Densité énergétique et prise alimentaire
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Densité énergétique et prise alimentaire
50ème JAND 29 janvier 2010 Densité énergétique et prise alimentaire France BELLISLE Unité de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle INRA U1125 INSERM U557 CNAM EA3200, Université Paris 13, CRNH Ile de France, 93017 Bobigny Résumé La notion de DE est issue des efforts pour comprendre les différences de pouvoir satiétogène de différents aliments. La DE d’un aliment correspond à sa charge énergétique par unité de poids (ou de volume) d’un aliment. On peut définir la DE d’un repas ou de l’alimentation globale selon le même principe (énergie/poids), cependant le rôle des liquides est difficile à prendre en compte. Un aliment de forte DE apporte beaucoup d’énergie sous un petit volume, et est donc relativement peu rassasiant ; inversement un aliment de faible DE apporte peu d’énergie sous un grand volume qui remplit bien l’estomac : il est donc plus rassasiant. A court terme, la ration énergétique d’un repas ou d’une journée est corrélée de façon très étroite avec la DE des aliments consommés au repas ou ce jour-là. A plus long terme, la corrélation devient plus floue. Les résultats d’études transversales ne concordent pas quant à l’existence d’une relation entre la DE de l’alimentation habituelle et la corpulence. Plusieurs ne rapportent pas de corrélation, peut-être à cause de difficultés méthodologiques (sous-déclaration) ou à cause de mécanismes de compensation qui interviennent dans la régulation du bilan d’énergie. Cependant plusieurs indications obtenues soit en laboratoire soit en milieu naturel suggèrent que la surcharge pondérale puisse être associée à une alimentation de forte DE. De très récentes études montrent que les conseils donnés pour faire diminuer la DE de l’alimentation chez des sujets au régime permettent de favoriser une perte de poids à moyen terme (quelques mois). Ces conseils sont essentiellement de deux ordres : limiter les apports en lipides et augmenter la consommation de fruits et légumes. Il n’y a donc rien de bien nouveau dans cette approche, sinon de savoir que l’on peut effectivement manger plus (en volume) tout en ingérant moins d’énergie La densité énergétique (DE) d’un aliment correspond à son contenu énergétique (kcal ou kJoules) pour 100 grammes de produit (ou par gramme). Certains auteurs parlent aussi de la DE en termes de contenu énergétique par unité de volume. La DE d’un aliment est déterminée par son contenu en eau et en nutriments : les lipides apportent 9 kcal au gramme, les protides et les glucides en apportent 4. Des substances non énergétiques comme les fibres ajoutent du poids et du volume mais pas de calories ; elles contribuent donc à faire baisser la DE d’un aliment. Théoriquement, on peut parler de la DE d’un repas, ou de la DE de l’alimentation totale, de la même manière que l’on parle de celle d’un aliment. Cependant il faut alors se demander comment on intègre les liquides pris avec ou en dehors des repas dans le calcul de la DE globale. QUELQUES REPÈRES HISTORIQUES Les caractéristiques des aliments susceptibles d’affecter la taille des repas et la satiété ont été l’objet de très nombreuses études. On a pu ainsi affirmer que les protéines sont plus satiétogènes que les autres nutriments (1) ou que les lipides, à cause de leur fort contenu en énergie et de leur contribution importante (texture, arome) au bon goût de l’aliment, sont la cause d’une hyperphagie pouvant mener à l’obésité (2). Après ces premières observations, le rôle satiétogène particulier attribué à chaque nutriment a été remis en question et il a été proposé que la dimension critique susceptible d’exercer une forte influence sur la satiété et le contrôle de la prise alimentaire était en réalité la DE des aliments c’est-à-dire le contenu énergétique par unité de volume ou de poids. F. Bellisle 3 Selon l’hypothèse originale (3-4), chaque mangeur a appris au cours de sa vie à ingérer un certain poids d’aliments à l’occasion de ses repas habituels. Le rassasiement (l’arrêt de la consommation à la fin d’un repas) se produit après l’ingestion d’une masse relativement