dossier (2 Mo)

Transcription

dossier (2 Mo)
Promouvoir l’égalité professionnelle
auprès des hommes
Entretiens de décideurs et contributions de chercheurs
Illustrations réalisées par Joëlle Passeron
Dossier de presse
28 novembre 2008
Entretiens (Les interviews ont été menées par Julia Dion pour ELLE, et Ariane Warlin pour la Tribune)
•
DANON Laurence
Présidente de la Commission nouvelles générations du Medef et membre du
Directoire Edmond de Rothschild Corporate Finance
•
p. 1
ERRA Mercedes
Présidente Exécutive d’EURO RSCG Worldwide
p. 4
LE GRAND Jean-Claude
Directeur Mondial de la Diversité chez L'Oréal
p. 8
MELLIER Philippe
Président d’Alstom Transport
•
THIBAULT Bernard
Secrétaire général de la CGT
•
p. 20
VERGNE Jean-Luc
DRH de PSA Peugeot Citroën
•
p.16
VAN CRAEYNEST Bernard
Président de la CFE-CGC
•
p.13
TIBERGHIEN Frédéric
Président d’honneur de l’ORSE, ancien PDG de Chronopost et VédiorBis
•
p.10
p.23
VIVIEN Philippe
DRH du Groupe Areva
p.26
Contributions
•
GIAMPINO Sylviane
Psychanalyste, psychologue petite enfance et familles
•
MEDA Dominique
Sociologue
•
p.29
p.32
SILVERA Rachel
Economiste
p.35
Entretien avec Laurence Danon,
Présidente de la Commission nouvelles générations du Medef et
membre du Directoire Edmond de Rothschild Corporate Finance
Q ue pensez-vous de
la question de l’articulation des temps de vie,
de la conciliation ?
Je pense qu’il y a plusieurs
sujets dans ce sujet :
pour les cadres moyens,
les employés, le problème
des horaires peut s’aménager. Par contre, en qui concerne les postes
de dirigeants, je ne pense pas que ce soit
compatible avec le fait de rentrer à 5 heures du
soir, ou de ne pas travailler le mercredi ou le
week-end.
Pour les femmes qui veulent accéder à de hautes responsabilités, il y a une période très difficile où il faut tout concilier, le travail, les enfants,
la vie de couple mais quand on a passé ce cap,
c’est formidable parce qu’à la fois vous avez
une vie familiale heureuse et en même temps
vous construisez une vie professionnelle très
épanouissante.
C omment avez-vous fait pour
construire en parallèle ces deux vies,
familiale et professionnelle ?
Il y a dix ans d’écart entre mes deux enfants donc
à la naissance du deuxième, le premier était déjà
un peu autonome. Je voyageais tout le temps.
A l’époque, mon mari travaillait à New York.
Pendant 5 ans on a été tous les deux assez
fatigués. Lui rentrait un week-end sur deux. Moi
j’étais obligée de passer pratiquement une
semaine par mois aux Etats-Unis.
Cela fut vraiment dur, mais finalement tout s’est
bien passé pour les enfants et pour nous. Mon
mari et moi, nous avons sacrifié toute vie sociale
pendant 10 ans. Les moments en dehors du
travail, c’était pour nous et notre famille.
Pour que ça marche, il faut que dans un couple il
y ait un alignement de visions entre le mari et la
femme sur les priorités. Il faut un homme qui
considère depuis le début que la carrière de sa
femme est aussi importante que la sienne.
Donc, je dis toujours aux jeunes femmes que la
première chose, pour réussir, c’est de bien
choisir son compagnon.
C et accord dans la sphère privée
suffit-il pour assurer de belles carrières
aux femmes qui en sont capables ?
Il y a une seconde chose : l’entreprise dans
laquelle on travaille. Il y a encore des entreprises
qui ne sont pas amicales avec les femmes, où
la culture, les codes sont très masculins, où la
femme n’est pas à l’aise en tant que femme.
Moi je suis toujours allée dans des entreprises
où je sentais que je pouvais être moi-même.
J’étais chez Elf et Total puis PPR, mais je n’ai
jamais senti qu’être une femme soit un handicap
dans ces entreprises.
M ais comment faire pour savoir, quand
on est à l’extérieur de l’entreprise,
comment se passent les choses à
l’intérieur ?
Il faut voir s’il y a des femmes et à quels postes.
Il faut interroger des gens qui y sont déjà. C’est
important de faire son petit audit.
Indépendamment de ce qui est affiché, est-ce
qu’il y a des femmes dans le comité de direction,
à des postes opérationnels dans le business ?
Si vous en avez deux ou trois dans l’équipe de
direction, ce n’est pas du tout pareil que s’il n’y
en a qu’une. Vous changez complètement la
culture du groupe
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
1
Entretien avec Laurence Danon
D onc une fois qu’on a fait son enquête et
que cela semble positif, on peut y aller ?
Oui mais il ne faut pas se raconter d’histoires,
c’est dur. Il faut travailler comme les hommes,
même plus. Pour progresser, il faut aussi
consacrer du temps pour créer son réseau dans
l’entreprise et à l’extérieur de l’entreprise. Les
femmes n’aiment pas trop faire ça, elles
pensent que c’est du temps perdu.
Je dis aux jeunes femmes : si vous voulez
vraiment y arriver, vous trouverez toujours des
gens pour vous conseiller, mais il faut avant tout
que vous vous en donniez les moyens vousmêmes.
D’une manière plus générale, sur le sujet comment
on peut organiser les choses pour que les
femmes puissent travailler », il va bien falloir
que les entreprises s’y attèlent parce qu’il y a
une question de génération et de démographie.
Cela devient incontournable.
P ourtant beaucoup de dirigeants
résistent encore …
Quand ils ont des filles qui ont fait des études,
le sujet commence à les intéresser.
Q ue peuvent alors faire les entreprises
pour aider les femmes sur cette question de
la conciliation ?
Il faut avoir un peu de souplesse dans les horaires,
dans l’organisation du travail et de la solidarité
dans les équipes. On le faisait assez souvent chez
Printemps.
Ce n’était pourtant pas évident car on avait près de
60 % de femmes cadres. Il y avait pas mal de femmes jeunes, en âge d’avoir des enfants, mais
c’était un plus pour l’entreprise d’avoir des femmes
aimant la mode, et il fallait trouver des solutions.
Les
entreprises
doivent
aussi
être
vigilantes sur les progressions de carrière des
femmes.
Toujours au Printemps avec le DRH on avait mis
en place un système : on regardait tous les potentiels, entre 25 et 30 ans, combien de
femmes et d’hommes. On avait décidé qu’on
donnait autant de chances aux hommes et aux
femmes.
En général on a tendance à juger les
femmes sur leurs réalisations et les hommes sur
leur potentiel. Nous étions très vigilants à ce que
les femmes soient aussi jugées sur leur potentiel.
L es patrons sont moins tolérants vis-à-vis
des hommes qui demandent à avoir du
temps pour leur famille que vis-à-vis des
femmes ?
Souvent et c’est parce qu’ils ont en général plus
d’attentes en termes d’ambition vis-à-vis des
hommes. Les entreprises sont souvent surprises
par l’ambition d’une femme. C’est notre culture.
Parfois, l’ambition d’une femme peut gêner,
quand elle est trop marquée. Je dis souvent aux
jeunes femmes : soyez ambitieuses, mais
maitrisez un peu la forme.
D ’autres pistes ?
D’une manière générale, il faut que les salariés,
les femmes comme les hommes, puissent
s’exprimer sur ces sujets. L’entreprise doit les
écouter.
Elle
doit
pouvoir
accepter
que
la
motivation des gens change en fonction des
périodes de la vie, en fonction de leurs
parcours personnel, de ce qui peut se passer.
Par exemple, si un homme vient dire : « j’ai une
situation personnelle qui fait que pour l’année
qui vient j’ai telle contrainte. Je ne pourrais donc
pas être à 100 % mais mon souhait profond est
de viser ça », alors je pense que l’entreprise
peut le comprendre et s’organiser avec lui.
C’est évidemment pareil pour une femme.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
2
Entretien avec Laurence Danon
D ans cette discussion, les RH ont un rôle
important ?
Très. Je trouve que le rôle d’un DRH aujourd’hui
est absolument clé.
Il faut avoir dans les entreprises des équipes de
RH qui soient ouvertes, flexibles. J’ai un
exemple ; celui d’une jeune femme extrêmement
brillante qui était commerciale grands comptes.
Elle se marie et elle est enceinte de jumeaux.
On a discuté avec le DRH, et pendant deux ans
on l’a nommé directeur de la qualité de la filière
française. Cela lui a donné un plus dans son
background technique, sans qu’elle ait trop à
voyager. Quand on est directeur de la qualité on
peut gérer son agenda. Elle a tout de suite
accepté.
Après elle a pu reprendre un poste plus visible,
plus international. Il faut que l’entreprise ait une
bonne vision de la personne et la personne une
bonne vision de l’entreprise.
C’est pour cela que les DRH doivent beaucoup
discuter avec les gens pour repérer les talents,
voir comment leurs vies évoluent, sans être trop
intrusifs, bien sûr.
D es femmes aux postes clé c’est
uniquement intéressant pour les autres
femmes de l’entreprise ?
Pas uniquement. C’est bénéfique pour toute
l’entreprise. Quand dans une instance de direction vous avez des hommes et des femmes, la
façon dont les problèmes sont abordés est
différente. En général les femmes mettent plus
vite les problèmes sur la table. Cela casse un
peu les codes : cela oblige tout le monde à se
remettre en question.
Les environnements entièrement féminins, bien
que différents, ont autant de défauts que les
environnements masculins. Ce qui est intéressant, ce qui fait avancer les choses, c’est la
mixité et la diversité.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
3
Entretien avec Mercedes Erra,
Présidente Exécutive d’EURO RSCG WORLDWIDE
Q ue pensez-vous du
rôle de la publicité pour
faire évoluer les stéréotypes ?
La force de la publicité,
c’est qu’elle peut contribuer
à modifier ce qui habite
nos esprits : donc oui en
effet, elle peut s’avérer
utile lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux clichés ou
aux a priori. Mais n’attendons pas de la publicité
pour les marques qu’elle fasse ce travail : ses
objectifs sont avant tout marchands.
Ainsi, ne demandons pas aux marques de produits
ménagers de mettre en scène des hommes à la
tâche. Ces publicités font l’objet de tests et, si
en test, les femmes perçoivent une efficacité
moindre lorsque c’est un homme qui manie le
chiffon ou l’éponge, vous ne trouverez guère de
marques prêtes à prendre le risque et à sacrifier
l’image de leurs produits pour faire évoluer les
stéréotypes. Ce n’est pas leur rôle.
En revanche, cela peut être le rôle de l’Etat ou
d’associations. Les stéréotypes hommes/femmes
sont sociétaux, collectifs. Ils s’inscrivent dans les
têtes dès l’école, et là, je vois beaucoup à faire,
pour débarrasser les manuels scolaires de leur
part de clichés et les projeter dans la modernité,
avec une autre conception de la place des hommes
et des femmes dans la vie.
Donc oui, je pense que l’Etat a un rôle à jouer
dans cette évolution, et que des campagnes de
communication sur le sujet aideraient à changer les
choses. Bien d’autres sujets, comme l’alcool au
volant, le port du préservatif, la lutte contre le
tabac, ont été portés par des campagnes étatiques.
Pourquoi pas la lutte contre les stéréotypes
hommes/femmes ?
L ’entreprise a une responsabilité dans
l’avancée de ces questions d’égalité ?
Oui bien sûr, mais il faut arrêter de considérer
que l’entreprise peut et doit tout résoudre.
Considérons ce que l’entreprise fait déjà et ce
que ne fait pas l’Etat.
Car l’égalité c’est aussi un sujet très politique.
Un congé parental partagé qui puisse être pris
aussi bien par les femmes que par les hommes,
ce serait une vraie décision.
Je pense aussi que la question de l’égalité
homme/femme mériterait un ministère à part
entière, et qu’elle ne peut pas exactement être
traitée au même titre et au même niveau que le
handicap, ou le vieillissement, car elle concerne
juste… la moitié de la population.
Sans doute considère-t-on que le problème
n’est pas suffisamment grave.
Or plus je regarde autour de moi, et plus je
pense que le déficit d’égalité est un facteur
bloquant de notre société. On ne peut pas prendre le sujet à la légère.
Il faut pousser les entreprises à adopter des stratégies de bon comportement en leur expliquant
qu’avoir des femmes est plutôt un atout décisif.
Il existe des études très sérieuses qui montrent
que les entreprises où les femmes jouent un
rôle à tous les niveaux ont de meilleurs résultats, et
que les femmes ont une relation au risque très
différente et intéressante pour les entreprises.
