disait de prendre la quantité de bétail suffisante
en échange de la main de leur fille.
Les rois pirataient aussi les filles et femmes d’autrui pour en faire des épouses, sans rien donner en
échange comme frais de mariage, surtout lorsqu’il s’agissait de la fille ou de la femme d’un baadole
(paysan).
L’enfant confié en milieu sereer
L’insertion d’un enfant dans une famille d’adoption et sa prise en charge par cette dernière
intervenaient généralement dans des situations très particulières.
C’est ainsi que le don ou le confiage d’un enfant a été un recours de contrainte, que le Sereer
faisait lorsqu’une autre solution n’était plus possible. Confier ou faire don de son enfant à une tierce
personne se dit en sereer : a seqlaan.
Le terme a seqlaan désigne le fait de déraciner un enfant de sa concession natale pour l’envoyer
vivre dans une autre et avec d’autres parents ou d’amis.
Traditionnellement a seqlaan a été initié et instauré en milieu sereer comme un correctif conjugal.
Pour le fonctionnement de certains mariages féconds l’usage de a seqlaan s’imposait et se pratiquait
dans les cas suivants :
1. Na †ooÚ (naissance précoce)
Jadis, quand une jeune mariée était trop féconde et répétait des grossesses prématurées (conception
avant le sevrage de l’enfant lors en portage), l’enfant qu’elle allaitait subit un sevrage prématuré (a
taqit) pour être remis à une nourrice.
Celle-ci était souvent la grand mère maternelle ou une tante maternelle en ménopause.
La nourrice choisie prenait aussitôt l’enfant en charge. Elle se mettait à lui donner son propre sein
tari au début, mais qui donne finalement une eau laiteuse. Grâce à l’addition de bouillies légères
qu’elle confectionne souvent pour lui, la nourrice arrivait avec son petit protégé jusqu’au stade normal
du sevrage, vers l’âge de deux ans.
C’est ainsi que a taqit soulageait la mère. Déjà enceinte, elle ne pourrait pas tenir son ménage avec
en plus un enfant pas encore sevré. C’était aussi un moyen de sauver la vie de l’enfant. En effet, les
maladies diarrhéiques qui interviennent souvent quand une femme est enceinte et continue d’allaiter
sont quelquefois mortelles. Même si l’enfant résiste et vit dans ce cas, il grandit rachitique et maladif.
La médecine traditionnelle sereer précise qu’un enfant en portage qui tête du lait de grossesse
prévu pour son suivant et qui est souvent en contact avec cette chaleur particulière, porteuse de fièvre
que dégage sa mère en début de grossesse, ne peut qu’en devenir maladif ou en mourir. Ainsi dit-on
numna fosis no ndeßof o xiibon mbaa’xon , c’est-à-dire : qui tête du lait de son jeune frère est maladif
ou en meurt.
2 - A πoxot lafuuñ : "la remise d’infirme
Autrefois, la tolérance d’une naissance d’infirme s’arrêtait net au sevrage. Le proverbe sereer
suivant est assez révélateur : lafuuñ no ligum : « l’infirme, chez ses parents maternels ». Voilà un
proverbe qui fait force de loi dans la coutume sereer. Moins observée maintenant, cette consigne était
rigoureusement appliquée autrefois.
Cela va sans dire, car il était dit jadis qu’en matière d’héritage le côté maternel est prioritaire ; les
charges encombrantes dans un ménage, qui émanaient de l’épouse, devraient donc, sans restriction
possible, être du ressort de sa famille maternelle.
Donc un enfant né aveugle, paralysé, débile ou fou, était mis à la charge de sa famille maternelle et
sans négociations. Cette sentence était automatique et s’effectuait dès après le sevrage du petit
handicapé. En clair, seuls les enfants bien portants et susceptibles de rembourser l’apport paternel s’ils
grandissent (par le mariage ou la culture des champs) étaient laissés à la charge du père. Un enfant
handicapé est toujours pris en charge par son oncle, sa tante ou sa grand-mère maternelle. C’est
rarement aussi qu’il revient dans la concession paternelle comme prévu dans le cas de l’enfant victime
de a taqit parce que sa mère est précocement enceinte.
Dans un autre cadre social, a seqlaan était devenu un état de nécessité. Il s’opérait aussi dans des
conditions plus ou moins déterminées. Il s’agit là de formes de confiage d’enfant ou dons provisoire
qui étaient au préalable sujets à négociations. En voilà quelques uns :
L’enfant confié en milieu sereer
79
a) – Ñoowlaan : c’est le fait qui consiste à envoyer des enfants à des parents pour qu’ils les
gardent pendant un certain temps.
Cette manière de confier son enfant à un tiers intervenait souvent à l’époque des grandes famines.
Dans une zone où sévissait une disette, les chefs de ménage ou de concession envoyaient dans une
autre zone d’abondance les enfants qu’ils ne pouvaient plus nourrir et les confiaient à des parents qui
étaient en situation d’auto-suffisance alimentaire. Grâce à cette procédure négociée, les cousins
paternels, les tantes et autres parents rapprochés du père lui prenaient en charge tous les enfants de
trop et durant toute cette famine.
Le manque de terre engendrait aussi le transfert d’enfants vers d’autres parents qui en avaient de
plus. Les enfants confiés à l’autre avaient des terres où cultiver quand ils devenaient grands.
Dans les familles à ressources modestes aussi, le confiage des enfants en trop était la seule
alternative.
Dans tous cas, l’idée du confiage est de nature provisoire mais peut engendrer la perte définitive
de son enfant quand les nouvelles conditions de vie, en fait l’éducation acquise ailleurs, lui sont plus
profitables.
b) ßandit o kaynaak : prêter un berger. Il consiste après des négociations entre le père et l’oncle
maternel d’un enfant de procéder au transfert de ce dernier dans sa famille maternelle.
Avec l’accord du père, l’oncle maternel prend cet enfant en charge et tôt. Il l’éduque selon les
convenances. Pendant qu’il grandit, il est formé dans la gestion du bétail familial et s’en occupe
rigoureusement aux fins de connaître largement toutes les ressources de la famille maternelle que
détient l’oncle. À la mort de ce dernier, s’il est l’héritier potentiel ou son aîné, aucun litige d’héritage
n’aura lieu à ce moment.
Le même cas est vécu avec les femmes stériles. On leur donne à titre provisoire ou définitif des
enfants qui les occupent et leur font un peu oublier la hantise de leur infécondité. Il s’agit là de dons
parentaux qui sont faits sous forme d’assistance (a yungat). Ils s’opèrent entre frère et sœur ou entre
deux sœurs respectives. Lorsque l’une a plusieurs filles et que l’autre n’en a pas c’est-à-dire qu’elle est
stérile ou n’a eu que des garçons, l’autre, avec le consentement de son mari, lui donne à titre
provisoire ou définitif l’une de ses filles.
Un frère qui a une sœur stérile ou sans garçon peut lui donner un de ses garçons qui sera comme
une propre fille (ou fils) quand il deviendra grand.
c) A πoxot o baayo : la remise d’orphelin. L’orphelin est frappé de la même loi coutumière que
celle concernant l’enfant infirme. Le Sereer dit : o baayo no ligum : l’orphelin, dans sa famille
maternelle. Là aussi, la prise en charge par les parents maternels est d’office.
Le père ne peut réclamer son enfant qu’après le sevrage de ce dernier. Cette réclamation ne se fait
d’ailleurs que pour les orphelines. Quand aux orphelins, on les laisse pour de bon à leurs grand-mères
ou tantes, car, dit-on en milieu sereer, la validité affective de dernière heure chez une femme est de
tous les temps orientée vers sa famille maternelle. Dès qu’elle se marie, ses rapports sociaux ne sont
plus avec la concession paternelle ; ils évoluent avec son †een yaay (sein maternel). Ce proverbe sereer
dit tout : o tew a dolwangaa’xaad na ndok ya um : dès qu’une femme se marie, elle rentre dans sa case
maternelle : autrement dit elle coupe presque les ponts avec son côté paternel pour raffermir ses
contacts avec le côté maternel.
d) Enfin il y a ce qu’on appelle yarlaan ou a ci-it-yarlaan : c’est un don d’enfant pour éducation.
L’enfant est prise en charge par l’ami du père ou la sœur d’honneur de ce dernier. La demande est
faite au père. Généralement les parents adoptifs sont satisfaits et acceptent de bon cœur parce que
raffermissant des liens étroits d’amitié ou de proche parenté. Mais cette forme de don ou de confiage
d’enfant se termine souvent assez mal.
Ou la tutelle n’est pas louable et l’enfant finit par fuir ou c’est le père même qui juge l’entretien de
l’enfant inadéquat et le retire pour terminer lui-même son éducation.
En conclusion le Sereer a toujours dit que : a seqlaan faaxee ; kaa ßaambrandaa’faap fo’πeem :
confier son enfant à un tiers est mauvais, car c’est une source de division du père (ou de la mère) avec
son fils. Tout cela dénote que la conception de l’enfance confiée chez le Sereer est assez claire et
catégorique : c’est une contrainte à finalité fréquemment néfaste.
C’est tout récemment que l’enfance confiée est devenue une forme de bon débarras subtile. Le
déracinement des mentalités et l’exode rural aidant, le fait d’user d’un confiage pour se séparer de son
80
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
enfant encombrant est devenu un moyen intelligent pour les jeunes mères de cette époque de recouvrer
leur liberté et vite.
Cette forme sélective d’aller confier son enfant ou plutôt son futur enfant aux parents se fait de la
manière suivante :
Dès qu’une fille sereer est en état de grossesse hors mariage, la première chose à faire est de
revenir chez ses parents avant son accouchement. Si sa mère est vivante, elle lui laissera son enfant
quelques mois après son accouchement pour retourner en ville. Le sevrage est anticipé. Pour
l’entretien de leurs enfants, certaines filles-mères ne font qu’envoyer un peu d’argent aux vieilles du
terroir qui s’en occupent et c’est tout. Dans d’autres cas, ce sont des infanticides qui interviennent en
cas de manque d’un foyer de prise en charge.
Notons enfin que la prise en charge des orphelins dans leurs familles maternelles est maintenant
évitée à cause du taux de mortalité de ces enfants.
L’envoi de ces orphelins à l’orphelinat de la maternité des hôpitaux est devenu un recours
fréquent.
Saasaax d ’au trefo is
Saasaax – seef di wilaas d’hier
Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
Saax est un mot sereer qui fut inventé depuis les lamaan. Il dérive de raaß qui veut dire détruire par le feu. En fait, saax veut dire anéantir.
Anéantir dans le sens de provoquer un incendie pour s’aménager un espace quelconque où
habiter et s’épanouir. Saax commencera par la concession où s’installa le pyromane et s’étendra
dans son évolution sur celles des autres hôtes qui viendront s’établir dans les limites de l’incendie.
Le lamaan incendiaire devint alors le fondateur de saax. Il fit valoir en tant que patriarche n°1
la notion de yaal o raaß ou o yaal ∂ak le. Ce n’est autre que le droit de feu.
En gros, l’espace anéanti par son incendie devint sa propriété. C’est le lamaan qui autorise et
distribue les xa kot aux autres qui formulent le désir de s’installer sur son ∂ak. Ainsi, naquit le
droit de hache.
Très anciennement donc, la notion de saax est issue de ses premiers regroupements humains
qui vécu d’abord dans des huttes interparentales avant de se diversifier dans les aires de vie commune.
À cette époque, l’organisation politique du Siin des lamaan n’était pas encore justifiable. Les
lamaan n’avaient de rapports que lors des délimitations de leurs droits de feu ou grâces aux alliances (mariages).
Il a fallu attendre l’arrivée des gelwaar pour que les structures du futur royaume du Siin
commencent à se concrétiser. L’on retient ainsi que le fondateur du royaume de Siinomew et
l’organisateur de sa géopolitique fut un manding migrant qui s’appelait Mansa Waali Maane.
Mais en réalité l’organisation politique véritable ne sera réalisée que sous le règne du Maa Sinig Waasila Fay. De Diakhao qu’il créa comme capitale, il délimita des zones tampons vers les
frontières avec ses voisins. En réalité ces zones n’étaient autres que des garnisons militaires où un
prince ou un fils de roi (πiy no maad = fils d’un roi et d’une paysanne) régnaient en chef de guerre. Ces garnisons étaient toujours sur la défensive.
Ces zones tampons qui seront au fil du temps rendues importantes parce que garantissant la
protection militaire du royaume seront avant tout des provinces civiles et administratives en temps
de paix. Les plus connues ont pour noms : Ndiob ; Ngayokhème ; Diohine ; Patar et Ngoyé.
C’est ainsi qu’au niveau de chaque chef-lieu de ces garnisons, gravitait un certains nombres
de localités qui étaient immédiatement mobilisées pour la riposte dès qu’une menace ou une attaque-surprise avait lieu. La percée conquérante d’un des royaumes voisins du Siin commençait
donc à être repoussée à l’échelon de saax.
Pour raffermir les structures de l’organisation politique du royaume, chaque roi qui accédait
au trône enlevait tous les chefs de garnison ou roitelets que le pouvoir déchu avait mis en place.
Cette mesure de sécurité était appliquée jusqu’au niveau du village (saax). C’est pour ainsi
dire que le roi prenait ses parents qui lui inspiraient le plus de confiance pour leur donner le
commandement des principales garnisons les plus stratégiques. Les chefs de garnisons à leur tour
procédaient de la même manière. À la tête de chaque saax qui dépendait de sa province (o roon
ole Njaafaaj : le territoire du Njaafaaj par exemple) le roitelet (Maa Joyin par exemple) plaçait un
parent confident sur lequel il avait total confiance. Ces petits dirigeants de localités apparentés ou
associés de près ou de loin à la vie de la couronne avaient le titre de saasaax. Le saasaax était
l’éclaireur de pointe et l’informateur clef du chef de garnison. En cas d’attaque à partir de sa localité, il organisait la riposte avec le concours du jaraaf-saax (représentant des paysans auprès du
saasaax). Durant la mêlée, c’est lui qui envoyait d’urgence un émissaire à lam Njaafaaj ou à
Maa Joyin etc pour l’aviser de la situation. En général, un renfort de la garnison est toujours envoyé vers la localité attaquée.
82
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Selon l’importance de l’attaque, la défensive peut aller jusqu’à la capitale.
C’est ainsi que chaque famille princière qui arrivait au trône mettait en relief le système de la
solidarité familiale.
Les plus influents étaient chefs de garnison et les autres des saasaax ou des dignitaires à la
cour royale.
Dans toutes ses fluctuations sociopolitiques, le lignage paternel a toujours eu le dernier mot.
Le sage Siin-Siin a toujours dit : maat nqu∂ar = tee o maad o cegee fog faap = un bref règne :
réponse = c’est un roi sans cousin ou demi frère paternel.
Dans cet esprit, le saasaax ne pouvait être qu’un cousin paternel de près ou de loin du chef de
garnison. La confiance et le sacrifice de soi étaient de tous temps la règle sacrée. Le jaraaf ou le
cousin maternel étaient toujours des gens dits douteux car ; l’un pouvait trahir et l’autre avait toujours à l’esprit la convoitise et la velléité d’usurpation.
Dès qu’un saasaax était mis à la tête d’une localité, c’est le jaraaf qui l’accueillait dans sa
propre concession, lui assurait nourriture et hébergement, lui donnait toutes les informations socio
économiques de la localité. En un mot, il lui indiquait toute la géopolitique de la localité (limites
des champs ; familles détentrices de droits fonciers ; administré récalcitrants ou dévoués etc). Le
jaraaf était ainsi l’auxiliaire du saasaax en matière de jugement au cours de litiges entre administrés.
Pour l’entretien, la culture ou la récolte des champs du saasaax ou du roitelet, le jaraaf était le
recruteur principal pour cette corvée au niveau des concessions
Pour corrompre le saasaax, les présents offerts par le paysan passaient aussi par le jaraaf.
Autrefois, le titre de jaraaf dépendait des possibilités d’accueil d’un nouveau saasaax. Il fallait d’abord avoir une grosse concession ; être chef d’une famille à ressources ; être discret et
avoir des connaissances et des relations courtisanes au niveau de l’administration centrale.
C’est pour dire que certains courtisans influents qui servent à la cour d’un roitelet faisaient
souvent des recommandations aux saasaax nouvellement nommés pour que des parents ou des
amis soient les jaraaf de ces derniers dans les villages, ces derniers vont en commandement.
Pour clôre ce chapitre, l’organisation politique du royaume avant la période coloniale était
donc ainsi agencée :
-
Maa Sinig et son grand jaraaf maak
Sandgi Njooß
Maa Jilaas
Maa Patar
Maa Diohin
Lam Njaafaaj
Lam Songo de Joal et le chef du Niawoule.
Chacun de ses chefs de provinces avait son jaraaf central. À l’échelon local, saaxaax avait
aussi le sien.
À partir de l’organigramme, le modèle de hiérarchisation de la province royale de Njooß était
celui observé dans tout le Siin. Pour certains problèmes qui dépasse sa compétence, saasaax les
soumettait directement à son Sandgi Ndiob qui à son tour allait les soumettre au Maa Sinig en
dernier ressort
Quand aux jaraaf, ils étaient des greniers, des conseillers et des autorités rituelles représentant le
monde paysan près de la couronne à tous les niveaux.
Voyons quelques attributs traditionnels du grand jaraaf.
a) Autrefois, le grand jaraaf servait de conseiller principal ou Maa Sinig dans toutes les affaires
sociales du royaume. C’est lui qui faisait le troc d’esclaves (captifs) ; à la chute d’un roi, il assurait
la régence en tant que gardien du ndip (couronne) rituel que tout nouveau Maa Sinig devait porter sur la tête avant d’être reconnu comme roi du Siin.
Pendant les grandes épidémies les famines et sécheresses à l’échelle du royaume, il était
l’organisateur mandaté par Maa Sinig de toutes les concertations de sages ou des regroupement
au fléau latent de prédications nécessaires pour la recherche d’une solution heureuse à tous ces
fléaux.
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
83
Avant même le couronnement d’un roi, il était chargé par l’ensemble des autochtones du
royaume de l’investigation par la voie occulte et avec la collaboration de saltiki fa maak l’apport
divin providentiel ou néfaste dont le nouveau souverain était porteur.
Dans certains cas, des stratégies évincer un dauphin porte malheur étaient mises en branle et
dans le grand secret par jaraaf maak et son entourage.
Ces prérogatives coutumières du grand jaraaf de la couronne étaient aussi reconnues aux jaraaf locaux.
Ces derniers pouvaient à leur tour user de tous les moyens pour faire partir de leur localitévillage un saasaax méchant ou porte malheur.
Dans tous les cas, le saasaax était l’autorité administrative officielle d’un village. Ce titre
n’était pas un héritage dévolu à une famille d’une localité.
Tout changement de règne destituait les saasaax de l’ancien, il est loisible au chef de garnison-province de muter ses saasaax selon ses caprices et sans en rendre compte au Maa Sinig.
Le saasaax pouvait aussi refuser le commandement d’une localité méprisable ou qui le méprise d’avance.
C’est ainsi qu’un jaraaf capricieux ou gênant pouvait être destitué et remplacé par un autre
qui inspire plus de confiance au saasaax ou plus riche et plus entreprenant.
Saax et saasaax garderont leur appellation et leurs attributions même pendant le précolonialisme durant lequel colons et féodaux restèrent en collaboration malgré la domination de l’un sur
l’autre. Saasaax reste pour le Sereer et chef de village devient l’équivalent dans le vocabulaire du
colon français avec l’évolution des structures coloniales indiginales. Une mauvaise prononciation
de chef de village devint alors courante dans les milieux de la féodalité devenue par la force du
colon un agrégat servile. L’on entendait souvent quelqu’un de la cour de Lam Njaafaaj dire à un
autre : saasaax du ßaab wena layaa seef di wilaas (saasaax est l’équivalent de chef de village
chez les Toubab. On était à cette époque en pleine colonisation. Le Maa Sinig n’était plus qu’un
chef supérieur et ne pouvait plus nommer un chef de province ; tel qu’un Lam Njaafaaj sans
l’approbation d’un administrateur colonial. Les royaumes devinrent des subdivisions ou des cercles. Les roitelets devinrent les chefs de provinces ou de canton et n’obéissaient à présent qu’à
l’autorité coloniale.
Maa Sinig ou chef supérieur devint ainsi un titre honorifique tout juste laissé là pour assister à
la fête du 14 juillet ou à l’installation d’un nouveau chef de canton par le commandant de subdivision ou de cercle.
Ce fut pendant la période chaude du colonialisme français que le mot seef di wilaas supplanta
véritablement saasaax. Cela va sans dire, il était reconnu par le colon qu’un saasaax n’était autre
qu’un simple bouc-émissaire entre le chef de canton et la paysannerie. En se voulant plus méthodique dans son expansion, le colon en fit l’auxiliaire et l’exécutant de toute la politique organisationnelle de base des structures coloniales. Pour cela, la notion de saasaax fut reconnue par le colon. Sa justification politique fut l’institution du titre de seef di wilaas (chef de village) comme
autorité à la tête de chaque village.
Une petite analyse comparative entre le saasaax d’autrefois et le seef di wilaas colonial
Dans sa réalité la fonction de saasaax était une affaire de famille. La personne nommée était
toujours un proche ou un parent éloigné du chef de province-garnison. Sa vocation était avant
tout de donner tous renseignements utiles à son chef sur l’état d’esprit, les ressources économiques de la paysannerie de sa localité (les baadole).
C’est ainsi que le saasaax était habilité et se fixait pour mission d’exiger de certains riches
baadole de saax et sans que le chef de province l’ait souhaité des présents en bétail (bœufs, chèvres, moutons, etc). On disait que c’était pour assurer l’alimentation de la cour du chef de province-garnison en viande et autre. Mais en fait, une partie de ces dépossessions courtoises en général
mais qui pouvaient devenir malhonnêtes et brutales ; était remise à qui de droit mais que l’autre
était détourner par le saasaax et était cachée chez des parents ; ses amis ou ses confidents.
Cette épargne était couramment appelée ñaπir xeeñ (baume du cœur). C’est cette partie de la
rançon prise au paysan qui assurait la survie du saasaax et de sa famille après sa destitution.
84
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Certaines familles de sources saasaax ont fait de ces anciennes ressources mal acquises un important patrimoine. Dès que saasaax était remercié, il retournait d’office dans son milieu
d’origine : la paysannerie. Il y retrouvait ses terres et son statut de paysan par le lignage maternel
ou paternel. C’est en ces moments que l’épargne accumulée pendant l’exercice de la fonction de
saasaax commencera à jouer. Grâce à ces biens d’origine douteuse, saasaax devenait un paysan
distingué.
S’agissant du seef di wilaas de l’époque coloniale, il fut avant tout l’auxilliaire le plus dynamique, le plus efficace de la collaboration féodale avec le colon.
Il était agent de renseignements, surveillant de travaux publics obligatoires ou forcés. En un
mot, le seef di wilaas devint l’informateur clef pour tout ce qui concerne les décisions de
l’administration coloniale. Il fut le collaborateur dévoué lors de la mise sur pied de la liste des populations, pour la perception de l’impôt rural (hommes femmes et bétails).
Lors des mobilisations générales pour l’Armée française pendant les guerres mondiales de
1914-18 et de 1939-45, seef di wilaas sera d’un apport considérable. Au niveau du village, il était
le seul recours pour connaître ou débusquer les hommes capables d’aller à la guerre.
À cette époque les jaraaf étaient des conseiller à doubles visages, l’un aidait le seef di wilaas et
l’autre était du côté de la paysannerie et l’aidait dans sa fuite pour échapper au recrutement.
Malgré tout ce climat de suspicion qui gravitait autour de seef di wilaas, il est demeuré avec
les instincts du saasaax d’autrefois. Sa collaboration avec le chef du canton demeurait sans faille.
L’exploitation de la paysannerie et à commencer par jaraaf en dépendait. Il en fut ainsi jusqu’à la
période des autonomies internes. À la fin de l’autonomie interne et au début de l’indépendance,
l’époque senghorienne anéantit le pouvoir féodal. Des structures étatiques émergèrent. Les chefs
de cantons et leurs alliés, les seef di wilaas cédèrent la place aux fonctionnaires du commandement (chef d’arrondissement, commandant de cercle gouverneur, etc).
Au niveau des villages, les jaraaf qui furent les éternels représentants de la paysannerie devinrent les seef di wilaas et les auxiliaires officiels des pouvoirs publics. Leurs fonctions furent légalisées par une loi et une décision du ministère de l’Intérieur.
Redevenus des agents de l’État, leur radiation ne peut être prononcée que par les services
compétents du ministère de l’Intérieur. Ils sont directement soumis aujourd’hui à l’autorité du
sous-préfet. Leur principale mission est la perception annuelle de la taxe rural et qu’ils versent
directement à ce dernier. Lors des recensements de populations, ils rendent aussi d’importants
services à l’État.
Entretien avec Papa Niokhobaye Diouf (fils d’un ancien chef de canton)
G.F. J’ai envie de vous poser quelques questions.
P.N.D. Oui à propos de quoi
G.F. Des saasaax et des jaaraaf.
P.N.D. Oui je sais. Traditionnellement, voilà deux titres qui se sont cotoyés depuis le royaume du
Siin jusqu’à l’indépendance. En tout cas, saasaax dans sa fonction a joué un grand rôle dans la
sécurité du royaume Siin. Après le sacre d’un roi par les grands jaaraaf et saltiki, sa première tâche pour garantir la longévité de son trône était de placer des parents de confiances à la tête des
provinces importantes du royaume. Moi je les appelle des provinces-garnisons. Provinces en
temps de paix, garnisons militaires en cas d’attaque.
Ces chefs de garnison choisissaient à leur tour des parents dévoués pour les placer au niveau
de toutes les localités qui composent la province-garnison. C’était aussi une affaire de famille !
G.F. Et les jaaraaf, quel rôle jouaient-ils dans tout ça ?
P.N.D. Voyez, le jaaraaf n’a jamais été du commandement. La fonction de jaaraf était une institution parallèle à celle de la hiérarchie du commandement royal mais n’avait aucun pouvoir de
décision. On recueillait ses avis en tant que conseiller privilégié du roi (jaaraaf maak) ou du saasaax (jaaraaf local), mais il n’avait aucune décision à prendre.
G.F. Oui mais le mot saasaax n’est pas tellement courant dans les milieux intellectuels. Même
aux Archives nationales, le mot chef de village est d’usage. Depuis l’indépendance c’est jaaraaf
qui est l’équivalent de chef de village dans le langage courant.
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
85
P.N.D. Oui, c’est vrai. Toute cette lacune provient de l’école des fils de chefs. Nos pères ont appris là-bas le français avec un vocabulaire tout fait pour le commandement des cantons. Le lavage
de cerveau et la tendance à l’émancipation ont relégué beaucoup de choses.
En tout cas la structure de base est saax ou saate (village) et l’autorité initialement reconnue
qui le commandait s’appelait saasaax. Jaaraaf ne pouvait être qu’un simple conseiller. C’était un
jaambuur approché des affaires de la cour parcequ’il pouvait dans d’autres circonstances aider
par sa richesse et par sa sagesse ; parceque ayant des connaissances profondes de ses confrères
paysans et c’est tout.
G.F. Oui ?
P.N.D. Un jaaraaf n’a jamais exercé les fonctions de chef de village dans l’ancien temps. Saasaax a existé depuis nos grands arrières grands pères.
Un jaaraaf qui devient un chef de village ; un jaambuur qui n’a aucune goutte de sang noble,
chef de village c’est une pure fabrication de l’indépendance et de l’esprit de vengeance de Senghor qui n’était qu’un baadole de souche.
G.F. Merci, je te remercie. C’est ce que je voulais savoir.
Entretien avec Abdou Ndaan Diouf (Mbind Pama)
G.F. Abdu ; xa kiid xa podnum jego ?
A.ND.J. Qarßeen ßetuu falefi fa xa tadaq
G.F. Ndax wetandwaa ye saasaax ke jegaa a saax ake in ?
A.ND.J. Ii fe ; miñeeyo inu meen saax, ye seefioor a fiaayna watnu maat seereer. Mayekoor fo
seef di kantofi ke fo saasaax den fop a inel meen.
G.F. Soo caraaf ke njang ?
A.ND.J. Ii ; naa seef di wilaas a inwu meen de ; muu jaraaf a ree†iina rek o ten coox ate saax
laa ; saate fuu ergeera a jaraaf kaa woote el ; oxaa ngentan na mbugna a ref jaraaf um a jegataa
saax laa.
G.F. No mberaan ; kum jaaraaf a tekit-u ?
A.ND.J. Jaaraaf daal, ndap no maad rek a ree†u Mbin o maad ndodoogun a seereer baadole fa
sequ tig taa ref cosaan no saax laa. Mu o ndeßandoofi no maad a garit-iina a gukir fa wo.
G.F. Saasaax koy ?
A.ND.J. Saasaax ke seef di kantofi ke a ciyoogu a saax ake. O maa sinig a dog ange baa Yut, ka
xotoogu no fog faap um a dod teen a lam njaafaaj ; sandji njooß mba a maa joyin. Weene
†ingtoogun maat um. A fiangaan koy, ma joyin iitam kaa xotoogu no fog faap um mba no fog
yaay um a ciy a den a saax ake ta waxu na fop da njegaa den ; tenoo fog um aartoogun me ta far
na.
G.F. Waaw, saaxaax fa jaaraaf no saax leng ; to den ∂ik fop a mbar-u ñaaÚnaa maat ne ; nam a
saxtoogun ?
A.ND.J. Ha’aa de, jaaraaf ree†ee no maat mayu ; nanaa ne laytoonge o ten xatoor. Jaaraaf cosaan saax rek a ree†u ; o ten xa∂woogu a saasaax bo ta gar ta dalnin ; a ñoownan ; a cooxan xa
qol axaa ta xooxaneel. Saasaax daal maat rek Bisiidun no saax le ; ke ta andoogna teen fop fo ke
ta jegoogna teen fop, jaraaf layoogun o ten mbaat fexayanin o ten.
G.F. Jaaraaf fa saasaax an maagu koy ?
A.ND.J. jaraaf maagu ga-i ; ye laman ke njegaa lanq ke, oxuu da ci-iina o kot, o sinj-angaa bo
Yut o hiidoo hiid koo ßisoogu a laman of laaxnit. O yaal o kot ole cooxtoogna keene koy, o ten
∂eganoogu we ngen na no kot um fop xa qol. A ref jaraaf den.
G.F... Yaag koy, o yaal o kot refoogu saasaax ye laman ke ndefaa ?
A.NF.J. Ha’aa, yaaga maat jegee. Ye gelwaar we ngar na baa not laman ke ; a njegataa den ;
yeene maat a soswu.
G.F. Jook a njal keene bug um o and.
86
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Traduction du sereer au français de l’entretien avec Abdou Ndam Diouf
G.F. Abdou, quel âge as-tu ?
A.ND.D Soixante trois ans (63 ans)
G.F. Est-ce que tu te rappelles de l’époque des saasaax comme chefs de villages ?
A.ND.D. Oui, il n’y a pas longtemps qu’ils ont disparu. C’est quand Senghor est monté qu’il a
éliminé la féodalité. Mayécor, ses chefs de cantons et ses saasaax furent tous enlevés.
G.F. Et ce fut l’époque des jaraaf ?
A.ND.D. Oui, partout où était un chef de village de l’ancien temps, le jaraaf d’à côté avait repris
la localité. Les villages qui n’avaient pas de jaraaf avaient fait l’objet d’un vote et le gagnant était
devenu d’office le chef.
G.F. Jadis, qu’était un jaraaf ?
A.ND.D. Un jaraaf n’était autre qu’un grenier du roi. C’est une espèce de faux titre que la cour
royale donnait à un riche paysan qui était en même temps de la souche fondatrice de la localité.
C’est lui qui accueillait tous les émissaires venant de la cour royale, leur organisait de petites réceptions, leur soufflait en secret ce qui se passe dans les environs.
G.F. Et saasaax ?
A.ND.D. Les saasaax ce sont les chefs de cantons qui leur faisaient don des localités dépendaient
de leur province. Après le sacre d’un Maa Sinig, il confiait à des demi-frères par exemple les
provinces garnisons du Njaafaaj, de Njooß et de Joyin. Ce sont ces grands chefs de garnisons
(Lam Njaafaaj ; Sandgi Njooß et Maa-Joyin) qui l’aidaient ainsi à régner. De ce fait, Maa-Joyin à
son tour prenait dans sa famille paternelle et maternelle pour leur faire don du commandement
des localités de sa province. Ceux là aussi l’aidaient à gérer toutes les possessions qui dépendaient
de lui.
G.F. Oui mais puisque saasaax et jaraaf vaquaient tous les deux pour la cour, comment cela se
passait-il ?
A.ND.D. Non, jaraaf n’était presque pour rien dans les affaires de l’administration. Je pense que
tu retiens ce que je te disais tout de suite. Jaraaf n’était que l’autorité historique d’une localité.
C’est lui qui accueillait saasaax, qui s’en occupait dès son arrivéé au point de vue nourriture. Il
l’installait et lui donnait des champs que les paysans de la localité devaient cultiver pour lui. Saasaax n’était au village que pour faire marcher l’administration féodale. Néanmoins, tout ce qu’il
savait ou tout ce qu’il retirait de la localité lui était dit ou était organisé par son jaraaf.
G.F. Entre jaraaf et saasaax, quel est le titre le plus ancien ?
A.ND.D. Le titre de jaraaf est plus ancien. Vois-tu, quand les lamaan étaient au pouvoir, ils
donnaient des droits de haches qui se concrétisaient par la création de a saax. Le détenteur de ce
droit de hache donnait annuellement un laaxnit (rachat) pout raffernir son droit de kot (droit de
hache) la personne qui négociait ce rachat était en même temps le gestionnaire de son kot. Il devenait ainsi celui qui distribue les champs à tout le monde c’était leur jaraaf auprès du lamaan
(acheteur de terre en fait).
G.F. Dans ce cas, o yaal o kot était saasaax à l’époque des lamaan ?
A.ND.J. Non, à cette époque, il n’y avait pas de royauté. C’est quand les gelwaar sont arrivés,
qu’ils ont neutralisé les lamaan en leur ôtant leurs pouvoirs pour se les doter que le royaume est
né.
G.F. Je te remercie. C’est tout ce que voulais savoir.
Entretien avec Diène Dione
G.F. Xa kiid xa podnum jego ?
J.J. Qarßeen ßetuu †ik fo leng
G.F. Saasaax ; kum refu teen o and of ?
J.J. Saasaax ; neene seef di wilaas peraan ke ne-e ; yaa fa yaaga den ciyooge a saax ake in.
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
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G.F. An ciyoogu den a saax ake ?
J.J. Mene a njaafaaj de, lam njaafaaj i mos-u nanaa yee o ten ciyoogu saax ake fog um
G.F. Seef di wilaas koy meendax a tußaaßoo
J.J. Ii, ye seko ke cooxteel, o tußaaß o ne-e Laabordo a sequ seko ke a sinig fop ; no ten ee tum o
nanit a seef di wilaas neene nqooytoogu saasaax ke.
G.F. Ndaa daal saasaax ande ?
J.J. Ye Maa Sinig a jegaa a sinig de, saasaax njeegoogu a in.
G.F. Jook a njal keene soom laamtoogum
Traduction du sereer au français de l’entretien avec Diène Dione (Ngayokhème)
G.F. Quel âge as-tu ?
D.D. 71 ans
G.F. Que sais-tu de saasaax ?
D.D. Saasaax est l’ancienne appellation de chef de village autrefois, c’est à eux qu’on donnait
nos villages.
G.F. Qui leur donnait vos villages ?
D.D. Ici dans le Njaafaaj, c’est le Lam Njaafaaj d’après ce qu’on entendait jadis qui donnait le
commandement de nos villages à ses parents.
G.F. Et sef di wilaas, c’est du français ! Oui, à l’époque des distributions de semences (secco), un
tubaab était le responsable de tous les secco du Siin ; j’ai pour la première fois entendu de lui le
mot seef di wilaas. Il s’appelait Laborde. C’était la nouvelle appellation de saasaax.
G.F. Mais c’est saasaax qui était connu ?
D.D. À l’époque où un Maa Sinig était le souverain du Siin, ce sont les saasaax qui étaient nos
maîtres.
G.F. Je te remercie. C’est tout ce que voulais savoir.
Pour conclure l’on retient donc :
1. Saasaax pour l’époque féodale
2. Seef di wilaas pour l’époque coloniale
3. jaraaf pour l’indépendance et par la suite.
Les signes précurseurs de la mort chez les Sereer et termes respectueux pour
un mort
La conception sereer sur l’acte de mort est très respectueuse pour ce qui concerne la personne
humaine. Généralement, au lieu de dire qu’un tel est mort (ndeetar a xona), le voisinage préfére
se communiquer la nouvelle dans un langage très nuancé. Voici quelque périphrases couramment
utilisées.
1. a ∂aana. Il a dormi ; se dit après la mort d’une autorité religieuse, traditionaliste ou d’un respectable vieillard qui a longtemps vécu ; en fait d’un vieux sage qui n’a pas été méchant dans le
domaine de la transmission de connaissances acquises.
Dans ce cas, les gens pensent que dire qu’il est mort sans autre égard est une tendance à la méchanceté, d’insolence et de non respect de ce que représentait le trépassé pour les autres. Ainsi, il
suffit de dire qu’il a dormi pour que les autres sachent que le vieillard en question est mort. En
réalité, il s’agit donc là du dormir sans possibilité de réveil. Il s’agit en fait du sommeil global du
trépas.
