le-defi-de-marcus

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Le Défi de Marcus Goniño
« Ce soir, dans votre ville, d’indomptables bêtes s’exhibent devant vos yeux
ébahis, de jeunes trapézistes s’envolent vers d’autres cieux et vos yeux sont leurs
ailes, des prestidigitateurs éveillent chez vous émerveillement, curiosité et
stupéfaction et des clowns divers et variés sont prêts à tout pour vous décrocher ne
serait-ce qu’un sourire. Ce grand spectacle vous est offert dans le fabuleux cirque
Circus Gonamaximus !
A la fin du spectacle, exceptionnellement au Circus Gonamaximus, le
spectateur lui-même éblouis le cirque de son talent ! Les volontaires intéressés sont
priés de se rendre au cirque, situé à La Place Circus pour l’inscription, une heure
avant le début du spectacle dernier délai. »
A la lecture de cette affiche, ma foi fort attrayante, je m’imaginais déjà le
spectacle avec ses animaux indomptables, certainement des lions ou des tigres
féroces, ou bien des éléphants au lourd poids ou encore des primates indisciplinés.
Je songeais aussi aux trapézistes, ces jolies jeunes filles et braves jeunes hommes
qui réalisent le plus vieux rêve de l’Homme, caresser les airs comme le font les
oiseaux ; non pas les oiseaux tels la, poule, l’autruche ou bien le dindon ou encore
le manchot, mais ceux tels le faucon, l’aigle, l’albatros ou le condor, autant d’oiseaux
gracieux.
Par ailleurs en parlant d’oiseaux disgracieux comme le manchot, je dois vous
avouer que je n’étais guère le genre de garçon doué et habile avec ses dix doigts,
non, j’étais plutôt son inverse et son contraire, j’étais le genre de garçon doué de
deux mains gauches et de deux pieds gauches, le genre de garçon qui faisait tout de
travers malgré lui, bref le genre de garçon maladroit. De surcroît, j’avais ce défaut de
naissance qui me gênait au quotidien ; je louchais. J’avais en effet hérité d’un
strabisme sévère. De ce fait, je étais l’objet des railleries de mes amis qui croyaient
amusant de me surnommer Cus-Œil-de-Lynx. De plus, ils surenchérissaient avec ma
maladresse et se plaisaient à m’appeler Cus-Bonne-Adresse. Autant de surnoms
transpirant l’ironie. Ironie blessante, surtout portant sur certains de mes rêves brisés
comme pilote d’avion ou de voiture de course. Or, pour cela, une bonne vue est de
rigueur. J’ai alors pensé au métier d’artisan, de potier plus exactement, étant en
admiration devant les collections d’anciens vases en céramique de ma mère. Mais
adresse et savoir-faire sont nécessaire, et je suis Marcus alias Cus-Bonne-Adresse.
Ainsi, un vent de désillusion emporta tous mes rêves. Tous sauf un, celui de réaliser
une prestation dans un cirque. Mes défauts m’avaient épargner une qualité, à savoir
celle faire rire les gens, à la manière des clowns. Qui plus est, ma maladresse
naturelle m’avantageait pour ce qui était du comique de geste. Ainsi, ce spectacle au
cirque serait l’opportunité de réaliser un autre de mes rêves : me produire en
spectacle. L’occasion de prouver à moi-même et à mon entourage que moi, Marcus
Goniño, étais capable de quelque chose avec mes dix doigts. Ce défi, si je le relevais
et que j’en sortait gagnant, on ne m’appellerait non plus Cus-Bonne-Adress ou CusŒil-de-Lynx, mais Sir Cus, l’artiste du Circus Gonamaximus. J’imaginais déjà la foule
en folie, les enfants plus qu’enthousiasmés crieraient « Encore Cus ! Encore Cus ! »,
les filles scanderaient mon nom : « Messire Cus ! Messire Cus ! », le tout ponctué de
cris stridents traduisant le bonheur que j’inspire à mon public.
Oui, j’imaginais déjà mon rêve devenu réalité et le vent de la victoire souffler sur ma
face satisfaite de ce défi relevé.
Je repris l’affiche et consultai les modalités d’inscription et m’aperçus qu’il
restait tout juste une demi-heure avant le début du spectacle. De plus, le cirque situé
à La Place Circus est à l’autre bout de la ville. Je me hâtai donc. Je me précipitai à
ma voiture, ma fidèle compagne de route qui jamais ne m’avait fait défaut. Ainsi
j’entrai dans le véhicule, insérai les clés, vibrai avec la voiture au démarrage du
moteur et m’arrêtai là ; ma chère voiture me fit comprendre qu’il lui manquait son
essence vitale sans laquelle elle ne pourrait en aucun cas carburer sur la route. Quel
conducteur indigne fus-je alors! Mais je n’avais pas le temps de l’abreuver en
hydrocarbure, je devais aller vite me rendre vous savez où. Je courus alors vers mon
scooter, garé devant ma maison. Or, étais ma grande stupéfaction, je constatai que
les pneus étaient crevés, sans doute un voyou qui avait cru malin d’y opérer
quelques bricoles pour améliorer mon scooter lequel nécessitait justement quelques
menues réparations. La voiture et le scooter tous deux hors course, il ne me restait
plus que deux options, le vélo ou les rollers. Seulement, rouler en vélo je ne savais
guère, je dois vous avouer. J’aurais pu à la rigueur rouler en tricycle mais c’était bien
trop honteux. Il ne me restait plus que l’option des rollers. Heureusement il y avait
encore une paire à la maison… « Ô rage ! Ô désespoir ! Dois-je croire que mes
derniers espoirs de rouler vers la victoire du Sir Cus, vers ma victoire, s’évaporent
avec cette paire de rollers trois fois trop petites pour mes pieds ? » eus-je pensé en
voyant la paire de rollers. Cependant je demeurais déterminé, étant un tantinet sportif
à mes heures je décidai de prendre mon courage à deux mains : je préparai pour
courir jusques au bout de la ville avant que les trente dernières minutes avant la
clôture des inscriptions. Je courus, je courus. J’allais haletant, je m’efforçais de
garder le rythme sinon d’accélérer, en dépit de crampes et de points de côtés.
