homélie du jeudi-saint c`est l`heure de l`espérance

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homélie du jeudi-saint c`est l`heure de l`espérance
HOMÉLIE DU JEUDI-SAINT
C'EST L'HEURE DE L'ESPÉRANCE (1)
Je ne crois pas me tromper en affirmant que nous avons tout affronté, dans nos vies, des périodes
de crises: des crises personnelles, des crises dans nos familles, des crises dans notre travail.
Évidemment, les crises, ce n'est jamais agréable mais cela a au moins le mérite de permettre,
quand on le veut bien, de réfléchir en profondeur sur ce qui se passe et de prendre des décisions
majeures pour améliorer la situation.
Les événements majeurs dont nous faisons mémoire le Jeudi-Saint ont été vécus dans des
contextes de crises. La première lecture nous rappelle l'esclavage du peuple hébreu: toute une
crise qui a duré fort longtemps mais qui a permis au peuple hébreu d'établir de nouveaux liens
avec Yahvé, d'approfondir qu'Il était pour lui.
Quant à la Cène, «notre histoire fondatrice, l'histoire de la Nouvelle Alliance de Dieu avec nous»,
elle nous révèle un contexte de crise fort ébranlant: «Judas a vendu le Christ, Pierre est sur le
point de le renier et le reste des disciples s'apprête à fuir». C'était la nuit, non seulement en
rapport avec la période de la journée, mais aussi la nuit dans le groupe des disciples, la nuit dans
le cœur de Jésus qui affirmait que son «âme était triste à en mourir».
Pourtant, cette crise a été porteuse de vie car «l'Église est née au moment où elle se désagrégeait.
Une histoire s'était terminée: les Apôtres qui avaient conservé l'idée d'un Messie politique
(rappelons-nous ce que disaient les disciples d'Emmaüs: Et nous qui espérions qu'il serait le
libérateur d'Israël.» Une autre histoire commençait, celle-là beaucoup plus proche de la forme de
libération que Jésus était venu apporter: la libération du cœur. Alors de la nuit, a surgi le jour!
Cela s'est traduit par la résurrection de Jésus et par une nouvelle vie au cœur des Apôtres qui,
s'étant ressaisis, ayant mieux intégré le message de Jésus et devenus vraiment sensibles à la
présence de l'Esprit, partiront annoncer la Bonne Nouvelle.
«À chaque fois que nous nous réunissons autour de l'Eucharistie», nous faisons mémoire de cette
crise de laquelle l'Église est issue afin que cela nous encourage et nous aide à passer à travers les
crises actuelles: les nôtres, celles aussi que l'Église connaît à notre époque.
Mgr Albert Rouet, un évêque français, écrivait: «Les temps sont difficiles, c'est vrai. Mais n’y at-il eu jamais une époque facile? Les temps sont difficiles, pour nous comme pour tant d'hommes
et de femmes. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas faire de projet. Les difficultés actuelles
stimulent: c'est l'heure de l'espérance. Le Christ est Seigneur de l'histoire et rend à chaque temps
une <<année de grâce>>. Sa fidélité passe par notre histoire, par notre situation.» Le cardinal
Godfried Danneels écrivait de son côté: «Le principal service que l'Église peut rendre à la société
actuelle, ne serait-ce pas la proclamation joyeuse et forte de l'Évangile de l'Espérance?» Je
trouvais ces mots forts interpellant.
C'est donc l'heure de l'espérance! Quelle manière profonde de considérer ce que nous avons à
vivre actuellement parce que, réunis autour de la table eucharistique, nous sommes convaincus
que, de cette autre crise que vit l'Église, de la vie en surgira; comme à la suite de la Cène, notre
Église écrira une autre page d'histoire, différente des précédentes bien sûr, mais pleine de Dieu,
Père, Fils et Esprit.
Si cette conviction nous habite, c'est parce que nous croyons que tout «le travail de
transformation humanisante» que nous faisons pour rendre visible cette espérance et qui est
«symbolisé dans le blé transformé en pain, le Christ le transforme divinement, il en fait son
propre corps». Oui, tous ces efforts que nous faisons, dans cette période de crise, pour rendre
plus divin le monde dans lequel nous vivons et qui sont symbolisés par le pain et le vin, il le
«christifie» car il dit encore aujourd'hui: «Ceci est mon corps, ceci est mon sang»: en d'autres
mots, «la consécration du pain (et du vin), c'est le Christ qui christifie ce que nous avons
humanisé» en marchant «dans la longue nuit».
Cette conviction profonde devrait donc nous dynamiser pour continuer de servir en disant avec
enthousiasme: «Seigneur, puisqu'il en est ainsi, me voici; je veux encore mieux faire ta volonté».
Pour mieux donner suite à cet engagement, nous nous engageons de nouveau, ce soir, à soigner
notre tenue de service (car elle peut être «froissée» par l'égoï sme, l'insensibilité, le «je-m'enfoutisme») afin de faire pour d'autres ce que notre Maître et Seigneur a fait durant toute sa vie. La
nouvelle page d'histoire de notre Église s'écrira parce qu'il y aura encore des gens qui offriront
leur cœur pour faire renaître la Parole de l'Évangile dans les milieux dans lesquels ils vivent,
milieux qui ont leurs richesses et leurs pauvretés; pour faire valoir que la dignité de toute
personne dépend d'abord et avant tout du fait qu'elle est la bien-aimée du Père (il faut alors que
cela paraisse dans des mots qui créent de la vie et des gestes qui font du bien); pour «bien faire ce
qui est à faire, non pas tant au sens d'agir avec expérience et justesse, mais plutôt dans le sens
suivant: Faisons-nous vraiment ce que nous devrions faire aujourd'hui?».
«Si Jésus s'est saisi des traîtres, s'est entouré d'eux et en a fait son Église naissante», imaginez ce
qu'il peut faire, par nous, pour l'Église d'aujourd'hui. Ce soir, tout en lui rendant grâce pour sa
présence pleine de lumière sur notre chemin, signifiée spécialement par l'eucharistie, encouragés
de vivre dans l'Église qui est dans le monde de ce temps, prions pour que, comme Lui, nous
servions, sans cesse, avec bonté et justice, tendresse et miséricorde.
24 mars 2005
(1) Cette homélie a été largement inspirée par les textes suivants:
•P. Timothy Radcliffe, o.p. «Les prêtres et le crise de désespoir au sein de l'Église».
•Mgr Albert Rouet. «L'espérance ne déçoit pas».
•P. François Varillon, s.j. Chapitre «Il prit le pain» dans le livre «Vivre le
christianisme».
M. le cardinal Godfried Danneels. «L'Église et les défis du troisième millénaire».