LE BIEN ET LE MAL EN COLO
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LE BIEN ET LE MAL EN COLO
LE BIEN ET LE MAL EN COLO Jean Houssaye Sciences de l’éducation CIVIIC – Université de Rouen Nous voudrions nous situer à l’articulation de la question de la socialisation et de la question de l’éducation morale, en considérant que cette articulation se joue et se donne aussi à voir dans les centres de vacances d’enfants. Nous ne voulons pas prétendre que les colonies de vacances sont un lieu privilégié d’éducation morale, même si nous pensons qu’elles sont une occasion spécifique de socialisation des enfants et des adolescents (Houssaye, 1995, 2005). En tout état de cause, la problématique de la morale ne peut être disjointe de celle de la socialisation, ni théoriquement, ni pratiquement. C’est pourquoi une colonie de vacances est un lieu d’expression morale et une occasion d’éducation morale, tantôt implicite et tantôt explicite. Autrement dit, les enfants en centres de vacances ont une vie morale. Mais comment peut-on en prendre connaissance et que peut-on en dire ? Sans nous laisser entraîner sur la pente délicate de la définition de la morale (ou de l’éthique), on peut avancer comme base reconnue qu’elle s’ancre sur le Bien (ou le bien) et le Mal (ou le mal). Posons donc simplement que les enfants ont des conceptions du Bien et du Mal (nous garderons les majuscules pour indiquer que ces termes renvoient à des entités au-delà des faits) et que les actes qu’ils posent ou que leurs pairs posent entrent d’emblée dans ce que l’on va appeler des jugements de valeurs. Qu’est-ce qu’un enfant en colonie de vacances reconnaît comme un bien ou un mal dans les actes qu’il pose ? Voilà la question que nous voulons aborder. Nous allons le faire à partir des résultats d’un questionnaire « secret », de façon à tenter de diminuer la réprobation morale qui ne peut que s’insinuer dans toute expression d’une image de soi négative à livrer aux autres. Nous sommes en fait confronté à un double problème : amener les enfants à s’exprimer intimement sur cette question ; faire une lecture armée de leurs réponses. Nous proposerons donc une grille d’analyse de l’expression des enfants, mais dans un premier temps nous rappellerons quelques éléments plus généraux sur cette question, sachant que les études sur cet aspect dans les centres de vacances n’existent pas. 1 – LE CONTEXTE 11 – Morale et socialisation Rappelons tout d’abord que le processus de socialisation est un processus de moralisation. Durkheim y tenait absolument, lui qui considérait la socialisation comme la transmission par la contrainte des valeurs morales les plus élevées de la société. Piaget, lui, tout en acceptant la nature empirique des valeurs morales, privilégiait la construction d’une identité morale par l’individu lui-même et par la mise en œuvre de ses capacités intellectuelles à différentes étapes de son existence. Que la socialisation se fasse par transmission ou par construction, elle comprend bel et bien la moralisation. Piaget a examiné le développement moral de l’enfant. Il considère que, avant sept ans, l’enfant pense et parle de manière égocentrique, même quand il est en société. Au stade préopératoire, l’enfant confond encore son propre point de vue avec celui de l’autre ; il adopte un comportement social instable et équivoque. Après sept ans, il devient capable de coopération, il devient capable de coordonner son point de vue et celui de l’autre. Rappelons-le cependant : on ne se socialise qu’avec des pairs, ou du moins on ne parvient à une forme élaborée de socialisation qu’en établissant des relations en dehors du milieu familial par l’intermédiaire de jeux et d’activités en général au sein d’un groupe. A ce titre, l’école socialise et moralise certes, mais elle reste centrée sur la relation privilégiée et duelle élève-professeur (qui est la relation institutionnelle rentable), même si le tiers-pairs est toujours présent. En centre de vacances par contre, le groupe de pairs devient plus facilement central et « éducatif ». Sous bien des aspects, la socialisation demeure le curriculum caché de l’école, tandis qu’en colonie de vacances elle est ouverte, surtout si les enfants y sont partie prenante des processus et des niveaux de négociation et de prise de décisions. On passerait alors d’une socialisation et d’une moralisation restreintes à une socialisation et une moralisation manifestes. En fait, si on parle de construction du jugement moral aujourd’hui, on pense davantage à Kohlberg (1969), disciple de Piaget, qu’au maître lui-même. Il distingue trois niveaux et deux stades par niveau. Au premier niveau, la moralité préconventionnelle, les punitions et les récompenses délimitent les notions de bien et de mal (stade 1 : obéissance par crainte de la punition ; stade 2 : recherche des récompenses). Au deuxième niveau, la moralité conventionnelle, la moralité se fait par adaptation aux attentes sociales et par respect des règles établies (stade 3 : conformité sociale ; stade 4 : légalisme). Au troisième niveau, la moralité postconventionnelle, c’est le jugement moral autonome qui est déterminant (stade 5 : morale du contrat et prise en compte des droits individuels ; stade 6 : adoption de principes éthiques universels). En tout état de cause, selon Kohlberg, les enfants partent tous du niveau 1 (orientation par la punition) et parviennent stade par stade au niveau 4 (orientation vers l’autorité) à l’âge de treize ans. Seuls 10% des adultes parviennent au niveau le plus élevé. On devra donc considérer qu’en ce qui nous concerne, les enfants questionnés en colonie de vacances ayant entre six et onze ans, on en restera aux premiers niveaux. Ceci étant, la question qui est posée à travers ces stades et ces niveaux est bien celle de la formation de l’éducation morale. On a l’impression que, chez Piaget comme chez Kohlberg, l’éducation morale est une affaire de développement moral. L’acquisition des normes est alors le fruit d’un processus « spontané » d’équilibration s’accomplissant entre les enfants. On peut s’interroger et considérer qu’en l’absence de conduites morales de base, c’est-à-dire de conduites élémentaires et traditionnelles déjà normées, le raisonnement moral aura du mal à se constituer et ne parviendra pas à se développer en tant qu’interprétation active (Le Du, 2006). Pour se construire, la moralité a besoin de se trouver immergée dans une tradition de pratiques. Beaucoup de principes ne sont pas acquis spontanément ou par répétition verbale, mais par monstration ou par d’autres moyens pratiques. Apprendre à est plus important que apprendre que ou apprendre comment. Ce qui signifie qu’il est plus intéressant et significatif, en matière d’examen de la moralité, de partir des actes que des intentions ou des appréciations. Amener quelqu’un à désigner ses actes moraux permet de recueillir à la fois ses actions et leur qualification morale. Un acte posé comme moral est un acte assumé pratiquement d’une part et jugé moralement d’autre part. Vouloir accéder aux jugements moraux des enfants suppose donc que l’on parte de leurs propres pratiques morales dans un contexte donné, ici les colonies de vacances. Le Bien et le Mal sont d’abord une histoire de comportements moraux. 12 – Les comportements moraux des enfants Beaucoup de recherches sociologiques et psychologiques se sont penchées sur la moralité des enfants. Elles ont surtout concerné l’école et elles se sont beaucoup centrées sur la question de la violence. Dans un article très intéressant, Montandon (2000) par exemple se demande comment les écoliers définissent les relations conflictuelles et/ou violentes qui ont lieu entre les pairs. Qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quelles raisons, quelles causes et quelles conséquences donnent-ils à ce type d’interactions ? Elle souligne qu’il faut considérer trois aspects sur cette question : les représentations du conflit et de la violence, soit le sens qu’on leur donne ; les émotions en tant qu’acteurs, témoins et parfois victimes ; les actions ou les stratégies mises en œuvre pour réguler les interactions. Ce qui est un moyen de rappeler que toute valeur est un mixte de cognitif, d’affectif et de conatif. Elle rappelle ensuite que les interactions sociales sont régies généralement par trois logiques : une logique de cohésion (liens d’amitié et actions de soutien, de solidarité, de coopération), une logique de régulation (justice, équité, loyauté, légitimité) et une logique de pouvoir (conflits, disputes, bagarres et différentes formes d’abus ou de violence). Elle montre que, face à ce qu’elle nomme des comportements « discutables », les enfants interrogés font preuve de représentations marquées par des jugements de valeur (« idiot », « méchant », etc.), une conscience de la relativité (acte intentionnel ou non, sérieux ou non) et une conscience de la légitimité (présence d’une provocation ou d’une intervention d’un adulte), d’émotions (colère, peur, pitié, tristesse, sentiment d’injustice, culpabilité, honte, sentiment de rejet) et de schèmes d’action (évitement, représailles, régulation, autorégulation, intervention externe). En comparant des écoles genevoises différentes, Montandon enfin estime qu’une pédagogie démocratique semble avoir des effets pacificateurs sur les enfants. Cependant les