Soudain, je traversai une allai de restaurants ; tous mes favoris répondaient
présents, les restaurants chinois comme italiens comme américains. Je pouvais
inhaler tous les parfums que les mets exhalaient. Les odeurs de viande et de sauce
appelaient comme les sirènes appelaient Ulysse, mais, de même que l’exilé
d’Ithaque, je tins bon. Un restaurant japonais fit son apparition, et là ce fut la fin de la
tentation ; j’ai en horreur la gastronomie nipponne.
J’arrivai enfin à destination, juste à temps pour mon rendez-vous avec mon
destin. Je cherchais le cirque des yeux, tête levée, me doutant que le Circus
Gonamaximus n’était pas seulement grandiose de par ses spectacles mais aussi de
par sa hauteur. Je ne voyais rien. Je commençais à paniquer. Je fouillais chaque
ruelle, en quête de la moindre trace du Circus. Rien. Le fabuleux cirque demeurait
introuvable, de même que la foule en folie qui allait avec.
Sur le trottoir d’en face, un bar café, nommé le Circus Café. J’y aller me
rafraîchir après cette course effrénée au cirque. Alors un vieux client m’aborda et
commença à me questionner, pour faire connaissance. Je lui appris que j’étais en
quête du fabuleux Circus Gonamaximus, et que…il m’arrêta net. Me fixa avec ce
sourire, amusé et presque railleur. Je m’interrogeais et l’interrogea, il me rétorqua le
verbiage qui suit :
« Oh mon ami ! Ne sais-tu donc pas qu’il ne faut point gober toutes les
mouches des papiers journeaux ?
-Vous voulez dire, ne pas croire ce que racontent tous les journaux, n’est-ce
pas ?
-Ne m’interromps pas, jeunot ! me somma-t-il. Tu es naïf et impoli de
surcroît…et en plus tu louches ? Purée de nous autres ! Madame Dame Nature ne
t’a pas fait que des cadeaux ! Enfin, toujours est-il qu’il ne faut pas croire tout ce que
l’on conte. Ce spectacle dont tu m’as parlé, le Circus Gonamaximus là, c’est moimême qui ai inventé tout ça et fait l’affiche, c’est de la flûte ! » Le vieux voulait dire
que c’était du pipo, rien de tout cela n’était vrai. Mais je ne pouvais pas le croire, pas
après tous mes efforts. Alors tout hébété je demandai :
« Comment cela ? Vous ne pouvez pas être sérieux ? et si c’est de la flûte,
comme vous dites, pourquoi cette affiche et pourquoi tous les murs de la ville
quasiment portent cette affiche ?
- Jeunot, la réponse est simple, je fais partie d’une association, Le Club des
Seniors. Chaque semaine nous nous réunissons dans ce bar café et nous nous
essayons à l’élaboration d’affiches, de publicités, d’annonces d’événements. Tu dois
savoir jeunot qu’avant qu’on soit retraités, on travaillait tous dans la pub et la
communication, ah ouais, c’était le bon vieux temps ! Le thème de la semaine était le
cirque. Tu vois jeunot ? y a une explication à tout. Ah et pour les affiches sur les
murs de la ville, un de mes petits enfants a cru bon de photocopier nos affiches et de
les placarder dans toute la ville, le salopiot ! il a puisé dans mon porte-monnaie pour
l’argent des photocopies ! Le sale gosse, dès que je le retrouve… »
Médusé, j’étais tout simplement médusé. A ces mots je quittai le bar café et
déambulait, voyant mes derniers rêves s’envoler comme ces papillons insaisissables,
papillonnant de fleur en fleur ; le papillon était mon rêve et il s’appelait Sir Cus, moi,
Marcus Goniño, étais la fleur. Le destin que je m’imaginais n’était donc qu’un de ces
mirages qui vont qui vous rendent fou ; ça n’était que l’illusion d’un oasis dans mon
désert. Et le vent de la désillusion refit son apparition, suivi de la pluie de la
déception. Je retournai ainsi chez moi, en marchant ballotté par l’ironie de la vie.
Voilà, vous savez toute l’histoire. Maintenant, quand vous vous demanderez
pourquoi je reste jour après jour le fessier ancré dans le fessier de mon fauteuil, le
dos adossé sur son dossier, les pieds en éventail devant la télévision, à siéger las
sans ambition, presque sans vie, vous vous rappellerez cette histoire.
Cela dit, j’aurai tout de même remporté un défi : courir à pieds jusques à
l’autre extrémité de la ville en une demi-heure, en dépit des crampes, le tout pour
une hypothétique prestation censée m’apporter succès et amour du public dans un
cirque qui n’existe finalement pas. Cela, est une réelle performance qui relève du
défi, et je défie quiconque d’en faire autant.