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Note sur l’escorting.
Complexité et diversité des pratiques prostitutionnelles
Depuis une dizaine d’années, l’essor de l’usage des nouvelles
techniques d’information et de communication (NTIC) a
considérablement modifié le champ de la prostitution, en favorisant notamment le développement de l’escorting. Il s’agit
d’une prestation de service tarifée qui
allie une relation d’accompagnement
à des pratiques sexuelles. La nature,
la localisation, la durée et le coût de
la prestation sont tacitement contractualisés préalablement à la rencontre entre l’« escort(e) » et son/sa
client(e).
Si cette activité est exercée majoritairement par des femmes, les annonces d’hommes et de personnes transgenres sont de plus
en plus nombreuses tant sur les sites spécialisés que sur les sites généraux. Cette tentative de définition ne doit pas
masquer la diversité des pratiques que le terme recouvre, lui conférant
ainsi le statut de mot-valise aux contours flous et mouvants. Son usage
peut être interprété comme une tentative pour déjouer les effets stigmatisants mais également réducteurs du mot prostitution et le resituer dans
le continuum des échanges économico-sexuels. Le constat du caractère
hétérogène de ces pratiques ne doit pas décourager l’analyse réflexive,
tant cet état de fait est en lui-même gros d’enjeux cardinaux par rapport
au débat actuel sur l’abolition de la prostitution par la pénalisation de
ses clients.
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Sens-Dessous : Désordre - décembre 2012
Dans cette perspective, nous aborderons deux questions qui nous permettront conjointement de décrire le cadre d’exercice et les pratiques des escort(e)s et de contribuer au
débat actuel et à la lecture de
l’argumentaire de la résolution votée le 6 décembre 2011:
– Comment, et dans
quelle mesure, le cadre internet modifie-t-il les pratiques
prostitutionnelles ?
– Quelle typologie des
pratiques est-il possible de repérer, au regard notamment
de ce que les escort(e)s restituent de leur activité ?
Chercher à dénombrer les escort(e)s est un exercice périlleux du fait de
la labilité du phénomène : les sites référencent des annonces plus ou moins
personnalisées (et pas des personnes). Un(e) escort(e) peut multiplier les
annonces qui peuvent être déposées simultanément ou successivement selon les stratégies de chacun(e) et ce, sous des pseudonymes différents ou
pas. Enfin, la cessation d’activité ne se traduit pas par un déréférencement
automatique selon les sites. Plusieurs dizaines de milliers d’annonces sont ainsi accessibles dans ce
Le constat du caractère
cadre protéiforme.
hétérogène de ces
pratiques ne doit pas
décourager l’analyse
réflexive, tant cet état de
fait est en lui-même gros
d’enjeux cardinaux par
rapport au débat actuel
sur l’abolition de la
prostitution par la
pénalisation de ses
clients.
Deux grands types de site référencent les annonces d’escort(e)s :
des sites généraux et des sites spécialisés (payants pour l’annonceur).
Dans ces derniers, l’espace de l’annonce permet à l’escort(e) de personnaliser son offre de service en se
décrivant physiquement et en se
donnant à voir (par la photographie), en explicitant sa pratique (et
les limites qu’elle lui enjoint) et ses
tarifs. Les prestations d’escorting
sont tarifées à l’heure et non à
l’acte comme dans la rue. Ces annonces sont également susceptibles de permettre l’accès au blog ou à la
page personnelle de l’escort(e), s’ils existent (cette pratique est minoritaire), permettant au client d’affiner son choix et à l’escort(e) de se situer
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SOCIAL ET POLITIQUE
dans un rapport interactif avec sa clientèle en « dynamisant » sa prestation de service.
Contrairement aux pratiques prostitutionnelles de rue dans lesquelles
la rencontre entre l’offre et la demande, la contractualisation de la prestation sexuelle tarifée et son accomplissement se déroulent majoritairement
dans une quasi-unité de temps et de lieu (de nombreux actes sexuels se déroulant en outre dans l’espace public), donc dans une dynamique marquée
par la synchronie et l’immédiateté, les NTIC permettent un découplage de
ces trois temps, créant ainsi des interstices et des espaces interméMajoritairement,
diaires propices à l’étayage d’un
rapport à l’activité originale. Cette
l’escort(e) doit avoir
dissociation spatio-temporelle de la
l’apparence d’un(e)
construction de l’offre, de la
ami(e), voire du (de la)
contractualisation de la prestation
partenaire idéal(e) d’une
(qui peut aller jusqu’à sa scénarisaheure, d’une journée,
tion) et de la rencontre d’escorting
d’un dîner ou d’un
est susceptible de permettre de renvoyage (d’affaires ou
dre compte de la réalité de l’acte
pas). La
dans ses dimensions multiples. La
construction de l’offre permet à l’escontractualisation ellecort(e) de préciser sans équivoque la
même se fait le plus
nature de son implication (ce
souvent par téléphone.