enfants des écoles « traditionnelles » parlent davantage de violence dans leurs classes que les enfants des écoles à la pédagogie « moderne ». Ils ont également un discours plus élaboré sur la violence, sur ses origines, sur leur propre responsabilité ; ils sont intéressés à discuter de la gestion de cette violence. Dans les classes « modernes », l’existence du dispositif du conseil de classe semble alors décharger les enfants de toute responsabilité personnelle concernant la gestion de la violence. Ce qui signifierait qu’il ne revient pas au même, du point de vue de la construction de la moralité, d’éduquer selon un choix pédagogique ou un autre. Rappelons sur ce point que, parce que nous donnons la priorité à la socialisation dans les centres de vacances, nous prônons une organisation de la colonie autour du pouvoir de décision des enfants et non plus autour du pouvoir de choix (1995, 2005). Et pourtant, toutes les études ne vont pas dans le sens souligné plus haut. Debarbieux et Caralp (1996), pour leur part, avaient précédemment analysé la pédagogie Freinet sous cet angle. Ils commençaient par noter que cette pédagogie est cohérente avec les choix pédagogiques des classes moyennes, qui privilégient une vision « non-violente » de l’éducation et font de la violence la part refoulée de l’école. Plus qu’ailleurs, actuellement, les choix éducatifs Freinet interdisent la violence en l’obligeant à passer par la parole. Dans les classes observées, lorsque le conflit a eu une issue violente, le processus est mis sous les yeux de tous, pour trouver solutions et compromis (c’est à 84% des bagarres dans la cour de récréation). Le dispositif pédagogique (notamment le conseil et son « je critique… ») induit que, même s’il y a moins de violence en actes qu’ailleurs, elle n’en sera pas moins perçue comme une forte gêne. Bien entendu, envisager la moindre bagarre pour s’efforcer de la résoudre par la parole a une forte valeur éducative ; le conflit y devient constructif. Mais cela se paye par une forte importance accordée au coup de pied, à la bousculade, à tous ces frottements habituels de la vie d’un groupe d’enfants. C’est sans doute le prix à payer pour passer du droit à la non-violence. Le conflit est ainsi repéré, connu, reconnu et traité ; il est géré collectivement et coopérativement par les enfants, dans des temps officialisés. Socialisation et moralisation se donnent la main dans un processus éducatif singulier et significatif. Mais parler de violences à l’école, c’est se trouver confronté immanquablement à la question de la différence entre les garçons et les filles. Une étude britannique de Boulton (1993) nous donne ici des informations pertinentes. Sont ici analysés, à la suite d’entretiens et d’observations, les actes agressifs, dans la cour de récréation, de garçons et de filles de 8 à 11 ans dans deux écoles anglaises sans difficultés particulières. Les parents et les élèves étaient avertis de l’interdiction de se battre, sous peine de sanctions allant jusqu’à l’exclusion. Or que ressort-il ? 2/3 des garçons et 1/3 des filles reconnaissent avoir participé à des rixes au cours de l’année scolaire. Quelles sont les causes les plus fréquentes, selon les enfants impliqués dans ces rixes ? Pour les filles, par ordre décroissant, les taquineries et les vexations, les disputes pour la possession d’un objet, les brutalités et les blessures infligées involontairement. Pour les garçons, toujours par ordre décroissant, les brutalités sans motif, les désaccords pendant un jeu, la volonté de puissance. Les actes de violence sont loin d’être rares, puisque, en 40 minutes d’observation discrète, c’est 144 actes d’agression qui ont été identifiés. Y a-t-il des différences significatives selon les âges et les sexes ? Oui. Dans les bagarres sans cause apparente, la proportion d’enfants de 8 ans est plus forte que prévue (42%) et celle des enfants de 11 ans est moins forte que prévue (11%). La lutte pour l’appropriation de l’espace implique plus de garçons et moins de filles que prévu, mais surtout, parmi les garçons, plus de 8 ans et moins de 11 ans que prévu. Enfin les taquineries et les perturbations de jeux sont lancées en majorité par les garçons contre les filles à 8 ans, contre des filles ou des garçons à 11 ans. Il y aurait donc bien des effets d’âge et de sexe. Boulton rappelle aussi, à partir des enquêtes d’autres chercheurs, que plus de la moitié des élèves ont été impliqués dans une agression. Certes les conflits peuvent être bénéfiques, car on peut considérer, d’un certain point de vue, qu’il est nécessaire que les enfants s’habituent à une certaine hiérarchie dans les rapports sociaux. On sait ainsi que les enfants qui acceptent de se battre sont mieux considérés par leurs pairs et qu’une démonstration de force opportune permet au dominant d’être ensuite respecté sans avoir à se battre, réalisant de cette manière une économie de conflits. De même, de solides disputes, une fois réglées, n’entravent pas la reprise spontanée des relations amicales ; les enfants testent les limites de tolérance de leurs pairs sans atteindre la rupture et, la plupart du temps, les rixes sont très brèves. Enfin on évoquera ce qu’a montré Rayou (1999) sur la cour de récréation. Garçons et filles sont grands de deux manières différentes : les garçons quand ils montrent leur force physique, les filles quand elles peuvent maintenir secrètes leurs inclinations et leurs connivences. Pour rabaisser un garçon, il faut le pousser à quitter l’affrontement violent ; pour rabaisser une fille, il faut lui faire éprouver, par l’exclusion, son indignité à faire partie du groupe choisi. En l’absence de transcendance morale qui organiserait les interactions dans la cour, les enfants se plient plutôt à une sorte de droit naturel. Dans le monde enfantin, on passe en permanence par des étapes sanctionnées par des défis physiques, intellectuels et affectifs. L’école contribue certes grandement à ces franchissements, mais elle ne parvient pas à cadrer totalement les incertitudes liées à la croissance des corps et à l’évolution des rapports entre les pairs. Pour autant, les enfants aspirent à transformer en une sociabilité plus stable et plus épanouissante les rapports de force qui s’expriment à l’école. Le jeu, d’ailleurs, semble prendre dans ce processus une place centrale. Une fois encore cependant, il convient de faire remarquer que, malgré quelques intersections, les jeux restent fortement sexués. Il n’empêche. La colonie de vacances n’est pas l’école et nous avons pu montrer combien la socialisation y est forte entre les âges et entre les sexes. La question de la morale et de la moralité doit bien pouvoir y être aussi envisagée. Mais comment ? D’un point de vue méthodologique, nous allons nous appuyer sur l’analyse originale que fait Casalfiore (s.d.), car elle peut, nous semble-t-il, être transposée avec profit au monde des centres de vacances. Elle analyse 57 récits d’un incident critique en lien avec une situation scolaire belge difficile sur le plan de l’autorité et dans laquelle le récitant a été impliqué. Nous sommes certes toujours dans le domaine scolaire, mais la pertinence de la recherche tient à la grille d’analyse de ces incidents. La base est la suivante : la nature de ces évènements critiques relève de trois domaines sociaux, le domaine moral, le domaine conventionnel et le domaine personnel. C’est cette distinction, que nous allons expliciter un peu plus loin, que nous reprendrons pour notre champ spécifique. Contentons-nous, pour le moment, de rappeler certaines conclusions assez pessimistes de cette étude, même si elles sont plus générales. Elle distingue, dans les réactions des protagonistes (élèves, professeurs, parents) quatre stratégies de négociation interpersonnelle différentes : au niveau 0, on trouve les réactions impulsives, l’agression physique, ou le retrait et les conduites de protection ; au niveau 1, on distingue les réactions de type autoritaire ou assertif (requêtes, avertissements, menaces) ou de résistance, de soumission docile, d’opposition non argumentée ; au niveau 2, on va rencontrer les réactions basées sur l’influence psychologique (recours à la persuasion, au marchandage ou à la conciliation) ; au niveau 3, on classe les réactions de recherche de collaboration, l’adaptation à chacune des parties en vue d’un accord mutuel. Or, qu’est-ce qui se dégage de tous ces évènements critiques ? Que, chez les acteurs de l’école, le niveau 1 l’emporte largement, que le niveau 0 est beaucoup plus rare, que le niveau 2 est un peu plus présent, alors que le niveau 3 est très peu fréquent. Autrement dit, le milieu scolaire fonctionne principalement à l’imposition autoritaire, à la résistance et à la soumission. Dans des recherches précédentes, Casalfiore avait déjà montré que, dans le secondaire belge, du côté des élèves, les réactions coercitives et les stratégies de retrait sont très fréquentes entre élèves et vis-à-vis des enseignants, et que, du côté des enseignants, les réactions unilatérales et autoritaires sont habituelles. Ce contexte relationnel rend peu probable l’apparition, en cas de conflits, de comportements interpersonnels stimulants pour le développement des compétences sociales (décentration, gestion des émotions, coopération) et la prise d’autonomie. Quoi qu’il en soit, ce qui