Dans ce registre, les quotas aux conseils d’administration des entreprises peuvent être un accélérateur ; en tout cas les pays qui les ont mis en
oeuvre ont pris une certaine avance.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
4
Entretien avec Mercedes Erra
C oncrètement dans votre entreprise,
P ourtant des hommes disent être enfermés
comment les choses se passent-elles ?
Je suis dans une entreprise qui est dirigée par
une femme, et dans laquelle les garçons sont
habitués à considérer les femmes.
Dans mon entreprise, on a beaucoup aidé les
femmes. On a autorisé de nombreux 4/5 le mercredi.
Nous avons aussi introduit une certaine souplesse dans l’organisation du travail, pour que les
femmes puissent travailler de chez elles quand
elles ont un problème avec un enfant.
Toutefois, il ne faut pas mentir aux jeunes femmes :
quand on a une responsabilité dans l’entreprise,
il ne faut pas penser qu’on peut disparaître totalement huit mois à la suite d’une maternité (en cumulant congés de maternité, vacances et RTT) et que
c’est tout à fait normal.
Ensuite, il ne faut pas s’étonner si le salaire ne
monte pas… Partir quatre mois, et le gérer, oui,
cela me paraît plus sain. Lorsque cela s’allonge
trop, les femmes perdent de vue l’idée de se battre. Il faut éviter de se distancier trop des enjeux de
l’entreprise.
dans certains stéréotypes, est-ce que l’entreprise ne doit pas les aider à s’exprimer sur ces
sujets ?
L’entreprise ne peut se mêler que de ce qui
concerne la carrière. Elle peut aider les femmes
à ne pas vivre la maternité comme un blocage
de carrière.
Mais elle ne peut s’immiscer dans la vie privée
des couples et susciter des vocations de paternité active chez les hommes.
Q ue dites-vous alors aux femmes qui vous
demandent conseil ?
J’essaye de les éduquer, d’aiguiser leur
conscience de la vie. Quand elles se marient je
leur dis deux choses :
« D’abord, quand vous avez la chance d’avoir de
bons diplômes, pensez à la valeur épanouissante
du travail, pour vous.
Ensuite, pensez aussi aux risques qu’il ne faut pas
prendre dans la vie, pensez au divorce qui
concerne tant de couples… Si vous travaillez, si
vous n’avez pas sacrifié votre carrière, ce sera
moins problématique».
E t pour les pères ?
Le congé de parentalité, je trouve cela exemplaire,
je recommande à toutes les entreprises de le faire.
Cela coûte de l’argent d’assurer un maintien du
salaire pour le congé du papa, mais dans mon
entreprise nous y tenons.
Mais la réalité c’est que, du côté des garçons, leur
regard sur la question dépend beaucoup de leur
femme : est-elle prête à ce partage, le souhaite-telle, est-elle capable de l’imposer ?
Si les jeunes femmes ne disent rien et prennent
tout en charge, les garçons font comme tout le
monde, c’est humain : ils se laissent porter.
L’impulsion des femmes est donc absolument
nécessaire, les hommes ne viendront pas spontanément réclamer de faire plus de choses à la
maison.
L’association Force Femmes reçoit de nombreuses
femmes qui ont tout arrêté pour élever leurs
enfants, ont divorcé, et ne trouvent pas de job à
45 ans. Il faut dire la vérité aux jeunes femmes :
« Attention, même si vous considérez que votre
enfant est très important, quand vous prenez huit
mois de congé de maternité, ou si vous arrêtez un
ou deux ans, ne pensez pas que cela ne compte
pas». Il faut reconnaître que pour les femmes ce
n’est pas toujours évident.
On vit une époque un peu spéciale : les femmes
« ont la pression », comme on dit. Pression pour
s’arrêter quand elles sont enceintes. Pression
pour allaiter. Pression pour réussir leur vie familiale avant tout.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
5
Entretien avec Mercedes Erra
Il faut arrêter de survaloriser la maternité uniquement. Une femme, ce n’est pas seulement une
mère. Le bon équilibre pour les enfants ne se fait
pas avec une mère surinvestie d’un côté et une
absence de père de l’autre.
D ans les entreprises, les femmes sont encore
souvent pénalisées du fait de leur maternité…
C’est évident, mais quelque part c’est aussi un
peu compréhensible.
Parfois des entreprises, comme la mienne, qui ont
donné aux femmes des positions clés, et donc pleinement joué le jeu de l’égalité, se trouvent pénalisées au moment des grossesses car les femmes
en question disparaissent.
Elles sont avec leurs bébés. Elles oublient totalement les entreprises. Parfois les chefs d’entreprise et DRH s’arrachent littéralement les cheveux. C’est humain que l’employeur s’inquiète.
D ’autres pistes pour aider les femmes ?
Les envoyer au Women’s Forum. Je ne plaisante
pas. Je pense que toutes les femmes qui sont
un jour allées au Women’s Forum en reviennent
différentes et se battent plus que les autres femmes.
Elles rencontrent d’autres femmes. Elles peuvent
partager.
La culture du présentéisme en France est très
forte, pour les femmes ce n’est pas évident…
Il me semble que les femmes doivent adopter
une attitude battante. Qu’elles n’hésitent pas à
demander à leurs maris, un jour sur deux, de se
charger de l’enfant !
Les femmes pensent trop souvent que l’enfant
relève de la responsabilité de la femme. Moi je
pense que l’enfant est la responsabilité des
deux êtres humains qui l’ont fabriqué.
Je dirais donc qu’il est important que les femmes
choisissent bien leur mari.
V ous avez cinq enfants. Personnellement
est-ce que vous regrettez parfois de ne pas
leur avoir consacré plus de temps ?
Non parce que je suis une héroïne : je leur ai
consacré beaucoup de temps. Je travaille dix
fois plus qu’un homme comme toutes les femmes qui travaillent.
Nous, les femmes, sommes en permanence
dans le concret de la vie, même lorsque nous
sommes devenues des patronnes. D’ailleurs
cela fait beaucoup de bien, à mon avis cela rend
plus humble, et plus calme, de s’occuper de
choses concrètes. Si chacun, homme, femme,
avait cette dose d’enjeux très humains, chacun
serait plus équilibré et cela ferait du bien à tout
le monde.
V otre mari vous a beaucoup aidée ?
Oui, de façon évidente, car il respecte profondément les femmes qui travaillent. Mais personne
n’est parfait et parfois, nous avons tendance à
reproduire les schémas ancestraux : moi, à me
sentir responsable de tout, et lui à considérer
que cela est vrai.
Pour vous donner un exemple de la pression
qui pèse aujourd’hui sur les femmes, je vais
vous raconter ce qui m’est arrivé récemment.
J’appelle l’un des professeurs de mes enfants
pour prendre un rendez-vous. Très gentille elle
me dit : « je veux bien vous voir, tel jour ». Ce
jour là, cela tombait très mal pour moi : je devais
intervenir à Deauville devant un millier de femmes au Women’s Forum.
J’ai dit à son professeur : « en temps normal
je pourrais annuler, mais là, je ne vais pas
pouvoir : c’est moi qui parle ». Elle me répond :
« ah bon ? Mais c’est important votre enfant !!! ».
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
6
Entretien avec Mercedes Erra
C’est insupportable, cette pression sur les
mères, j’étais évidemment très ennuyée et à vrai
dire coincée face à toutes ces contraintes, et l’on
me dit « c’est important votre enfant ».
V otre mari ne pouvait pas y aller ?
Quand un enfant a des difficultés, je pense que
la maman ne peut pas ne pas suivre. Pour les
visites chez le médecin, j’y vais assez souvent
sinon je perds le lien.
En conclusion, j’aimerais vous dire que l’enjeu
de la paternité est immense aujourd’hui : on ne
peut pas laisser nos enfants être élevés prioritairement par des femmes. Ce sont les mamans
qui s’en occupent dans la petite enfance.
Ensuite, à l’école, ils sont éduqués de plus en
plus par des femmes, et le système de soins et
de santé prend la voie de la féminisation.
Alors je crois que le monde moderne a en effet
grand besoin des pères.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
7
Entretien avec Jean-Claude Le Grand,
DRH et responsable monde diversité L’Oréal
A vez-vous le sentiment
d’arriver à concilier votre
vie professionnelle avec
votre vie personnelle ?
En famille ce qui est important c’est d’arriver à donner
beaucoup en peu de temps.
Je reconnais que ce n’est
pas toujours facile car
nous avons des vies multiples et très prenantes.
J’ai deux garçons qui ont 10 et 12 ans. J’ai
besoin d’un lien quotidien avec eux. Les jours
où je ne peux pas les voir, je leur envoie des
mails, ils me téléphonent. Le matin j’essaye de
les accompagner à l’école. Ce n’est pas parce
qu’on travaille beaucoup qu’on n’a plus de relations avec ses enfants.
Q uelle est la politique du groupe l’Oréal en
matière de diversité ? Des actions ont-elles
été engagées ?
Nous avons formalisé une politique de diversité
ambitieuse dans les années 2000 et nous nous
efforçons chaque année d’aller toujours plus loin
dans la réalisation d’actions innovantes et responsables à l’égard de tous nos collaborateurs. Chez
L’Oréal, nous ne voulons pas donner des leçons
mais des exemples. Nous travaillons sur plusieurs
axes, l’égalité homme-femme par exemple mais
aussi la mixité sociale, le handicap, l’origine culturelle. Notre objectif est d’être le reflet de la société.
En 2008, nous avons lancé la Charte de la
Parentalité. Plus de 40 entreprises nous ont
rejoints sur une Charte qui va améliorer l’évolution
professionnelle des salariés-parents.
Est-ce difficile d’avancer sur ces thématiques ?
Ce sont encore des sujets relativement récents
pour les entreprises. Ce qui n’est pas facile
c’est que certaines personnes considèrent que
c’est seulement un sujet à la mode, éphémère.
Pour aider nos managers en interne à comprendre les enjeux de la diversité pour L’Oréal, nous
avons mis en place un dispositif de formation
ambitieux. A la fin de cette année, 5000 managers de 28 pays européens auront suivi un
séminaire d’un jour et demi, ce qui est tout à fait
marquant pour des personnes dont l’emploi du
temps est très chargé. Beaucoup rentrent dans
ce séminaire en me demandant pourquoi ils
sont inscrits. Grâce aux exercices et aux jeux
de rôle riches et surprenants, ils prennent mieux
conscience de leur filtre et de l’importance de la
richesse qui émane d’équipes plus diverses.
V ous avez 43 ans, quel regard portez-vous
sur les pères trentenaires ?
La grosse différence que je perçois est que
l’équilibre dans le couple évolue vers plus d’égalité
professionnelle. Le schéma classique où la femme
s’efface au profit des plans de carrière de son mari
est complètement dépassé. Aujourd’hui, les RH
et les managers doivent donc faire preuve de
créativité et d’audace pour gérer au mieux les
doubles carrières. En France, pour faciliter la vie de
ces jeunes parents nous avons ouvert en région
parisienne, en l’espace de 2 ans, trois crèches
d’entreprise et avons le projet d’en ouvrir d’autres
notamment en province. Et il n’y a pas que les
femmes qui sont concernées. Aujourd’hui, 20 %
des collaborateurs qui disposent d’une place en
crèches sont des hommes.
P ourquoi y’a-t-il si peu de pères de famille
qui prennent leurs congés paternité ?
En fait, l’égalité de l’homme et de la femme face
aux enfants n’existe pas, les femmes restent
toujours plus concernées. A la maison, quand
un enfant est malade, la probabilité que ce soit
le père qui s’en occupe est très faible.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
8
Entretien avec Jean-Claude Le Grand
Quelque soit d’ailleurs la « modernité » du
couple de parents. Cela ne veut pas dire qu’il
faille pousser l’égalité trop loin. Il y a des points
sur lesquels on ne doit pas tous se ressembler.
Que l’on ait des droits et des devoirs équivalents, bien évidemment mais ne nous singeons
pas entre nous. Il n’y a rien de pire que des
femmes managers qui se comporteraient
comme des hommes. Que les hommes ne
singent pas les femmes non plus.
M ais vous ressentez, malgré tout, chez ces
Quand ils postulent pour un poste, ils regardent de
plus en plus ce que l’entreprise propose en termes
de gestion de carrière, de mobilité à l’international
et entre les métiers, de formations, d’orientation.
Demander beaucoup, mais aussi donner beaucoup,
c’est notre façon d’agir.
Proposer une crèche d’entreprise, ouvrir des
conciergeries, mettre en ouvre des services à la
personne élaborés peut faire de plus en plus la
différence. Cela permet de gagner du temps
dans sa vie quotidienne et d’en libérer davantage pour ses enfants.
trentenaires une vraie aspiration à un meilleur équilibre dans leur vie ?
