Les contractuels de droit public après l`avis du Conseil d`Etat du 25

Transcription

Les contractuels de droit public après l`avis du Conseil d`Etat du 25
ARTICLE paru dans GESTIONS HOSPITALIERES,
n°530, novembre 2013, page 519 s.
Clothilde POPPE, Manon QUILLEVERE
Consultantes Centre de droit JuriSanté - CNEH
Les contractuels de droit public après l’avis du Conseil d’Etat du 25 septembre
2013 : le plein de précarité, un zeste de reclassement
Le statut général de la fonction publique autorise le recours à des agents contractuels pour faire face
aux besoins du service public. 898 000 agents sont ainsi actuellement employés dans l'ensemble de
la fonction publique1. Or, Les agents contractuels de droit public connaissent depuis longtemps une
certaine précarité puisqu’ils sont majoritairement recrutés en contrat à durée déterminée (CDD).
Face à cette situation, commune pour l’ensemble de la fonction publique et de plus en plus
critiquée2, le législateur est intervenu plusieurs fois et notamment à travers deux mesures phares :
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-
La loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, qui transpose la directive communautaire n°
1999/70/CE du 28 juin 1999 et oblige les établissements à transformer le CDD des agents
recrutés sur des emplois permanents en contrat à durée indéterminée (CDI) après 6 ans
d’ancienneté si l’établissement souhaite continuer à travailler avec l’agent ;
La loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 qui, outre la mise en œuvre d’une vague de titularisation,
oblige les établissements à transformer les CDD en CDI après 6 ans d’ancienneté quels que
soient les motifs de recrutement initiaux (art. 9 ou 9-1 de la loi du 9 janvier 1986) à partir du
moment où l’établissement ne désire pas mettre fin au contrat après ces 6 ans.
Cette « CDIsation » systématique permet-elle réellement de transformer la précarité des agents
contractuels en garantie d’emploi ? Ce n’est pas ce qui ressort du dernier avis du Conseil d’Etat sur le
sujet…
A l’occasion d’un litige opposant un agent contractuel bénéficiant d’un CDI au Rectorat de l’Académie
de Paris qui l’avait licencié au motif que l’administration avait recruté un fonctionnaire sur le poste,
la cour administrative d’appel de Paris se posait les questions suivantes :
« 1° L’administration peut-elle remplacer par un fonctionnaire un agent contractuel bénéficiant, dans
le cadre des dispositions de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, d’un CDI et, par suite, mettre fin à ses
fonctions, eu égard à la nécessaire protection des droits qu’il a acquis en vertu de son contrat ?
1
Les agents contractuels dans la Fonction publique hospitalière représentent 184 000 agents. Rapport annuel
sur l’état de la fonction publique, 2011-2012, www.fonction-publique.gouv.fr
2
Voir notamment, Gestions hospitalières, n° 514, mars 2012, « Réforme des contractuels, de la précarité à la
stabilité ? », Clothilde Poppe.
1
2° Dans l’hypothèse où un agent bénéficiant d’un CDI, en application des dispositions ci-dessus
rappelées, pourrait être évincé pour permettre le recrutement d’un fonctionnaire titulaire,
l’administration a-t-elle l’obligation de reclasser l’agent dans un autre emploi, alors qu’un principe
général du droit imposant une telle obligation n’a été reconnu jusqu’ici par la jurisprudence du
Conseil d’Etat qu’en faveur de l’agent contractuel atteint d’une inaptitude physique l’empêchant de
manière définitive d’occuper son emploi ? »
En l’espèce, l’agent contractuel soutenait que le Rectorat devait le réintégrer dans ses fonctions de
professeur, soit dans son ancienne affectation, soit dans une affectation équivalente.
Le Conseil d’Etat répond à ces deux questions en se fondant à la fois sur les lois applicables à la
fonction publique (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 notamment) et sur les principes généraux du droit
dont s’inspire le code du travail (CE, 25 sept. 2013, avis n ° 365139).
I-
Le plein de précarité pour les agents contractuels, même en CDI
Le contrat d’un agent en CDI peut-il être rompu afin de recruter sur l’emploi un fonctionnaire ? En
d’autres termes, le fait qu’un contrat soit à durée indéterminée garantit-il à l’agent le poste ou restet-il dans une précarité proche d’un CDD ?