apparaissait aussi, c’est que 70% des évènements concernaient des transgressions liées au domaine conventionnel (principalement mener une activité parallèle à celle demandée au groupe classe : bavardage, déplacement intempestif, refus d’une consigne, réplique, retard, tenus vestimentaire, sanction, cohésion des adultes). De son côté, Montandon (2000) a bien montré (cf. plus haut), en analysant les comportements scolaires considérés comme « discutables », qu’ils sont avant tout de trois ordres : les comportements de type moral (insultes, provocations, moqueries), les comportements de type physique (coups, chutes) et les comportements de type matériel (emprunts, salissures, vols). Mais l’école n’est pas la colonie de vacances… 2 – ANALYSE 21 - Instrumentation Qu’est-ce qu’un enfant en colonie de vacances reconnaît comme un bien ou un mal dans les actes qu’il pose ? Voilà ce que nous cherchons à comprendre. Nous avons donc choisi d’étudier la moralité à partir des actes jugés bons et mauvais par les enfants. Ce que nous venons de présenter nous incite à insister tout particulièrement sur plusieurs points : la moralité et la socialisation, la nature du Bien et du Mal, l’influence du sexe, de l’âge et du milieu social. En tout état de cause, une analyse ne peut être menée que sur du matériel. Quel sera-t-il ? En juillet 2002, nous dirigions un centre de vacances sur la base d’un projet pédagogique centré sur le pouvoir de décision des enfants (Houssaye, 2005). A la fin du séjour des différents groupes, estimant que le climat de confiance entre les animateurs et les enfants était réel, nous avons demandé à un animateur par groupe de distribuer à chaque enfant un questionnaire anonyme intitulé « La boîte à secrets », en expliquant aux enfants que ce questionnaire était destiné à mieux connaître les enfants et qu’ils n’auraient plus rien à voir par la suite avec leurs réponses. Il leur était donc demandé de bien vouloir remplir ce questionnaire et de le déposer dans la « boîte à secrets » de leur groupe. Si les enfants avaient des difficultés d’écriture, ils pouvaient s’adresser à d’autres enfants, mais non à un adulte. Par contre, les animateurs en charge de la distribution des questionnaires pouvaient relancer les enfants pour les inciter à répondre, sans savoir s’ils l’avaient fait ou non. La très grande majorité des enfants, comme on le verra plus loin, ont effectivement répondu aux quatre questions suivantes (complétées par l’âge et le sexe) : - « Ma plus grosse bêtise pendant cette colonie, c’est quand… » - « Ma plus grosse bêtise dans une autre colonie ou dans un centre aéré ou à la maison ou à l’école ou dans la rue, c’est quand… » - « La fois où j’ai été le plus gentil dans cette colonie, c’est quand… » - « La fois où j’ai été le plus gentil dans une autre colonie ou dans un centre aéré ou à la maison ou à l’école ou dans la rue, c’est quand… » Un tel questionnaire comprend indéniablement bien des biais. Ne serait-ce que parce que c’est un questionnaire et qu’il incite les enfants à répondre tout autant par rapport à un réel supposé et attendu qu’à un réel effectif et vécu. De même on ne peut aborder avec les enfants les concepts du Bien et du Mal en tant que tels ; il faut utiliser des termes qui soient inducteurs pour eux : les mots « bêtise » et « gentil » ne sont évidemment pas synonymes de Bien et de Mal ; ou plutôt ils n’épuisent pas les significations possibles du Bien et du Mal, mais ils les réduisent, le premier sous un angle matériel, le second sous un angle relationnel. Acceptons ces limitations et considérons que ces biais permettent d’approcher les conceptions du Bien et du Mal des enfants, sans les épuiser pour autant. En tout état de cause, les termes utilisés semblent avoir été facilitateurs de l’expression des enfants, si l’on considère les réponses obtenues. Réponses qui cependant ne peuvent pas toutes être exploitées, parce que certaines ne sont pas compréhensibles (c’est parfois le prix à payer pour que les réponses soient moins biaisées…). Rappelons-le. Nous sommes en quête des conceptions du Bien et du Mal des enfants en colonie de vacances à travers leurs actes. Nous leur avons donc demandé de livrer des faits. Mais comment les analyser ? Nous avons ainsi choisi de reprendre la classification de Casalfiore (s.d.) qui distingue trois domaines sociaux. Le premier est moral : il comprend les événements liés aux notions de justice, de bien être et de droit des personnes (exemples : meurtre, inceste, viol, discrimination, atteinte à l’intégrité physique des personnes). Les règles perçues comme relevant de ce domaine sont vécues comme des obligations incontournables qui régissent les relations sociales, indépendamment des lois ou des règlements propres à une institution, un groupe ou une culture. Ces règles sont considérées comme intangibles, ce qui fait que leur transgression est jugée négativement. Le deuxième domaine est nommé conventionnel : il inclut les événements touchant des concepts relatifs à l’organisation sociale et au fonctionnement collectif. Ces règles servent à coordonner les contacts entre les individus à l’intérieur d’un système social donné ; elles sont établies à l’intérieur de ce système qui peut décider de les modifier (exemples : ne pas sauter sur les lits, faire le silence, respecter le matériel). Ces règles ont un caractère arbitraire ; le caractère transgressif d’un acte ne vient pas de sa nature, mais du fait qu’il enfreint une directive énoncée par la figure d’autorité ou une règle établie par et pour le système social. Le troisième domaine est personnel : il concerne les événements relatifs à soi, à l’identité des personnes et au mode de fonctionnement individuel. Les règles concernent alors les principes que les individus désirent suivre dans leur vie privée ; elles se fondent sur des choix personnels qui ne dépendent ni des prescriptions ou des interdits moraux, ni de régulations sociales (exemples : habillement, hobbies, préférences). Personnelles, elles participent plutôt à la délimitation des frontières entre l’espace social et l’espace privé. Elles sont certes construites à travers une négociation sociale, mais leur enjeu est directement centré sur l’auteur de l’acte et non pas sur le bien-être d’autrui ou l’organisation du système social. Nous y inclurons les choix affectifs, dans la mesure d’une part où, dans notre étude (contrairement à celle de Casalfiore), nous envisageons aussi bien les événements positifs que les négatifs, et dans la mesure d’autre part où le choix, tout en étant posé comme une action sur autrui, est avant tout une action émanant de la décision de l’acteur. Nous privilégions donc cette classification, en sachant bien que certains énoncés sont très difficiles à classer dans un domaine plutôt que dans un autre. 22 – Résultats Nous allons croiser les réponses des enfants aux questionnaires avec la catégorisation présentée. Dans un premier temps, nous nous contenterons de considérer cette répartition selon trois variables : le sexe (filles/garçons), l’âge (67/8/9/10/11-12 ans) et l’appartenance sociale (milieux sociaux mélangés/milieux populaires). Nous sommes ainsi en présence de quatre grilles d’analyse relatives aux quatre questions posées aux enfants (cf. plus haut) et que nous pouvons intituler successivement : - Grille 1 = le Mal dans ce centre de vacances ; - Grille 2 = le Mal en dehors de ce centre de vacances ; - Grille 3 = le Bien dans ce centre de vacances ; - Grille 4 = le Bien en dehors de ce centre de vacances. 221 – Éléments globaux (cf. tableau 1) Le premier élément à prendre en compte concerne le nombre de questionnaires recueillis : 103 réponses pour 111 enfants, soit un pourcentage plus que satisfaisant que l’on peut attribuer à plusieurs facteurs : la confiance des enfants, le caractère restreint des réponses sollicitées, la pression des animateurs chargés de distribuer les questionnaires… Il est évident que la qualité des retours des enfants (au sens de l’intérêt réel qu’ils y ont porté) a dépendu en grande partie du savoir-faire des animateurs. On note ainsi, sur un groupe, un grand nombre de réponses du type « je sais pas », qui témoigne en fait de la non implication des enfants en réponse à un manque d’engagement peut-être un peu trop visible de la part de l’animateur chargé de l’enquête. Comme dans toute interaction humaine, la qualité de l’échange dépend de la qualité de l’initiateur. Quoi qu’il en soit, les enfants ont accepté massivement de répondre. Nous avons pris en compte toutes leurs réponses, c’està-dire toutes celles qui étaient explicites. Nous n’avons pas relevé les absences de réponses ; par contre, nous avons retranscrit les « je ne sais pas », parce qu’ils témoignent d’une réponse explicite indéfinie intéressante à examiner. Sur les 103 réponses, nous distinguerons 74 enfants de milieux sociaux mélangés (m) et 29 enfants de milieux populaires (p). Les enfants de milieux sociaux mélangés viennent à la colonie soit en individuels (paiement directement par les familles), soit par un comité d’entreprise (qui donne plus ou moins des aides aux familles) ; on est donc en présence d’une certaine mixité sociale. Les enfants de milieux populaires, eux, sont tous envoyés par la ville de Clichy-sous-Bois (93390), qui poursuit une politique affirmée d’aide au départ en vacances d’enfants de milieux défavorisés. En raison du nombre restreint d’enfants concernés, nous éviterons les statistiques et nous nous contenterons de prendre en compte grossièrement le fait que le rapport des enfants (m) est environ de 3/4 et celui des enfants (p) de 1/4. Le rapport garçons/filles, lui, est presque équilibré, puisque, là où les réponses sont les plus nombreuses, on relève 53 réponses explicites pour les garçons contre 46 pour les filles. Par contre, élément peut-être non attendu, les filles ont tendance à moins s’exprimer que les garçons (elles ne sont que 36 à fournir une réponse explicite au premier questionnaire quand les garçons, eux, sont 52). Pour ce qui est des âges, le nombre d’enfants concernés est croissant : on trouve au maximum 13 enfants de 7 ans, 15 de 8 ans, 18 de 9 ans, 33 de 10 ans et 34 de 11 ans. Mais, là encore, les différences sont sensibles : plus les enfants sont âgés et plus leurs réponses sont explicites et exploitables (ce qui ne saurait nous étonner…). 