2. A ñootnuwa. Il s’est reposé. Se dit d’un malade qui a longtemps souffert et qui est mort à la
suite d’une longue période de coma. Quand il décède, les parents se pressent de dire aux autres
88
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
qu’il s’est enfin reposé de toute sensation de souffrance. Cela sous entend aussi que les parents qui
le soignaient pour l’aider à guérir vont enfin se reposer des fatigues et tracasseries dues à son alitement.
3. a ñaka. Il a perdu. Quand on est mort, on a tout perdu (ressources, prestiges et vie).
4. a xaada. Il est rentré. C’est dans cette conception qui annonce la mort d’un individu où la notion d’au de là prend une forme objective chez les Sereer du Siin.
Après a xaada, le Sereer précise :
a) a xaada no noon waa. Il est rentré chez les Noon. L’on pense dans le Siin que pas mal
d’individus ont eu leur première existence en pays noon (région de Thiès). Pour leur seconde vie,
ils sont venus la refaire dans le Siin. Après leur deuxième mort donc, il était compris qu’ils rejoindront leur première source de vie. A xaada voudra dire alors que l’homme est mort chez
nous, mais ce n’est que partie remise car il reprendra vie chez nos premiers parents les Noon de
Thiès.
Cette version du trépas se justifie traditionnellement par les saameel.
Les saameel sont une corporation spéciale de griots qui assure le relais entre l’au-de-là et le
monde des vivants. Certains individus (en général de riches propriétaires de bétail) passent chez
eux en « rentrant » pour leur confier des missions.
C’est grâce à eux que de grosses sommes d’argent ou de grandes quantités de colliers de perles en coraline qui ont été cachées sous terre par le défunt et que ce dernier avait oublié
d’indiquer l’endroit à son héritier ont pu être retrouvées. Quand le rentrant passe chez eux, il leur
indique l’endroit avec toutes les précisions requises. Moyennant une récompense (un taureau avec
un pelage distinctif dans le bétail qu’il laisse derrière lui) il leur demande d’aller se présenter au
cours de ses funérailles préliminaires (o xaaraand) et d’en faire publication à ses parents qui sont
restés dans le monde des vivants.
b) a xaada no qoo† kaa. Il est rentré vers les profondeurs sous-marines. Se dit des individus qui
ont été reconnus dès leurs naissances (a andid e : il a été reconnu). Les anciens pouvaient grâce à
des signes occultes en l’individu dire qu’un tel est une personne d’hier (a cii† faakoo : c’est un
fœtus, qui meurt et qui revient comme il veut) ; a cii† foo fiyoo (fœtus d’eau qui vient des Sereer
de la Petite Côte pour vivre avec nous les Sereer terrestres).
Dans les cas spécifiques de ces a cii† foofi, on leur défend durant toute leur existence avec le
voisinage du monde des sereer terrestres d’approcher ou d’avoir un contact quelconque avec la
mer.
Quand un individu meurt, on dit simplement qu’il est retourné dans son monde d’origine : les
profondeurs sous-marines (a xaada no qoo† kaa).
D’autres propos nuancés sont aussi employés pour éviter de prononcer le terme mort (fanqon)
ou a xona (il est mort). On peut encore dire : a ∂ega il est coupé (de la vie ; est ôté de la vie), a
loktuwa : s’est libéré des souffrances de sa maladies en quittant la vie.
A inwa meen (il a quitté ici ; il nous a quitté ; il a quitté le monde des vivants).
C’est pour dire dans tout ça que le Sereer n’a pas accepté la mort (fanqon ; jaaniiw ou o
mooc) les yeux fermés. Il a toujours cherché à connaître les profondes vissicitudes qu’elle cache.
C’est ainsi qu’au fil de l’évolution des connaissances, la sagesse sereer est arrivée à retenir certains
signes qui augurent l’approche ou la possibilité du trépas. De ces signes, les plus saillants ont été
depuis longtemps saisis et répertoriés. En voici quelques uns :
A. a sutax adna ou sortie de la vie. Voilà un signe qui peut se manifester dès la naissance. Il s’agit
du dédoublement, le nouveau né est vu par certains adultes qui ont le don de vue occulte ailleurs
et peu après sa naissance.
Immédiatement, ses parents en sont informés. Sachant que leur enfant est né avec la faculté
d’un pouvoir de dédoublement qui peut raccourcir sa vie s’il grandit dans la turbulence (foda†ar)
ou vieillir s’il est calme (food mbid), ils prennent dès cette constatation la disposition qui s’impose
dans ces cas.
Ils lui font alors ce que le Sereer appelle o daaj. O daaj est un procédé de fixation traditionnel
dont les anciens effectuaient à l’encontre de tels enfants pour les empêcher d’opter pour une mort
précoce en se manifestant grâce à leur pouvoir de dédoublement devant la vue de certains (les
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
89
mauvaises rencontres ou qetax), car en fait, les gens qui peuvent les voir peuvent les blesser ou les
tuer si on leur laissait ce pouvoir d’action.
C’était donc par o daaj que ces enfants étaient assignés à la vie avec ou contre leur gré et jusqu’à l’arrivée de leur mort normale.
Leur mort est très lente car elle se déroule dans des conditions très douloureuses. Tant que le
fameux daaj qui les maintient en vie n’est pas enlevé, même potentiellement mort, il reste toujours en eux une zone du cœur qui vit et qui bouge. En milieu sereer, les parents qui savent
l’existence de ce daaj n’hésitent pas à l’enlever quand une telle situation se présente. Ils libèrent
ainsi un mort moins quelque chose de vivant et rapidement.
Lorsqu’un daaj est perdu, n’est pas en fait retrouvé, la famille se voit souvent contrainte
d’aller enterrer un mort qui n’a pas totalement la respiration éteinte.
Quant à oxe sutuna adna (celui qui est sorti de la vie, mais est vivant parmi nous) est frappé
(a fadel) parce qu’il a essayé de faire mal à quelqu’un et que ce dernier le blesse ou le frappe
avec une arme ou un gris-gris protecteur, sa mort est immédiate. La partie où cet individu duel
(parce qu’il est là avec nous, mais son autre est là-bas pour faire du mal) a été touchée sera l’objet
de sa mort. C’est pour dire que oxe fadeena (celui qui a été frappé) n’a souffert d’aucune maladie
pouvant motiver son trépas.
Le signe le plus courant qui a été observé pour reconnaître de tels individus réside dans le fait
que quand ils se déplacent, (le jour), ils n’ont pas cette silhouette qui accompagne les personnes
normales allant et venant. Certains sages qui ont l’observation profonde peuvent aussi constater
que leurs pieds ne touchent pas la terre ferme quand ils se déplacent. Et le Sereer de dire : oxe sutuna na adna jegee a pelyook, to baa ñaaÚa, ca caf ake nee nduqaa a lanq : celui qui est sortie
de la vie n’a pas de silhouette.
Quand il marche, ses pieds ne touchent pas la terre.
Ensuite, il y a oxe lafweena (celui qui est sous l’emprise de).
O lafweel se distingue dans deux cas chez une personne.
1. Oxe lafweena gaci mbaa o ndog (celui qui est sous l’emprise d’une honte sociale ou d’un danger imminent).
Grâce à certains signes ou des comportements particuliers que l’individu extériorise, le Sereer
disait l’évolution de l’individu. L’on disait : refatee meen ; keta fyaa diyatiran yaam kaa lafwel. A
lafwangaan gaci, a lafwel fanqon : il n’est plus là ; ce qu’il fait n’est plus de lui ; il est sous emprise. S’il n’est pas sous l’emprise d’une future honte, il est sous l’emprise d’une mort imminente.
Un tel individu, sans être fou, n’a plus son esprit. Il réagit par instinct. Une anarchie désordonnée de son train de vie se manifeste subitement. Le respect d’une table de valeur sociale quelconque ne l’anime plus. Faire l’inceste, se suicider ou devenir un parricide lui importent peu.
Psychologiquement, il n’est plus humain mais n’est pas pour cela dément.
Pour le voisin qui l’a connu avant ce déclic, il sera question d’une métamorphose mystérieuse
jusqu’au jour où le sujet réagira par un acte concret (voler, faire l’inceste ou tuer). Avant ce stade,
le sage sereer qui arrive à connaître avant l’accomplissement du fait aura déjà prédit la fin. Il aura
déjà conseillé la méfiance autour de la personne indexée. Faire l’acte d’une de ces fautes sociales
où l’individu est pris au piège sera la seule possibilité de sortie de crise. Et l’on dira pour conclure : gaci moÚu suum o fel : être sous l’emprise d’une future honte est plus succulent que le miel.
2. Lafwel fanqon. C’est le stade de la mort dite psychologique. La victime va de comportement
dangereux en comportements dangereux. Il est sous l’emprise d’une démence subite qui le pousse
vers n’importe quelle action pouvant entraîner la mort. C’est ainsi que beaucoup d’accidents dans
le milieu sereer sont rangés dans le suicide ; cet autre signe de lafwel fanqon. Un autre exemple :
monter au faite d’un arbre que nul n’a jamais fait avant. Dans cette rubrique aussi, l’on peut classer le type que le sereer appelle njegun. C’est un genre d’individu à caractérologie très spéciale.
Njegun est plus proche du psychopathe. Dès sa naissance, il est reconnu par certains signes. En
milieu sereer, il tuera irréversiblement ou sera irréversiblement tué. Sans être un malade mental, il
n’a de la vie que le goût pour la violence. Faire du mal ou dire du mal. Pour njegun le jugement
sereer est sans appel : Njegun o kiin fo oyoo ; fok ta war o kiin mbaa o kiin a warin. Oxe ta waraa
kaa xeefan to oxe na waran nee fogan : njegun est un individu sanguinaire ; il faut qu’il tue une
personne ou qu’une personne le tue. Sa victime le méprise ou le minimise parce qu’il se croit au
dessus de lui. Un meurtrier le tue dans des conditions négligeables parce que concrètement incapables d’entraîner la mort.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Voici le signalement courant d’un njegun : il est généralement petit de taille, le regard vif, de
caractère flegmatique, rapide dans l’acte renfermé et anti-social. Ne s’intéresse qu’au mal ou à
faire mal par l’action ou la parole.
Il existe aussi parmi les femmes certaines qui portent la mort. Des signes de mort se lisent
couramment sur elles. On les appelle xa ñaaw : les veuvages. À partir de l’observation faite sur la
nuque d’une femme (à l’état fille) l’ancien était en mesure de dire et avec exactitude, le nombre
d’époux, que cette femme allait enterrer le long de sa vie conjugale. Ceux qui arrivent à les distinguer disent que ce sont des espèces de cordons mystiques qui partent de la nuque d’une fille et
qui vont vers la tête. C’est ce qu’on appelle la femme à malédiction. La marier équivaut à mourir
à brève échéance.
De tous ces signes et comportements qui peuvent annoncer ou augurer la mort, le signe de
l’odeur est plus caractéristique. Une odeur spéciale se dégage inévitablement de l’être humain malade ou non qui va mourir dans de bref délais. L’on dit souvent : kaa xooñaa nqaañoot : il exhale l’odeur de nqaañoot. Nqaañoot est une plante qui dégage une mauvaise odeur. C’est la même
que dégage le futur mort. Un passant qui la laisse après son passage, lui est dit être au seuil de son
trépas. Tuñ nqaañoot serait donc l’odeur d’avant le trépas qui remplace l’odeur de l’être humain.
Dès qu’un individu l’exhale, c’est la fin. Il mourra d’une façon ou d’une autre. Elle permet ainsi
à une famille d’arrêter les dépenses inutiles qu’elle faisait pour soulager son malade. Un malade
enflé aussi et surtout au niveau des jonctions des membres inférieurs affiche le signe incontournable d’une mort certaine. Et le Sereer
en concluait : gor a jirangaa baa uut rek a safiku wa (ou a faga). Une personne de pure race malade et qui enfle ne peut que mourir (est finie).
D’une manière générale, on peut déduire qu’en milieu sereer tous les facteurs de mort recevaient déjà à chacun son interprétation et cela grâce à des signes voir des comportements de
l’individu qui devait trépasser. Dans sa forme, jaaniiw ou o mooc (la mort) était comprise et acceptée comme un héritage (fanqoon kaay lamin : nous héritons de la mort) de fin de séjour terrestre. C’est dans son fond que la mort a été largement analysée pour donner d’importantes variétés
et mobiles qui gravitent autour de la manière de mourir.
C’est ainsi que la mort accidentelle qui se déroule subitement et dans des circonstances imprévisibles se verra même interprétée, les prédicateurs ou guérisseurs (saltiki et autres) en font leur
affaire pour l’interpréter. Vrais ou faux, le Sereer verra toujours les signes avant-coureurs qui lui
avaient annoncé l’imminence de l’accident mortel.
Et de la suspicion à l’accusation formelle, le genre de mort est devenu dans le monde sereer
une espèce de ce qu’on appelle un voleur qui crie au voleur. En clair, c’est l’homme qui a toujours contribué ou construit la mort de l’homme. C’est pour dire que Dieu fut rarement considéré
comme l’agent principal capable de raccourcir ou de clôturer la vie de l’être humain. À sa place,
d’autres signes sont accusés tels que fléaux (épidémies) où des personnes (sorciers).
L’unique cas où le divin est mis en cause est la mort par vieillesse. À la suite d’une telle mort,
le jugement social est unanime : Roog moÚu, roogoo, kaa fag : Dieu est le meilleur et c’est lui ; il
est fini (parlant de la mort du vieillard).
Médecine traditionnelle et fécondité
En milieu sereer la fécondité normale est le fait de Dieu ou celui des pangool. Roog fo pangool cooxtu πasil, kuu ßaatoona teen rek saytaaniyoo (Dieu et les pangool nous donnent de la
famille. Tout ce qui s’y ajoute ne peut être que de Satan). Tels étaient hiers les propos de la sagesse sereer.
La fécondité voulue de Dieu était en fait celle qui se déroulait sans entrave. Le couple qui vit
un tel climat était alors qualifié de fécondité prodigue. Le Sereer en déduit : kene a pi roogoo :
c’est un fait de Dieu. Et le couple ne sollicitait alors de la médecine traditionnelle que des préventifs pour protéger ses enfants de la maladie ou des assauts fréquents des maléfices sociaux propres
au monde sereer.
Dans l’autre cas où les pangool s’impliquent, la fécondité subit alors une remise en question.
La médecine traditionnelle se présente tout de suite comme la seule alternative. Les voyants incriminent d’abord les pangool et proposent une variété de solutions.
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
91
On recommande des lup ou des tatouages (ndoom), etc. Une série de formalités est alors mise
en branle en direction des pangool pour l’acquisition de la fécondité. De la récompense par des
offrandes (libations) pour avoir l’appui des pangool au sacrifice d’animaux tués à l’autel des
pangool pour avoir leur pardon et enrayer ainsi une possible suspension de fécondité, tout est
fait.
Le pire mouvement qui empire l’infécondité et la bascule en général dans la stérilité (ndimar)
est le recours à la médecine traditionnelle pure.
Lorsqu’une femme dépasse le cadre des pangool pour un traitement pour infécondité, ses
chances d’être fertile deviennent aussitôt très dérisoires. Un proverbe sereer catégorique en dit
ceci : o teef a fanookangaa fandim xaÚeen, xan a warong mbaa ta war xoox um mbaa ta yaq o
fud um. O tew o baawaa† fandim kaa geefaa a ndok um a saanq hala um = dès que ton épouse va
voir les guérisseurs pour avoir un enfant, divorce-la. Elle te fait tuer ou se fait tuer, ou court le
risque de perdre toute possibilité de fécondation. Une femme à la recherche d’une possibilité de
procréer brise toujours son foyer et dilapide ses ressources. Pourquoi alors ce jugement sans appel
du sage sereer ?
Comment la femme qui cherche à être féconde par le biais de la médecine traditionnelle peutelle tuer son mari ?
Il est connu que certains guérisseurs sorciers anthropophages réclament comme honoraires la
désignation d’un sacrifice humain. Ce sacrifice ne pouvant être n’importe qui, le choix est porté
en général sur une victime que la femme aime beaucoup. Sans beaucoup réfléchir, la première
cible qui se présente est l’époux de la femme en question. À une époque donnée, certaines femmes n’hésitaient pas. Elles consentent spontanément à se débarrasser du mari pour devenir féconde. Ainsi dit et ainsi fait, on lui confectionne un gris-gris dont l’homme, son homme, est le
prix. Retrouvaille mystérieuse de la fécondité et grossesse se succèdent. L’accouchement qui intégre cette femme dans le concert des épouses fécondes sera sa seule consolation à la perte de son
mari après. Généralement le malheureux meurt trois jours après cette naissance d’origine mystérieuse. Ou bien la femme se tue. Mais comment se tue-t-elle ? Le sage sereer identifie trois formes
de a cii† (voir a cii† a paaxeer) :
1. a cii† roog : fœtus de dieu
2. a cii† fangool : fœtus de fangool
3. a cii† a andan (ou a cii† saytaani) : fœtus extraordinaire de Satan. C’est cette troisième forme de cii† que certains guérisseurs en contact avec des esprits maléfiques introduisent à la femme
qui s’acharne à vouloir à tout prix concevoir un enfant. Tout au long de la grossesse c’est le soulagement et l’optimisme. N’étant pas informée du danger qui l’attend, elle est dans l’euphorie
conjugale avec le mari. Une telle femme meurt en cours d’accouchement et laisse un nouveau-né
orphelin qui ne la suit que peu de temps après ou accouche d’un bébé-monstre qui la tue avant de
disparaître à son tour.
La femme qui se traite d’infécondité peut aussi abîmer toutes ses chances de fécondation, et
comment ? Dans ce contexte, les anciens Sereer mettent en cause les différents médicaments reçus
chez des guérisseurs. Ils finissent disent-ils par mutiler les organes sensibles de la femme qui ne
s’en sort en définitive qu’avec une infécondité plus sévère. Les anciens ajoutent qu’une femme
qui court après la fécondité casse sa vie conjugale. En voici la raison.
Jadis, quand un couple faisait au moins cinq ans de mariage sans enfant, les responsables de
cette alliance se voyaient en concertation restreinte et décidaient de concert à désunir l’homme et
la femme. Le mobile courant de ces cas de divorce est évoqué dans cette boutade : kaa refee
nqoox um (parlant de l’époux qui a été contraint d’accepter ce divorce) : c’est qu’il n’est pas son
taureau (n’est pas l’époux avec lequel elle peut faire des enfants). En second mariage, on a vu des
femmes qui sont devenues fécondes. On dit après cela que : oxe sogaa daaw nqoox um : elle vient
de rencontrer son taureau (ou son homme). Dans d’autres cas, des femmes ont changé de mari
cinq fois de suite sans rencontrer leur taureau. La stérilité étant inacceptable en milieu sereer puisqu’elle relègue la femme à la chose ou au jouet source de plaisir, elle ne s’avoue jamais vaincue
dans la recherche d’un homme avec qui elle peut enfanter. C’est ainsi que de foyer conjugal en
foyer, elle fera toujours des séjours plus ou moins brefs.
Pour le Sereer, essayer de retenir une telle femme et avec son état d’esprit serait une erreur.
Comme au départ, on évite de l’épouser, dès qu’elle manifeste le désir de divorcer pour aller se
remarier ailleurs, on libére de préférence cette femme avant qu’elle ne réclame sa liberté.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Et enfin, on dit que la femme qui se rabat en médecine traditionnelle pour être féconde dilapide inconsciemment ses propres épargnes. Il s’y ajoute même celles de sa famille maternelle.
Même certains époux faibles qui refusent la réalité de l’infécondité comme leurs épouses y laissent passer leurs avoirs et sans hésiter. Cette situation est très fréquente dans le milieu sereer. Une
déduction subtile y encourage : o tew oxuu seqna †een ; ga-aa o mbaax waagaa rim = toute
femme qui a des seins et qui voit ses règles peut enfanter. C’est là où le bât blesse car objectivement, ceux qui se démènent (l’homme et sa femme, etc) ne cherchent pas objectivement le pourquoi et le comment de la carence en question.
Conclusion : la stérilité n’existe alors presque pas et il faut à tout prix féconder. Aux pangool,
on sacrifie moutons et taureaux. Ensuite on passe chez les guérisseurs qui savent tout, qui peuvent
remettre le sort en question et qui peuvent offrir a cii† à toute femme qui le désire et sans le
concours divin. Bijoux, pagnes, argent et certains biens familiaux deviennent des honoraires des
charlatans. Finalement, l’acceptation d’être une femme inféconde n’a plus de sens, car elle découlera d’une pauvreté qui freine toute possibilité d’action de cette femme inféconde, au terme de
tout ce qu’elle a dépensé ; elle se voit en fin de compte incapable de continuer ses tentatives de
traitement pour infécondité faute de moyens en réserve.
Signes traditionnels qui aident à la découverte d’une bonne épouse
L’homme sereer ne contractait jamais un mariage les yeux fermés. Avant l’alliance, beaucoup
de facteurs étaient analysés, les plus fondamentaux ont toujours gravités autour de la fille (ou de
la femme) à marier. Grâce à des signes, les anciens ont pu donné le résumé d’un ensemble
d’observations à partir duquel peut faire le choix d’une épouse d’éthique louable. D’abord les
signes physiologiques d’une fille bonne à épouser :
Au niveau de la tête : un front large ; ouvert et une bouche largement fendue.
Au niveau de la poitrine : des seins épanouis, de long bras qui se terminent par des mains
vraiment féminines.
À partir du ventre jusqu’au pieds : ventre mince qui descend sur un bassin large. Les doigts
des pieds doivent avoir des possibilités de contact sans entrave ou infirmité avec la terre ferme.
Avant de continuer, voyons un peu pourquoi ces de traits physiologiques ont été retenus pour
servir de repères quand on cherche une épouse.
1. Un front large et ouvert augure de large possibilité d’existence au mari quand il vivra sous le
même toit que cette femme ;
2. La bouche large facilite au mari d’avoir l’autosuffisance alimentaire dès qu’il commence à vivre avec une telle épouse. Pour ce qui concerne la fille au front étriqué et à la bouche mince,
l’ancien en déduit qu’elle a tendance au renfrognement. C’est un signe de misère. Elle reflète aussi le visage habituel de la femme chiche.
3. Seins épanouis est un repère de différence au niveau des tétons entre la fille-homme et la fille
normale. Quand les seins d’une fille n’évoluent pas avec sa croissance et ont tendance à garder
leur grosseur primitive, on soupçonne déjà la stérilité. Les têtons et leurs zones d’ombre noircissent d’avantage pendant que la fille grandit. On dit sauf erreur de parcours : voilà les seins d’une
future mère
4. Ventre mince. C’est le signe d’absence de grossesse et de géophagie. Généralement les filles
géophages ou anciennes géophages gardent comme séquelle, un ventre ballonné et de grosses
joues. Quand au bassin d’une fille, il doit être large. C’est une opportunité nécessairement recquise pour sa futur conception. La fille à bassin étroit a toujours des problèmes de fécondité,
d’accouchement ou même de bonne ménagère, car elle supporte rarement certains travaux pénibles (porter sur la tête le canari d’eau ou le lourd fagot de bois).
5. Les pieds et leurs doigts qui adhèrent bien sur la terre ferme quand la fille se déplace. On évite
grâce à cette observation de tomber sur l’épouse-pintade (o tew a saaw) ou o tew a cek (l’épouse
poule). La fille qui marche en soulevant de la poussière devant elle par le biais de ses doigts du
pieds est dénommée o tew a saaw ou o tew a cek. Ce signe augure le gaspillage. Une telle fille vit
avec son mari dans la pauvreté, car toute épargne tentée par ce dernier est anéantie par elle. Une
femme pintade équivaut à la femme gaspilleuse.
Les signes comportementaux les plus remarquables sont :
a) le Sereer l’appelle o tew fambe : l’épouse-chèvre. Étant demoiselle, elle manifeste déjà son destin. C’est la fille belliqueuse, grande gueule. Elle n’est pas respectueuse et quand elle parle dans la
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
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concession, ceux qui se reposent à la place publique savent immédiatement que c’est elle. Quand
elle va quelque part, elle est toujours pressée et raccourcit son trajet au trot.
Dès son arrivée au foyer conjugal, elle consomme son destin ; plus de palissade au lieu d’aller
chercher du bois de chauffe comme les autres en brousse, elle s’attaque à la palissade comme bois
de cuisine. Une petite altercation avec le mari, elle alerte par des propos bon marché tout le voisinage.
b) Son contraire est l’épouse-chienne (o tew o ßox). C’est l’épouse fidèle. Elle accepte avec patience toutes les difficultés de la vie conjugale, les réprimandes qu’elle encaisse. Elle fuit quand
les sevices sont insupportables mais revient et se réconcilie aussitôt avec son mari dès que la douleur passe.
Voilà l’épouse modèle recherchée. Lorsque les signes physiologiques ne sont pas en contradiction avec ceux du comportement, une telle fille fait l’objet de convoitises et de rivalités.
En bas âge, elle est identifiée. Elle est un peu timide, sédentaire, travailleuse et sa voix ne
s’entend jamais hors de sa concession quand elle discute.
c) Il y a aussi l’épouse-chamelle (o tew ngeeleem). Elle grandit avec une éducation où la sournoiserie prédomine. Supporte tout mais ne dit jamais ce qu’elle a décidé de faire. Elle est d’un caractère envieux et de jaloux. Sa philosophie du mariage est bien connue c’est : je vis avec toi (mari)
pour la circonstance, mais dès que je découvre un autre qui vaut mieux je te quitte et vais avec
lui. Le Sereer l’évoque en ces termes : o tew ngeeleem faaxee. A naanga suufaa no ngaan nene,
oxaa Úokluwaa ngaan lakas moÚu niß. Une épouse chamelle est mauvaise. Quand elle mange du
feuillage de l’arbre dit ngaan, cela ne l’empêche pas de prospecter des yeux, un autre ngaan plus
touffu. Autrement dit, je reste avec toi en attendant de trouver mieux.
d) L’épouse-ânesse (o tew o faam). Le Sereer indique par cette déduction le seul homme capable
d’être son mari : o tew o faam, o kor o layπe na harnan : une femme-ânesse ne peut se maîtriser
que par un mari laobé. C’est pour dire qu’avec une telle épouse, il faut bien savoir manier le bâton pour la dompter. Même au lit, des fugues et des coups de pieds ne manquent pas. Et le Sereer
de conclure pour ce qui concerne cette épouse à éviter : o tew o faam xa paam a rimaa : l’épouse
ânesse ne produit que des ânes.
D’autres bons signes, toujours importants sont jusqu’aujourd’hui recommandés à remarquer
avant le mariage ; ce sont entre autres :
- o toog oxe na waxwaa xa πay um (la demoiselle qui a l’habitude d’avoir les mains derrière son
dos comme si elle avait déjà un bébé. On dit que c’est une future mère. Sa prédestination l’oblige
déjà à mimer les différents portages qui seront d’elle.
-∂eetik o toog soπin ta unaa mbaa ta jawaa. Trouver au cours de la première visite fortuite chez
une fille que l’on désire épouser entrain de faire la cuisine ou piler est un signe encourageant. Cela fait partie des signes de représentation d’autosuffisance alimentaire. Son contraire est la demoiselle que l’on visite pour la première fois et que l’on trouve couchée sur le ventre. L’ancien
conseille dans ce cas de ne plus dire l’objet de sa visite. La demoiselle en question augure une vie
conjugale de famine et une infécondité. Lorsque la première visite trouve la fille absente de la
concession aussi, elle n’est plus épousable sauf quand elle revient rapidement avec un canari
d’eau sur la tête. L’eau éteint le mauvais présage et en fait une future bonne ménagère ajoute
l’ancien.
- o kulook oxe ga itna o mbaax no sar ole ta moofna ye ta maañeel : la nouvelle mariée qui a ses
règles sur la natte rituelle où elle est assise pour subir le rite du maañ (voir le mariage ou ngulook
avec R. Collignon et T. Diouf). C’est une rare situation qui se présente. C’est le signe le plus réconfortant parmi les signes. Elle augure fécondité, aisance et purification de la concession
d’accueil. Pour ce cas précis, on offrait immédiatement comme récompense rituelle une génisse (o
nqeel o sar) à la mère de la nouvelle mariée.
Après tous ces signes (a kaaf : singulier gaaf peut être dans le vocabulaire sereer une qualité
(gaaf faax) ou un défaut (gaaf bonu) directement puisés de la jeune fille à marier ou non,
l’ancien ne négligera rien des autres aspects et vicissitudes sociaux qu’il fallait diagnostiquer avant
de nouer le mariage avec une demoiselle. Le Sereer les appelle a kaaf o rimel (les signes du milieux natal) et a kaaf †eet : les signes que dévoilent la géomancie).
1. A kaaf o rimel : Ce sont les qualités ou défaut qui caractérise la famille de la demoiselle. Certaines familles travailleuses, sobres, à sang pur où le mariage est d’étique respectable étaient recommandées. Ces signes qui perdurent dans leurs concessions favorisent souvent les alliances avec
elles. Dans d’autres où l’opportunisme, l’adultère, la suspicion de sorcellerie, le doute et la non-
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
chalance font souche, sont laissés aux aventuriers y prenaient femmes en général. Le voisinage
s’en détourne en connaissance de cause.
2. a kaaf †eet : pour terminer, le Sereer qui voulait s’assurer de faire un bon mariage allait voir o
†eet (le voyant) pour connaître le côté mystérieux de sa choisie. Par le biais de la géomancie, il
était en fin de compte édifié sur tous les signes occultes bons ou mauvais que recèle sa fiancée.
Jadis, il fallait donc faire tout ce parcourt prospectif avant de prendre la décision ou d’être décidé d’aller demander la main d’une demoiselle sereer.
La beauté ou le charme d’une fille n’étaient pas des éléments déterminants pour privilégier ou
faciliter le mariage en milieu sereer. On en parle d’ailleurs dans ce proverbe : faax gaaf moÚu o
mosel fo xaaj : être de bonne prédestination est meilleure qu’être d’une beauté confuse. Autrement dit, la beauté couve généralement des équivoques (l’anthropophagie, le sang métis ou le vice). Quand à la bonne prédestination qui est avant tout la bonne graine, elle a traversé beaucoup
d’assertions et avant d’être admise pour ce qu’elle est.
Entretien avec Tékheye Diouf, responsable de case de santé psychiatrique à
Niakhar
Mais d’abord qui est Tékheye Diouf ? Parlons de l’homme.
Il est né vers 1942 au village de Niakhar, chef-lieu d’arrondissement dans le département de
Fatick. Analphabète dans sa jeunesse, il se débrouille au cours de son adolescence à lire le syllabaire (d’André Davesne) en conduisant le troupeau pour devenir initié, alphabétisé et finalement
lettré.
Curieux et entreprenant, il décide de se faire garçon de salle bénévole au dispensaire de Niakhar, car il venait de dépasser l’âge du petit berger destiné à la conduite et à la surveillance d’un
troupeau de quelques bovins dans les zones de pâturages. La médecine l’attira dès sa timide jeunesse grâce à la fonction sociale héréditaire du fiaamaan qu’il pouvait assumer à Niakhar. Cela se
rapprochait de la médecine ; et mieux de la petite chirurgie médicale traditionnelle. flaamaan
veut dire circonciseur ou coupeur de prépuce. En 1960 donc, il noue son premier contact avec la
médecine blanche. Une sommaire formation pour l’entretien du matériel et l’hygiène du poste de
santé de Niakhar que dirigeait à cette époque un infirmier qui s’appelait M. Dieng lui fut donnée.
Avec son maigre bagage d’alphabétisé et une volonté amoureuse pour ce milieu fait pour les
soins de santé de base, il arrive à retenir le nom des médicaments et dans le traitement de quelle
maladie son chef de poste les utilisait habituellement. C’est par la même occasion que, sans complexe et intelligent de nature, il apprend à parler couramment la langue française et sans se soucier
de certaines règles, dispositions ou commodités académiques.
De 1960 à 1963, il sera au poste de santé de Toukar, village qui se trouve dans le même arrondissement que Niakhar. De 1963 à 1967 Tékheye et M. Dieng son formateur seront à nouveau
au poste de santé de Niakhar.
En 1968, il obtient le Certificat d’études primaires élémentaire en se présentant à cet examen
comme candidat libre.
C’est à partir de 1968 qu’il devint plus ambitieux et quitta le bénévolat de routine dans lequel
il était confiné au poste de santé de Niakhar. Animé d’une volonté inébranlable d’aller de l’avant,
il prit contact avec le monde de la recherche. Ses connaissances acquises en français après
l’obtention du CEPE lui facilitèrent d’être un auxiliaire-interprète dans son parcours nouveau. En
tout cas, son divorce avec la santé de base a été consommé en 1970 quand il débuta à servir dans
une étude qui était intitulée “Santé et Migration”, dans l’arrondissement de Niakhar. Elle regroupait plusieurs chercheurs parmi lesquels le Professeur H. Collomb. La recherche dura de 1970 à
1973. Ce fut en même temps l’époque mémorable qui liera Tékheye au Pr. Collomb. Grâce à des
relations affectueuses qui évolueront pour devenir une vénération de l’élève pour son maître,
Tékheye ne quittera plus le Pr. Collomb que lorsque ce dernier quittera le Sénégal pour rentrer
définitivement en métropole. Avant de continuer, je ne peux passer sous silence la vie active de
Tékheye avec Collomb. Il est plus que nécessaire qu’on s’y arrête. Lorsqu’une liaison crée un
homme, elle devint parlante et crée ainsi un cadre important de référence. En vérité, entre Tékheye et Collomb, il s’agit objectivement d’une vie agissante et riche. D’abord, c’est grâce à Collomb que Tékheye eut l’occasion de se faire et ne la laissera plus s’échapper, pour épancher sa
soif de savoir. Dès la fin de l’étude Santé et Migration (1970-1973), le psychiatre décida de ce
rapprocher de son jeune interprète en l’amenant avec lui au Centre hospitalier de Fann. S’agissant
de l’intérêt qui poussa le médecin-chercheur à prendre Tékheye avec lui ; Dieu seul le sait. En
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
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tout cas, on sait de Tékheye qu’il fut et reste de nos jours un homme ouvert, poli, serviable, fidèle, volontariste et disponible. Peut être que l’homme de science avait pris comme base de références ses qualités pour se décider à lui ouvrir son cœur, sa tête et grandement les portes de son service à Fann. L’entrée de T. Diouf à Fann constitue à mon avis une ère nouvelle. Collomb continua sa formation en médecine pratique en balisant son parcours dirigé vers la santé mentale. Sans
le départir de son rôle d’interprête ou d’enquêteur, il épanouira son goût pour la psychiatrie.
Tékheye s’adapta rapidement et finit par épouser sans entrave les exigences du milieu. Dans
l’hôpital, il était l’homme de tous et de partout. Grâce au sens de l’initiative et de la découverte
dont Collomb avait cultivé en lui, il était à la salle des soins, en neurologie, etc. Partout où il pouvait rendre service, il ne faisait pas attendre. C’est dans ce cadre toujours grandissant qu’il eut
l’occasion de 1973 à 1984 de suivre à l’Université de Dakar (UCAD) des cours d’aidepréparateur en pharmacie. C’était pour mieux connaître le médicament. Au cours de cette époque,
Collomb s’occupera de l’avenir de son protégé qui fut en même temps son employé, ami et collaborateur particulier pour tout ce qui concernait la tradition. Il évita de l’isoler de son milieu
d’origine en l’envoyant souvent au terroir faire de petites enquêtes (médecine traditionnelles, rites
et cérémonies, etc).
Dans l’ombre, le Pr. Collomb réussit à faire admettre par la fonction publique et par un dossier subtile et bien étoffé son recrutement tacite comme aide-infirmier. C’était en 1975. Cela permit au Professeur d’enrôler Tékheye dans la même époque comme enquêteur principal dans une
étude de l’OMS. Bien trempé dans les enquêtes et recherches grâces au maître et patron (car c’est
comme ça que Tékheye appelait souvent Collomb), Tékheye devint un important informateur
dans les milieux universitaires et surtout par son concours dans la rédactions de mémoires (DEA) ;
de thèses en médecines ou de certains diplômes de sociologie. En 1978, il aura servi d’enquêteur
dans le projet Hépatite-Hépatome, sous la direction du Pr. Philippe Maupas.
De 1977 à 1980, il est encore partant pour l’étude concertée de l’OMS sur les stratégies à développer pour l’extension des soins de santé mentale à des degrès divers (Pr. B. Diop, R. Collignon et M. Guéye).
Après la normalisation de sa situation administrative, Tékheye qui devint ainsi un aide infirmier reconnu est affecté à Keur Xaleyi pour servir d’assistant et d’interpréte aux différents spécialistes qui y recevaient à cette époque l’enfance souffrant de maladie mentale ou en danger moral.
C’est durant cette période de pose où il goûta un peu de la bureaucratie urbaine qu’il vécut la
sombre hantise d’une séparation définitive avec son cher Maître Collomb rentré en France, où il
meurt peu après. Sa seule source de répit devenait alors et subitement M. Collignon, un autre
adepte et proche collaborateur de Collomb et qui était à cette époque rédacteur en chef de la revue de Psychopathologie africaine sise au service de psychiatrie de Fann (Clinique Moussa Diop).
Malgré cette période morose, l’homme de Niakhar ne dormit point sur ses lauriers. Il mûrit
alors l’idée de réaliser un village psychiatrique comme celui de Kénia (Casamance) dans
l’arrondissement de Niakhar. Tékheye en fit la demande ; il fit chemin par la voix hiérarchique.