La Haute juridiction rappelle à nouveau le principe, maintes fois énuméré dans les textes, précisant
que les emplois permanents de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements sont, sauf
dérogation prévue par la loi et à l’exception des emplois réservés aux magistrats de l’ordre judiciaire
ou des militaires, occupés par des fonctionnaires.
Les articles 9 et 9-1 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 admettent ainsi la possibilité d’embaucher par
exception dans la fonction publique hospitalière des contractuels de droit public sur des emplois
permanents (en CDD ou CDI, art.9) ou non permanents (CDD, art. 9-1) en respectant les motifs
énoncés dans ce cadre.
Il résulte de ces dispositions que le recrutement des agents contractuels n’est permis qu’à titre
dérogatoire et subsidiaire, dans les cas particuliers énumérés par la loi, que ce recrutement prenne la
forme d’un CDD ou d’un CDI par application des dispositions issues de la loi du 26 juillet 2005 (après
6 ans de CDD), voire pour la fonction publique hospitalière d’un CDI dès le départ, en application de
l’article 9 de la loi du 9 janvier 1986.
En conséquence, le Conseil d’Etat estime qu’ « un agent ne peut tenir de son contrat le droit de
conserver l’emploi pour lequel il a été recruté, lorsque l’autorité administrative entend affecter un
fonctionnaire sur cet emploi. L’administration peut pour ce motif, légalement écarter l’agent
contractuel de cet emploi ».
En pratique, rappelons que les procédures de recrutement des fonctionnaires qui ne laissent aucune
place à la négociation, les besoins en compétences techniques spécifiques et/ou l’inexistence d’un
corps spécifique à certains types d’emplois a toujours conduit l’administration à procéder à des
recrutements d’agents contractuels de droit public (contrôleur de gestion, métiers de la
2
communication, juriste…). Ces derniers représentent actuellement et en moyenne plus de 16,5 % du
personnel non médical à l’hôpital !
Face aux tentatives du législateur de lutter contre cette précarité dans le secteur public, l’avis rendu
reste surprenant. Il va d’ailleurs à l’encontre d’un jugement rendu par la CAA Marseille le 19 mars
20103, censurant le licenciement d’un agent contractuel recruté sur un emploi permanent, dont le
contrat avait été transformé en CDI par l’effet de la loi du 26 juillet 2005. La CAA avait alors indiqué
que cet agent contractuel ne pouvait être licencié que dans l'hypothèse où, à la suite d'une décision
formelle ou d'une réorganisation du service ayant le même effet, son poste est supprimé et où son
reclassement est impossible, ou pour des motifs liés à sa manière de servir ou à son aptitude à
exercer ses fonctions. Le licenciement ne pouvait donc être justifié par la volonté de l'employeur de
pourvoir le poste par un fonctionnaire !
En l’espèce, la Haute juridiction administrative ne laisse cependant pas l’agent sans certaines
garanties, un zeste de compensation est en effet consenti.
II-
Un zeste de reclassement
Si le Conseil d’Etat rappelle que l’administration peut légalement écarter un agent contractuel de
l’emploi pour lequel il a été recruté lorsqu’elle entend y affecter un fonctionnaire, il met en exergue
un principe général du droit tendant au reclassement de l’agent ainsi évincé.
En effet, selon le juge administratif,
« il résulte (…) d’un principe général du droit, (…), qu’il incombe à l’administration, avant de
pouvoir prononcer le licenciement d’un agent contractuel recruté en vertu d’un contrat à durée
indéterminée pour y affecter un fonctionnaire sur l’emploi correspondant, de chercher à reclasser
l’intéressé ».
Réelle avancée ? De prime abord oui. En effet, si l’agent bénéficiant d’un CDI peut être évincé suite à
l’affectation d’un fonctionnaire sur son emploi, l’autorité administrative est tenue de chercher à le
reclasser.