222 – Le Mal dans cette colonie de vacances (cf. tableau 2) Venons-en maintenant au cœur du sujet, soit à la détermination du Bien et du Mal selon les trois domaines distingués, le domaine moral, le domaine conventionnel et le domaine personnel. Qu’en est-il pour la première grille d’analyse relative au Mal dans ce centre de vacances de juillet 2002 ? Rappelons que la question posée était la suivante : « Ma plus grosse bêtise pendant cette colonie, c’est quand… » Les trois domaines sont concernés, pratiquement à égalité (35, 29, 26). L’aspect moral est donc dominant ; il recouvre plusieurs catégories : l’atteinte à l’intégrité physique en premier lieu (taper, frapper) (22 fois par rapport à d’autres enfants, comme le complexe « j’ai fait tomber Loïc à l’eau (malgré sa coupure derrière l’oreille) à la voile » ; 2 fois par rapport aux animaux, comme l’original « j’ai fait exploser des crabes avec des pétards ») ; l’intégrité psychologique en deuxième lieu (insulter, traiter, se moquer – exemples : « j’ai traité Killian de merde » ou « j’ai traité Fabien de bouboule ») (10 fois par rapport à d’autres enfants, 2 fois par rapport aux animateurs) ; l’intégrité matérielle en troisième lieu (4 vols). L’aspect conventionnel est aussi important (29 réponses) ; nous distinguerons ici deux aspects : le matériel (14 notations du type « j’ai cassé », « j’ai détruit », « j’ai jeté ») et les règles de vie (17 notations). Sur ce dernier point, on peut distinguer ce qui concerne directement les autres enfants (7, comme « j’ai réveillé Gaëlle » ou « j’ai fait la merde pendant la nuit »), ce qui concerne les animateurs (4, dont « je suis parti à la plage sans mono » ou « je suis sorti du centre pour aller dans les champs ») (même si, bien entendu, la plupart des notations relatives aux enfants concernent aussi les animateurs, ne serait-ce que dans leur rôle de gardiens de l’ordre – exemple : « je suis allée dans la chambre des garçons pendant la nuit »), ce qui concerne les animaux (3, dont « j’ai perdu la souris » ou « mettre la poule dans l’eau ») et ce qui concerne le langage (3 « j’ai dit des gros mots »). Le domaine personnel vient donc en dernier (26 notations). Mais son statut est spécial car, sous cette rubrique (par convention de notre part certes, mais aussi parce que c’est là que s’expriment les sentiments), on trouve aussi bien les « je sais pas » (4) que les « rien » ou « jamais » (8). Ils sont donc 12 enfants à ne pas trouver d’acte répréhensible émanant d’eux pendant ce séjour. On ne s’en offusquera pas ! Il reste donc 14 énoncés dans ce domaine que l’on répartira en deux catégories : les disputes/taquineries envers les autres (8, comme « j’ai embêté », « je me suis disputée », « j’ai dit que Thibault aime Marion ») et le manque de contrôle de soi (5, comme « j’ai gueulé », « je me suis énervé », « j’ai fait pipi au lit »). De manière générale concernant cette première question, il apparaît que les filles sont moins loquaces que les garçons sur le sujet et que les plus âgés s’expriment proportionnellement moins que les plus jeunes. Bien entendu (en termes de stéréotypes), les aspects physiques sont dominants pour les garçons (frapper/taper) et les disputes/taquineries davantage représentées chez les filles. Il est par contre difficile de trouver une différence entre les milieux sociaux, même si les enfants de Clichy (p) donnent proportionnellement moins de réponses. En résumé, qu’est-ce que c’est que se conduire mal dans cette colonie de vacances ? C’est en premier lieu et par ordre décroissant, dans le domaine moral, porter atteinte à l’intégrité physique des autres enfants. C’est en deuxième lieu, dans le domaine conventionnel, enfreindre les règles de vie. C’est en troisième lieu, toujours dans le domaine conventionnel, ne pas respecter le matériel. C’est en quatrième lieu, dans le domaine moral, s’attaquer à l’intégrité psychologique des autres. Et c’est en cinquième lieu, dans le domaine personnel, se disputer avec ses pairs. 223 – Le Mal en dehors de ce centre de vacances (cf. tableau 3) Dans cette deuxième grille, le domaine conventionnel (47 réponses) l’emporte sur le domaine moral (34 réponses), tandis que le domaine personnel est peu présent (16 réponses). Rappelons que la question posée était la suivante : « Ma plus grande bêtise dans une autre colonie ou dans un centre aéré ou à la maison ou à l’école ou dans la rue, c’est quand… ». Reprenons l’ordre d’analyse que nous avons initié. Le domaine moral reste très présent, mais il semble très dispersé quant aux lieux concernés : 17 réponses ne donnent pas de référence explicite et, quand elles sont spécifiées, elles concernent aussi bien la maison et la rue (5 notations chacune) que les centres de vacances (4 notations). Par contre, l’intégrité physique est toujours très majoritaire puisqu’elle recueille 24 notations. Les manquements moraux, sur ce plan, concernent avant tout les autres enfants (14 réponses, très variées, puisque cela va de « j’ai failli noyer quelqu’un », « j’ai ouvert la mâchoire et la tête à quelqu’un » à « j’ai donné le torticolis à quelqu’un » ou « j’ai fouetté quelqu’un avec un fouet de fleurs »), puis les frères et sœurs (4 réponses, dont « « j’ai tapé ma sœur » ou « j’ai mordu mon frère sur le torse »), les adultes (4 réponses, comme « j’ai griffé un animateur » ou « balancer un gâteau dans la tête d’un mono » ou encore l’original « avoir poussé son prof dans la bouse ») et les animaux (2 réponses, dont le cruel « j’ai arraché la queue d’un lapin »). Outre l’intégrité physique, on trouve des actes qui visent l’intégrité matérielle (8 notations, soit 6 vols – « j’ai volé des pierres rares » ou « j’ai volé un CD dans un magasin » ou le pédagogique « j’ai volé des bonbons dans une boulangerie, mais après je les ai rendus et elle me les a fait payer et je les ai gardés » - et 2 actes de vandalisme – « péter les vitres et le pare-brise d’une bagnole » et « j’ai cassé une vitre d’une voiture ») et enfin, très minoritaires, l’intégrité psychologique (3 insultes, envers sa mère ou sa copine). Le domaine conventionnel est donc ici majoritaire (47 notations). Cette fois, il est très bien spécifié et concentré, puisqu’il concerne essentiellement la famille (27), devant la rue, l’école ou les centres de vacances (5 chacun). On peut y distinguer ce qui relève du matériel (33 notations) et ce qui relève des règles de vie (12 notations). Le matériel, c’est d’abord le matériel de la famille que les enfants cassent plutôt involontairement (15 notations au minimum qui parlent d’assiettes et de verres, de vitres et de fenêtres, d’ordinateurs et de voitures, de vases et de livres). C’est ensuite le matériel d’autrui, en dehors de la famille (7 notations au moins, et il s’agit alors de voiture, de tableau, de statue, de tente, de vitrine – exemples : « j’ai cassé une vitrine avec mon skate-board » ou « je suis montée sur une voiture »). C’est enfin, rarement, son propre matériel (2 « j’ai cassé mon ordinateur »). Quant aux 12 notations liées aux règles de vie, elles concernent avant tout les adultes (9 notations, dont 7 fois les parents) ; on peut y distinguer ce qui relève du contrôle social (5 notations relatives aux convenances ou aux relations, comme « j’ai parlé en classe et mon maître m’a grondé », « j’ai désobéi à mes parents en invitant des copains » ou cette culpabilité qui semble bien ancrée chez un garçon de 11 ans qui tient à dire que « à 4 ans, j’ai dessiné sur le mur »…) et ce qui a trait à la sécurité physique de l’enfant lui-même (4 notations, comme « j’ai failli me faire écraser par une voiture » ou « partir à la boulangerie sans prévenir personne »). Notons enfin que la question du langage est absente (1 seule notation, « j’ai dit un gros mot au solfège »). Arrivons maintenant au domaine personnel, beaucoup moins bien représenté (16 notations). D’autant que 6 d’entre elles relèvent du « je sais pas », même si « rien » ou « jamais » n’apparaît pas dans cette grille. On peut penser, ici aussi, que la maison est la référence principale (5 notations), bien que le lieu ne soit pas précisé dans la plupart des cas (9 fois) ; les autres lieux sont absents en tant que tels (le centre de vacances est seul à apparaître, 2 fois). De quel ordre sont les actes dans ce domaine ? 