Sport, activité physique et santé chez l`enfant

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Sport, activité physique et santé chez l`enfant
Stuart Biddle
Marios Goudas
Sport, activité physique et santé chez l'enfant
In: Enfance. Tome 47 n°2-3, 1994. pp. 135-144.
Résumé
L'effet de l'activité physique sur la santé de l'enfant et de l'adolescent est largement reconnu. Cet article répertorie les recherches
actuelles sur ce thème et se centre particulièrement sur un programme réalisé à l'Université d'Exeter en Angleterre. En
particulier, les travaux ont porté sur la dimension psychologique de l'activité physique (essentiellement l'amusement, le plaisir et
l'estime de soi), ainsi que les composantes motivationnelles et notamment la motivation intrinsèque.
Abstract
There is widespread acknowledgement of the importance of promoting physical activity in children and youth for reasons of
health. This paper reviews contemporary research findings, drawing mainly on a research programme at the University of Exeter,
England, concerned with children in health-related exercise and physical activity. In particular, the research focusses on the
psychological outcomes of physical activity (mainly enjoyment and self-esteem) , as well as important motivational issues, such
as new approaches to understanding intrinsic motivation in children.
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Biddle Stuart, Goudas Marios. Sport, activité physique et santé chez l'enfant. In: Enfance. Tome 47 n°2-3, 1994. pp. 135-144.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/enfan_0013-7545_1994_num_47_2_2094
PREMIÈRE PARTIE
L'enfant au sein du système des pratiques
Sport, activité physique et santé chez l'enfant
Stuart Biddle
Marios Goudas*
RÉSUMÉ
L'effet de l'activité physique sur la santé de l'enfant et de l'adolescent est largement
reconnu. Cet article répertorie les recherches actuelles sur ce thème et se centre particu
lièrement sur un programme réalisé à l'Université d'Exeter en Angleterre. En particul
ier,
les travaux ont porté sur la dimension psychologique de l'activité physique (essen
tiellement
l'amusement, le plaisir et l'estime de soi), ainsi que les composantes
motivationnelles et notamment la motivation intrinsèque.
Mots clés : Amusement. Motivation intrinsèque. Estime de soi.
SUMMARY
There is widespread acknowledgement of the importance of promoting physical
activity in children and youth for reasons of health. This paper reviews contemporary re
search
findings, drawing mainly on a research programme at the University of Exeter,
England, concerned with children in health-related exercise and physical activity. In
particular, the research focusses on the psychological outcomes of physical activity
(mainly enjoyment and self-esteem) , as well as important motivational issues, such as
new approaches to understanding intrinsic motivation in children.
Key-words : Enjoyment. Intrinsic motivation. Self-esteem.
Au cours des dernières années un intérêt particulier a été accordé au rôle
de l'activité physique dans la promotion de la santé (Bouchard, Shepard, Ste
phens,
Sutton et McPherson, 1990 ; Norgan, 1992). Des changements dans le
mode de vie familial et au travail ont fait que beaucoup de gens adoptent des
styles trop sédentaires, à moins qu'ils ne décident de pratiquer une activité
* Université d'Exeter, g.-b.
ENFANCE, n° 2-3/1994, p. 135 à 144
136
STUART BIDDLE
physique pendant leurs moments de loisirs ou d'incorporer cette activité dans
leur vie quotidienne en marchant, en utilisant les escaliers ou au cours d'au
tres occupations.
Pour ce qui est des définitions, nous adopterons celle proposée par Caspersen, Powell et Christenson (1985) qui considèrent l'activité physique
comme étant tout mouvement musculo-squelettique ayant pour conséquence
une dépense d'énergie. Cela inclut les exercices physiques et le sport, ainsi
que les mouvements à basse intensité généralement non associés à une amél
ioration
de la forme physique. L'exercice est défini comme étant une modal
ité
structurée d'activité physique en vue du maintien ou de l'augmentation
de la forme, telle que : courir, soulever des poids, ou faire de la bicyclette. Le
sport désigne les activités compétitives réglées et structurées. Pour promouv
oir
les comportements liés à la santé chez les enfants, il est important de ne
pas se restreindre au sport de compétition, et d'encourager un haut niveau
d'activité physique habituelle ainsi qu'une participation régulière aux exer
cices structurés.