fixe d’aliments que le mangeur a appris à reconnaître comme suffisante. Par conséquent, une alimentation de forte DE favorise l’hyperphagie puisque la masse d’aliments suffisante pour susciter les signaux de rassasiement émanant de l’estomac contient déjà beaucoup d’énergie. Inversement, une alimentation de faible DE est très rassasiante, puisque la masse d’aliments suffisante pour entraîner le rassasiement représente un contenu énergétique modeste. L’étude expérimentale de Stubbs et coll. (4) comparait les ingesta de volontaires auxquels on proposait trois régimes à teneur en lipides variable (20, 40 et 60%) mais de DE identique, pendant 14 jours. Dans ces conditions, quelle que soit la teneur en lipides, les rations énergétiques quotidiennes observées étaient semblables. Le poids corporel des volontaires est resté stable ou a légèrement baissé. Cette étude confirme le rôle décisif de la DE de l’alimentation dans la détermination de la ration quotidienne, indépendamment du contenu nutritionnel. A l’inverse, Lissner et coll. (5) avaient déjà démontré que, lorsque la DE de l’alimentation varie avec le contenu en graisses (comme c’est souvent le cas dans la vie de tous les jours), la ration énergétique totale varie effectivement en fonction de la DE, et le régime le plus gras (le plus dense) induit hyperphagie et prise de poids après 14 jours. Poppitt et Prentice (3) ont formulé l’hypothèse que les effets différents des nutriments sur le rassasiement s’expliquent en fait par leur DE et que la taille des repas est déterminée essentiellement par le poids d’aliments consommés. A l’appui de leur thèse, ils citent non seulement de nombreuses études expérimentales au cours desquelles la DE d’un ou de plusieurs aliments était manipulée, mais aussi des études épidémiologiques transversales montrant une relation positive entre la DE de l’alimentation (incluant tous les aliments et boissons) et les apports énergétiques. Cependant la DE n’était pas corrélée à la corpulence dans les études citées. La relation entre DE et contrôle du poids à moyen ou à long terme n’était pas abordée dans ces études. DENSITÉ ÉNERGÉTIQUE (DE) ET TAILLE DES REPAS De nombreuses études confirment que l’ingestion à court terme est déterminée par le poids et le volume d’aliments ingérés, plutôt que par leur contenu énergétique. Des études de laboratoire ont directement manipulé le contenu de l’estomac pour observer les effets sur le rassasiement. Par exemple, dans l’étude de Rolls et Roe (6), l’administration intra-gastrique d’une charge alimentaire avant un repas a permis de montrer que c’était bien le volume et non pas le contenu énergétique de la charge qui affectait le rassasiement (la taille du repas librement pris par le sujet). Une charge alimentaire dont le volume est augmenté en y incorporant de l’air, et donc sans modifier le contenu énergétique, est plus rassasiante que la même charge sous un plus petit volume (7). Ces observations de laboratoire concordent avec des observations tirées de semainiers alimentaires (8) obtenus chez des personnes qui notent toutes leurs consommations d’une semaine dans leurs conditions de vie habituelles. L’analyse des données suggère que le poids du contenu de l’estomac à la fin d’un épisode alimentaire (environ 400-500 g) est stable et que la ration énergétique du repas reflète la DE des 400500 g d’aliments présents dans l’estomac. INFLUENCE DES BOISSONS ET ALIMENTS LIQUIDES Puisque l’eau est le déterminant le plus important de la densité énergétique des aliments, on peut se demander si l’ingestion de boissons avec le repas n’est pas susceptible d’affecter la DE globale du repas et donc de diminuer l’apport énergétique. Plusieurs études ont abordé cette question. Leurs F. Bellisle 4 résultats sont concordants : la ration énergétique du repas dépend de la DE des aliments solides qu’il apporte, et la consommation prandiale de boissons n’a que peu ou pas d’influence. Rolls et coll. (9) ont comparé les ingesta libres au cours de plusieurs déjeuners comprenant exactement les mêmes ingrédients (un plat de poulet accompagné de riz) et consommés à une semaine d’intervalle par les mêmes personnes. Dans un cas, le déjeuner fut