Finalement ce sera l’idée d’une case psychiatrique pour les épileptiques et quelques cas de malades mentaux qui peuvent être vus sur place qui lui sera autorisée de créer. Le projet se réalisa avec
l’aval du chef de clinique B. Diop qui avait préconisé à cette époque la diligence d’équipe itinérante vers Niakhar. Le service psychiatrique de Fann qui venait de changer de chef subissait en
même temps des mutations qui n’encourageaient plus à l’optimisme. Tékheye n’attendit pas
l’arrivée de ce qui suivra. Il demanda une mise en disponibilité pour aller se consacrer à la réalisation de son projet. Dans ces grandes lignes, la création de sa case psychiatrique avait pour but de :
- rendre la santé plus accessible aux populations ;
- décentralisation des services de psychiatrie ;
- d’enrayer les troubles mentaux ;
- maintenir le malade dans un environnement familial ;
- réduire les charges financières pour les traitements des malades.
C’est dans cette même foulée aussi qu’il fut dès 1974-1978 en contact assez régulier avec le
Dr. Eric Gbodoussou. Ils créérent ensemble le centre Malaango de Fatick pour un développement
éventuel de la médecine traditionnelle. Une fâcheuse rupture sépara les deux hommes. Depuis
lors, Tékheye se consacre entièrement à sa case de santé qui dans son évolution va prendre de la
dimension. C’est aujourdhui un centre de santé. De passage à Niakhar, voici le bref entretien que
j’ai eu avec lui.
G.F. Où en es-tu avec ton dispensaire ?
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
T.D. La bataille continue. La situation est souvent difficile mais on s’en sort finalement. Voyez,
j’ai construit un nouveau pavillon grâce à l’aide internationale. L’an dernier le centre a reçu une
subvention de 2 000 000 F CFA.
G.F. De qui ?
T.D. Des Pays-Bas. Vois-tu, on commence à nous connaître hors de chez nous. Les stagiaires que
je reçois annuellement facilitent vraiment la vulgarisation du renom de notre centre. Actuellement, j’ai en main deux stagiaires qui te trouveront ici tout à l’heure.
G.F. D’accord. Donc, tu as de bonnes relations extérieures maintenant ?
T.D. Oui.
G.F. Quelles sont les principales ?
T.D. Il y a le centre hospitalier de Sainte Anne (France) qui m’envoie souvent des infirmiersstagiaires. Nous avons des rapports avec les Pays-Bas et le Canada. Du Quebec, j’ai d’ailleurs un
gros lot de matériel médical qui dort au port parce que je ne dispose pas de l’argent nécessaire
pour son dédouanement. Je dispose ici avec moi d’un matériel radio qui fait la convoitise de certains médecins du coin.
G.F. Et alors ?
T.D. Je le conserve soigneusement. Un jour, nous aurons de l’électricité, alors je l’installerai.
G.F. Parlons maintenant de la vie de ton centre.
T.D. Ça va. Il me permet encore de tester mon expérience. Dans le cadre de la maladie en général,
j’ai une conception personnelle. Il me fallait donc des méthodes personnelles pour la mettre en
œuvre. Le centre m’en donne la possibilité.
G.F. Et comment ça ?
T.D. Voyez, les psychotropes ne sont que des tranquilisants, voila pourquoi, il faut un autre
moyen de thérapie parallèle ; la médecine traditionnelle. À partir du fait que le malade mental se
dit être l’objet d’un maléfice, l’efficacité entre médecine traditionnelle et médecine moderne n’est
plus comparable. Je constate dorénavant que la maladie mentale est plus culturelle que biomédicale.
G.F. Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
T.D. Je veux dire que le malade ne souffre pas dans son corps. C’est plutôt une souffrance qui le
harcèle et qui provient d’une force maléfique (maraboutage, pangool, etc.). Dans ce cas, la notion de folie cède la place à la notion de punition. À partir de ce moment, les soins ne sont plus
dans les médicaments occidentaux. Ils sont plus à rechercher dans différents moyens de la société
du malade. Pour conclure, je pense que l’esprit isolé et qui ne peut bénéficier d’un environnement social crée la folie.
G.F. Oui.
T.D. Voyez, quand nous étions à Fann, tu vois comment nos parents étaient fatigués et me fatiguaient. Grâce à ce centre, je soulage l’hôpital de Fann et je règle le problème de santé mentale de
beaucoup d’individus de la zone. On ne déracine plus le malade de son milieu vraiment culturel
et c’est comme le voulait mon maître de toujours le Pr. Collomb. Moins de psychotropes, plus
d’assistance et d’éducation, soins au moindre coût. Et bien que le confort nous manque ici, car
nous sommes presque sans lit et sans électricité, l’environnement familier du malade où il reste et
se soigne fait le miracle qui manque au traitement à l’occidentale. Un fait qui commence à prendre de l’importance : nous recevons régulièrement des malades qui nous viennent des hôpitaux.
Cela prouve que la vétusté du centre et le manque de moyens ne diminuent en rien l’efficacité de
notre action.
G.F. Tékheye, tout ce que tu fais là est bon, mais il faut essayer d’écrire comme tu avais
l’habitude de le faire au temps de Collomb.
T.D. Tu sais, je n’ai pas fait l’école et en plus, je n’ai plus ce temps.
G.F. Mais tu prends des notes que tu nous envoies. Dans beaucoup de cas, je pourrais continuer
ton cheminement et tu le sais ; Comme Collomb, M. Becker mon patron est très sensible pour rationaliser de tels écrits.
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
97
T.D. D’accord, je te téléphonerai dès son retour. Mais au fait, est-ce que dans les documents que
j’avais remis à ton patron tu n’as pas vu un papier qui parle de la mort psychologique ?
G.F. Non ; essaye plutôt de le rechercher dans tes papiers. Dès que tu le trouves tu nous l’envoies.
T.D. Ok. Pendant que j’y pense, je vous laisse ce mémoire d’un des stagiaires qui a fait un séjour
dans notre centre. Tu me diras au prochain passage ce que tu en penses. C’est très intéressant, car
le bouquin parle beaucoup de la vocation du centre.
G.F. Merci et au revoir.
Stratification sociale en milieu sereer
L’organisation du Siin était enveloppée dans deux grandes entités ; la cour royale (Mbin o
Maad) fo xooxoox we et les paysans.
Dans la cour royale, la stratification était plutôt politique. On rencontrait d’abord le roi, o Maa
Sinig ; xa πiy no maad, (les fils de rois) et les wiin maat (les gens de cour). Dans le monde paysan,
nous avons d’abord des yaal o ñaay ou lamaan ; les yaal ∂ak ou propriétaires d’un droit de hache
et les yaal a carin ou chefs de concessions.
L’autre entité qui enveloppe le monde des artisans n’a vu le jour au Siin que par un phénomène migratoire. Il s’agit des forgerons des griots et autres.
Passons dans les détails.
D’abord au niveau de la cour royale, on avait : le roi (o Maa Sinig) qui était le chef suprême
du Siin. Il était toujours le plus âgé des gelwaar en vie dans le royaume. À côté, il y avait ce
qu’on peut appeler le conseil de régence (doodod o maad). Il se composait de :
- jaraaf fa maak
- Saltiki fa maak
- Farba fa maak
- Bije fa maak.
Ce groupe se concertait toujours avant le sacre d’un roi et pouvait dans des cas particuliers
porter son choix sur un gelwaar non dauphin plutôt que sur l’ayant droit potentiel (voir Sanmoon
et Semu Maak).
C’est ainsi que jaraaf maak était le gardien de la couronne (o ndip). Cela faisait de lui le chef
du conseil de régence. Après la mort d’un Maa Sinig, c’est jaraaf maak qui assurait à titre provisoire la marche courante du Siin.
Ensuite, c’est saltiki fa maak qui vient par ordre d’importance. Responsable du monde mystique dans le royaume, il était le seul à se prononcer sur l’opportunité d’élir celui-ci plutôt qu’un
autre gelwaar au titre de Maa Sinig. Le couronnement rituel se faisait exclusivement par lui.
Il y a aussi le farba mbind kam ou grand farba qui n’est pas des moins importants. Il était le
chef des esclaves de la couronne. À ne pas confondre avec les captifs (fa∂ o πaak ou fa∂ a ndok
yaay). Les esclaves de la couronne étaient dit fa∂ no maad. C’est des gens qui ne s’occupent que
d’un roi élu et ne peuvent être qu’au service du détenteur de la couronne que celui-ci soit destitué
ou tué, ils ne s’en occupent plus.
Les fa∂ no maad sont des gens de cour qui font et défont la marche interne de la cour royale.
Ils en connaissent tous les secrets d’état et peuvent sans le manifester précipiter la chute d’un
Maa-Sinig, leur chef s’appelait farba mbin kam ou farba fa maak. Quand à bije fa maa , il est le
responsable de l’écurie royale. Il était le chef des saañit, espèce de palfrenier que l’on recrutait du
monde paysan.
Les saañit ne s’occupaient que de l’entretien des chevaux de la cour. C’est ainsi qu’ils avaient
le droit d’aller sans autorisation prendre du mil dans les champs ou dans les concessions des
paysans (baadoole). Dans certains cas, ils étaient comme les law, c’est des espèces de révoltés
avec une tendance anarchiste qui pouvaient faire ou dire tout ce qui leur passe par la tête.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Dangereux et sans complexes, ils pouvaient dénigrer le roi et rester impunis. Le monde
paysan en avait peur comme la mort car avant tout, un saañit dans le monde paysan ne vivait que
de larcins, d’escroqueries et de chantage. Si tu ne fais pas ce que je désire, disait-il au paysan,
j’irai étaler tes grandes richesses à la cour du roi et tu verras la suite.
Les law sont un peu comme les saañit. Leur différence est que o law est contre le monde. Ils
font le contraire des choses que les autres trouvent normales. Ils portent par exemple chaussures et
vêtements à l’envers et n’hésitent pas à s’insulter comme ils l’entendent. L’insolence sans frontière des law et des saañit leur vient dit-on du fait que ces deux corporations qui se disent être d’une
noblesse asservie et mutilée, ont le droit d’avoir des comportements dont l’entourage mondain
n’est pas autorisé à faire ou à dire.
Nous ne pouvons passer sous silence les vrais courtisans (dag au pluriel, o tag au singulier).
Ils ne sont d’aucune utilité objective dans la cour. Ils peuvent faire de petites commissions pour
les épouses du roi ou les princes et princesses. Ils évoluent dans la cour dans l’attente d’un titre
d’accompagnement pouvant y justifier leur présence dans la cour. Ils vivent au jour le jour et
peuvent devenir les plus dangereux exécutants des basses besognes de la couronne.
Cette corporation de courtisans constituait le service de renseignement, le pilleur du monde
paysan ; en un mot, c’était le groupe le plus néfaste des gens de cour. Il y est arrivé au gré du hasard et provient d’horizons divers et est là pour vivre aux dépens du pouvoir. Voilà des chercheurs d’emploi qui acceptent toutes les conditions de vie et les traitements les plus abjects. On les
appelait xa πox no maad (les chiens du roi). Et pour les consoler, on leur fit ce proverbe : o ßox
no maad, o maadoo ! (le chien d’un roi est un roi). C’est pour dire que leur insignifiance dans la
cour royale se métamorphosait en excellence dans le monde paysan où la seule présence d’un
courtisan était source de peur.
D’autres titres internes étaient détenus par des gens extérieures : nar o maad (maure du roi),
ar†o (berger peulh du roi), etc. C’est ainsi que la dernière capitale du Siin, Diakhao, n’est que le
carrefour d’individus divers qui n’étaient là que pour bénéficier des largesses du pouvoir féodal.
Dans le Siin, la notion d’esclave et de captif est souvent confondue. En fait, l’esclave acheté
est rare au niveau des familles princières et la cours ne s’accommodait que des esclaves de la couronne ou fa∂ no maad qui ne souffraient d’aucune forme de propriété exclusive. Ils étaient uniquement esclave de la couronne garante de l’autorité et non de la personne physique du roi ou de
sa famille. Quant aux captifs, on ne les retrouve que dans le milieu paysan. Ils ont été acquis grâce
à des trocs au cours des famines ou au ramassage de blessés sur les champs de bataille.
Les capitfs ne sont pas nombreux dans le Siin. Cela vient du fait qu’il n’avait pas fait de guerres de conquête et était un royaume qui était de tous les temps à la défensive. C’est à l’intérieur du
Siin même qu’il y avait des conflits de succession où on s’organisait en bataille rangée. Le prince
héritier (le neveu maternel du roi), pressé de succéder à son oncle (le roi) sur le trône, se résolvait
finalement d’en découdre par les armes.
Pour faire des captifs, il faut aller à la guerre et cela va sans dire. D’autres grand titres étaient
réservés aux πiy no maad (fils de rois) qui étaient les plus proches parents du roi (fils d’un roi et
d’une princesse) les titres étaient d’habitudes donnés aux plus braves des πiy no maad ou à ceux
qui était d’une riche famille maternelle paysanne. Il s’agit de la fonction de commandant de garnison. Les plus célébres étaient : Lam Njaafaaj ; Sandgi-Njoooß ; Maa Paataar et Maa Joyin. Les
détenteurs de ces titres étaient considérés comme de grand guerriers (fañiig xire) et assuraient grâce à leurs fonctions la protection frontalière du royaume. On peut assimiler dans la cour royale la
corporation des jeefeer (les serviteurs) de la reine. Ils sont associés aux esclaves de la couronne. Ils
s’occupent exclusivement de cette dernière et font toutes les tâches domestiques. De l’autre côté,
le service extérieur de la cour accueillait régulièrement l’orchestre spécialisé des batteurs de junjung (les tambourins). C’est un groupe de griots qui résidait dans la capitale non loin du Maa
Sinig et était là pour l’exécution des coups de tam-tam du cérémonial qui était réservé aux rois : le
Siin, le Saalum et Yéliyasa. Les griots qui en constituaient l’orchestre avaient chacun un titre qui
s’héritait exclusivement dans sa famille paternelle. Le chef d’orchestre avait le titre de fara ju
njung ; les autres titres suivaient : fara gorofi, bambaa†o, paar, Fara lamp, etc.
Pour terminer, nous en venons au milieu paysan.
Dans ce monde, les lamaan étaient les plus importants. Ayant perdu le pouvoir de commandement après l’hégémonie gelwaar, il leur restait encore le pouvoir du droit de feu qui faisait
d’eux les grands gestionnaires des terres cultivables.
Les lamaan ont acquis des esclaves par le troc de leurs terres (o πa∂ o cike : esclave acheté).
Un paysan qui n’avait pas où cultiver pouvait à défaut de bétail échanger son neveu maternel
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
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avec des terres chez le lamaan. Certains paysans-guerriers (xir) qui s’étaient spécialisés dans o
njangal (razzia de bétail) revenaient assez souvent avec de jeunes bergers capturés.
Ils les revendaient souvent pour des besoins divers. Ses captifs sont dit fa∂ o paak (captifs à
corde). Ils ont été ligotés jusqu’à destination. Le monde des artisans est constitué en milieu sereer
du Siin par des migrants du Kajoor et du Jolof. Pas mal de forgerons (faal dafax) viennent de Sagata. Il suffit d’une analyse généalogique pour voir leur souche wolof. La même situation se retrouve chez les griots. Beaucoup d’entre eux ont mené une vie d’artiste ambulant avant de venir
se sédentariser dans le Siin. En fin il y avait les caambuur ou sereer qoolu. C’est le paysan sans
métissage. Libre, sa seule spécialité était l’agriculture et l’élevage.
Pour conclure, nous pouvons donc dire que dans le Siin, nous avons la haute noblesse qui est
constituée par les gelwaar.
Les πiy no maad ou fils de roi qui sont de père noble et de mère paysanne. Dans le cas où la
mère est noble, mais n’est pas une princesse, ce qui est fréquent en milieu sereer du Siin, le fils
reste quand même paysan et non πiy no maad, car la puissance paternelle l’y oblige.
Les cedo qui sont assimilés à la noblesse parcequ’ils y apportent un concours significatif lorsqu’il s’agit de la gestion du pouvoir féodal. Parmi eux, il y a tous les gens de cour et les paysans
(sereer qool ke) qui constituaient les cultivateurs et les éleveurs.
Les artistes non castés de la société sereer (Siin)
À part la Petite Côte où l’histoire des castes n’est pas très systématique, les Sereer du Siin en
particulier avaient et les rigueurs féodales aidant une organisation sociopolitique très stratifiée ;
d’où le phénomène des castes. Chacune d’elles avaient ainsi une spécialité qui devenait de fait son
domaine réservé.
Parmi les castes d’artistes reconnues, celles de griots et des forgerons sont les plus courantes.
Cependant, il y a toujours eu dans ce milieu paysan une autre organisation parallèle qui regroupait ce que j’appelle ici artiste non casté.
Ce groupe est issu du monde purement paysan. N’est frappé d’aucune ségrégation endogamique. Pourtant, sa vie d’artiste était plus importante en pratique que sa condition de paysan sereer.
Ces artistes donc s’organisent de la même manière que les griots sauf que pour certaines manifestations à sonoriser, il leur fallait toujours le concours de ces derniers avec leurs instruments.
Nous allons les voir en détail.
Historiquement, il y a d’abord eu o qaaxaan : cet artiste s’exprimait par des métaphores, dictons et proverbes qu’on appelait jadis a qaan.
Cultivateur-éleveur pendant l’hivernage, il devenait après la récolte un chef chanteur qui était
l’animateur de toutes les cérémonies importantes du monde paysan. O qaaxaan était en fait une
espèce d’érudit qui inventa a kim ngoor ou chants d’hommes. Là, il ne s’agit pas du son agréable
de la cantatrice. A kim ngoor sont donc un ensemble de propos que l’on disait avec fougue et qui
donnaient à celui qui les recevait un courage subit, de la fierté et finalement une vitalité vaniteuse.
Donc c’étaient des espèces de louanges revigorantes qui provoquait l’extase de l’intéressé.
L’ancien Sereer en disait naguère : o qaaxaan kaa utaa jom = o qaaxaan est un assaillant de
la vertu. Voilà pourquoi, il ne s’adressait qu’à une catégorie particulière de paysans. Très inspiré
et se voulant comme un artiste qui dépasse le profane et les flatteries mondaines et souvent injustifiés propres à la caste des griots, o qaaxaan ne s’adressait qu’aux autorités féodales ou aux illustres paysans tels que siide (riches propriétaires de bétail) et lamaan (terriens).
En ces occasions, il recevait avec son groupe des récompenses qui pouvaient être : un esclave,
un taureau, une jument, etc. O qaaxaan était toujours accueilli par une réception solennelle où
l’alcool n’était pas servi au détail.
Ensuite, il y a eu les juu-juup (ou jee-jeek). C’était l’époque du riiti (instrument de musique
sereer). O cuu-juup (au singulier) était un chanteur-compositeur danseur. C’était une espèce
d’orchestre choral qui était souvent accompagné par des batteurs griots. Les spectacles qu’ils organisaient s’appelaient o njuup (chants danses et rythmes).
Après les travaux champêtres, ils étaient invités de contrées en contrées par des groupes de
demoiselles (mal no roog). Le chef des juu-juup qui était souvent le joueur de riiti (o tiiriti : maître de violon) était en même temps le chef inspirateur de l’ancien ou du nouveau répertoire qui
100
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
rend médiocre ou célèbre tel ou tel orchestre de juu-juup. O njuup était donc la manifestation la
plus courante dans le milieu rural sereer. N’importe quelle association pouvait l’organiser. Il fallait inviter les artistes, les faire boire et c’est tout.
Dans la période contemporaine, o njuup cédera la place à gaajo. Gaajo redonna la primauté
aux griots. Une nouvelle génération d’artiste non castés réapparaît à nouveau, on les appelle jaalombaan. C’est des jeunes qui se regroupent aussi en danseurs-chanteurs. S’accompagnent de
jeunes batteurs griots de leur tranche d’âge. Ce sont les héritiers des juu-juup.
Ainsi donc, à l’intérieur du monde paysan, l’apport des castés n’était que rituel ou cérémonial.
Les non forgerons ont fabriqués des outils de chasse, d’agriculture, etc. Un tel artisan était dénommé par le Sereer diy a xaw : se complaire à faire la forge.
Dans le monde des tisserands aussi, cette situation d’exception existait. Ce type d’individu était
tirab. Cette stratification n’est particulière qu’au Siin. Sur la Petite Côte, ses situations sociales sont
négligeables.
La rigueur de la ségrégation ou le mépris de l’autre s’apesantit plutôt sur les tim (lignages).
Les castes ne s’y distinguent pas.
Il est donc important de reconnaître qu’en pays sereer, il a toujours existé des mutations, des
transformations ou des structures variables.
Dans les endroits où la présence du pouvoir féodal était effective, la création des structures et
le dynamisme des castes se faisaient constamment sentir. Cela va sans dire la couronne
s’épanouissait grâce aux castes et vice-versa. En échange de sa protection et de l’aisance dans une
vie de cour factice, la féodalité exploitait avec un mépris abâtardisant les castes qui s’activaient
sous son emprise. C’est ainsi que saañit, griots, forgerons, etc, tout en acceptant d’être au bas de
l’échelle sociale de la piramyde de stratification sereer, n’en étaient que plus heureux.
Par contre, les contrées enclavées telles que Joal par exemple n’avaient pas connu toutes ces
structures ; les autochtones de ces zones ne vivaient que de pêche et la féodalité était pour la bonne chère. Pour conclure, le Sereer des îles jouissait d’une autonomie d’existence qui faisait défaut
dans le reste du royaume où la soumission au souverain avait fini par transformer le paysan en
accessoire.
Law we njeejefi : les law de Saas-Njeejefi ou de Saas-Njaafaaj
Les law sont des Sereer qui ont habituellement vécu dans le village de Saas. Leur nom de famille est Jefi. Historiquement, ils constituent le reste de la descendance d’un roi du Siin qui
s’appellait Njuma Jefi (nom de la généalogie des rois du Siin ,par H. Gravrand).
De lui, ils gardent jusqu’à nos jours la tendance au goût pour l’agriculture et à l’élevage. Les
law sont parmi les plus anciennes familles sereer du Njaafaaj qui fut naguère une des plus importantes provinces du royaume du Siin.
Njeejefi qui aurait été fondé par le roi Njuma Jefi lui même est le plus ancien hameau de Saas.
De souche noble par leur ancêtre, les law se sont versés tôt dans la vie paysanne depuis que la
famille Jefi avait perdu toute possibilité de revenir au pouvoir féodal. Mais cela ne se passa pas
sans remous. Depuis lors, les law (law veut dire quelque chose de trop) étaient devenus des révoltés pacifiques et non violents ; il combattaient en fait les mœurs et coutumes féodales par des
comportements contradictoires.
Qu’un roi convoque les law pour concertation ou autre, ils vont répondre mais avec un habillement porté à l’envers. À cheval, le law arrive devant le roi avec le mors et les brides placées à la
queue de sa monture. Lui même a son dos à la tête de l’animal et fait face au derrière de celui-ci.
Pour le profane, les law sont contre la nature et contre le monde. Dans la réalité, ce jugement n’est
pas exact, car dans leur vie quotidienne en milieu purement sereer, leur comportement ne varie
pas par rapport à celui du voisinage immédiat. Leurs mariages, leurs cérémonies funèbres et leurs
circoncisions se font dans la plénitude du rite sereer authochtone.
Mais en tout cas, dès qu’il s’agit de la chose pouvoiriste de la cour, c’était le réveil de
l’instinct anarchisant du law. Que le roi demande au peuple de marcher en direction de l’Est, les
law quant à eux, iront sans complaisance vers l’ouest. Et depuis leur parent Njuma Jefi, les law ont
toujours été constants dans cette réaction face aux autres familles régnantes.
– seef di wilaas d’hier - Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
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Il en découle que certains en passent pour les amalgamer dans les castes. Les law seraient en
fait plus proches d’une tribu à part que d’une caste. Ils ne sont frappés d’aucune particularité ou
d’une basse naissance. Après la perte d’accès à la couronne du Siin, la tribu historique des law
s’est versée automatiquement dans le paysannat et pour de bon.
Les griots du Siin connaissent biens le fak (refrain de tam-tam exclusivement réservé aux law).
Le voici.
Tam lawa† - lawa†, law waa njeejefi ; o law suus faap of
Boitillant, boitillant les law de Njeejefi ; oh law, cul de son père. Ce morceau tambouriné est
dans son expression mondaine une insolence. Pour ceux qui ne comprennent pas son sens profond, les law s’insultent de fait comme les saañit. Leur fak a un autre sens et veut dire exactement
qu’après le tour du règne de Njuma Jefi c’est la nature qui les punit et les met ainsi au dernier
rang. Ils deviennent donc avec leurs voisins paysans le cul de la stratification féodale. Ainsi donc,
face à ce destin historique que les law ont toujours réprouvé, il leur fallait adopter une position
distinctive pour manifester leur mécontentement : mépriser l’ordre établi par le souverain fut
trouvé alors comme recours par les law. Cette attitude devint pour eux une victoire. La féodalité
la leur reconnaît et sans réchigner. À côté des inepties et des obscénités saañit plutôt acceptées que
tolérées, la réprobation manifeste des law ne pouvait qu’évoluer et sans entrave.
Le tétanos sereer ou nqoy
Nqoy vient du vocabulaire sereer des premiers forgerons. En français, c’est la houille.
Des forgerons qui connaissaient le métal bien avant le sérére ancien, nqoy a été une appellation et sera retenu comme tel avec l’ère des métaux que cette caste artisanale migrante avait fini
d’introduire en milieu sereer.
Qui connait la matière et ces variétés est déjà convainquant pour tout ce qu’il en dira. Ce sont
les forgerons qui savaient le fer et qui pouvaient en fabriquer des outil divers (hilaire, daba, hâche, couteau, flèches, etc). Pour le Sereer, nqoy n’était que cette couche rougeâtre qui se pose sur
le métal quand on le sort après quelques années de sous terre. Un caillou ou un autre morceau de
métal, un couteau dans cet état, était tout de suite délavé de sa couleur souterraine et remis en service sans autre précaution (japil fa nqoyu : un couteau rouillé ou couvert de terre houilleuse).
C’est avec ce couteau que le Sereer fit un instrument célèbre de circoncision. C’est à partir de
là aussi que la première manifestation du tétanos adolescent va démarrer. De jeunes circoncis vont
devoir en mourir en début de période d’initiation (o cuul o qontu no ndut = circoncis mort à la
hutte d’initiation).
Les fiaamaan d’hier ont fait des ravages avec ce genres de couteau qui n’était entretenues
qu’une fois l’an et juste à l’approche de l’époque des cérémonies de circoncision (a boong).
L’entretien se faisait ainsi : recueillir beaucoup de sève de liit-roog qui fut l’alcool traditionnel
sereer dans un récipient. À l’aide d’un morceau d’étoffe qu’on trempait souvent dans cette sève
au fur et à mesure, le fiaamaan nettoyait proprement son couteau de métier (japil fa nqucir).
Quand il rencontrait une partie ou la crasse houilleuse persistait, il mouillait de la terre et y frottait
vigoureusement. Dès que le corps de son instrument devenait étincelant, ça y est, il pouvait servir
et sans problème. C’est lorsque le taux de mortalité dans les rangs des circoncis au couteau devint
important que des questions de détresse ont été posées au forgeron ; ce maître du fer et détenteur
de sa mystique. Ne connaissant pas lui aussi le tétanos, il aura néanmoins trouvé une solution de
rechange. Il s’agit d’incantations qui neutralisaient les méfaits du fer et des blessures qu’il pouvait
occasionner sur l’individu. Ces incantations sont dénommées a cat kum ou incantations-attaches.
Après la circoncision donc, il fallait les réciter en crachottant sur la partie coupée du circoncis au
couteau.
Après cela disait-on, la blessure est incapable de s’enfler ou de s’infecter. Lors des soins du
circoncis, la sève de liit-roog faisait le reste. Malgré toutes ces précautions, les morts à la circoncision étaient toujours importantes. C’est alors que vint à l’esprit du sereer que nqoy qui était une
crotte de houille pouvait avoir un dérivé imperceptible et qui pouvait rester sur le couteau de
fiaamaan. On dénomma cette houille invisible nqoomaaq (houille interne). Finalement, certains
fiaamaan mettaient d’abord leur couteau de circoncision au feu avant de le nettoyer et de
l’aiguiser. Ils l’enroulaient après dans un morceau de tissu propre et enduit de beurre de vache
pour qu’aucune poussière ne s’y dépose. Tant bien que mal, les décès de njuli (circoncis récent)
s’étaient réduits grâce à ce procédé. Leur emboîtent le pas, les vieilles ramasseuses de nouveauxnés (giis-gis o nqeq) vont utiliser le couteau de cuisine à la place de a tuuduuy (tranche de tige de
102
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
milet) qui fut leur instrument traditionnel pour couper le cordon ombilical. Les décès de nouveaux-nés s’accentuèrent.
Les femmes ne vont pas par quatre chemins pour dire la cause de ces nombreux décès de bébés qui n’atteignaient généralement par le jour de leur baptême. Pour elles, les anthropophages
étaient dans le coup. Kaa humel (on l’a attachê) devint le genre de mort de tous les nouveaux-nés
sereer. Cette méthode sorcière de décimer les nouveaux-nés fut alors dénommée à kum a las. La
conception persiste jusqu’à l’arrivée de la médecine moderne qui explique aux mamans après
avoir sauvé des nouveaux-nés qu’on disait fini parce que victimes de a kum a las que c’était une
maladie due au tétanos qui tuait leur bébés. Avec la vulgarisation de la protection maternelle et
infantile, le Sereer sut finalement que le tétanos pouvait venir du fer, du bois et même de la terre.
C’est ainsi que le tétanos est devenu une réalité pas suffisante pour dépasser a kum a las, mais
une réalité acceptée en milieu sereer. Aujourd’hui, toute blessure au métal reçoit une recommandation unanime : reti no mbin dogtoor pikiiru tetaanoos (vas au dispensaire et prends une piqure
contre le tétanos). Ce conseil est valable pour jeunes et vieux.
Les saameel et leu rs in flu en ces
Les saameel sont une caste de griots spéciaux. Dans le milieu sereer, on dit d’eux et de leur
pouvoir extraordinaire être au carrefour du monde de vivants et de l’au-delà. D’après leur
histoire particulière les saameel ont reçu leurs connaissances du singe. On dit que le premier
saameel qui initia les autres pour en faire une catégorie spéciale parmi les griots aura déniché ce
savoir d’une cérémonie d’enterrement d’un singe par une population singe.
Ce précurseur du saameelisme aura donc à partir de là, retenu les chants, les rites, les visions et
possibilités mystiques du monde singe et toutes les particularités d’enterrement s’y affairant. Les
ayant appliqués dans le monde des vivants, cela lui donna alors des pouvoirs fantastiques : voir ce
que mondain ne peut voir ou entendre l’extraordinaire. C’est ainsi que le saameel a la faculté de
voir les voyageurs pour l’au-delà, de leur parler. C’est l’unique griot qui connaît les chants et
incantations qui n’existent que dans l’autre monde. Le monde saameel devint donc l’unique
réseau d’information qui fonctionne entre notre monde et le trépas. certain morts de mon village
sont passés voir les saameel avant de continuer leur route vers jaaniiw (trépas). Ils ont donné des
taureaux comme récompense afin que les saameel viennent chez lui et transmettent à sa famille en
deuil son message d’outre tombe. C’est au cours des funérailles d’après enterrement (o limb) que
les saameel se pointent. Dès cet instant, tous les griots mondains prennent la fuite et leur laissent
les lieux. Pas de battement de tam-tam et des chants inextricables, ils se manifestent et s’imposent.
Après ce sera la transmission du message que le mort leur a confié lors de son passage chez eux
au village de Senghor.
Sommairement, le chef saameel (à l’époque il s’appelait ngouye) disait modestement : en
échange d’un taureau d’un pelage... M. un tel est passé nous voir. Il vous demande de voir
enfouis sous le grenier à mil un pot enterré. Il contient 100 000 frs par exemple. Ils appartiennent
à un tel. Veuillez les lui remettre. Ou près de tel arbre qui se trouve au cimetière de famille, il y a
enterré une jarre remplie d’argenterie, c’est une richesse familiale qui revient à son héritier. Qu’il
en assure la bonne garde car après lui, elle reviendra à un autre.
La déclaration faite par les saameel se vérifie immédiatement et se réalise dans les faits. Ils
reçoivent leur récompense et quittent les lieux aussitôt. Ce n’est pas le genre de griots qui
profèrent des louanges plus ou moins plausibles pour avoir quelque chose des autres. Tant qu’un
mort ne réclame pas leur diligence, ils ne bougent pas de chez eux et ne quémandent pas.
Le milieu saameel est exceptionnel et ne souffre d’aucune intrusion même les naissances qui
s’y font sont contrôlées. Le bébé est jeté sur la toiture d’une case. Qu’il essaye de s’accrocher, il
est un vrai de la famille saameel. Dans le cas contraire, on considère que sa naissance est une
intrusion et on le laisse tomber.
L’évocation du mot saameel est presque maudite dans milieu sereer. Elle équivaut au
macabre. Voilà une caste entièrement endogamique. Peut y vivre et s’y épanouir un saameel issu
des saameel et personne d’autre. Des assauts en matière de recherche sociologiques ou
anthropologiques ont été pendant l’époque senghorienne rentrées par une certaine M me Amstrong.
Depuis lors, c’est le silence. Ainsi donc, on peut dire que voilà une société qui vit et ne meurt en
vase clos. Sa raison d’être reste inconnue dans ses profondeurs. Cependant, elle ne vit à côté des
voisins sereer qui la connaissent et l’aident même dans son organisation intérieure et sa survie.
Avant que l’orchestre des saameel ne quitte Senghor pour aller se présenter à des funérailles qui
se déroulent ailleurs, il y a une des familles sereer du voisinage qui a l’unique privilège de lui
remettre les baguettes dont il doit se servir pour battre le tam-tam.
Est-ce que les saameel sont une secte religieuse ; s’agit-il de moines animistes ? On ne sait pas.
Un grand point d’interrogation est là et qui attend une réponse.
En tout, voilà une caste détentrice de hautes et profondes connaissances qui se fait oublier et
qu’on oublie graduellement. Les assertions de la modernité n’ont aucune prise sur la doctrine
d’évolution des saameel. Son activité a été mise à rude épreuve par les religions et le modernisme.
Les funérailles de riches propriétaires de bétail (siide) ou de grandes autorités traditionnelles où
les saameel étaient conviés se font rares. Malgré tout cela, ils vivent dans un milieu hermétique
comme si rien n’était autour d’eux, la vie de monastère continue. Se sachant peu fréquentables
parce que pouvant reconnaître l’individu qui vient pour une seconde vie terrestre, ils sont
104
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
rarement sollicités par les Sereer mondains.
C’est ainsi que l’étiquette de saameel forge le respect parce qu’elle insuffle automatiquement
la peur. Pour le sereer donc, le saameel est avant tout l’agent intermédiaire qui communique avec
la mort. Grâce à sa grande connaissance de l’au-delà, de la nature, des plants et de l’être humain,
la caste saameel est pourtant très sollicitée en médecine traditionnelle. Il est sûr que discrètement,
elle peut dénouer de très difficiles problèmes de santé et surtout quand ils dépassent le cadre des
guérisseurs. L’autre énigme qui reste à savoir est :
Quel est le mode de vie des saameel ?
Quelles sont leurs origines et comment en tant que détenteurs de connaissances importantes, ils
se refusent de s’extérioriser ; d’être communicatifs ou de se verser dans la médecine traditionnelle
pour se créer un gagne-pain ?
Beaucoup de questions peuvent être en tout cas formulées autour de la caste des saameel. Tout
ce que nous savons d’eux, c’est qu’ils connaissent le monde sans être connus, ce qui reste une
énigme
104
À p ro p o s d e la mig ratio n
Avant d’entrer dans le vif de mon sujet ; j’évoque ici les propos de deux vieux de Ngayokhème qui sont venus à Dakar à l’époque coloniale. Je me rappelle ici les propos qu’ils ont avancés
lorsqu’ils nous racontaient ce qu’ils avaient retenu de leur premier contact avec la ville de Dakar.
Les narrateurs s’appellent : Amacoura Ndiaye et Waly Ndéo Diop Dione.
1) Voilà ce que raconte Amacoura Ndiaye
À cette époque, notre occupation après la récolte se résumait dans le commerce des calebasses.
On venait jusqu’aux Djiguème, à Mbousnakh pour les acheter. C’est après qu’on revenait chez
nous pour les revendre aux ménagères des villages environnants. Durant toute la saison sèche,
nous ne faisions que cela.
Pour aller à Mbousnakh, nous passions par Thiapy (non traditionnel de Bambey) et Khombole, et nous faisions nos voyages à pieds. Au cours d’une année, un groupe de camarades et moi
même, ayant été informé par Waly Dione (qui était déjà un habitué de Dakar) que l’on pouvait
trouver une occupation moins pénible à Dakar, nous décidâmes au cours d’une veillée d’y aller.
C’est ainsi que nous étions allés découvrir Dakar. Pour ce voyage à pieds, nous avions emporté avec nous d’importantes provisions de couscous. En cours de route, nous n’avions pas de problèmes, car nous mangions à notre faim.
Après cinq jours de marche nous arrivâmes à Dial-Diop (selon son propre terme).
Aussitôt nous allâmes à l’adresse que notre confrère Waly Dione nous avait donné pour le
retrouver.