Les recherches relatives aux taux d'activité physique chez l'enfant ne
sont pas très développées. Evaluer un grand nombre d'enfants pose problème
car les techniques de questionnaires et d'entretien sont mal adaptées, surtout
avec des sujets très jeunes (voir Biddle, Mitchell et Armstrong, 1992). Cer
taines
études ont tenté de quantifier ce niveau d'activité par l'intermédiaire de
dispositifs tels que des détecteurs de mouvement ou des appareillages contrô
lant
les battements cardiaques. Par exemple. Armstrong et ses collègues
(Armstrong, Balding, Gentle et Kirby, 1990) ont montré que la fréquence
cardiaque des enfants tout au long de la journée était relativement basse par
rapport au niveau auquel on pouvait s'attendre compte tenu de leur dévelop
pement cardiorespiratoire. Cela n'est pas surprenant étant donné qu'ils n'ont
guère l'opportunité de participer à des périodes prolongées d'activité à forte
intensité et sont davantage incités à des efforts sporadiques. Il est possible par
conséquent que cette méthode quantitative soit inadéquate et qu'il faille éva
luer simultanément la quantité et la qualité d'activité physique. Quelques
auteurs américains (Blair, Clark, Cureton et Powell, 1989, par exemple) sont
d'avis que « le manque critique de forme » chez l'enfant a été exagéré et qu'il
représente le membre de la société moderne le plus en forme et le plus actif. Il
est cependant probable que le niveau d'activité a baissé au cours des der
nières
années, en relation avec la popularité croissante et la disponibilité de la
télévision, des ordinateurs et d'autres formes d'occupations sédentaires.
Récemment, la littérature de recherche relative aux effets de l'activité
physique sur la santé est devenue plus abondante (Biddle et Mutrie, 1991 ;
Morgan et Goldston, 1987 ; Mutrie et Biddle, sous presse). Cependant, une
grande partie des travaux concernent les adultes et l'on dispose d'informat
ions
moins complètes sur les enfants (Biddle, 1993), ceci en dépit de
l'opinion émise par l'Institut national américain de la santé mentale, selon
laquelle l'exercice a des effets bénéfiques à tous les âges (Morgan et
Goldston, 1987).
SPORT, ACTIVITÉ PHYSIQUE ET SANTÉ CHEZ L'ENFANT
137
Alors que la littérature concernant l'exercice et la santé mentale chez
l'adulte se concentre sur l'anxiété et la dépression, il est intéressant d'étudier
chez l'enfant, le lien entre l'activité physique et l'estime de soi d'une part, le
sentiment d'amusement et de plaisir lors de la pratique d'autre part.
1. Exercice et estime de soi chez l'enfant
Le développement de l'estime de soi chez l'enfant est un but essentiel de
tous les programmes d'éducation. C'est le cas, par exemple pour le programme
britannique d'éducation physique (Département d'éducation et des sciences,
1989). Le concept d'estime de soi a été abordé au cours des dernières années, à
partir d'une approche multidimensionnelle et hiérarchique. Cette construction
est conçue comme intégrant plusieurs dimensions différentes : sociale, acadé
mique, physique, etc. Par exemple, l'estimation de sa propre valeur acadé
mique est basée sur des expériences dans au moins huit ou neuf domaines sco
laires,
qui peuvent chacun être subdivisés en capacité, aptitudes, etc. Dans la
mesure où les aspects physiques sont impliqués, il a été suggéré que les sent
iments à l'égard de cette dimension physique étayaient cette estime de soi qui, en
retour résulte des impressions à propos de sa propre personne en termes de
compétence sportive, condition physique, apparence physique et force perçue.
