Louise Mack (1870

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Louise Mack (1870
Louise Mack (1870-1935)
Née à Port Adelaide, de parents irlandais,
Louise Mack est l'aînée d'une famille de treize enfants.
Son père, prêtre méthodiste, change régulièrement de
paroisse, ce qui entraîne de nombreux déménagements.
Finalement installés à Sydney, Hans et Jemima Mack
donnent à ses enfants une éducation à domicile jusqu'à
l'âge du collège. Au lycée pour filles de Sydney, Louise
écrit pour le journal de l'établissement. Après avoir
travaillé comme gouvernante, elle contribue au Bulletin
et épouse John Percy Creed, un avocat de Dublin, en
1896. La même année, elle publie son premier roman,
The World is Round.
Le couple part s'installer à Londres et connaît de grandes difficultés
financières. Louise Mack écrit An Australian Girl in London (1902), qui reçoit de
bonnes critiques. Elle devient journaliste au Daily Mail tout en écrivant des
romans sous forme de feuilletons pour des revues. Ces romances faciles lui
permettent de gagner beaucoup d'argent, qu'elle dépense aussitôt. Elle voyage
beaucoup, publie d'autres romans populaires et part vivre à Florence, où elle
restera six ans. Elle y éditera The Italian Gazette.
De retour en Angleterre en 1914, elle part en Belgique, où elle sera la première
femme à exercer le métier de correspondant de guerre, pour le Evening News et le
Daily Mail. Le récit de son expédition belge et de l'invasion d'Anvers par les
Allemands est publié en 1915 sous le titre A Woman's Experiences in the Great
War. En 1916, elle repart en Australie, où pendant deux ans elle sillonne le pays
pour donner une série de conférences sur son expérience de guerre et récolter de
l'argent pour ma Croix-Rouge.
Au début des années 20, elle entame une nouvelle tournée de conférences en
Nouvelle-Zélande et dans les îles du Pacifique. Elle parcourt également l'Australie
dans le cadre d'un programme éducatif gouvernemental visant à éveiller le désir
de connaissances géographiques chez les élèves.
En 1924, veuve depuis dix ans, elle épouse à 54 ans un Néo-Zélandais de 21
ans son cadet. Elle poursuit ses activités de journaliste indépendante et publie
deux autres romans avant de mourir en 1935.
Louise Mack a vécu une vie placée sous le signe de l'aventure et de
l'insécurité, ce qui lui a valu des moments difficiles, notamment du point de vue
pécuniaire. Extravertie, audacieuse, sans plan de carrière, elle a su vivre au gré de
ses impulsions. Ces traits de caractère se retrouvent dans A Woman's Experiences
in the Great War, qui en plus de constituer un document intéressant sur le début
de la guerre en Belgique regorge de scènes écrites avec une spontanéité touchante,
où l'anecdote a valeur de symbole. La rencontre d'un jeune couple d'amoureux,
décrite dans l'extrait ci-après, est caractéristique de cette légèreté de ton qui sait
dire mieux qu'une longue analyse des choses essentielles sur la guerre, autant du
point de vue des civils que des combattants.
Amy Eleanor Mack, une des soeurs de Louise, était également une femme de
lettres. Après avoir publié des essais et des livres pour enfants avant la guerre, elle
part pour la Grande-Bretagne avec son mari, Lancelot Harrison, qui après avoir
été une première fois refusé dans l'armée, est nommé conseiller entomologiste
auprès du contingent britannique en Mésopotamie. Son travail sur les maladies
transmises par les insectes a sauvé de nombreuses vies. Pendant ce temps, Amy
Eleanor travaille dans les services de communication des ministères des munitions
et de l'alimentation
Gertrude Mack, autre soeur de Louise, a également publié des recueils de
nouvelles qui ont connu un grand succès.
En sortant de la gare, je suis tombée sur deux dames, une jeune et une plus âgée,
vêtues de fourrures. M'approchant d'elles, je les entends demander à une sentinelle le
chemin de l'hôtel de Noble Rose. Avec cette cordialité immédiate qui est de mise en
temps de guerre, je leur demande si je peux les accompagner, après avoir précisé que
j'étais anglaise.
"Avec beaucoup de plaisir," (1) répondent-elles en choeur.
(1) En français dans le texte.
"Nous arrivons de Folkestone," explique la plus jeune dans un anglais sommaire
tandis que nous avançons dans la nuit noire. "Mais, ah, quelle expédition !"
Tandis que les canons tonnent furieusement à moins de dix kilomètres, elles me
racontent leur "petite histoire."
C'est l'histoire d'une fiancée de Bruxelles venue rejoindre son futur mari. Avec un
entêtement de chaque instant, elle a réussi à persuader sa mère de l'accompagner
dans ce long voyage : Bruxelles, Anvers, la Hollande, Flushing, Folkestone, Calais,
Dunkerque et finalement ici, au front, où se trouve son fiancé soldat. Il a été blessé.