3 témoignent d’un manque de contrôle de soi (« j’ai eu peur de mon chiot », « j’ai fait caca dans ma culotte »), 3 font curieusement état d’une négligence par rapport au père (« j’ai oublié l’anniversaire de mon père » se retrouve chez 3 filles de 11 ans !) et 2 tiennent aux disputes et aux taquineries (dont l’énigmatique « je dis que je veux être adoptée », chez une fille de 9 ans). Au total, qu’est-ce que faire le mal en dehors de ce centre de vacances ? C’est, par ordre décroissant d’importance (si l’on retient une entrée strictement quantitative) : les atteintes au matériel de la famille ; les atteintes à l’intégrité physique des pairs ; les manquements aux règles de vie ; les atteintes à l’intégrité matérielle. Nous sommes donc bien dans une dominante du domaine conventionnel puis du domaine moral, avec un effacement du domaine personnel. Qui plus est, l’essentiel des actes considérés comme délictueux par les enfants relèvent de l’univers familial, les autres domaines étant peu présents mais de façon équivalente (sauf le centre de loisirs qui n’apparaît jamais). Filles et garçons sont pratiquement à égalité (46 et 53), même si les garçons sont un peu plus présents dans le domaine moral, principalement parce qu’ils font preuve de plus d’atteintes à l’intégrité physique. Mais on ne peut dire la même chose dans le domaine conventionnel : filles et garçons cassent autant, mais les garçons partent plus facilement de chez eux sans prévenir. Il est difficile de trouver des différences significatives entre les âges, même si les enfants de 11 ans sont beaucoup plus présents (34 notations pour 34 enfants), alors que ceux de 10 ans sont beaucoup plus réservés (21 notations pour 33 enfants). On aura du mal à expliquer cette différence, d’autant que les autres âges restent proportionnels à leur nombre. Enfin les milieux sociaux ne donnent pas de grande différence, sauf peut-être sur un point : les enfants de milieux populaires sont plus présents dans le domaine conventionnel qui, rappelons-le, est d’abord lié aux questions matérielles dans la famille. Cassent-ils davantage ou les familles populaires sont-elles plus sensibles aux aspects matériels ? 224 – Le Bien dans ce centre de vacances (cf. tableau 4) La surprise, ici, vient de ce que, quand il s’agit du Bien, le domaine moral est totalement absent. Rappelons que ce domaine recouvre les règles perçues comme des obligations incontournables qui régissent les relations sociales, indépendamment des lois ou des règlements propres à une institution, un groupe ou une culture. Autant les notations sur le Mal dans le centre de vacances relevaient principalement de ce secteur (autour des coups, des insultes et des vols), autant le Bien ne s’y inscrit pas. Ce qui peut se comprendre en négatif, par le fait que le Bien par définition suppose que les prescriptions qui le définissent vont de soi. Un peu comme si le domaine moral fonctionnait en creux, dans la transgression, et que son respect ne pouvait pas vraiment être explicite, puisqu’il est en principe incontournable. En quelque sorte je dois signifier que je fais du mal à quelqu’un, je ne peux pas souligner que je ne lui fais pas de mal. Est-ce à dire que le Bien est irreprésentable, que la conscience du Bien ne peut se manifester ? Non, bien entendu, mais elle le sera à travers les autres domaines, et principalement dans le domaine personnel (65 notations), bien avant le domaine conventionnel (23 notations). Ce qui signifie que la domination du domaine moral pour ce qui relève du Mal est le double inversé du domaine personnel pour ce qui relève du Bien. Le domaine conventionnel, lui, n’est pas absent, même s’il est minoritaire. On y retrouve essentiellement tout ce qui concerne les aspects matériels, non plus en manque (j’ai dérangé, j’ai cassé, j’ai détruit), mais en plein (12 notations autour de « j’ai aidé à ranger la salle d’activités », « j’ai fait le ménage dans ma chambre », « j’ai fait les lits dans cinq chambres », « j’ai aidé la femme de ménage »). Par contre, les règles de vie n’apparaissent plus (en dehors, peut-être, du « j’ai retrouvé la souris noire et blanche »). La forme de la question posée ( « La fois où j’ai été le-la plus gentil-le dans cette colonie, c’est quand… ») a aussi induit des réponses du type du lieu où les enfants estiment avoir été gentils ; c’est pourquoi on trouve 9 notations de ce type (dont 3 citent la boum, 2 les repas –« c’est quand je mange »- et 2 le sommeil –« c’est quand je dormais », sans doute en écho à la phrase parentale assez fréquente : « c’est quand tu dors que tu es le plus mignon »-…). Arrivons au domaine le plus important, soit le domaine personnelrelationnel (65 notations). Nous retrouvons ici, inversées, les catégories définies pour le Mal en colonie de vacances, soit les relations positives envers les autres enfants (et non plus les taquineries et les disputes) et le contrôle de soi (et non plus la perte de contrôle de soi). Le nombre de « je sais pas » est bien entendu réel (11 notations) ; mais relevons que 3 enfants notent « toujours » et 5 « rien » ou « jamais » (dans ce dernier cas, s’agit-il d’une erreur de compréhension ou d’une provocation ?). De même, 5 enfants répondent en termes de lieux et de moments, en s’attachant d’ailleurs à chaque fois à la boum (ce qui revient à souligner l’importance de ce moment pour les enfants, mais peut-être s’agit-il aussi d’un effet de proximité temporelle entre le passage du questionnaire et la réalisation d’une boum…). Les énoncés exploitables (46 notations) se présentent donc sous deux rubriques et la plus importante appartient aux relations positives envers les autres enfants (29 notations). 14 réponses tournent autour de donner/prêter/faire pour ; donner des bonbons est le plus fréquent, suivi par prêter (de l’argent, la carte téléphonique, un maillot, une Game Boy) et faire un cadeau (des bracelets pour les animateurs, un cadeau envoyé à une amie, des points gratuits au ping-pong). 7 réponses consistent à aider un autre enfant, essentiellement pour un groupe un enfant handicapé qui tient ainsi une place centrale dans ce quotidien moral. 3 sont liées aux relations entre frères et sœurs (« j’étais avec mon frère », « je suis gentil avec ma sœur ») et 3 aux groupes d’amies (« je restais avec mes amies », « j’ai réconcilié mes amies »). La seconde rubrique, quoique moins importante (12 notations), semble plus élaborée en termes moraux. Il s’agit du contrôle de soi. 5 réponses sont du type « je fais un effort pour » (manger avec, inviter dans ma chambre, inviter les filles à danser, faire la paix avec, faire confiance à, être sympa avec). 5 sont du type « je prends sur moi pour » (« ignorer que j’avais envie de les frapper », « arrêter d’embêter les autres », « n’insulter personne »). 2 sont du type « je m’efface pour » (« j’ai laissé ma place », « j’ai laissé jouer au baby-foot »). On sent alors que le mouvement n’est plus du côté de « donner pour obtenir » (exemple : des bonbons pour de l’amitié), mais du côté de « s’empêcher de pour permettre à l’autre de », ce qui requiert une conscience et une exigence morales plus développées. On voit donc que, pour les enfants de ce centre de vacances, faire le Bien concerne les actes envers les autres enfants (les animateurs sont pratiquement absents). Faire le Bien, c’est, par ordre décroissant, donner/prêter/faire pour ; exercer un contrôle sur soi ; faire un effort pour ranger/faire le ménage ; aider un enfant handicapé. La variable sexe joue un peu, les filles étant plus discrètes sur ce point que les garçons (39 et 49 réponses). Les âges sont peu discriminants, sauf pour les enfants de 10 ans qui donnent une fois de plus peu de réponses (16 pour 33), sans que l’on puisse vraiment établir non plus que les données des enfants plus âgés sont plus élaborées moralement (en termes de contrôle de soi, par exemple). Quant aux milieux sociaux, il y a bien une différence, puisque les enfants de milieux populaires répondent beaucoup moins (19 pour 29) que les enfants des milieux mélangés (69 sur 74) ; qui plus est, chez les premiers, seuls les enfants de 11 ans répondent (13 sur les 19 qui s’expriment). Que signifie une telle « rétention » par rapport au Bien dans ce cas ? Nous aimerions le savoir… 225 – Le Bien en dehors de ce centre de vacances (cf. tableau 5) Allons-nous retrouver la même hiérarchie entre la vie dans ce centre de vacances et la vie à l’extérieur ? Oui, dans la mesure où, cette fois encore, le domaine personnel est majoritaire (57 réponses) devant le domaine conventionnel (28 réponses) ; le domaine moral est lui aussi absent (2 réponses). Il y a donc bien permanence, même si la domination du domaine personnel est un peu moins nette. Globalement aussi, comme pour le Mal hors du centre de vacances, ce sont les actes relatifs à la maison qui sont évoqués prioritairement par les enfants. Le domaine moral relaté ici concerne bien les agressions contre d’autres enfants que l’on va défendre, mais en tout état de cause le thème a très fortement disparu. Voyons plutôt ce qui concerne le domaine conventionnel. Il est très simple à analyser, puisque la majorité des réponses est de l’ordre du rapport au matériel (aider à/ranger) (22 notations, dont 14 pour les filles). La dominante écrasante (14 notations) se résume par « aider ma mère » (pour le ménage, pour les courses, pour faire à manger, etc.) ; les filles y sont plus présentes que les garçons qui le sont aussi néanmoins (8 contre 5). Les filles sont aussi plus présentes (5 contre 2) dans la seconde catégorie, ranger/laver/faire le ménage (sans cette fois que la mère soit citée). Outre les questions matérielles, on retrouve les règles de vie, mais elles ne sont le fait que de 3 garçons (être poli, se taire, ne pas répondre). 