Oui, c’est vrai et ce du côté des femmes comme
des hommes. Les salariés ont envie qu’on les
accompagne mieux dans leur évolution professionnelle et leur vie.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
9
Entretien avec Philippe Mellier,
Président d’ALSTOM Transport
P ouvez-vous nous
donner les grandes
lignes de votre parcours
professionnel ?
Je travaille depuis 28
ans. J’ai fait des études
d’ingénieur et un MBA.
Un cursus très classique. J’ai commencé
dans une entreprise
américaine, chez Ford, en 80. J’étais intéressé
par les voitures. J’y suis resté 18 ans. J’ai
déménagé 15 fois en 18 ans : à Londres, au
Mexique, en Nouvelle Zélande, au Portugal, en
Allemagne…
E t votre femme pendant tout ce temps ?
Elle était comptable. Elle souhaitait travailler,
mais après un an elle s’est arrêtée. On s’est vite
aperçu que cela allait devenir assez difficile. On
s’est dit qu’un jour peut-être elle reprendrait,
mais finalement cela ne s’est pas fait. C’était
compliqué parce qu’il fallait élever nos filles en
même temps. Je pense que si ma femme avait
su dès le début qu’elle aurait cette vie-là, elle
aurait sans doute réfléchi à deux fois !...
En fait, nous nous sommes laissés aspirer par le
système… Pour vivre un parcours professionnel
comme le mien, il faut avoir une épouse qui est
ouverte d’esprit et prête à s’adapter. Si elle avait
dit : « j’ai toujours vécu à 50 m de mes parents.
Je n’ai pas envie de bouger. Je ne veux pas
quitter mon job », alors cela n’aurait pas été
possible.
P our les femmes dont les maris ont des
carrières à l’international, cela veut dire très
souvent renoncer à travailler ?
Pas forcément. Les entreprises aident de plus
en plus la conjointe à trouver du travail. Autour
de moi, les conjointes de mes collègues on
toujours été aidées pour trouver du travail, que
ce soit auprès de l’ambassade, du lycée
français ou encore dans les filiales des banques
ou des agences de conseil. Même si cela ne
marche pas à tous les coups.
P our votre famille cela a donc été longtemps
une vie d’expatriés ?
Oui, je progressais très vite. La durée moyenne
des missions était assez courte. On m’envoyait
où ça n’allait pas très bien et la famille suivait.
T oujours avec vos filles ?
La troisième qui a 10 ans n’a pas connu ça. Elle
entend ses deux soeurs de 23 et 19 ans parler
de leur expérience à l’étranger avec des trémolos
dans la voix et elle a vraiment envie de partir.
Mes filles aînées ont beaucoup voyagé. Mais
c’est vrai qu’après 18 ans, elles en ont eu un
peu assez. Au début on trouve ça amusant. On
va aller à Londres : c’est génial ! On va revenir
en France : c’est génial ! On va partir au
Portugal : c’est génial ! Ensuite, nous sommes
partis en Nouvelle Zélande. C’est un pays extraordinaire mais on se rend compte qu’il y a
12 heures de décalage horaire, donc quand on
va dîner, en France, ils sont au petit-déjeuner…
On commence à être complètement décalés.
Quant au Mexique, c’est très agréable, mais
aussi très pollué et avec pas mal de criminalité.
A un moment, on se dit qu’on veut rentrer. Nous
sommes revenus à Paris en 98. J’ai continué à
beaucoup voyager, mais la famille est restée en
France.
A l’étranger, vous aviez du temps pour être
avec votre famille ?
En vérité, j’étais davantage avec ma famille en
vivant à l’étranger que maintenant, en étant basé
en France. Aujourd’hui, je suis très souvent en
déplacement. Je peux donc être là une semaine
et être absent pendant trois semaines. Alors
que quand on est au bout du monde et qu’on y
vit avec sa famille, le clan familial est très resserré.
C’est le repère, le noyau.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
10
Entretien avec Philippe Mellier
D epuis que vous êtes rentré en France,
C e que vous avez connu comme autres
comment gérez-vous votre temps entre
famille et travail ?
Au début, j’étais chez Renault, à Paris. Puis j’ai
été nommé PDG de Renault Véhicules Industriels,
dont le siège est à Lyon. Ma femme m’a dit :
« On vit à Paris, on ne bouge pas ».
Il fallait de la stabilité pour les filles à l’école. Ma
famille est donc restée à Paris. J’avais un bureau à
Lyon et j’étais aussi au Comité exécutif de
Volvo, à Götteborg en Suède. J’ai tenu trois ans
comme ça, mais c’était dur. Lorsque j’ai eu
l’opportunité de revenir à Paris, j’ai été très
content. Désormais, j’essaie au maximum de
protéger les dîners et les petits-déjeuners. Le
dîner, c’est en famille. C’est là qu’on se retrouve.
façons de vivre à l’étranger cela vous a
influencé ?
Très certainement. Quand je suis arrivé chez
Alstom, j’ai amené ce bagage avec moi. C’est
vrai que je ne suis pas un manager francofrançais. Ma façon de faire est peut-être un peu
plus ouverte que d’autres. En particulier, j’ai
beaucoup insisté pour qu’on ait plus de femmes
à l’embauche. On a eu du mal à amorcer la
pompe : les femmes ne voulaient pas venir.
Nous n’étions pas en bonne situation financière
et les femmes ingénieurs ne sont pas trop
nombreuses. Aujourd’hui, Alstom Transport
embauche énormément de femmes. Et le
Comité de direction compte plusieurs femmes
maintenant.
Q uand vous arrivez chez vous, est-ce que
vous êtes encore dépendant de votre
blackberry ou vous coupez complètement ?
J’ai toujours le blackberry à portée de main. Je
regarde de temps en temps mes messages.
Je dois être joignable en permanence. On est
dans un métier où il peut y avoir des problèmes,
y compris le week-end. Mais je ne passe pas
mon temps sur le blackberry. Je coupe assez
bien, même si mon épouse trouve toujours
qu’on peut s’occuper davantage des enfants…
V ous avez 53 ans, quel regard portez-vous
R étrospectivement vous êtes content d’avoir
Y a t’il beaucoup de congés de paternité
autant bougé, d’avoir vécu à l’étranger ?
Oui. Cela apporte énormément mais il y a aussi
des moments difficiles : on était à Londres, on
venait de s’installer dans notre appartement et
j’ai reçu un coup de fil : « dans deux mois tu
pars à Auckland ». On ne savait même pas où
c’était. On a regardé sur la carte. Il faut aussi
savoir s’arrêter. Nous étions en Allemagne
depuis quelques mois quand on m’a proposé
d’aller l’année suivante aux Etats-Unis, à
Detroit. Il n’y avait pas de lycée français. Ma
femme a dit : « Non, là c’est fini, on arrête ». Il
faut savoir s’arrêter. Si j’avais poussé, cela
aurait été trop difficile pour ma famille.
chez Alstom ?
Nous avons eu 200 congés de paternité l’année
dernière.
sur ces jeunes qui arrivent et qui ont
d’autres aspirations notamment en termes
d’équilibre de vie ?
C’est vrai qu’on sent qu’il y a une différence
entre les générations. Je le vois bien avec mes
filles. L’une d’elles me dit : « Moi, je veux sortir plus
tôt du bureau. J’ai une vie après le travail ». Je sais
entendre cela. L’important est que le travail soit
fait. Je ne vais pas contrôler les horaires.
L es pères ne s’arrêtent pas plus longtemps ?
Non. On est dans un métier qui est assez
prenant, que ça soit pour un homme ou une
femme.
A vez-vous connu des cadres qui ont refusé
une expatriation, qui ont dit : « Voilà, ma
femme a une carrière qui décolle aussi » ?
Oui, bien sûr, et je leur dis toujours : « écoutez,
je vous comprends ». Leur angoisse est d’être
pénalisés pour leur carrière.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
11
Entretien avec Philippe Mellier
Chez nous, ce n’est pas le cas. Il y a des cadres
qui ont refusé une ou deux mobilités. Parfois ils
n’ont pas accepté une première mobilité qui
tombait vraiment mal, mais ils ont accepté la
deuxième. Il ne faut pas trop s’inquiéter là
dessus. Quand on commence à travailler, il ne
faut pas faire de plans. Les jeunes ont parfois
tendance à dire : « voilà, ma carrière ce sera ça.
Je voudrais faire ça ». En fait, il faut être ouvert.
On évolue souvent différemment de ce que l’on
croyait au départ. En ce qui me concerne, qui
aurait pu dire que j’allais avoir une vie professionnelle aussi riche ?
L e sondage commandité par l'ORSE fait
apparaitre des résistances dans l'encadrement intermédiaire et dans les organisations
des entreprises.
C omment faire partager au sein de votre
entreprise cette ouverture, cette tolérance,
cette nécessité d'évolution des mentalités
que vous décrivez dans votre parcours
professionnel et personnel ?
Ce qui est sûr c’est que si on dit aux partenaires
sociaux : « la parentalité, les accords, la charte,
c’est très bien » mais que les patrons ne montrent
pas l’exemple, ça ne marche pas. Notre DRH
est très impliqué sur ces sujets et le management suit. On sait que le changement ne va pas
se faire du jour au lendemain mais je suis
absolument convaincu que dans une entreprise
où il faut bon vivre, il y a de bien meilleurs
résultats.
Vous allez peut être me trouver un peu cynique
mais je pense que si les gens sont heureux, ils
vont faire du bon boulot et l’entreprise obtiendra
de bons résultats.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
12
Entretien avec Bernard Thibault,
Secrétaire général de la CGT
C omment sont
abordées les questions
d’égalité hommes/
femmes au sein de la
CGT ?
A ma connaissance,
nous sommes la seule
confédération en Europe
où les organismes de
direction sont maintenant à parité. Ce n’était pas une obligation statutaire, mais on a considéré il y a deux congrès de
cela, que si nous ne retenions pas ce principe
pour la constitution de notre direction nationale, la
parité ne se ferait pas mécaniquement.
Cela nous a amené à avoir une autre approche
de l’ensemble des problèmes et cela a eu une
influence sur la nature des revendications que
nous mettons en avant comme sur le fonctionnement interne de la CGT. Nous avons adopté une
charte interne sur l’égalité femmes/hommes qui
nous engage sur les horaires des réunions, la
répartition des responsabilités…
Les choses évoluent différemment d’un secteur
professionnel à un autre mais nous sommes dans
une dynamique de changement.
Plusieurs femmes ont accédé à des responsabilités de secrétaires générales d’unions départementales, alors qu’il y a une dizaine d’années,
elles étaient des oiseaux rares.
C ’est important qu’un syndicat comme le
vôtre avance sur ces questions ?
Oui mais ce n’est pas toujours facile. D’autant
qu’un syndicat fonctionne beaucoup sur la
dimension militante et l’engagement personnel.
Prenez un exemple : dans la pratique des
relations sociales c’est une espèce de coutume
non inscrite qui fait que les choses importantes
se négocient très souvent la nuit.
C’est comme ça dans les entreprises notamment
en cas de conflit, de situation très tendue.
Cela ne se dénoue jamais dans la journée, mais
la nuit, selon un code de comportement qui est
complètement masculin.
De fait, voilà le genre de scénario qui exclut
largement les femmes. Si on peut déjà apporter
notre contribution en changeant cette habitude,
on aura été utile.
M ais les hommes ne sont-ils pas attachés à
ces habitudes-là ?
Les choses sont partagées. Il ne faut pas croire
que l’aspiration à avoir du temps pour sa vie
familiale soit uniquement féminine.
A la CGT, on réfléchit en permanence là-dessus
car si l’engagement syndical est synonyme
d’une espèce de sacerdoce où on accepte de
ne plus compter son temps, de rentrer tard le
soir, il y a une partie des hommes qui sont
éventuellement intéressés par ce type d’engagement…
E n dehors de votre syndicat, avez-vous le
sentiment qu’il y ait une vraie volonté de la
part des employeurs de progresser sur ces
sujets ?
Il y a des situations très contrastées. Il y a ceux
qui ont une espèce de charte interne, mais qui
ont quand même du mal dans la pratique, qui
sont plutôt dans l’affichage sans que cela donne
lieu à des mesures concrètes. Permettre aux
femmes d’occuper des postes de responsabilité
par exemple est un des signes importants.
Mais ce qu’on observe c’est que quand elles ont
des postes importants elles restent souvent
cantonnées à certains secteurs, les ressources
humaines ou la communication par exemple.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
13
Entretien avec Bernard Thibault
E st-ce que le temps de travail est une
Q ue pensez-vous de l’arrivée des femmes
question qui continue de poser problème
aux femmes pour arriver à concilier leurs
différentes vies ?