Mais il va mieux. Il lui avait sans cesse répété : "Non ! Ne viens pas." Mais
finalement, il avait cédé et lui avait dit : "Viens !"
Elle est si jolie, si simple, si "petite file" et douce, et la mère un spécimen si parfait de
mère poule, que je tombe amoureuse de l'un comme de l'autre.
Les voilà qui sortent de la cérémonie.
Maintenant, ils sont assis à nos côtés, les chers agneaux, main dans la main, et leurs
jeunes visages sont presque trop sacrés pour que je les regarde, la joie qui les illumine
trop intense.
Ils n'arrêtent pas de sourire, leurs yeux se rencontrent avec la grâce de vagues qui
viennent mourir sur une plage d'été. Chacune de leurs phrases se termine par un
petit rire.
C'est maintenant l'heure du repas, et ils m'invitent à partager leur table, ils
commandent du vin rouge, j'en prends aussi, je ne suis plus une étrangère mais une
ancienne amie. Je suis associée à ce bonheur, qui est autant le mien que le leur parce
qu'ils s'aiment et qu'ils aiment tout le monde.
La mère me chuchote : "Il va être si content quand il va l'apprendre ! Il y a un petit
en route."
Le bruit vorace des canons ne cesse pas, témoignant de la lutte sauvage et passionnée
entre les Alliés et les Allemands, qui bientôt - que Dieu dans sa grande clémence ne
le permette pas - pourrait faire entrer ce garçon blond dans la gloire de la mort au
combat, laissant derrière lui un orphelin.
Ah, quel héritage aura l'enfant !
Et puis, tout à coup, je me mets à penser : Qui ne serait pas heureux et fier de naître
dans des circonstances aussi épiques ? Commencer dans la vie entouré de cette
atmosphère d'héroïsme, où tout ce qui est banal a été aboli.
Jamais dans l'histoire du monde il n'y a eu autant de mariages que maintenant.
Partout, des filles et des garçons se marient. Ils n'hésitent plus, ne réfléchissent plus.
Ils se précipitent dans les bras l'un de l'autre avec passion.
"Jusqu'à ce que la mort nous sépare !" chantent ces milliers de jeunes voix pleines de
courage.
Il me semble que jamais dans l'histoire de ce monde si vieux l'amour n'a été aussi
fort qu'aujourd'hui. Chaque future épouse est une héroïne qui épouse un héros ! Ils
s'agrippent ensemble au bonheur. Ils découvrent ce que les philosophes ont mis tant
de temps à nous enseigner, à savoir que la vie "est passagère", et ils ont peur que les
précieux moments s'envolent à tout jamais.
Mais ce n'est pas tout.
Il y a autre chose derrière tout cela, quelque chose qui est tout aussi beau, bien que
moins personnel.
Il y a la race qui cherche à survivre.
La génération qui vient sera magnifique, car engendrée dans des circonstances
glorieuses, avec rien qui ne manque pour le plus beau des héritages : l'amour, le
patriotisme, le courage, la dévotion, le sacrifice, la mort et la gloire !
Une semaine après cette rencontre près du front, je suis tombée à Dunkerque sur la
mère poule qui attendait devant la grande église grise, sous la lumière déclinante du
soir.
Elle était devenue sombre, la pauvre âme, un nuage assombrissait son visage
généreux, la tendresse de ses yeux noirs et la douceur de ses lèvres.
"Il a été envoyé dans les tranchées près d'Ypres," a-t-elle murmuré avec tristesse.
"Et votre fille ?"
"Chut ! Elle arrive. Mon ange, qui a le coeur d'un lion. Elle est allée à l'église pour
prier. Elle n'a pas voulu que je l'accompagne."
De nos trois visages, c'est celui de la jeune mariée qui reste le plus lumineux.
Elle a changé, bien sûr.
Elle ne regarde plus son propre bonheur avec des yeux émerveillés.
Mais l'illumination du grand amour est toujours là, rendue deux fois plus belle par le
fait de savoir que son bien-aimé est de l'autre côté de ces dunes des sable, sous le feu
des obus, et que le temps est venu pour elle d'être noble comme doit l'être une femme
de soldat, pour l'honneur de son mari et pour le petit qui va naître.
"Même s'il tombe sur le champ de bataille," me dit-elle calmement, avec ce petit
sourire plein de courage qui tremble sur ses lèvres, "il me laisse un enfant qui lui
survivra... son enfant !"
De nous trois, c'est elle, la plus jeune et la plus durement éprouvée, qui semble avoir
la prise la plus solide sur la vie, présente et à venir.