Notre rencontre avec lui fut brève et édifiante car il nous dit : ici, c’est la ville, chacun se
débrouille à sa manière pour vivre. Moi, je n’ai pas de chambre où vous mettre, allez au marché
si voulez dormir.
Au marché aussi, il suffit de dire : Madame porter ou Barañini pour trouver du travail. Au
revoir et salut. Ainsi dit, ainsi fait, Waly qui devait s’occuper de nous, nous laissa pour compte. Et
puisque nos provisions de couscous étaient déjà finies, un début de famine menaça.
C’est après quatre jours presque à jeun que nous nous étions résignés à devenir des garçons à
tout faire ; c’est-à-dire des Barañini d’occasion, prêts à faire n’importe quel travail pour avoir de
quoi payer à manger. Quand notre calvaire dura deux semaines, nous décidâmes de rentrer au
village par tous les moyens. Sur le chemin du retour, nous nous étions transformés en mendiants.
Quand je suis arrivé dans notre concession à Ngayokhème, ma mère qui m’avait vu la première fondit en larmes. J’étais devenu tellement maigre que mon père me défendit de sortir de chez
nous pendant un mois durant.
Tout ce que j’ai retenu de ce voyage est que, de toutes les ethnies, l’ethnie lébou est la plus
méchante.
Quand j’ai refait un second voyage ces dernières années à Dakar, je ne pouvais plus
m’orienter pour savoir l’endroit où nous avions failli mourir.
2. Propos tenus par W aly Ndéo Diop Dione
Quand j’ai connu Dakar, il n’y avait que les quartiers de Yoff, Ouakam, Yeumbeul et le centre. C’est après une dizaine d’années qu’on nous offrait et gratuitement des parcelles loties pour
en faire d’éventuelles habitations.
Cette zone qui s’étendait entre le centre et Ouakam n’était autre que le fief des chacals et des
singes. Aujourd’hui, elle est couverte par les actuels quartiers de Grand-Dakar, usine Ben Tally et
autres.
Par le canal de mon ami Becaye II, ancien lutteur, on m’avait même donné une parcelle lotie.
106
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
C’est à partir de ces deux récits qu’il faut déduire que l’émigration vers les centres urbains
d’un sérère n’était et ne peut être motivée que par deux raisons : l’aventure ou l’impossibilité
d’avoir une existence sociale respectable avec le voisinage.
Pour le cas de Monsieur Amacoura Ndiaye, ce fut une pure aventure. Sans suite, puisque le
dénouement fut très pénible, le sujet n’a plus recommencé. Il est resté à son village, a fondé une
famille importante. Il est aussi rare qu’il trouve le besoin de venir à Dakar sauf dans le cas où il
est convoqué ici par son fils aîné qui est professeur de CES.
S’agissant du second cas, celui de Waly Dione, c’est l’environnement social qui l’avait
contraint à émigrer. Il fut et reste un voleur de profession. Un peu partout il a été appréhendé et
puni.
C’est à cause de cela que ses propres parents avaient même usé de moyens occultes pour le
faire mourir. C’est pour parer à ce danger qu’il avait préféré fuir son village.
Maintenant, nous allons aborder et développer les situations contraignantes qui vouaient le
Sereer au suicide ou à l’émigration. Les plus courantes étaient les suivantes :
I. Qicir alam xa qol (Litige ou conflit pour l’héritage des terres ou exploitations paternelles)
Dans ces genres de conflits, les bagarres rangées ou la justice royale ne réglaient pas tous les
problèmes.
C’est ainsi que les frères antagonistes se rabattaient vers la pratique occulte pour continuer leur
combat. Et grâce à une pratique que les Sereer appelle Raar o kiin (faire quitter une personne et
pour de bon son village pour une destination inconnue) que le plus poignant des frères restait
dans la concession paternelle et l’autre la quittait pour une destination aventureuse et inconsciente.
Le frère résidant s’appropriait les terres objet du conflit qu’il récupérait d’un frère moins combatif et qu’il a pu chasser par des moyens traditionnels mystiques. De nos jours, un tel émigré meurt
dans une contrée inconnue et loin de sa famille, de son village. Rares sont parmi eux ceux qui ont
réussi à se faire enlever ce mauvais sort qui les écarte de leur lieu de naissance.
II. Yoom (l’impuissance sexuelle).
À cause de cette tare qui était dite naturelle par les Sereer et qui en fait découlait souvent
d’une pratique de circoncision archaïque et tardive ; beaucoup d’hommes sereer se sont suicidés
ou ont fui leurs villages pour ne plus y mettre les pieds.
Pour les Sereer d’hier impuissance était égale à suicide ou émigration. C’est maintenant et
seulement que le milieu sereer a trouvé des palliatifs pour contrecarrer les premières solutions que
l’on adoptait en cas de non-virilité sexuelle. Le plus fréquent est de marier l’impuissant à une fille
grosse avant le mariage. Grâce à cette union, le mal est conjugué et la victime même joue tellement le jeu que son entourage est vite rassuré que c’est un homme normal.
Jadis, l’impuissance sexuelle et l’accusation de sorcellerie fondée étaient les deux plus
honteuses situations sociales qui mettaient automatiquement l’individu en relégation perpétuelle.
III. Naq (l’anthropophagie)
Pour ce qui concerne cette situation, la suspicion anthropophagique fut plus importante.
Cependant, dans les cas où elle est devenue fondée grâce au njafir (l’accusé(e) plaide coupable en
avouant lors d’une crise de démence ses forfaits. C’est toute une famille directement impliquée
qui émigrait.
Voilà une famille qui sait automatiquement qu’elle est reniée. la seule chose à faire est d’aller
se fixer ailleurs car au niveau du terroir, son épanouissement est forclos. Les alliances qui développent et élargissent le tim sereer ne se noueront plus avec elle sauf avec une autre famille qui est
dans la même situation.
Après le départ d’une telle personne ou famille les voisins avaient souvent coutume de dire : a
sooÚka no maaq. Il est allé disparaître en mer. À travers tous les villages sereer, cette famille
d’anthropophage n’était plus admise. Pour trouver un lieu de résidence, il fallait aller derrière les
eaux.
Traditionnellement, c’est Foundiougne qui était le centre urbain le plus proche du Siin. Il fut
À propos de la migration
107
le berceau de tous ceux qui étaient reconnus jadis comme anthropophages. C’est par la suite que
Dakar, Kaolack et Thiès ont été servis.
C’est dans le cas de l’anthropophagie que certaines femmes sereer, et exclusivement dans ce
cas, ont tôt connu l’émigration et les villes.
IV. O Lus o fagu (la fin du sein maternel)
Dans le cas d’une extinction de la famille maternelle directe, le survivant ou le peu de survivants qui restent émigraient pour aller se reconstituer ailleurs.
D’autres formes de migrations secondaires existaient aussi. Elles étaient motivées par :
a) Caasaay mbaa njublafi (la fainéantise ou la délinquance). Pour ce qui concerne les
délinquants (voleurs, faiseurs d’actes antisociaux, tels que le kidnappeurs de femmes d’autrui,
certains endettés), leurs places en famille étaient vite perdues. Ils étaient laissés pour compte et ne
bénéficiaient plus pour cela de considération sociale quelconque.
Les fainéants et les paresseux qui se caractérisent par la peur de la vie paysanne subissaient
aussi le même sort. La seule issue pour ce genre d’individus était de s’en aller.
b) Mbin o maad (la justice royale)
Traditionnellement le Sereer disait : oxuu’maad a bugna gef o ndok of o Úuf mbaa’raay ; ce
qui veut dire : quand le roi décida de détruire ta famille, il faut fuir ou émigrer. Raay = émigrer.
Dans une telle situation, le Sereer avait l’habitude d’aller en exil et cela sur la pointe des pieds.
Ainsi, il ne se sentait en sécurité que lorsqu’il était hors des limites géographiques du royaume.
Tant que le roi qui l’avait pris en mal n’était pas mort, il ne revenait plus à son village natal.
C’est une migration qui permettait de fuir les vexations judiciaires traditionnelles. Les riches
bergers ou les pères de familles qui avaient des épouses ou des filles très belles se résolvaient souvent à cette forme de migration pour protéger leurs biens humains ou animaux de la convoitise
royale courtisane.
c) O ñak o xooxand (le manque de terre à cultiver)
Faisant l’objet d’une dépossession de ses lougans, le paysan sereer n’avait d’autre solution que
l’émigration. Quand une famille importante manquait de terres à exploiter, elle émigrait en tout
ou en partie.
Un proverbe sereer dit aussi : Seereer bugee lamom qui veut dire : Le Sereer n’aime pas son
héritier. Cela a toujours fait qu’un neveu fuyait son oncle dès que ce dernier devenait riche. Le
neveu d’un roi vivait en exil et hors du royaume jusqu’à la mort de son oncle.
De coutume, entre ce neveu héritier et son oncle, un climat de méfiance de suspicion et de
guerre froide a toujours sévi. Et, dit-on, parce que l’un était toujours pressé d’avoir son héritage,
tandis que l’autre voulait toujours prolonger sa mainmise sur le patrimoine héréditaire. Ainsi, le
bonheur de l’un ne pouvait poindre qu’après la fin de l’autre. Mutuellement donc, neveu et oncle
ont de tous les temps cherché à s’anéantir. Le neveu était pour écourter le temps de gestion des
biens que détient son oncle qui ne lui reviendraient qu’après la mort de ce dernier.
Quant à l’oncle, il aimerait voir la mort de ce rival pour être à l’aise ; en fait pour ne plus
avoir toujours la hantise d’une mort qu’on lui prépare constamment.
Voulant se préserver et attendre le temps qu’il faut, le neveu émigrait loin de son oncle. Ne
revenait au village que pour organiser les funérailles de ce dernier et prendre l’héritage qui lui
revenait à partir de ce moment.
Voilà sommairement, quelques cas qui obligeaient souvent un Sereer d’aller en migration.
L’ex o d e ru ral d an s le p ay s Njaafaaj
L’exode rural a animé la chronique intellectuelle bien des années avant d’être tu. Des spécialistes ont fait des enquêtes urbaines pour connaître en profondeur les mobiles et les différentes
causes qui font la réalité de l’exode rural. Tout dernièrement, j’ai été un peu associé dans le volet
urbain d’une enquête qui cherchait des données approfondies sur le MST quant à leur incidence
dans le milieu sereer qui séjourne en ville. Un questionnaire assez détaillé qui fouinait le train de
sexualité de nos sœurs rescapées était administré et d’une manière formelle. Une certaine rigueur
intellectuelle y était sentie sans nuance. Les conditions urbaines de vie y étaient aussi prises en
compte.
En fait, des précautions intelligentes entouraient l’ensemble des questions qui furent posées au
cours de l’enquête. Le résultat semble donner une idée force qui dit que la ville n’a pas changé la
nuptialité des ruraux qui vivent circonstanciellement à Dakar. Les MST n’ont pas de répercutions
importantes dans cet échantillon. N’étant pas sociologue, anthropologue ou un intellectuel spécialisé pour mener une quelconque recherche en ce domaine, je ne peux que faire la description du
vécu d’un groupe auquel j’appartiens.
Mon intention n’est point de faire la critique de ce qui a été déjà dit de mal ou de bien de
l’exode rural. Cependant je partirai du proverbe d’un sage sereer qui dit ceci : kuu gakinna fosoow fogee ta : tout ce qui entache le lait caillé n’en fait pas partie. En clair, un passage ou même
deux à la bergerie ne permet pas de connaître les vaches laitières les plus riches en lait. Ainsi,
l’observation intellectuelle et ses démarches ont donné leurs conclusions. Ce qu’ils trouvent intéressant en appliquant une théorie scientifique qui leur est propre peut convaincre son milieu.
Malheureusement, les analysés (que nous sommes) ne se reconnaissent pas du tout dans ce qui est
dit ou écrit. J’espère que pour combler cette lacune, il est important de faire une analyse claire et
spontanée de l’exode rural, de ses hauts et de ses bas en partant vécu de groupe auquel on appartient.
Pour faire une telle analyse deux principes fondamentaux me guident : la mentalité autochtone venant du terroir et la mentalité-synthèse des conditions de vie urbaine. La description comparative de ces deux principes nous permettra d’entrer en plein dans la connaissance profonde de
l’exode rural.
En détails, voyons d’abord la mentalité du terroir.
Elle part d’une décision venant d’une cause néfaste. L’intéressé est devant un fait accompli.
L’hivernage n’a pas marché que faire ? Réponse en soi, aller où vont les autres.
La direction de marche oriente vers la ville. L’arrivée et l’accueil reçus de quelques parents ou
connaissances déjà rompus à la vie urbaine ne trompent pas. La vie du ghetto commence.
L’hospitalité reçue est brève. S’adapter au milieu ne s’apprend pas, on le vit automatiquement. Le
déserteur du terroir qui arrive est versé aussitôt dans des conditions d’existence qui sont les suivantes.
a) le partage du lit. La première nuit du saisonnier (d’abord) ou du migrant (l’enlisement) récent
dans le quartier de xasiir axaa (quartier Usine Beny-Tally) (les troupeaux) l’édifie de ce qui va
suivre. Couchés en porte à faux, chaque lit contient au moins cinq gaillards abattus par le vagabondage journalier qu’exige la recherche d’emploi. Par terre, des cartons d’emballage servent
aussi de couchettes de fortune. La grande aube est le réveil du saisonnier ambitieux. Il fera le
deuil du petit déjeuner au couscous fumant. À la place, c’est le bout de pain et une tasse de café
qui sont pris et périodiquement. Dans la semaine, est chanceux celui qui obtient deux journées de
travail. Pour le double salaire de ces deux jours d’activité, le saisonnier le répartit en quatre parties : la première est une épargne en vue du retour ; la deuxième est grignotée petit à petit et assure la nourriture de l’intéressé durant ses périodes de chômage facultatif ; la troisième reste à côté
de la première et devra garantir de s’acquitter d’une contribution pour payer la location de la
chambre où l’on vit avec les autres camarades. Quant à la quatrième partie, elle n’existe que
quand le saisonnier trouve du travail durable. Elle assure d’une façon rarement régulière les frais
de transport de ce dernier pour arriver au lieu de travail à l’heure.
L’exode rural dans le pays Njaafaaj
109
Les fins de mois imposent la date du paiement des locations est un cauchemar à Cité Bissap.
Beaucoup de migrants sont vidés de leurs dortoirs et courent à la recherche d’un autre endroit.
Certains malins rejoignent d’autres connaissances qui disposent d’une chambre où il y a un peu
de place.
Pour le saisonnier, cette période est une expérience supportable. Il l’accepte, car l’idée réconfortant du retour au bercail l’anime. Durant tout ce temps, il se cramponne sur sa gibecière
d’économies et n’envisage aucune dépense importante. Il évite les relations tentantes (pas de copine, pas de liaisons avec les migrants sédentaires).
Son seul souci est d’amasser assez de ressources grâce auxquelles il ira combler le déficit de
concession qui l’attend. Durant le laps de temps qu’il fait en ville, il ne refuse aucun travail. Il est
dans la confection des briques, dans la construction des immeubles ou dans le débroussage des
jardins maraîchers à renouveler, etc.
Qu’importe la nature de l’emploi offert. Pour lui, l’essentiel est d’avoir rapidement un peu
d’argent avant l’approche de l’hivernage. Certains de ses saisonniers vivent souvent dans les écoles publiques où un parent est gardien. Ceux-là ont la chance de n’avoir pas à payer la tracassière
location. De retour au village, ils ont l’essentiel avec eux. Ils s’acquittent de la taxe rurale qui attendait, ont des vêtements neufs pour l’épouse, les enfants et pour eux-mêmes. Dans le cas du
jeune saisonnier qui n’a pas une charge familiale, si le produit de sa saison est vraiment rentable,
il arrive même qu’après avoir donné gracieusement une certaine somme aux parents, il s’achète
des petits ruminants, une génisse ou une jeune jument et qu’il élève, sous entendu qu’il s’agit
pour lui de biens qui peuvent être revendus pour la régularisation de son futur mariage.
b) La faim. C’est la faim qui déterre tous les vices et les qualités de l’exode rural. La cité urbaine
étant le centre de gravité de l’individualisme et de l’égoïsme, il est clair que chacun mange de sa
poche. La pratique solidaire du terroir y est vite ensevelie. Il faut alors nécessairement travailler
pour avoir de quoi acheter à manger. Dans le ghetto, nul n’invite son camarade à venir partager
le plat qu’on achète à la gargotte du coin.
Pour aller manger, chacun y va sur la pointe des pieds. La loi fondamentale de la ville en ce
domaine est bien connue : chacun pour soi et Dieu pour tous. Endurer la faim pendant les périodes de vache maigre est le premier article instauré en ville pour le cru de l’exode rural.
Dans le tas, les débrouillards trouvent sous peu des remèdes et palliatifs contre ce manque.
C’est dans ce tas d’ailleurs où nous trouverons les vrais principes idéologiques de l’exode rural.
Quand aux saisonniers, ils représentent un groupe passager que l’on peut diviser en deux
sous-groupes.
Le premier est celui des nostalgiques. Il ne supporte pas la faim et d’autres animosités urbaines. Dès que possible, il retourne au village tant bien que mal. Ceux de ce qui ne supportent pas
une telle expérience ne reviennent plus en ville.
Le second est celui des passionnés. Dès leur arrivée, ils ont des simulacres d’emplois de fortune à facettes rémunératrices. Grâce à leur brève durée, les camarades appréhendent vite que ce
genre d’occupation, tout compte fait, n’est que trompeur. Ils en tirent alors le maximum pendant
la durée de la saison, mais quittent la ville dès que s’annonce le temps préhivernal.
Jadis, les filles sereer appartenaient à ce second sous-groupe. Avec les premières aspirations
bourgeoises du début de l’indépendance, la ville consommait une importante main-d’œuvre saisonnière. Nos sœurs étaient aussitôt enrôlées dans le circuit de la main-d’œuvre domestique. Mais
à cette époque aussi, seules les filles en instance de mariage venaient à Dakar. C’était seulement
pour y préparer leur futur mariage. En rentrant, elles s’achetaient tous les éléments pouvant embellir, voir grossir leur trousseau de future mariée. Celles de cette année ne revenaient plus, car
dès leur retour, elles regagnaient leurs domiciles conjugaux. La marge de tolérance d’une saisonnière était fixée à quatre mois au maximum par ses parents. Et ce maximum d’ailleurs n’était admis que dans le cas où une épouse en voie de divorce devait travailler pour avoir de quoi rembourser le coutumier premier don (may bu njek) qu’elle avait reçu lors du mariage. Elles ne venaient donc en ville que dans un but bien déterminé et quittaient la ville dès qu’il était satisfait.
C’est au cours de cet exode honorable qu’une vague de débrouillards profitera de l’occasion
pour donner un autre sens à l’actuel exode rural. Un fléau cyclique de sécheresse l’aidera par
coïncidence à promouvoir tous ses désirs.
Grâce à l’absence ou au retard d’hivernage, la notion de saisonnier devint périmée. Elle est
vite remplacée par un sédentarisme migratoire dont les débrouillards vulgariseront et en tireront
110
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
tous les profits possibles. Dans l’autre plat de la balance, les conséquences pèseront aussi.
Mais en fait, qu’est-ce qu’un débrouillard? Au départ, il est saisonnier. En quittant son village
il dit au revoir, mais dans son for intérieur, l’au revoir et l’adieu s’avoisinent. Déçu par la nature
et déçu par son propre fief, il quitte après avoir bien mûri ce proverbe emprunté aux anciens vagabonds et aventuriers : o koor jegee mbind faap, mbind tedaanga’jegu : l’homme n’a pas de
concession paternelle traditionnelle, il n’a qu’une concession de bonheur. En clair, il ne s’agit pas
de s’enraciner dans un patrimoine qui n’offre plus de contrepartie. Mieux vaut donc aller à la recherche d’un lieu où on renoue avec le bonheur.
Dès qu’il arrive en ville, le débrouillard se libère de toutes ses nostalgies campagnardes. Il aiguise alors ses talents et affute ses armes qui ont pour noms : intelligence, caprice, ambition, etc.
Dès que les circonstances sont favorables, il n’hésite pas. Le débrouillard est prêt à mettre la
main dans toutes les sauces. Au départ, il ne dédaigne aucun travail, pourvu que cela rapporte. La
première idée qui lui vient est de faire rapidement fortune. En son terroir il était et il le sentait. En
ville, son intelligence et son sens de l’observation rationnelle lui montrent vite que la philosophie
urbaine vénère le culte du paraître. Il prend vite la grande décision : l’émancipation pourquoi
pas ? L’idée de retourner au village passe au second plan : celle qui consiste à faire rapidement
fortune pour aider les parents qui attendent devient son objectif.
En fait l’émancipation est ce virus sorti des décombres de l’exode saisonnier pour donner le
fléau épidémique de l’exode rural qui est aujourd’hui vécu dans sa déplorable réalité endémique.
Alors qui dit émancipation opte automatiquement pour l’insertion. C’est ce que fait le débrouillard cette cellule dynamique de la migration urbaine. Il devient un bon à tout faire. Il n’est
pas seul dans cette situation. À côté, des bonnes à tout faire évoluent aussi dans la même et au
même rythme. L’insertion et ses canaux trompeurs aident ainsi à l’épanouissement de l’exode rural. C’est alors que la ville lance dans la mêlée tous ses tentacules malfaisants. Des cas de réussites
ou de pseudo-réussites sont cependant exceptionnellement rencontrés. On les retrouve dans le
groupe débrouillard des semis-lettrés. Ils deviennent, quand ils sont encadrés ou hébergés par des
parents travailleurs du circuit réguliers, des chauffeurs, mécaniciens, maçons ou transitaires du
commerce après une formation de quelques années.
Le reste, ne tarde pas à découvrir la façade sombre du secteur informel. Dans son carcan, il
n’y a que le travail journalier. Le débrouillard travaille deux jours par semaine. Quand il récupère
ce salaire négocié loin de toute grille indiciaire légale, il se le partage avec l’auguste pointeur qui
l’a recruté. Ce pourboire forcé facilitera son réemploi au cours d’une autre semaine. Un processus
d’existence devient alors intelligible pour le débrouillard. Accepter la ville comme maladie et remède. Les migrants commencent par le regret mais finissent dans la résignation. Mo mbind, mo a
koπ (perdu pour la concession et perdu dans l’aventure) arrive. Notre débrouillard entre de pleins
pieds dans l’enlisement.
L’enlisement ou mieux, le pourrissement dans les villes est le côté le plus néfaste de l’exode
rural. Débrouillardes et débrouillards ont accepté d’être affamés ; des sous employés, des aigris du
logement à la sauvette pour refuser le retour dans le patrimoine vétuste de nos villages. En retour
que leur offre la jungle urbaine ? Une émancipation qui se caractérise par le vice, la déchéance et
les regrets superflus. La ville nous engloutit finalement dans son ventre carcéral. La probité morale acquise au terroir devient dangereuse à évoquer. Une analyse comparative de cette ancienne
vertu avec l’anxiété perverse vécue en ville donne au débrouillard la clef de la dernière solution :
la révolte. Dans le ghetto, on l’appelle le défoulement.
Ce sursaut du débrouillard dérive de la frustration où nous enveloppe la ville et ses habitants
potentiels. Tout en protégeant ses vrais enfants en créant des débouchés pour eux, la ville nous
laisse pour compte. Comme des cobayes où vient succomber sa haine la ville colle sur le dos des
migrants des étiquettes préfabriquées. Malheur pour nous ; elle nous laisse la liberté de les rendre
célèbres. Elles ont comme nom : sanguinaire, guerrier, saaba et disquettes pour les débrouillardes
nouvelle version. Pas de travail régulier ; on ne mange pas à sa faim, on dort mal, un climat
d’hostilité environne. En tout et pour tous que voulez-vous qu’un débrouillard fasse ? De toute
façon il faut vivre. Pour les uns, c’est l’apprentissage du vol à la tire, la fouille des ordures pour
trouver un objet commercialisable. Quant aux autres, c’est le vol net, les agressions et autres
moyens violents qui permettent de tenir le coup. Le défoulement atteint son zénith dans l’alcool.
À ce stade, le débrouillard perd l’émancipation, mais s’urbanise dans la débauche, la délinquance
et vive le Sereer urbain ! C’est la vie amorphe du griot artiste : vivre au jour le jour. Il tisse alors
un nouveau réseau de relations douteuses et extra-sereer. Certains s’introduisent même dans des
bandes dont ils ne peuvent se désolidariser qu’en fuyant la ville. Les combats aux couteaux pendant l’ivresse qui atténue le désœuvrement, deviennent une source intarissable de défoulement.
L’exode rural dans le pays Njaafaaj
111
Les sanguinaires se démarquent ; les guerriers deviennent une tourmente pour nos sœurs.
L’amour par sentiment connu au terroir est remanié. La possession par la force et sans avis est de
rigueur. Déflorer une jeune fille devient alors un service rendu. Les disquettes sereer animent aujourd’hui les rues de la cité urbaine avec leurs guerriers jusqu’aux environs de l’aube. Elles les
font vivre de leur travail ; les habillent, leur donnent de l’argent de poche pour ce payer des cigarettes ou du « SS » (l’alcool sum-sum). Grâce à cet apport chaque débrouillarde s’accoude sur son
protecteur guerrier. C’est le copain, le fiancé de fortune. Le mal de nos parentes bonnes de maison commence à partir de la grossesse. Les débrouillardes enceintes entrent automatiquement dans
le lot de la réforme. Elles ne travaillent plus, sont souvent malades et contraintes de rentrer au village ou de vivre la misère jusqu’à l’accouchement.
C’est sous ce climat incontrôlable que s’est créé en outre le concubinage forain. Un jeune Sereer urbain qui réussit à avoir une chambre individuelle n’a plus besoin de se marier. À chaque
soir, il peut sans faire d’avances courtoises dormir avec une débrouillarde. Les dortoirs occupés
par nos sœurs ne sont jamais sains. Elles vivent en surnombre et ne sont jamais issues d’un même
village. Dans ces conditions, dormir jusqu’au lendemain reste l’essentiel. L’esprit individualiste
aidant, chacune de ces filles ne pense qu’à son propre sort. Au lieu d’un lit collectif, c’est des
paillasses ou des cartons qui sont étalés sur leur sol.
Aller dormir dans la chambre d’un saaba (saint ou apôtre qui accompagnait le prophète Mahomet) ou un confort humain existe est un répit pour nos sœurs.
Aujourd’hui, leur retour en campagne pose problèmes. La maladie seule oblige certaines
parmi elles à retourner au village.
Dans ce cas, ce sont les parents qui sont restés au terroir qui viennent souvent récupérer le ou
la malade. Ces rapatriements nécessaires n’apportent généralement pas grand chose. Les malades
sont dans un état comateux avant d’être évacués, il est clair que le taux de mortalité qui en résulte
est important.
Les maladies les plus courantes sont :
1. Sekete : c’est une maladie à boutons du genre varicelle. Quand éclatent ces boutons, ils deviennent des plaies qui peuvent durer. Ces boutons se retrouvent un peu partout sur le corps.
Quand une fille est atteinte de cette maladie, la seule solution est de retourner au pays. Tant
qu’elle est dans cet état, elle n’aura plus d’emploi.
2. Xa pud xa †om : les douleurs abdominales. Elles sont dues aux aliments tièdes que certaines
filles mangent le soir. Les restes de repas que les employeurs offrent aux bonnes de maison ne
sont généralement pas réchauffés. Elles les mangent comme cela quand elles reviennent chez elles
le soir. Il en résulte des maux de ventre variés.
3. Les M ST. Ce sont les maladies les plus courantes et les plus ravageur dans les rangs du milieu
migrant. Les débrouillards émancipés en sont les vecteurs. En passant, il faut noter que les débrouillards satisfont leur soif sexuelle chez des prostituées au rabais avant d’accepter d’être assidus chez les débrouillardes qui n’ont pas l’expérience de reconnaître qui est malade des MST ou
non. La MST étant une maladie dite honteuse en général, le malade ne sera connu qu’au stade
critique de son mal.
Il préfère dans ce cas aller consulter le charlatan du coin et le plus prévoyant ira voir
l’infirmier ou le garçon de salle retraité qui fait dorénavant une pratique officieuse de la médecine
illégale.
Les maladies MST les plus courantes et les plus rencontrées sont le chancre et le tokormboose.
Le chancre étant connu, je ne ferai ici que la description du tokormboose. Tokormboose est
donné dit-on par la femme rompue aux rapports sexuels et qui finalement mouille vite.
D’habitude, son hygiène finit par se dégrader et fait qu’elle devient extérieurement propre, mais
intérieurement sale. Dans ces conditions, avoir des rapports sexuels avec une telle femme engendre le tokormboose. C’est une maladie qui se manifeste par des boutons qui sillonnent tout le
pourtour des testicules et suivent l’espèce de cordon qui part du sexe vers l’anus. Ces boutons
donnent en permanence l’envie de gratter le sexe, les fesses et l’anus. C’est ainsi que le malade de
tokormboose peut se gratter jusqu’au saignement mais n’aura jamais envie d’arrêter. Il ne porte
plus de slip car la chaleur que dégage cette maladie par le dessous du malade a toujours besoin
d’air.
112
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Pour revenir aux MST en général, leur traitement n’aura pas de statistiques urbaines ou en
médecine moderne pour ce qui concerne le groupe migratoire sereer. Leurs soins ne se font presque pas en ville et ne s’envisagent qu’en dernier ressort. Les malades sont renvoyés en médecine
traditionnelle au village. Certains sont tirés d’embarras, les autres meurent là-bas. La même procédure est applicable aux grossesses. Nos sœurs qui résident en ville ne sont pas courtisées, elles
sont violées car la loi du ghetto qui couve l’exode ne reconnaît pas le consentement.
Les copains fortuits qui rôdent chez l’innocente sereer ne le font qu’en cas de nécessité et il
faut satisfaire leurs besoins sexuels si l’on veut avoir la paix. Les débrouillardes qui sont dites résistantes finissent par mollir à cause des bastonnades discriminatoires dont elles sont souvent victimes. Dans cette situation, la grossesse n’a pas d’auteur présumé. Pour sa régularisation, la fille en
question, son amie ou une proche parente négocient dans le tas pour lui trouver un consentant.
Qu’un jeune débrouillard dise « oui », je suis l’auteur d’une grossesse, est une grande source de
soulagement pour la fille enceinte. Ce oui est du vent pour le consentant. D’habitude, c’est un oui
qui ne l’engage pas. Les exigences de la grossesse seront totalement à la charge de la malheureuse. À l’approche de l’accouchement, la solution de dernière heure est de rentrer au village. Elle y
restera avec son enfant quand il est vivant jusqu’au sevrage avant d’envisager son retour en ville
si elle n’a pas eu de mari avant.
Au début de l’exode, ces futures mamans étaient offertes comme épouse de circonstance à des
adultes qu’elles n’auraient pas aimées en situation normale. Dans leur état, elles sont toujours
consentantes, mais dès qu’elles se libèrent de la grossesse, c’est le divorce pur et simple qui suit.
Dans la majeure partie de ces cas, la fille revient en ville retrouver ses anciens copains débrouillards et saaba.
Pour la prise en charge de ces naissances à problèmes, c’est la mère de la fille, une tante ou
une grand-mère qui élève l’enfant.
Ce sont ces vieilles filles mères qui se sédentarisent. Leur contact avec le monde rural ne se fait
plus qu’à l’occasion des cérémonies et des visites qu’elles y effectuent presque annuellement pour
aller voir leurs enfants.
Au début de l’exode aussi, elles servaient de réceptionneuses de saisonnières dans leurs chambres. Grâce aux cotisations qu’elles infligeaient à ses dernières pour la paye de sa chambre, elles
vivaient aisément. En plus de la gestion du groupe de saisonnières qu’elles avaient en main, le
rôle de souteneuses (en un mot : genre chambre close) qu’elles y jouaient rapportaient aussi. Aujourd’hui, les filles qui arrivent évitent d’aller chez ces prétendues parentes. Au terroir, on les
considère comme des voleuses, des détourneuses et des prostituées. Aujourd’hui, la fille quitte le
terroir avec les conseils de ses parents comme tuteur. En ville, elle se dérouillera pour vivre avec
des camarades. Pas de parent, pas d’ami pour être protégée. Il faut l’accepter une bonne fois pour
toutes. En ville, chacun pour soi et Dieu pour tous. Il n’y reste qu’un trait de solidarité capable de
regrouper les Sereer d’un quartier, c’est la mort d’un des leurs.
Pour envoyer une dépouille au terroir, une étincelle de solidarité jaillit. Tous ceux qui
connaissent le défunt vont à la morgue. De petites contributions y sont effectuées et remises au
groupe restreint qui se chargera du transport et frais pour acheminer le mort jusqu’à son village
de provenance.
Dans ce domaine, nos illustres intellectuels qui sont cadres ou fonctionnaires nous reviennent
aussitôt. Un grand esprit d’assistance les anime subitement. Le prêt d’un véhicule de service et
une négociation rapide pour sortir les papiers de transfert du défunt qu’on doit enterrer au pays
sont vite reçus. Dès que le cadavre est en route, ce type de Sereer cartésien s’éloigne comme il est
venu de la vermine que constitue le cru de l’exode rural. L’exode rural en tant que nouveau
concept sociologique cache cependant un amalgame qu’il faut démystifier. Ce phénomène migratoire renferme deux tendances qu’on assimile à lui, mais qui ne peuvent être du lot. Il s’agit des
exilés et des aventuriers de circonstances. Voyons pourquoi.
Les exilés sont des gens qui ont été dans une situation telle que fuir le terroir restait la seule
solution. Il s’agit là d’un groupe victime de la proscription (ce groupe renferme les accusés
d’anthropophagie, les parricides, etc.). Ils sont venus en ville pour se faire oublier. Dès leur arrivée, ils épousent les mœurs urbaines, y tissent de solides alliances car leur retour au terroir
n’effleure plus l’esprit. Ils s’émancipent rapidement, se sédentarisent pour de bon, et coupe toute
relation avec le milieu d’origine. Certains changent même quelque chose dans leur filiation pour
rendre leur disparition totale et anonyme.
Seule la réussite et la richesse les ragaillardissent pour qu’il envisagent d’aller rendre enfin de
rares visites de courtoisie aux parents d’hier. Dans cette même rubrique, les impuissants sexuels
L’exode rural dans le pays Njaafaaj
113
sont nombreux. Ils sont d’ailleurs à l’origine de la promotion de certains mariages de complaisance qui se nouent en ville. Beaucoup de filles de l’exode rural qui optent pour la vie en ville sont
souvent récupérées par ces tiers qui ne font que combattre pour fonder une famille fictive leur
servant de parade et les valorisant dans le concert des hommes véritables. J’ai une femme et des
enfants veut dire je suis viril, cela même si c’est le contraire qui s’avère fondé.
Quand aux aventuriers, ils ne deviennent des résidents que malgré eux. L’opulence peut les
embourgeoiser et les décider tout bonnement à rester. Dans le second cas, c’est la vieillesse qui les
surprend en ville et leur capacité de vagabondage devient réduite. Notons qu’il existe de rares retournement de situation ou quelques uns de ces assimilés à l’exode rural retournent au bercail,
quand cela intervient la famille qui les accueille dira à son insu = kaa ßoxotiid o dalum = il est revenu pour nous remettre sa dépouille.
L’on ne peut conclure sans aborder les considérations traditionnelles qu’explicitent l’exode
rural.
Pour les autochtones restés au village l’exode rural découle de deux considérations fondamentales et opposées. On les appelle : a ©ii† a koπ et a ©ii† mbind. Voici ce qu’en dit la tradition sereer :
a) a ©ii† mbind ou créature de concession est née dans la concession ; est pour la concession – reste dans la concession –, grandit et vieillit en s’occupant de la concession. Enfin, il meurt dans la
concession en passant le flambeau qui garantit le patrimoine à une autre ©ii† mbind.
C’est ainsi que certains anciens disent derrière leur fils parti en aventure : refee’©ii† a koπ : a
reta, ndaa xan a gat. Il n’est pas une créature de brousse (créature aventurière), il est parti, mais
reviendra. En fait voilà une réalité qui se vérifie dans les rangs de l’exode rural. Le retour aux
sources se manifeste au départ par des crises de pangool. Au moment des transes, le sujet ne délire
que son besoin de rentrer. Les fréquents voyages au terroir pour y effectuer des libations sont de
cet ordre.
Dans les cas où l’intéressé insiste de rester en ville parce qu’il y trouve son compte,
l’obligation de retourner au village par les pangool est souvent violente. Elle se manifeste alors
par une folie démente qui ébranle l’individu. Dès qu’il rentre au village, il est guéri, mais doit y
rester pour de bon. Ce genre de maladies est fréquent dans le milieu migratoire sereer. L’on rencontre aussi les paralysies mystiques avec perte de voix et d’autres tracasseries sans nom. Toujours
est-il que la finalité est le retour du sujet au bercail.
b) a ©ii† a koπ. Ce genre d’individu est un déraciné de naissance, pendant qu’il est là un ancien
qui l’a reconnu tôt dira à son père : Ñofi jalnoorin de ; xan a ret ; a ©ii† a koπoo. Dépêche-toi de
le faire travailler (pour le père) ; il partira car c’est une créature aventurière.
Ainsi donc, le monde rural qui est la victime principale pour ce qui concerne son dépeuplement ne pense pas qu’il s’agit là d’un fléau migratoire dangereux, mais tout simplement d’une
purge nécessaire. Ces ©ii† mbind resteront dans les concessions et au village. La consolidation du
patrimoine, voir son épanouissement ne se fera que par eux.