Pour ce qui est du temps de travail, les attentes
sont différentes de la part des femmes au
regard de leur situation d’emploi : entre celles
qui sont à temps plein ou à temps partiel subi.
Les femmes qui sont à temps plein, leur vrai défi
c’est d’être reconnues comme membres de
l’entreprise à part entière et en même temps
elles cherchent à rendre compatibles des responsabilités de natures différentes : dans l’entreprise
et chez elles.
Les femmes qui travaillent à temps partiel sont
généralement plutôt en bas de l’échelle. Elles
souhaiteraient travailler davantage.
Leur temps partiel ne participe pas, y compris
dans le foyer familial, à reconnaître la femme
tout à fait à l’égalité de l’homme puisqu’elle est
condamnée à avoir seulement un petit revenu
d’appoint. Elle n’a pas une pleine autonomie
financière dans le cadre du ménage.
dans certains métiers ou secteurs qui étaient
traditionnellement plutôt masculins ?
Leur arrivée a bénéficié à tout le monde. Cela a
contribué à reposer de manière nouvelle la
question des conditions de travail, qu’il s’agisse
des cadences ou de la pénibilité de certains
postes. Il y a des milieux professionnels qui sont
de cultures assez machistes où oser dire qu’on
souffre avec certaines cadences au travail c’est
faire preuve de faiblesse.
L e télétravail peut-il alors être une bonne
solution pour mieux concilier vies
professionnelle et familiale ?
Il faut en être conscient : toutes les tâches et
tous les métiers ne peuvent pas s’exercer à
distance. Le travail a aussi une dimension collective et il y a bien des activités qui ne peuvent
pas se conduire à distance. Il faut aussi se
méfier de l’isolement, notamment dans une
période où on a tendance à individualiser les
responsabilités, les objectifs.
On sait aussi que le travail à domicile est parfois
utilisé pour éviter de décompter effectivement le
temps de travail. Plusieurs entreprises sont
prêtes pour certaines tâches à faciliter ce mode
d’organisation si la contrepartie est de ne plus
être trop regardant sur le décompte des heures.
P our les femmes, la maternité reste
cependant souvent un frein pour leur vie
professionnelle ?
Bien sur que cela reste discriminant. Il n’y a pas
longtemps, j’ai rencontré à quinze jours d’intervalle
deux jeunes femmes qui s’étaient faites licencier,
du fait de leur grossesse.
Elles pensaient que leur employeur avait le droit de
les licencier parce qu’elles étaient enceintes, ce qui
à notre époque peut apparaître incroyable...
E st-ce qu’à votre avis la publicité a un rôle
à jouer pour faire bouger les représentations
et les mentalités ?
Dans la pub, je trouve qu’il y a quand même pas
mal de stéréotypes, aussi bien à propos des
femmes, qu’à propos des hommes.
Je ne suis pas sûr que de la manière dont on
filme, on photographie les hommes dans les
tâches ménagères se soit forcement le bon angle
d’incitation. Tout comme je trouve que le traitement des femmes en général est aussi très
stéréotypé. De toutes les manières, je ne pense
pas que la publicité, cela soit de son ressort : la
pub ça marche par dérision, par étonnement.
On ne va pas prendre une scène normale pour
faire la publicité sinon cela ne va pas accrocher.
E tes-vous satisfait de l’équilibre entre votre
implication professionnelle et votre vie de
famille ?
Non, je vous parle sincèrement, non.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
14
Entretien avec Bernard Thibault
E st-ce que vous avez des enfants ?
E st-ce que vos enfants vous ont reproché,
Oui, j’ai deux enfants qui ont 17 et 21 ans, mais
ça fait bientôt 10 ans que je suis dans la responsabilité de secrétaire général de la CGT, donc,
si on fait le décompte, vous imaginez, ils avaient
7 et 11 ans, lorsque j’ai été élu dans cette
fonction…
par exemple, de ne pas leur avoir consacré
beaucoup de temps ?
Oui et c’est arrivé d’une manière douloureuse
pour moi…
On était en 1995, mon fils avait quatre ans. Je
ne sais pas si vous vous souvenez des grèves
des cheminots en 95. Tout était bloqué. Je
dormais au bureau. Je ne suis pas rentré à la
maison pendant trois semaines. C’est des
périodes où on dort sur le tas… Il se trouve que
mon fils avait son anniversaire pendant cette
période là. J’étais tellement plongé dans les
évènements que j’ai complètement zappé.
Je ne suis pas rentré à la maison, il m’en a
voulu et j’en ai encore une trace… Je n’ai plus
jamais loupé un anniversaire depuis cette date.
Quoi qu’il arrive, ces soirées là sont réservées.
V otre femme travaille ?
Oui, ma femme travaille à temps plein.
S i votre femme n’avait pas pu s’occuper des
enfants, vous n’auriez probablement pas pu
avoir le même parcours…
La prise de décision concernant cette responsabilité comme secrétaire général de la CGT, a été
une décision pleinement partagée avec mon
épouse. Il aurait été hors de question que
j’accepte si on ne le faisait pas d’un commun
accord et en toute connaissance de cause. On
a été tout à fait lucides sur ce qui était envisageable et ce qui allait être plus difficile dans
notre vie familiale.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
15
Entretien avec Frédéric Tiberghien, Président d’honneur de
l’ORSE, ancien chef d’entreprise (Chronopost, VédiorBis…)
Q ue pensez-vous de
l’aspiration d’un nombre
croissant d’hommes à ne
plus tout sacrifier à leur
vie professionnelle mais
à avoir également du
temps pour être avec
leur famille ?
Cette aspiration me semble légitime et dans l’air
du temps : l’entreprise n’est pas tout dans la vie
et, de toute manière, elle ne le rend pas toujours
à ceux qui le croient encore.
Il faut cependant tenir compte des niveaux de
responsabilité. Les collaborateurs supérieurs de
l’entreprise doivent être accessibles assez tard.
J’aimais bien voir les principaux responsables
qui le souhaitaient entre 18 et 20 heures. Ce
sont des heures où on est plus libre.
Donc si je vois un père qui me dit à 17h ou 18h
« je dois partir pour chercher mon enfant à la
crèche », j’ai une réaction non pas de père,
mais de chef d’entreprise, en me disant : c’est
incompatible avec le degré de responsabilité
qu’il occupe.
N ’y-a-t-il pas des excès sur cette exigence
de présence tard le soir et tôt le matin ?
En France il subsiste une culture du présentéisme
pour les cadres supérieurs et dirigeants. Cela
fait partie des critères positifs d’appréciation de
la part de la hiérarchie.
Ce reste de coutume monarchique d’Ancien
régime s’atténue car les cadres sont de plus en
plus évalués sur l’atteinte d’objectifs. Après,
savoir en détail comment ils les atteignent… Si
c’est en travaillant le jour ou la nuit, au bureau,
au café, en réunion ou près du distributeur de
boissons...
Il existe une liberté de plus en plus grande.
Finalement, un employeur achète-t-il du temps
de présence ou une performance auprès de ses
salariés ? De plus en plus d’employeurs pensent
que la performance l’emporte sur la présence.
L e management par objectifs aurait alors
comme effet secondaire de faire évoluer les
mentalités par rapport au présentéisme ?
Il y a effectivement une évolution très forte,
notamment chez les jeunes générations. Les
dirigeants ont été très longtemps des hommes
d’âge mûr. Ils ont toujours réglé la vie de l’entreprise en fonction de leurs seules préoccupations,
sans beaucoup se soucier de celles des femmes.
J’ai entendu beaucoup de mes homologues me
dire : « de toute façon, les contraintes des femmes,
ce n’est pas notre problème ».
Les choses changent parce que la main d’oeuvre
s’est beaucoup féminisée, notamment dans les
entreprises de services où les femmes sont
souvent majoritaires.
Dans une telle situation, vous ne pouvez pas ne
pas tenir compte de leurs contraintes. Si vous
avez une personne qui dès 16h30 se dit :
« comment je vais faire pour la sortie de l’école ? »,
passe son temps au téléphone pour organiser
une solution de secours et s’’inquiète, elle n’est
plus performante…
C es contraintes familiales ne concernent
que les femmes ?
Surtout les femmes car elles assument dans notre
société plusieurs autres fonctions, en plus de leur
travail professionnel. La répartition des rôles entre
les sexes évolue lentement mais entre les jeunes
hommes et femmes elle me semble très différente
de celle de ma génération.
La bi-activité qui est devenue la norme chez les
jeunes couples change la donne.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
16
Entretien avec Frédéric Tiberghien
On l’a constaté avec la mise en place des
35 heures dont les grands bénéficiaires ont été les
cadres et les femmes.
Elles ont contribué à corriger les déséquilibres
entre vie professionnelle et vie privée, qu’il s’agisse
des femmes ou des hommes. Aujourd’hui les
jeunes sont plus attentifs à la vie personnelle,
moins complexés de partir plus tôt. Cela a une
répercussion pour les entreprises qui ont besoin
d’attirer les meilleurs. Elles doivent tenir compte de
ces nouvelles attentes des jeunes.
Q u’est-ce que les entreprises peuvent
mettre en place pour aider leurs
collaborateurs à mieux concilier leurs
différentes vies ?
En dehors des RTT, une bonne formule consiste
à instaurer des horaires flexibles, avec des
contraintes qui sont les plages minimum de
présence. C’est une question de confiance. On
fait confiance aux salariés.
Chacun gère son temps de travail dans un
cadre souple. Une autre piste, ce sont les services
comme par exemple les crèches d’entreprise.
Les employeurs doivent à mon sens s’impliquer
dans ce type de projets aux côtés des Comités
d’entreprise. Cela fait partie de leurs missions.
E n France, on est en retard sur ces sujets
par rapport à d’autres pays ?
Assez en retard. Nous avons une tradition,
disons, monarchique du chef d’entreprise. Depuis
l’Ancien Régime, c’est le maître -aujourd’hui le
chef d’entreprise- qui fixe l’horaire collectif de
travail et arrête le règlement intérieur.
Le temps de travail n’est pas négocié avec le
salarié, comme cela se produit parfois à l’étranger,
mais décidé unilatéralement par le chef d’entreprise. Le mérite des lois Aubry - même si on peut
leur faire des reproches par ailleurs - est que pour
la première fois le temps de travail est devenu un
objet de négociation avec les représentants des
salariés ! Cela change tout.
Dans une négociation, le chef d’entreprise est
obligé d’écouter les attentes des salariés, de faire
des compromis. Dans les pays nordiques où, par
tradition, il existe une négociation sur l’organisation du temps de travail, des arrangements plus
performants et plus innovants que chez nous sont
trouvés.
En France, la culture du présentéisme, le poids
des hommes à la direction de l’entreprise, le
pouvoir unilatéral reconnu au chef d’entreprise
par le code du travail… font que nous sommes
allés moins vite que d’autres pays.
P our avancer sur ces sujets, pensez-vous que
la publicité ait un rôle à jouer ?
Oui, parce la publicité est à la fois le miroir d’une
société et projette une part de rêve qui contribue
à la faire évoluer. Elle peut surtout jouer un rôle
utile dans la lutte contre les stéréotypes.
Montrer des hommes qui s’occupent de leurs
enfants ou accomplissent des tâches domestiques,
je trouve ça très bien. L’image exerce un puissant
effet sur la perception de la réalité. La publicité
joue un rôle pédagogique, prescriptif en somme.
E n ce qui vous concerne, êtes-vous satisfait
de l’équilibre que vous avez réussi à trouver
tout au long de votre carrière entre vie
privée et professionnelle ?
J’ai toujours eu trois vies différentes et entrecroisées : dans l’entreprise, en famille, et beaucoup
d’engagements associatifs ou désintéressés.
Equilibrer les trois n’a jamais été facile. La vie de
l’entreprise est très prenante : j’ai toujours rejoint le
bureau tôt le matin et je l’ai rarement quitté avant
21 heures.
Je consacre une bonne partie de mes samedis et
dimanches à d’autres activités : j’écris des articles,
je participe à des réunions d’associations ou à des
colloques... Donc ma vie familiale a toujours un
peu souffert. Ma femme me l’a souvent reproché.
Mes enfants aussi.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
17
Entretien avec Frédéric Tiberghien
V ous avez des regrets ?
Je n’en exprime pas. Ce n’est pas mon genre.
J’ai manqué un certain nombre d’épisodes des
enfants. J’ai raté toute une série de choses dont
je suis parfaitement conscient, mais je n’éprouve
pas de regrets.
V ous avez 5 enfants. Compte tenu de votre
engagement professionnel très intense, votre
femme a dû renoncer à travailler ?
Elle a commencé comme professeur de biologie.