En partant de ces postulats, Fox (1990 ; Fox et Corbin, 1989) a construit
un questionnaire visant à évaluer les perceptions multidimensionnelles de sa
propre valeur physique (Physical Self-Perception Profile : pspp). Cet instrument
a été développé avec des étudiants américains et s'est révélé adapté à des étu
diants
britanniques (Page, Ashford, Fox et Biddle, 1993). La structure ainsi
identifiée a conduit à émettre l'hypothèse d'une influence de l'activité physique
sur l'estime de soi, influence propre à chaque individu. Pour certains l'appa
rencephysique peut avoir une grande importance, pour d'autres non ; de même
pour l'amélioration des compétences sportives et les autres composantes de
l'estime de soi. Notre propre recherche utilisant le pspp chez de jeunes britanni
ques
(Biddle et al, 1993), montre que la structure basée sur les quatre facteurs
n'est pas aussi nette avec de jeunes adolescents qu'avec des étudiants
(tableau 1). Cependant, les scores concernant l'estimation de sa propre valeur
physique corrèlent avec ceux des échelles élémentaires, et notamment chez des
enfants de 12 et 14 ans, avec la perception de la compétence sportive, de la
condition physique, de l'esthétique corporelle, et la force physique. Chez les
garçons de 14 ans, l'analyse des régressions multiples montre que 44,9 % de la
variance dans l'estimation de sa propre valeur physique peut être attribué à la
condition physique, alors que chez les filles de 14 ans, ce score est davantage lié
à l'esthétique corporelle (39,4 % de variance expliquée). Par ailleurs les scores
de valeur physique estimée sont plus fortement associés avec l'estime de soi glo
bale chez les enfants de 12 ans que chez ceux de 14 ans. Ceci pourrait refléter un
processus de différenciation de l'estime de soi au fur et à mesure que les enfants
se développent, même si la valeur physique perçue n'est pas une composante
essentielle à partir de l'adolescence.
138
STUART BIDDLE
Tableau 1. — Structure factorielle du pspp avec 164 sujets anglais
de 14-15 ans avec 4 facteurs demandés (d'après Biddle et al., 1993)
Items
Compétence sportive
Condition physique
Apparence physique
Force perçue
Eigenvalue
% de variance
1
9
3
4
5
6
1
9z>
3
4
5
6
1
9
3
4
5
6
1
9it
3
4
5
6
1
.83
Facteurs et saturation
2
3
4
,*to
.73
.45
.76
.75
.81
• OJ
.78
.86
.90
.71
-.78
-.76
-.50
-.87
.45
6.30
26.20
3.76
15.60
-.57
2.09
8.70
.61
.58
.81
1.68
7.00
Note : seules les saturations >.4O sont présentées.
Cette recherche a porté sur la structure de l'estime de soi et n'informe en
rien sur les effets éventuels de l'activité physique et du sport chez des enfants.
Gruber (1986) a étudié cet aspect à partir d'une revue de littérature (« métaanalyse ») sur la relation entre la participation à une activité physique et l'e
stime de soi chez les enfants (seule l'estime de soi globale était considérée).
Gruber a analysé 27 études et observé un effet général d'une amplitude
de 0,41. Ceci signifie que les enfants qui ont une activité physique régulière
présentent des scores d'estime de soi de près d'un demi-point plus élevés que
ceux du groupe contrôle. Cet effet est donc modéré, mais représente une ten
dance
moyenne indépendante du type d'activité. En affinant son analyse,
Gruber a observé un accroissement de l'estime de soi plus élevé chez les
enfants handicapés et chez ceux qui participent à des séances de mise en
forme physique. Néanmoins, toutes les modalités de pratiques : activités
d'expression corporelle, entraînement sportif, etc. ont des effets positifs.
Les développements théoriques de la recherche sur l'estime de soi et les
résultats de la « méta-analyse » de Gruber démontrent l'importance de ce
SPORT, ACTIVITÉ PHYSIQUE ET SANTÉ CHEZ L'ENFANT
139
domaine chez l'enfant. Cependant, le développement de stratégies de promot
ion
de l'estime de soi par le sport et l'activité physique pourrait être plus
important. Fox (1988) a suggéré l'existence de trois axes principaux. Premiè
rement les éducateurs doivent instaurer un environnement susceptible de pro
mouvoir
le sentiment de compétence des enfants en insistant sur la participa
tion
plutôt que sur les résultats concrets dépendant de l'aptitude physique.
Deuxièmement, Fox propose que l'on informe les enfants de l'importance de
la forme physique et de l'utilité de l'activité physique dans une visée de santé
plutôt que de performance. Enfin, cet auteur évoque la possibilité de mesures
de rattrapage pour certains enfants étant donné que l'efficacité est la plus
grande chez les enfants dont l'estime de soi est la plus basse.