Quant aux a ©ii† a koπ, ils ont été prédestinés dès leur naissance à la vie errante. Ils sont nés au
village ; ils peuvent grandir là-bas aussi. Pour vieillir et mourir, ils quittent pour aller se rapprocher de leur tombe lointaine et inconnue.
Les vestiges sereer
Pour bien pénétrer les vestiges sereer, il est prudent de partir du simple vers le composé. Le
simple regroupe le fondamental, l’essentiel et l’authentique.
Quand au composé, il sera l’analyse de certaines spécificités dans l’ethnie, d’innovations particulières fruits de l’humeur, du caprice et de la nostalgie du lieu d’origine dans le cadre des migrations, des exils, etc.
Le simple, mais le fondamental parmi les vestiges sereer commence par le kurcala et le †een
yaay.
Cette méthaphore sereer est claire : o kurcala ßaax fa tuu©ir ; †een yaay a un fo maak. À la
lignée paternelle, la hache et le manche d’hilaire ; au sein maternel, le pilon et la planche égreneuse de coton.
En fait, tout détenteur de cette hache et du manche d’hilaire paternels devenait automatiquement et en droit coutumier le gestionnaire des terres du ressort de la lignée paternelle. on
l’appelait d’ores et déjà, yaal ßaax le no mbine : le propriétaire de la hache de concession.
Jadis, quand le yaal-ßaax avait sa hache sur l’épaule et se dirigeait à l’approche de l’hivernage
vers les champs paternels (xa qol faap ou xa qol mbin), il était suivi de tous les ayant-droits. Son
geste voulait dire qu’il allait faire la répartition des champs à cultiver.
Sur place la distribution était aussitôt faite. L’épargne de terre à laisser en jachère était indiquée (ñarin).
l’ensemble de ces espaces-épargne constituait ce que l’on appelait jadis a tos a tiigir : zone de
parcage. À côté, il y avait aussi ce qu’on dénommait xa kodand : bosquet qu’on laissait toujours
inculte en guise de lieu d’aisance. Ces bosquets servaient encore de lieux de pâturage pour les petits ruminants.
C’est enfin de compte cette hache et ce manche d’hilaire qui constituait l’unique héritage matériel que laisse le père à son enfant. Tout le reste des ressources paternelles allaient vers sa famille
maternelle. C’est pour dire que l’important laissé par un père mort revenait à ses frères germains
ou à ses neveux.
∫aax-faap est donc la hache-symbole de la solidarité paternelle. Elle fut et reste le moyen de
fixation des concessions de nos villages aux limites dans lesquelles une zone champêtre revient de
droit à chacune d’elles. C’est donc grâce à elle que l’espace agraire sereer a toujours évolué dans
les normes inamovibles. C’est tout récemment qu’une réforme de l’administration territoriale sénégalaise y a apporté de bouleversantes modifications.
Pour ce qui concerne a un et maak, ils furent le gage du mariage traditionnel légal, finalisé et
sans chevauchement ; au vu de la coutume. Ce matériel d’héritage dans le †een-yaay est un témoin
de vertu, de courage et un incitateur pour la détentrice. Ils symbolisent le combat avec la vie
conjugale pour garder l’esprit d’aimer le mariage avec tout le respect social qu’on lui doit. À
l’époque des mariages traditionnels, le Sereer disait : a un yayo ; o faπ faap = de la mère un pilon
et du père un mortier. Voilà tout ce que les parents devaient à leur fille quand cette dernière avait
fini de regagner son mari.
Tous les autres ustensiles de ménage qu’elle aura par la suite étaient secondaires. Elles pouvaient être considérées comme des vestiges d’accommodements pour améliorer les conditions de
travail de la femme mariée et dans son ménage. Les mêmes ustensiles qui étaient souvent retrouvées dans le ménage sereer sont les suivantes :
Après a un o faπ et maak, il y avait :
1. o xu∂oox : demi-canari d’argile avec lequel on faisait la cuisine - aujourd’hui c’est la marmite ;
2. a qolof a coñir : bâton qui servait au mélange des aliments à cuir dans le xu∂oox ;
3. a πang : louche en bois pour le travail du couscous ;
Les vestiges sereer
115
4. a sexal a sulir : calebasse pour éventrer le couscous qui vient du hinde ;
5. o hinde : vase d’argile avec de petits trous et que l’on mettait sur o xu∂oox pour la préparation du couscous ;
6. o jeg fodeex : petit xo∂oox qui était uniquement fait pour la préparation des pad (sauces
traditionnelles) ;
7. a sak a πang : louche ; fruit de calebasse taillée qui servait au travail du couscous aussi.
Dans les concessions où il y avait un troupeau, on retrouvait d’habitude dans la case de la
femme gestionnaire de la production laitière :
8. a saxal a cirir : calebasse pour cailler le lait ou o toon (grande ou moyenne écuelle en
bois) ;
9. o feet oo faqir : gourde pour baratter le lait caillé ; a tuuxir : le bâton pour baratter le lait
caillé aussi.
Quand au propriétaire du bétail, il avait une seille-totem qui était toujours fixée à côté du seuil
de la porte d’entrée de sa case. Pour aller au troupeau, il a à chaque fois dans sa main a tog a ciir,
gourde pour le transport des provisions de lait du troupeau vers les concessions.
Pour rester dans le simple du fondement des vestiges essentiels sereer, abordons la conception
sereer au lendemain de la création de la concession. Avant d’implanter son mbind, le sage sereer
avait dit : mbind a †at a tadak mbaru sexel a inoor taaga : a len qol axe, alen poy ke fa’len kas
ke : de la concession qui vient d’être implantée, l’aménagement de ces trois issues de sortie est
indispensable : un chemin qui mène aux champs, un second qui va au cimetière et le troisième qui
devrai conduire aux puits. C’est à cause de cette conception individualiste de la concession qu’au
niveau des villages, l’on retrouve jusqu’à présent des cimetières de concession ou de kurcale ; des
cimetières de hameaux et tout récemment de village.
Chaque cimetière de concession (kurcala) avait une dénomination qui lui était propre.
Comme exemple, je prends le nom du cimetière de la famille Faye de Ngayokhème. Il se
trouve dans le hameau de Mbongope et s’appelle : ∫eri : approche.
Dans cette spécificité de la création des cimetières, le Sereer en garde des lieux d’enterrement
traditionnels.
Les morts-nés étaient généralement enterrés entre les limites de deux champs ; les griots dans
l’orifice d’un baobab (πaak no gawul) et les esclaves et aventuriers douteux avaient leurs tombes
à la frontière de deux royaumes.
De la concession, le chemin qui menait aux puits ne conduisait qu’à deux sortes de puits :
a) a soon ou a ngas a kalanj. C’était un puits traditionnel assez profond. Toute la consommation
d’eau d’un village ou d’une contrée pouvait y être tirée. C’est le puits où bétail et humains se rencontraient. Ce genre a été délaissé du fait que le colon fora un peu partout des puits à parois cimentées et à margelle. La dénomination de ces puits est partout la même ; c’est simofi (puits cimenté).
b) xa uul ou seyaan en wolof. C’est un genre de petits puits d’eau douce que l’on forait à côté
des zones à mares pendant l’hivernage pour rejoindre la nappe d’eau de ruissellement.
L’emplacement de ces uul tradtionnels reste toujours vivace dans beaucoup de villages du Njaafaaj.
Parmi les a soon ou ngas a kalanj, il faut distinguer dans le monde sereer deux genres.
Le premier est dit : a soon cosaan. C’est généralement un ancien puits qui a été fondé par les
premiers habitants de la localité.
Le second est dit : a ngas fangool. C’est un puits ancien ou pas, mais qui a été créé sous
l’impulsion et la bénédiction des esprits . Des libations villageoises assujettis à des cérémonies
communautaires sont souvent organisées à côté de ces puits.
Exemple : ñuuxuun de Ngayokhème. C’est un soon qui porte le nom d’une parente du fondateur du village. Il a été souvent rénovée à l’époque coloniale. Aujourd’hui, il ne nous reste que
son emplacement, mais c’est à côté de là où toutes les cérémonies rituelles du village se font jusqu’à nos jours.
Pour terminer le volet simple des vestiges fondamentaux sereer, on arrive dans les champs.
116
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Traditionnellement, le champs était protégé par une haie d’épineux dénommée a †ing. Entre deux
zones champêtres, n’étaient confectionnées que trois types de passage ; le premier s’appelait
kayafi. C’était une grande porte ouvrable pour accéder à l’autre zone. Elle était faite avec des tiges
de nqut ou de ndag.
Le second s’appelait : a cagand. Il était fait avec un bien lien robuste avec deux extrémités.
Un animal était incapable de la franchir. A cagand était aménagé à l’endroit de la clôture champêtre où le marigot du lieu était le plus proche. Il faciliterait la quête d’eau pendant l’hivernage
quand le Sereer est au labour. Le troisième était dénommé : nof no tew : oreille de femme. C’était
un passage astucieux pour permettre aux individus d’accéder au marigot, mais que trompait les
petits ruminants qui venaient boire au marigot sur une éventuelle tentative de sortir dans les
champs environnants.
C’est ainsi que le cultivateur d’antan protégeait ses champs de toute divagation de bétail jusqu’à la récolte.
Pour entrer maintenant dans le composé des vestiges du monde sereer, nous allons revenir au
village qui est le prolongement perfectionné de la tribu.
Avant de définir le sens conceptuel que le Sereer donne au village voyons sommairement ce
proverbe qu’en brosse le sage. Il dit : we mbogna saax, a mbog nqel na nandaa xa πiy : ceux qui
ont le même village, le même lieu à palabres auront des enfants qui se ressemblent. En gros, cette
parole de sagesse implique dans le regroupent humain qui constitue un village, le rapprochement
parental, la même échelle sociale et l’infidélité conjugale plaie de tous les brassages non souhaitables dans la cellule familiale sereer.
Depuis lors, chaque village a son nquel ; ce lieu traditionnel où les anciens se concertaient
sous l’impulsion du fondateur du lieu ou de son successeur.
Après le nquel, on avait o xucand : lieu de circoncision, qui pouvait être unique ou multiple.
Dans certains gros villages avec plusieurs hameaux, on peut vous indiquer plusieurs xucand.
Enfin ndut ne l’emplacement réservé à la lutte initiatique. Ce sera pendant l’évolution du village que des hameaux créés en fonction des castes qui sont stratifiées au gré de la féodalité locale,
vont voir le jour (ngawleem : grioterie ; a mbaaleem : forgeonnerie ; a cedoeem ; le hameau des
gens de cour, etc.).
- A ngawleem, le tam-tam du premier paar (chef des griots) deviendra le totem du hameau.
- A mbaaleem, la première forge (tafax) qui fut là après la fondation du village.
- A cedoeem est le hameau de l’amalgame. Dans le village, il regroupe souvent produit et sous
produit de familles royales déchues, des captifs et d’aventuriers qui se sont finalement sédentarisées dans la localité.
Dans ce hameau, il est très rare de rencontrer un mythe traditionnel concret. Les vestiges matériels sont remplacés par une connaissances plus ou moins fondées de l’arbre généalogique.
En résumé, les vestiges sereer authentiques se verront dans les familles fondatrices et leurs
ramifications.
Dans les familles paysannes, sied le berceau de l’authenticité, tout matériel, matériaux et même
certains langages sont à l’origine d’un héritage historique. Les uns sont destinés au travail, les autres au rituel.
Dans la case du chef de concession, certains objets qui datent depuis son arrière grand père
pendant ou sous son lit.
Dans les concessions traditionnelles d’éleveurs, on retrouve souvent :
1. ndañ une ancienne seille à moitié enterrée près du lit du chef de concession.
2. Une tranche d’un vieux mbalka conservé (abreuvoir traditionnel et qui était transportable)
3. teex tuufir fo teex ngayonoak ; des gris-gris pour la culture et l’élevage.
4. xa suunjuuñ : d’ancien protège museaux, etc.
Dans un recoin de la même chambre, l’on retrouve le noloctal : débarras ancestral où l’on cachait toutes les ressources familiales d’héritage (or, argent, pagnes tissés, etc).
Quand à la vieille mère de famille, elle fut et reste la gestionnaire du patrimoine féminin. Elle
a dans sa case :
Les vestiges sereer
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1. ßaadir ou maak, la planche égreneuse de coton
2. a celem a tirir, tige de fer pour l’égrenage du coton
3. a safir, métier pour rendre le coton lisse avant le filage
4. herkendel,, pour le bobinage du coton que l’on transforme en fil
5. njaagel, une espèce de boule blanche que la fileuse touche sur le fil pour le rendre plus solide
6. a †amba na quur : panier qui contient des bandes de cotonnades réservées aux cérémonies funéraires.
Dans chaque case d’une mariée qui a des enfants circoncis, on trouve deux bâtons rituels
accrochés au dessus de sa porte d’entrée ; on les appelle : xa lenje : bâtons d’initiation.
7. o fee† o faqir : gourde à barater
8. a sak a cirir : louche pour la séparaion du lait et du beurre de vache.
Dans les concessions où l’on compte de grands guerriers ou de grands lutteurs, on retrouve
dans la case du dépositaire :
-
qerxa : une vielle selle
a ©ang : des étriers
a laxaaß : un vieux mors
xa nombo fa a seefioor : des gris-gris diverses
xa can fa xa caj : des cornes et des gris-gris à mollets.
L’on retrouvera dans la famille Faye de Ngayokhème la célèbre corde de Bugar Biram Faye,
ce grand lutteur sereer qui terrassa ses adversaires soose à Faajaal ou le vieux Lamane Diamé
Ngom organisait annuellement une séance de lutte. C’est cela qui lui valut d’avoir la main de Sineouués. Cette corne s’appelle Samba Tako.
Dans la famille des paar qui ont vécu des guerres de conquête, des tam-tams témoins nous
restent encore comme vestiges. Nous citerons le grand tam-tam de njaalo (Ngayokhème). Ce
famb a été à la bataille de Ngouy-Njaafaaj.
Chez les griots-tisserantd (gawul riiriw), nous retrouverons souvent l’ancien matériel du premier maître tisserand.
a- mbiic : le métier
b- o roondoon : la navette
c- xa saanj : des fuseaux, etc.
Quand au fara dafax duf des forgerons, l’héritage qu’il laissait était :
1. uuf : des soufflets
2. xa leede : des marteaux
3. dek : enclume
4. †iif : une forge.
C’est grâce à l’évolution de cette répartition sociale au niveau des villages primitifs que les
castes avec leurs spécificités dans le travail ont su se maintenir dans une authenticité endogène
sans faille.
Chacune d’elle a ses pangool (esprits ancestraux) et qui veillent en particulier sur la caste en
question.
Dans chaque localité, on trouve taxar tambu (arbres qui matérialise l’emplacement d’un culte
de pangool). Dans les a pec (ancien territoire d’un village) ces arbres sont souvent protégés sur
place par de petites haies ou des palissades renouvelables.
Ndaxar ndamb qui est du ressort d’une famille ou d’une caste a toujours un serviteur. On
l’appelle : o yaal a sak ale : détenteur de la louche à libation (a sak a cuurir).
O yaal a sak a cuurir n’est pas à confondre avec yaal pangool qui quand à lui n’est qu’un
possédé ou un obligé de pangool. Le yaal a sak n’est que l’ancien d’une famille qui s’occupe du
culte et du rituel propres aux pangool de son ressort. O yaal a sak dispose de :
118
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
1. a sak a cuurir : louche à libations
2. o roon o fonq : écuelle qui met le gâteau de mil (o fong qui constitue l’offrande à présenter à
certains pangool). L’on verra ainsi que dans chaque village, il y a des pangool de famille et des
pangool communautaires. Pour ces derniers, le yaal a sak provient toujours de la famille fondatrice du village (tim ou kurcala).
Au niveau de chaque village ou d’un pec de village, il existe a siind et naax cosaan (tas
d’immondices et tas de détritus de mil éventé). Ces lieux historiques renferment des objets très
anciens (pipes d’argiles, des cassures de xu∂oox et certaines bouteilles vides qui contenaient des
liqueurs coloniales qui datent de la première pénétration européenne (bouteille d’eau de vie, Pernod, Dubonnet, etc.).
Pour ce qui concerne les vestiges de prestige, le milieu sereer n’en matérialise que la tombe.
C’est ainsi que les xa lomb (o lomb au singulier) ont été initiés pour l’enterrement des grands
éleveurs (siide) ; des grand kumax (responsable de ndut ou de kasak) et des grands saltiki.
Le lomb consiste à déposer le mort par terre au lieu de l’enterrer ou le couvrait directement
avec sa case sur laquelle verser de la terre. le lomb est différent de o yeer ou le cadavre est mis
dans une fosse tombale avant que sa case ne lui soit mise. Ces lomb et xa yeer sont encore visibles
dans les cimetières de certaines localités.
Les marques extérieures grâce auxquelles un dignitaire sereer était reconnu étaient les suivants :
1. o Úang : la bracelet traditionnel. Il était généralement en argent. Il était au bras droit du siide ou
o yaal o Úang.
2. o jami : coiffure de cérémonie de prédilections du saltiki. C’est une espèce de perruque sur laquelle divers gris-gris sont cousus.
3. a salma : lance en fer que certains saltiki ou des kumax dans certaines localités gardent encore
comme héritage de famille.
Pour ce qui concerne, les vestiges royaux, les plus vivaces restent les généalogies.
Après le couronnement d’un roi qui était légalisé par la pose de o ndip sur la tête (coiffure
voisine d’une couronne) et que lui reprenait le grand saltiki après la cérémonie ; le Siin n’a que
les ju-jung comme vestiges féodaux.
L’orchestre qui détenait ces ju-jung était très hiérarchisé et chacun de ces griots de la couronne était exclusivement et civilement responsable de son instrument. Il était composé de :
1. Fara ju-jung ;
2. Fara gorofi ;
3. Mbambaa†o ; etc. Les vestiges concernant les ju-jung sont donc à demander aux successeurs
de ces anciens griots de cour. La tombe d’un roi n’a jamais été matérielle dans le royaume du
Siin. Le cimetière de la noblesse ne comprend que tombes et fils de rois alors. En plus, on peut
ajouter de princes et princesses ou d’épouses de roi - Joor mos et le cimetière le plus connu. Il est
à Diakhâo.
Comme autres vestiges royaux, l’on ne pourra courir que derrière la possibilité de trouver
chez un fils ou petit-fils, une selle, des étriers, un fusil (bufikañi) qui a appartenu à son père ou
grand père roi à l’époque.
Vestiges de spécialité
L’on ne peut sans évoquer certains vertiges de la sagesse sereer qui échappent encore dans le
sine aux intempéries de l’actualité en voilà quelques uns :
1. Les outils qui viennent de o seem (prédestination)
- japil nque : couteau pour la circoncision, la fonction de fiaamaan laisse en héritage dans certaines concessions un couteau qui a été à l’origine exclusivement réservé pour l’opération de circoncision.
Dans ces familles de o saam ; on est souvent fiaamaan ou o †ana (chasseur).
Les vestiges sereer
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O †ana est un chasseur-guérisseur qui était de coutume doté de connaissances spéciales très
étendues. À part le fusil de chasse, ses héritiers d’aujourd’hui détiennent son mboquoos (gibecière) qui ne contenait en fait que des racines de prévention et de médecine traditionnelles.
Côté féminin, il y a o tooroom (ou la tatoueuse), le traditionnel petit sac qui contient des tas
d’épines pour le tatouage est souvent disponible dans certaines localités.
Vestiges sereer oui, vestiges royaux ?
Wurus (l’o r) fa xaaliis (l’arg en t)
Nous pouvons dire tout de suite que l’or et l’argent ne peuvent donner qu’un médiocre sujet
de spéculations car leur influence en milieu sereer passe presque inaperçue.
Il fait l’objet d’une importation obscure dont la filière connue est le Kajoor par la Mauritanie.
L’on évoque souvent le fait que ce sont les Maures trafiquants de sel (naar ganaar ou Naar Kajoor qui faisaient le troc de xaaliis ngurd ou wurus ngalam avec certaines feuilles paysannes ou
princières qui étaient riches en esclaves.
Dans le milieu sereer, le détenteur traditionnel de l’or ou de l’argent s’appelait o maak a ndok
yaay ou kelfa †een yaay : l’ancien de la case maternelle ou le chef de la lignée maternelle.
L’argent servait à acheter du bétail, de la poudre à fusil pour les bergers qui avaient la garde
du troupeau ou d’autres esclaves.
Quant à l’or, l’autre source de sa provenance serait la filière soose ou manding venant du Mali.
Souvent caché par les riches familles maternelles et sous terre, beaucoup d’or aura disparu
sans jamais servir à quelque chose.
La couronne prêtait l’oreille un peu partout pour avoir des détenteurs d’or du monde paysans
à déposséder.
L’exhibition de l’or ne fut autorisée que dans un milieux princiers et par tous, car il fallait être
directement le parent maternel du roi en titre pour oser le porter comme bijoux.
C’est ainsi que certaines reines mères ou des épouses de buur-siin ; Maa-Sinig ont eu à paraître avec des boucles d’oreilles en or.
L’on a pas en tout cas évoqué un stock d’or ou d’argent à la cour. L’or ou l’argent a toujours
résidé et secrètement dans les familles paysannes, le gardien du troupeau faisant toujours
l’échange avec quelques bêtes.
On peut renvoyer à l’histoire de Jibaan o Puul de Podom et du roi Waagaan Fay. Waagaan tua
Jibaan pour le déposséder de tous ses biens, car il faisait le troc de la poudre à fusil pour du bétailargent ou or, etc.
Jibaan l’aveugle avait toutes ses possibilités parce que, malgré tout, il était le chef d’une riche
famille maternelle.
Dans la cour royale l’on ne pouvait trouver que du cuivre. Il était détenu par Fata dafax (le
forgeron du roi et son équipe). Il servait à la fabrication d’étriers et de mors pour le harnachement des coursiers de guerre.
Concernant la fonte de l’or, la cour a toujours recruté des forgerons spéciaux qui venaient du
Kajoor.
S’agissant de xaaliis ngurd et njelem πaal (fer noir), ils étaient laissés au monde paysan. Les
vieilles se confectionnaient avec une certaine quantité de xaaliis njurd de lourds bracelets pour
poignets de main et pour le pourtour des pieds ; quant à njelem π aal ; les forgerons faad dafax
propres au milieu fabriquèrent le kapeera (marmite en fer). C’est ainsi que o xu∂oox la marmite
traditionnelle que les potières confectionnaient à partir de l’argile va disparaître progressivement.
Helaar ; darmba ; a kas ; a salma constituèrent de nouvelles inventions par les différentes
immigration de forgerons qui s’infiltrèrent dans le monde sereer.
Dans la cour royale le fer le plus célèbre s’appelait a ceng dans le Njaafaaj. C’était une longue
barre de fer avec des anneaux tout au long. Il était détenu par le farßa et servait à immobiliser les
malfaiteurs, les captifs et certains justiciables aux arrêts. Dans le Njaafaaj, l’on ne peut conclure
sans évoquer Monème qui a été fondé par Aalpaal Caam, un célèbre forgeron, qui fabriquait différents armes (kaaßuus ; a kas ; bufikañe, etc = mousquets locaux, flèches et fusils locaux) et des
munitions (xa πaal).
Pangool et san té ch ez les S ereer d u S iin
Les Pangool sont des esprits qui gravitent entre les Dieux et la communauté. De ce fait, ils
sont considérés comme des régulateurs mystérieux de nos problèmes sociaux en même temps ; ils
sont souvent directement ou indirectement impliqués dans tout ce qui nous arrive. Protecteurs 5
omnipotents de l’individu sereer et son avocat auprès des forces divines ; les pangool deviennent
parfois des dictateurs mystiques, des pourvoyeurs de répression et finalement des fléaux malfaisants et anti-sociaux. En gros, leurs manifestations concrètes se distinguent à des degrés divers par
la bienfaisance (protection du groupe, de la famille, de la collectivité, etc) ou par la vengeance
répressive (sur l’individu, la famille ou la collectivité).
La vengeance répressive annonce punition et faire du mal. Ici, il ne s’agit pas de répondre au
coup de l’âne mais plutôt de punir l’ingratitude de l’individu protégé. Quand les pangool
s’occupent de l’individu et que ce dernier s’en désintéresse et ne leur rend pas leur statut, ils sévissent contre cet ingrat.
Cette action collective des pangool se manifeste variablement dans le milieu sereer et selon les
circonstances dans lesquelles la faute à réprimer fut commise. Elle part d’un mal. L’ampleur ou
l’importance de ce mal dépend sinon varie selon le type de fangool qui appréhende l’individu.
En sereer, toute réaction malheureuse des pangool sur l’être humain se résume par l’exclamation
suivante pangool ndamun : « ce sont des pangool qui l’ont attrapé ». Dans la société sereer, il y a
deux grandes catégories de pangool :
- pangool pind ou pangool de concession et pangool a koπ ou pangool de brousse.
1. Pangool pind
Ils sont constitués par des esprits plus ou moins cléments et qui font l’objet d’une institution
traditionnelle reconnue. Leur classification part du fangool de l’individu à ceux du tim ; kurcala
et du village, voir de la province. Leur importance dépend du rayonnement de leur pouvoir
d’action, de leur réaction. Ils sont plus nombreux et sont plus domestiques. Leur manifestation
varie généralement fonction de leur degré plus ou moins élevé d’exigence. Tous ces pangool ne
réagissent au mal qu’après un délaissement exagéré.
2. Pangool a koπ
L’on dit que ce sont des esprits abandonnés (voir interview Diégane Diouf Ngayokhème, par
R. Collignon et G. Faye). On ne s’en occupe plus. Ils n’ont plus d’officiants ou de culte dans le
milieu sereer. Cette catégorie de pangool est cosmopolite et a rompu toute relation bénéfique avec
la société. Leur chef est traditionnellement dénommé par les Sereer : Roog o mbakam jini, improprement remplacé par le vocable religieux de saytaani. L’ensemble des réactions fréquentes de
cette catégorie d’esprits n’est depuis lors que malheur, maladie et mort.
Pour me résumer, la société sereer tire de la première catégorie plus de bonheur que de malheur. Quand à la seconde, tout son malheur extraordinaire y provient.
Réaction des pangool pind
D’abord, les diverses manifestations des pangool ont été dès l’origine retransmises à individus
spéciaux qu’ils choisirent eux mêmes. On les appelle des yaal-pangool. Ce sont des gens particuliers qui sont en contact ou en rapport mystique avec les pangool. Eux seuls sont capables de définir l’implication du fangool (ou des pangool) dans tout ce que fait l’individu, la famille ou la
collectivité.
C’est ainsi que leur faire-mal se caractérise par l’apparition d’une maladie répressive. Dans ce
cas, seul un yaal pangool serait capable de dire les tenants et les aboutissants du mal ou maladie.
Il dira aussi les remèdes et la thérapeutique nécessaire pour que les pangool lâchent leur victime.
Cette relaxe par nos pangool s’exclame souvent par une expression courante : pangool
ke’mbaasanaan : les pangool lui pardonnent. Il s’agit de la victime qui retrouve vite son train de
vie normal après des libations faites à ses pangool.
Les réactions les plus courantes des pangool pind sont :
122
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
a) Les réactions bénéfiques : se caractérisent par la bonne santé de l’individu ; de sa famille et de
son train de vie sans heurt. Se manifestent également par l’autosuffisance alimentaire, les réussites
sociales et agréable vie.
b) Les réactions néfastes ou malheureuses. Elles évoluent entre les handicaps sociaux et les maladies.
Voyons un peu les maladies souvent provoquées par les pangool-pind
Elles commencent par des symptômes bénignes mais peuvent devenir sérieux, virulents et fatals quand rien n’est fait pour qu’ils lâchent prise. Ses maux commencent par :
1) Njom-pangool : chute « pangolique ». C’est une attaque brusque. L’individu frémit et crie. Il
s’en suit une crise qui le met en transe. Finalement, il tombe et persiste dans un récital, en dialecte
pulaar plus ou moins cohérent. Dès que des libations lui sont faites, il devient de moins en moins
agité, pique un bref sommeil et se relève enfin.
2) O cok o qurwu : le cou tordu. Le cou de la victime est subitement raide. La personne n’est plus
en mesure de regarder à gauche et à droite. Il respire difficilement. Là aussi, des libations sont nécessaires pour qu’elle retrouve les mouvements de son cou. Ces maladies sont courantes dans les
familles à souche de pangool dynamiques mais où les chefs de culte sont négligents et ne respectent pas le cycle de libations qu’imposent ses derniers.
3) ∏oonook (ou †of pangool) : c’est la possession. Quand ses effets rendent l’individu violent, la
société dit qu’un tel est en état de démence. ™of pangool engendre aussi des états voisins de la
démence telle que la pyromanie. Dans ce cas, l’individu est en partielle ou totale confusion et
n’est plus maître de son esprit. Généralement c’est dans les familles régies par des pangool carnivores (qui réclament du sang comme offrande) où ce genre d’affection est observée. Son traitement est onéreux et s’il n’est pas fait à temps, la victime finit dans la folie totale.
4) Lup : un élu par les pangool est souvent victime de leur attaque d’avertissement. Elle se manifeste souvent par un cauchemar qui génère une maladie (folie momentanée, amaigrissement, perte
d’un membre, paralysie intermittente, etc.) pour guérir et recevoir en même temps ses fonctions
de yaal pangool (Cf. R. Collignon, G. Faye, T. Diouf et S. Faye) ; un lup est organisé pour
l’intéressé.
5) ¢ufig fangool : le secours des pangool. C’est une maladie qui intervient à la suite d’une attaque de sorcellerie que les pangool de l’individu ont fait échouer. En clair, il s’agit là d’un mal
anthropophagique que les pangool écartent par leur puissance et sauvent ainsi leur protégé. Cependant, il est dit que de l’attaque et de la contre-attaque, il résulte souvent des effets secondaires
qui se manifestent à l’individu par la maladie.
Cette maladie est dite chez le Sereer comme étant salvatrice pour une personne qui devait
mourir foudroyée sans cette intervention des pangool. Le guérisseur dira alors au malade : pangoolof †ufgong ndaa xonkoogaa. Ce sont tes pangool qui t’ont secouru, sinon tu allais mourir. Il
est très rare que le pangool-pind soient impliqués dans des attaques à finalité mortelle. Dès que
l’élu accepte la mission qu’ils lui confient, il retrouve aussitôt sa sérénité d’antan.
Voilà pourquoi aussi on confond les pangool-pind avec l’esprit des ancêtres, l’esprit protecteur des ancêtres (tim ou kurcala). Parmi les pangool pind, nous évoquerons ce que les Sereer appellent : pangool qooÚe et pangool kilge = pangool apprivoisés. Ils sont plus tourmenteurs, plus
exigeants et peuvent être sources de tracasseries et de maladies sans noms.
Pangool a koπ
Ce sont des esprits malfaisants et qui font tout pour manifester leur haine constante à la société
qui est la cause de leur délaissement. Ils sont et restent les initiateurs occultes de toutes les épidémies.
La plus simple de leurs attaques est la mort brutale. Leur désir est toujours de diminuer la collectivité. En guise d’officiants, ils mandatent les anthropophages (naq), les morts vivants (xonfaaf) et les jin (jini-kayaafi ou jini-poy). Le moindre mal qu’ils font est la maladie. Leur véritable
démarche reste la famine sociale et la mort. Les maladies qu’ils provoquent sont caractéristiques.
Ce sont :
Pangool et santé chez les Sereer du Siin
123
1) O mbeefetin faanjal : épilepsie démoniaque : se manifeste pas des crises épileptiques à cycle
extraordinaire. Elles sont incurables et allergiques à tout traitement. Le malade devient fou dans
tous les cas avant de mourir.
2) O ncali ou kiriis : la maladie de l’arc ou crises convulsives. C’est une épidémie qui l’annonce
chaque année au début de la récolte du petit mil et qui est en même temps la période des libations
annuelles où beaucoup d’offrandes vont vers les pangool-pind. En signe de mécontentement, ils
véhiculent cette maladie sous une forme épidémique. En résultat, beaucoup d’enfants meurent au
cours de cette période.
3) Nqeñ mbaaxeer : vent maléfique, qui provoque des rhumes multiformes durant la saison sèche
où beaucoup de personnes âgées et d’enfants meurent dans des conditions inexplicables.
Diverses maladies restent de nos jours dans la société sereer sans définition. Elles s’attaquent
aux humains et même au règne animal. Leur origine est dite des pangool a koπ. Les plus courants
sont o nqali que je viens de citer.
4) A tif : maladie de l’os et qui se solde par un abcès ouvert qui se transforme généralement en
plaie incurable. Elle est provoquée par kayaafi ou jin des cimetières. Ne rend visite aux concessions que pour y créer cette maladie.
5) Diid : la frayeur mystique. Effrayé après un cauchemar, le dormeur se lève le matin avec un
corps las et pâle. C’est une maladie dite a bif qui s’en suit. Le malade maigrit à vue d’œil. Dans ce
cas, un temps de traitement est possible pour le sauver du trépas.
Diid provoque en outre jir a keen : maladie debout ou le malade qui est actif. N’est pas au lit
mais présente tous les aspects d’un malade. C’est pour dire l’anémie mystique. La victime meurt
généralement sans plainte.
Les pangool a koπ s’implique davantage dans la procréation où ils provoquent de graves maladies que j’appellerai traditionnelles gynécologiques. En milieu sereer, beaucoup de femmes mariées dépensent d’importantes ressources dans le cadre du traitement de ce genre d’affections. Les
plus courantes sont :
a) Ndimar : la stérilité.
Cette maladie bien connue des guérisseurs est perçue de la manière suivante. Quand
l’acquisition des règles s’avère irrégulière ou qu’une femme est souvent victime de pertes blanches qui ne s’expliquent pas, elle est souvent inféconde. Pour ça, le diagnostic est formel
Soit il s’agit d’un fes fangool : amant-fangool. L’homme inproductif est souvent l’objet d’une
fiancée-fangool jalouse dit-on.
La deuxième source de stérilité est provoquée par O fes jini : amant-jin. La seule chose qui
convainc la femme d’être productive sont des avortements. Il n’y a jamais d’accouchements. Cette entrave de fécondité range la femme parmi les stériles car elle ne compte pas d’enfant vivant.
b) A cii† fangool : créature-fangool.
La femme accouche un bébé-monstre, et il ne s’agit pas là d’une malformation mais d’un petit
animal humanisé, un singe, un petit cyclope etc. Jadis, certaines vieilles femmes étaient spécialisées pour les faire disparaître ; et libéraient ainsi la mère-victime. Aujourd’hui, de telles créatures
tuent ou rendent folle leur mère avant de s’en aller.
c) Mbomeer Nqeñ ou o fud-fangool : grossesse de vent ou de fangool.
Il s’agit de grossesse mystique. La femme manifeste tous les symptômes et le comportement
de la femme enceinte. Sa grossesse évolue normalement, mais la nuit, son ventre se vide dit-on.
Toujours anxieuse et souvent malade pendant des années, elle finit par accoucher du vent. Un
jour, un vent sifflant sort de cette femme et c’est fini. Tous ces malheurs sont dits en milieu sereer
comme étant l’œuvre des pangool a koπ.
Pour conclure, je cite ici une boutade d’un vieux sage du Baol qui s’appelait Ndaama-Gosaas.
Il dit un jour :
guisnaa fu yala dull réy ñu neko fan la ?
Mun siin = j’ai vu un pays où dieu ne tue - mais où c’est ?
Il répond : dans le Siin.
124
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Le sage veut dire par là que les Sereer du Siin pensent que Dieu ne tue pas directement. Ce
sont les pangool, les anthropophages et les guérisseurs qui tuent pour lui.
Xa ñaaw ou la maladie du veuvage
Est-elle une MST ?
La mort du mari, en fait la disparition de l’un des conjoints engendre le rite du veuvage. C’est
une période d’observation stricte ; une période de recueillement et d’abandon de toute activité
conjugale.
Xa ñaaw vient du mot sereer o ñaaw qui veut dire veuf ou veuve.
Sa pratique rituelle s’appelle ñaawax - kaa’m ñaawwaa veut dire je suis en période de veuvage.
En société sereer ñaawax est un rite traditionnel qui fut toujours pratiqué. Reste de nos jours
actuel malgré certains assauts de la religion.
Xa ñaaw provient donc du non respect des interdits qu’implique la période de veuvage.
Dans cette situation, l’interdit le plus formel reste le contact avec toute souillure issue de rapports sexuels, d’où abstinence totale de rapports sexuels.
De coutume, la période de veuvage d’un homme qui perd sa femme ne dure que trois jours.
Après un bain de purification au 4 e jour chez un spécialiste, l’homme peut reprendre son activité
sexuelle ou se remarier sans risque d’avoir xa ñaaw. Quand à la femme, elle reste chaste pendant
trois mois et 13 jours avant de se libérer des contraintes de ce rite.
L’infraction de a ñaawax par des rapports sexuels entraine une maladie dangereuse que le Sereer dénomme xa ñaaw. C’est une maladie qui se manifeste d’abord sur la peau du corps qui devient pâle. La chevelure se ternit et le malade maigrit graduellement. L’évolution de xa ñaaw est
marquée par une faiblesse physique croissante et des courbatures douloureuses. Lorsqu’on dépasse ce stade sans l’intervention d’un purificateur compétent, toutes les articulations de l’individu se
raidissent et c’est une paralysie généralisée qui suit. Des brûlures de nerfs permanentes agitent le
malade. Il crie et se lamente en disant souvent que c’est l’intérieur de toute sa viande qui brûle.