simplement servi et la consommation mesurée ; dans un deuxième cas, un verre d’eau fut servi avant le déjeuner ; dans une troisième condition, l’eau fut mélangée aux aliments solides pour former une sorte de potage. Ces conditions ont eu des effets très différents sur la taille du repas. La consommation énergétique au déjeuner potage était significativement moindre que celle du déjeuner précédé d’un verre d’eau. En revanche, le verre d’eau avant le déjeuner n’a en rien diminué la taille de celui-ci, comparé au déjeuner non précédé d’un verre d’eau. Par conséquent, un liquide incorporé à l’aliment (et faisant baisser sa DE) diminue la consommation énergétique, alors que la même quantité de liquide servie comme boisson (et qui ne modifie pas la DE de l’aliment) n’a aucun effet. Des observations similaires ont été observées chez des personnes déclarant leurs ingesta sur plusieurs jours (8, 10). La relation entre la DE d’un repas et son contenu énergétique est la même que les boissons soient ou non inclues dans le calcul de la DE (8). DENSITÉ ÉNERGÉTIQUE (DE) ET CONTRÔLE DU POIDS La méthode du semainier alimentaire (8) utilisée chez 670 personnes a permis de confirmer l’existence d’une relation entre la DE de l’alimentation globale d’un répondant et ses apports énergétiques totaux sur un jour ou sur une semaine. Cependant l’effet de la DE, très puissant sur les apports à court terme, ne semble pas déterminer le statut pondéral : dans cette même étude, les obèses déclaraient une alimentation de même DE moyenne que les normopondéraux et il n’existait pas de corrélation entre la DE de la ration hebdomadaire et l’index de masse corporelle des 670 répondants. Ce paradoxe apparent pourrait s’expliquer par une sous-déclaration de la part des personnes en surcharge pondérale, sous-déclaration qui pourrait affecter surtout les aliments à forte DE. Cependant une autre hypothèse est possible. Les semainiers montrent une instabilité considérable de la DE d’un jour à l’autre chez la même personne. Une alimentation de forte DE au cours d’une journée pourrait induire une réponse compensatrice quelques jours plus tard favorisant la sélection d’aliments de faible DE. Cette compensation expliquerait l’absence de corrélation entre la DE de l’alimentation quantifiée un jour donné, ou même une semaine donnée, et le statut pondéral. Alors qu’à court terme (au cours d’un repas ou d’une journée), la relation entre DE et apports énergétiques est forte, des études à plus long terme, qu’il s’agisse d’observations du comportement spontané ou de manipulation de l’alimentation, ne confirment pas la relation inverse entre DE de l’alimentation et apports énergétiques (11-13). Un ajustement de la taille des portions en fonction de la DE, la restriction alimentaire, ou des mécanismes de compensation pourraient intervenir à moyen et long termes pour brouiller la relation entre DE et apports totaux. Une enquête (deux rappels de 24 heures) transversale réalisée chez 7356 adultes américains (14) suggère que les personnes en surcharge pondérale auraient une alimentation de DE plus élevée que les personnes normopondérales. Cette enquête montre que la consommation de fruits et légumes est associée à une plus faible DE et à un meilleur contrôle pondéral. La taille des portions interagit avec la DE : une étude a souligné que les personnes obèses tendent à consommer de grandes portions d’aliments de forte DE et de petites portions d’aliments de faible DE, comparées à des personnes de poids normal (15). Serait-il utile de conseiller une alimentation de faible DE aux personnes souhaitant perdre du poids ? C’est le principe de la méthode « Volumetrics » proposée par B.J. Rolls. Cette méthode consiste à F. Bellisle 5 conseiller une alimentation contenant peu d’énergie sous un grand volume d’aliments. Les conseils donnés pour abaisser la DE consistent surtout à limiter les apports de lipides et à augmenter la consommation de fruits et légumes. Dans des études d’intervention diététique chez des personnes obèses et/ou souffrant d’hypertension, on constate que les changements de l’alimentation qui font baisser la DE du régime favorisent ou améliorent la perte de poids (16-19). LA