Ensuite elle a arrêté de travailler quand nous
avons eu plusieurs enfants. Puis elle a recommencé des études d’assistante sociale. Quand
on est une femme, on ne peut pas passer son
temps à attendre son conjoint. Je l’ai encouragée.
Quand les enfants sont devenus plus grands et
se débrouillaient seuls, elle a exercé son nouveau
métier en trouvant un équilibre partagé entre la
vie de famille et une vie professionnelle tournée
vers les autres.
V os enfants ont suivi votre exemple ?
Si nos trois filles ont toujours travaillé honorablement, nos deux fils ont eu des passages à
vide. Vers 12-13 ans, ils sont venus me dire :
« Papa, tu mènes une vie de fou. On ne veut
pas te ressembler et on a décidé de ne jamais
travailler comme toi ».
Tous les ans, pendant 3-4 ans, j’ai été régulièrement convoqué en fin d’année par les directeurs
d’école qui me disaient au sujet de chacun
d’eux « Ecoutez, on ne peut pas le garder, ils ne
font rien ». Il fallait ensuite leur trouver une autre
école et convaincre avec de tels bulletins scolaires n’était pas aisé. Heureusement, nous avons
trouvé sur notre route quelques directeurs
d’école qui n’étaient pas exclusivement focalisés
sur la sélection et qui donnaient leur chance à
des personnalités remuantes ou fortes.
Après l’adolescence, ils se sont réveillés.
Finalement, si certains enfants copient leurs
parents, d’autres prennent délibérément un
chemin inverse. Imiter ou rejeter le modèle des
parents fait partie de la liberté des enfants.
Le mimétisme est répandu dans l’entreprise
aussi. C’est la raison pour laquelle le chef d’entreprise doit être attentif à son comportement
individuel et à la manière dont il impose ou non
son rythme de vie et ses habitudes, bonnes ou
mauvaises, à l’entreprise.
Son poids personnel est considérable et la hiérarchie reproduit souvent le comportement du
dirigeant. Beaucoup de chefs d’entreprise ne
font pourtant pas attention à cela.
V ous avez écrit un ouvrage sur la question
du temps…
« La course du temps » en 1998, à l’époque où
je dirigeais Chronopost. Cette entreprise a beaucoup approfondi le rapport au temps, sa matière
première, dans la relation client/fournisseur,
mais aussi le temps de travail, à la fois dans sa
dimension individuelle et collective, nationale et
internationale …
V ous reconnaissez-vous un peu dans
« L’homme pressé » de Paul Morand ?
En partie, mais j’apprécie aussi l’apologie de la
lenteur et de la contemplation. Je suis un adepte
du sabbat et du repos dominical pour les salariés.
Clémenceau a imposé en 1906 le repos dominical
au motif que pour vivre convenablement il faut
prendre un temps de repos, reconstituer ses forces,
se mettre à distance, s’interdire toute activité
professionnelle.
C’est le fondement de l’anthropologie et des
relations sociales. Aujourd’hui, en période de
crise, le gouvernement est tenté d’assouplir une
nouvelle fois les conditions de travail, de revenir
sur le repos dominical. C’est un contre-sens pour la
vie familiale et sociale. Tant pis pour celles et ceux
qui veulent acheter un canapé le dimanche…
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
18
Entretien avec Frédéric Tiberghien
V ous êtes contre le travail le dimanche ?
Oui, fermement. Il faut respecter les rythmes
sociaux et familiaux. Contrairement à une idée
très répandue, on travaillait peu sous l’Ancien
Régime : si les journées de travail étaient plus
longues qu’aujourd’hui, l’année était parsemée
de fêtes religieuses ou patronales.
Jusqu’à la fin du 18ème siècle on travaillait
moins de 220 jours par an.
C’est au 19ème siècle, après la Révolution,
lorsque les rapports entre employeurs et salariés
ont échappé à toute contrainte, que le nombre
de jours ouvrables est remonté au-delà de 300
et que la durée annuelle de travail a atteint son
maximum, entre 3.500 et 4.000 heures.
Avec les 35 h, nous sommes revenus exactement au rythme de travail du 18ème siècle : 220
jours par an. L’anomalie c’est ce qui s’est passé
entre 1790 et le milieu du 20ème siècle : quand
la loi ne fixe pas de bornes, les employeurs ont
tendance à augmenter la durée de travail.
Le repos dominical me semblant une vraie
conquête sociale et anthropologique, le législateur serait bien inspiré de ne pas y toucher.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
19
Entretien avec Bernard Van Craeynest,
Président de la CFE-CGC
P ensez vous qu’aujourd’hui en matière d’égalité
entre les hommes et les
femmes l’essentiel du
chemin ait été fait ?
Je mesure effectivement
le chemin parcouru depuis
la fin de la deuxième
guerre mondiale. C'est-àdire à la fois 1945, le droit de vote des femmes
et les années 60-70 où notre Code civil a
évolué pour faire en sorte que les femmes
soient reconnues dans toute l’acception du
terme de personne autonome.
N’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps les
femmes étaient obligées d’avoir l’autorisation
de leur mari pour travailler, pour disposer d’un
compte en banque personnel, etc.
Il y a évidemment des progrès réalisés, pour
autant culturellement on est toujours sur des
stéréotypes, des représentations qui cantonnent les femmes dans des sphères de la société
bien définies : les métiers du tertiaire, du commerce, du médico-social…
Nous sommes un pays qui a su célébrer la
première femme polytechnicienne, la première
femme pilote de chasse, sapeur-pompier… Ce
sont des symboles de la première femme qui
fait ceci ou cela, sans pour autant avoir pris
toutes les dispositions pour que ça soit tout à
fait naturel.
P ourquoi a-t-on tant de mal à ce que cela
devienne naturel ?
Nous savons pertinemment que ce qui handicape
le développement de la carrière professionnelle
chez la femme c’est la maternité.
Les dirigeants, les managers se disent : « Tiens
voilà une jeune femme, bien diplômée, la tête
bien faite, pleine de qualités et de compétences,
mais va-t-elle être suffisamment disponible ? »
Parce qu’elle a 25 ans, donc par définition elle
est susceptible d’avoir des enfants. A partir de là
non seulement on ne sait pas si elle va avoir
des enfants, mais combien elle va en avoir.
En plus elle est susceptible de demander un
congé parental, voire de demander à travailler à
temps partiel… C’est rarement avoué, affiché
mais c’est dans l’inconscient des managers de
se demander : « Est-ce quelqu’un qui sera
suffisamment disponible et sur qui on peut
compter ? »
E tre une femme pose alors vraiment
problème pour la progression de carrière ?
Je l’ai mesuré. Je l’ai constaté. Pourtant on ne
peut pas d’un côté dans la société avec un
grand « S » dire : « c’est formidable, regardez la
France a un taux de fécondité de 2 %, elle est la
championne de l’Europe » puis ne pas prendre
en compte que tout cela passe par des « contingences » qui conduisent à ce qu’une personne
soit indisponible pendant un temps donné.
Q ue peuvent faire les syndicats sur ces
questions ?
A la CFE-CGC nous avons mis en place il y a un
5 ans le réseau Equilibre qui réunit des femmes
et des hommes justement pour réfléchir sur ces
sujets. C’est bien mais cela ne suffit pas. Notre
syndicat était engagé depuis longtemps en
particulier dans les entreprises. Cela fait partie
de la responsabilité de nos collègues, délégués
syndicaux, représentants au CE. Je l’ai été
moi-même.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
20
Entretien avec Bernard Van Craeynest
J’ai été délégué syndical, représentant syndical
au CE de mon entreprise. Je me souviens il y a
une dizaine d’années de la réflexion que je
formulais assez systématiquement lorsque
chaque année nous examinions les données du
bilan social et où conformément à la loi, la
direction nous présentait trois ou quatre feuillets
avec les données comparatives du bilan hommes/
femmes.
Je ne manquais jamais de souligner que la loi
n’est pas uniquement une présentation de
données statistiques. On se doit aussi d’identifier
et d’engager des actions concrètes pour
lutter contre toutes les formes de discrimination.
P eut-on dire aujourd’hui qu’il y a un vrai
volontarisme en la matière ?
Un volontarisme, oui. Cela se voit dans l’évolution de la pression législative. Je trouve positif,
même si je regretterais qu’il soit nécessaire d’en
arriver là, que le gouvernement ait brandi la
menace de sanctions financières si on n’arrive
pas à des éléments précis, quantitatifs sur le
rattrapage des inégalités salariales hommes/
femmes d’ici 2010.
C’est quand on est contraint que le système termine sa prise de conscience et entre dans des
actes un peu plus concrets.
P ourquoi pensez-vous qu’il y en a si peu ?
La société inculque ça. L’homme qui reste
pendant 3 ans pour s’occuper du petit entre
l’âge de 6 mois et 3 ans et demi puis revient au
bureau pendant que sa femme continue sa
trajectoire professionnelle reste marginal,
même s’ il y a quelques cas célèbres.
Maintenant les salariés s’organisent. Il y en a
qui sont du soir, d’autres du matin. Les deux
parents se partagent davantage les rôles de ce
point de vue là.
Q uels sont les secteurs qui sont les plus
volontaristes sur ces questions?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de secteurs.
Je pense qu’on a toujours un vrai problème
d’accessibilité pour les femmes à des postes de
haute responsabilité. L’exemple le plus frappant
c’est dans les postes de PDG, dans les conseils
d’administration où les proportions de femmes
restent extrêmement faibles.
Y a-t-il par ailleurs une évolution des
mentalités en ce qui concerne la nécessité
également pour un homme de consacrer du
temps à sa famille ?
Depuis une petite vingtaine d’années, il y a eu
prise de conscience que l’éducation des enfants
se partage. Il y a un phénomène qui y a sans
doute contribué, c’est l’éclatement de la cellule
familiale, les gardes alternées.
Le fait que bien des pères se retrouvent avoir la
garde de leurs enfants, une semaine sur deux,
parfois toutes les semaines, la moitié des
vacances, etc ça change beaucoup de choses
parce que ce n’est pas seulement se retrouver
pour des loisirs.
L e travail à domicile est il un thème sur
lequel il y a des avancées ?
On a beaucoup parlé de télétravail il y a une
dizaine d’années et on a vu là une possibilité
d’évolution intéressante à la fois pour l’entreprise
et les salariés. Finalement le télétravail ne s’est
pas tant développé que cela. Il ne faut pas oublier
que la communauté de travail est importante.
La vie de l’entreprise, il faut que ça soit quelque
chose de vécu et de partagé. Il faut faire attention dans le travail à domicile au risque de coupure trop importante entre la personne et son
entreprise. Quelqu’un qui n’est pas préparé, qui
n’a pas les repères, les appuis pour s’organiser
entre vie personnelle et vie professionnelle ça
peut être très vite catastrophique.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
21
Entretien avec Bernard Van Craeynest
V ous militez beaucoup pour le
P ersonnellement êtes-vous content de
développement des crèches d’entreprises ?
On milite beaucoup pour la facilitation des
tâches quotidiennes, pour faire en sorte que les
salariés ne soient pas trop préoccupés par les
soucis de la vie quotidienne et là nous nous
efforçons de persuader le patronat que nous
avons un intérêt partagé.
Le salarié qui est bien dans sa peau, qui n’a pas
de soucis personnels, familiaux, il est forcement
plus productif.
Alors il ne s’agit pas de rejeter sur l’entreprise la
responsabilité de la garde des enfants, mais
nous sommes pour un effort partagé entre les
structures collectives publiques, les municipalités,
les conseils généraux, l’Etat et les entreprises.
l’équilibre que vous avez créé au long de
votre carrière entre votre vie professionnelle
- très active - et votre vie familiale ?
Compte tenu de mon engagement très fort et de
ma vie intense, je suis conscient que je n’ai
sans doute pas été suffisamment disponible et
je n’ai peut-être pas suffisamment affirmé une
présence « de tous les instants » auprès de
mes proches et notamment de ma fille.
Je pense toutefois avoir été auprès d’elle dans
beaucoup de temps forts et c’est ce qui me
semble important : être en mesure de dégager
des temps forts qui marquent, qui orientent, qui
tracent le parcours d’une personne.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
22
Entretien avec Jean-Luc Vergne,
DRH du groupe PSA Peugeot Citroën
A vez-vous, tout au
long de votre carrière,
réussi à concilier
votre vie professionnelle
et votre vie
personnelle ?
Les vingt premières
années je n’ai rien
concilié du tout. Je n’ai
pas vu grandir mes filles et je m’en veux
d’ailleurs. Je ne me suis pas posé la question.
J’ai subi la dynamique de l’environnement, de la
pression, de l’évolution de carrière. Toutes ces
choses ont fait que pendant au moins 25 ans je
ne me suis pas posé la question et je n’ai pas
concilié. Mes filles peuvent dire qu’elles n’ont
pas beaucoup vu leur père. Avec habileté,
finesse et aussi humour elles me l’ont fait sentir.