2. Plaisir et activité physique et sportive
Des expériences agréables au cours de l'activité physique peuvent avoir
un double effet chez l'enfant : le plaisir peut agir comme stimulant une parti
cipation
continue, et constituer en soi un résultat psychologique positif.
Cependant, bien que ce soit devenu un point sur lequel se sont concentrées
les recherches ces dernières années, on sait encore peu de choses à ce propos.
Csikszenmihalyi (1975), par exemple, a avancé l'idée selon laquelle le plaisir
serait plus intense lorsque les capacités personnelles sont mises à l'épreuve de
façon optimale, ceci en relation étroite avec les sentiments de motivation
intrinsèque et de contrôle personnel.
Nos propres recherches sur le plaisir des enfants lié à la pratique de l'édu
cation physique s'appuient sur trois approches. Premièrement, nous avons uti
lisé une méthodologie qualitative afin d'évaluer l'opinion des élèves sur ce qui,
selon eux, fait que l'éducation physique et sportive (eps) est une matière intéres
santeou pas (Goudas et Biddle, 1993). Plus de 250 élèves âgés de 12 à 14 ans
ont répondu aux questions ouvertes relatives à « ce qu'ils préfèrent en eps », « ce
qu'ils aiment aussi en eps» et « ce qu'ils n'aiment pas en eps ». L'analyse des
réponses montre que les facteurs « santé », « forme physique » et « changement
par rapport au travail scolaire normal » contribuent essentiellement à rendre
cette matière agréable. Par ailleurs, dans la plupart des cas les sujets citent des
sports particuliers. Ceci nous semble montrer qu'il y a une spécificité de ce
domaine (activité/sport) même si des réponses superficielles sont obtenues avec
des sujets de cet âge répondant à des questions ouvertes.
La deuxième approche a consisté à examiner la relation entre le type
d'orientation d'accomplissement et le plaisir ressenti. Duda, Fox, Biddle et
Armstrong (1992) ont observé que les enfants rapportent un plus haut niveau
de plaisir général à pratiquer le sport s'ils ont un but d'accomplissement
visant à l'amélioration personnelle et au contrôle de la tâche (task orienta
tion),et s'ils considèrent le succès sportif comme principalement lié à l'effort
et à la coopération (tableau 2). Inversement, le plaisir n'est pas lié à une
conception du succès en termes de démonstration de supériorité sur autrui ou
de victoire (ego orientation) .
140
STUART BIDDLE
Tableau 2. — Corrélation entre les dimensions « orientation vers la tâche »
ou « orientation vers l'ego », et le plaisir et l'ennui
perçus en sport chez 142 enfants anglais (d'après Duda et al., 1992).
Plaisir en sport
Ennui en sport
Tâche
.54**
.24*
Dimensions
Ego
.06
.23*
** p<.001 ; * p<.01
Une étude complémentaire a examiné l'intensité du plaisir perçu par des
enfants après une épreuve de course d'endurance (Goudas, Biddle et Fox,
1994). Les sujets ont été répartis en fonction de leurs scores à un question
naire
évaluant leur orientation d'accomplissement : orientation vers la
démonstration de supériorité élevée ou faible (S + , S — ) et orientation vers
la maîtrise de la tâche élevée ou faible (M + , M — ). On a donc quatre
groupes, S+M+, S + M— , S — M+ et S — M— (tableau 3). Les
résultats révèlent que, chez les moins bons coureurs, les sujets ayant des buts
de maîtrise élevés (S — M + etS + M +) rapportent une sensation de plai
sirassociée à la course, plus élevée et intense que les sujets ayant des buts de
maîtrise de la tâche faibles (S + M — , S — M — ). Chez les meilleurs cour
eurs, le sentiment d'avoir mal réussi dans cette épreuve de course contribue
à diminuer la sensation de plaisir, particulièrement chez les sujets du groupe
S — M +.