DENSITÉ ÉNERGÉTIQUE (DE) DE L’ALIMENTATION : UN PROBLÈME DE DÉFINITION En 2005, plusieurs études ont été publiées comparant les mérites relatifs de plusieurs définitions de la DE des repas ou de l’alimentation. La question est de savoir quelle est la meilleure définition pour mettre en évidence les associations entre la DE d’un repas et le rassasiement ou la satiété, ou entre la DE de l’alimentation et le statut pondéral. La différence entre définitions tient essentiellement à la prise en compte des boissons contenant ou ne contenant pas de calories dans le calcul de la DE. L’article de Ledikwe et coll. (20) propose huit définitions (kcal/g) de la DE de l’alimentation mesurée par la méthode du rappel de 24 heures dans une population d’adultes : 1) aliments solides seulement ; 2) aliments solides plus substituts de repas (liquides) ; 3) aliments solides plus alcool ; 4) aliments solides plus jus de fruits ; 5) aliments solides plus lait ; 6) aliments solides, jus et lait ; 7) aliments solides et boissons contenant de l’énergie ; 8) aliments solides et toutes les boissons. La DE moyenne appréciée par ces diverses méthodes varie de 0.94 à 1.85 kcal/g. La DE de l’alimentation diminue avec l’âge, est plus élevée chez les hommes que chez les femmes, et varie aussi en fonction de l’origine ethnique. Cette étude confirme que l’association de la DE avec d’autres variables (comme la ration totale, le poids corporel, etc.) peut varier selon la définition utilisée. L’étude de Kant et Graubard (21) qui utilise trois de ces définitions (1, 7 et 8) dans une autre population d’adultes rapporte des densités moyennes comparables. Selon cette étude, les trois définitions confirment que la DE est positivement associée aux apports énergétiques et lipidiques totaux, et négativement aux apports de fruits et légumes et de micronutriments. Dans cette étude transversale, l’indice de masse corporelle était corrélé avec la DE intégrant les aliments solides seuls, et avec la DE intégrant les aliments plus les boissons apportant de l’énergie, mais pas avec la DE calculée en intégrant les aliments et toutes les boissons. La définition utilisée dans une étude est donc susceptible d’affecter radicalement les résultats. QUELQUES CONCLUSIONS PRATIQUES La notion de DE est issue des efforts pour comprendre les différences de pouvoir satiétogène de différents aliments. La capacité limitée de l’estomac fait qu’à court terme, la ration énergétique d’un repas ou d’une journée est corrélée de façon très étroite avec la DE des aliments consommés au repas ou ce jour-là. A plus long terme, la corrélation devient plus floue. Bien que les résultats d’études transversales ne confirment pas toutes l’existence d’une relation entre la DE de l’alimentation habituelle et la corpulence, plusieurs indications obtenues soit en laboratoire soit en milieu naturel suggèrent que la surcharge pondérale puisse être associée à une alimentation de forte DE. De très récentes études montrent que les conseils donnés pour faire diminuer la DE de l’alimentation chez des sujets au régime permettent de favoriser une perte de poids à moyen terme (quelques mois). Ces conseils sont essentiellement de deux ordres : limiter les apports en lipides et augmenter la consommation de fruits et légumes. Il n’y a donc rien de bien nouveau dans cette approche, sinon de savoir que l’on peut effectivement manger plus (en volume) tout en ingérant moins d’énergie. F. Bellisle 6 Bibliographie 1. de Castro, J.M. Macronutrient relationships on daily intake and meal patterns of humans. Physiol. Behav., 1987, 39, 561-9. 2. Blundell, J.E., Lawton, C.L., Cotton, J.R., Macdiarmid, J.I. Control of human appetite: implications for the intake of dietary fat. Annu. Rev. Nutr., 1996, 16, 285-319. 3. Poppitt, S.D., Prentice, A.M. Energy density and its role in the control of food intake: evidence from metabolic and community studies. Appetite, 1996, 26, 153-74. 4. Stubbs, R.J., Harbron, C.G., Prentice, A.M. Covert manipulation of the dietary fat to carbohydrate ratio of isoenergetically dense diets: effect on food intake in feeding men ad libitum. Int. J. Obes. Relat. 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