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Reportage De la toison à la pelote ! Fondée en 1830 par Jean-Antoine Allemand, la filature du Valgaudemar dans les Hautes-Alpes a su conserver son savoir-faire pour la fabrication de la laine et des fibres rares à partir de matières naturelles. Par Philomène Nwall-Galen. © Photos : Filature du Valgaudemar. N Un savoir-faire ancestral Depuis 1830, la Filature du Valgaudemar fabrique ses ichée dans un écrin de verdure, en bordure du Parc National des Écrins, la Filature du Valgaudemar est l’une des dernières entreprises familiales qui a su conserver un savoir-faire ancestral pour la fabrication des fils à tricoter à partir de matières naturelles. Créée en 1830 par Jean-Antoine Allemand, cette filature de Saint-Firmin (Hautes-Alpes) a su garder son âme tout en s’adaptant aux contraintes de la modernité et de la mondialisation qu’impose l’économie d’aujourd’hui. fils selon des principes immuables, gage d’authenticité. Ici, des ouvrières à l’œuvre dans les années 20. La diversification en marche et enfant du pays, a repris les rênes de la filature en début d’année après avoir occupé le poste de responsable commerciale pendant deux ans. Son challenge ? Faire connaître une entreprise familiale qui existe depuis près de 200 ans. Pour cela, elle compte avant tout sur « la qualité des laines du Valgaudemar » mais également sur les tricoteuses qui apprécient particulièrement ces laines irréprochables, été comme hiver. Car contrairement à une idée solidement ancrée, « la saisonnalité dans le monde du tricot est un mythe, notre boutique est ouverte toute l’année et les vraies tricoteuses tricotent de la laine quelle que soit la saison » commente-t-elle. La qualité : le levier du succès La Filature du Valgaudemar s’étend sur 2 000 m² répartis sur deux bâtiments de plainpied exclusivement réservés à la transformation et une bâtisse sur 3 niveaux, dédiée à la fabrication proprement dite. C’est ici que le visiteur pourra entendre le cliquetis des machines datant pour la grande majorité des Pure laine Le Fil K est un fil mèche 100 % laine. Il décline une large gamme de couleurs. Echeveau de 100 g, environ 100 m. 54 Fait Main Tricot n° 6 on peut aussi faire intervenir « la machine à écheveaux » qui permet alors de dérouler le fil sur le tube et l’enrouler autour d’un tambour. Selon les besoins, on peut également procéder à la « Teinture ». En effet, après dégraissage (élimination de l’ensimage), les fils sont teintés dans la masse de façon à amoindrir la consommation d’eau et optimiser la quantité de colorants utilisés. « Tous les coloris sont envisageables, la seule limite reste l’imagination » s’exclame Vinciane Allemand. Enfin, vient « la mise en pelote ». Après séchage, les écheveaux sont placés sur des « tavelles » pour être dévidés sur des cônes qui sont ensuite installés sur une « pelotonneuse » pour être transformés en pelotes. Une pelote pèse 25 ou 50 g, en fonction de la qualité du fil. L’étiquette de présentation est alors placée manuellement. Au total, ce sont en réalité vingt-cinq opérations qui ont été effectuées entre la toison et la pelote. La Filature du Valgaudemar est située à Saint-Firmin dans les Hautes-Alpes. Elle s’appuie sur sa connaissance du feutre aiguilleté pour développer de nouveaux produits en pure laine. années 50 ! Ici, 8 personnes se relayent chaque jour pour faire des laines Valgaudemar, les meilleures de France. Au fil des ateliers, le visiteur découvre la fabrication du fil à tricoter en cycle cardé, du nom de la machine principalement utilisée pour la transformation (la carde) et dont on est particulièrement fier ici, car cette technique est peu utilisée par la concurrence. La Filature alpine a connu des heures de gloire durant lesquelles la moitié du Chiffre d’Affaires se faisait avec les Etats-Unis (années 80). Un élan mis à mal par la crise du textile que traverse alors la France. Portée à la fois par ses clients et la ténacité de la famille Allemand, la filature renaît alors de ses cendres et se recentre sur l’essentiel à savoir : une fabrication française de qualité. Elle multiplie les salons grand public et professionnel. Par ailleurs, elle a mis en place un nouveau site de vente en ligne, développe des kits et produits finis pour la décoration d’intérieur en feutre de laine : « nous avons travaillé dans l’ombre pendant longtemps avec pour principale activité le travail à façon (transformation pour des éleveurs) et la fabrication de fil pour le tricot industriel » explique Vinciane Allemand. Cette jeune femme, dynamique, diplômée en commerce international sur un cône afin de supprimer les éventuels défauts grâce à un « épurateur ». Ensuite, place aux finitions. C’est ici que « La Retordeuse » entre en piste. Comme son nom l’indique, elle va « retordre » les fils, autrement dit assembler plusieurs fils simples entre eux. On obtient alors le fil que la tricoteuse retrouvera dans les écheveaux et les pelotes. Mais, à ce stade Afin d’impulser une nouvelle dynamique à l’activité commerciale, la Filature du Valgaudemar, en partenariat avec la Chambre de Commerce et d’Industrie, souhaite développer encore plus le tourisme industriel mais aussi se tourner vers les marchés européen, américain et asiatique. En ligne de mire : Un processus de fabrication immuable Si la filature a connu moult métamorphoses au cours de