21 réponses sur les 28 fournies concernent le milieu familial, les colonies de vacances et l’école étant peu représentées (3 et 2). Le domaine personnel-relationnel recueille deux fois plus de réponses (57 notations) ; il est donc bien, et de loin, le domaine principal du Bien, comme il l’était déjà dans la colonie de vacances envisagée ici. Cette fois aussi, les « je sais pas » sont nombreux (11 notations) ; « toujours » ne se trouve qu’une fois, « rien » ou « jamais », 2 fois. Les énoncés exploitables sont donc au nombre de 44. Ils relèvent aussi majoritairement de la famille (20 notations), devant la rue (6 notations), l’école (3 notations) et le centre de vacances (2 notations) ; d’autant qu’on peut considérer que, parmi les 25 lieux non précisés, beaucoup doivent en fait se dérouler dans la famille. Que trouvons-nous dans ces réponses liées au domaine personnelrelationnel ? Nous retrouvons, en premier lieu, les relations positives envers les autres (24 notations). Elles se déclinent sous la forme du donner/prêter (13 notations), qu’il s’agisse de biens matériels (bonbons, goûter, dessin, bracelet, cadeaux) ou de biens immatériels (câlins, bisous). C’est d’abord la famille qui en bénéficie (7 notations, dont 3 pour la mère, 2 pour les parents, 1 pour un frère et 1 pour le père – « j’ai acheté un vélo à mon père » !) et ce sont les garçons qui sont le plus présents sous cet angle (6 notations sur les 7). Ensuite viennent les copains (don de bonbons, prêt de Game Boy). Après le donner/prêter, on trouve l’aide aux « personnes fragiles » (8 notations, à égalité entre les filles et les garçons) ; sont alors présents les pauvres (3 notations - « j’ai donné des jouets aux pauvres », « j’ai donné 5 euros à un pauvre », « j’ai donné des bonbons à des personnes pauvres), les personnes âgées (3 notations – « j’ai aidé une grand-mère à traverser », « j’ai aidé une personne âgée dans le bus ») et les blessés (2 notations – « une dame qui s’est cassée la gueule »). Par ailleurs, on ne trouve plus que 2 références à la capacité relationnelle dans les disputes (« j’ai arrangé des histoires »). Outre les notations relatives aux relations positives envers les autres, majoritaires comme nous venons de le voir (24 notations), on revoit aussi la question du contrôle de soi réussi (7 notations seulement), autant chez les garçons que chez les filles. La catégorie « je fais un effort pour » est plus nette que la catégorie « je prends sur moi pour » (4 contre 2). Les efforts sont variés : « j’ai aidé un copain à recopier une leçon », « j’ai aidé mon père à se calmer », « j’ai invité une fille que je connaissais à peine à venir à côté de moi ». Quant à prendre sur soi, cela va du laconique « arrêter de faire des bêtises » au touchant « je dors avec ma sœur le vendredi soir et le samedi soir car j’ai peur et j’ai conclu un pacte avec mon père ». Enfin, on ne trouve qu’un « je m’efface pour » (« j’ai donné ma place dans un jeu »). Ajoutons, pour terminer sur ce point, que certains enfants, en réponse à la question, ne donnent que des personnes (6 notations, dont « quand mon grand père est mort »). Revenons maintenant de manière globale sur ces réponses relatives au Bien hors de ce centre de vacances. Qu’est-ce que c’est, pour ces enfants, que faire le bien ? Quels sont les actes qui en témoignent ? On peut classer par ordre décroissant leurs jugements : aider sa mère ; donner (en premier à la famille) ; aider les « personnes fragiles » ; faire preuve de contrôle de soi. Les filles s’expriment moins sur ce point que les garçons, même si elles sont davantage présentes dans l’aide matérielle (à la mère et en général), alors que les garçons font davantage de dons à la famille. Les enfants plus âgés sont moins présents dans leurs réponses que les plus jeunes, puisqu’on trouve seulement 23 réponses d’enfants de 10 ans (sur 33 possibles) et 26 réponses d’enfants de 11 ans (sur 34 possibles), tandis que les enfants plus jeunes répondent pratiquement tous. Il n’y a pas de différence par contre entre les milieux sociaux (25 réponses d’enfants de milieux populaires sur 29 ; 64 réponses d’enfants de milieux mélangés sur 74). Enfin, c’est la famille qui, incontestablement, est le lieu privilégié des actes bons, puisque, sur les 58 réponses explicites sur le lieu, elle recueille 41 réponses, très loin devant la rue (7 réponses), le centre de vacances (5 réponses) et l’école (5 réponses). Par comparaison, quand il s’est agi de relever les actes mauvais hors de cette colonie de vacances, sur 64 réponses explicites sur le lieu, 37 concernaient la famille, 11 le centre de vacances, 10 la rue et 6 l’école. On peut s’étonner que l’école soit si peu citée en la matière, que ce soit en bien ou en mal… * ** À la fin d’un centre de vacances que nous avons dirigé en juillet 2002, 46 garçons et 53 filles de 6 à 12 ans (13 de 6/7 ans, 15 de 8 ans, 18 de 9 ans, 33 de 10 ans et 34 et 11/12 ans), issus de milieux populaires (pour 29) et de milieux sociaux mélangés (pour 74) ont accepté de répondre à 4 questions sur leurs actes bons et mauvais dans ce centre de vacances et en dehors de ce centre de vacances. Leurs réponses ont été analysées sur la base d’une répartition de la grille proposée par Casalfiore qui répartit les actes en 3 domaines : le domaine moral (M), le domaine conventionnel © et le domaine personnel (P). C’est sur ce point que nous avons concentré nos analyses, car les différences relatives au sexe, à l’âge et au milieu social ne sont guère sensibles et significatives. Pour ce qui concerne le Mal dans cette colonie de vacances, retenons les éléments suivants : - Ordre décroissant des domaines : moral (35), conventionnel (29), personnel (26). - Qu’est-ce que c’est que se conduire mal (par ordre décroissant) ? o Porter atteinte à l’intégrité physique des autres (M). o Enfreindre les règles de vie ©. o Ne pas respecter le matériel ©. o S’attaquer à l’intégrité psychologique des autres (M). o Se disputer avec ses pairs (P). - Sexe : les filles sont plus réservées ; les aspects physiques sont plus présents chez les garçons, les disputes/taquineries chez les filles. - Âge : les plus âgés s’expriment moins que les plus jeunes. - Milieu social : pas de différences, même si les enfants de milieux populaires sont moins présents. Pour ce qui concerne le Mal en dehors de cette colonie de vacances, notons les aspects majeurs suivants : Ordre décroissant des domaines : conventionnel (47), moral (34), personnel (16). - Qu’est-ce que se conduire mal en dehors de cette colonie de vacances (par ordre décroissant) ? o Porter atteinte au matériel de la famille ©. o Porter atteinte à l’intégrité physique des pairs (M). o Manquer aux règles de vie ©. o Porter atteinte à l’intégrité matérielle des autres (M). - Lieux des actes délictueux : la famille très nettement ; les autres domaines sont présents à égalité, mais de façon effacée. - Sexe : la présence est globalement équivalente ; les garçons sont plus présents dans le domaine moral (coups, bagarres) ; les garçons et les filles cassent autant les uns que les autres. - Âge : pas de différence significative, en dehors du fait que les enfants de 10 ans sont plus absents et ceux de 11 ans plus présents. - Milieu social : pas de différence sensible, si ce n’est que les enfants de milieux populaires sont davantage présents dans le domaine conventionnel. Pour ce qui concerne le Bien dans ce centre de vacances, on peut relever les aspects suivants : - Ordre décroissant des domaines : personnel (65), conventionnel (23), moral (0). - Qu’est-ce que se conduire bien dans ce centre de vacances (par ordre décroissant) ? o Donner/prêter/faire pour les autres enfants (P). o Exercer un contrôle sur soi (P). o Faire un effort pour ranger/faire le ménage ©. o Aider un enfant handicapé (P). - Sexe : les filles sont plus discrètes que les garçons. - Âge : pas de différence significative, en dehors d’une présence moindre des enfants de 10 ans. - Milieu social : les enfants de milieux populaires répondent moins que les enfants de milieux sociaux mélangés ; seuls ceux de 11 ans répondent pour les milieux populaires. Pour ce qui concerne le Bien en dehors de ce centre de vacances, on peut distinguer les points suivants : - Ordre décroissant des domaines : personnel (57), conventionnel (28), moral (2). - Qu’est-ce que se conduire bien en dehors de ce centre de vacances (par ordre décroissant) ? o Aider sa mère ©. o Donner (en premier à la famille) (P). o Aider les « personnes fragiles » (P). o Faire preuve de contrôle de soi (P). - Lieux des actes positifs : la famille avant tout ; les autres secteurs sont présents à peu près à égalité, mais de façon effacée. - Sexe : les filles sont moins présentes ; elles sont davantage dans l’aide matérielle et les garçons dans les dons à la famille. - Âge : les enfants plus âgés sont plus discrets que les plus jeunes. - Milieu social : pas de différence. - Il y a donc bien, pour les enfants, des différences, quant