FIDELIO L`ODYSSEE D`ALICE.pub
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FIDELIO L`ODYSSEE D`ALICE.pub
Fiche n° 1245 Fidélio 11 au 17 mars 2015 Fidélio de Lucie Borteleau avec Ariane Labed, Melvil Poupaud, Anders Danielsen Lie 1h37 - France - sortie 24.012.2014 Alice, 30 ans, est marin. Elle laisse Félix, son homme, sur la terre ferme, et embarque comme mécanicienne sur un vieux cargo, le Fidelio. A bord, elle apprend qu’elle est là pour remplacer un homme qui vient de mourir et découvre que Gaël, son premier grand amour, commande le navire. Dans sa cabine, Alice trouve un carnet ayant appartenu à son prédécesseur. La lecture de ses notes, entre problèmes mécaniques, conquêtes sexuelles et mélancolie amoureuse, résonne curieusement avec sa traversée. Au gré des escales, au milieu d’un équipage exclusivement masculin, bercée par ses amours qui tanguent, Alice s’expose au bonheur de tout vivre à la fois et tente de maintenir le cap… La force du film, sa singularité, c’est son aspect documentaire, le fait qu’une équipe de cinéma s’est retrouvée sur un réel cargo naviguant en pleine mer. Outre la dimension purement technique – et presque fantas que : les machines du navire, ventre infernal de la bête – du récit, tous les aspects de la vie d’un équipage sont abordés en détail (bien qu’on doute que les marins aient une vie aussi fes ve que ceux du film). Cela confère une belle plus-value réaliste à l’imbroglio sen mental, assez li*éraire, se tramant autour d’Alice, qui est à la fois le ciment et le piment drama que de l’histoire. Le premier film abou d’une cinéaste prome*euse. L’humanité Ce premier long métrage d’une réalisatrice, actrice et assistante à ses heures, est aussi gonflé que réussi. Si la voix off du marin décédé dont Alice lit les états d’âme fait trop lourdement office de contrepoint, l’ensemble reste d’une force remarquable. Le désir et ses corollaires – la liberté, la séduc on et les rapports de force – sont explorés avec tact et intelligence. À la fois concret et romanesque, le film joue habilement sur les contrastes visuels (la saleté de la salle des machines, le bleu de l’océan) et sonores (le bruit assourdissant en cale, l’omniprésence feutrée mais tenace des vagues et du vent). De tous ces contraires naît un magnifique portrait de femme, complexe et limpide, dessiné par Ariane Labed (la jeune désespérée d’"Une place sur la Terre", de Fabienne Godet), comédienne lumineuse et absolument splendide. Première « Fidelio, l’odyssée d’Alice » : une jeune femme dans la houle « Moi, je veux tout, tout de suite », disait l’Antigone de Jean Anouilh. A peu de chose près, c’est également ce que répond Alice l’héroïne du premier long-métrage de Lucie Borleteau, lorsqu’on lui demande ce qu’elle attend de l’amour : « Je veux tout », sans cet énervement du « moi », ni l’impatient « tout de suite ». Alice a 30 ans. Elle a déjà eu le temps, il lui en reste encore, et le « moi » n’est pas la seule porte d’entrée dans son histoire. Fidelio est aussi l’histoire d’un bateau du même nom. Un vieux cargo tout patiné, rafistolé, bientôt bon pour la casse. Plus qu’un décor, c’est un vrai personnage, monstre marin lancé sur l’océan, pris dans toute la largeur d’un format Scope qui agrandit l’horizon et rétrécit encore l’espace étroit des coursives, dans les entrailles du monstre. Il a le ventre plein d’hommes. Une femme, Alice, s’y est risquée, prenant comme l’héroïne de Fidelio, l’opéra de Beethoven, des habits masculins pour franchir des portes a priori fermées. Dans l’opéra, ce sont celles d’une prison. Dans le film de Lucie Borleteau, il s’agit de celles des salles des machines, où Alice est mécanicienne. Sur le pont du bateau, alors qu’elle se prend en photo devant la mer, on se moque d’elle : n’imiterait-elle pas la pose célèbre de Kate Winslet dans le film Titanic ? Alice répond préférer Leonardo Di Caprio. Suggère-t-elle qu’elle est plus attirée par le héros que par l’héroïne, ou qu’elle préfère les rôles masculins ? Les deux, sans doute : gracieuse et gracile dans sa blouse bleue, Alice est une croqueuse d’hommes et fait un « métier d’homme », sur un bateau. Sans pesanteur didactique Inspiré par le parcours dans la marine d’une amie de la réalisatrice, Fidelio, l’odyssée d’A lice aurait pu être une chronique de la difficulté d’être femme en milieu masculin. Mais s’il aborde le sujet, c’est sans pesanteur didactique, comme un trait parmi d’autres de la vie d’Alice. Sous l’armure de sa blouse, elle devient un rouage humain comme un autre, plus efficace que d’autres, dans l’enfer des moteurs. Marquant les contrastes entre lumière et ombre, Lucie Borleteau trouve dans cet espace fascinant, qui vibre comme un être vivant, l’occasion de redire dans le langage symbolique de l’image toute la liberté de ce personnage qui n’a que faire des vieilles conventions de différenciation des sexes : les ténèbres qui y règnent avalent les hommes et les femmes de la même manière, floutent les silhouettes, et le bruit qu’on y entend en permanence estompe les différences de voix. Dans les ports également, Alice est un marin comme un autre. Au détour d’une scène de repas, la réalisatrice invite le spectateur à prendre la mesure de ses préjugés résiduels. L’équipage masculin tient des discours grivois sur les conquêtes internationales. Alice raconte avoir goûté elle aussi à l’homme aux quatre coins du monde, et ses compagnons ne bronchent pas. Mais, assis dans la salle de cinéma, le spectateur prend conscience, à la manière singulière dont ses mots sonnent, qu’il est encore peu habitué, hors des circuits légers de la comédie industrielle et de la série « Sex and the City », à entendre les femmes parler ainsi. Toute la grâce d’Ariane Labed « Femme libre, toujours tu chériras la mer », aurait pu écrirele poète au sujet d’Alice. Amoureuse de Félix (Anders Danielsen Lie) au présent, elle retrouve à bord du Fidelio l’amoureux du passé, Gaël (Melvil Poupaud), et le désir la prend. Ne veut-elle pas tout de l’amour ? Rien ne serait plus faux que de croire qu’entre Félix et Gaël, son cœur balance. Ils y ont place tous deux, l’un sur la mer où passé et présent se brouillent, l’autre en point fixe, à l’horizon. « Tu es mon port d’attache », dit Alice à Félix. Mais, sur la terre ferme, les métaphores marines sonnent mal, et la liberté redevient une idée, peut-être rien de plus que la caresse d’un rêve. Il fallait toute la grâce de l’actrice principale, Ariane Labed, pour faire vivre ce rêve, loin des illustrations faciles de l’ivresse du désir. A peine fragile dans sa délicatesse, elle alimente tout le film en énergie, dans sa course vers la liberté qui ne sera peut-être plus, sur le rivage, qu’un rêve. Mais, à bord du vieux Fidelio, ce rêve rajeuni a du corps et du cœur. LE MONDE | 23.12.2014