Tableau 3. — Estimation du plaisir (sur des échelles en 5 points)
dans le test d'endurance en fonction de l'orientation motivationnelle
(vers la tâche vs vers l'ego)
chez des sujets dont la performance est inférieure à la moyenne
(d'après Goudas et al., sous presse)
Orientation motivationnelle
Tâche faible, Ego faible
Tâche faible, Ego élevé
Tâche élevée, Ego faible
Tâche élevée, Ego élevé
Score de plaisir
2.3 1
1 .89
2.88
230
Enfin, nous avons étudié cette sensation de plaisir par l'intermédiaire de la
perception du climat du groupe (Goudas et Biddle, sous presse). Plus de
250 garçons et filles ont été questionnés sur la manière dont ils perçoivent leur
propre classe d'éducation physique. Utilisant une version adaptée du « Quest
ionnaire
de perception du climat de la classe en éducation physique »
SPORT, ACTIVITÉ PHYSIQUE ET SANTÉ CHEZ L'ENFANT
141
(Papaioannou, sous presse a et b), nous avons observé deux aspects princ
ipaux: un « climat de maîtrise » et un « climat de performance » (tableau 4). Le
premier regroupe les croyances selon lesquelles l'enseignement de l'éducation
physique a principalement pour but de promouvoir les apprentissages, le pro
fesseur
s'efïorçant d'aider les élèves dans ce sens. La perception d'un climat de
performance regroupe les croyances selon lesquelles la classe d'éducation phy
sique est un lieu de compétition entre élèves qui craignent de faire des erreurs et
de perdre. Les résultats révèlent que les élèves qui considèrent qu'il y a dans leur
classe un fort climat de maîtrise ressentent un plaisir plus élevé que ceux qui
perçoivent leur classe avec un climat de performance. De plus, un niveau élevé
de plaisir est rapporté par les sujets qui perçoivent le climat de leur classe
comme exclusivement de maîtrise ou à la fois de maîtrise et de performance.
Tableau 4. — Estimation du plaisir (sur des échelles en 5 points)
en éducation physique par des adolescents
en fonction du type de perception du climat motivationnel
(maîtrise vs performance) d'après Goudas et Biddle, sous presse)
Climat motivationnel perçu
Maîtrise faible, performance faible
Maîtrise faible, performance élevée
Maîtrise élevée, performance faible
Maîtrise élevée, performance élevée
Score de plaisir
3.32
3.57
3 .99
4.00
3. L'incitation des enfants à avoir une activité physique
II ne suffît pas d'analyser les pratiques de santé, encore faut-il savoir
comment promouvoir la participation des enfants aux activités physiques. En
effet, on sait qu'il existe une relation entre un mode de vie sédentaire chez
l'adulte et le risque d'infarctus et il est possible que l'origine de ce risque soit
à rechercher dans l'enfance : les enfants inactifs accumuleraient les problèmes
pour le futur. La question à résoudre n'est plus alors de maintenir les enfants
en bonne forme physique à court terme, mais de les aider à devenir des
adultes actifs. Les interventions en direction du premier objectif pourraient
avoir un effet négatif en regard du second.
Il a été montré que chez des adultes (Dishman, Sallis et Orenstein, 1985),
les préoccupations de santé peuvent motiver la participation à un programme
d'activité physique au départ, mais qu'à terme le sentiment de bien-être et de
plaisir sont nécessaires pour que la participation soit maintenue. Il est pro
bable
que le souci de santé est absent chez l'enfant qui s'engage par simple
plaisir, renforcement social et autre gratification plus immédiatement tan
gible.
Pour cette raison, les résultats des recherches relatives à la motivation
des enfants pour le sport sont en partie transposables pour comprendre les
mécanismes de participation en tant que tels.
142
STUART BIDDLE
La recherche dans le domaine du sport chez les jeunes en Amérique du
Nord a montré que les facteurs « amusement », « excitation » et « développe
ment
des habiletés » sont plus importants que les facteurs sociaux et extrinsè
ques,
tels que « faire plaisir à l'entraîneur » et « gagner » (Wankel et Kreisel,
1985). La motivation intrinsèque semble être un facteur central dans la pro
motion
de l'activité physique chez les enfants, motivation intrinsèque qui,
nous l'avons dit, est étroitement associée à une orientation individuelle vers
la maîtrise de la tâche (seule ou combinée avec une recherche de supériorité
sur autrui) et une pratique dans un climat de maîtrise.