Toutefois, la notion de reclassement appliquée aux contractuels de droit public n’est pas nouvelle. En
effet, dès 2002 le Conseil d’Etat affirme qu’il résulte d’un principe général du droit que lorsqu’il a été
médicalement constaté qu’un agent se trouve de manière définitive atteint d’une inaptitude
physique à occuper son emploi, il appartient à l’employeur de le reclasser dans un autre emploi et,
en cas d’impossibilité, de prononcer son licenciement4. Cette obligation sera ultérieurement
confirmée par la jurisprudence5.
Ainsi, avant de licencier un agent contractuel bénéficiant d’un CDI, l’administration doit chercher à
reclasser l’intéressé sur un emploi de niveau équivalent. Faute d’un tel emploi et dans l’hypothèse où
l’agent concerné en fait la demande, il appartient à l’autorité investie du pouvoir de nomination de
lui proposer tout autre emploi disponible. En d’autres termes, un tel licenciement ne pourra
3
CAA Marseille, 19 mars 2010, n° 08MA04753
CE, 2 octobre 2002, n° 227868
5
CAA de Bordeaux, 12 février 2012, n° 11BX03251
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3
intervenir, si et seulement si, le reclassement s’avère impossible, faute d’emploi vacant, ou si
l’intéressé refuse la proposition qui lui est faite.
Théoriquement, c’est ici un pas en avant qui est fait en matière de sécurisation de la situation des
contractuels. Mais en pratique, qu’en est-il ? L’obligation de reclassement apporte-t-elle davantage
de sécurité à la situation des contractuels de droit public bénéficiant d’un CDI ?
Au sein des établissements publics de santé, le recrutement d’agents contractuels bénéficiant de CDI
est enfermé dans des motifs bien précis6. L’agent contractuel et l’emploi qu’il occupe sont
étroitement liés. C’est pour occuper cet emploi qu’il va être recruté, à la différence des agents
titulaires qui eux, sont titulaires de leur grade mais non de leur emploi. Le fonctionnaire peut alors
être amené à occuper tout autre poste correspondant à son grade. Une telle possibilité n’est pas
offerte aux agents contractuels. Dès lors, la portée de l’obligation de reclassement s’en retrouve
indéniablement réduite.
Ajoutons que le Conseil d’Etat, en précisant que, sur la demande de l’intéressé tout autre emploi
peut lui être proposé, introduit de la précarité à la situation des contractuels. En effet, qu’entend-t-il
par « tout autre emploi » ? Sans aucun doute un emploi ne correspondant pas à celui occupé
auparavant. Par suite, nous pouvons nous questionner sur l’intérêt pour cet agent de demander à
l’administration de chercher un tel emploi. Tout sera question de négociation et d’opportunité !
Egalement, il est nécessaire de souligner qu’il ne s’agit en rien d’une obligation de reclassement,
mais simplement d’une obligation de chercher à reclasser l’agent contractuel évincé7. Un tel
licenciement sera légal si l’administration apporte la preuve qu’elle a entrepris des démarches
tendant à la recherche d’un emploi de niveau équivalent au sein de l’établissement ou, si l’intéressé
en a fait la demande, de tout autre emploi.
En définitive, l’obligation de reclassement de ces agents contractuels serait-elle qu’une idée
théorique du Conseil d’Etat ? La pratique nous le dira…
Avec l’avis du 25 septembre 2013, le Conseil d’Etat introduit un peu plus de précarité pour les
contractuels de droit public de la fonction publique hospitalière, et ce malgré le zeste de
reclassement ajouté. Situation paradoxale… Alors que la loi du 12 mars 20128 tente de résorber
l’emploi précaire via la mise en place d’une vague de « CDIsation » et de titularisation, le juge
administratif ajoute de la précarité.
Renseignement et inscription
Nadia HASSANI – 01 41 17 15 43
[email protected]
6
Articles 9 et 9-1 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique
hospitalière
7
Nous pouvons ici parler d’une obligation de moyens (l’employeur doit tout mettre en œuvre pour atteindre l’objectif
poursuivi, en l’espèce le reclassement de l’agent. Mais, en cas d’échec, sa responsabilité ne sera pas automatiquement
engagée) et non de résultat (l’employeur doit atteindre l’objectif poursuivi. A défaut, sa responsabilité sera
automatiquement engagée).
8
Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des
agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives
à la fonction publique
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