son existence, les grands principes de fabrication, eux, restent inchangés : à réception de la laine propre, déjà lavée, elle fabrique le fil jusqu’à la pelote teinte. Au commencement, il y a la matière première. Elle est travaillée selon son origine et sa race, avec adjonction d’eau et d’huile. Ce mélange, appelé « ensimage » la rend plus malléable. Puis vient le « Loup de garde » qui sert à mélanger les fibres afin d’aérer la laine et la rendre plus volumineuse. La « Carde » prend alors le témoin. Elle permet de transformer la laine en un « pré-fil ». L’étape suivante, le « Continu à Filer » va donner alors de la torsion au fil afin de le solidifier. Au « Bobinoir », on enroule le fil Ambroisia Slim Constitué à 100 % de mérinos, ce fil est naturel et très doux. Son originalité tient à la technique de cardage utilisée qui confère aux tricots des rayures dans un très beau dégradé de couleurs. Fait Main Tricot n° 6 55 Reportage faire découvrir le savoir-faire de la vallée. Si les fibres qu’utilise la filature proviennent du monde entier et sont sélectionnées avec le plus grand soin pour confectionner ses fils nobles (angora français, baby alpaga, chameau, laine, mérinos, mohair et soie) en revanche, toutes les opérations de fabrication sont effectuées dans ses ateliers alpins, dans le respect des méthodes ancestrales. La transformation des fibres animales in situ permet également de valoriser l’activité des producteurs. Par ailleurs, ces laines ne subissent aucun traitement. À cet effet, la Filature du Valgaudemar utilise des colorants certifiés Oeko-Tex (gage de qualité écologique des textiles), et bénéficie d’un écolabel européen (une distinction qui récompense les produits et les services respectueux de l’environnement). Les nombreux prix qu’elle a obtenus en la matière viennent récompenser cet effort de sauvegarde du « made in France » mais aussi la traçabilité dont fait montre cette entreprise familiale. Parmi ceux-ci, citons le label Qualité tourisme, le trophée de l’entreprise ainsi que la certification pour le tourisme industriel que vient de lui attribuer la région PACA. Dans les années 1970, en s’appuyant sur son procédé de fabrication en cycle cardé, la Filature du Valgaudemar a diversifié son activité par la conception et la fabrication d’isolants thermiques et acoustiques en fibre de verre E et laine de mouton pour les industriels (automobile, moto, construction navale et aéronautique, industrie chimique, etc.), les professionnels du bâtiment et les particuliers. Toujours en quête d’innovation, la filature alpine a élaboré ses Isolants Minces Réflectifs Valgaudemar (IMRV®) pour l’isolation des constructions. Pour réaliser ses iso- Mérinos Une qualité rare et recherchée disponible dans une large gamme de coloris. Ce qui permet de mettre en œuvre des créations diverses et variées. 56 Fait Main Tricot n° 6 La Carde Cette machine intervient en troisième position dans le processus de fabrication du fil et permet de transformer la matière première en un « pré-fil ». lants, la Filature du Valgaudemar a mis en œuvre la fameuse technique de l’aiguilletage. Et comme on dit ici, « tricoter les laines Valgaudemar, c’est tricoter une histoire ». Une histoire de famille À l’origine, la filature travaillait la laine des moutons de la vallée, pour habiller chaudement les habitants de cette région aux hivers froids et rigoureux. Elle était alors située au confluent de la Séveraisse et du Drac au lieudit « La Trinité ». Jean Joseph Allemand, fils du fondateur succéda à son père vers 1870. C’est à cette époque que la filature se déplaça vers l’amont de la Séveraisse, pour s’installer sur le site actuel près d’un cours d’eau afin de bénéficier de sa force motrice et aussi de disposer d’eau courante en grande quantité pour le lavage des toisons. À cette époque, la filature pratique en grand l’usage de l’échange : les éleveurs de moutons apportent leurs toisons brutes dans une charrette et repartent avec l’équivalent en fils à tricoter pour fabriquer chaussettes et pullovers, flanelle à sous-vêtements, couvertures mais aussi tissu dans lequel on taillait leurs vêtements et ceux de leur famille et jusqu’aux célèbres couvertures de cheval à damiers marron et blanc qui protégeaient en hiver tous les chevaux de la région. Ainsi, le paysan de la Vallée du Valgaudemar avait inventé le circuit court et pouvait vivre ainsi en autarcie quasi complète. Au lendemain de la guerre de 1914, Lucien Allemand, représentant la 4e génération, prit à 20 ans, la tête de l’entreprise, jusqu’en 1972. C’est sous sa direction que se développent les ventes des pelotes de laine à tricoter sous la marque « Laines de La Salette » puis les ventes aux Grands Magasins parisiens et la vente de fil pour le tricotage industriel de chaussettes et de pull-overs. Les célèbres expéditions alpines vers les sommets himalayens (Annapurna, Makalu, etc…) furent l’occasion de concevoir avec les tricoteurs des produits spécifiques (chaussettes, pantalons) pour lesquels la filature fournissait le fil et dont les marques existent encore aujourd’hui. Depuis sa création, six générations de la famille Allemand se sont succédé à la tête de l‘entreprise dont elle détient toujours la majorité. Depuis Saint-Firmin, la Filature du Valgaudemar tricote son histoire et celle des années à venir reste encore à tisser, sans faire de nœuds de préférence.