Depuis 15-20 ans, j’essaye d’un peu mieux
concilier.
Q uel âge ont vos filles aujourd’hui ?
Elles ont 33 et 36 ans.
P our « un peu mieux concilier » comment
faites-vous désormais ?
J’ai la chance que 6 à 7 heures de sommeil me
suffisent. Je peux démarrer tôt. Je suis à
7 heures au bureau. S’il faut avant. J’essaye
2 fois par semaine de faire du sport. Je me fixe
des règles : pas plus de deux dîners par semaine
et je fais en sorte de ne pas mettre des réunions
le soir après 18 heures et c’est valable pour
mes collaborateurs.
Dans toute ma carrière, je n’ai jamais embêté
ma famille avec les problèmes de la vie
professionnelle. Je crois que jusqu’à ce qu’elles
soient adultes, mes filles ne savaient pas très
bien ce que je faisais. Mon père m’avait
enseigné cela : ne pas faire partager à ma
famille mes soucis de bureau.
A vez-vous le sentiment que les trentenaires d’aujourd’hui font un peu plus attention
à l’équilibre entre leur vie professionnelle et
leur vie privée ?
Je ne crois pas que ce soit une question de
génération. C’est une évolution plus générale
de la société.
Après guerre, pour la génération des mes
parents, la réussite passait par le travail. C’était
le travail et on se consacrait, sans compter les
heures, à l’entreprise.
On n’avait même pas l’idée de changer d’entreprise. Aujourd’hui la réussite peut passer par
autre chose et ce n’est pas un problème de
génération. Je crois que même les plus âgés
essayent aujourd’hui d’avoir un équilibre entre
vie professionnelle et vie privée.
Pour ce qui est des jeunes, ils sont peut-être un
peu plus rationnels sur ce point parce qu’ils ont
souvent vu leurs parents consacrer beaucoup
de temps, voire trop de temps, au travail.
Beaucoup se disent : « on ne va pas reproduire
ce schéma», ce qui leur a permis de trouver dès
le départ un meilleur équilibre.
A vez-vous alors déjà connu des hommes
qui demandaient à prendre un congé parental ?
J’en ai connu peu.
P ourquoi pensez-vous qu’il y en a si peu ?
La société inculque ça. L’homme qui reste pendant
3 ans pour s’occuper du petit entre l’âge de
6 mois et 3 ans et demi puis revient au bureau
pendant que sa femme continue sa trajectoire
professionnelle reste marginal, même s’ il y a
quelques cas célèbres.
Maintenant les salariés s’organisent. Il y en a
qui sont du soir, d’autres du matin.
Les deux parents se partagent davantage les
rôles de ce point de vue là.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
23
Entretien avec Jean-Luc Vergne
D ans les entreprises, le temps partiel, quand
il est possible, reste cependant encore
largement féminin …
Il y a moins d’hommes que de femmes à temps
partiel chez PSA, ça c’est évident. J’ai travaillé
à la DRH avec des gens à temps partiel.
J’ai eu des collaboratrices et des collaborateurs
brillants qui travaillaient à temps partiel, qui
réussissaient bien. Mais ils sont intelligents, ils
comprennent qu’ils ne pourront pas évoluer de
la même manière qu’en travaillant à temps
plein. Il y a des postes pour lesquels le temps
partiel est incompatible.
A uxquels pensez-vous ?
En usines, il y a certains postes où l’aménagement du temps partiel n’est pas forcément
compatible avec l’activité. Si c’est pour laisser
tous les vendredis ou les mercredis libres ce
n’est pas compatible. Et puis vous avez les
postes à responsabilité où le temps partiel n’est
pas évident. Alors le temps partiel, oui, il faut le
favoriser. Mais il faut que nous soyons
conscients que ce n’est pas toujours possible.
C’est selon les postes. Et ce n’est pas une
question d’homme ou de femme.
P our aider à la conciliation des différents
temps de vie, voyez-vous d’autres
solutions que le travail à temps partiel ?
Oui heureusement. Chez PSA par exemple,
depuis 2000, nous avons été novateurs. Dans
la charte pour la maîtrise du temps de travail, il
est recommandé que les réunions commencent,
sauf exception et sauf pour les dirigeants, au
plus tard à 17 h du lundi au jeudi et à 16 h les
vendredis. Cette charte a été signée par tous
les dirigeants pour qu’on ait des pratiques qui
préservent la vie personnelle. Elle concerne
autant les femmes que les hommes.
De la même manière quand je développe une
crèche, par exemple comme celle qui va ouvrir
l’année prochaine à la Garenne, je le fais pour
les hommes et les femmes.
Lorsque je développe une conciergerie, je le fais
pour les hommes et les femmes. C’est d’ailleurs
les hommes qui la fréquentent plus.
Ce que je veux dire par là, c’est que je suis un
peu réservé sur l’idée que la conciliation ne
serait qu’une affaire de femmes, qu’il faut
mettre des mesures spécifiquement pour les
femmes. En effet, développer des mesures pour
une catégorie ou une communauté, c’est le
meilleur moyen de ne pas arriver à l’égalité.
Pour moi le temps partiel n’est pas pour les
mères de la famille, il est pour les parents :
hommes ou femmes.
Vous savez, en matière de diversité, dans le
groupe, nous sommes en pointe. Pour l’égalité
nous avons été les premiers à être
labélisés et l’AFAQ-AFNOR vient de nous auditer
dernièrement pour avoir le label diversité.
P ensez-vous que la question des tâches
domestiques - et son partage souvent inégal
au sein des couples - continue d’handicaper les
femmes dans leur évolution de carrière ?
Pour faire carrière il faut avant tout le vouloir.
Peut-être qu’il y a des femmes qui à un moment
donné se disent : « Je veux évoluer, mais pas
au plus haut niveau ». C’est un choix. Il y a des
jeunes hommes aussi qui se disent la même
chose : « Je ne veux pas avoir des responsabilités, mal dormir, subir la pression… ».
Plus vous montez, plus vous avez du stress,
des responsabilités mais en même temps, plus
vous avez les moyens financiers de vous faire
aider sur ces fameuses tâches familiales.
La première chose c’est la volonté et les
compétences. Faire carrière oui, mais encore
faut-il avoir les qualités et les aptitudes.
Je ne voudrais pas laisser croire que si à partir
de demain le mari fait tous les soirs les tâches
ménagères le problème de la carrière de la
femme sera résolu. Pour les femmes qui veulent
réussir, il faut beaucoup de volonté, mais c’est
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
24
Entretien avec Jean-Luc Vergne
vrai chez les hommes aussi. Il y a des hommes
qui disent : «Je n’ai pas envie de me battre au
plus haut sommet, parce que c’est épuisant ».
A u sujet des mentalités, pensez-vous que
les publicités qui mettent en scène des
hommes qui s’impliquent plus dans les
tâches familiales et domestiques peuvent
contribuer à changer les choses ?
Certainement dans l’inconscient. Plus on verra
des hommes mettre la main à la pâte, prendre
en charge une part des responsabilités familiales,
mieux ça sera.Tout cela passe beaucoup par la
modification des représentations. Le fait qu’en
2003 j’ai signé l’accord sur l’égalité avec tous
les syndicats, c’est important. De même, en
2004, j’ai signé avec tous les syndicats l’accord
sur la diversité, qui va plus loin que l’égalité
hommes/femmes. Cela nous a permis dans
l’entreprise de faire évoluer les mentalités.
Il reste encore du chemin à parcourir, mais je
constate que la question d’avoir des femmes
chefs à des plus hauts niveaux ne se pose plus.
Il y a des thèmes qui ne sont plus vus de la
même manière, qui ne sont pas tabous, que ce soit
au niveau du recrutement ou de l’encadrement.
C es changements dans les représentations,
les mentalités sont donc importants ?
Très importants. Certes la publicité, puisque
vous venez de la citer, mais aussi les films,
beaucoup de choses font qu’inconsciemment
les mentalités évoluent.
Ce n’est pas parce que je ne vais plus faire de
réunions à 18 h que je vais régler le problème
de la vie familiale. Je crois que ces petites
choses aident, ça crée un processus et une
dynamique, mais c’est surtout dans la tête que
les évolutions se passent.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
25
Entretien avec Philippe Vivien,
DRH du Groupe Areva
Q uelles sont les mesures
prises chez Areva pour
favoriser l’égalité professionnelle ?
Il y a plusieurs sujets.
Tout d’abord au niveau de
l’embauche. Nous sommes
une entreprise qui essaie au
maximum de féminiser son
recrutement. Aujourd’hui, alors qu’en moyenne il
y a 17 % de jeunes femmes diplômées ingénieurs
par rapport à la totalité des ingénieurs, nous
sommes plutôt sur un taux de recrutement qui
tourne autour de 35-40 %. Je ne parle que des
métiers techniques. Nous sommes à un peu plus
du double du taux de sortie des jeunes femmes
des écoles d’ingénieurs ou des universités
scientifiques.
Cela a été un vrai parti pris pour nous de travailler
sur ce sujet. Sur les recrutements, notamment
avec des profils ouvriers, il y a aussi la question
de l’accès des filles aux métiers industriels. Il y
a vraiment un problème d’orientation d’une
jeune fille qui va passer un Bac Pro pour qu’elle
aille dans des métiers industriels comme les
nôtres.
On travaille beaucoup actuellement sur l’apprentissage et sur les contrats professionnels pour
réintégrer dans ces filières techniques en usine
des jeunes femmes qui vont aller faire du soudage,
de la chaudronnerie, des missions d’intervention
dans des centrales, etc.
Pour avancer sur ce sujet on mobilise aussi les
salariés du groupe. On demande à des femmes
prioritairement, si elles sont prêtes intervenir
dans des lycées, dans des écoles et dans l’enseignement supérieur, pour plaider les métiers
techniques et technologiques. Ces premiers
points, l’orientation, l’apprentissage, l’alternance
sont des éléments essentiels.
D onc les représentations dans la société
sont encore stéréotypées autour des métiers
dits féminins et des métiers dits masculins…
Oui. On renvoie encore et toujours aux représentations et stéréotypes. Un sujet que l’on retrouve
aussi avec le temps partiel.
Je vous donne un exemple : j’étais dans une
réunion de gestion de talents. On évoque la situation d’une femme qui travaillait à temps partiel. Tout
le monde dit : « elle bosse très bien, mais elle est
à temps partiel ». Cela posait problème. A un
moment donné, arrive un autre dossier, celui d’un
homme qui était lui aussi à temps partiel, mais on
ne nous le dit pas. C’est juste à la fin qu’on nous dit
: « vous savez, il est aussi à temps partiel ». C’était
frappant de voir combien, pour le management le
fait qu’ils travaillent tous les deux à temps partiel
était complètement différent : dans le cas féminin,
cela posait question par rapport à son engagement
professionnel ; dans le cas de l’homme c’était :
« ah, oui, d’ailleurs il est à temps partiel »…
L es stéréotypes ne sont gênants que pour
les femmes ?
Non, dans certains cas ils sont pesants aussi
pour les hommes. Prenons un autre exemple :
pour de nombreux cadres, il y a souvent une
certaine flexibilité des horaires le matin, une
tolérance tacite pour des arrivées un peu plus
tardives certains jours. Et bien est-ce que les
hommes utilisent véritablement cette marge de
manoeuvre ? Etrêmement peu. Et là encore ce
sont les représentations qui sont largement à
l’oeuvre. C’est, je crois un des vrais enjeux des
entreprises, que les salariés puissent se rendre
compte qu’ils peuvent eux-mêmes prendre des
marges de manoeuvre sans se dire :
« mon Dieu, je suis un homme, il faut que j’aille
chercher mon fils ou ma fille à l’école, que va
dire mon chef ! »
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
26
Entretien avec Philippe Viven
Q ue peut faire une entreprise pour aider
ses salariés dans la conciliation ?
Ce qui peut être très utile, et que nous avons tenu
à développer chez Areva, ce sont les crèches
d’entreprise. On a commencé par les mettre en
place à Paris, puis après Lyon, Massy-Palaiseau.
Sur Paris il y a entre 100-120 places de crèches.
On a tenu à ce que cela ne soit pas simplement
une crèche avec quelques berceaux pour les
enfants des cadres du siège. Aujourd’hui dans
les villes où Areva est un employeur important,
soit nous avons créé nous-mêmes une crèche
d’entreprise, soit nous aidons à la création des
crèches inter-entreprise.