C’est alors que ses proches murmurent souvent entre eux : « xa ñaaw ndamun » : ce sont les
maux du veuvage qui l’ont attrapé.
Mais de jadis à nos jours que savons-nous de cette maladie ?
a) Qu’on l’attrape par contagion pendant la période d’observation du veuvage.
b) Qu’on ne l’attrape que par les rapports sexuels avec un veuf ou une veuve en période
d’observation du rite.
c) La contagion s’arrête entre l’homme et la femme qui enfreignent cet interdit.
d) Que la phase chronique et la mort du malade sont plus ou moins rapprochées.
e) Nous savons enfin qu’il s’agit finalement d’une maladie des nerfs.
Par contre, cette maladie cache aussi des facettes qui ne sont pas connues et font l’objet
d’interrogations.
1. est-ce que la veuve recèle cette maladie dès le début de la période ou est-ce une femme qui
avait cette maladie avant la mort du mari ?
2. Est-ce que cette contagion restreinte se fait par microbe ou par virus ?
3. Pourquoi son exclusivité (qui ne réside qu’entre les deux réfractaires ?
D’autres questions peuvent encore être esquissées au sujet de cette maladie sexuelle particulière que l’on masque dans le carcan traditionnel mais qui est souvent rencontrée en neurologie.
À un grand psychiatre qui reste neutralisé par cette maladie, on demanda un jour s’il croyait
réellement à la médecine traditionnelle, il répondit oui, car certaines maladies à caractère traditionnel ne peuvent être traitées que par les guérisseurs (voir Le Soleil ?...........).
Voilà donc une maladie que la médecine moderne confond avec la paralysie courante. Il n’y a
aucune réussite du côté médical à l’expliquer. Les cas examinés par certains médecins et avec des
tentatives de traitement n’ont rien apporté. Ce psychiatre est allé dans toutes les Europes pour sa
maladie mais en vain.
Pangool et santé chez les Sereer du Siin
125
L’unique recours pour xa ñaaw est la prévention. Se purifier avant la reprise des rapports
sexuels, car dès qu’on la contracte on est dans la plupart des cas condamné.
Dans le Njaafaaj par exemple, il n’y a qu’un village où la purification est faite afin d’éviter
cette maladie s’effectue. C’est-là bas aussi où son traitement se fait. Il s’agit du village de Poudaye, à côté de Toucar. C’est une spécialité héréridaire dont l’ancien détenteur était un célèbre
guérisseur de la contrée, qui s’appelait Ngoor Pudaay Suur.
Conception traditionnelle sereer de la maladie
D’abord xa ñaaw est une punition divine. Ainsi, Dieu jette aux réfractaires cette maladie au
cours de leurs rapports sexuels maudits.
D’autre part, elle est une vengeance. On dit que les mânes du défunt ou de la défunte, libérées
du trépas, sont dans l’environnement proche du foyer conjugal et observent ce que fait l’autre. Si
en fait le respect dévolu au défunt au cours de la période dite ñaawax est strictement observé.
Dans le cas contraire, elles sévissent pour se venger.
Enfin, xa ñaaw est un frein, voir une limite qui a pour but de décourager certaines blasphèmes sociaux et se veut en même temps un courant de raffermissement de l’interdit traditionnel de
tous les interdits.
Saasin fa’cii†
Saasin s’effectue par un liquide organique à base de lèpre et qui entre dans la composition et
la solidification des os du squelette humain.
A cii†, c’est le fœtus ambiant, cosmopolite. Dans deux entretiens où j’ai servi d’interprète à M.
Collignon, deux informateurs nous ont parlé de saasin et de a cii†. Notre sujet avait trait à la
conception traditionnelle du sereer sur la formation de l’être humain.
Dans la première interview, malgré des réponses hésitantes et limitées, il est apparu que l’être
en gestation passe par différentes étapes avant de pénétrer le monde humain. C’est ainsi que le
Sereer conçoit d’abord le fœtus libre que l’on dit divin : a cii† Roog ou mystique.
Ce cii† libre d’abord ou plutôt qui se trouve dans la nature se meurt en permanence pour trouver une source d’infiltration. C’est au cours des rapports sexuels du couple qu’il s’introduit dans
la femme qui reçoit de son homme ce qui ; grâce au cii† plus son ovaire donnera naissance à un
embryon fécond. Le début de développement de ce fœtus embryon est dit dans le langage courant début de grossesse.
C’est à partir de cette période aussi que le liquide léprozoïde devant organiser le squelette de
la future créature entre en action.
Pour un début de grossesse, nous avons donc trois facteurs procréateurs qui réagissent :
A cii† passe donc par les rapports sexuels pour être fécondé. C’est le liquide de la lèpre qui le
fixe et se développe en le développant par le saasin qui n’est autre que l’opération de solidification qui réalisera le bébé en devenir.
Pour ce qui concerne toute l’activité de début et de la grossesse proprement dite, la femme
n’est qu’un réceptacle. Elle ne fait dit-on que subir et recevoir. C’est ainsi qu’au sujet des MST,
l’homme et la femme se renvoient la faute. Quand l’homme est atteint de o mboot par exemple,
on dit : kaa seq jangaru no tew, kaa seq jir no tew = il détient une maladie de femme et viceversa ; quand c’est la femme qui est atteinte, on dit : kaa seq jir no koor = elle a une maladie
d’homme.
En réalité, les MST peuvent être prises comme étant d’origine masculine lorsqu’on suit le
cheminement de la pensée sereer.
Au sujet de la grossesse aussi, la conception sereer ne varie pas. Elle dit : foofi na inooraa no
ndet no koor ; a yoon fa’cii† da yen no laaw ndiirim no tew = de l’eau (liquide) provient de la
ceinture de l’homme ; s’accompagne avec a cii† et ils tombent (le sperme masculin + a cii†) dans
le boyau de procréation de la femme (l’utérus).
Là, il faut comprendre aussi qu’une dose de lèpre nominale d’origine masculine y participe,
car il est dit que depuis sa constitution, chaque être humain recèle une certaine dose de lèpre primitive.
126
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Pour tout cela, le Sereer en conclue que la femme n’est finalement qu’une allaiteuse mais n’est
presque rien d’autre dans la conception de l’enfant. Entre père et mère, la propriété de l’enfant
revient donc au père ; d’où la prédominance paternelle (o kurcala). Quand à la mère, elle est
nourrice de fœtus par l’enveloppe du bébé en fécondation (o yoon) et allaiteuse par le lait de ses
seins après l’accouchement (numin). C’est pourquoi la tradition sereer conclut en ces termes : fooy
faap, fo∂een yaay = le sang du père le lait de la mère. En clair, le sang est paternel et le lait est
maternel. Durant toute cette période, intervient saasin. Ce liquide de lèpre est le fixateur du fœtus.
Il est le réalisateur du squelette humain. C’est par le saasin aussi que le développement et la solidification des os s’effectuent. La lèpre est donc un constituant de l’être humain. Elle ne devient une
affection que par excès d’évolution.
Dès qu’elle se manifeste comme maladie, il est recommandé à la victime d’être sobre en matière de rapports sexuels et en alimentation grasse. Les anciens Sereer disent que les rapports
sexuels et les viandes grasses (viande de chèvre surtout ou de porc) accélèrent l’évolution de la
lèpre d’où le proverbe sereer qui dit : gaana kaa diimbaa’tegeÚ fambe = le lépreux fait de la
viande de chèvre un interdit.
M aladies héréditaires d’origine pangool
Le choix des pangool implique des manifestations. Leur objet, le futur yaal-pangool est généralement avisé par maladie comme signe précurseur. Avant l’acceptation de son sacerdoce pangoolique aussi, il en est souvent contraint par la maladie. Enfin, la fonction de yaal pangool engendre souvent des signes particuliers et distinctifs sur l’individu et qui se caractérisent par certaines infirmités. Certaines de ces signes sont congénitaux et d’autres se manifestent au début ou
pendant l’exercice du ministère.
Ces signes de maladies peuvent être endogènes et ne se manifestent que sur l’élu de la famille
(tim ou kurcala) qui reçoit le privilège d’être yaal-pangool. Par contre, ils peuvent se manifester
par hexogamie parmi les enfants, les frères ou les neveux maternels du yaal-pangool.
Ainsi, ses signes qui ne sont que des maladies, des tares ou des infirmités restent spécifiques au
yaal-pangool et sa famille (tim ou kurcala). Ils y demeurent et s’héritent de père à fils ou d’oncle
à neveu maternel (ou nièce).
C’est pourquoi, il est bon de connaître la différence entre yaal-pangool e yoq na sak ou o
yaal a sak.
Le yaal-pangool est l’élu des pangool et est chargé par les esprits d’une série d’obligations
rituelles tels que les rites du baxnax et a pudin ; la retransmission des rêves, le métier de circonciseur ou de maître-chasseur (o quuxuc fiaamam et o †ana = yaal o seem). Il n’est pas à confondre
avec les guérisseurs yaal-pangool qui se couvre du manteau des pangool pour valoriser une activité de charlatan qui n’est et ne reste que la connaissance et l’utilisation de certaines plantes médicinales.
Il n’est pas à confondre aussi avec yaal a sak qui est un chef de culte mais pas un yaalpangool. Le chef de culte reste le plus ancien de la famille du culte, mais il n’est ni choisi, ni
mandaté par les pangool pour faire ou dire autre chose à part les libations dont l’âge lui permet
de diriger ou d’organiser pour les membres ou chaque membre de la famille qui se trouve dans ce
besoin. Il arrive même que o yaal a sak (dépositaire de la louche à libations) fasse des libations au
yaal-pangool de sa famille quand ce dernier est jeune ou n’est plus en mesure de faire un déplacement qui le mène à leur culte.
Donc, le yaal pangool est l’individu qui reçoit et subit l’obligation des pangool. Parmi les signes-maladies d’origine congénitale qui sont souvent dépistée chez un yaal-pangool en tant que
a cii† fangool il y a :
- O yoqit (l’incomplet) ou le débile. Dès sa naissance, le bébé a une petite tête, un visage anormal.
Il a le comportement du nourrisson sans problème, souriant, ne pleurant jamais, même pour téter,
il n’a jamais le réflexe normal et spontané pour retrouver le sein de sa mère. En grandissant, il
reste avec le même volume primitif de sa tête. Il n’est pas complètement fou, mais devient un
amalgame. Pour l’indexer on dit souvent : oxene fangooloo ; oxene refee’πor ; oxene’ma∂agoo
etc : celui là est un fangool ; il est pas naturel - il est extraordinaire, etc. À l’âge adulte il prédit des
choses qui ne sont pas crues par certains mais qui se réalisent peu après. Dans ces cas, sa famille
déplore son cas en évoquant la réincarnation d’un ancien yaal pangool (du tim ou du kurcala)
qui avait la même morphologie.
Pangool et santé chez les Sereer du Siin
127
- O πoof ou le cul de jatte à titre provisoire. En milieu sereer, on entend souvent certains individus
qui disent : waxweem xa kiid ßetaa †aq : je suis resté en portage pendant sept ans ou jegaamm xa
kiid ßetaa †aq to layiim : j’ai eu sept ans sans parler. C’est pour dire que les pangool l’ont paralysé
pendant sept ans après sa naissance. Qu’on n’est resté muet et sans parole pendant sept ans aussi et
par la volonté des pangool. Ces deux maladies peuvent aussi intervenir à l’heure du choix du
yaal-pangool. Quand ce dernier résiste et refuse le choix porté sur lui, les pangool attaquent par
de pareilles affections pour contraindre l’individu à les accepter.
A un (maladie du pilon) et o ßox (maladie du chien) «voir médecine traditionnelle R. Collignon - T. Diouf et G. Faye» sont des maladies infantiles dont le traitement se fait exclusivement
chez le yaal-pangool et au culte des pangool de ce dernier.
Dans d’autres circonstances, les maladies-pangool à caractère héréditaire gravitent autour de
certaines infirmités.
Les infirmités endogènes
Dans chaque famille à pangool actifs et obligeants, le choix du yaal pangool potentiel se manifeste dans des circonstances particulières. Les signes extérieurs de ces choix se caractérisent par
des infirmités qui se répercutent à chaque succession de yaal-pangool.
Par exemple, chez les Kare-Kare du lus de Diboor Juuf (tim direct de Dibor Diouf) le titre de
yaal a salma : dépositaire de la lance ou sagaie à prédications entraîne de n’avoir qu’un œil et
d’être stérile ; confie Mayé Diatte de Ngayokhème (interview : R. Collignon, C. Becker, T. Diouf
et G. Faye). Elle est l’héritière d’une saltiki célèbre du village du Ndiambour (Patar) et qui
s’appelait Dibor Diouf. Elle fut sa tante maternelle.
En fait le prédicateur ou la prédicatrice de cette famille où ce genre de yaal-pangool se succède, il faut être borgne et improductif. Dans d’autres familles à pangool on rencontre :
O yorol ou l’éléphantiasis. Le yaal-pangool se caractérise par des jambes obèses avec une couche
d’écailles sur les pieds. Il est souvent malade d’elles à cause de leur poids. C’est une maladie qui
se manifeste par une fièvre intense ; les jambes s’enflent quand des libations ne sont pas effectuées ; le malade finit par sortir du lit et est souvent agité par des crises de pangool. Ces mêmes
maladies peuvent se répandre dans la famille du yaal-pangool et ne l’attaquent pas directement.
C’est ainsi que l’on retrouve les enfants d’une sœur de yaal pangool qui sont tous paralytiques, aveugles ou autres de ce genre.
Les bébés monstres aussi proviennent de là. C’est des tares exogènes qui découlent du refus
catégorique d’un choisi de devoir se soumettre aux pangool. L’obtention du pardon au profit de
cette famille par les pangool se fera par la suite graduellement et au fil des générations. Malgré
tout, l’infirmité propre à cette famile y demeure, mais est moins élargie puisqu’elle ne s’attaquera
finalement qu’à un ou deux de ses membres.
Pour éviter toutes ces tares possibles au sein d’une famille, le sage sereer disait : juuri, yaam o
πiy fangool fe fangool bo na semb. Faits et libations, car un fils de fangool est avec son fangool,
même dans la fosse tombale.
Attaques de sorcellerie et pangool
Ici, la sorcellerie est comprise par le Sereer comme étant l’anthropophagie active. Elle consiste
dans l’art mystique dont certaines personnes sont dotées d’exercer par des voies et moyens extraordinaires la pratique et la recherche de la chair humaine pour en faire une alimentation.
Toute cette activité se caractérise par des attaques multiformes dites d’anthropophage ou de
sorcellerie. Le Sereer la dénomme : naq. Le consommateur de chair humaine est dit o naq : le
sorcier-anthropophage. Cependant dans la hiérarchie de la sorcellerie, il existe une autre corporation dite curative qui s’appelle ma∂ag. C’est des individus dotés des mêmes dons et possibilités
occultes que le naq, mais qui ne mangent pas de la chair humaine ou plutôt l’âme humaine.
L’action dite naq n’est pas du canibalisme mais plutôt une procédure mystique de destruction de
l’âme de l’être humain.
Donc, naq et ma∂ag gravitent autour de l’individu ordinaire (qui n’a aucune connaissance
extraordinaire ou supranaturelle). Quand les naq attaquent, les ma∂aq contre-attaquent. Parmi les
ma∂ag beaucoup reçoivent d’ailleurs leur dons et pouvoirs des pangool. C’est pourquoi, ils sont
les auxiliaires de ces derniers dans la protection de l’individu, de la famille et voire même de la
collectivité et de son environnement immédiat.
128
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Selon l’importance ou la gravité de l’attaque naq, les pangool interviennent directement ou
par le biais des ma∂ag. Ainsi, les pangool réagissent directement devant les attaques suivantes :
1. Song o yeng : il s’agit d’une attaque préparée et rapidement exécutée. Son but est la destruction
foudroyante de la victime. Il ne s’agit pas là d’une attaque vue au cours d’un rêve cauchemaresque. C’est une chose phénoménale sous l’apparition d’un monstre ou d’une vision terrifiante qui
prend une trajectoire directe et vient pour te tomber dessus, pour t’écraser pendant le sommeil.
Dans ce cas, l’intervention éclair des pangool est seule capable de conjurer intégralement le danger ou de le réduire au moindre mal.
Le naq fait cette attaque pour achever un malade qui persiste à vivre ou sur une cible de
convoitise.
Pour ce qui concerne le malade à achever, il se réveille le matin pour trépasser quelques heures après ou ne se réveille pas du tout.
Quand à la victime qui fut en bonne santé la veille, il se réveille anxieux et languissant à la
suite d’une telle attaque. Dans la journée en cours, ce sont des crises d’évanouissement qui
l’assaillent. La soirée, il est dans un état comateux et meurt dans la nuit ou tôt le lendemain suivant.
2. Soox o yeng : coup mystique de fusil. Il est souvent destiné au ma∂ag trop bavard. Et c’est
pourquoi beaucoup de saltiki meurent jeunes. Ce sont des saltiki (prédicateurs) qui ambitionnent
dans leurs spécialités de « dépiéger » par des dénigrements publics certains des projets d’attaques
naq. Pour cela, les naq eux aussi préconisent contre ces types de détracteurs des formes
d’anéantissement rapides et sans traces. La forme la plus fréquente est soox o yeng.
Dès que la balle mystique atteint sa cible, elle devient d’abord muette. Avant son trépas,
l’individu qui a reçu soox o yeng ne parle que par geste. Quand il décède on dit souvent que la
victime a eu la tête mystiquement cassée ou la cage thoracique. De la bouche de l’allongé, dégouline du sang un peu coagulé.
3. O njambooñ : l’attaque se matérialise sous la forme d’un serpent. Avant sa morsure, on en parle dans tous les xooy (nuits de prédications que les Sereer organisent souvent). Dès qu’il pique, ce
dit serpent-njambooñ se volatilise. Inutile d’aller consulter un serpentologue. La victime sera
morte dans les minutes qui suivent. Pour ces cas d’extrême gravité, seuls les pangool peuvent
écarter l’irréparable. Quand aux ma∂ag et yaal qui servent souvent d’intermédiaires et
d’auxiliaires entre la société et les pangool, ils n’interviennent efficacement que dans les attaques
de moindres importances telles que les menaces d’épidémie, a seel, l’interprétation des rêves, πektig (l’empoisonnement mystique), etc.
À p ro p o s d u ch ien ch ez les S ereer
En milieu sereer, le chien – o ßox – est un animal de concession qui se caractérise par sa fidélité entière à l’homme. Ainsi l’ancien sereer a l’habitude de dire : o tew o ßox moÚu no rew, c’est-àdire « l’épouse-chien est le meilleur choix parmi les femmes ».
Et l’ancien continue : o fadangaan, ta lool, a Úuf um a πut ta dakwiid paam bo of, a moosnuwng ; a wundang a las : quand tu la frappes, il pleure et s’écarte de toi pour aller adoucir les
sévices. Pas pour longtemps, car il revient quelques instants après à tes côtés pour te caresser de sa
queue.
A xeexange ; a wondu paam of a cungaa yoq, à savoir : « Quand il a faim, il se couche à côté
et attend les restes d’aliments qu’on lui donne ».
A yengangaa ; oxe yetaa mbind mbaa’siir : quand il fait nuit, il surveille ta concession ou ton
troupeau.
O ñaaÚkaa ; ta yoonong : quand tu vas seul, il t’accompagne.
O ßox fo’yaal um bo na faqon : le chien et son propriétaire jusqu’à la mort.
Et l’ancien de conclure : o ßox ; gon le xedu ndaa’ten moÚu no kiin : c’est l’appellation chien
qui est vilaine, mais en réalité le chien est le meilleur animal pour l’être humain.
Horma jeg-angaa ; o ßox kaa war-el o foyaa nen o kiin : ñaamkaandg ; taa xonangaa’deßankel a tud ake : s’il y ait reconnaissance absolue ; le chien devrait avoir une cérémonie
funèbre digne de la personne humaine. Puisqu’on ne le mange pas, on jette sa dépouille aux vautours dès qu’il est mort. C’est ingrat.
Cela tend à démontrer les services reconnus et l’importance du chien en milieu sereer. C’est
ainsi que le chien est adopté en bas âge (xooÚ o gurik, prendre en charge un chiot). Son propriétaire nominal est un enfant avec lequel, il reçoit une éducation presque parallèle.
En fait, c’est le chien qui grandit et rend service bien avant son dit propriétaire.
M ythologie et légende autour du chien
Pour le Sereer, le chien est le plus savant des animaux de concession. L’on dit qu’il a une vision claire dans le monde mystique (kaa jigid a ngid : il a un œil long, dit-on littéralement).
De nuit, quand il aboie avec frénésie autour de la concession ou près du troupeau, l’on dit
qu’il signale l’approche des mauvais esprits ou de malfaiteurs.
Ses pleurs nocturnes annoncent une mort imminente dans une concession ou dans la localité,
ou en tout cas, un malheur qui fera couler des larmes.
Au cours des xooy (prédications) la mousse qui est généralement sur ses cils est souvent recueillie par certains. Ces derniers se la mettent sur les yeux. Cela leur permet de voir toutes les
choses occultes qui se déroulent de jour comme de nuit.
Beaucoup de femmes font cette pratique au cours du rite dit a bara kaa† (chasse aux mortsvivants qui empêchent l’eau de pluie de tomber en cours d’hivernage).
En milieu sereer aussi, maltraiter un chien est frappé d’interdit, surtout pour les femmes
productrices. Il en découle une maladie-vengeance dite o ßox, très meurtrière sur les futurs
enfants de l’éventuelle méchante femme. Pour en absoudre les nouveaux-nés, de nombreuses
mères sont contraintes à faire le rite du baxnax, (rite du portage). Chez le spécialiste pour ce rite,
l’on trouvera dans ses vases des ossements de chien, de chat et d’autres animaux d’où peut
émaner une vengeance mystique ainsi que des racines de purification.
Pour détourner le créancier qui est assidu à venir réclamer son dû, le bâton qui a servi à tuer
un chien est utilisé comme un gris-gris de conjuration. Il suffit de l’enterrer sur sa route de passage pour être sûr qu’il n’arrivera pas jusqu’à toi.
130
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Même en matière d’anthropophagie, le naq se métamorphose en chien enragé pour attaquer
dans la plupart des cas sa cible humaine.
Le chien est un animal qui ne se mange pas en milieu sereer mais les différentes parties de son
squelette entrent dans pas mal de gris-gris qui protègent le Sereer, sa concession, son troupeau et
sa famille.
Sa mort dans une concession peut être une source de malheur. Quand il est enragé ou qu’on
veut se débarrasser de lui pour une cause quelconque, il est attaché à une corde et traîné jusqu’au
bosquet avant d’être abattu.
Sa dépouille est souvent laissée aux vautours. Seuls les chiens de berger ou de chasseur qui
rendent plus de services sont dans des cas d’exception enterrés au lieu d’être jetés.
Pour conclure, la vie du chien est généralement écourtée quand on le voit dévorer le sabot
d’un âne ou d’un cheval. Immanquablement, ce chien sera déclaré atteint de rage et abattu.
130
Trad itio n sereer et an imau x d o mestiq u es
Au-delà des services courants qu’ils rendent à l’homme les animaux domestiques sont utilisés
dans d’autres domaines. Dans la santé humaine, et la protection de l’environnement, dans les relations humaines, la médecine traditionnelle et les religions.
Ainsi donc, ânes, chevaux, poules, chèvres, moutons, vaches, chiens et chats sont dits porteurs
d’essences extra-animales. Chacun de ces animaux est souvent associé à une œuvre de science traditionnelle qui transforme souvent l’homme et son environnement. Par le squelette, le pelage, le
sang, les urines etc... le mouton devient en médecine traditionnelle sereer un remède ou la composante d’un médicament. Ils peuvent aussi être à l’origine d’une maladie ou en être le préventif.
Pour ce qui concerne l’environnement, on choisira une partie du corps d’un de ces animaux
pour accompagner nos semences parce que le sage sereer a déjà dit après expérience que cela engendre de bonnes récoltes. Et depuis les origines jusqu’à nos jours, le sacrifice humain qui fut
donné à certains cultes sérères a été remplacé par l’un des animaux domestiques.
Pour entrer dans le détail, nous allons voir où chacun de ces animaux peut influer en partie ou
en totalité et comment il est sollicité et utilisé.
1. La poule (ou le canard)
Il est dit que c’est la bave qu’elle laisse dans l’eau à boire qui donne l’épilepsie (voir R. Collignon - T. Diouf). Par contre l’os (cuisse) du coq tué pour une nouvelle mariée entre dans le grisgris préventif des MST (R. Collignon - T. Diouf - G. F. médecine traditionnelle). Elle est aussi
utilisée pour certains bains de purification qui combattent le maraboutage (sort jeté, porte malheur). Et le sage sereer précise : πogid calel, a siik o jaw = contre toute forme de maraboutage, la
purification par un coq rouge s’impose.
Beaucoup d’autels de pangool sereer témoignent en outre de l’utilisation de la poule comme
offrande dans des libations villageoises, familiales ou individuelles qui sont fréquemment organisées pour leurs esprits carnivores (voir R. Collignon T. D. - G. Faye). Dans les relations sociales,
elle était et reste encore la dot rituelle que l’on réclame (surtout dans le Jigem) avec une natte
avant de nouer ou d’officialiser des fiançailles.
Pour ce qui concerne la santé, un poulet cuit avec les écorces de l’arbre que le Sereer appelle
beleñ est souvent recommandé pour la fatigue généralisée. Pour clôturer ce paragraphe, les guérisseurs d’hier ne réclamaient qu’une poule (ou un coq) comme honoraires après le traitement de
leur consultant.
2. La chèvre
Pour elle, l’ancien Sereer a été catégorique, car il disait : Fambe palal jiniyoo, kaay sa†ik a
quox rek πisiidin no mbind = la chèvre est le bien du jin, c’est parce que nous sommes têtus qu’on
l’a amenée à la concession. Par cette première considération on comprend que l’apport social de
la chèvre est plutôt mince par rapport à sa capacité de détruire l’homme et même la nature en partie.
D’abord il est constaté que la viande de chèvre est un vecteur de la lèpre, car elle l’extériorise
rapidement et la fait évoluer dangereusement (voir Collignon, G. Faye, C. Becker, D. Diatte). On
dit alors que c’est à cause de sa chair qui recèle un excédent de matières grasses. Son odeur repoussante persiste même dans sa viande cuite. Dans la concession, elle ne fait que détruire (palissade, haies, greniers et ustensiles de cuisine, etc.). En brousse, la chèvre est à l’avant-garde de la
déforestation. Ses cornes, sa peau et son pelage n’entrent en général que dans la composition nuisible des gris-gris qui engendrent l’antagonisme et le mal social. L’homme qui a eu des rapports
sexuels contre nature avec elle est condamné pour de bon. Il exhibe des troubles du comportement chroniques, même une vie de vieux célibataire et récidive souvent avec une tendance
sexuelle dirigée et exclusivement vers le règne animal. Il devient le prototype du harceleur sexuel
nocturne (o yood) pour calmer certaines crises d’accès maniaques lorsqu’il n’a pas d’animal
(chèvre ou mouton) à sa disposition. Certains petits bergers qui ont eu le malheur de s’initier aux
132
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
rapports sexuels sur des chèvres ont été souvent victimes de maladies bizarres tels que uriner du
sang ou avoir périodiquement les testicules enflés.
Dans le seul contexte où la chèvre est un recours pour la santé, c’est dans le traitement de a
fiat (voir R. Collignon, C. Becker, G. Faye). Le médicament qui traite a fiat est fait avec du lait
frais de chèvre, des fruits de njambayaargin et autres. Les bouses de chèvre sont aussi employées
pour le traitement de certaines fièvres dites mystiques. On les transforme en poudre que l’on
mouille avec un peu d’eau. On en enduit une pâte légère sur l’alité. Dans ce cas même, quand la
dose est forte, le malade en question peut rapidement mourir.
En fait, la chèvre n’a donc d’apports dans les sciences traditionnelles sereer que dans le cas où
on l’immole en offrande pour des pangool carnivores qui ne sont autres que des jin malfaisants.
On dit dans le voisinage qu’un tel a une épouse-chèvre, c’est pour en déduire que cet homme
dispose d’une mauvaise épouse et qu’il ferait mieux de divorcer. En tout et pour tout, seule la
graisse de chèvre est reconnue comme étant un remède efficace pour la rééducation après la guérison d’une fracture.
3. Le chien
Il a fait l’objet d’un chapitre (voir G. Faye 1993. Le chien) (voir en outre les proverbes sereer) dans la vie courante en milieu sereer, le chien contribue dans beaucoup de domaines. À la
concession et au troupeau, c’est un bon gardien. Par son comportement, il alerte ou prévient sur
beaucoup de calamités à survenir dans une concession, au village ou même dans une contrée (incendie, mort, épidémie, famine, etc.) Certains de ses os entrent aussi dans les bains de purification
qui assurent la protection infantile (voir le rite du ßaxnax, R. Collignon, T. Diouf, Log Ndour et
G. Faye). Grâce à ses aboiements qui sont fréquents la nuit, le chien chasse les mauvais esprits et
les malfaiteurs. Il annonce aussi à la sagesse tous les présages bons et mauvais qui vont survenir
dans les environs.
L’ancien sereer dit du chien que c’est un animal qui a une vue mystique lointaine : o ßox o ga
xoo∂u jegu. Voilà pourquoi certains individus qui veulent s’improviser saltiki utilisent la mousse
blanche qui entache toujours ses sourcils pour avoir la même vision que lui. Avant d’aller se coucher, ces curieux se mettent cette mousse sur leurs yeux. Des accidents ont d’ailleurs été souvent
regrettés dans cette expérience. Des hommes ont hurlé et demandé secours en pleine nuit parce
qu’ils ont eu peur après ce qu’ils ont vu. D’autres s’en ont sortis, mais victimes d’une folie momentanée.
Certains guérisseurs avancent en outre que le chien est à l’origine de la maladie sexuelle (voir
Niokhor Diouf, T. Diouf et R. Collignon) et éventuellement du Sida (voir B. Diouf, C. Becker, R.
Collignon et G. Faye). Grâce à son pouvoir mystique aussi, le chien est vecteur d’une maladie
traditionnelle dénommée o ßox (voir R. Collignon, G. Faye dans Médecine traditionnelle). Il
s’agit là d’une vengeance-maladie que le chien télescope à l’enfant d’une mère qui fut méchante
avec lui. O ßox (maladie du chien) muus (maladie du chat) et a un (maladie du pilon) ont de par
leur manifestation (crises) une ressemblance impropre avec le tétanos.
Certains guérisseurs utilisent le pelage de chat et de chien pour semer la confusion dans les
ménages. Avec leurs poils, ils fabriquent dedale, qui crée l’antipathie entre l’homme et la femme.
4. Le chat
En tant qu’animal domestique, le chat est plutôt un parasite pour l’homme sereer. On la garde
uniquement parce que l’ancien a dit qu’il présage par sa présence dans une concession
l’abondance de lait. Et qui dit lait pense au troupeau florissant. Dans tous les autres cas, le chat est
nuisible. Quand il déserte une concession, cela augure la mort dans un bref délai d’un membre de
cette concession. Il met sur les lits à coucher des serpents à demi assommés, mais qui ne sont pas
morts. Il est vecteur d’une maladie infantile de vengeance : muus (voir Médecine traditionnelle,
R. Collignon, T. Diouf) qui se caractérise par des crises convulsives mortelles. Même sa propre
morsure dont les effets se manifestent par des crises voisines de la rage est mortelle.
Sa seule utilité est la chasse aux souris qui infestent une concession. Dans le domaine de la
science traditionnelle, le célèbre chat noir est souvent recherché pour créer un gris-gris qui rend
invisible. En milieu sereer cela s’appelle : a niπ.
Tradition sereer et animaux domestiques
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5. La vache (Naak)
Pour le Sereer, c’est un animal de providence. Il est entièrement bon. Au-delà de sa chair et de
son lait, la vache est remède. Même ses urines sont utilisées pour déparasiter et le pour le traitement de la bilharziose. Socialement, elle fut à la pointe du combat contre la famine et les mauvaises récoltes.
Ses bouses entrent dans la désinfection et le traitement des plaies. Tout gris-gris important
suspendu ou enterré pour prévenir une grande cause est renfermé dans une corne de vache. Pour
le convalescent, sa peau quand elle est tannée et cuite constitue de la bonne viande pour se dernier
qui est souvent sous l’emprise de o buun (voir R. Collignon, T. Diouf, G. Faye et Ajuma Dione).
Dans la tradition sereer, l’origine mystique de la vache serait des nains (kuus). Là dessus
l’ancien est catégorique : no mberaan, naak halal nguus a ree†u to kuus ke ndefu pangool ke in :
jadis, la vache était une richesse des nains et les nains sont nos pangool (voir Saliou Faye et R.
Collignon, Organisation d’un lup). Voilà pourquoi la vache est au centre de toutes les cérémonies
rituelles importantes de la société sereer (funérailles, circoncisions, libations pour quête d’eau,
prédications communautaires : xooy de saltiki, etc.
Dans le cadre des offrandes où est nécessaire l’immolation d’une vache, le pelage noir est
souvent recommandé.
6. Le mouton
Il ne renferme dans sa mystique que deux particularités :
a) ben emlo ou mouton totem qu’on laisse vivant dans une concession comme porte-bonheur ;
b) njegun qui est le genre porte-malheur. Dès la naissance d’un tel mouton, on le tue. Njegun
existe d’ailleurs chez les bovins, les ovins et les caprins. Il existe même chez les humains, où il est
plus dangereux encore à cause de sa tendance à la psychopathie.
7. L’âne
Malgré ses turbulences avec l’homme, c’est un domestique à mystique importante.
Il est le protecteur historique de la concession. On dit qu’il a par une résistance mystique, don
de la nature, l’âne qui est constant dans une concession y pare beaucoup de malédictions imminentes.
Les extrémités mortes de ses sabots sont utilisées par certains guérisseurs pour le traitement du
chancre (voir Eric Gbodoussou et Guérisseurs traditionnels).
La membrane qui enveloppe l’ânon qui vient de naître est utilisée en général comme préventif
aux accouchements difficiles de la femme. C’est ainsi que le lait d’une ânesse entre dans la cure
de désintoxication alcoolique pour certains buveurs qui cherchent à se libérer.
Dans les concessions, ses bouses entre dans la composition des feux crépusculaires spéciaux
qu’on allume aux portails pour se protéger d’une épidémie en vue.
Ainsi donc l’âne qui est maltraité, malgré son utilité courante, rend dans sa vie mystique
d’importants services à son maître et sans en attendre un égard quelconque.
8. Le cheval
Il fut l’animal de la majesté. Au début, le cheval n’était réservé qu’au souverain, aux grands
chefs de guerre ; en un mot aux dignitaires et à leur roi. En milieu sereer, l’âne est le domestique
du paysan. Ce sera à partir des alliances roi-paysan que le cheval sera finalement toléré et acquis
dans le monde paysan. Voilà pourquoi la mystique qui gravite autour de lui n’est maîtrisée que
par les familles féodales, les bije de cours (palfreniers) et princes qui ont reçu pour éducation un
savoir d’expériences et de nécessité sur tout ce qui concerne le cheval.
Tous les différents pelages du cheval ont une signification mystique. C’est ainsi que nous
avons :
1. mbeey
2. ñuul
cheval blanc
cheval noir
134
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
3. holdu
rouge
4. bari
rouge-cendre qui comporte deux autres dérivés
a) bari-siindiin
b) bari ndoobu qui est le type de cheval porte-malheur.
De la cour royale à la paysannerie, bari-ndoobu faisait l’objet d’exclusion formelle à ne pas
domestiquer. Enfreindre cet interdit, c’était s’exposer à une mort certaine (pour un roi qui va au
combat sur un cheval bari ndoobu) ou la destruction de son patrimoine vital (incendie d’une
concession).
Seuls les peulhs transhumants se l’appropriaient.
5. Jeñ
lire sur marron tacheté de blanc
6. Jakeer
7. Mboogu, etc... (vérification éventuelle de la couleur exacte qui correspond au pelage à chaque
type de cheval).
Il est aussi bon de préciser que c’est la jument qui fut introduite en milieu paysan et qu’elle a
été donnée par la cour royale à l’occasion d’un mariage du souverain Maa-Sinig avec une
paysanne. L’idée de produire des mâles pour l’armée du Buur-siin avait tôt germé.
Après tout cela, le cheval reste pour le Sereer l’animal le plus complexe des domestiques. Il
renferme des qualités et des défauts : bonheurs et malheurs ; aisance et famine, etc. Le posséder
jadis était un signe d’opulence et cela impliquait le respect. Pour rationaliser sa possession, le propriétaire d’un cheval lui devait beaucoup d’égards et de respect. Maltraiter cet animal ou
l’affamer était autrefois considéré par les anciens cedo (gens de cour) comme un signe manifeste
de virer vers la déchéance. En un mot, le cheval était un animal totem dont le choix d’acquisition
était rigoureusement étudié (type de cheval et sa couleur), car il faisait partie des éléments fondamentaux qui font évoluer une concession ou la font régresser.
Dans le tim sereer, c’est ainsi qu’on rencontre certains qui font du cheval mboongu un interdit. Par expérience, on dit qu’ils ont des ancêtres qui sont partis au champ de bataille avec un
cheval d’un tel pelage et n’en sont pas revenus. Pour ce qui concerne la santé, les urines d’un
cheval mâle ont été un remède efficace contre les abcès qui ont sévi au cours d’une épidémie de
ver de Guinée vers 1950.