qu’elle/il pratique), ses limites (ce
qu’elle/il ne pratique pas), les attitudes qu’elle/il réprouve et celles qu’elle/il apprécie, les conditions matérielles dans lesquelles peuvent se dérouler la rencontre (comment entrer en
contact avec elle/lui; où elle/il accepte de pratiquer). Elle/il y induit ou précise souvent son rapport à l’activité : occasionnel(le) ou régulier(e), amateur(e) ou professionnel(le). Enfin, sur Internet, l’annonce peut faire l’objet d’un travail permanent d’ajustement à différents types de contraintes
(personnelles, économiques, juridiques, etc.).
Avant le premier contact avec l’escort(e) (par téléphone le plus souvent, ou par email), le client a donc pu prendre connaissance de ces informations. Si certains négocient les conditions de l’offre, cela se fait à distance, ce qui permet à l’escort(e) de mettre un terme à toute transaction
qui prendrait un tour trop anxiogène ou discordant au regard de son annonce. C’est donc par la médiation d’une annonce, adjonction de texte et
de photo, que le client projette sa demande. Majoritairement, l’escort(e)
doit avoir l’apparence d’un(e) ami(e), voire du (de la) partenaire idéal(e)
d’une heure, d’une journée, d’un dîner ou d’un voyage (d’affaires ou pas).
La contractualisation elle-même se fait le plus souvent par téléphone.
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Sens-Dessous : Désordre - décembre 2012
A minima, elle précise le lieu, le coût et les pratiques engagés. Ce script
fera office de balise lors de la rencontre (qui peut durer de moins d’une heure
à une semaine, voire plus). Cette médiatisation téléphonique et/ou informatique, par les traces qu’elle laisse, peut se révéler être
également une ressource protectrice pour les
escort(e)s en cas de violence ou de vol de la part des
clients. À l’issue de cette phase qui ne dure que
quelques minutes mais qui peut n’aboutir qu’après
plusieurs entretiens et/ou échanges de mails, rendezvous est pris.
Les entretiens réitérés que nous avons eus avec
des escort(e)s nous ont permis de dégager trois
grands types de conception de l’escorting fondés sur
la définition que chacune/chacun construit progressivement de son expérience de l’escorting au gré de son parcours personnel,
de ses références socioculturelles.
– Pour certain(e)s escort(e)s, cette pratique est verbalisée comme une relation sexuelle à connotation affective sans engagement: être payé(e)s leur
permet de s’engager dans le présent de la rencontre et de l’acte sexuel en lui
soustrayant toute dimension projective sur le plan affectif. Le registre professionnel n’est absolument pas mobilisé.
– L’escorting comme relation d’assujettissement au sein de laquelle certaines escort girls se vivent dans le regard et dans les actes de leurs clients
comme des marchandises, soit sous le registre de la soumission soit sur celui
de la révolte, auxquels cas elles renversent la relation d’assujettissement en
associant ces derniers à l’objet à dominer sans partage. Les personnes qui se
situent plutôt sur ce registre font souvent référence à l’escorting comme seule
alternative possible à leur précarité socio-économique et/ou à leur absence de
qualification.
– L’escorting comme activité professionnelle contractualisée tacitement
(à laquelle ne manquerait que le statut juridique): ces escort girls se vivent
comme des prestataires de service vendant de l’accompagnement érotique, de
la santé sexuelle adaptés à la demande de leurs clients. À leurs yeux, la vente
de services sexuels est une activité du tertiaire qui n’est pas dégradante et qui
mobilise une éthique de la relation et des valeurs professionnelles. Ainsi, ces
personnes distinguent très clairement les pratiques sexuelles tarifées de celles
qui ne le sont pas. Elles revendiquent, pour une part significative d’entre elles,
le statut de travailleuses du sexe.
Ces trois types de signification de l’escorting mettent finalement en
exergue combien le cadre de pensée et le système de valeur de référence structurent en chacun le rapport à l’activité et distribuent la complexité et la diversité des pratiques prostitutionnelles.
Laurent Mélito
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