Maintenant on le fait aussi en Allemagne. C’est
un pays où le rapport de la femme au travail
n’est pas tout à fait le même qu’ici et nos
collègues Allemands ont été très fiers. Nous
avons également mis en place un certain
nombre d’actions au niveau des pratiques : éviter
les réunions le soir après 17h30 ou le matin à
8h00 par exemple.
Il y a un autre sujet sur lequel nous essayons
d’avancer ce sont tous ces voyages : est-ce que
cela vaut toujours le coup de prendre l’avion, le
train, alors que l’on a une belle salle de vidéo
conférence ou que l’on a de la haute technologie sur nos ordinateurs ?
E st-ce que les hommes prennent leur
congé de paternité aujourd’hui chez Areva ?
Ils le prennent tous. Je pense qu’on est de ce
point de vue une entreprise assez décomplexée.
L a pression n’est pas trop forte…
Il faut être très vigilant. Ainsi ce n’est pas parce
que je sors plus tôt que je ne travaille pas chez
moi. Il y a un indice aujourd’hui qui m’inquiète :
précédemment on ne voyait que peu d’emails le
week-end, juste quelques uns le vendredi soir
de la part de celui qui était parti un peu tard, voir
le samedi matin.
Aujourd’hui je reçois beaucoup plus d’emails le
week-end qu’il y a encore deux ou trois ans.
Idem avec le téléphone portable ou le blackberry qui de ce point de vue est la pire des choses. Il y a vraiment une interpénétration des
deux sphères.
C omment être vigilant là-dessus ?
J’ai un principe : généralement même quand je
travaille le week-end sur mon mail, je ne suis pas
connecté. Je ne me rebranche que le lundi
matin. Il faut trouver un nouvel équilibre, ça veut
dire oser fermer son téléphone portable et se
dire : « je ferme ».
M ais n’y-a-t-il pas une culture du
présentéisme en France ?
C’est possible que la personne qui part souvent tôt
soit perçue par les autres comme quelqu’un qui
a moins travaillé, mais je pense que le vrai sujet
aujourd’hui n’est plus là. Je ne suis pas sûr
qu’une fois rentrée chez elle, cette personne qui
était partie tôt, ne continuera pas à travailler
sous une forme ou sous une autre.
E t le temps partiel pour concilier ?
Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution.
La vie dans une entreprise est aussi une vie de
réseau. Plus on travaille à l’international, comme
nous, plus on a besoin d’avoir des équipes de
proximité, fortes les unes avec les autres.
Quelque soit ma planification de travail, si
jamais il se passe quelque chose, mieux vaut
que je ne sois pas trop loin de mon téléphone,
et probablement de mes interlocuteurs.
On a besoin d’être immergé dans l’entreprise pour
faire son travail mais aussi parce qu’il faut plus
ou moins faire partie du réseau informel qu’est
l’entreprise et pas seulement de l’organigramme.
Or à temps partiel cela devient compliqué.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
27
Entretien avec Philippe Viven
P lus on a de responsabilités, plus c’est
C ’était il y a 20 ans, est-ce que la hiérarchie
compliqué ?
Probablement, d’une part pour la raison de la
charge de travail, et d’autre part la capacité d’interagir. Dans une réunion, c’est toujours embêtant
d’entendre dire : « Il n’est pas là. Pourquoi ? Il est
à temps partiel ».
était plus dure ?
Je ne crois pas. Je pense que j’étais dans des
entreprises où cela n’aurait pas posé de
problème. Aujourd’hui la génération qui vient
d’arriver dans l’entreprise exprime plus fortement sa capacité de faire des pauses entre sa
vie professionnelle et sa vie personnelle. Je
pense que les aspirations sont les mêmes, mais
qu’avant on ne les exprimait pas. Ce sont les
hommes et non pas les organisations qui font le
déni de ces modèles professionnels.
E t à titre personnel, est-ce que vous êtes
satisfait de la façon dont vous avez équilibré
vos différentes vies ? Vous avez des enfants ?
Trois enfants qui ont 25, 20 et 17 ans.
R egrettez-vous de ne pas avoir passer plus S i c’était à refaire, vous prendriez davande temps avec eux quand ils étaient petits ?
Oui ; personne ne m’a imposé de ne pas être là.
Je regrette de ne pas l’avoir fait d’autant que je
suis persuadé que cela n’aurait rien changé à
ma carrière.
tage de marges de manoeuvre ?
Bien sûr. Là j’ai vraiment un exemple, c’est la
naissance de mon fils. Je suis allé le chercher
avec ma femme à la maternité. Je les ai emmenés à la maison et je suis retourné travailler. Il
faut être stupide !
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
28
A propos de l'étude commandée par l'ORSE à BVA
sur la parentalité
Sylviane Giampino, psychanalyste, psychologue petite enfance et familles
La démarche la plus pertinente qui soit actuellement, est bien de porter l'attention sur les salariés
masculins, si l'on veut, vraiment, faire progresser la
question de l'harmonisation entre la vie au travail et
la vie en famille.
Les approches centrées prioritairement sur les femmes ou les aménagements mixtes, mais utilisés plutôt
par elles, ont montré leurs limites.
Les résultats de l'étude révèlent bien l'état des
questions, la complexité, et surtout les ambiguïtés
dans lesquelles, hommes, femmes, entreprises, et
société sont encore pris.
Je prendrai pour exemple deux résultats qui sont,
psychologiquement, parlants :
• le temps consacré par les hommes aux "obligations" familiales,
• les représentations du temps partiel.
Le temps consacré par les hommes aux
"obligations" familiales.
81 % des personnes interrogées confirment qu'elles
savent bien que si les hommes participaient davantage
au soin des enfants et aux nécessités de la maison, la
balance se rééquilibrerait entre femmes et hommes
au travail.
Mais, puisqu'il y a ce consensus, pourquoi ne le fontils pas ? Pourquoi ne le font-elles pas ? Il semble qu'il
y ait, en fait, une ambivalence. Celle-ci apparaît bien
lorsque l'on met en lien :
• ce résultat d'une conscience de l'importance d'une
participation égale des hommes et des femmes aux
soins des enfants,
• et le peu de motivation à augmenter, ou sécuriser
des congés paternels (21 %) alors qu'il y a une motivation nettement plus forte (32 %) à allonger le
congé maternité !
Cette ambivalence apparaît également lorsqu'on relie
ce souhait de partage des tâches avec l'idée que le
temps partiel serait, dans les esprits, plus acceptable
pour les femmes (60 %), que pour les hommes
(22 %). L'attitude révélée par ce sondage pourrait se
résumer ainsi : en France, l'équilibre homme-femme
au travail, et père-mère à la maison, ça ne marche
pas, donc, continuons à utiliser les mêmes solutions,
qui ne solutionnent pas.
N'oublions pas aussi que les résistances des hommes
à changer rencontrent souvent la résistance des
femmes à modifier le statut quo des rôles dans la vie
à deux.
Mais à y regarder de plus près, les écarts entre les
réponses des hommes et des femmes sont prometteurs. Ainsi les hommes sont aussi nombreux que
les femmes à considérer qu'une meilleure implication
de leur part à la maison, faciliterait la vie de leur
femme au travail. Prise de conscience utile...
Même harmonie pour considérer que les mentalités
managériales devraient évoluer dans l'entreprise.
C'est le signe que les hommes autant que les femmes
ne veulent plus cautionner le "déni de réalité" des
impératifs de l'épanouissement personnel, et des
évolutions de la famille depuis 30 ans. Ce déni est un
symptôme du monde de l'entreprise, qu'il est temps
de soigner.
Les hommes aujourd'hui ont rejoint les femmes sur
un point : ne pas tout miser sur le travail pour réussir
sa vie. Les violences managériales, la financiarisation,
les sièges éjectables à tous les étages, produisent
leurs effets :
• " Je ne veux pas rentrer un soir dans une maison
sans enfants que je n'aurai pas élevés, ni vus grandir
• " ou " Mes enfants, eux, ne vont pas m'annoncer que je
ne sers plus à rien par un mail au petit matin ", disent
bien des pères aujourd'hui.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
29
Sylviane Giampino
Les hommes qui, jusque dans les années 90, avaient
misé sur l'investissement professionnel pour sécuriser leur avenir et celui de leur famille, ont fait depuis
l'expérience que quel que soit leur mérite et leur compétence l'entreprise n'est plus fiable envers eux, qui
lui consacraient toute leur énergie depuis des générations.
L'espace de maîtrise des clefs de l'avenir professionnel s'amenuise face à la globalisation des systèmes de
production et suscite un sentiment d'impuissance.
L'un des passages ancestraux des sublimations du
masculin dans le travail est comme barré, avec les
effets dépresseurs que l'on connaît. S'engage
aujourd'hui un mécanisme de déplacement successif
des investissements. Du travail vers la relation amoureuse, et de celle-ci, vécue comme incertaine, vers
les enfants. Une identité masculine qui subit une
translation de la production vers la reproduction.
Dans colonne investissement c'est la famille qui
prend des valeurs.
Autre indice encourageant : les hommes sont plus
nombreux que les femmes à penser qu'il faut limiter
les réunions du matin et du soir, (21 contre 17 %) et
qu'il serait bon de sécuriser le congé paternité (23
contre 17 %), alors qu'ils sont moins nombreux à
prôner l'allongement du congé maternité (24 contre
39 %). A méditer.
Cela étant, si ces écarts de réponses entre et les femmes
peuvent être interprétés comme une positive prise
de conscience concernant des hommes, c'est plus
intriguant concernant les femmes. C'est à se demander
si les femmes croient encore que les entreprises et
les hommes puissent évoluer ?
Le fait est que, depuis 40 ans, elles ont vu passer
beaucoup de réformes, de débats, sur la " conciliation "
vie professionnelle-vie familiale, sur " l'égalité H/F ";
mais que leur vécu, est toujours le même.
Si un enfant est malade c'est la mère que l'école ou
la crèche appelle à son travail. C'est elle aussi qui
freine ses ambitions professionnelles si la pression
familiale est trop forte, vu qu'elle gagne moins !
Les femmes sont moins nombreuses à souhaiter les
crèches d'entreprises ? Elles savent que c'est dans
leur entreprise à elle, que l'enfant sera accueilli, et
que les transports avec l'enfant, c'est un sas en
moins. Elles savent bien aussi que perdre son travail,
c'est déjà un problème, mais perdre un mode de
garde en même temps, ça complique. Quand elles ne
sont que 11 % contre 25 % à souhaiter que les
syndicats s'emparent des questions de parentalité,
est-ce qu'elles ne croient plus que d'autres qu'elles
puissent se mobiliser pour les enfants ?
Est-ce qu'elles n'attendent plus grand chose des
organisations ?
Les représentations du temps partiel
Pourquoi les aménagements d'horaires, c'est-à-dire
le temps partiel, devrait rester une spécialité des
mères.
On sait bien que c'est par ce mécanisme que la
spécialisation des rôles masculins/paternels et
féminins/maternels se perpétue.
A l'heure où tous les psychologues démontrent que,
dès la naissance, l'enfant est autant attaché à sa mère
qu'à son père et que leur présence est d'égale
importance, à l'heure où les pères veulent continuer
à s'occuper des enfants en cas de divorce, à l'heure
où ils placent le manque de temps avec leurs enfants
en tête de leurs manques, tout comme les mères, va
t'on continuer à organiser le travail et la société en
fonction de ce présupposé qui confine à l'entêtement : " Pour un enfant rien ne vaut sa mère ! ".
Idéologie "maternocentrée" des enfants, qui revient
ici encore à un "déni de réalité", d'une autre réalité,
à savoir que 6 femmes au foyer sur 10 préfèreraient
travailler, et que les temps partiels sont le plus souvent
des temps partiels imposés.
Corollaire d'une dégradation de l'emploi, ils s'accompagnent, souvent, d'horaires dits atypiques, dont la
compatibilité avec les rythmes de vie des enfants
reste à démontrer.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
30
Sylviane Giampino
Si aménagements des temps il doit y avoir, la seule
solution est de répartir entre les pères et les mères.
Pour le plus grand profit de tous : couple, enfants,
entreprise.
Oui, c'est bien avec les hommes que les entreprises
aujourd'hui doivent engager des changements, de
management, d'état d'esprit, de prise en compte
d'une paternité qui demande à prendre place, au côté
d'une maternité qui gagnerait à se sentir enfin désacralisée, mais entourée. Que ce soit avec anxiété et
hésitation, se conçoit.
Ils ressentent donc avec plus d'acuité les incohérences et les mutations. Elles leur font violence, et cette
violence est mal identifiée.
Violence du grand écart croissant entre la montée
des valeurs individualistes d'exigence de bonheur et la
dérégulation collective des étayages de la sécurisation
affective.
Il est donc nécessaire, pour les entreprises, d'adopter
sur ce thème une démarche cohérente, sincère,qui ne
soit pas superficielle mais aille vraiment au coeur des
problèmes.