Yoom ou l’impuissance sexuelle
Dans la société sereer du Siin, le mot yoom prononcée engendre immédiatement frisson,
inquiétude et pitié. Pour le sereer, yoom est l’extrême frustration de l’homme. Il signifie l’absence
de virilité du sexe et interdit toute jouissance avec l’autre.
Pour certains, c’est un châtiment divin, pour d’autre c’est une maladie.
Voyons d’abord yoom-châtiment
Dans la conception, il est souvent le résultat d’un mariage malheureux où la discorde a toujours prédominé dans la vie conjugale d’un couple. L’ancien sereer s’y est prononcé dès le début : a tolax a ponu, xa koor xayoomu fo rooy xatu : un mariage mauvais, des garçons impuissants et des filles stériles. Dans ce cas, il devient clair que le châtiment se répercute sur la procréation du couple. Les enfants qui seront aussi conçus reçoivent en malédiction le sort de naître impuissants et stériles. Yoom-châtiment est donc une condamnation perpétuelle. Cette forme
d’impuissance qui fut très importante en milieu sereer où le mariage forcé a été très fréquent a,
dans des circonstances qui sont restés jusqu’aujourd’hui confuses, occasionné beaucoup de suicides. Une déduction subtile et courante fut le mobile de ces suicides. Les fatalistes disaient ceci :
Ñoowaa to rimkiro, andkiro baneex adna ; jalanaa wiin soom ; kaaga ñoowitkinum : vivre sans
enfants, sans connaître la jouissance de la vie, travailler uniquement pour les autres, cela je ne
peux le vivre. En conclusion, la philosophie de Kafka prédomine et le sujet faisait subitement de
la mort un acte de libération et se suicide.
C’est ainsi que, dans les procès verbaux de Gendarmerie du département de Fatick, il m’a été
permis de lire tous les motifs de suicide qui y ont été déclarés et de constater qu’ils n’étaient pas
réels.
Certains suicides qui ont eu dans la communauté rurale de Ngayokhème où je suis né et qui
avait attiré mon attention me poussèrent alors à faire une contre-enquête pour savoir exactement
les mobiles de ces suicides. Grâce à des voisins de suicidés ou à de proches parents de victimes,
j’ai pu constater que sur cinq cas de suicide, trois étaient dus à une impuissance, le 4 e s’était dé-
Tradition sereer et animaux domestiques
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roulé à Ngane-Fissel et avait pour motif l’épilepsie et le 5 e, du village de Sob, n’était motivé en
réalité que par un vol perpétré chez une belle-mère.
Depuis lors, j’ai été édifié. J’en déduis alors que 90 % des suicides ou 90 % des anciennes migrations vers les villes ou à longue distance par rapport au lieu d’origine ne sont motivés en général que par l’impuissance sexuelle.
Voyons ensuite yoom-maladie
C’est l’impuissance la plus évoquée. En générale, elle couvre d’ailleurs les alibis non fondés
de l’impuissance-châtiment. La forme d’impuissance sexuelle-maladie la plus populaire et la
mieux acceptée en milieu sereer est dénommée yoom nqali ou a kum o nqali. Kum o nqali veut
dire quelque chose d’attaché à l’arc. Explicitement, il s’agit d’un mauvais sort que l’on jette de
tradition à certains jeunes nouveaux mariés pour ternir leur lune de miel. A kum o nqali se manifeste par une inertie subite et imprévue du pénis. Le jeune époux, qui se savait d’habitude apte
aux rapports sexuels, constate subitement au moment où on lui remet sa nouvelle mariée pour en
disposer qu’il n’est plus fonctionnel (voir R. Collignon, T. Diouf, G. Faye, C. Becker dans les entretiens sur le mariage).
À partir de cette déconvenue, la course vers les guérisseurs démarre. La vie se complique dans
cette frayeur. Toutes les épargnes des mariés ou de leur famille y passeront si un spécialiste efficace n’est pas trouvé à temps.
Nos praticiens traditionalistes évoqueront dans cette occasion d’autres : yoom-maladie. Elles
ont en général pour noms : ténia (o xes) ou socet (voir Réunion avec un groupe de guérisseurs à
Ndiambour sur les MST, avec C. Becker, R. Collignon, T. Diouf et G. Faye).
Conséquences sociales de yoom
Dans la société sérère du Siin, l’impuissance sexuelle n’a pas que provoquer des suicides.
L’alcoolisme aussi y prend son pourcentage. Ceux qui se disent victime du ténia reçoivent la recommandation de boire beaucoup d’alcool pour le combattre afin d’affaiblir ses méfaits organiques. Souvent, on évoque la situation par cette boutade sereer : o xes a maafa ngaang o yoom
refo ; fok o yer quaa∂u soota Úuf o fef o koor. Quand le ténia terrasse, on est impuissant. Il faut
que l’on boive quelque chose de piquant pour le faire lâcher. Ce n’est qu’après que l’on devient
viril. Cette chose piquante n’est que le vin ou l’alcool et autres dérivés. Avec un espoir aveugle, le
sujet s’y met et s’y habitue. Alors que le résultat miracle tarde à se manifester, l’éthylisme
s’installe. Les parents s’inquiètent davantage, car après les sacrifices consentis pour la guérison de
leur parent, ils constatent avec un mépris sournois qu’il s’abîme.
Arrivé à cet état, l’impuissant sexuel affiche un caractère amorphe qui ne trompe plus. Il devient fuyant et, l’alcool aidant, il se complait à raconter des amours devinettes qu’il n’a réellement
vécu que par l’imagination. L’alcool l’accompagne et il ne se soucie plus du lendemain. Ses seuls
confidents sont les femmes.
Sa condamnation sociale est enfin prononcée par sa propre famille. Kaa soxod, o yoomoo to o
yoom faaxe, gaana sax moÚun - o yoom o kimee roog nee xaÚaa dara kaa ta lameena : Il est méchant, c’est un impuissant et l’impuissant est mauvais de nature. Le lépreux est même meilleur
que lui. L’impuissant qui ne croit pas en Dieu ne laisse rien comme héritage.
En définitive o yoom est alors abandonné et consommer son sort comme il l’entend. Les uns
se suicident, les autres émigrent dans un coin où ils ne sont pas connus. La dernière catégorie de
yoom qui accepte et se sédentarise dans leurs villages respectifs finit souvent dans la dépression.
Ces gens deviennent en fin de compte des diminués mentaux à cause de l’alcool plus les soucis
d’impuissance certainement. Des sobriquets et surnoms lui rappellent souvent son état malheureux
.Ce sont :
1. O dis : l’aplati
2. O ßaraa† = testicules vides
O buj : le castré certaines expressions qualifient l’impuissance sexuel o yoom quand on veut
éviter de prononcer la dénomination intrinsèque. Ce sont :
1. Refee o koor : n’est pas un homme
2. O mbap um kaa ßuuß : son pantalon est froid, etc.
Avant de conclure, on ne peut taire l’évocation traditionnelle de quelques formes
136
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
d’impuissance.
La plus courante et la plus incertaine est l’impuissance qui dérive de la circoncision tardive.
Jadis, cet acte rituel se faisait entre l’âge de 18 à 25 ans. On en déduisait qu’avec des soins au pénis mal faits, la séquelle fréquente après la cicatrisation était la déformation du membre ou tout
bonnement l’impuissance sexuelle.
C’est pour éviter cette carence possible que le sérère inventa nquic †as ou la circoncision en
cachette. Circoncision en bas âge en attendant la proclamation normale de la circoncision qui ne
sera en fait qu’un simulacre rituel.
L’impuissance du portage est aussi évoquée. Elle est due au portage sur le dos. Certaines mères qui ne s’occupaient pas du minimum de confort pour porter leur enfant garçon sur le dos leur
faisaient souvent courir le risque d’avoir un pénis déformé ou de devenir impuissant. Le Sereer
en conclut : kaa ßujel no bax : on l’a castré pendant le portage.
Ñaamin
Ñaamin vient du mot sereer de Ñaam qui veut dire manger, donc Ñaamin est l’action de faire
manger quelqu’un et implique kaa ñaamnil, on lui a fait manger... quelque chose.
Au départ, ñaamin a pour intention de posséder l’adulte. Pour avoir de l’emprise sur quelqu’un donc, le Sereer inventa un procédé occulte de possession qu’il associait à la nourriture ou à
de l’eau à boire. Lorsque le sujet piégé prenait cet appât dans le temps requis, il n’était victime
que du nooπ ou rite d’oubli. En clair, il s’agit là de faire oublier l’individu tous les autres qui
l’auraient intéressé ou pu l’influencer et diriger son centre d’intérêt vers soi.
C’est une forme de ñaamin qui n’est pas nocif en fait, car on dit qu’il n’est ni mortel, ni dangereuse. Son seul inconvénient est la passion sans limite de l’individu et qui devient à partir de
cette période le jouet de l’investigateur ou de l’instigatrice.
Le mal de ñaamin commence à partir du moment où il est donné au sujet avec retard. Le Sereer est clair sur les conséquences : ñaamin nee fe-aa ; ñaamin mbe-u posoñoo - ñaamin ne doit
pas être donné après une nuit ; quand il dure plus d’une journée et passe la nuit sans être employé, il devient du poison. En définition, ñaamin est l’empoisonnement sereer, qui est conçu
dans des formes variées et avec des origines mystiques diverses.
Dans sa première forme, ñaamin se manifeste par une réaction violente. Le sujet ne peut survivre plus de 24 à 48 heures après l’avoir consommé. L’antidote qui est recherché en urgence est
dénommé nquqin en sereer. Nquqin n’est autre qu’un vomitif traditionnel qu’on donne à la victime. Il diminue en général le pouvoir destructeur de ñaamin, mais ne le guérit pas.
C’est pour ainsi dire qu’après être soulagé d’une mort brève et certaine par nquqin, la victime
passe une autre existence avec les séquelles de son ñaamin.
La plus courante est le ventre gonflé et qui regorge d’eau. Certains adeptes de la médecine
moderne, comme le fait Tékhèye Diouf, rapprochent à tort ou à raison cette maladie de l’hépatite
virale. En sereer on l’appelle bagir : grossesse. On n’accouche alors que des diarrhées liquides
après une longue période de constipation. La victime dépérit et accuse une faiblesse graduelle
après le ballonnement du ventre, la jonction de ses articulations subissent aussi des enflures. Pour
l’homme c’est une forme de mort lente. O fud no koor ma semb a ñoottan en conclut le Sereer :
la grossesse de l’homme ne s’accouche que dans la tombe.
Dans les formes de ñaamin moins virulente, le nquqin soulage bien. Les séquelles qui restent
après son action ne se manifestent en général que par une toux sèche et prolongée. Le problème
sera d’aller se faire à chaque fois un nouveau nquqin pour être à l’aise pour retrouver son minimum de santé.
Les guérisseurs évoquent une forme possible de ñaamin : celle qui est le fait de l’épouse distraite en période menstruelle. Il suffit qu’une goutte de son sang de menstrues tombe dans
l’alimentation pour donner à son homme la maladie de bagir no koor ou grossesse masculine
(voir R. Collignon et Tekhèye Diouf dans Médecine traditionnelle).
Cette forme de ñaamin est improprement imputée aux naq (sorciers anthropophage). Il s’agit
d’une confusion car le naq n’agit que par πek-tig et looπ.
∏ek-tig est l’action directe du pouvoir mystique dans l’alimentation. Dès qu’on avale la chose
on est pris au piège. On meurt ou on mourra. Rares sont les victimes qui s’échappent de ce procédé naq. Le sursis donné à la victime pour atténuer la flagrance de l’acte avant de l’achever est
Tradition sereer et animaux domestiques
137
looπ. La victime est déjà morte et consommé mais, le naq lui met quelque chose de vivifiant en
attendant de calmer les supputations.
Donc ñaamin est un produit médicamenteux. Par négligence, il devient nocif et empoisonne.
∏ek-tig n’est autre qu’un corps que seul un naq connaît et qu’il arrive à mettre dans
l’alimentation de l’individu pour l’avoir.
Ñaamin est en général évoqué dans les duels de coépouses pour gagner la faveur de l’unique
mari qu’elles partagent. Chacune d’elles, dit-on, cherche par des moyens qui lui semblent plus
efficaces de se tailler la part du lion au détriment de ses rivales. L’époux devient alors leur cobaye. Si mort ne s’en suit pas à court terme. Là, il s’agit de filtre d’amour qu’il faut faire manger
au mari pour être la plus aimée. Ce médicament donné n’importe comment devient nocif comme
le poison et engendre dans la majeure partie des cas un veuvage imprévu et non recherché.
Les céréales traditionnelles de famine
Autrefois, la famine était fréquente en milieu sérère. Après une inondation, s’en suivait une
disette, car, à part quelques champs de concession, l’eau excessive de ruissellement détruisait tous
les champs de brousse.
La plus célèbre inondation que le Siin a vécue est dénommée o Jaß Kodu Njaay. Devant de
telles circonstances, le Sereer s’accommodait de céréales qui sont en temps normal dites
« sauvages » pour combattre les effets d’une famine.
Les plus connus en milieu sereer sont :
1. lafima : c’est une petite plante qui germe après l’inondation. Les surfaces d’où elle se retire laissent souvent germer cette plante à petits fruits marrons et qui tombent par terre dès qu’il mûrissent.
Les fruits de lafima séchés et pilés donnent de la farine nourrissante. Les vieilles d’hier se débrouillaient pour faire avec cette farine une espèce de couscous ou avec les granulés différents
mets de soudure.
On précise que lafima n’a pas un goût particulier et la nourriture qu’elle donnait était gluante.
Des diarrhées persistantes suivaient souvent après l’avoir consommé.
2. ∆aay : le Sereer l’a surnommé le riz de brousse (maalo a koπ ou o maasir maalo = cousin du
riz). On dit que la nourriture qu’il donne quand on obtient ses graines est fade. Par des condiments de fortune, on essaie de l’amalgamer avec les différentes possibilités de consommation du
riz, mais en vain.
3. A Ñamb : ce sont les tubercules de nénuphars. Quand ils sont cuits, ils sont comme de la patate
douce. Jadis on en trouvait des gros comme une pomme de terre. À une époque ancienne, ñamb
constituaient une espèce d’alimentation délicieuse.
A qonq ßaak : lorsque le colon a hypothéqué le grenier de mil pendant la seconde guerre
mondiale, les graines des fruits du pain de singe par leur farine avait remplacé celle du mil dans
beaucoup de concessions. On en faisait du couscous tout court en boulettes alimentaires. Nourrissante en principe, la farine de graines de pain de singe aura été en conséquence la source d’une
épidémie d’abcès d’hivernage inoubliable. Certains anciens évoquent encore les ravages de ces
types d’abcès.
Dans certaines familles rurales, on interdit de nos jours la confection de ces galettes (xa caga)
aux ménagères qui veulent les associer dans leurs sauces pour le couscous.
Même le lait de pain de singe est refusé dans certaines concessions, car par expérience et depuis cette époque, il a été constaté que sa consommation crée, à forte dose, des troubles de la vue.
Et l’ancien de préciser : ßaak kaa nißaan-naa a kid = le pain de singe (lait) rend la vue sombre.
En passant, il faut noter un contraste avec l’autre utilisation du lait de pain de singe qui sert
pour le traitement de la rougeole en onction sur les yeux (voir R. Collignon, T. Diouf dans Chez
uns orphelins de Pind a Koπ à Niakhar).
Rakal ou tourteaux d’arachides : ils avaient été les remplaçants systématique de la ponction de
mil vivrier que le colon avait opéré dans le monde rural. Sa consommation avait causé plus de
mal que de bien. Des diarrhés et un taux de mortalité important restent comme souvenir.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
À ses côtés l’orge importé fera le reste du dépeuplement causé par la famine intervenue au
cours de la seconde guerre mondiale.
L’alimentation prénatale et natale
Si l’alimentation fait l’objet d’interdits variés, la raison se situe en générale pour la sauvegarde
de l’enfant qui va naître et la protection de l’enfant vivant.
À partir donc de la conception, la future mère est déjà astreinte à un régime alimentaire de rigueur qui est spécifique dans sa concession conjugale. C’est ainsi que l’on voit des femmes enceintes qui ne mangent plus de la viande de chèvre (famille Maroon) ou de pain de singe (certains
Fay), etc.
Pour éviter à l’enfant qui va naître de tremper dans une éventuelle malédiction qui gravite autour de cet interdit de famille (tiimb ñaamel), on demande très tôt à la future mère de rompre en
totalité ou en partie avec cette alimentation.
Dès la naissance de l’enfant, les mêmes précautions étaient observées pour lui. S’y ajoutaient
en plus une alimentation recommandée pour le nourrir et même certaines plantes pour soigner
certaines maladies de grossesse que sa mère lui aurait transmises.
L’alimentation d’un nouveau-né est très sommaire. D’abord, ce sont des gouttes d’eau qu’on
lui donne de temps en temps pour le désaltérer et ouvre en même temps la gorge pour faciliter le
passage des autres aliments.
Le second aliment avant le sein de la mère est le lait de chèvre (voir Naissance et baptême par
R. Collignon et T. Diouf). Ensuite intervient l’allaitement.
Pour atténuer les coliques et constipations passagères de bébé qui sont causées, dit-on, par le
fait que son organisme ne supporte pas encore correctement cette nouvelle alimentation, on lui
confectionne un breuvage approprié avec une plante dénommée fogeel, une plante médicamenteuse qu’on lui trempe dans l’eau à lui faire boire.
Dans le cas où le bébé est né avec un kurfetefi, on lui fait d’habitude un mbaar spécial pour
combattre ce mal (voir R. Collignon et T. Diouf). Durant cette période avec de l’eau + le lait frais
de chèvre, on lui apprend à avaler d’abord en suçant sur les doigts de sa mère, à téter ensuite et
enfin à prendre de petites gorgées à l’aide de la cuillère à café (depuis les temps modernes).
Les tisanes chaudes pour lui traiter des maladies ou la dose de l’alimentation du ménage vont
lui être données petit à petit vers le 4 ème mois d’allaitement qui correspond généralement avec la
capacité du bébé à reconnaître sa mère et essayer de tenir sur les fesses.
À partir de cette période donc, l’allaitement de l’enfant va alterner avec ce que le Sereer appelle a ñimin = faire goûter le mil à l’enfant. Cette opération s’effectue par jo©in = donner de petites pincées de bouillie légère (ngurßaan ou a tooñ foscow) à l’enfant. La mère attend la fin du repas collectif pour s’approcher du récipient où le ménage a déjà mangé. Méthodiquement et avec
attention et tendresse, elle apprend à l’enfant comment manger et ce que mange l’être humain. À
côté d’elle, il y a toujours de l’eau pour l’hygiène de son bébé et pour lui donner un peu à boire
dès que l’aliment semble présenter des difficultés pour être avaler.
Durant cette période du lait caillé ou du lait de pain de singe est souvent offert comme nourriture ou comme remède au traitement d’éventuelles diarrhées.
L’acquisition au goût de la nourriture des adultes met tout de suite l’enfant dans le groupe
alimentaire qui partage la cuisine du ménage. Et de la maladresse à la perfection, il apprend petit à
petit à prendre ses aliments par la main. C’est la mère qui dirige cet apprentissage. Au départ c’est
sans discernement que l’enfant plonge les deux mains dans les aliments et après correction indulgente, c’est tantôt la main gauche et tantôt la droite. L’âge de perfection débute avec l’acquisition
du sens de manger normalement avec la main droite. L’enfant mange plus et se fait au fur et à
mesure un appétit plus exigeant. Du coup sa mère devient plus prévenante envers lui.
Après le petit déjeuner du matin, on lui garde un peu de saa©-ñaal (couscous diurne). C’est
un goûter à base de reste de couscous mouillé et qu’on donne à l’enfant avant le repas de midi.
Saa©-ñaal devient une exigence incontournable pour les enfants d’après sevrage ou ndoßin (voir
C. Becker, G. Faye et A. Diouf à Diohine). Saa©-ñaal est aussi à l’origine du ventre souvent ballonné de l’enfant rural.
Après le repas de midi aussi, on lui fait l’épargne des restes qui sont dénommés : a tooñ-kiran
Tradition sereer et animaux domestiques
139
ou yaar-yon gom. Après les avoir mangé vers 17 heures, l’enfant peut attendre le dîner sans créer
des difficultés à sa mère.
La période névralgique du régime alimentaire de l’enfant va commencer avec ndoßin vu le
rite d’oubli (voir C. Becker A.S.D. et G. Faye).
Quand le ndoßin est mal fait, l’enfant perd tout élan vers l’alimentation humaine. Il refuse en
général tout ce qu’il acceptait de manger auparavant. Il en devient malade et un instinct de faiblesse qui change en lui le goût et les odeurs l’anime. Le Sereer dit alors que : kaa buunel (voir R.
Collignon, T. Diouf et G. Faye avec A. Dione). C’est o buun ou o buunel qui l’oriente vers la
géophagie.
L’enfant traverse dans ce cas là, une phase de dénutrition qu’il faut combattre. Dans le lait
caillé on va ajouter du sucre ; des biscuits qu’il n’avait que dans des circonstances fortuites lui
sont maintenant achetés. Chez certains enfants où o buun persiste, on achètera le poisson frais ou
la viande pour les soulager. O buun est un état qui frappe même le convalescent adulte (voir R.
Collignon, T. D. dans Médecine traditionnelle).
Dans le traitement de o buun adulte, on donne à manger une peau cuite d’un bovin. Ce plat
médicamenteux est dénommé mberem en sereer.
Ainsi donc et pour rester dans le domaine strict de l’enfance, ceux qui sont confiés dès après
le sevrage à des proches parents tombent souvent la géophagie. La raison est simple, en plus du
déracinement de leur milieu d’affection, ils sont souvent victimes d’un manque d’égard presque
total pour ce qui concerne leur alimentation adéquate (Voir Crémieux et G. Faye dans l’enfance
confiée).
L’inconvénient qui découle du fait de gaver l’enfant sevré avec des choses sucrées engendre
aussi le nesin (parasitose), dans ce cas un plat médicamenteux est fait à l’enfant on l’appelle sanq.
Il s’agit là d’une bouillie de mil très amère et qu’on associe avec du lait caillé sans sucre (voir R.
Collignon, T. Diouf et G. Faye dans Médecine traditionnelle) Sanq = déparasiter.
En conclusion, un enfant qui dépassait la période du sevrage sans entraves était dit sauvé et
avait à partir de cette date sa ration normale comme les adultes qui se rajoutait dans tous les repas
du ménage. Son retard à l’heure d’un de ces repas n’empêchait pas qu’on lui réserve sa part (naqan). Comme les chefs de ménage, les enfants avaient en outre leurs ∂afi (morceaux de couscous
de première cuisson et qui sont détaché dans la consommation du ménage). Les mères gardent les
∂afi jusqu’au lendemain quand l’enfant a déjà pris son yaar-yongom. ∆afi compense généralement saa©-ñaal quand il fait défaut.
Aux enfants, était réservé à kalamboo© : ces grains de mil qui résistent à sa transformation en
farine. Par eux, la bilharziose avait pris des proportions importantes dans le monde sereer. À
l’époque des nouvelles récoltes d’arachides et de mil, c’est la période de muum (grillade de mil)
ou des sil (grillade d’arachide).
C’est une époque au cours de laquelle, les enfants ne s’intéressent presque plus de
l’alimentation à domicile. Ils quittent avec l’appétit de la période de soudure à cause de ces grillades de mil ou d’arachide qui deviennent leur mets de prédilection quotidienne. Et les adultes en
déduisent : xa teßandoofi axe kaa tuux : les enfants ont récupéré et deviennent sobres (en faisant
allusion à la période hivernale pendant laquelle l’alimentation était moindre).
On ne peut clôturer sans évoquer le régime de faveur dont bénéficient souvent les enfants qui
furent à la charge du grand-père ou de la grand-mère.
À part les repas de concession, ces enfants ne ratent jamais les repas-cadeaux qui sont toujours
copieux et qu’on offre à titre exclusif qu’aux anciens. Avec ce régime d’aisance qui aiguise avec
l’habitude la gourmandise, l’enfant finit par dédaigner l’alimentation de concession et créé des
problèmes aux grands-parents dès qu’un plat nouveau n’est pas en vue. Pour compenser, la
grand-mère d’hier avait inventé d’autres aliments :
a) O gaf : pâte de farine de mil grillé au feu ;
b) O nak : une autre pâte de mil mi-farine, mi-granulée et salée ou sucrée ;
c) O ∂ok : en pâte ou en farine d’arachide sucrée ou salée. Toutes ces petites préparations rapides
et peu couteuses offraient à l’enfant de quoi manger à sa faim et d’être heureux. Et l’on en déduit
de quoi manger et d’être heureux. Et l’on en déduit depuis lors que : Fa yar caaci kaa yaqaa on
deßandoofi yaam xan a yorom ; xan a fañiil : l’éducation du grand parent gâte l’enfant parce
qu’il devient gourment et dédaigneux (pour l’alimentation courante).
140
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Ce favoritisme dans l’alimentation de la concession est vite perdu par les garçons, car ils vont
très tôt en brousse avec leurs aînés-bergers pour apprendre à conduire le troupeau.
C’est ainsi que dans certaines incantations du ndoßin on dit ceci pour un garçon : Waasi a
yaay to damno o loq ngaynaak : laisses ta mère et attrape sur la bâton de berger.
Au cours de cette période préadolescente, le garçon va découvrir les débuts de la vie masculine. Il vivra la faim et la soif ; il pleurera sans consolateur et vivra la vie des bergers qui n’est pas
du tout facile. En fait, il connaîtra l’alimentation frugale pour atténuer sa faim.
Jir a keen peut avoir une équivalence hypothétique avec le sida si la pandémie est réellement
d’origine africaine.
D’abord que signifie traditionnellement jir a keen ? Littéralement : jir veut dire la maladie et a
keen : l’action de se tenir debout. En tout cas jir a keen signifie une maladie qui se tient debout ;
un malade debout, qui n’est pas alité. Comment se manifeste jir a keen ?
Au départ l’individu ne se plaint que de lassitude et dit toujours à ses proches : cera es mbeliraam : c’est mon état physique qui ne me plait pas. La phase suivante est un manque d’appétit qui
vient compliquer o suuÚ (constipation). Après un traitement par des purgatifs traditionnels le malade est soulagé mais le manque d’appétit reste pour dégénérer une faiblesse diffuse. À ce stade, le
malade se sent abattu et les conseils d’anciens recueillis par ci par là ne recommandent que la diversification du régime alimentaire. Mange ce que tu aimes le plus et repose-toi bien, lui disent
certains. C’est à la suite de cette expérience que le sujet se sent réellement atteint d’un mal extraordinaire. Il constate que sa salive rend fades tous les aliments auxquels il trouvait un bon goût.
Ce qu’il avale dorénavant pour se maintenir crée souvent des nausées épisodiques qui se compliquent par des vomissements. Une sensation de malaise s’installe ; l’individu se sent en mauvais
état, mais ne peut dire avec exactitude l’endroit ou l’organe où cela ne va pas. Des guérisseurs
consultés, il ne revient qu’avec les remèdes pour parasitose. Pendant tout ce temps, jir a keen fortifie sa position et laisse transparaître chez le malade une maigreur qui ne trompe plus. Subitement
une poussée de fièvre qui alterne avec de petites diarrhées liquides s’annonce. Les urines et les
yeux du malade qui se colorent en jaune font dire alors à certains connaisseurs de maladies que la
personne n’a rien d’autre qu’une jaunisse (pays). Les traitements entrepris sont écourtés car
d’autres symptômes apparaissent. Toux sèche, difficultés respiratoire et une importante fatigue
finissent de convaincre le malade qu’il n’a pas les maladies qu’on lui reconnaît. Il est atteint d’un
mal indicible, qui se manifeste sous formes variétés. Son amaigrissement s’est rapidement accentué pour le rendre moribond aux yeux des autres.
Comme signes corporels, c’est sa chevelure qui souffre, car elle devient rougeâtre et clairsemée. La peau qui commence à coller sur les os devient terne et une lourde paresse finit par le
traumatiser. Il éprouve parfois de la peine pour manger, car il ne trouve plus cette force. Maintenant, le malade de jir a keen est montré du doigt. Les supputations sont acerbes sur son dos aux
moments de répit, tout au long de ses courtes promenades. Les uns disent : kene jangaru fa andanoo : ça c’est une maladie inconnue ; certains disent kene jir a keenoo, na sayataani hataa : c’est
une maladie debout, il provient de Satan et les derniers accusent les pangool. À côté, les parents
précisent que les pangool, les guérisseurs de tous genres et les voyants-guérisseurs et saltikima∂ag ont été tous consultés, mais en vain.
L’évocation de la médecine moderne ne rencontre pas d’approbation sauf chez un traditioniste catégorique qui dit : kene, jir a qonooro†oo, dogtoor wwaagee teen dara : ça c’est une maladie
de mort, un docteur n’y peut rien.
La victime de jir a keen est alors condamnée. De la part des parents, il ne reste que les visites
espacées pour constater l’évolution de son état. Ses parents les plus solidaires ne s’avouent jamais
vaincus. Ils continuent de lui chercher des spécialistes pour d’éventuels soins de consolation. Et
l’on dit souvent en coulisse : kene refatee oxey and-iinaa o kiin refatee meen : celui-ci n’est plus
celui qu’on avait connu. Une personne n’est plus présente.
À ce point, le malade n’est plus beau à voir. La tête est presque complètement rasée, son visage est rétréci, les yeux se sont rapetissés, les joues épanouies, bouche et lèvres jaunissent. Le reste
de l’individu n’est plus qu’un squelette vivant. Membres supérieurs et inférieurs sont enflés au
niveau de la jonction des articulations. En un mot, il n’est plus qu’une forme hideuse qui bouge
et respire.
Le seul domaine où la bonne santé existe chez lui c’est le verbe. Il parle convenablement et
émet des idées cohérentes. Pour ce qui concerne son alimentation, on lui fait l’unique plat qu’on
avale sans effort : ruuy ou laaq en sereer (bouille légère). Il est à la charge du parent d’à côté. Il
n’est plus sur son lit, mais par terre. Et le Sereer de dire pour son malade : oxene daal, Roog rela
Tradition sereer et animaux domestiques
141
na cungateel = pour celui-là, on n’attend que Dieu. Là, notre malade est arrivé à un stade où l’on
est plus proche du trépas que de la vie qui offre une bride d’espoir pour la santé.
Le malade de jir a keen est maintenant isolé de la vue indiscrète et seuls quelques ayant-droits
peuvent aller jusqu’à lui.
La famille attend sa mort avec impatience, car ses jours qui sont maintenant comptés ne font
que de la désolation pour son milieu. A ñootnuwa (il s’est enfin reposé) est l’unique expression de
soulagement qui est dit lorsqu’on annonce sa mort. Son enterrement aussi est sans délai. Ce qu’on
met en tombe n’est pas important : un squelette lamentable recouvert d’une peau collante.
Autour de sa maladie, on s’accorde à déclarer unanimement qu’il était atteint de jir a keen et
c’est tout. Où avait-il mal ? Réponse : personne ne sait. Et chacun se lance dans son propre constat
pour décrire l’évolution de la maladie. Le problème est que depuis l’apparition de cette maladie
jusqu’à nos jours, nul n’a pu lui donner un nom, nul n’a pu décrire avec exactitude ses symptômes ou la partie de l’individu qu’elle affecte.
Dans la société traditionnelle sereer, toutes les maladies ont des noms, une origine et une
symptomatologie capable d’être spécifiée. On sait en général où leur évolution mène et la partie
du corps ou l’organe qu’elles attaquent respectivement. La médecine traditionnelle qui a répartie
très tôt le traitement de la santé entre des spécialistes dans les différentes familles de la société sereer n’a rien prévu ou dit de jir a keen.
Les gémissements qui ont tenté de soigner la maladie n’ont traité que d’autres affections
connues et qu’ils avaient auparavant réussi à guérir.
Pour ce qui concerne jir a keen, nul n’y évoque un rescapé. Tous ceux qui en furent victime
en meurent. Voilà donc une maladie qui garde son secret hier et aujourd’hui tout en manifestant
son pouvoir incontrôlable de tuer sans entraves possibles.
Bien que rare dans le monde sereer, elle y est très connue. Dès qu’elle attaque un individu,
c’est cette unique phrase qui est la fin : jir a keen a sequ, a fafida : il a la maladie de jir a keen, il
en a terminé (de la vie).
Dans le système de catégorisation des maladies humaines, on distingue :
1. a cir a suumaan : maladies inflammatoires : elle comportent deux importantes sous-catégories :
inflammatoires internes et inflammatoires externes, par exemple fièvres et coliques.
2. a cir nqaßran fa a seel : les maladies contagieuses et les épidémies (voir le mémoire de M.
Thioune)
3. A cir o yeng ou maladies nocturnes. Elles renferment toutes les affections qui ont une origine
mystique (pangool, anthropophagie, maraboutage, démence, etc.) ; jir a keen n’y fut jamais
amalgamé, sa différence avec le sida est possible, mais leur manière de détruire l’individu et leur
invincibilité dans le traitement les rapprochent. Le sida est dit contagieux ; de jir a keen on ne
peut le dire, car c’est une maladie qui fait fuir les autres et sa victime meurt sans soutien. Et pour
être franc, la peur d’être contaminé est à l’origine du délaissement total que vit la victime de jir a
keen. Même sa toilette funéraire est faite avec méfiance. Ceux qui lavent son corps se couvrent les
mains avec des bandes d’étoffes. À son enterrement qui souvent se fait en cachette, il n’y a pas de
cortège. Seuls quelques parents s’en débarrassent et rapidement.
- Sur certains malades de jir a keen qui perdurent, de petites plaies éparses sont souvent découvertes sur le crâne et la peau avant qu’il ne meurent.
Ainsi donc, sans oser être catégorique pour avancer que jir a keen n’est autre chose que le sida, j’ose affirmer que jir a keen peut recevoir l’appellation de sida sereer par rapprochement de
causes à effets.
Nous avons vu aussi des victimes de jir a keen qui, dans leur peur de mourir sans savoir, tombent subitement dans un état confusionnel et se mettent directement à accuser certains parents
avec qui ils ne s’entendaient pas de sorcellerie ou de maraboutage (naq et calel).
Dans ces cas, le temps de vie qui reste au malade est appelé looπ par ceux qui croient à cette
déclaration lorsqu’il s’agit d’une accusation d’anthropophagie. Quand le malade dit : ndeetar a
waasangiraam xam xon : si un tel ne me laisse pas, je mourrai : voilà une accusation directe. La
conclusion du parent qui y croit est ceci : ka looπin ndaa xan a xon : on lui laisse le temps de
souffler encore, mais il mourra. En réalité cette accusation est erronée dans la mesure où au début
de jir a keen, il s’agit d’une autre affection avec un grand point d’interrogation. C’est quand la
maladie a pris une autre tournure que la peur dégonfle le malade. Entre l’envie de rester en vie et
142
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
la hantise de se voir mourir, jaillit alors la recherche aigue pour connaître le mobile de ce qui lui
arrive. Le malade devient alors dépressif et trouve intuitivement que ses ennemis, qui sont restés
du début jusqu’au moment où l’ampleur de son mal est évidente, ne peuvent être que des personnes cherchant à le détruire par tous les moyens. Le choix d’un parent qui ne l’aime pas sera finalement le fondement de son accusation pour avoir un mobile de consolation quant à l’origine de
son affection.
Cependant, looπ existe dans le cas d’une attaque de naq (song). Dans ce cas, lorsque les accusations par la famille du malade sont acerbes et les projets de vengeance sont durs, les naq mettent
en branle un moyen mystique de garder encore en vie leur victime qu’ils ont déjà dévorée. On
l’appelle looπ qui n’est autre que le pouvoir d’introduire un souffle fictif capable de laisser le malade en vie pour quelque temps, juste le temps d’adoucir les esprits. Dans le cadre de jir a keen,
looπ n’existe pas, car c’est une maladie qui dépasse song faisant partie de la sous-catégorie des
maladies de la nuit (a cir o yeng).
En tout cas, jir a keen est là. Est-ce le sida originaire d’Afrique, ou est-ce autre chose ? Personne ne sait. Pour moi, voilà deux combattants qui restent invaincus. Donc avis aux amateurs de
recherche et de solutions aux mystères.
Pour le sida qui décime riches et pauvres et sévit en ville, le train est déjà en marche. Pour jir a
keen, les choses gardent encore leur secret car, elle reste l’inconnue et on sait pas si les deux
fléaux n’en font qu’un.
Pac - ou la précirconcision
Pac est une petite chirurgie que le petit garçon sereer subit avant la circoncision. Elle intervient deux ans après le sevrage.
C’est une opération qui consiste à libérer toute la partie de peau qui couvre le gland de pénis.
Elle est douloureuse et comporte des risques qui engendre souvent des circoncisions prématurées
en milieu sereer.
En pratique, c’est l’action de décoller toute la peau qui couvre le gland et de la retrousser vers
l’extérieur à un niveau qui libère complètement ce gland.
La pratique du pac occasionne des saignements un peu importants, car elle provoque une
blessure circulaire qui peut devenir une plaie dès qu’on dépasse la fin du gland qui se prolonge
par le bâton.
Des infections sont souvent déplorées après l’opération car à part a cat a kum (incantation et
crachements) sur cette nouvelle blessure, on ne fait rien d’autre.
Pas de pansement ou de période de soins. Dès que l’on finit de faire le pac sur la verge d’un
enfant, on en termine. C’est uniquement la peau déjà libérée que l’on détrousse pour la laisser sur
place.
