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Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes Entretiens de décideurs et contributions de chercheurs Illustrations réalisées par Joëlle Passeron Dossier de presse 28 novembre 2008 Entretiens (Les interviews ont été menées par Julia Dion pour ELLE, et Ariane Warlin pour la Tribune) • DANON Laurence Présidente de la Commission nouvelles générations du Medef et membre du Directoire Edmond de Rothschild Corporate Finance • p. 1 ERRA Mercedes Présidente Exécutive d’EURO RSCG Worldwide p. 4 LE GRAND Jean-Claude Directeur Mondial de la Diversité chez L'Oréal p. 8 MELLIER Philippe Président d’Alstom Transport • THIBAULT Bernard Secrétaire général de la CGT • p. 20 VERGNE Jean-Luc DRH de PSA Peugeot Citroën • p.16 VAN CRAEYNEST Bernard Président de la CFE-CGC • p.13 TIBERGHIEN Frédéric Président d’honneur de l’ORSE, ancien PDG de Chronopost et VédiorBis • p.10 p.23 VIVIEN Philippe DRH du Groupe Areva p.26 Contributions • GIAMPINO Sylviane Psychanalyste, psychologue petite enfance et familles • MEDA Dominique Sociologue • p.29 p.32 SILVERA Rachel Economiste p.35 Entretien avec Laurence Danon, Présidente de la Commission nouvelles générations du Medef et membre du Directoire Edmond de Rothschild Corporate Finance Q ue pensez-vous de la question de l’articulation des temps de vie, de la conciliation ? Je pense qu’il y a plusieurs sujets dans ce sujet : pour les cadres moyens, les employés, le problème des horaires peut s’aménager. Par contre, en qui concerne les postes de dirigeants, je ne pense pas que ce soit compatible avec le fait de rentrer à 5 heures du soir, ou de ne pas travailler le mercredi ou le week-end. Pour les femmes qui veulent accéder à de hautes responsabilités, il y a une période très difficile où il faut tout concilier, le travail, les enfants, la vie de couple mais quand on a passé ce cap, c’est formidable parce qu’à la fois vous avez une vie familiale heureuse et en même temps vous construisez une vie professionnelle très épanouissante. C omment avez-vous fait pour construire en parallèle ces deux vies, familiale et professionnelle ? Il y a dix ans d’écart entre mes deux enfants donc à la naissance du deuxième, le premier était déjà un peu autonome. Je voyageais tout le temps. A l’époque, mon mari travaillait à New York. Pendant 5 ans on a été tous les deux assez fatigués. Lui rentrait un week-end sur deux. Moi j’étais obligée de passer pratiquement une semaine par mois aux Etats-Unis. Cela fut vraiment dur, mais finalement tout s’est bien passé pour les enfants et pour nous. Mon mari et moi, nous avons sacrifié toute vie sociale pendant 10 ans. Les moments en dehors du travail, c’était pour nous et notre famille. Pour que ça marche, il faut que dans un couple il y ait un alignement de visions entre le mari et la femme sur les priorités. Il faut un homme qui considère depuis le début que la carrière de sa femme est aussi importante que la sienne. Donc, je dis toujours aux jeunes femmes que la première chose, pour réussir, c’est de bien choisir son compagnon. C et accord dans la sphère privée suffit-il pour assurer de belles carrières aux femmes qui en sont capables ? Il y a une seconde chose : l’entreprise dans laquelle on travaille. Il y a encore des entreprises qui ne sont pas amicales avec les femmes, où la culture, les codes sont très masculins, où la femme n’est pas à l’aise en tant que femme. Moi je suis toujours allée dans des entreprises où je sentais que je pouvais être moi-même. J’étais chez Elf et Total puis PPR, mais je n’ai jamais senti qu’être une femme soit un handicap dans ces entreprises. M ais comment faire pour savoir, quand on est à l’extérieur de l’entreprise, comment se passent les choses à l’intérieur ? Il faut voir s’il y a des femmes et à quels postes. Il faut interroger des gens qui y sont déjà. C’est important de faire son petit audit. Indépendamment de ce qui est affiché, est-ce qu’il y a des femmes dans le comité de direction, à des postes opérationnels dans le business ? Si vous en avez deux ou trois dans l’équipe de direction, ce n’est pas du tout pareil que s’il n’y en a qu’une. Vous changez complètement la culture du groupe Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 1 Entretien avec Laurence Danon D onc une fois qu’on a fait son enquête et que cela semble positif, on peut y aller ? Oui mais il ne faut pas se raconter d’histoires, c’est dur. Il faut travailler comme les hommes, même plus. Pour progresser, il faut aussi consacrer du temps pour créer son réseau dans l’entreprise et à l’extérieur de l’entreprise. Les femmes n’aiment pas trop faire ça, elles pensent que c’est du temps perdu. Je dis aux jeunes femmes : si vous voulez vraiment y arriver, vous trouverez toujours des gens pour vous conseiller, mais il faut avant tout que vous vous en donniez les moyens vousmêmes. D’une manière plus générale, sur le sujet comment on peut organiser les choses pour que les femmes puissent travailler », il va bien falloir que les entreprises s’y attèlent parce qu’il y a une question de génération et de démographie. Cela devient incontournable. P ourtant beaucoup de dirigeants résistent encore … Quand ils ont des filles qui ont fait des études, le sujet commence à les intéresser. Q ue peuvent alors faire les entreprises pour aider les femmes sur cette question de la conciliation ? Il faut avoir un peu de souplesse dans les horaires, dans l’organisation du travail et de la solidarité dans les équipes. On le faisait assez souvent chez Printemps. Ce n’était pourtant pas évident car on avait près de 60 % de femmes cadres. Il y avait pas mal de femmes jeunes, en âge d’avoir des enfants, mais c’était un plus pour l’entreprise d’avoir des femmes aimant la mode, et il fallait trouver des solutions. Les entreprises doivent aussi être vigilantes sur les progressions de carrière des femmes. Toujours au Printemps avec le DRH on avait mis en place un système : on regardait tous les potentiels, entre 25 et 30 ans, combien de femmes et d’hommes. On avait décidé qu’on donnait autant de chances aux hommes et aux femmes. En général on a tendance à juger les femmes sur leurs réalisations et les hommes sur leur potentiel. Nous étions très vigilants à ce que les femmes soient aussi jugées sur leur potentiel. L es patrons sont moins tolérants vis-à-vis des hommes qui demandent à avoir du temps pour leur famille que vis-à-vis des femmes ? Souvent et c’est parce qu’ils ont en général plus d’attentes en termes d’ambition vis-à-vis des hommes. Les entreprises sont souvent surprises par l’ambition d’une femme. C’est notre culture. Parfois, l’ambition d’une femme peut gêner, quand elle est trop marquée. Je dis souvent aux jeunes femmes : soyez ambitieuses, mais maitrisez un peu la forme. D ’autres pistes ? D’une manière générale, il faut que les salariés, les femmes comme les hommes, puissent s’exprimer sur ces sujets. L’entreprise doit les écouter. Elle doit pouvoir accepter que la motivation des gens change en fonction des périodes de la vie, en fonction de leurs parcours personnel, de ce qui peut se passer. Par exemple, si un homme vient dire : « j’ai une situation personnelle qui fait que pour l’année qui vient j’ai telle contrainte. Je ne pourrais donc pas être à 100 % mais mon souhait profond est de viser ça », alors je pense que l’entreprise peut le comprendre et s’organiser avec lui. C’est évidemment pareil pour une femme. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 2 Entretien avec Laurence Danon D ans cette discussion, les RH ont un rôle important ? Très. Je trouve que le rôle d’un DRH aujourd’hui est absolument clé. Il faut avoir dans les entreprises des équipes de RH qui soient ouvertes, flexibles. J’ai un exemple ; celui d’une jeune femme extrêmement brillante qui était commerciale grands comptes. Elle se marie et elle est enceinte de jumeaux. On a discuté avec le DRH, et pendant deux ans on l’a nommé directeur de la qualité de la filière française. Cela lui a donné un plus dans son background technique, sans qu’elle ait trop à voyager. Quand on est directeur de la qualité on peut gérer son agenda. Elle a tout de suite accepté. Après elle a pu reprendre un poste plus visible, plus international. Il faut que l’entreprise ait une bonne vision de la personne et la personne une bonne vision de l’entreprise. C’est pour cela que les DRH doivent beaucoup discuter avec les gens pour repérer les talents, voir comment leurs vies évoluent, sans être trop intrusifs, bien sûr. D es femmes aux postes clé c’est uniquement intéressant pour les autres femmes de l’entreprise ? Pas uniquement. C’est bénéfique pour toute l’entreprise. Quand dans une instance de direction vous avez des hommes et des femmes, la façon dont les problèmes sont abordés est différente. En général les femmes mettent plus vite les problèmes sur la table. Cela casse un peu les codes : cela oblige tout le monde à se remettre en question. Les environnements entièrement féminins, bien que différents, ont autant de défauts que les environnements masculins. Ce qui est intéressant, ce qui fait avancer les choses, c’est la mixité et la diversité. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 3 Entretien avec Mercedes Erra, Présidente Exécutive d’EURO RSCG WORLDWIDE Q ue pensez-vous du rôle de la publicité pour faire évoluer les stéréotypes ? La force de la publicité, c’est qu’elle peut contribuer à modifier ce qui habite nos esprits : donc oui en effet, elle peut s’avérer utile lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux clichés ou aux a priori. Mais n’attendons pas de la publicité pour les marques qu’elle fasse ce travail : ses objectifs sont avant tout marchands. Ainsi, ne demandons pas aux marques de produits ménagers de mettre en scène des hommes à la tâche. Ces publicités font l’objet de tests et, si en test, les femmes perçoivent une efficacité moindre lorsque c’est un homme qui manie le chiffon ou l’éponge, vous ne trouverez guère de marques prêtes à prendre le risque et à sacrifier l’image de leurs produits pour faire évoluer les stéréotypes. Ce n’est pas leur rôle. En revanche, cela peut être le rôle de l’Etat ou d’associations. Les stéréotypes hommes/femmes sont sociétaux, collectifs. Ils s’inscrivent dans les têtes dès l’école, et là, je vois beaucoup à faire, pour débarrasser les manuels scolaires de leur part de clichés et les projeter dans la modernité, avec une autre conception de la place des hommes et des femmes dans la vie. Donc oui, je pense que l’Etat a un rôle à jouer dans cette évolution, et que des campagnes de communication sur le sujet aideraient à changer les choses. Bien d’autres sujets, comme l’alcool au volant, le port du préservatif, la lutte contre le tabac, ont été portés par des campagnes étatiques. Pourquoi pas la lutte contre les stéréotypes hommes/femmes ? L ’entreprise a une responsabilité dans l’avancée de ces questions d’égalité ? Oui bien sûr, mais il faut arrêter de considérer que l’entreprise peut et doit tout résoudre. Considérons ce que l’entreprise fait déjà et ce que ne fait pas l’Etat. Car l’égalité c’est aussi un sujet très politique. Un congé parental partagé qui puisse être pris aussi bien par les femmes que par les hommes, ce serait une vraie décision. Je pense aussi que la question de l’égalité homme/femme mériterait un ministère à part entière, et qu’elle ne peut pas exactement être traitée au même titre et au même niveau que le handicap, ou le vieillissement, car elle concerne juste… la moitié de la population. Sans doute considère-t-on que le problème n’est pas suffisamment grave. Or plus je regarde autour de moi, et plus je pense que le déficit d’égalité est un facteur bloquant de notre société. On ne peut pas prendre le sujet à la légère. Il faut pousser les entreprises à adopter des stratégies de bon comportement en leur expliquant qu’avoir des femmes est plutôt un atout décisif. Il existe des études très sérieuses qui montrent que les entreprises où les femmes jouent un rôle à tous les niveaux ont de meilleurs résultats, et que les femmes ont une relation au risque très différente et intéressante pour les entreprises. Dans ce registre, les quotas aux conseils d’administration des entreprises peuvent être un accélérateur ; en tout cas les pays qui les ont mis en oeuvre ont pris une certaine avance. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 4 Entretien avec Mercedes Erra C oncrètement dans votre entreprise, P ourtant des hommes disent être enfermés comment les choses se passent-elles ? Je suis dans une entreprise qui est dirigée par une femme, et dans laquelle les garçons sont habitués à considérer les femmes. Dans mon entreprise, on a beaucoup aidé les femmes. On a autorisé de nombreux 4/5 le mercredi. Nous avons aussi introduit une certaine souplesse dans l’organisation du travail, pour que les femmes puissent travailler de chez elles quand elles ont un problème avec un enfant. Toutefois, il ne faut pas mentir aux jeunes femmes : quand on a une responsabilité dans l’entreprise, il ne faut pas penser qu’on peut disparaître totalement huit mois à la suite d’une maternité (en cumulant congés de maternité, vacances et RTT) et que c’est tout à fait normal. Ensuite, il ne faut pas s’étonner si le salaire ne monte pas… Partir quatre mois, et le gérer, oui, cela me paraît plus sain. Lorsque cela s’allonge trop, les femmes perdent de vue l’idée de se battre. Il faut éviter de se distancier trop des enjeux de l’entreprise. dans certains stéréotypes, est-ce que l’entreprise ne doit pas les aider à s’exprimer sur ces sujets ? L’entreprise ne peut se mêler que de ce qui concerne la carrière. Elle peut aider les femmes à ne pas vivre la maternité comme un blocage de carrière. Mais elle ne peut s’immiscer dans la vie privée des couples et susciter des vocations de paternité active chez les hommes. Q ue dites-vous alors aux femmes qui vous demandent conseil ? J’essaye de les éduquer, d’aiguiser leur conscience de la vie. Quand elles se marient je leur dis deux choses : « D’abord, quand vous avez la chance d’avoir de bons diplômes, pensez à la valeur épanouissante du travail, pour vous. Ensuite, pensez aussi aux risques qu’il ne faut pas prendre dans la vie, pensez au divorce qui concerne tant de couples… Si vous travaillez, si vous n’avez pas sacrifié votre carrière, ce sera moins problématique». E t pour les pères ? Le congé de parentalité, je trouve cela exemplaire, je recommande à toutes les entreprises de le faire. Cela coûte de l’argent d’assurer un maintien du salaire pour le congé du papa, mais dans mon entreprise nous y tenons. Mais la réalité c’est que, du côté des garçons, leur regard sur la question dépend beaucoup de leur femme : est-elle prête à ce partage, le souhaite-telle, est-elle capable de l’imposer ? Si les jeunes femmes ne disent rien et prennent tout en charge, les garçons font comme tout le monde, c’est humain : ils se laissent porter. L’impulsion des femmes est donc absolument nécessaire, les hommes ne viendront pas spontanément réclamer de faire plus de choses à la maison. L’association Force Femmes reçoit de nombreuses femmes qui ont tout arrêté pour élever leurs enfants, ont divorcé, et ne trouvent pas de job à 45 ans. Il faut dire la vérité aux jeunes femmes : « Attention, même si vous considérez que votre enfant est très important, quand vous prenez huit mois de congé de maternité, ou si vous arrêtez un ou deux ans, ne pensez pas que cela ne compte pas». Il faut reconnaître que pour les femmes ce n’est pas toujours évident. On vit une époque un peu spéciale : les femmes « ont la pression », comme on dit. Pression pour s’arrêter quand elles sont enceintes. Pression pour allaiter. Pression pour réussir leur vie familiale avant tout. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 5 Entretien avec Mercedes Erra Il faut arrêter de survaloriser la maternité uniquement. Une femme, ce n’est pas seulement une mère. Le bon équilibre pour les enfants ne se fait pas avec une mère surinvestie d’un côté et une absence de père de l’autre. D ans les entreprises, les femmes sont encore souvent pénalisées du fait de leur maternité… C’est évident, mais quelque part c’est aussi un peu compréhensible. Parfois des entreprises, comme la mienne, qui ont donné aux femmes des positions clés, et donc pleinement joué le jeu de l’égalité, se trouvent pénalisées au moment des grossesses car les femmes en question disparaissent. Elles sont avec leurs bébés. Elles oublient totalement les entreprises. Parfois les chefs d’entreprise et DRH s’arrachent littéralement les cheveux. C’est humain que l’employeur s’inquiète. D ’autres pistes pour aider les femmes ? Les envoyer au Women’s Forum. Je ne plaisante pas. Je pense que toutes les femmes qui sont un jour allées au Women’s Forum en reviennent différentes et se battent plus que les autres femmes. Elles rencontrent d’autres femmes. Elles peuvent partager. La culture du présentéisme en France est très forte, pour les femmes ce n’est pas évident… Il me semble que les femmes doivent adopter une attitude battante. Qu’elles n’hésitent pas à demander à leurs maris, un jour sur deux, de se charger de l’enfant ! Les femmes pensent trop souvent que l’enfant relève de la responsabilité de la femme. Moi je pense que l’enfant est la responsabilité des deux êtres humains qui l’ont fabriqué. Je dirais donc qu’il est important que les femmes choisissent bien leur mari. V ous avez cinq enfants. Personnellement est-ce que vous regrettez parfois de ne pas leur avoir consacré plus de temps ? Non parce que je suis une héroïne : je leur ai consacré beaucoup de temps. Je travaille dix fois plus qu’un homme comme toutes les femmes qui travaillent. Nous, les femmes, sommes en permanence dans le concret de la vie, même lorsque nous sommes devenues des patronnes. D’ailleurs cela fait beaucoup de bien, à mon avis cela rend plus humble, et plus calme, de s’occuper de choses concrètes. Si chacun, homme, femme, avait cette dose d’enjeux très humains, chacun serait plus équilibré et cela ferait du bien à tout le monde. V otre mari vous a beaucoup aidée ? Oui, de façon évidente, car il respecte profondément les femmes qui travaillent. Mais personne n’est parfait et parfois, nous avons tendance à reproduire les schémas ancestraux : moi, à me sentir responsable de tout, et lui à considérer que cela est vrai. Pour vous donner un exemple de la pression qui pèse aujourd’hui sur les femmes, je vais vous raconter ce qui m’est arrivé récemment. J’appelle l’un des professeurs de mes enfants pour prendre un rendez-vous. Très gentille elle me dit : « je veux bien vous voir, tel jour ». Ce jour là, cela tombait très mal pour moi : je devais intervenir à Deauville devant un millier de femmes au Women’s Forum. J’ai dit à son professeur : « en temps normal je pourrais annuler, mais là, je ne vais pas pouvoir : c’est moi qui parle ». Elle me répond : « ah bon ? Mais c’est important votre enfant !!! ». Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 6 Entretien avec Mercedes Erra C’est insupportable, cette pression sur les mères, j’étais évidemment très ennuyée et à vrai dire coincée face à toutes ces contraintes, et l’on me dit « c’est important votre enfant ». V otre mari ne pouvait pas y aller ? Quand un enfant a des difficultés, je pense que la maman ne peut pas ne pas suivre. Pour les visites chez le médecin, j’y vais assez souvent sinon je perds le lien. En conclusion, j’aimerais vous dire que l’enjeu de la paternité est immense aujourd’hui : on ne peut pas laisser nos enfants être élevés prioritairement par des femmes. Ce sont les mamans qui s’en occupent dans la petite enfance. Ensuite, à l’école, ils sont éduqués de plus en plus par des femmes, et le système de soins et de santé prend la voie de la féminisation. Alors je crois que le monde moderne a en effet grand besoin des pères. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 7 Entretien avec Jean-Claude Le Grand, DRH et responsable monde diversité L’Oréal A vez-vous le sentiment d’arriver à concilier votre vie professionnelle avec votre vie personnelle ? En famille ce qui est important c’est d’arriver à donner beaucoup en peu de temps. Je reconnais que ce n’est pas toujours facile car nous avons des vies multiples et très prenantes. J’ai deux garçons qui ont 10 et 12 ans. J’ai besoin d’un lien quotidien avec eux. Les jours où je ne peux pas les voir, je leur envoie des mails, ils me téléphonent. Le matin j’essaye de les accompagner à l’école. Ce n’est pas parce qu’on travaille beaucoup qu’on n’a plus de relations avec ses enfants. Q uelle est la politique du groupe l’Oréal en matière de diversité ? Des actions ont-elles été engagées ? Nous avons formalisé une politique de diversité ambitieuse dans les années 2000 et nous nous efforçons chaque année d’aller toujours plus loin dans la réalisation d’actions innovantes et responsables à l’égard de tous nos collaborateurs. Chez L’Oréal, nous ne voulons pas donner des leçons mais des exemples. Nous travaillons sur plusieurs axes, l’égalité homme-femme par exemple mais aussi la mixité sociale, le handicap, l’origine culturelle. Notre objectif est d’être le reflet de la société. En 2008, nous avons lancé la Charte de la Parentalité. Plus de 40 entreprises nous ont rejoints sur une Charte qui va améliorer l’évolution professionnelle des salariés-parents. Est-ce difficile d’avancer sur ces thématiques ? Ce sont encore des sujets relativement récents pour les entreprises. Ce qui n’est pas facile c’est que certaines personnes considèrent que c’est seulement un sujet à la mode, éphémère. Pour aider nos managers en interne à comprendre les enjeux de la diversité pour L’Oréal, nous avons mis en place un dispositif de formation ambitieux. A la fin de cette année, 5000 managers de 28 pays européens auront suivi un séminaire d’un jour et demi, ce qui est tout à fait marquant pour des personnes dont l’emploi du temps est très chargé. Beaucoup rentrent dans ce séminaire en me demandant pourquoi ils sont inscrits. Grâce aux exercices et aux jeux de rôle riches et surprenants, ils prennent mieux conscience de leur filtre et de l’importance de la richesse qui émane d’équipes plus diverses. V ous avez 43 ans, quel regard portez-vous sur les pères trentenaires ? La grosse différence que je perçois est que l’équilibre dans le couple évolue vers plus d’égalité professionnelle. Le schéma classique où la femme s’efface au profit des plans de carrière de son mari est complètement dépassé. Aujourd’hui, les RH et les managers doivent donc faire preuve de créativité et d’audace pour gérer au mieux les doubles carrières. En France, pour faciliter la vie de ces jeunes parents nous avons ouvert en région parisienne, en l’espace de 2 ans, trois crèches d’entreprise et avons le projet d’en ouvrir d’autres notamment en province. Et il n’y a pas que les femmes qui sont concernées. Aujourd’hui, 20 % des collaborateurs qui disposent d’une place en crèches sont des hommes. P ourquoi y’a-t-il si peu de pères de famille qui prennent leurs congés paternité ? En fait, l’égalité de l’homme et de la femme face aux enfants n’existe pas, les femmes restent toujours plus concernées. A la maison, quand un enfant est malade, la probabilité que ce soit le père qui s’en occupe est très faible. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 8 Entretien avec Jean-Claude Le Grand Quelque soit d’ailleurs la « modernité » du couple de parents. Cela ne veut pas dire qu’il faille pousser l’égalité trop loin. Il y a des points sur lesquels on ne doit pas tous se ressembler. Que l’on ait des droits et des devoirs équivalents, bien évidemment mais ne nous singeons pas entre nous. Il n’y a rien de pire que des femmes managers qui se comporteraient comme des hommes. Que les hommes ne singent pas les femmes non plus. M ais vous ressentez, malgré tout, chez ces Quand ils postulent pour un poste, ils regardent de plus en plus ce que l’entreprise propose en termes de gestion de carrière, de mobilité à l’international et entre les métiers, de formations, d’orientation. Demander beaucoup, mais aussi donner beaucoup, c’est notre façon d’agir. Proposer une crèche d’entreprise, ouvrir des conciergeries, mettre en ouvre des services à la personne élaborés peut faire de plus en plus la différence. Cela permet de gagner du temps dans sa vie quotidienne et d’en libérer davantage pour ses enfants. trentenaires une vraie aspiration à un meilleur équilibre dans leur vie ? Oui, c’est vrai et ce du côté des femmes comme des hommes. Les salariés ont envie qu’on les accompagne mieux dans leur évolution professionnelle et leur vie. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 9 Entretien avec Philippe Mellier, Président d’ALSTOM Transport P ouvez-vous nous donner les grandes lignes de votre parcours professionnel ? Je travaille depuis 28 ans. J’ai fait des études d’ingénieur et un MBA. Un cursus très classique. J’ai commencé dans une entreprise américaine, chez Ford, en 80. J’étais intéressé par les voitures. J’y suis resté 18 ans. J’ai déménagé 15 fois en 18 ans : à Londres, au Mexique, en Nouvelle Zélande, au Portugal, en Allemagne… E t votre femme pendant tout ce temps ? Elle était comptable. Elle souhaitait travailler, mais après un an elle s’est arrêtée. On s’est vite aperçu que cela allait devenir assez difficile. On s’est dit qu’un jour peut-être elle reprendrait, mais finalement cela ne s’est pas fait. C’était compliqué parce qu’il fallait élever nos filles en même temps. Je pense que si ma femme avait su dès le début qu’elle aurait cette vie-là, elle aurait sans doute réfléchi à deux fois !... En fait, nous nous sommes laissés aspirer par le système… Pour vivre un parcours professionnel comme le mien, il faut avoir une épouse qui est ouverte d’esprit et prête à s’adapter. Si elle avait dit : « j’ai toujours vécu à 50 m de mes parents. Je n’ai pas envie de bouger. Je ne veux pas quitter mon job », alors cela n’aurait pas été possible. P our les femmes dont les maris ont des carrières à l’international, cela veut dire très souvent renoncer à travailler ? Pas forcément. Les entreprises aident de plus en plus la conjointe à trouver du travail. Autour de moi, les conjointes de mes collègues on toujours été aidées pour trouver du travail, que ce soit auprès de l’ambassade, du lycée français ou encore dans les filiales des banques ou des agences de conseil. Même si cela ne marche pas à tous les coups. P our votre famille cela a donc été longtemps une vie d’expatriés ? Oui, je progressais très vite. La durée moyenne des missions était assez courte. On m’envoyait où ça n’allait pas très bien et la famille suivait. T oujours avec vos filles ? La troisième qui a 10 ans n’a pas connu ça. Elle entend ses deux soeurs de 23 et 19 ans parler de leur expérience à l’étranger avec des trémolos dans la voix et elle a vraiment envie de partir. Mes filles aînées ont beaucoup voyagé. Mais c’est vrai qu’après 18 ans, elles en ont eu un peu assez. Au début on trouve ça amusant. On va aller à Londres : c’est génial ! On va revenir en France : c’est génial ! On va partir au Portugal : c’est génial ! Ensuite, nous sommes partis en Nouvelle Zélande. C’est un pays extraordinaire mais on se rend compte qu’il y a 12 heures de décalage horaire, donc quand on va dîner, en France, ils sont au petit-déjeuner… On commence à être complètement décalés. Quant au Mexique, c’est très agréable, mais aussi très pollué et avec pas mal de criminalité. A un moment, on se dit qu’on veut rentrer. Nous sommes revenus à Paris en 98. J’ai continué à beaucoup voyager, mais la famille est restée en France. A l’étranger, vous aviez du temps pour être avec votre famille ? En vérité, j’étais davantage avec ma famille en vivant à l’étranger que maintenant, en étant basé en France. Aujourd’hui, je suis très souvent en déplacement. Je peux donc être là une semaine et être absent pendant trois semaines. Alors que quand on est au bout du monde et qu’on y vit avec sa famille, le clan familial est très resserré. C’est le repère, le noyau. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 10 Entretien avec Philippe Mellier D epuis que vous êtes rentré en France, C e que vous avez connu comme autres comment gérez-vous votre temps entre famille et travail ? Au début, j’étais chez Renault, à Paris. Puis j’ai été nommé PDG de Renault Véhicules Industriels, dont le siège est à Lyon. Ma femme m’a dit : « On vit à Paris, on ne bouge pas ». Il fallait de la stabilité pour les filles à l’école. Ma famille est donc restée à Paris. J’avais un bureau à Lyon et j’étais aussi au Comité exécutif de Volvo, à Götteborg en Suède. J’ai tenu trois ans comme ça, mais c’était dur. Lorsque j’ai eu l’opportunité de revenir à Paris, j’ai été très content. Désormais, j’essaie au maximum de protéger les dîners et les petits-déjeuners. Le dîner, c’est en famille. C’est là qu’on se retrouve. façons de vivre à l’étranger cela vous a influencé ? Très certainement. Quand je suis arrivé chez Alstom, j’ai amené ce bagage avec moi. C’est vrai que je ne suis pas un manager francofrançais. Ma façon de faire est peut-être un peu plus ouverte que d’autres. En particulier, j’ai beaucoup insisté pour qu’on ait plus de femmes à l’embauche. On a eu du mal à amorcer la pompe : les femmes ne voulaient pas venir. Nous n’étions pas en bonne situation financière et les femmes ingénieurs ne sont pas trop nombreuses. Aujourd’hui, Alstom Transport embauche énormément de femmes. Et le Comité de direction compte plusieurs femmes maintenant. Q uand vous arrivez chez vous, est-ce que vous êtes encore dépendant de votre blackberry ou vous coupez complètement ? J’ai toujours le blackberry à portée de main. Je regarde de temps en temps mes messages. Je dois être joignable en permanence. On est dans un métier où il peut y avoir des problèmes, y compris le week-end. Mais je ne passe pas mon temps sur le blackberry. Je coupe assez bien, même si mon épouse trouve toujours qu’on peut s’occuper davantage des enfants… V ous avez 53 ans, quel regard portez-vous R étrospectivement vous êtes content d’avoir Y a t’il beaucoup de congés de paternité autant bougé, d’avoir vécu à l’étranger ? Oui. Cela apporte énormément mais il y a aussi des moments difficiles : on était à Londres, on venait de s’installer dans notre appartement et j’ai reçu un coup de fil : « dans deux mois tu pars à Auckland ». On ne savait même pas où c’était. On a regardé sur la carte. Il faut aussi savoir s’arrêter. Nous étions en Allemagne depuis quelques mois quand on m’a proposé d’aller l’année suivante aux Etats-Unis, à Detroit. Il n’y avait pas de lycée français. Ma femme a dit : « Non, là c’est fini, on arrête ». Il faut savoir s’arrêter. Si j’avais poussé, cela aurait été trop difficile pour ma famille. chez Alstom ? Nous avons eu 200 congés de paternité l’année dernière. sur ces jeunes qui arrivent et qui ont d’autres aspirations notamment en termes d’équilibre de vie ? C’est vrai qu’on sent qu’il y a une différence entre les générations. Je le vois bien avec mes filles. L’une d’elles me dit : « Moi, je veux sortir plus tôt du bureau. J’ai une vie après le travail ». Je sais entendre cela. L’important est que le travail soit fait. Je ne vais pas contrôler les horaires. L es pères ne s’arrêtent pas plus longtemps ? Non. On est dans un métier qui est assez prenant, que ça soit pour un homme ou une femme. A vez-vous connu des cadres qui ont refusé une expatriation, qui ont dit : « Voilà, ma femme a une carrière qui décolle aussi » ? Oui, bien sûr, et je leur dis toujours : « écoutez, je vous comprends ». Leur angoisse est d’être pénalisés pour leur carrière. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 11 Entretien avec Philippe Mellier Chez nous, ce n’est pas le cas. Il y a des cadres qui ont refusé une ou deux mobilités. Parfois ils n’ont pas accepté une première mobilité qui tombait vraiment mal, mais ils ont accepté la deuxième. Il ne faut pas trop s’inquiéter là dessus. Quand on commence à travailler, il ne faut pas faire de plans. Les jeunes ont parfois tendance à dire : « voilà, ma carrière ce sera ça. Je voudrais faire ça ». En fait, il faut être ouvert. On évolue souvent différemment de ce que l’on croyait au départ. En ce qui me concerne, qui aurait pu dire que j’allais avoir une vie professionnelle aussi riche ? L e sondage commandité par l'ORSE fait apparaitre des résistances dans l'encadrement intermédiaire et dans les organisations des entreprises. C omment faire partager au sein de votre entreprise cette ouverture, cette tolérance, cette nécessité d'évolution des mentalités que vous décrivez dans votre parcours professionnel et personnel ? Ce qui est sûr c’est que si on dit aux partenaires sociaux : « la parentalité, les accords, la charte, c’est très bien » mais que les patrons ne montrent pas l’exemple, ça ne marche pas. Notre DRH est très impliqué sur ces sujets et le management suit. On sait que le changement ne va pas se faire du jour au lendemain mais je suis absolument convaincu que dans une entreprise où il faut bon vivre, il y a de bien meilleurs résultats. Vous allez peut être me trouver un peu cynique mais je pense que si les gens sont heureux, ils vont faire du bon boulot et l’entreprise obtiendra de bons résultats. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 12 Entretien avec Bernard Thibault, Secrétaire général de la CGT C omment sont abordées les questions d’égalité hommes/ femmes au sein de la CGT ? A ma connaissance, nous sommes la seule confédération en Europe où les organismes de direction sont maintenant à parité. Ce n’était pas une obligation statutaire, mais on a considéré il y a deux congrès de cela, que si nous ne retenions pas ce principe pour la constitution de notre direction nationale, la parité ne se ferait pas mécaniquement. Cela nous a amené à avoir une autre approche de l’ensemble des problèmes et cela a eu une influence sur la nature des revendications que nous mettons en avant comme sur le fonctionnement interne de la CGT. Nous avons adopté une charte interne sur l’égalité femmes/hommes qui nous engage sur les horaires des réunions, la répartition des responsabilités… Les choses évoluent différemment d’un secteur professionnel à un autre mais nous sommes dans une dynamique de changement. Plusieurs femmes ont accédé à des responsabilités de secrétaires générales d’unions départementales, alors qu’il y a une dizaine d’années, elles étaient des oiseaux rares. C ’est important qu’un syndicat comme le vôtre avance sur ces questions ? Oui mais ce n’est pas toujours facile. D’autant qu’un syndicat fonctionne beaucoup sur la dimension militante et l’engagement personnel. Prenez un exemple : dans la pratique des relations sociales c’est une espèce de coutume non inscrite qui fait que les choses importantes se négocient très souvent la nuit. C’est comme ça dans les entreprises notamment en cas de conflit, de situation très tendue. Cela ne se dénoue jamais dans la journée, mais la nuit, selon un code de comportement qui est complètement masculin. De fait, voilà le genre de scénario qui exclut largement les femmes. Si on peut déjà apporter notre contribution en changeant cette habitude, on aura été utile. M ais les hommes ne sont-ils pas attachés à ces habitudes-là ? Les choses sont partagées. Il ne faut pas croire que l’aspiration à avoir du temps pour sa vie familiale soit uniquement féminine. A la CGT, on réfléchit en permanence là-dessus car si l’engagement syndical est synonyme d’une espèce de sacerdoce où on accepte de ne plus compter son temps, de rentrer tard le soir, il y a une partie des hommes qui sont éventuellement intéressés par ce type d’engagement… E n dehors de votre syndicat, avez-vous le sentiment qu’il y ait une vraie volonté de la part des employeurs de progresser sur ces sujets ? Il y a des situations très contrastées. Il y a ceux qui ont une espèce de charte interne, mais qui ont quand même du mal dans la pratique, qui sont plutôt dans l’affichage sans que cela donne lieu à des mesures concrètes. Permettre aux femmes d’occuper des postes de responsabilité par exemple est un des signes importants. Mais ce qu’on observe c’est que quand elles ont des postes importants elles restent souvent cantonnées à certains secteurs, les ressources humaines ou la communication par exemple. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 13 Entretien avec Bernard Thibault E st-ce que le temps de travail est une Q ue pensez-vous de l’arrivée des femmes question qui continue de poser problème aux femmes pour arriver à concilier leurs différentes vies ? Pour ce qui est du temps de travail, les attentes sont différentes de la part des femmes au regard de leur situation d’emploi : entre celles qui sont à temps plein ou à temps partiel subi. Les femmes qui sont à temps plein, leur vrai défi c’est d’être reconnues comme membres de l’entreprise à part entière et en même temps elles cherchent à rendre compatibles des responsabilités de natures différentes : dans l’entreprise et chez elles. Les femmes qui travaillent à temps partiel sont généralement plutôt en bas de l’échelle. Elles souhaiteraient travailler davantage. Leur temps partiel ne participe pas, y compris dans le foyer familial, à reconnaître la femme tout à fait à l’égalité de l’homme puisqu’elle est condamnée à avoir seulement un petit revenu d’appoint. Elle n’a pas une pleine autonomie financière dans le cadre du ménage. dans certains métiers ou secteurs qui étaient traditionnellement plutôt masculins ? Leur arrivée a bénéficié à tout le monde. Cela a contribué à reposer de manière nouvelle la question des conditions de travail, qu’il s’agisse des cadences ou de la pénibilité de certains postes. Il y a des milieux professionnels qui sont de cultures assez machistes où oser dire qu’on souffre avec certaines cadences au travail c’est faire preuve de faiblesse. L e télétravail peut-il alors être une bonne solution pour mieux concilier vies professionnelle et familiale ? Il faut en être conscient : toutes les tâches et tous les métiers ne peuvent pas s’exercer à distance. Le travail a aussi une dimension collective et il y a bien des activités qui ne peuvent pas se conduire à distance. Il faut aussi se méfier de l’isolement, notamment dans une période où on a tendance à individualiser les responsabilités, les objectifs. On sait aussi que le travail à domicile est parfois utilisé pour éviter de décompter effectivement le temps de travail. Plusieurs entreprises sont prêtes pour certaines tâches à faciliter ce mode d’organisation si la contrepartie est de ne plus être trop regardant sur le décompte des heures. P our les femmes, la maternité reste cependant souvent un frein pour leur vie professionnelle ? Bien sur que cela reste discriminant. Il n’y a pas longtemps, j’ai rencontré à quinze jours d’intervalle deux jeunes femmes qui s’étaient faites licencier, du fait de leur grossesse. Elles pensaient que leur employeur avait le droit de les licencier parce qu’elles étaient enceintes, ce qui à notre époque peut apparaître incroyable... E st-ce qu’à votre avis la publicité a un rôle à jouer pour faire bouger les représentations et les mentalités ? Dans la pub, je trouve qu’il y a quand même pas mal de stéréotypes, aussi bien à propos des femmes, qu’à propos des hommes. Je ne suis pas sûr que de la manière dont on filme, on photographie les hommes dans les tâches ménagères se soit forcement le bon angle d’incitation. Tout comme je trouve que le traitement des femmes en général est aussi très stéréotypé. De toutes les manières, je ne pense pas que la publicité, cela soit de son ressort : la pub ça marche par dérision, par étonnement. On ne va pas prendre une scène normale pour faire la publicité sinon cela ne va pas accrocher. E tes-vous satisfait de l’équilibre entre votre implication professionnelle et votre vie de famille ? Non, je vous parle sincèrement, non. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 14 Entretien avec Bernard Thibault E st-ce que vous avez des enfants ? E st-ce que vos enfants vous ont reproché, Oui, j’ai deux enfants qui ont 17 et 21 ans, mais ça fait bientôt 10 ans que je suis dans la responsabilité de secrétaire général de la CGT, donc, si on fait le décompte, vous imaginez, ils avaient 7 et 11 ans, lorsque j’ai été élu dans cette fonction… par exemple, de ne pas leur avoir consacré beaucoup de temps ? Oui et c’est arrivé d’une manière douloureuse pour moi… On était en 1995, mon fils avait quatre ans. Je ne sais pas si vous vous souvenez des grèves des cheminots en 95. Tout était bloqué. Je dormais au bureau. Je ne suis pas rentré à la maison pendant trois semaines. C’est des périodes où on dort sur le tas… Il se trouve que mon fils avait son anniversaire pendant cette période là. J’étais tellement plongé dans les évènements que j’ai complètement zappé. Je ne suis pas rentré à la maison, il m’en a voulu et j’en ai encore une trace… Je n’ai plus jamais loupé un anniversaire depuis cette date. Quoi qu’il arrive, ces soirées là sont réservées. V otre femme travaille ? Oui, ma femme travaille à temps plein. S i votre femme n’avait pas pu s’occuper des enfants, vous n’auriez probablement pas pu avoir le même parcours… La prise de décision concernant cette responsabilité comme secrétaire général de la CGT, a été une décision pleinement partagée avec mon épouse. Il aurait été hors de question que j’accepte si on ne le faisait pas d’un commun accord et en toute connaissance de cause. On a été tout à fait lucides sur ce qui était envisageable et ce qui allait être plus difficile dans notre vie familiale. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 15 Entretien avec Frédéric Tiberghien, Président d’honneur de l’ORSE, ancien chef d’entreprise (Chronopost, VédiorBis…) Q ue pensez-vous de l’aspiration d’un nombre croissant d’hommes à ne plus tout sacrifier à leur vie professionnelle mais à avoir également du temps pour être avec leur famille ? Cette aspiration me semble légitime et dans l’air du temps : l’entreprise n’est pas tout dans la vie et, de toute manière, elle ne le rend pas toujours à ceux qui le croient encore. Il faut cependant tenir compte des niveaux de responsabilité. Les collaborateurs supérieurs de l’entreprise doivent être accessibles assez tard. J’aimais bien voir les principaux responsables qui le souhaitaient entre 18 et 20 heures. Ce sont des heures où on est plus libre. Donc si je vois un père qui me dit à 17h ou 18h « je dois partir pour chercher mon enfant à la crèche », j’ai une réaction non pas de père, mais de chef d’entreprise, en me disant : c’est incompatible avec le degré de responsabilité qu’il occupe. N ’y-a-t-il pas des excès sur cette exigence de présence tard le soir et tôt le matin ? En France il subsiste une culture du présentéisme pour les cadres supérieurs et dirigeants. Cela fait partie des critères positifs d’appréciation de la part de la hiérarchie. Ce reste de coutume monarchique d’Ancien régime s’atténue car les cadres sont de plus en plus évalués sur l’atteinte d’objectifs. Après, savoir en détail comment ils les atteignent… Si c’est en travaillant le jour ou la nuit, au bureau, au café, en réunion ou près du distributeur de boissons... Il existe une liberté de plus en plus grande. Finalement, un employeur achète-t-il du temps de présence ou une performance auprès de ses salariés ? De plus en plus d’employeurs pensent que la performance l’emporte sur la présence. L e management par objectifs aurait alors comme effet secondaire de faire évoluer les mentalités par rapport au présentéisme ? Il y a effectivement une évolution très forte, notamment chez les jeunes générations. Les dirigeants ont été très longtemps des hommes d’âge mûr. Ils ont toujours réglé la vie de l’entreprise en fonction de leurs seules préoccupations, sans beaucoup se soucier de celles des femmes. J’ai entendu beaucoup de mes homologues me dire : « de toute façon, les contraintes des femmes, ce n’est pas notre problème ». Les choses changent parce que la main d’oeuvre s’est beaucoup féminisée, notamment dans les entreprises de services où les femmes sont souvent majoritaires. Dans une telle situation, vous ne pouvez pas ne pas tenir compte de leurs contraintes. Si vous avez une personne qui dès 16h30 se dit : « comment je vais faire pour la sortie de l’école ? », passe son temps au téléphone pour organiser une solution de secours et s’’inquiète, elle n’est plus performante… C es contraintes familiales ne concernent que les femmes ? Surtout les femmes car elles assument dans notre société plusieurs autres fonctions, en plus de leur travail professionnel. La répartition des rôles entre les sexes évolue lentement mais entre les jeunes hommes et femmes elle me semble très différente de celle de ma génération. La bi-activité qui est devenue la norme chez les jeunes couples change la donne. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 16 Entretien avec Frédéric Tiberghien On l’a constaté avec la mise en place des 35 heures dont les grands bénéficiaires ont été les cadres et les femmes. Elles ont contribué à corriger les déséquilibres entre vie professionnelle et vie privée, qu’il s’agisse des femmes ou des hommes. Aujourd’hui les jeunes sont plus attentifs à la vie personnelle, moins complexés de partir plus tôt. Cela a une répercussion pour les entreprises qui ont besoin d’attirer les meilleurs. Elles doivent tenir compte de ces nouvelles attentes des jeunes. Q u’est-ce que les entreprises peuvent mettre en place pour aider leurs collaborateurs à mieux concilier leurs différentes vies ? En dehors des RTT, une bonne formule consiste à instaurer des horaires flexibles, avec des contraintes qui sont les plages minimum de présence. C’est une question de confiance. On fait confiance aux salariés. Chacun gère son temps de travail dans un cadre souple. Une autre piste, ce sont les services comme par exemple les crèches d’entreprise. Les employeurs doivent à mon sens s’impliquer dans ce type de projets aux côtés des Comités d’entreprise. Cela fait partie de leurs missions. E n France, on est en retard sur ces sujets par rapport à d’autres pays ? Assez en retard. Nous avons une tradition, disons, monarchique du chef d’entreprise. Depuis l’Ancien Régime, c’est le maître -aujourd’hui le chef d’entreprise- qui fixe l’horaire collectif de travail et arrête le règlement intérieur. Le temps de travail n’est pas négocié avec le salarié, comme cela se produit parfois à l’étranger, mais décidé unilatéralement par le chef d’entreprise. Le mérite des lois Aubry - même si on peut leur faire des reproches par ailleurs - est que pour la première fois le temps de travail est devenu un objet de négociation avec les représentants des salariés ! Cela change tout. Dans une négociation, le chef d’entreprise est obligé d’écouter les attentes des salariés, de faire des compromis. Dans les pays nordiques où, par tradition, il existe une négociation sur l’organisation du temps de travail, des arrangements plus performants et plus innovants que chez nous sont trouvés. En France, la culture du présentéisme, le poids des hommes à la direction de l’entreprise, le pouvoir unilatéral reconnu au chef d’entreprise par le code du travail… font que nous sommes allés moins vite que d’autres pays. P our avancer sur ces sujets, pensez-vous que la publicité ait un rôle à jouer ? Oui, parce la publicité est à la fois le miroir d’une société et projette une part de rêve qui contribue à la faire évoluer. Elle peut surtout jouer un rôle utile dans la lutte contre les stéréotypes. Montrer des hommes qui s’occupent de leurs enfants ou accomplissent des tâches domestiques, je trouve ça très bien. L’image exerce un puissant effet sur la perception de la réalité. La publicité joue un rôle pédagogique, prescriptif en somme. E n ce qui vous concerne, êtes-vous satisfait de l’équilibre que vous avez réussi à trouver tout au long de votre carrière entre vie privée et professionnelle ? J’ai toujours eu trois vies différentes et entrecroisées : dans l’entreprise, en famille, et beaucoup d’engagements associatifs ou désintéressés. Equilibrer les trois n’a jamais été facile. La vie de l’entreprise est très prenante : j’ai toujours rejoint le bureau tôt le matin et je l’ai rarement quitté avant 21 heures. Je consacre une bonne partie de mes samedis et dimanches à d’autres activités : j’écris des articles, je participe à des réunions d’associations ou à des colloques... Donc ma vie familiale a toujours un peu souffert. Ma femme me l’a souvent reproché. Mes enfants aussi. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 17 Entretien avec Frédéric Tiberghien V ous avez des regrets ? Je n’en exprime pas. Ce n’est pas mon genre. J’ai manqué un certain nombre d’épisodes des enfants. J’ai raté toute une série de choses dont je suis parfaitement conscient, mais je n’éprouve pas de regrets. V ous avez 5 enfants. Compte tenu de votre engagement professionnel très intense, votre femme a dû renoncer à travailler ? Elle a commencé comme professeur de biologie. Ensuite elle a arrêté de travailler quand nous avons eu plusieurs enfants. Puis elle a recommencé des études d’assistante sociale. Quand on est une femme, on ne peut pas passer son temps à attendre son conjoint. Je l’ai encouragée. Quand les enfants sont devenus plus grands et se débrouillaient seuls, elle a exercé son nouveau métier en trouvant un équilibre partagé entre la vie de famille et une vie professionnelle tournée vers les autres. V os enfants ont suivi votre exemple ? Si nos trois filles ont toujours travaillé honorablement, nos deux fils ont eu des passages à vide. Vers 12-13 ans, ils sont venus me dire : « Papa, tu mènes une vie de fou. On ne veut pas te ressembler et on a décidé de ne jamais travailler comme toi ». Tous les ans, pendant 3-4 ans, j’ai été régulièrement convoqué en fin d’année par les directeurs d’école qui me disaient au sujet de chacun d’eux « Ecoutez, on ne peut pas le garder, ils ne font rien ». Il fallait ensuite leur trouver une autre école et convaincre avec de tels bulletins scolaires n’était pas aisé. Heureusement, nous avons trouvé sur notre route quelques directeurs d’école qui n’étaient pas exclusivement focalisés sur la sélection et qui donnaient leur chance à des personnalités remuantes ou fortes. Après l’adolescence, ils se sont réveillés. Finalement, si certains enfants copient leurs parents, d’autres prennent délibérément un chemin inverse. Imiter ou rejeter le modèle des parents fait partie de la liberté des enfants. Le mimétisme est répandu dans l’entreprise aussi. C’est la raison pour laquelle le chef d’entreprise doit être attentif à son comportement individuel et à la manière dont il impose ou non son rythme de vie et ses habitudes, bonnes ou mauvaises, à l’entreprise. Son poids personnel est considérable et la hiérarchie reproduit souvent le comportement du dirigeant. Beaucoup de chefs d’entreprise ne font pourtant pas attention à cela. V ous avez écrit un ouvrage sur la question du temps… « La course du temps » en 1998, à l’époque où je dirigeais Chronopost. Cette entreprise a beaucoup approfondi le rapport au temps, sa matière première, dans la relation client/fournisseur, mais aussi le temps de travail, à la fois dans sa dimension individuelle et collective, nationale et internationale … V ous reconnaissez-vous un peu dans « L’homme pressé » de Paul Morand ? En partie, mais j’apprécie aussi l’apologie de la lenteur et de la contemplation. Je suis un adepte du sabbat et du repos dominical pour les salariés. Clémenceau a imposé en 1906 le repos dominical au motif que pour vivre convenablement il faut prendre un temps de repos, reconstituer ses forces, se mettre à distance, s’interdire toute activité professionnelle. C’est le fondement de l’anthropologie et des relations sociales. Aujourd’hui, en période de crise, le gouvernement est tenté d’assouplir une nouvelle fois les conditions de travail, de revenir sur le repos dominical. C’est un contre-sens pour la vie familiale et sociale. Tant pis pour celles et ceux qui veulent acheter un canapé le dimanche… Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 18 Entretien avec Frédéric Tiberghien V ous êtes contre le travail le dimanche ? Oui, fermement. Il faut respecter les rythmes sociaux et familiaux. Contrairement à une idée très répandue, on travaillait peu sous l’Ancien Régime : si les journées de travail étaient plus longues qu’aujourd’hui, l’année était parsemée de fêtes religieuses ou patronales. Jusqu’à la fin du 18ème siècle on travaillait moins de 220 jours par an. C’est au 19ème siècle, après la Révolution, lorsque les rapports entre employeurs et salariés ont échappé à toute contrainte, que le nombre de jours ouvrables est remonté au-delà de 300 et que la durée annuelle de travail a atteint son maximum, entre 3.500 et 4.000 heures. Avec les 35 h, nous sommes revenus exactement au rythme de travail du 18ème siècle : 220 jours par an. L’anomalie c’est ce qui s’est passé entre 1790 et le milieu du 20ème siècle : quand la loi ne fixe pas de bornes, les employeurs ont tendance à augmenter la durée de travail. Le repos dominical me semblant une vraie conquête sociale et anthropologique, le législateur serait bien inspiré de ne pas y toucher. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 19 Entretien avec Bernard Van Craeynest, Président de la CFE-CGC P ensez vous qu’aujourd’hui en matière d’égalité entre les hommes et les femmes l’essentiel du chemin ait été fait ? Je mesure effectivement le chemin parcouru depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. C'est-àdire à la fois 1945, le droit de vote des femmes et les années 60-70 où notre Code civil a évolué pour faire en sorte que les femmes soient reconnues dans toute l’acception du terme de personne autonome. N’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps les femmes étaient obligées d’avoir l’autorisation de leur mari pour travailler, pour disposer d’un compte en banque personnel, etc. Il y a évidemment des progrès réalisés, pour autant culturellement on est toujours sur des stéréotypes, des représentations qui cantonnent les femmes dans des sphères de la société bien définies : les métiers du tertiaire, du commerce, du médico-social… Nous sommes un pays qui a su célébrer la première femme polytechnicienne, la première femme pilote de chasse, sapeur-pompier… Ce sont des symboles de la première femme qui fait ceci ou cela, sans pour autant avoir pris toutes les dispositions pour que ça soit tout à fait naturel. P ourquoi a-t-on tant de mal à ce que cela devienne naturel ? Nous savons pertinemment que ce qui handicape le développement de la carrière professionnelle chez la femme c’est la maternité. Les dirigeants, les managers se disent : « Tiens voilà une jeune femme, bien diplômée, la tête bien faite, pleine de qualités et de compétences, mais va-t-elle être suffisamment disponible ? » Parce qu’elle a 25 ans, donc par définition elle est susceptible d’avoir des enfants. A partir de là non seulement on ne sait pas si elle va avoir des enfants, mais combien elle va en avoir. En plus elle est susceptible de demander un congé parental, voire de demander à travailler à temps partiel… C’est rarement avoué, affiché mais c’est dans l’inconscient des managers de se demander : « Est-ce quelqu’un qui sera suffisamment disponible et sur qui on peut compter ? » E tre une femme pose alors vraiment problème pour la progression de carrière ? Je l’ai mesuré. Je l’ai constaté. Pourtant on ne peut pas d’un côté dans la société avec un grand « S » dire : « c’est formidable, regardez la France a un taux de fécondité de 2 %, elle est la championne de l’Europe » puis ne pas prendre en compte que tout cela passe par des « contingences » qui conduisent à ce qu’une personne soit indisponible pendant un temps donné. Q ue peuvent faire les syndicats sur ces questions ? A la CFE-CGC nous avons mis en place il y a un 5 ans le réseau Equilibre qui réunit des femmes et des hommes justement pour réfléchir sur ces sujets. C’est bien mais cela ne suffit pas. Notre syndicat était engagé depuis longtemps en particulier dans les entreprises. Cela fait partie de la responsabilité de nos collègues, délégués syndicaux, représentants au CE. Je l’ai été moi-même. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 20 Entretien avec Bernard Van Craeynest J’ai été délégué syndical, représentant syndical au CE de mon entreprise. Je me souviens il y a une dizaine d’années de la réflexion que je formulais assez systématiquement lorsque chaque année nous examinions les données du bilan social et où conformément à la loi, la direction nous présentait trois ou quatre feuillets avec les données comparatives du bilan hommes/ femmes. Je ne manquais jamais de souligner que la loi n’est pas uniquement une présentation de données statistiques. On se doit aussi d’identifier et d’engager des actions concrètes pour lutter contre toutes les formes de discrimination. P eut-on dire aujourd’hui qu’il y a un vrai volontarisme en la matière ? Un volontarisme, oui. Cela se voit dans l’évolution de la pression législative. Je trouve positif, même si je regretterais qu’il soit nécessaire d’en arriver là, que le gouvernement ait brandi la menace de sanctions financières si on n’arrive pas à des éléments précis, quantitatifs sur le rattrapage des inégalités salariales hommes/ femmes d’ici 2010. C’est quand on est contraint que le système termine sa prise de conscience et entre dans des actes un peu plus concrets. P ourquoi pensez-vous qu’il y en a si peu ? La société inculque ça. L’homme qui reste pendant 3 ans pour s’occuper du petit entre l’âge de 6 mois et 3 ans et demi puis revient au bureau pendant que sa femme continue sa trajectoire professionnelle reste marginal, même s’ il y a quelques cas célèbres. Maintenant les salariés s’organisent. Il y en a qui sont du soir, d’autres du matin. Les deux parents se partagent davantage les rôles de ce point de vue là. Q uels sont les secteurs qui sont les plus volontaristes sur ces questions? Je ne pense pas qu’on puisse parler de secteurs. Je pense qu’on a toujours un vrai problème d’accessibilité pour les femmes à des postes de haute responsabilité. L’exemple le plus frappant c’est dans les postes de PDG, dans les conseils d’administration où les proportions de femmes restent extrêmement faibles. Y a-t-il par ailleurs une évolution des mentalités en ce qui concerne la nécessité également pour un homme de consacrer du temps à sa famille ? Depuis une petite vingtaine d’années, il y a eu prise de conscience que l’éducation des enfants se partage. Il y a un phénomène qui y a sans doute contribué, c’est l’éclatement de la cellule familiale, les gardes alternées. Le fait que bien des pères se retrouvent avoir la garde de leurs enfants, une semaine sur deux, parfois toutes les semaines, la moitié des vacances, etc ça change beaucoup de choses parce que ce n’est pas seulement se retrouver pour des loisirs. L e travail à domicile est il un thème sur lequel il y a des avancées ? On a beaucoup parlé de télétravail il y a une dizaine d’années et on a vu là une possibilité d’évolution intéressante à la fois pour l’entreprise et les salariés. Finalement le télétravail ne s’est pas tant développé que cela. Il ne faut pas oublier que la communauté de travail est importante. La vie de l’entreprise, il faut que ça soit quelque chose de vécu et de partagé. Il faut faire attention dans le travail à domicile au risque de coupure trop importante entre la personne et son entreprise. Quelqu’un qui n’est pas préparé, qui n’a pas les repères, les appuis pour s’organiser entre vie personnelle et vie professionnelle ça peut être très vite catastrophique. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 21 Entretien avec Bernard Van Craeynest V ous militez beaucoup pour le P ersonnellement êtes-vous content de développement des crèches d’entreprises ? On milite beaucoup pour la facilitation des tâches quotidiennes, pour faire en sorte que les salariés ne soient pas trop préoccupés par les soucis de la vie quotidienne et là nous nous efforçons de persuader le patronat que nous avons un intérêt partagé. Le salarié qui est bien dans sa peau, qui n’a pas de soucis personnels, familiaux, il est forcement plus productif. Alors il ne s’agit pas de rejeter sur l’entreprise la responsabilité de la garde des enfants, mais nous sommes pour un effort partagé entre les structures collectives publiques, les municipalités, les conseils généraux, l’Etat et les entreprises. l’équilibre que vous avez créé au long de votre carrière entre votre vie professionnelle - très active - et votre vie familiale ? Compte tenu de mon engagement très fort et de ma vie intense, je suis conscient que je n’ai sans doute pas été suffisamment disponible et je n’ai peut-être pas suffisamment affirmé une présence « de tous les instants » auprès de mes proches et notamment de ma fille. Je pense toutefois avoir été auprès d’elle dans beaucoup de temps forts et c’est ce qui me semble important : être en mesure de dégager des temps forts qui marquent, qui orientent, qui tracent le parcours d’une personne. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 22 Entretien avec Jean-Luc Vergne, DRH du groupe PSA Peugeot Citroën A vez-vous, tout au long de votre carrière, réussi à concilier votre vie professionnelle et votre vie personnelle ? Les vingt premières années je n’ai rien concilié du tout. Je n’ai pas vu grandir mes filles et je m’en veux d’ailleurs. Je ne me suis pas posé la question. J’ai subi la dynamique de l’environnement, de la pression, de l’évolution de carrière. Toutes ces choses ont fait que pendant au moins 25 ans je ne me suis pas posé la question et je n’ai pas concilié. Mes filles peuvent dire qu’elles n’ont pas beaucoup vu leur père. Avec habileté, finesse et aussi humour elles me l’ont fait sentir. Depuis 15-20 ans, j’essaye d’un peu mieux concilier. Q uel âge ont vos filles aujourd’hui ? Elles ont 33 et 36 ans. P our « un peu mieux concilier » comment faites-vous désormais ? J’ai la chance que 6 à 7 heures de sommeil me suffisent. Je peux démarrer tôt. Je suis à 7 heures au bureau. S’il faut avant. J’essaye 2 fois par semaine de faire du sport. Je me fixe des règles : pas plus de deux dîners par semaine et je fais en sorte de ne pas mettre des réunions le soir après 18 heures et c’est valable pour mes collaborateurs. Dans toute ma carrière, je n’ai jamais embêté ma famille avec les problèmes de la vie professionnelle. Je crois que jusqu’à ce qu’elles soient adultes, mes filles ne savaient pas très bien ce que je faisais. Mon père m’avait enseigné cela : ne pas faire partager à ma famille mes soucis de bureau. A vez-vous le sentiment que les trentenaires d’aujourd’hui font un peu plus attention à l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée ? Je ne crois pas que ce soit une question de génération. C’est une évolution plus générale de la société. Après guerre, pour la génération des mes parents, la réussite passait par le travail. C’était le travail et on se consacrait, sans compter les heures, à l’entreprise. On n’avait même pas l’idée de changer d’entreprise. Aujourd’hui la réussite peut passer par autre chose et ce n’est pas un problème de génération. Je crois que même les plus âgés essayent aujourd’hui d’avoir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Pour ce qui est des jeunes, ils sont peut-être un peu plus rationnels sur ce point parce qu’ils ont souvent vu leurs parents consacrer beaucoup de temps, voire trop de temps, au travail. Beaucoup se disent : « on ne va pas reproduire ce schéma», ce qui leur a permis de trouver dès le départ un meilleur équilibre. A vez-vous alors déjà connu des hommes qui demandaient à prendre un congé parental ? J’en ai connu peu. P ourquoi pensez-vous qu’il y en a si peu ? La société inculque ça. L’homme qui reste pendant 3 ans pour s’occuper du petit entre l’âge de 6 mois et 3 ans et demi puis revient au bureau pendant que sa femme continue sa trajectoire professionnelle reste marginal, même s’ il y a quelques cas célèbres. Maintenant les salariés s’organisent. Il y en a qui sont du soir, d’autres du matin. Les deux parents se partagent davantage les rôles de ce point de vue là. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 23 Entretien avec Jean-Luc Vergne D ans les entreprises, le temps partiel, quand il est possible, reste cependant encore largement féminin … Il y a moins d’hommes que de femmes à temps partiel chez PSA, ça c’est évident. J’ai travaillé à la DRH avec des gens à temps partiel. J’ai eu des collaboratrices et des collaborateurs brillants qui travaillaient à temps partiel, qui réussissaient bien. Mais ils sont intelligents, ils comprennent qu’ils ne pourront pas évoluer de la même manière qu’en travaillant à temps plein. Il y a des postes pour lesquels le temps partiel est incompatible. A uxquels pensez-vous ? En usines, il y a certains postes où l’aménagement du temps partiel n’est pas forcément compatible avec l’activité. Si c’est pour laisser tous les vendredis ou les mercredis libres ce n’est pas compatible. Et puis vous avez les postes à responsabilité où le temps partiel n’est pas évident. Alors le temps partiel, oui, il faut le favoriser. Mais il faut que nous soyons conscients que ce n’est pas toujours possible. C’est selon les postes. Et ce n’est pas une question d’homme ou de femme. P our aider à la conciliation des différents temps de vie, voyez-vous d’autres solutions que le travail à temps partiel ? Oui heureusement. Chez PSA par exemple, depuis 2000, nous avons été novateurs. Dans la charte pour la maîtrise du temps de travail, il est recommandé que les réunions commencent, sauf exception et sauf pour les dirigeants, au plus tard à 17 h du lundi au jeudi et à 16 h les vendredis. Cette charte a été signée par tous les dirigeants pour qu’on ait des pratiques qui préservent la vie personnelle. Elle concerne autant les femmes que les hommes. De la même manière quand je développe une crèche, par exemple comme celle qui va ouvrir l’année prochaine à la Garenne, je le fais pour les hommes et les femmes. Lorsque je développe une conciergerie, je le fais pour les hommes et les femmes. C’est d’ailleurs les hommes qui la fréquentent plus. Ce que je veux dire par là, c’est que je suis un peu réservé sur l’idée que la conciliation ne serait qu’une affaire de femmes, qu’il faut mettre des mesures spécifiquement pour les femmes. En effet, développer des mesures pour une catégorie ou une communauté, c’est le meilleur moyen de ne pas arriver à l’égalité. Pour moi le temps partiel n’est pas pour les mères de la famille, il est pour les parents : hommes ou femmes. Vous savez, en matière de diversité, dans le groupe, nous sommes en pointe. Pour l’égalité nous avons été les premiers à être labélisés et l’AFAQ-AFNOR vient de nous auditer dernièrement pour avoir le label diversité. P ensez-vous que la question des tâches domestiques - et son partage souvent inégal au sein des couples - continue d’handicaper les femmes dans leur évolution de carrière ? Pour faire carrière il faut avant tout le vouloir. Peut-être qu’il y a des femmes qui à un moment donné se disent : « Je veux évoluer, mais pas au plus haut niveau ». C’est un choix. Il y a des jeunes hommes aussi qui se disent la même chose : « Je ne veux pas avoir des responsabilités, mal dormir, subir la pression… ». Plus vous montez, plus vous avez du stress, des responsabilités mais en même temps, plus vous avez les moyens financiers de vous faire aider sur ces fameuses tâches familiales. La première chose c’est la volonté et les compétences. Faire carrière oui, mais encore faut-il avoir les qualités et les aptitudes. Je ne voudrais pas laisser croire que si à partir de demain le mari fait tous les soirs les tâches ménagères le problème de la carrière de la femme sera résolu. Pour les femmes qui veulent réussir, il faut beaucoup de volonté, mais c’est Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 24 Entretien avec Jean-Luc Vergne vrai chez les hommes aussi. Il y a des hommes qui disent : «Je n’ai pas envie de me battre au plus haut sommet, parce que c’est épuisant ». A u sujet des mentalités, pensez-vous que les publicités qui mettent en scène des hommes qui s’impliquent plus dans les tâches familiales et domestiques peuvent contribuer à changer les choses ? Certainement dans l’inconscient. Plus on verra des hommes mettre la main à la pâte, prendre en charge une part des responsabilités familiales, mieux ça sera.Tout cela passe beaucoup par la modification des représentations. Le fait qu’en 2003 j’ai signé l’accord sur l’égalité avec tous les syndicats, c’est important. De même, en 2004, j’ai signé avec tous les syndicats l’accord sur la diversité, qui va plus loin que l’égalité hommes/femmes. Cela nous a permis dans l’entreprise de faire évoluer les mentalités. Il reste encore du chemin à parcourir, mais je constate que la question d’avoir des femmes chefs à des plus hauts niveaux ne se pose plus. Il y a des thèmes qui ne sont plus vus de la même manière, qui ne sont pas tabous, que ce soit au niveau du recrutement ou de l’encadrement. C es changements dans les représentations, les mentalités sont donc importants ? Très importants. Certes la publicité, puisque vous venez de la citer, mais aussi les films, beaucoup de choses font qu’inconsciemment les mentalités évoluent. Ce n’est pas parce que je ne vais plus faire de réunions à 18 h que je vais régler le problème de la vie familiale. Je crois que ces petites choses aident, ça crée un processus et une dynamique, mais c’est surtout dans la tête que les évolutions se passent. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 25 Entretien avec Philippe Vivien, DRH du Groupe Areva Q uelles sont les mesures prises chez Areva pour favoriser l’égalité professionnelle ? Il y a plusieurs sujets. Tout d’abord au niveau de l’embauche. Nous sommes une entreprise qui essaie au maximum de féminiser son recrutement. Aujourd’hui, alors qu’en moyenne il y a 17 % de jeunes femmes diplômées ingénieurs par rapport à la totalité des ingénieurs, nous sommes plutôt sur un taux de recrutement qui tourne autour de 35-40 %. Je ne parle que des métiers techniques. Nous sommes à un peu plus du double du taux de sortie des jeunes femmes des écoles d’ingénieurs ou des universités scientifiques. Cela a été un vrai parti pris pour nous de travailler sur ce sujet. Sur les recrutements, notamment avec des profils ouvriers, il y a aussi la question de l’accès des filles aux métiers industriels. Il y a vraiment un problème d’orientation d’une jeune fille qui va passer un Bac Pro pour qu’elle aille dans des métiers industriels comme les nôtres. On travaille beaucoup actuellement sur l’apprentissage et sur les contrats professionnels pour réintégrer dans ces filières techniques en usine des jeunes femmes qui vont aller faire du soudage, de la chaudronnerie, des missions d’intervention dans des centrales, etc. Pour avancer sur ce sujet on mobilise aussi les salariés du groupe. On demande à des femmes prioritairement, si elles sont prêtes intervenir dans des lycées, dans des écoles et dans l’enseignement supérieur, pour plaider les métiers techniques et technologiques. Ces premiers points, l’orientation, l’apprentissage, l’alternance sont des éléments essentiels. D onc les représentations dans la société sont encore stéréotypées autour des métiers dits féminins et des métiers dits masculins… Oui. On renvoie encore et toujours aux représentations et stéréotypes. Un sujet que l’on retrouve aussi avec le temps partiel. Je vous donne un exemple : j’étais dans une réunion de gestion de talents. On évoque la situation d’une femme qui travaillait à temps partiel. Tout le monde dit : « elle bosse très bien, mais elle est à temps partiel ». Cela posait problème. A un moment donné, arrive un autre dossier, celui d’un homme qui était lui aussi à temps partiel, mais on ne nous le dit pas. C’est juste à la fin qu’on nous dit : « vous savez, il est aussi à temps partiel ». C’était frappant de voir combien, pour le management le fait qu’ils travaillent tous les deux à temps partiel était complètement différent : dans le cas féminin, cela posait question par rapport à son engagement professionnel ; dans le cas de l’homme c’était : « ah, oui, d’ailleurs il est à temps partiel »… L es stéréotypes ne sont gênants que pour les femmes ? Non, dans certains cas ils sont pesants aussi pour les hommes. Prenons un autre exemple : pour de nombreux cadres, il y a souvent une certaine flexibilité des horaires le matin, une tolérance tacite pour des arrivées un peu plus tardives certains jours. Et bien est-ce que les hommes utilisent véritablement cette marge de manoeuvre ? Etrêmement peu. Et là encore ce sont les représentations qui sont largement à l’oeuvre. C’est, je crois un des vrais enjeux des entreprises, que les salariés puissent se rendre compte qu’ils peuvent eux-mêmes prendre des marges de manoeuvre sans se dire : « mon Dieu, je suis un homme, il faut que j’aille chercher mon fils ou ma fille à l’école, que va dire mon chef ! » Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 26 Entretien avec Philippe Viven Q ue peut faire une entreprise pour aider ses salariés dans la conciliation ? Ce qui peut être très utile, et que nous avons tenu à développer chez Areva, ce sont les crèches d’entreprise. On a commencé par les mettre en place à Paris, puis après Lyon, Massy-Palaiseau. Sur Paris il y a entre 100-120 places de crèches. On a tenu à ce que cela ne soit pas simplement une crèche avec quelques berceaux pour les enfants des cadres du siège. Aujourd’hui dans les villes où Areva est un employeur important, soit nous avons créé nous-mêmes une crèche d’entreprise, soit nous aidons à la création des crèches inter-entreprise. Maintenant on le fait aussi en Allemagne. C’est un pays où le rapport de la femme au travail n’est pas tout à fait le même qu’ici et nos collègues Allemands ont été très fiers. Nous avons également mis en place un certain nombre d’actions au niveau des pratiques : éviter les réunions le soir après 17h30 ou le matin à 8h00 par exemple. Il y a un autre sujet sur lequel nous essayons d’avancer ce sont tous ces voyages : est-ce que cela vaut toujours le coup de prendre l’avion, le train, alors que l’on a une belle salle de vidéo conférence ou que l’on a de la haute technologie sur nos ordinateurs ? E st-ce que les hommes prennent leur congé de paternité aujourd’hui chez Areva ? Ils le prennent tous. Je pense qu’on est de ce point de vue une entreprise assez décomplexée. L a pression n’est pas trop forte… Il faut être très vigilant. Ainsi ce n’est pas parce que je sors plus tôt que je ne travaille pas chez moi. Il y a un indice aujourd’hui qui m’inquiète : précédemment on ne voyait que peu d’emails le week-end, juste quelques uns le vendredi soir de la part de celui qui était parti un peu tard, voir le samedi matin. Aujourd’hui je reçois beaucoup plus d’emails le week-end qu’il y a encore deux ou trois ans. Idem avec le téléphone portable ou le blackberry qui de ce point de vue est la pire des choses. Il y a vraiment une interpénétration des deux sphères. C omment être vigilant là-dessus ? J’ai un principe : généralement même quand je travaille le week-end sur mon mail, je ne suis pas connecté. Je ne me rebranche que le lundi matin. Il faut trouver un nouvel équilibre, ça veut dire oser fermer son téléphone portable et se dire : « je ferme ». M ais n’y-a-t-il pas une culture du présentéisme en France ? C’est possible que la personne qui part souvent tôt soit perçue par les autres comme quelqu’un qui a moins travaillé, mais je pense que le vrai sujet aujourd’hui n’est plus là. Je ne suis pas sûr qu’une fois rentrée chez elle, cette personne qui était partie tôt, ne continuera pas à travailler sous une forme ou sous une autre. E t le temps partiel pour concilier ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution. La vie dans une entreprise est aussi une vie de réseau. Plus on travaille à l’international, comme nous, plus on a besoin d’avoir des équipes de proximité, fortes les unes avec les autres. Quelque soit ma planification de travail, si jamais il se passe quelque chose, mieux vaut que je ne sois pas trop loin de mon téléphone, et probablement de mes interlocuteurs. On a besoin d’être immergé dans l’entreprise pour faire son travail mais aussi parce qu’il faut plus ou moins faire partie du réseau informel qu’est l’entreprise et pas seulement de l’organigramme. Or à temps partiel cela devient compliqué. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 27 Entretien avec Philippe Viven P lus on a de responsabilités, plus c’est C ’était il y a 20 ans, est-ce que la hiérarchie compliqué ? Probablement, d’une part pour la raison de la charge de travail, et d’autre part la capacité d’interagir. Dans une réunion, c’est toujours embêtant d’entendre dire : « Il n’est pas là. Pourquoi ? Il est à temps partiel ». était plus dure ? Je ne crois pas. Je pense que j’étais dans des entreprises où cela n’aurait pas posé de problème. Aujourd’hui la génération qui vient d’arriver dans l’entreprise exprime plus fortement sa capacité de faire des pauses entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Je pense que les aspirations sont les mêmes, mais qu’avant on ne les exprimait pas. Ce sont les hommes et non pas les organisations qui font le déni de ces modèles professionnels. E t à titre personnel, est-ce que vous êtes satisfait de la façon dont vous avez équilibré vos différentes vies ? Vous avez des enfants ? Trois enfants qui ont 25, 20 et 17 ans. R egrettez-vous de ne pas avoir passer plus S i c’était à refaire, vous prendriez davande temps avec eux quand ils étaient petits ? Oui ; personne ne m’a imposé de ne pas être là. Je regrette de ne pas l’avoir fait d’autant que je suis persuadé que cela n’aurait rien changé à ma carrière. tage de marges de manoeuvre ? Bien sûr. Là j’ai vraiment un exemple, c’est la naissance de mon fils. Je suis allé le chercher avec ma femme à la maternité. Je les ai emmenés à la maison et je suis retourné travailler. Il faut être stupide ! Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 28 A propos de l'étude commandée par l'ORSE à BVA sur la parentalité Sylviane Giampino, psychanalyste, psychologue petite enfance et familles La démarche la plus pertinente qui soit actuellement, est bien de porter l'attention sur les salariés masculins, si l'on veut, vraiment, faire progresser la question de l'harmonisation entre la vie au travail et la vie en famille. Les approches centrées prioritairement sur les femmes ou les aménagements mixtes, mais utilisés plutôt par elles, ont montré leurs limites. Les résultats de l'étude révèlent bien l'état des questions, la complexité, et surtout les ambiguïtés dans lesquelles, hommes, femmes, entreprises, et société sont encore pris. Je prendrai pour exemple deux résultats qui sont, psychologiquement, parlants : • le temps consacré par les hommes aux "obligations" familiales, • les représentations du temps partiel. Le temps consacré par les hommes aux "obligations" familiales. 81 % des personnes interrogées confirment qu'elles savent bien que si les hommes participaient davantage au soin des enfants et aux nécessités de la maison, la balance se rééquilibrerait entre femmes et hommes au travail. Mais, puisqu'il y a ce consensus, pourquoi ne le fontils pas ? Pourquoi ne le font-elles pas ? Il semble qu'il y ait, en fait, une ambivalence. Celle-ci apparaît bien lorsque l'on met en lien : • ce résultat d'une conscience de l'importance d'une participation égale des hommes et des femmes aux soins des enfants, • et le peu de motivation à augmenter, ou sécuriser des congés paternels (21 %) alors qu'il y a une motivation nettement plus forte (32 %) à allonger le congé maternité ! Cette ambivalence apparaît également lorsqu'on relie ce souhait de partage des tâches avec l'idée que le temps partiel serait, dans les esprits, plus acceptable pour les femmes (60 %), que pour les hommes (22 %). L'attitude révélée par ce sondage pourrait se résumer ainsi : en France, l'équilibre homme-femme au travail, et père-mère à la maison, ça ne marche pas, donc, continuons à utiliser les mêmes solutions, qui ne solutionnent pas. N'oublions pas aussi que les résistances des hommes à changer rencontrent souvent la résistance des femmes à modifier le statut quo des rôles dans la vie à deux. Mais à y regarder de plus près, les écarts entre les réponses des hommes et des femmes sont prometteurs. Ainsi les hommes sont aussi nombreux que les femmes à considérer qu'une meilleure implication de leur part à la maison, faciliterait la vie de leur femme au travail. Prise de conscience utile... Même harmonie pour considérer que les mentalités managériales devraient évoluer dans l'entreprise. C'est le signe que les hommes autant que les femmes ne veulent plus cautionner le "déni de réalité" des impératifs de l'épanouissement personnel, et des évolutions de la famille depuis 30 ans. Ce déni est un symptôme du monde de l'entreprise, qu'il est temps de soigner. Les hommes aujourd'hui ont rejoint les femmes sur un point : ne pas tout miser sur le travail pour réussir sa vie. Les violences managériales, la financiarisation, les sièges éjectables à tous les étages, produisent leurs effets : • " Je ne veux pas rentrer un soir dans une maison sans enfants que je n'aurai pas élevés, ni vus grandir • " ou " Mes enfants, eux, ne vont pas m'annoncer que je ne sers plus à rien par un mail au petit matin ", disent bien des pères aujourd'hui. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 29 Sylviane Giampino Les hommes qui, jusque dans les années 90, avaient misé sur l'investissement professionnel pour sécuriser leur avenir et celui de leur famille, ont fait depuis l'expérience que quel que soit leur mérite et leur compétence l'entreprise n'est plus fiable envers eux, qui lui consacraient toute leur énergie depuis des générations. L'espace de maîtrise des clefs de l'avenir professionnel s'amenuise face à la globalisation des systèmes de production et suscite un sentiment d'impuissance. L'un des passages ancestraux des sublimations du masculin dans le travail est comme barré, avec les effets dépresseurs que l'on connaît. S'engage aujourd'hui un mécanisme de déplacement successif des investissements. Du travail vers la relation amoureuse, et de celle-ci, vécue comme incertaine, vers les enfants. Une identité masculine qui subit une translation de la production vers la reproduction. Dans colonne investissement c'est la famille qui prend des valeurs. Autre indice encourageant : les hommes sont plus nombreux que les femmes à penser qu'il faut limiter les réunions du matin et du soir, (21 contre 17 %) et qu'il serait bon de sécuriser le congé paternité (23 contre 17 %), alors qu'ils sont moins nombreux à prôner l'allongement du congé maternité (24 contre 39 %). A méditer. Cela étant, si ces écarts de réponses entre et les femmes peuvent être interprétés comme une positive prise de conscience concernant des hommes, c'est plus intriguant concernant les femmes. C'est à se demander si les femmes croient encore que les entreprises et les hommes puissent évoluer ? Le fait est que, depuis 40 ans, elles ont vu passer beaucoup de réformes, de débats, sur la " conciliation " vie professionnelle-vie familiale, sur " l'égalité H/F "; mais que leur vécu, est toujours le même. Si un enfant est malade c'est la mère que l'école ou la crèche appelle à son travail. C'est elle aussi qui freine ses ambitions professionnelles si la pression familiale est trop forte, vu qu'elle gagne moins ! Les femmes sont moins nombreuses à souhaiter les crèches d'entreprises ? Elles savent que c'est dans leur entreprise à elle, que l'enfant sera accueilli, et que les transports avec l'enfant, c'est un sas en moins. Elles savent bien aussi que perdre son travail, c'est déjà un problème, mais perdre un mode de garde en même temps, ça complique. Quand elles ne sont que 11 % contre 25 % à souhaiter que les syndicats s'emparent des questions de parentalité, est-ce qu'elles ne croient plus que d'autres qu'elles puissent se mobiliser pour les enfants ? Est-ce qu'elles n'attendent plus grand chose des organisations ? Les représentations du temps partiel Pourquoi les aménagements d'horaires, c'est-à-dire le temps partiel, devrait rester une spécialité des mères. On sait bien que c'est par ce mécanisme que la spécialisation des rôles masculins/paternels et féminins/maternels se perpétue. A l'heure où tous les psychologues démontrent que, dès la naissance, l'enfant est autant attaché à sa mère qu'à son père et que leur présence est d'égale importance, à l'heure où les pères veulent continuer à s'occuper des enfants en cas de divorce, à l'heure où ils placent le manque de temps avec leurs enfants en tête de leurs manques, tout comme les mères, va t'on continuer à organiser le travail et la société en fonction de ce présupposé qui confine à l'entêtement : " Pour un enfant rien ne vaut sa mère ! ". Idéologie "maternocentrée" des enfants, qui revient ici encore à un "déni de réalité", d'une autre réalité, à savoir que 6 femmes au foyer sur 10 préfèreraient travailler, et que les temps partiels sont le plus souvent des temps partiels imposés. Corollaire d'une dégradation de l'emploi, ils s'accompagnent, souvent, d'horaires dits atypiques, dont la compatibilité avec les rythmes de vie des enfants reste à démontrer. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 30 Sylviane Giampino Si aménagements des temps il doit y avoir, la seule solution est de répartir entre les pères et les mères. Pour le plus grand profit de tous : couple, enfants, entreprise. Oui, c'est bien avec les hommes que les entreprises aujourd'hui doivent engager des changements, de management, d'état d'esprit, de prise en compte d'une paternité qui demande à prendre place, au côté d'une maternité qui gagnerait à se sentir enfin désacralisée, mais entourée. Que ce soit avec anxiété et hésitation, se conçoit. Ils ressentent donc avec plus d'acuité les incohérences et les mutations. Elles leur font violence, et cette violence est mal identifiée. Violence du grand écart croissant entre la montée des valeurs individualistes d'exigence de bonheur et la dérégulation collective des étayages de la sécurisation affective. Il est donc nécessaire, pour les entreprises, d'adopter sur ce thème une démarche cohérente, sincère,qui ne soit pas superficielle mais aille vraiment au coeur des problèmes. N'est-ce pas aussi cela, l'égalité, un partage, une entraide, au travail, en famille, en société. Depuis que l'on parle aux bébés, les hommes comme les femmes sont de plus en plus en sensibles et intelligents, donc de plus en plus complexes et multidimensionnels. Auteur, notamment, de " Les mères qui travaillent, sontelles coupables? " Albin Michel réed.2007, et de " Je désire un enfant, donc je suis un homme. Disent-ils..." in "A quoi rêvent les hommes?" sous la dir. De R.Frydman et M.Flis-Treve. Ed. Jacob 2006 Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 31 « Conciliation travail- famille : les Français veulent que ça change ! » Dominique Meda, sociologue Ce sondage apporte beaucoup d’informations intéressantes. D’abord, il montre que la plupart des Français préfèrent désormais à l’interruption d’activité (en l’occurrence à l’allongement du congé de maternité ou paternité) le maintien en emploi, à condition de pouvoir aménager leur temps de travail. Ensuite, il met en évidence que de fortes attentes pèsent sur les entreprises : c’est d’elles dont les Français attendent un surcroît d’implication pour améliorer la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, sous la double forme d’aménagements horaires et de mise en place de structures d’accueil des jeunes enfants. Enfin, il souligne que les Français ont bien pris conscience qu’une large partie des inégalités professionnelles, entre les hommes et les femmes, prend sa source dans la répartition déséquilibrée des tâches domestiques et familiales. C’est de cette prise de conscience que l’on peut espérer de profonds changements, comme l’indiquent les Français qui placent en deuxième position le nécessaire changement de mentalités comme moyen d’améliorer la conciliation. Aménagement du temps de travail Les Français plébiscitent donc l’aménagement du temps de travail comment moyen d’améliorer la conciliation. Mais ce terme n’est pas précisé et on ne sait donc pas ce qu’il recouvre exactement. Il n’est pas non plus précisé si cet aménagement doit concerner tout le monde, indifféremment homme et femme. Un précédent sondage de BVA, passé en 2006 dans le cadre du Suivi barométrique de l’opinion des Français à l’égard de la santé, de la protection sociale, de la précarité, de la famille et de la solidarité (DREES, 2006 ; Bauer, 2008), avait montré que le taux de personnes d’accord avec la proposition selon laquelle « les hommes doivent bénéficier d’aménagement du temps de travail au même titre que les femmes » était passé de 48 % à 54 % entre 2000 et 2006. Dans notre sondage, si hommes et femmes sont exactement aussi nombreux à désigner l’aménagement du temps de travail comme modalité privilégiée d’amélioration de la conciliation, on ne sait malheureusement pas si les personnes interrogées ont supposé ou non qu’il pouvait s’agir des hommes comme des femmes. Travail à temps partiel La question suivante concerne ce qui n’est qu’un des aspects de l’aménagement du temps de travail (le travail à temps partiel) et met bien en évidence les freins qui subsistent : hommes et femmes reconnaissent que le fait de travailler à temps partiel est mieux accepté pour les femmes que pour les hommes. Dés lors, les aspirations égalitaires révélées par l’une des questions semblent, comme toujours, se heurter à la réalité du comportement des institutions et de « la société » en général. L’une des vagues d’une grande enquête européenne consacrée aux rôles familiaux (la vague 2002 de l’International Social Survey Programme) a bien mis en évidence que les aspirations égalitaires se heurtaient encore à de fortes résistances et à des croyances bien ancrées, relatives notamment au rôle incombant à chaque parent. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 32 Dominique Meda Ainsi, si dans les pays interrogés, une majorité de personnes est totalement d’accord ou d’accord avec l’idée que « hommes et femmes doivent contribuer au revenu du ménage » et que « les hommes devraient mieux partager les tâches domestiques et les soins aux enfants », si la majorité pense également que les femmes doivent travailler à temps plein avant la naissance des enfants et après le départ des enfants, une part très importante des populations interrogées trouve qu’être une femme au foyer est aussi épanouissant qu’exercer un travail rémunéré et surtout, presque trois quart des personnes interrogées pensent que lorsque les enfants sont en âge préscolaire, les femmes doivent rester à la maison ou travailler à temps partiel, et qu’elles doivent également travailler à temps partiel lorsqu’ils sont à l’école. Entre un quart et la moitié pense que la vie de famille pâtit (« suffers ») lorsque la femme a un travail à temps plein et la même proportion acquiesce à l’idée que l’enfant non scolarisé pâtit du fait que sa mère travaille. Les questions équivalentes ne sont pas posées pour les pères (Méda, 2008). Révision des stéréotypes Il y a une certaine cohérence entre le fait que les personnes interrogées dans notre sondage reconnaissent que les mentalités doivent changer et le fait que les spots publicitaires soient considérés, à 70 %, comme un bon instrument pour faire changer celles-ci, notamment en montrant des hommes qui participent aux tâches domestiques et familiales. En revanche, on peut voir une certaine incohérence entre cette réponse, massive, et le relatif désintérêt provoqué par l’allongement du congé de paternité qui semble pourtant une mesure tout à fait susceptible d’inscrire les pères dans la réalité des soins aux jeunes enfants. A moins de comprendre ces deux réponses comme la preuve que les personnes interrogées ne pensent pas que le problème vient d’une moindre volonté de s’impliquer de la part des pères, mais bien d’une représentation sociale décalée qui s’étend aux entreprises et confortent celles-ci dans leur souhait de ne pas inciter les pères à travailler à temps partiel ou de ne pas les y aider. Les hommes que j’ai pu interroger au cours d’entretiens longs, indiquent, lorsqu’ils ont choisi d’interrompre temporairement leur activité ou de la réduire (seulement 6 % des hommes le font à l’arrivée d’un enfant contre près de 40 % des femmes selon la plus récente enquête de l’INED, Pailhé, Solaz, 2006), que l’entreprise, leurs collègues et même leur entourage a très mal réagi à l’annonce d’une telle décision. Mais ces entretiens mettent aussi en évidence que si de nombreux pères revendiquent aujourd’hui une paternité active et considèrent sans doute plus qu’auparavant que la paternité constitue une part importante de leur identité, ils ne sont pas prêts, pour la plupart, à mettre leur carrière en danger, ce qui risque d’arriver dés lors que « la société » et les organisations au sein desquelles ils travaillent ne considèrent pas un tel investissement comme légitime et ne les y aident pas. En tout cas, la balle est clairement dans le camp des entreprises. L’enquête récente de l’INED consacrée à la conciliation, « Famille et employeurs », a mis en évidence combien les entreprises étaient aujourd’hui peu impliquées dans les dispositifs d’aide à la conciliation : par exemple seuls 2 % des établissements interrogés mettent à disposition des crèches (Lefebvre, Pailhé, Solaz, 2008). Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 33 Dominique Meda Notre sondage plébiscite leur intervention, y compris avec des modalités d’intervention qui ont longtemps fait l’objet d’une très grande méfiance tant de la part des syndicats que des salariés eux-mêmes (les crèches d’entreprise suscitent la crainte que les enfants pâtissent des temps de transport et que l’entreprise ne profite du fait que l’enfant est gardé à proximité pour accroître la pression et la demande de disponibilité de la part des salariés). On doit néanmoins garder à l’esprit que dans cet ensemble complexe où tout se tient, les comportements des entreprises, les politiques publiques, les arrangements au sein des couples, les représentations sociales, tout compte et que les politiques seront d’autant plus efficaces que les changements concerneront simultanément les différentes sphères. Il est à cet égard intéressant de constater qu’il semble bien, selon les différentes enquêtes dont nous disposons, que l’investissement des pères dans les soins aux enfants soit corrélé avec le niveau d’études et la fermeté de l’engagement professionnel des conjointes. Auteur notamment de « Le temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles », ChampsActuel, rééd. 2008 Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 34 Les femmes et les hommes face à la vie professionnelle et familiale Rachel Silvera, économiste, Université Paris X La question de l’articulation des temps de vie est l’un des enjeux principaux de l’égalité entre les femmes et les hommes. En France, on le sait, les femmes travaillent et, qui plus est, « battent désormais le record européen » de la fécondité (2 enfants par femme). Mais à quel prix ? Les « contraintes temporelles » pèsent de plus en plus sur elles seules : ce changement de modèle économique et démographique n’a pas été suivi d’un changement dans les comportements des ménages : elles travaillent, elles élèvent des enfants mais elles en ont encore la charge quasi-exclusive (entre 70 et 80% des tâches domestiques et familiales incombent toujours aux seules femmes, même si elles sont actives et surtout si elles sont mères de famille…). La recherche de solutions d’accueil pour les enfants, de solutions face à des changements d’horaires de travail imprévus, ou d’enfants malades, mais aussi l’accompagnement des parents devenant dépendants… tout cela reste l’affaire des femmes, même si elles sont cadres. La réponse dans ce dernier cas sera bien sûr « d’externaliser » une part importante de ces activités, y compris des tâches domestiques. Mais ne pensons pas que cette pression temporelle ne soit le fait que des seules femmes cadres : lorsque l’on est employée à temps partiel (dans le commerce, l’hôtellerie, le nettoyage, et justement l’aide à la personne), il est souvent très difficile de trouver des solutions d’accueil compatibles avec des horaires atypiques et souvent flexibles d’une semaine à l’autre, d’autant plus difficile que l’on est mal rémunéré… Il est donc logique que le sondage présenté par l’ORSE mette l’accent sur des besoins en modes d’accueil, sous forme de crèches d’entreprise. Ce sont d’ailleurs les femmes et les cadres supérieurs et professions libérales qui mettent au premier plan cette solution encore peu développée en France. Pour les hommes, la mesure prioritaire est l’aménagement des horaires, ce qui paraît une réponse partielle aux contraintes familiales et professionnelles, mais qui permettrait une plus grande implication des pères. Mobiliser les pères est plus qu’urgent. On pourra effectivement chercher à externaliser une part de plus en plus importante de l’accueil et du soin (en impliquant l’Etat et les entreprises), il restera toujours des activités à la charge des familles…. D’ailleurs les femmes interrogées ici ne s’y trompent pas : une majorité écrasante d’entre elles estime qu’elles pourraient faire carrière plus facilement si les hommes s’investissaient davantage dans la sphère domestique… Reste à convaincre les hommes qui sont moins nombreux à adopter ce point de vue… Mais ceci trouve son explication dans la suite du sondage : une grande majorité de répondants estiment que demander du temps (comme un temps partiel) pour sa famille est mal accepté pour un homme (et mieux pour une femme)… D’où l’intérêt des campagnes publicitaires rééquilibrant les rôles domestiques (plébiscitées dans le sondage par la plupart des interrogés). Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 35 Rachel Silvera Autrement dit, c’est encore et toujours les stéréotypes véhiculés dans l’entreprise qui jouent ici : lorsque l’on est un homme et que l’on fait carrière, la performance doit rimer avec la présence, et la disponibilité totale à l’entreprise… Tant que ce modèle d’organisation du travail structurera la plupart des entreprises, il y a fort à parier que les modèles sociaux de répartition des tâches et des temps entre les femmes et les hommes ne changeront guère… L’entreprise est donc au coeur de ces transformations : elle doit progressivement intégrer ces demandes de salarié(e)s en matière d’articulation des temps : • offrir davantage de services comme participer à des crèches, • permettre un aménagement des horaires selon les contraintes familiales qui varient tout au long de la vie professionnelle (selon l’âge des enfants, celui des parents âgés…) mais… pour tous (femmes et hommes). Car s’il s’agit de développer ces mesures seulement pour les femmes, on n’avancera pas vers une véritable égalité au travail et hors travail. Rachel Silvera, économiste, Université Paris X Dernière publication : Rapport d’évaluation des indicateurs européens sur l’articulation entre la vie familiale et professionnelle, (avec Salima Raïri), Service droits des femmes et de l’égalité, juin 2008. Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes” 36