Ryan et Connell (1989) ont récemment proposé de tenir compte, dans l'a
pproche
de la motivation intrinsèque du degré d'internationalisation du
contrôle. Ces auteurs opèrent une distinction entre le contrôle externe, l'introjection, l'identification et le contrôle intrinsèque. Le contrôle externe caracté
rise
un comportement initié et entretenu par une récompense externe : c'est le
cas d'un élève qui s'applique, en éducation physique, dans le but d'obtenir une
récompense tangible. Dans le cas de l'introjection, l'action est contrôlée par des
règles que l'individu a lui-même instaurées : c'est l'exemple d'un élève qui fait
ses devoirs afin de n'avoir rien à se reprocher. L'identification caractérise les
actions qui répondent à un double investissement, sur les actions elles-mêmes et
sur les bénéfices qui leur sont associés : c'est le cas de l'activité physique dans
une perspective de santé. Enfin les actions intrinsèquement motivées sont mises
en œuvre pour l'amusement et le plaisir qu'elles procurent. Ces quatre types de
motivation forment un continuum « d'autonomie perçue » et ces perceptions,
lorsqu'elles sont reportées sur une échelle de valeurs, peuvent aboutir à un
« index d'autonomie relative ».
Tableau 5. — Matrice des corrélations
entre les orientations motivationnelles d'adolescents de 13-14 ans
au cours de séances de football (garçons) et de netball (filles) en éducation physique.
Les liens 2 à 5 sont utilisés dans le calcul de l'Indice d'autonomie relative
(d'après Goudas et al., 1994)
1.
2.
3.
4.
5.
A-motivation
Régulation externe
Régulation introjectée
Régulation identifiée
Motivation intrinsèque
2
.55**
3
-.14
.23
4
-.62**
-.25
.42**
5
-.72**
-.38**
.33*
.87**
* p<05 ; ♦♦ p<01.
Nous avons examiné 80 élèves de 13-14 ans par rapport à leur autonomie,
compétence et plaisir perçus pendant deux activités en eps : le football (garçons)
ou le netball (jeu d'équipe semblable au basket-ball pratiqué par les filles à
l'école) et gymnastique (garçons et filles). Les résultats montrent que les élèves
SPORT, ACTIVITÉ PHYSIQUE ET SANTÉ CHEZ L'ENFANT
143
manifestent un plaisir nettement plus élevé en football et au netball qu'en gymn
astique
et que l'autonomie plutôt que la compétence perçue est la principale
raison de cette différence (tableau 5). Cela confirme un point essentiel de la
Théorie de l'évaluation cognitive (Deci et Ryan, 1985) selon lequel la percep
tion
du contrôle est plus importante que la récompense perçue en ce sens et que
cette dernière n'est associée à la motivation intrinsèque et au plaisir que lorsque
l'individu considère qu'il a un contrôle personnel sur ses actions.
En conclusion
Cet article a passé en revue un certain nombre de questions liées à l'activité
physique chez l'enfant d'un point de vue de santé. On se soucie du fait que les
enfants seraient moins actifs physiquement qu'il n'est souhaitable pour leur
santé, même s'ils représentent le groupe social le plus actif et le plus en forme de
nos sociétés. Il est néanmoins important de poser le problème de la promotion
des activités physiques au plan psychologique. Chez l'enfant, les effets immé
diatement
associés à l'activité physique tels que le plaisir et l'augmentation de
l'estime de soi apparaissent beaucoup plus importants que des préoccupations
plus abstraites concernant la santé, au moins du point de vue de la motivation.
Par conséquent, dans une perspective d'encouragement à la pratique, à court et
long terme, les éducateurs physiques, entraîneurs et parents ont intérêt à pro
mouvoir
simultanément la motivation intrinsèque, les sensations de bien-être
psychologique et le sentiment d'autonomie chez l'enfant.
Correspondance :
Stuart Biddle, PhD School of Education
University of Exeter, Exeter EX1 2LU, G.-B.
Fax : + 44 392 264792
Email : S.J.H. [email protected]
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Note de l'auteur. — Je tiens à remercier le Dr Kenneth Fox pour sa participation
aux recherches rapportées ici, ainsi que Fabienne Thompson et Marc Durand pour la
traduction de cet article en français.

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