Le suivi de la guérison de la blessure du pac est assurée par la mère du garçon dans le cas
d’opérations précoces et par le père lorsqu’il s’agit d’un garçon l’ayant subi un peu tard.
Le tant soi peu de traitement que l’on fait après cet acte de pré-circoncision pour le sujet est de
lui verser un peu de terre glaise entre cette peau décollée et le gland.
Pour le pac prématuré, il est souvent observé une nouvelle germination de cette peau. Elle se
ressoude sur le gland ; quand la mère ne fait pas ce qu’on lui dit en versant de la terre sur cet endroit, dans ce cas, un second pac devient inévitable.
C’est ainsi que certaines mères qui sont entreprenantes arrivent à faire éviter l’opération de
pac à leur enfant. C’est simple, car il suffit de verser chaque jour une pincée de terre propre par
l’orifice qui termine cette peau et de malaxer. Au fur et à mesure que cela est fait, le reste de terre
qui adhère entre le gland et la peau pratique lentement un pac sans douleur pour l’enfant. C’est
dire qu’à la longue, le gland sera libéré sans problème.
Les garçons qui ont le malheur d’être nés de parents négligents et qui ne subissent pas
l’opération de pré-circoncision du pac tombent dans le risque incontournable d’une circoncision
compliquée et pénible. Nécessairement, il subiront les deux à la fois. Sans cela, couper peau et
gland est possible.
Tradition sereer et animaux domestiques
143
Donc pac est une opération importante et nécessaire comme une percée d’oreille l’est pour
une fille.
Cependant, pac a des inconvénients. Quand il est mal fait, la verge de l’enfant peut enfler et
s’infecter à la suite de la transformation de la blessure en plaie. Là il faut ouvrir la zone infectée
par une circoncision improvisée. Le résultat revient au même problème que pour celui qui subit
pac et que (pré-circoncision et circoncision) à la fois. C’est ce que le sérère dit : o yaal que †ik
(celui qui a subit deux circoncisions).
Dans les deux cas, le traitement est pénible, la cicatrisation lente. La déformation de la verge
est souvent observée après l’obtention d’une guérison de l’infection. Et même dans certains cas,
des séquelles pour défaillances sexuelles ultérieures sont possibles.
Pac est une opération que tout circoncis est capable de faire pour un garçon ; mais à cause la
prudence avec laquelle il faut le faire, seul le petit frère du père de l’enfant le fait pour ce dernier.
Il est demandé en outre au paafac (celui fait le pac) de connaître des cat a kum (incantationscrachements qui neutralisent la possibilité pour une blessure de s’enfler) avant de procéder à cette
opération sur un enfant.
In tro d u ctio n p o u r les p ro v erb es sereer
Cel falayoo (le silence est un langage) a dit le sage. Jadis, quand un de nos vieillards semblait
absent, anxieux ou persistait dans un mutisme prolongé, l’observateur avait automatiquement de
lui une induction discrète et spontanée.
Ou notre ancien est malade ou il médite. L’ensemble des proverbes sereer est le fruit de la
pensée profonde sortie de la méditation ruminée et rigoureusement pesée de nos anciens Sereer.
Le proverbe sereer a été dès lors conçu loin de toute passion, de pédantisme ou d’intérêts
égoïstes à sauvegarder.
Plus que des recueils pour l’éducation des moins âgés, les proverbes sereer sont avant tout des
tables de valeur morale, des assertions au monde réel ; à l’au-delà et des vérités fondamentales qui
ont résisté et qui résistent encore à la pesanteur des vraisemblances actuelles.
De la naissance à la mort, de la concession à l’étendue des royaumes, du voisin à l’étranger
qui arrive, de la petite fourmi rouge à l’éléphant, il n’y a pas un domaine intelligible où
l’observation minutieuse de la sagesse sereer n’a pénétré. Avec intelligence, elle a dépassé
l’entendement et a pu par des résumés métaphoriques ou proverbiaux déterrer d’anciennes essences morales qu’il faut reconsidérer. Il y a soutiré les prémisses du présent qui devront réaliser
l’avenir et a placé des garde-fous salvateurs entre l’ambition humaine et les propriétés du divin.
Quand le Sereer disait : Yiif le na ßunaa nee fagaa (l’esprit qui médite ne finit pas), il avait à
l’esprit beaucoup de questions. Des réponses à lui et par les autres surgirent.
C’est ainsi qu’évoluèrent nos proverbes. Dans la marche des temps, ils nous servent de provisions grâce à cette métaphore : Falay no maak a πislaxoo = le langage de l’ancien est une provision de voyage. Grâce à ce conseil, la répercussion, mieux la vulgarisation de nos proverbes s’est
faite dans toute l’ethnie sereer et à travers les âges. Ils ont combattu et ont neutralisé les langages
pervers tout en gardant leur destin authentique grâce à cet autre proverbe = Falay no maak o
kaynaakoo ; ngaynaak no wiin inun ; to ngaynaak no wiin, ne wiin we mbodna xa loq xa quuxur
axe a mbodkaa yaam o kiino kiin fo yiifum : la parole ancienne (proverbe) est un berger ; conduire les humains est son but ; et pour conduire les êtres humains, il faut un bâton de redressement
pour chacun d’eux (o loq o xurir = le bâton du berger) car chacun a un réfléchi qui lui est propre). Finalement, le proverbe est dans le milieu sereer cette vérité qui est au dessus de la confusion
et qui reste la seule alternative pour régler nos problèmes sociaux.
Grâce à nos proverbes, la nature et ses esprits invisibles ont été connus. L’instinct animal a été
maîtrisé jusque dans ses limites et nous permet d’utiliser chaque bête selon son humeur. Le hennissement du cheval, le piaulement de l’oiseau, même certains bruits, et toute manifestation
d’apparence mondaine cachent en profondeur une signification traditionnelle scientifique que le
répertoire de nos proverbes permet de démystifier. À côté des mythes parlants que sont nos pangool, deux Sereer autochtones peuvent se parler en langage chiffré grâce à ces proverbes. En voici un exemple, l’un dit à l’autre : xam cooxong pambe †ik fa a cek ndax o jikankaam sumbu : « je
te donnerai deux chèvres et une poule pour que tu m’achètes du tabac ». En langage clair cela
veut dire : « je te donnerai dix francs pour que tu ailles m’acheter du tabac ». Quatre pattes de
chèvre multipliées par deux plus deux pattes de poule font dix.
À propos de ses proverbes le sage sereer en dit : Falay no maak kaa naneel ndaa nee ga-eel.
La parole de l’ancien s’entend, mais ne se voit pas.
Entendre au sens profond l’ensemble de ces proverbes est donc un savoir qui rapproche très
étroitement des anciens et facilite la compréhension du présent.
Dans la foulée, il faut noter que les proverbes sereer n’ont pas été créés n’importe comment.
À l’origine, une méthodologie a facilité leur édition. C’est à partir d’une classification subtile et
une dénomination de classe qu’ils ont vu le jour. Ainsi, nous avons :
A. a naxax (faire allusion à...). Ce sont les premiers proverbes instaurés. Dans la rubrique des
a naxax, l’intéressé s’exprime en narration. Il met en relief une situation qui n’est pas toujours la
sienne tout en évitant que l’acteur de cette même situation pense qu’il parle exactement de lui.
Introduction pour les proverbes sereer
145
Un exemple : Mbexeyaa mbexey to mbeec a Roog : faire toujours des projets et oublier Dieu.
C’est une formulation pour dire qu’on n’y ignore pas les choses malsaines que des ennemis
préparent dans l’ombre ; mieux, l’intéressé écarte toute riposte et se met derrière la volonté de
Dieu qui seul est capable de faire aboutir le projet humain.
Dès que la partie ennemie entend ce proverbe, elle sait tout de suite que sa cible est au courant
de ce qui se prépare.
Dans le cas de deux personnes qui décident de nuire un voisin, l’une dira à l’autre : Ndoktaloo
naa nanaa (débarras qui cache les choses à cacher écoutes). Tu entends ce que dit notre gars) ou
bien : Waas a caf es †ii©u o naq = c’est laisses ma jambe qui résiste à l’anthropophage, autrement
dit reprendre son bien de la main d’un voleur met fin à l’acte de vol. Pour mettre fin aux velléités
d’un prétendant, un voisin dira ce proverbe au père d’une fille qui ne veut pas donner la main de
son enfant au prétendant, mais qui trouve des difficultés pour le dire. Pendant ce temps, le prétendant tricote des choses qui peuvent être dangereuses pour la fille en question s’il devait la perdre. Le proverbe voudra alors dire : laisse ma concession (à l’adresse du prétendant ; met fin aux
craintes qu’on a de lui).
Enfin, a koy a waasangaa qol of, fat o waas gon um. Quand le singe abandonne ton champ, il
faut laisser son nom. Autrement dit : je ne viens plus dans votre concession pour courtiser ; laisse
mon nom (ne prononce plus mon nom).
Pour couper court aux explications malveillantes du père qui refuse de donner sa fille, l’amant
lui dira sans l’affronter de front et en usant de ce proverbe : tu m’as éconduit, laisses moi tranquille. Pour voir clair dans ce proverbe qui est un proverbe de dédain. Il faut comprendre ce qui
suit :
- Ici le singe représente l’amant ;
- le champ représente la fille et la concession du père.
- Laisse mon nom est à l’intention du père. C’est un langage nuancé, indirectement dit pour
ne pas avoir une réponse immédiate de l’antagoniste, mais qui sera directement compris par lui.
Ainsi aucune possibilité de riposte ne lui est donnée. L’amant dit ce qu’il a dans le cœur tout en
s’aménageant une porte de sortie d’où il lui est prompt de dégager sa responsabilité. Une riposte
du père est dès le départ maladroite, car l’amant lui dira sèchement : cungi gon of : attends ton
nom : autrement dit : attends que je dise : Monsieur untel, laisse moi tranquille, puisque je ne
viens plus fréquenter ta concession.
A naxax est donc un proverbe qui permet de dire ce que l’on pense sans avoir à répondre des
conséquences que ses propos peuvent apporter.
B. Xa pe†it ou proverbes divers. Ils embrassent tous les domaines et sont le fruit de l’intelligence.
Ils proviennent en fait de l’observation pertinente de la nature, des animaux, de l’être humain et
son environnement. C’est un ensemble d’évidences que des individus donnés ont improvisé dans
les proverbes sereer. Si proverbe était démence, o fe†it serait un état voisin de la démence.
Voici un exemple de o fe†it (xa pe†it ou pluriel) = o puul doyee layelee nuti = il est inutile de
dire à un aveugle : ferme tes yeux. Voilà une évidence car l’aveugle est déjà dans la nuit. Xa pe†it
regroupent alors toute la bouffonnerie, le divertissement éducatif, la pédagogie sociale et la vraisemblance adroite du milieu sereer. En voici quelques exemples :
a) Pour la bouffonnerie : nduun a ßisangaang a muriteem o doy†u = si exhiber le derrière te
conduit chez les mourides tu en auras assez. Voilà une réalité, car les talibés mourides et surtout
les baay-faal se caractérisent par le port des pantalons bouffants déchirés, qui laissent en général
toutes les parties du bas à nu. Les fidèles exagèrent aussi dans leurs prières et salutations. Toujours
la courbette avec le derrière en mouvement.
b) Divertissement = Bo o ∂eelaand a jikwaa o saax o jiig fa a cung bo fik a faaf = avant que le
lézard rouge ne se targue d’avoir un bon profil, qu’il attende la fin du débroussage des champs.
C’est une évidence amusante. Ce type de lézard se cache en saison sèche sous les petits accacias
albida qui germent et grandissent après la récolte. On en tue ou blesse beaucoup au cours de la
préparation des champs pour l’hivernage.
c) Pédagogie social : ñaaÚ o ndang yaqanee o fad me jofaa = aller doucement, n’empêche pas
d’arriver à destination. Cela va sans dire. À la précipitation, le Sereer préfère la mesure qui seule
conduit au but et sans fatigue.
146
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
d) Nqoox sund jagu fo’raatam ndaa o njuk o mbambe Roog a cooxun = la barbe serait mieux
chez le taureau, mais Dieu l’a donnée au petit bouc et c’est, etc.
C. Xa maamaak (singulier = o maamaak). Les paroles anciennes, ou l’ensemble des proverbes de
la sagesse. Ils regroupent l’ensemble des méditations objectives des anciens, l’ensemble des
conclusions faites en observant l’être humain, la nature, le règne animal, la place des mythes et
leurs apports dans la société. Ils couvrent également la recherche sur la santé, les fléaux exogènes
ou endogènes qui gravitent autour des êtres vivants, les recettes et les palliatifs qui peuvent harmoniser la vie de l’être humain. Ces proverbes commencent par la vie et se terminent par la mort.
Un seul exemple : xonar o xaa no mbind no timaand = l’immortel est dans la concession de
l’infécondité.
F êtes et cérémo n ies d an s le Njaafaaj
Le Ndiafadji est une ancienne province du Sine d’hier où la tradition reste encore vivace.
Malgré les assauts de l’Islam et du Christianisme, fêtes et cérémonies résistent encore dans
leurs formes coutumières. Les islamisés ou autres de la contrée sont contraints de revenir aux
sources à l’occasion de certaines fêtes ou cérémonies pour ne pas se voir reléguer au second
plan.
C’est ainsi qu’heureusement la tradition d’ici asservit les religions importées au lieu d’avoir à
subir d’elles des entorses déplorables.
Pour entrer dans le vif de mon sujet, je dis tout de suite que les termes de fêtes et de cérémonies n’ont pas de nominatifs qui leur soient propres.
En revanche elles sont nuancées dans des expressions de rapprochement. Pour les annoncer
on dit souvent :
O xetand : lieu de rencontre à l’occasion de ...
Mbokatoor : un regroupement pour ....
Mbuud : un spectacle ..., etc.
En sereer, cette lacune de vocabulaire à été comblée par une nomination caractéristique propre à chaque type de fête ou cérémonie. Faisons un cheminement détaillé en énumérant les fêtes
et cérémonies les plus courantes dans le Njaafaaj qui reste encore un oasis où se porte encore
comme il le faut l’essentiel de la tradition.
1. Sut a Ndok ou bat (baptême), pour connaître la définition et le déroulement de cette fête familiale, je renvoie aux écrits de Tékhèye Diouf et R. Collignon.
Un rajout est cependant nécessaire, car le baptême a un caractère duel comme toutes les fêtes
et cérémonies en milieu sereer. Je veux dire qu’il comporte dans la majeure partie de son exécution un volet rituel (baax) et une phase de divertissement (fañas).
Baax (tradition ou coutume) est un rite propre à chaque famille. Il renferme l’ensemble des
obligations et devoirs de cosaan (traditionnels) dont chaque famille observe et s’en acquitte
quand elle a un baptême.
Quant à Fañas, il renferme les jeux, les danses et les chants, etc... À titre indicatif, nous allons
décrire la cérémonie d’un baptême dans la famille des Ndiaye (Njaay).
Elle part du fak (morceau de tam-tam exécuté exclusivement pour le kurcala no Jaayeen (lignée paternelle des Ndiaye).
Leur fak est intitulé : Mbind Suuma guu∂ ßor = la concession de Souma, que des voleurs.
La mise en pratique de ce fak s’effectue lors du baptême d’un bébé du nom de Ndiaye. Pendant la cérémonie, un groupe d’adulte Ndiaye entre dans les concessions voisines et en soustraient frauduleusement de la farine, du lait caillé, etc. Le tout reviendra à la maman, qui en préparera un plat coutumier à manger par elle seule.
La clôture du baptême est faite par un autre « baax » dénommé : Bakata. Ce rite consiste à
attacher un fil cardé (o πaak fale) autour du cou de la mère du bébé et que la faap o tew (tante
paternelle tient en laisse. La mère va ramper sur les genoux et fera le tour de la case où est couché le bébé. Elle est suivie pendant l’exécution de ce rite par un orchestre de griots qui tapent la
symphonie du Bakata que répètent d’ailleurs les femmes présentes. Le chœur des femmes répètent ainsi les battements de tam-tam. En clair, voilà ce qui est dit :
Bakata, bakat, paar o Mbay : bakata, bakata, tape le paar (le chef des griots) du nom de
famille Mbaye.
Si le bébé est un garçon, sa mère fera quatre fois le tour de la case où il est couché, et si c’est
une fille, ce sera trois fois. Pendant l’exécution du Bakata, des arrêts de parcours sont prévus
148
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
aussi. Ils permettent à la rampeuse de prendre du souffle et aux autres femmes de la partie
d’enclencher librement d’autres formes de danses applaudies.
Les autres fêtes et cérémonies traditionnelles qui restent actuelles dans le Njaafaaj sont les suivantes :
2. Ngulook : le mariage. L’essentiel a été dit dans Tekhèye et Collignon (voir Maad Ngulook et
mariage). Il faut simplement détailler la partie rituelle qui intervient pendant la réception de la
nouvelle mariée. Quand elle arrive, on la dépose au seuil du portail de la concession (na carin
ale). C’est là qu’on lui fait le baax dit maañ et a cuur.
a) Maañ est une danse rituelle exécutée pour une nouvelle mariée et lors du décès d’une vieille
femme.
b) A cuur est une forme de libation qui est faite à la mariée avec des grains de petit mil et des
touffes de coton non cardées. Maañ est dansé au rythme des tam-tam (2 en général) un grand
tam-tam (lamb) et un perngel (tam-tam long). La danseuse, une veilles femme au départ se place
devant la mariée couverte d’un pagne blanc et assise sur une natte. Elle sautille sur place avec un
balancement des bras en l’air.
Quand elle arrive au paroxysme, de sa danse, elle s’écrie en disant :
- Suuy !
- Suuy, suuy ! fat o suqit o moon ole
- Suuy, o cegee jigand yerkeen moon ole
Cela veut dire :
- Suuy ! éparpillé (éparpiller le bonheur)
- Suuy ! éparpillé, il faut que tu débouches la bouteille (forme subjonctive et nuancée pour dire
la future défloraison de la mariée qui incombe au mari).
Celui qui n’a pas le prix ne boira pas de cette bouteille (autrement dit, celui qui n’a pas le
prix d’une femme ne goûtera pas de cet éventuel bonheur).
Le maañ continue par terre. La vieille s’agenouille et met en branle son torse et les bras en
l’air font le reste.
Au seuil de la concession donc, toutes les autres danses d’amusement sont improvisées et
exécutées dans la gaité et des applaudissements nourris. Finalement la mariée est introduite dans
le foyer conjugal où la fête et ses différents péripéties continuent (voir Tékhèye et René Collignon).
3. Nque-woonfi = circoncision dansée. Elle fut la fête familiale la plus importante dans le Njaafaaj. Sa préparation était longue et mobilisait des ressources économiques exorbitantes. Le jour
de son déroulement, cette cérémonie drainait des foules de gens qui venaient d’un peu partout.
Elle durait en gros 48 heures. Pratiquement, on l’organisait de la manière suivante :
- Son début : on l’appelait O ngoomaar, était fixé pour un mercredi. O ngoomaar commence
par : a aqatax (s’initier à danser). C’est ainsi que le spectacle du woong était d’abord annoncé
par le fak du kurcala (voir plus haut). Est directement suivi de a aqatax qui consiste à apprendre
l’exécution d’une danse traditionnelle et particulière. Elle est dénommée : o gijarin (ou début de
la fin - autrement dit : on ne se circoncit qu’une fois).
Le morceau tambouriné par un orchestre de griots engagé pour la circonstance est ainsi interprété dans le vocabulaire courant :
-
o
o
o
o
gijarin, o gijarin ! (tu t’en acquittes une bonne fois pour toute
gijarin, carcarin ! (tu t’en acquittes en évoluant).
sa∂a ; da∂eer (courageux ou pas courageux)
feet o xucu ! (demain, tu es circoncis !)
Ce refrain est quatre fois de suite exécuté par les griots et d’abord dansé par un moniteur (en
l’occurrence le cousin croisé du haat). O gijarin se danse de la manière suivante :
Le moniteur ou o woongnaan (ils constituent un groupe de jeunes hommes déjà circoncis
après un nquc-woong. Ils ont la charge de protéger, d’assister et de galvaniser l’esprit de o haat
pour affronter avec courage l’acte de circoncision) se met au milieu du cercle. Il est droit, les
jambes un peu écartées. Allant au même rythme que les tam-tams (respecte mêmes les arrêts) il
Fêtes et cérémonies dans le Njaafaaj
149
se balance aux pas dansants. Les phases de la danse s’exécutent de la manière suivante : le son
des tam-tam dit gijarin, gijarin ! le danseur vu du profil amorce trois pas de côté vers la gauche.
Gijarin, gijarin, o carcarin (le second battement) ; il revient rapidement à sa position initiale
et enclenche automatiquement trois pas de danses vers le côté droit. O sa∂a, sa∂eer, o feet o xuc
(le 3 ème battement). En sens contraire le danseur quitte la droite et se concentre. Et comme un
éclair, il saute sur place, revient à la position initiale en écartant ses jambes. Il exécute alors une
danse d’ensemble où tout le corps est actif. Il fera quatre fois la répétition du morceau rythmé.
Après lui c’est au haat (l’adolescent en instance de circoncision et pour qui woong est organisé)
de prendre le relais. Il danse de la même façon.
La percussion des tam-tams quand vient le tour de danse de haat est distinctive par les applaudissements de la foule et les cris endiablés des woongnaan qui l’encouragent et l’excitent à
fournir plus d’effort pour bien danser. Après l’exécution à caractère rituel du gijarin, le ngoomaar continue. Les griots batteurs de tam-tam prennent une pose et permettent ainsi à la chanteuse engagée et son équipe de chanter à leur tour pour o haat. Il s’agit là de chants variés qui
touchent les cordes sensibles du haat, de ses parents et de ses amis. C’est ainsi que o haat pour
clore le silence de l’orchestre des batteurs revient au milieu du cercle. Bercé par le son des tamtams et la mélodie des chanteuses, il reprend la danse.
Toute la nuit de ce mercredi est dansée. Les sœurs de o haat sont généralement les plus remarquées. Elles sont surexcitées, généreuses et fluctuantes avec tout le monde.
La journée du jeudi est le zénith du woong. La manifestation devient mobile. Toute cette
journée, O haat et sa suite rythmée iront dans les concessions voisines et même dans certains
hameaux de la localité si elles ne sont pas très éloignées.
Vendredi est le jour même où s’accomplit l’acte de circoncision. Il se caractérise en la circonstance par tout le rituel qu’on y effectue et par la pesanteur de l’ancienneté qui anime parents
amis et proches de o haat.
C’est le vendredi que Xa Kaat (pluriel de O haat s’il y en a plusieurs) se présentent à l’autel
du Fangool-Saax (le Fangool de la localité ex = Ñuuxuun est le fangool de Ngayokhème). Il
s’agit là d’une véritable épopée. Chaque troupe suit gaillardement son haat au son du Ndakin
(coup de tam-tam de guerre). Chaque troupe s’ébranle et se dirige vers le point de jonction cité.
Les woongnaan et Xa Kaat de tout bord sont armés comme il se doit.
Ce moment est dénommé : A bid (fait le tour des pangool pour y faire des libations). Ce
moment est souvent dramatique. On assiste souvent à des règlements de compte au coupe-coupe,
à la hache, au couteau et même à la lance.
C’est aussi l’occasion de démontrer son invulnérabilité et ses dons de pouvoirs magiques.
L’alcool aidant, les woongmaan sont en général les maîtres œuvres de la confusion. L’on ne
peut se quitter sans que le sang humain soit versé. Un seul mobile était à l’origine de ces accidents : chaque groupe de woongnaan exigeait que son haat fasse en premier ses libations.
Après ce tumulte, chaque haat allait à l’endroit où devait s’opérer sa circoncision.
4. †ooq, c’est une cérémonie qui n’existe presque plus. Elle était organisée à la suite de Ndoom
ou tatouage. Au cours des années 1950, ndoom était fréquent dans le Njaafaaj. Le tatouage
d’une jeune fille avait la même valeur que la circoncision d’un adolescent. Les mêmes dépenses
étaient presque consenties par les parents de la jeune fille.
Les festivités intervenaient quand l’intéressée était guérie de son piquage. Des bœufs étaient
tués pour honorer la bravoure de la fille pendant l’opération de tatouage. Pendant une journée et
une nuit, la concession où réside la tatouée est animée par les tam-tam, les chants et les danses.
C’est là où gaajo se déroule dans toutes ses variétés.
Gaajo, regroupe l’ensemble des danses libres et profanes qui sont en vogue au cours d’une
époque.
C’est pendant ce †ooq que les prétendants qui aiment la fille en question se rencontrent. Les
festivités deviennent alors un stimulant pour les rivaux. Les griots en profitent car chaque prétendant veut pendant les manifestations être vu comme étant le plus riche et le plus amoureux de
la demoiselle.
Les moments où elle entre dans le cercle du spectacle pour danser sont mis à profit par les
prétendants pour magnifier leur rivalité. Des billets de banques d’un montant différent lui tombent gracieusement entre les mains.
150
Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
5. A mboy = les funérailles. Elles se font en deux temps, o xaaraand et †al a mboy.
- O xaaraand (la mort crue), définit l’ensemble des événements qui suivent après la mort d’un
ancien. O xaaraand est plus ou moins important selon la valeur sociale du mort et surtout de
l’importance de l’héritage qu’il laisse à sa famille.
Dès qu’un ancien trépasse, les griots du village sont alertés et arrivent pour lui effectuer le
ngi† (annonce de la mort par battements de tam-tam). Le ngi† commence par fak o kurcala. Si
le défunt est chef de concession, on exécute ensuite son fak personnel. Ce fak personnel fait
d’ailleurs l’objet d’une redevance annuelle que l’on verse en nature au paar du village (le chef
des griots). Cette redevance coutumière est dénommée nqontin. Après chaque récolte de petit
mil, le paar d’une localité passera chez certains chefs de concessions de son ressort pour y réclamer son nqutin.
A la mort de ce dernier, son fak est alors exécuté avant le qanqaaw. Par ces trois morceaux
de battements de tam-tam les villages environnants savent sans être informés celui qui est mort
dans les parages.
Dans le cas de la mort d’un ancien, des morceaux de danses pour homme sont débités au
tam-tam et dansé par ces derniers. Si la mort intervient dans la journée, c’est cette ambiance funèbre qui continue jusqu’à la tombée de la nuit. Les propres enfants du mort, ses beaux fils et les
proches sont généralement les danseurs les plus acharnés.
Ces morceaux ont comme noms : soox, mboolin, woong.
- Soox est une danse de force. Elle consiste à marteler le sol par les talons en se déplaçant de tous
les côtés. Soox est la danse des circoncis en kasak (un kasak fait au moins une centaines de circoncis). Juul we fa xa selbe (circoncis et accompagnants) exécutent souvent xoox pour o siide
(riche éleveur) quand ils vont chez lui pour demander un bœuf.
-Mboolin : c’est la danse de xa poolaand (les sauts). Le danseur saute sur place et à répétition. Il
cherche dans l’air à atteindre une hauteur plus élevée que lors du saut précédent.
- Woong est un morceau tambouriné qui est langoureux. Il n’est pas dansé et accompagne les
poses qu’il y a entre les autres danses. Elle incite implicitement au recueillement bref car durant
le répit qu’on a par l’arrêt provisoire de ces danses, les esprits surchauffés reviennent dans le réel. Au cours de ce laps de temps chacun médite sur la mort du défunt et sur sa prochaine mort.
À la tombée de la nuit, arrive “Mbe” (la veillée funèbre). Traditionnellement, il est dit qu’un
chef de concession mort aujourd’hui ne peut être enterré que le lendemain. O qon oxe kaa war o
fe no mbindum bo Roog a feed soo ta uupkel. Le mort doit passer la nuit dans sa concession jusqu’au lendemain avant qu’on ne l’enterre.
Durant Mbe, ce sont les mêmes danses d’hommes qui sont exécutées. Elles s’accompagnent
de chants de ndut (chant initiatiques) effectués par la dernière chorale de la dernière congrégation de jeunes circoncis de la localité. Le ton est toujours donné par les aînés et la réplique est
faite par les plus jeunes. Durant cette nuit le refrain célèbre connu de tout homme est chanté
pour les morts. Il est intitulé : o mbaax a sombe. Pour le chanter, on se répartit donc en deux
groupes. Le premier donne le ton et le second réplique en répétant la phrase chantée du premier
groupe.
1 er Gr : Eeh’Mbaax a sombee 2 e Gr : Eeh "mbaax a sombee
Eey o’mbaax a sombee
" Eey o mbaax a sombee
1 er Ey, mbaax a sombee, soowyo’mbaaxee’mbaax a sombee
2 ème Gr.
“
“
“
1 er Gr. Eey’O mbaax a sombe 2 e Gr : Eey mbaax a sombee
Eey o Mbaax a sombee
2 ème Gr.
“
“
“
1. Eey o Mbaax a sombee
2e Eey o mbaax a sombee
1. Mbaax a sombee kalma kooseen o mbaax a sombee !
“
“
“
“
Cette chanson fondamentale ouvre l’initiation des circoncis. Elle est aussi le chant
d’ouverture de la veillée funèbre pour un ancien. C’est elle qui accompagne la danse du soox.
Tout au long de cette nuit, d’autres chants de ndut (chants d’initiation) sont dits et dansés.
Ces mêmes chants accompagnent le lendemain la dépouille de l’ancien au cimetière.
Fêtes et cérémonies dans le Njaafaaj
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La seconde phase de o xaaraand s’appelle : o limb. O limb commence au portail de la
concession, quand on y dépose la dépouille de l’ancien pour faire son palmarès social, et n’est
interrompu que pour l’enterrement proprement dit.
O limb sera repris durant le reste de cette journée d’enterrement.
Il est l’occasion de la remise des damsaan et a kuceer par la parenté d’alliance (seemir we). A
kuleer et damsaan sont deux redevances traditionnelles qu’on vous restitue ou qu’on vous prête.
Elles sont remises au chef de la famille maternelle du défunt entouré de ses assistants (neveux et
jeunes frères).
Jadis, daasaan était une outre de vin que o seemir (parent par alliance qui a donné ou reçu
une femme de la famille du défunt) offrait aux héritiers du mort. Aujourd’hui, on l’évalue à 200
ou exceptionnellement à 500 francs.
Quand à a kuleer, on donnait traditionnellement un pagne tissé à la famille maternelle du
mort en guise de couverture présomptive de la dépouille. Maintenant, on l’évalue à mille francs.
Le remboursement de ces deux dettes coutumières ou leur contrat s’opère tout au long de o
limb.
À chaque fois qu’un beau parent se présente, il est accueilli dans le cercle dit o limband (lieu
où l’on fait o limb) par des battements de tam-tam, des applaudissements, des danses et des
louanges.
Il prend la parole pour remercier le mort. Fait allusion à son apport quand il négociait son
mariage avec une de la famille du trépassé. C’est le lieu et l’occasion de féliciter les épouses acquises dans la famille du mort. Les beaux parents font étalage des bonnes actions conjugales de
toutes les filles mariées du défunt ou de la défunte. Des récompenses publiques et en espèces leur
sont remises.
Après o limb, un mbuud est organisé pendant la nuit. Les petits-fils et la jeunesse de la localité sont en soirée dansante jusqu’à l’aube.
C’est à la clôture de o limb qu’on annonce la date de la cérémonie funèbre ou sa suspension
(a mboy a †age). En cas de a mboy a †age, la cérémonie commémorative du défunt pouvait attendre dix, quinze, vingt ou trente ans au maximum.
A †at a mboy ou a mboy a †ate (levée de la suspension d’une cérémonie funèbre) était annoncée lorsque toutes les conditions étaient réunies. Dans le Njaafaaj, une bonne récolte augure
souvent la levée de suspension d’anciens mboy (funérailles) pour leur finalisation.
Leur déroulement nécessite de lourdes dépenses ; mais de par leur caractère spéculatif, les
cérémonies funéraires sont une source de recettes (toutes les participations qu’on donne aux organisateurs de mboy sont des dettes ou des prêts honorables) qui couvre largement les dépenses
d’organisation.
™at a mboy est un ensemble de festivités qui distrait de la hantise de mourir tout en faisant
semblant de se remémorer au long de cette cérémonie ce que fut le défunt ou son œuvre sociale.
Les phases de son déroulement sont les suivantes :
- ™at ne (la levée de suspension proprement dite). C’est la veillée funèbre, on refait la même
procédure rythmée. Intervient une pose (car elle est faite le soir de la veille de la cérémonie élargie) les participants éloignés qui arrivent dînent. Les tam-tams reprennent. Toute la nuit, c’est la
ripaille, on chante, on danse, l’alcool et l’ivresse chassent tout nuage de solitude. La journée du
lendemain est faite pour a laac bargal (déclaration et réception des redevances, interfamiliales.
Les bœufs de funérailles qui ont été tués à l’aube sont préparés. Quand tout le monde aura bien
mangé de cette viande, c’est la fin.
Dans certaines concessions, on ajoute un jour de plus pour procéder au rite complaisant dit a
cuur (forme de libation qu’on fait sur la tombe du défunt.
A cuur consiste à faire le même parcours que le jour de l’enterrement du mort. C’est un cortège que suit les griots et leurs tam-tams ainsi qu’une cantatrice et son groupe. Tout au long du
trajet, c’est l’alcool qui parle et réagit.
Quand la troupe arrive devant la tombe, elle déverse le reste des bouteilles de boissons (alcoolisées) dont elle s’était munie pour venir accomplir ce dernier devoir.
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Guédj FAYE, Documents sur la société et la culture sereer du Siin
Sur la tombe un flaque de boissons diverses (vin, bière, alcool buvable, etc.) persistera un
laps de temps avant de s’infiltrer en terre. Le retour de ce cortège à la concession met totalement
fin la cérémonie.
Nous allons maintenant aborder les fêtes et cérémonies communautaires. Dans le Njaafaaj,
elles sont diverses et variées. Chaque village doté d’un fangool est sommé de lui organiser une
fête avec des libations et dans les formes et les conditions que ce fangool aura prescrites.
Ces fêtes et cérémonies collectives peuvent être annuelles ou circonstancielles. Peuvent ne
concerner et être restreintes que dans une localité. Dans ce cas, les localités voisines ne viennent
qu’en spectatrices.
Parmi ces fêtes, voyons les plus courantes.
O ran a njaafaaj. Elle fut d’abord une fête de village et ne concernait que Toucar où résidait
son initiateur qui s’appelait Koora Siye Juuf. Il fut en son époque un célèbre saltiki.
O ran était une fête dédiée aux différents pangool célèbres d’une localité ; en fait ceux de
Toucar.
C’est aux vues de l’efficience bénéfique de cette fête annuelle que le Lam Njaafaaj de
l’époque (chef de province) décida de son extension. Depuis lors, o ran est devenu une fête
provinciale. Chaque année, on l’organise encore dans la communauté rurale de Ngayokhème
avant le début du débroussage des champs (fik). Elle se déroule généralement dans la première
quinzaine du mois d’avril.
Des libations et offrandes variées sont faites aux pangool de la Province. Une journée de
chasse et une course de chevaux à caractère rituel sont organisées pendant la cérémonie du ran.
C’est toujours le saltiki en exercice à Toukar qui est le responsable et le maître d’œuvre. Commencé un mercredi soir, le ran est clos à Toucar le jeudi soir. Il est mis fin par une grande course de chevaux et un njok (refrain de tam-tam coutumier qui fait la généalogie de tous les chefs
de la province qui s’y sont succédés. Le fak de chacun est battu. C’est celui du dernier en fonction qui termine njok.
Un concert de danses et de chants est ensuite effectué pour le saltiki. Des chants de ndut
(chants d’initiation pour circoncis) lui sont fredonnés jusqu’au crépuscule moment de la fin de
la cérémonie. D’autres manifestations de villages à vocation de fêtes ou cérémonies sont aussi
organisées dans les villages. Il s’agit des xooy. De ce côté, les xooy de femmes sont plus courants. Ils sont toujours faits avec des tam-tams, danses et chants (xooy = réunion de prédication).
Table des matières
Introduction
La maladie
La médecine préventive sereer face aux épidémies
Fo-oy, le sang
Maladies du sang
Maladies infantiles provoquées
Maladies infantiles d’origine alimentaire
À propos des maladies sexuellement transmissibles (MST)
Propreté et hygiène chez les Sereer
Les soins corporels et la culture physique chez les Sereer
Rêve chez les Sereer du Bassin arachidier (Sénégal)
Signes et rêves de malheur en société sereer
Sources de malédiction en milieu sereer
O hiid = l’année, bes fa ndakwiidu = la semence, fe (ou bes) = le jour, o nqool = le mois
O daaj saax
Tiimb ken seereer : les interdits chez les Sereer
L’éducation en milieu sereer
O SooÚ fayar (ou l’éducation de base) chez les Sereer
À propos de la circoncision
Ca des hommes et Ce des femmes
À propos du mariage
Ngulook seereer - Le mariage sereer
L’enfant confié en milieu sereer
Saasaax – seef di wilaas d’hier. Seef di wilaas – jaraaf d’aujourd’hui
Les saameel et leurs influences
À propos de la migration
L’exode rural dans le pays Njafaaj
Les vestiges sereer
Wurus (l’or) fa xaaliis (l’argent)
Pangool et santé chez les Sereer du Siin
À propos du chien chez les Sereer
Tradition sereer et animaux domestiques
Introduction pour les proverbes sereer
Fêtes et cérémonies dans le Njaafaaj
Table des matières
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