N'est-ce pas aussi cela, l'égalité, un partage, une
entraide, au travail, en famille, en société.
Depuis que l'on parle aux bébés, les hommes comme
les femmes sont de plus en plus en sensibles et
intelligents, donc de plus en plus complexes et multidimensionnels.
Auteur, notamment, de " Les mères qui travaillent, sontelles coupables? " Albin Michel réed.2007, et de
" Je désire un enfant, donc je suis un homme. Disent-ils..."
in "A quoi rêvent les hommes?" sous la dir. De R.Frydman
et M.Flis-Treve. Ed. Jacob 2006
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
31
« Conciliation travail- famille :
les Français veulent que ça change ! »
Dominique Meda, sociologue
Ce sondage apporte beaucoup d’informations
intéressantes.
D’abord, il montre que la plupart des Français
préfèrent désormais à l’interruption d’activité
(en l’occurrence à l’allongement du congé de
maternité ou paternité) le maintien en emploi,
à condition de pouvoir aménager leur temps
de travail.
Ensuite, il met en évidence que de fortes attentes pèsent sur les entreprises : c’est d’elles dont
les Français attendent un surcroît d’implication
pour améliorer la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, sous la double forme
d’aménagements horaires et de mise en place
de structures d’accueil des jeunes enfants.
Enfin, il souligne que les Français ont bien pris
conscience qu’une large partie des inégalités
professionnelles, entre les hommes et les femmes,
prend sa source dans la répartition déséquilibrée
des tâches domestiques et familiales. C’est de
cette prise de conscience que l’on peut espérer
de profonds changements, comme l’indiquent
les Français qui placent en deuxième position
le nécessaire changement de mentalités
comme moyen d’améliorer la conciliation.
Aménagement du temps de travail
Les Français plébiscitent donc l’aménagement
du temps de travail comment moyen d’améliorer
la conciliation. Mais ce terme n’est pas précisé
et on ne sait donc pas ce qu’il recouvre exactement. Il n’est pas non plus précisé si cet
aménagement doit concerner tout le monde,
indifféremment homme et femme.
Un précédent sondage de BVA, passé en 2006
dans le cadre du Suivi barométrique de l’opinion
des Français à l’égard de la santé, de la protection
sociale, de la précarité, de la famille et de la
solidarité (DREES, 2006 ; Bauer, 2008), avait
montré que le taux de personnes d’accord
avec la proposition selon laquelle « les hommes
doivent bénéficier d’aménagement du temps de
travail au même titre que les femmes » était
passé de 48 % à 54 % entre 2000 et 2006.
Dans notre sondage, si hommes et femmes
sont exactement aussi nombreux à désigner
l’aménagement du temps de travail comme
modalité privilégiée d’amélioration de la conciliation, on ne sait malheureusement pas si les
personnes interrogées ont supposé ou non
qu’il pouvait s’agir des hommes comme des femmes.
Travail à temps partiel
La question suivante concerne ce qui n’est
qu’un des aspects de l’aménagement du temps
de travail (le travail à temps partiel) et met
bien en évidence les freins qui subsistent :
hommes et femmes reconnaissent que le fait
de travailler à temps partiel est mieux accepté
pour les femmes que pour les hommes. Dés
lors, les aspirations égalitaires révélées par
l’une des questions semblent, comme toujours,
se heurter à la réalité du comportement des
institutions et de « la société » en général.
L’une des vagues d’une grande enquête européenne consacrée aux rôles familiaux (la vague
2002 de l’International Social Survey Programme)
a bien mis en évidence que les aspirations égalitaires se heurtaient encore à de fortes résistances et à des croyances bien ancrées, relatives
notamment au rôle incombant à chaque parent.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
32
Dominique Meda
Ainsi, si dans les pays interrogés, une majorité
de personnes est totalement d’accord ou
d’accord avec l’idée que « hommes et femmes
doivent contribuer au revenu du ménage » et
que « les hommes devraient mieux partager les
tâches domestiques et les soins aux enfants »,
si la majorité pense également que les femmes
doivent travailler à temps plein avant la
naissance des enfants et après le départ des
enfants, une part très importante des populations interrogées trouve qu’être une femme au
foyer est aussi épanouissant qu’exercer un
travail rémunéré et surtout, presque trois
quart des personnes interrogées pensent que
lorsque les enfants sont en âge préscolaire, les
femmes doivent rester à la maison ou travailler
à temps partiel, et qu’elles doivent également
travailler à temps partiel lorsqu’ils sont à
l’école.
Entre un quart et la moitié pense que la vie de
famille pâtit (« suffers ») lorsque la femme a un
travail à temps plein et la même proportion
acquiesce à l’idée que l’enfant non scolarisé
pâtit du fait que sa mère travaille. Les questions
équivalentes ne sont pas posées pour les pères
(Méda, 2008).
Révision des stéréotypes
Il y a une certaine cohérence entre le fait que
les personnes interrogées dans notre sondage
reconnaissent que les mentalités doivent changer
et le fait que les spots publicitaires soient
considérés, à 70 %, comme un bon instrument
pour faire changer celles-ci, notamment en
montrant des hommes qui participent aux
tâches domestiques et familiales.
En revanche, on peut voir une certaine incohérence entre cette réponse, massive, et le relatif
désintérêt provoqué par l’allongement du congé
de paternité qui semble pourtant une mesure
tout à fait susceptible d’inscrire les pères dans la
réalité des soins aux jeunes enfants.
A moins de comprendre ces deux réponses
comme la preuve que les personnes interrogées
ne pensent pas que le problème vient d’une
moindre volonté de s’impliquer de la part des
pères, mais bien d’une représentation sociale
décalée qui s’étend aux entreprises et confortent
celles-ci dans leur souhait de ne pas inciter les
pères à travailler à temps partiel ou de ne pas
les y aider.
Les hommes que j’ai pu interroger au cours
d’entretiens longs, indiquent, lorsqu’ils ont
choisi d’interrompre temporairement leur activité ou de la réduire (seulement 6 % des hommes le font à l’arrivée d’un enfant contre près
de 40 % des femmes selon la plus récente
enquête de l’INED, Pailhé, Solaz, 2006), que
l’entreprise, leurs collègues et même leur
entourage a très mal réagi à l’annonce d’une
telle décision.
Mais ces entretiens mettent aussi en évidence
que si de nombreux pères revendiquent
aujourd’hui une paternité active et considèrent
sans doute plus qu’auparavant que la paternité
constitue une part importante de leur identité,
ils ne sont pas prêts, pour la plupart, à mettre
leur carrière en danger, ce qui risque d’arriver
dés lors que « la société » et les organisations
au sein desquelles ils travaillent ne considèrent
pas un tel investissement comme légitime et ne
les y aident pas.
En tout cas, la balle est clairement dans le
camp des entreprises.
L’enquête récente de l’INED consacrée à la
conciliation, « Famille et employeurs », a mis
en évidence combien les entreprises étaient
aujourd’hui peu impliquées dans les dispositifs
d’aide à la conciliation : par exemple seuls 2 %
des établissements interrogés mettent à disposition des crèches (Lefebvre, Pailhé, Solaz, 2008).
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
33
Dominique Meda
Notre sondage plébiscite leur intervention, y
compris avec des modalités d’intervention qui
ont longtemps fait l’objet d’une très grande
méfiance tant de la part des syndicats que des
salariés eux-mêmes (les crèches d’entreprise
suscitent la crainte que les enfants pâtissent des
temps de transport et que l’entreprise ne profite
du fait que l’enfant est gardé à proximité pour
accroître la pression et la demande de disponibilité de la part des salariés).
On doit néanmoins garder à l’esprit que dans cet
ensemble complexe où tout se tient, les comportements des entreprises, les politiques publiques,
les arrangements au sein des couples, les représentations sociales, tout compte et que les politiques
seront d’autant plus efficaces que les changements concerneront simultanément les différentes sphères.
Il est à cet égard intéressant de constater qu’il
semble bien, selon les différentes enquêtes
dont nous disposons, que l’investissement des
pères dans les soins aux enfants soit corrélé
avec le niveau d’études et la fermeté de l’engagement professionnel des conjointes.
Auteur notamment de « Le temps des femmes.
Pour un nouveau partage des rôles », ChampsActuel, rééd. 2008
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
34
Les femmes et les hommes face à la vie professionnelle
et familiale
Rachel Silvera, économiste, Université Paris X
La question de l’articulation des temps de vie
est l’un des enjeux principaux de l’égalité
entre les femmes et les hommes. En France, on
le sait, les femmes travaillent et, qui plus est,
« battent désormais le record européen » de la
fécondité (2 enfants par femme).
Mais à quel prix ?
Les « contraintes temporelles » pèsent de plus
en plus sur elles seules : ce changement de
modèle économique et démographique n’a pas
été suivi d’un changement dans les comportements des ménages : elles travaillent, elles
élèvent des enfants mais elles en ont encore la
charge quasi-exclusive (entre 70 et 80% des
tâches domestiques et familiales incombent
toujours aux seules femmes, même si elles
sont actives et surtout si elles sont mères de
famille…).
La recherche de solutions d’accueil pour les
enfants, de solutions face à des changements
d’horaires de travail imprévus, ou d’enfants malades,
mais aussi l’accompagnement des parents
devenant dépendants… tout cela reste l’affaire
des femmes, même si elles sont cadres.
La réponse dans ce dernier cas sera bien sûr
« d’externaliser » une part importante de ces
activités, y compris des tâches domestiques. Mais
ne pensons pas que cette pression temporelle ne
soit le fait que des seules femmes cadres :
lorsque l’on est employée à temps partiel
(dans le commerce, l’hôtellerie, le nettoyage,
et justement l’aide à la personne), il est souvent
très difficile de trouver des solutions d’accueil
compatibles avec des horaires atypiques et
souvent flexibles d’une semaine à l’autre,
d’autant plus difficile que l’on est mal rémunéré…
Il est donc logique que le sondage présenté par
l’ORSE mette l’accent sur des besoins en modes
d’accueil, sous forme de crèches d’entreprise.
Ce sont d’ailleurs les femmes et les cadres
supérieurs et professions libérales qui mettent
au premier plan cette solution encore peu
développée en France. Pour les hommes, la
mesure prioritaire est l’aménagement des
horaires, ce qui paraît une réponse partielle
aux contraintes familiales et professionnelles,
mais qui permettrait une plus grande implication
des pères.
Mobiliser les pères est plus qu’urgent.
On pourra effectivement chercher à externaliser une part de plus en plus importante de l’accueil et du soin (en impliquant l’Etat et les entreprises), il restera toujours des activités à la
charge des familles….
D’ailleurs les femmes interrogées ici ne s’y
trompent pas : une majorité écrasante d’entre
elles estime qu’elles pourraient faire carrière
plus facilement si les hommes s’investissaient davantage dans la sphère domestique… Reste à
convaincre les hommes qui sont moins nombreux à
adopter ce point de vue…
Mais ceci trouve son explication dans la suite
du sondage : une grande majorité de répondants estiment que demander du temps
(comme un temps partiel) pour sa famille est
mal accepté pour un homme (et mieux pour
une femme)… D’où l’intérêt des campagnes
publicitaires rééquilibrant les rôles domestiques
(plébiscitées dans le sondage par la plupart des
interrogés).
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
35
Rachel Silvera
Autrement dit, c’est encore et toujours les
stéréotypes véhiculés dans l’entreprise qui
jouent ici : lorsque l’on est un homme et que
l’on fait carrière, la performance doit rimer
avec la présence, et la disponibilité totale à
l’entreprise…
Tant que ce modèle d’organisation du travail
structurera la plupart des entreprises, il y a fort
à parier que les modèles sociaux de répartition
des tâches et des temps entre les femmes et
les hommes ne changeront guère…
L’entreprise est donc au coeur de ces transformations :
elle doit progressivement intégrer ces demandes de
salarié(e)s en matière d’articulation des temps :
• offrir davantage de services comme participer à des
crèches,
• permettre
un aménagement des horaires selon les
contraintes familiales qui varient tout au long de la
vie professionnelle (selon l’âge des enfants, celui
des parents âgés…) mais… pour tous (femmes et
hommes).
Car s’il s’agit de développer ces mesures seulement
pour les femmes, on n’avancera pas vers une véritable égalité au travail et hors travail.
Rachel Silvera, économiste, Université Paris X
Dernière publication : Rapport d’évaluation des
indicateurs européens sur l’articulation entre la
vie familiale et professionnelle, (avec Salima Raïri),
Service droits des femmes et de l’égalité, juin
2008.
Dossier de presse de l’ORSE : “ Promouvoir l’égalité professionnelle auprès des hommes”
36

Documents pareils