à leur vie morale, entre ce centre de vacances et les autres lieux. Du côté du Mal, le domaine moral est premier dans un cas, second dans l’autre ; le domaine conventionnel fait l’inverse, tandis que le domaine personnel reste minoritaire. Qu’est-ce que cela signifie ? Que, dans cette colonie, la question des actes moraux tourne d’abord autour des rapports physiques (bagarres) et psychologiques (insultes) entre les enfants. S’il y a éducation morale, elle se concentre d’abord sur la régulation des relations entre les enfants, spécialement pour les garçons. Bien entendu, les aspects conventionnels (règles de vie et respect du matériel) sont aussi très présents. La colonie de vacances est une petite société provisoire et à construire, qui nécessite donc l’expérience d’une mise en œuvre nouvelle du vivre ensemble. C’est ce qui fait sa richesse et sa spécificité ; c’est ce qui justifie qu’elle soit avant tout l’occasion d’une expérience de socialisation ; c’est ce qui requiert que l’on privilégie les conditions de cette expérience en permettant que s’exerce en commun le pouvoir de décision des enfants. On ne peut dire la même chose en dehors de la colonie de vacances, puisque l’on voit que, pour les enfants, la question morale relève avant tout de l’univers familial. Auquel cas, c’est la question du respect du matériel de la famille qui est majeur, accompagné du respect des règles de vie. Mais alors, on est davantage dans l’accomplissement d’un fonctionnement que dans la construction de ce fonctionnement. Ne serait-ce que parce que la famille est permanente. Mais aussi parce que, dans la famille, le pouvoir de décision de l’enfant, même s’il est l’objet d’une réalité, n’est sans doute pas l’occasion d’une expérimentation explicitée et commune au sein d’un groupe. Si le Mal est affaire de domaine moral et conventionnel, le Bien, lui, est dans tous les cas affaire de domaine personnel. Que ce soit dans cette colonie de vacances ou dans la famille (puisque cette dernière sature les autres lieux), le domaine personnel est très nettement privilégié. Être bon, c’est donner/prêter/faire pour les autres, les autres enfants (dont les enfants handicapés) en colonie, les membres de la famille (et les « personnes fragiles ») hors de la colonie. Du côté conventionnel, être bon c’est ranger/faire le ménage en colonie, aider sa mère dans la famille. Quant au domaine moral, il est totalement absent. Un peu comme si le Mal se réservait le domaine moral et le Bien le domaine personnel, le domaine conventionnel restant un lieu d’effectuation tantôt de l’un en négatif et tantôt de l’autre en positif. Le Mal est avant tout signifié par les grands principes moraux (« universels ») que l’on transgresse et les règles (« singulières ») de l’organisation sociale que l’on tutoie. Le Bien, outre le respect de ces mêmes règles (« singulières ») de l’organisation sociale, réside dans l’effort que l’on fait personnellement pour rendre meilleures les relations avec les autres ; cet effort peut certes s’appuyer sur des principes moraux (« universels ») de la conception du Bien, mais ils restent de l’ordre d’une démarche qui est précisément personnelle, singulière et non obligatoire (en effet, en principe, d’un point de vue moral strict, on ne peut pas obliger quelqu’un à aider, alors qu’on peut l’obliger à respecter l’intégrité de l’autre). Éduquer moralement, cela consisterait donc d’une part à empêcher de transgresser l’universel et le singulier collectif, d’autre part à aider à aider les autres et à aider à construire le singulier collectif ? Nous l’avons vu, la colonie de vacances, elle, peut le faire et y contribuer. Encore faut-il que les enfants, eux, puissent continuer à y séjourner… Bibliographie : Boulton M.-J. (1993) « Proximates causes of agressive fighting in middle school children ». The British journal of educational psychology. Londres. Vol. 63. Part 2. Casalfiore S. (s.d.) « Autorité à l’école, de quoi parle-t-on ? ». A paraître. Debarbieux É. et Caralp V. (1996) « Pédagogie Freinet et violence ». Le BinetSimon. Lyon. 649. Houssaye J. (1995) Et pourquoi que les colos elles sont pas comme ça ? Vigneuxsur-Seine : Éditions Matrice. Houssaye J. (2005) C’est beau comme une colo. La socialisation en centre de vacances. Vigneux-sur-Seine : Éditions Matrice. Kohlberg L. (1969) « Stage and sequence : the cognitive developmental approach to socialization ». In D. A. Goslin (ed) Handbook of socialization theory and research. Chicago : Rand McNally. Le Du M. (2006) « Le concept d’enseignement : une analyse logique ». Le Télémaque. Caen : PUC. 30. Montandon C., Dominice L. et Lieberheer R. (2000) « Le point de vue des enfants sur la construction des liens sociaux : l’exemple de la violence entre les élèves ». Revue suisse de sociologie. Zürich. Vol. 26. Rayou P. (1999) La grande école. Approche sociologique des compétences enfantines. Paris : PUF. p = milieux populaires 29 m = milieux mélangés 74 1 - GRILLE D'ANALYSE 103 RÉPONSES POUR 111 ENFANTS domaine moral 7 ans 8 ans FILLES 9 ans 53 10 ans 11 ans 7 ans 8 ans GARCONS 9 ans 46 10 ans 11 ans 6/7 ans = 13 8 ans = 15 9 ans = 18 10 ans = 33 11/12 ans = 34 p m p m p m p m p m p m p m p m p m p m domaine conventionnel domaine personnel 2 - Le Mal dans ce centre de vacances DOMAINE MORAL 35 3 de 7 p ans 5 de 8 m p ans m 7 FILLES de 9 ans 36 DOMAINE CONVENTIONNEL 29 DOMAINE PERSONNEL 26 j'ai réveillé Gaëlle à 9h15 pendant la grasse matinée j'ai aimé Aziz je me dispute je suis montée sur une table je disais des gros mots j'ai embêtée Camille j'ai embêté mon frère p je suis allée dans la chambre des garçons pendant la nuit j'ai répondu méchamment à Lucie m j'ai insulté Romain rien j'ai détruit le château de sable et les jamais boules aux garçons je sais pas j'ai pété deux verres j'ai pris un lapin et je l'ai fait sortir de son enclos j'ai fait la merde pendant la nuit dire des gros mots j'ai insulté Thibault 10 de 10 p j'ai volé ans m insulter Romain j'ai frappé fort Camille j'ai renversé mon coca dans les avec mon bâton frites j'avais eu peur d'aller à la voile j'ai gueulé rien j'ai volé j'ai rigolé alors qu'on enlevait le slip de Romain je me suis disputée avec ma meilleure amie je me suis énervée pour rien (je pense) je me suis disputée avec mes amies p 11 de 11 ans 10 de m p j'ai fait tomber Loïc à l'eau (malgré sa coupure derrière l'oreille) à la voile j'ai fait tomber Thibault au parc d'attractions et je ne lui ai pas dit pardon j'ai insulté les animateurs j'ai cassé un verre j'ai renversé le verre de coca je suis partie pour ne pas avoir à débarrasser la table rien 7 ans m j'ai insulté un moniteur insulter les autres, les frapper, me bagarrer j'ai frappé ma soeur j'ai maltraité les animaux moi et Erwan nous nous sommes lancés des cailloux j'ai perdu la souris j'ai fait une promenade sur le camping et sur le terrain à côté p G A R ç O N S je me suis battu avec Lionel avoir des fleurs interdites j'ai poussé la boule de cirque et cassé une armoire j'ai dit des gros mot j'ai pissé dans la poubelle je suis allé sur le toit je sais pas j'ai embêté les filles m j'ai tapé Antoine j'ai lavé par terre pour rien mettre la poule dans l'eau j'ai cassé les carreaux de la maison hantée je suis parti à la plage sans mono rien p j'ai trahi quelqu'un j'ai traité Killian de merde me battre et insulter j'ai cassé une vitre sans faire exprès je sais pas m taper quelqu'un j'ai tapé Romain insulter j'ai tapé Romain j'ai volé des bonbons j'ai ouvert la porte de la maison hantée je suis sorti du centre pour aller dans les champs j'ai lâché une bombe à eau rien 9 de 8 ans m p 5 de 9 52 ans 14 de 10 ans 13 de 11 ans avoir pissé dans mon lit je n'ai pas fait de bêtise je sais pas p j'ai jeté les affaires de Yacine par la fenêtre j'ai perdu ma paire de chaussettes le soir, aller dans les couloirs j'ai fait exploser des crabes avec des pétards piquer des bonbons à Loïc j'ai insulté Fabien de bouboule j'ai tapé mon copain j'ai mis une porte dans le nez de Marion jai frappé quelqu'un taper quelqu'un m Légende : p = milieux populaires m = milieux mélangés rien je n'ai jamais fait de grosse bêtise j'ai dit que Thibault aime Manon 3 - Le Mal hors de ce centre de vacances domaine moral 34 3 de 7 ans p m p 7 de 8 ans FILLES ans m ? j'ai tapé quelqu'un avec un ciseau ? j'ai donné des coups de pieds aux garçons R je suis montée sur une voiture CV jeter de la pâte à modeler p CV j'ai griffé un animateur M j'ai mordu mon frère sur le torse ? j'ai frappé ? donner un coup de poing M j'ai fait tomber 4 assiettes et 2 verres m ? j'ai volé des pierres rares CV balancer un gâteau dans la tête d'un mono M j'ai tout dérangé CV j'ai mis du savon sur le lit d'une fille M j'ai cassé le vase de ma mère 11 de 10 ans 16 de 11 ans ? j'ai cassé l'ordinateur R j'ai failli me faire écraser par une voiture E j'ai cassé la fenêtre avec un ballon E j'ai parlé en classe et mon maître m'a grondé p m p domaine personnel 16 M à la maison, j'ai fait tomber une sculpture sur ma tête M je me suis bagarrée avec mon frère M j'ai tapé ma sœur ? j'ai insulté une copine M j'ai crié sur ma mère 9 de 9 46 ? j'ai arraché la queue d'un lapin M je frappe mon frère domaine conventionnel 47 M j'ai fait tomber la télécommande M j'ai cassé une assiette M je dis que je veux être adoptée ? je sais pas M j'ai eu peur de mon chiot M j'ai fouillé