Extrait - Librinova
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Augustin Foureau Tapette. © Augustin Foureau, 2016 ISBN numérique : 979-10-262-0453-4 Courriel : [email protected] Internet : www.librinova.com Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. La première fois que j'ai entendu cette insulte, j'ai ri. Je pensais que l'on m'insultait de tapette à mouche, j'ai trouvé ça assez ridicule. Je n'ai compris que plus tard ce qu'était une tapette. C'est mon cousin qui me l'a appris. À huit ou neuf ans j'imitais mes aînés pour me rendre intéressant. J'attendais souvent l'insulte « ptit pd » que mon grand frère et mon cousin prononcaient l'un envers l'autre pour plaisanter. J'ai voulu plaisantais avec eux. Mon cousin m'a alors regardé avec un grand sourire pour me dire : « Tu sais ce que c'est au moins un pd ? » Je ne savais pas bien sûr. Je ne savais pas pourquoi il me disait cela. Pourquoi j'étais pd ? Je n'avais rien demandé à personne. J'avais l'impression qu'on m'imposait quelque chose que je ne voulais pas. Et puis les années ont passé et j'ai compris. Je n'étais en effet pas un petit garçon comme les autres, j'étais bien une « tapette ». J'ai grandi dans une ferme, mon papa est éleveur de vaches laitières. J'ai une grande sœur qui a neuf ans de plus que moi, mon père l'aime beaucoup mais son rêve ultime était d'avoir un fils qui reprenne l'exploitation comme cela ce fait souvent dans le milieu. Il a très vite compris qu'avec moi la tâche serait rude. Je n'étais clairement pas le fils qu'il attendait. Nos chemins se sont donc très vite séparés. Il n'a juste pas compris que j'étais différent. Pourtant était assez visible. Mon père s'entendait très bien avec un voisin agriculteur qui avait un fils de mon âge, Maxime. C’était le fils rêvé pour mon père : débrouillard, manuel, bricoleur, aimant avec les animaux, adorant passer toutes ses après-midis assis dans le tracteur, criant dès l'âge de six ans dans toute la campagne environnante qu'il voulait faire le métier de papa bref, tout ce que mon père aurait rêvé que je sois. En y pensant je me demande comment il a fait pour ne pas voir que je n’étais pas comme les autres. Il avait un outil de comparaison juste là devant sa porte, il a bien dû le remarquer. Ou alors il a fait semblant de ne rien voir. Il était évident que je n'avais rien à faire dans une ferme. Je ressemblais plus à Candy qu'à Tom Sayer clairement. Mon père a bien essayé de me mettre au travail mais c'était impossible pour moi, je ne comprenais rien à ce qu'il me disait et au milieu agricole en général, j'étais parisien avant l'heure. Il me disait des phrases qui n'avaient aucun sens pour moi : « Julien ! Viens remonter l'ensilage » « Va faire un tour de moisse-batte » « Viens nous aider à bâcher le silo ! » Je ne comprenais rien du tout. C'était du japonais pour mes oreilles. Et le pire de tout c'était quand mon père décidait que je devais l'accompagner pour la traite des vaches. C'était mon bagne, ma prison, parce que dans la salle de traite j'avais pour mission de nettoyer les pis des vaches. Mon Dieu. C'était horrible, je me suis retrouvé face à ces . . . à ces seins, la transposition est facile, ce sont des seins, des gros seins laiteux et pendants de vaches certes mais des seins quand même. Et bien déjà à huit ans je ne pouvais pas toucher ce genre de choses. J'avais l'impression de violer la vache. Parce que pour moi c'était une partie intime du corps de l'animal et je trouvais ça très impudique d'aller mettre mes mains là dessus et je l'ai dit à mon père : « Mais papa je la connais à peine cette vache, je viens juste de la rencontrer, on ne va pas commencer à se tâter les mamelles! » Et pendant les moissons, les repas de fin de journée avec tous les agriculteurs du voisinage assis autour de moi, c'était le choc des civilisations. Parce que j'étais déjà plein de manières, plein de principes, je me donnais un aspect très précieux alors que les agriculteurs sont des terriens, de bons vivants, qui parlent forts, qui rient fort . . . Donc quand j'ai vu l'agriculteur plongé sa tartine de camembert dans son verre de vin rouge, j' étais un petit peu décontenancé. J'observais tout ce qui se passait à table et j'essayais de décrypter ce que j'entendais mais j’étais perdu. Vous imaginez donc mon angoisse quand l'un des agriculteurs s'est tourné vers moi pour me dire : « Et le petit il en pense quoi ? » J'ai ri bêtement, c'est tout ce que j'ai trouvé à répondre. Et finalement ce fut une réponse brève mais efficace, personne ne m'a jamais plus posé de question après ça. De plus, lorsqu'un nouvel agriculteur arrivait à table et qu'il essayait de converser avec moi, son voisin de table lui faisait comprendre par des coups de coudes que ce n'était pas la peine aprce que j'étais un peu . . . dérangé. Parfait. Heureusement que ma mère était là pour me sortir souvent de ce genre de situation en m'envoyant souper seul dans le salon. C'est la femme de ma vie ma mère, en même temps il est vrai que la concurrence est moindre. Elle était assez stricte, parfois autoritaire mais souvent joyeuse. Elle était totalement investie dans notre éducation, elle voulait que l'on travaille durement à l'école mais que l’on s'intéresse aussi a plein d'autres choses. Ça c'était le rôle des activités extrascolaires. Sur mon état civil il est noté que je suis un garçon, je suis donc inscrit à un entraînement de football. Dans un premier temps, je n'avais aucune appréhension : je suis un garçon, je vais au foot, aucun problème. Seulement quand j'ai vu que les filles du club jouaient mieux que moi j'ai commencé à me poser des questions. Je ne le savais pas à cet instant mais je m'apprêtais à vivre un événement qui allait bouleverser ma vie à jamais car c'est lors de cet entraînement que j'ai croisé pour la première fois le regard de l'homophobie. Ou en tout cas de la moquerie. J'étais sur la pelouse, le ballon était situé juste devant moi et je m'apprêtais à tirer quand j'ai entendu des rires, je me suis tourné, j'ai alors vu deux garçons qui se moquaient de moi mais surtout qui me mimaient, qui m'imitaient et ce fut un choc pour moi car pour la première fois de ma vie je me suis vu. J'ai vu mes manières, j'ai vu mes gestes féminins, j'ai entendu ma voix efféminée et le plus important, j'ai compris que j'étais différent. Et après cet événement cette différence je n'ai cessé de la constater. À l'école lorsque que l'on nous demandait ce que nous voulions faire plus tard tous les garçons répondaient : pompier, gendarme, astronaute, moi : coiffeur ou maîtresse d'école. Parce que je pense qu'à l'époque j'étais une petite fille. Je me tenais comme une fille, je pensais comme une fille, je voulais ce que les filles voulaient. Je voulais donc être coiffeur et un jour en faisant les courses avec mes parents nous avons traversé le rayon jouet et là j'ai découvert le Graal : une poupée Barbie, trente cinq centimètres de cheveux sur quinze centimètres de corps : « Mais c'est super, je vais pouvoir faire plein de trucs avec ça, je vais la coiffer, la brusher, la décoiffer, la débrusher, lui couper les cheveux, lui recoller les cheveux à la super glue, ça va être génial, papa maman je veux une poupée Barbie ! »