dans les affaires de ma soeur M je range jamais ma chambre, alors je perds tout M j'ai allumé des bougies ? j'ai cassé un magnétophone M j'ai renversé de l'huile et j'ai dit que c'était pas moi CV j'ai cassé une assiette dans une autre colo ? j'ai connu Mariana 7 de 7 ans G A R C O N S CV j'ai pris des casseroles et j'ai tapé dessus pour réveiller les monos M jai décroché le tableau avec un ballon E à l'école, j'ai envoyé ma chaussure au-dessus du portail R j'ai cassé un cadre dans le magasin de ma grand-mère M j'ai oublié l'anniversaire de mon père M j'ai oublié l'anniversaire de mon père CV j'ai oublié l'anniversaire et la fête de mon père (pendant la colo) ? casser une statue M j'ai cassé mon ordinateur M j'ai cassé des verres ? je sais pas CV je me suis pris la porte en plein front dans la colo M casser la voiture de mon père E j'ai fait tomber tous les livres de la bibliothèque ? je me suis crouté en vélo M j'ai cassé la vitre de la table, je me suis mis dessus et elle s'est cassée ? j'ai fait caca dans ma culotte ? je sais pas ? j'ai crié très fort m M j'ai dit une insulte à ma mère ? j'ai donné le torticolis à quelqu'un R péter les vitres et le parebrise d'une bagnole M j'ai cassé un vase M être allé chez Celgum M j'ai désobéi à mes parents en invitant des copains ? je ne sais pas ? je sais pas p CV j'ai failli noyer quelqu'un M partir à la boulangerie sans prévenir personne m ? j'ai frappé une personne ? casser le bras de quelqu'un ? j'ai blessé une personne ? j'ai tué un poussin à la ferme CV j'ai détruit une tente M renverser 2 assiettes ? prendre un papier journal et le brûler E j'ai dit un gros mot au solfège p R j'ai ouvert la tête et la machoire à quelqu'un CV j'étais au ski, j'ai poussé quelqu'un et il s'est fait mal ? en courant, j'ai fait tomber un enfant M j'ai cassé la vitre de chez moi M à 4 ans, j'ai dessiné sur le mur R j'ai cassé une vitrine avec mon skate-board m p m p M j'ai enterré les lames de scie de mon père ? frapper une personne ? j'ai volé des choses 8 de 8 ans m p 8 de 9 53 R j'ai volé des bonbons dans une boulangerie, mais après je les ai rendus et elle me les a fait payer et je les ai gardés R j'ai volé un CD dans un magasin ans 10 de 10 ans 18 de 11 ans M j'ai pas voulu parler à ma mère, car un enfant se serait fait frapper m ? j'ai fouetté quelqu'un avec un fouet de fleurs E avoir poussé son prof dans la bouse ? voler de l'argent ? j'ai regardé sous les jupes des femmes R j'ai cassé une vitre d'une voiture Légende : CV = centre de vacances CL = centre de loisirs E = école M = maison R = rue ou extérieur ? = non précisé p = milieux populaires m = milieux mélangés R j'ai téléphoné à quelqu'un que je ne connaissais pas par une cabine M je suis parti de chez moi en ayant fait mes valises M j'ai cassé la porte de la voiture sans le faire exprès M j'ai fait pipi dans l'égoût de mon jardin M j'ai cassé mon ordinateur ? je ne sais pas 4 - Le Bien dans ce centre de vacances domaine moral 0 3 de 7 p ans m p 7 de 8 ans m FILLES 39 7 de 9 domaine conventionnel 23 j'ai rangé toute la chambre le soir, quand on a dansé je suis allée à la boum au parc d'attractions p ans m j'ai aidé à ranger la salle d'activités p j'ai fait le ménage dans le couloir et la salle d'activités j'ai aidé à débarrasser le goûter 8 de 10 ans m j'ai tout rangé 14 de 11 ans p j'ai fait le ménage dans ma chambre domaine personnel 65 tous les jours j'étais avec mon frère j'ai prêté ma carte téléphonique à tout le monde rien je me suis collée à Marylise j'ai laissé ma place j'ai donné plein de bonbons à mes copines j'ai prêté de l'argent à Sarah j'ai mangé avec Maxime je ne sais pas je ne sais pas je restais avec mes amies je sais pas tout le temps j'ai ignoré alors que j'avais envie de les frapper je ne sais pas j'ai fait la paix avec Camille j'ai fait des bracelets aux monos j'ai acheté un duplo à ma copine je réconcilie mes amies j'ai aidé Wilfried à aller dans la salle de baby j'ai prêté de l'argent à Dyia j'ai aidé Wilfried j'ai demandé à Solène de venir dans ma chambre j'ai donné tous les bonbons j'ai été sympa avec Aziz ou invité les autres groupes à la boum en faisant des bracelets aux monos en faisant la boum, car j'ai invité les autres groupes j'ai donné aux autres mes bonbons j'ai donné des bonbons m p 7 de 7 ans m j'ai aidé à ranger la salle d'activités c'est quand je mange j'ai rangé la chambre p G A R C O N S 8 de 8 ans m p j'ai débarrassé la table à la première boum je suis allé pêcher des crabes j'ai donné des bonbons à Vincent je me suis fait un frère et une sœur je suis poli je sais pas avoir aidé la femme de ménage je ne sais pas j'ai donné des points gratuits à mon adversaire au ping-pong je ne sais pas rien je ne sais pas je sais pas j'ai envoyé une carte postale à ma sœur 8 de 9 49 ans m p 8 de 10 ans m c'est quand je dormais j'ai retrouvé la souris noire et blanche 18 de 11 ans p je ne l'ai jamais été j'ai pas fait de bêtise je suis gentil avec ma sœur jamais j'ai laissé jouer quelqu'un au baby foot j'ai aidé à ranger le goûter prêté ma Game Boy à la boum j'ai donné des bonbons j'ai essayé de faire confiance à Romain quand j'ai dansé hier soir ne pas avoir tapé Yann j'ai prêté un maillot à Mourad quand il n'avait plus de maillot j'ai aidé Wilfried à se relever j'ai aidé Wilfried j'ai acheté et envoyé un colis à Mathilde et j'ai aidé Wilfried j'ai donné des bonbons j'ai arrêté d'embêter les autres jamais m Légende : p = milieux populaires m = milieux mélangés j'ai fait les lits des 5 chambres j'allais à la boum je dormais les 2 premiers jours, surtout à table rien je sais pas j'ai jamais été gentil je ne sais pas j'ai dansé avec des filles n'insulter personne centre de vacances domaine moral 2 domaine conventionnel 28 p 4 de 7 ans 4 de 8 ans FILLES 37 7 de 9 ans 11 de 10 ans 11 de 11ans domaine personnel 57 ? presque tous les jours M j'avais tout bien rangé ma chambre M j'aide ma mère E pendant la classe m p m CV j'ai fait la vaisselle des petits et des moyens ? J'ai donné des sucettes à mes amis E avec mes copines E j'ai donné ma place pour un jeu p M j'ai aidé ma mère à faire le ménage ? j'ai trouvé le porte-bonheur à une copine m ? j'étais calme M j'aide ma mère j'aide ma mère ? je ne sais pas M j'ai donné des jouets aux pauvres p M j'ai fait une surprise à mes parents : quand ils sont partis faire les courses, j'ai tout lavé la maison et j'ai mis la table M à la maison, j'ai fait à manger, M j'ai aidé mon père à se calmer fait le ménage, etc. M j'ai fait le ménage partout et les quand on lui a volé sa moto lits R j'ai donné 5 euros à un pauvre m p ? j'ai défendu quelqu'un M j'aide ma mère ? J'ai invité une fille que je connaissais à peine à venir à côté de moi M j'ai tout rangé ? je ne sais pas M j'ai donné un goûter aux autres M j'ai fait les courses avec ma mère M j'ai aidé ma grand-mère à manger ? j'arrange les histoires CV j'ai aidé une personne à se relever quand elle s'était cassé la jambe en faisant du ski CV dans une autre colo, je faisais des massages aux animateurs m p 8 de 7 ans 8 de 8 ans G A R C O N S 9 de 9 ans 52 m p m p m M j'ai eu ma chienne R j'ai aidé une vieille dame à ramasser ses légumes M je faisais des calins à ma maman avant de partir en colo ? je l'ai été avec mes copains R je suis poli dans la rue M j'aide ma mère M j'aidais ma mère à faire la cuisine ? je sais pas ? je ne sais pas ? jamais M j'ai fait un dessin à maman CV j'ai aidé la femme de ménage M j'ai aidé ma mère à faire à manger M j'étais bébé ? je me suis fait plein de copains ? j'ai prêté ma Game Boy ? je sais pas M j'ai embrassé ma mère M je dors avec ma sœur le vendredi soir et samedi soir car j'ai peur et j'ai conclu un pacte avec mon père M je l'ai été avec ma mère M j'ai donné 30 francs à mon frère M Noël Jour de l'An ? rien ? je ne sais pas ? je ne me rappelle plus ? je sais pas ? je sais pas E j'ai aidé un copain à recopier une leçon m p 12 de 10 ans M j'ai aidé ma mère à faire le ménage M j'ai aidé ma mère à faire le ménage M j'ai aidé ma mère à faire le ménage, le repassage, l'aspirateur, car elle avait mal au dos CV je devais avoir le choix entre une fille qui avait mis mon pull dans les toilettes car elle aurait pu être renvoyée du centre M c'est quand j'ai fait le ménage à ? Karamme a voulu sauter du toit la place de ma mère et je l'ai aidé M c'est quand je dormais aussi M pour la première fois, j'ai aidé ma mère à débarrasser M j'ai acheté un vélo à mon père M Amaury m'a invité chez lui ? je ne sais pas M quand mon grand père est mort M à la maison, avec ma famille ? j'ai donné des bonbons à mes copains ? j'ai évité de taper un ennemi p 15 de 11 ans m Légende : CV = centre de vacances CL = centre de loisirs E = école M = maison R = rue ou extérieur ? = non précisé p = milieux populaires m = milieux mélangés ? J'ai dit à un grand d'arrêter de frapper l'enfant et je me suis battu M j'ai fait la vaisselle E j'ai pas répondu au professeur ? j'ai aidé quelqu'un à régler une histoire R j'ai aidé une personne âgée dans le bus R j'ai aidé une dame qui s'est cassée la gueule ? j'ai arrêté de faire des bêtises M aider ma mère ?J'ai demandé à Sarah si elle m'aime ? je sais pas R j'ai donné des bonbons à des personnes pauvres M j'ai offert un cadeau à mes parents M j'ai offert des cadeaux à mes parents R j'ai aidé une grand-mère à traverser M quand je suis chez mon oncle