DOULEURS NEUROPATHIQUES André Muller La douleur, ce n`est
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DOULEURS NEUROPATHIQUES André Muller La douleur, ce n`est
DOULEURS NEUROPATHIQUES André Muller La douleur, ce n’est pas ce que sent l’individu, c’est ce qu’il fait de la sensation. Il fait avec ce qu’il est. Il est ce que les autres et lui-même ont fait de lui. Et la plainte, à laquelle sont confrontés les soignants, c’est ce qu’il en dit et en montre. PRE-REQUIS En tant que soignants, nous sommes confrontés à la plainte de patients, plainte qui ne peut être réduite à un simple fait physiologique ou neurochimique. Plusieurs éléments concourent à l’élaboration d’une plainte (fig. 1), laquelle dépend bien sûr de l’émetteur, mais aussi du destinataire, selon ce que le patient en attend en retour. Figure 1 : Eléments qui contribuent à la plainte douloureuse. Si en situation de douleur aiguë, c’est l’épine somatique que l’on recherche pour la traiter (modèle bio-médical), en situation de douleur chronique, les facteurs évènementiels (contexte de survenue d’un traumatisme par exemple), psychologiques, et environnementaux jouent tout autant (modèle bio-psycho-social). Parmi les mécanismes générateurs de plaintes douloureuses, on distingue les douleurs : - nociceptives qui correspondent à une activation brève [douleur phasique] ou soutenue [douleur tonique] du signal d’alarme que sont les voies nociceptives (fig. 2), avec dans le second cas, une plasticité des voies nociceptives. Elles ont pour traduction une hyperalgésie, parfois une allodynie, et l’instauration d’une trace mnésique. Habituellement, lorsque le dégât responsable guérit, les douleurs régressent, sachant que la disparition de l’hyperalgésie nécessite des mécanismes compensateurs actifs. Les traitements médicamenteux efficaces sont les antalgiques, à adapter à l’intensité de la douleur et aux capacités métaboliques du patient. Les douleurs nociceptives peuvent être aiguës ou chroniques. - neuropathiques qui sont le résultat d’une irritation et/ou d’une lésion des voies nociceptives, à l’origine de sensations anormales perçues dans le territoire sensitif correspondant à l’élément irrité/lésé. Ces sensations anormales, continues et/ou paroxystiques, spontanées et/ou provoquées ne sont que peu sensibles aux antalgiques, les médicaments à privilégier étant les psychotropes, dont le rapport bénéfice/effets secondaires peu favorable n’incite pas à l’observance. Les douleurs neuropathiques peuvent être aiguës (pour celles qui relèvent d’un mécanisme irritatif) ou, le plus souvent, chroniques. - psychogènes, survenant parfois sans substratum organique, soit le plus souvent se révélant à l’occasion d’un évènement initiateur organique. La plainte ici parle d’autre chose que du corps propre, charnel. Une douleur sine materia n’est pas à assimiler d’emblée à une douleur psychogène, un tel diagnostic ne peut être porté que sur des anomalies psychopathologiques. Ce sont toujours des douleurs chroniques. - mixtes, qui constituent le plus souvent la règle. Même une douleur postopératoire, souvent considérée comme le prototype d’une douleur nociceptive, a une part neuropathique car il y a eu des sections nerveuses. Quant à la psychogenèse, elle est présente dans toutes les douleurs, ne serait-ce que par la coloration que confère la personnalité à la plainte douloureuse. Figure 2 : Schématisation des différents échelons des voies nociceptives. En périphérie (SNP), les afférences nociceptives de toutes sortes cheminent soit avec les fibres du SNA (pour les afférences viscérales), soit dans les nerfs somatiques. La moelle est un premier niveau d’intégration sur lequel convergent des afférences nociceptives, non nociceptives, et des fibres descendantes des systèmes de contrôle, et à l’origine de réponses segmentaires motrices et sympathiques. Le niveau d’élaboration des composantes de l’expérience douloureuse (sensori-discriminative, affective et émotionnelle, cognitive) est central. Epidémiologie Les enquêtes réalisées en Angleterre et en France estiment que des douleurs chroniques affectent plus de 40% de la population générale, et que les douleurs chroniques de « type neuropathique » (reconnaissance basée sur les caractéristiques séméiologiques) concernent 8 à 12% de la population. L’incidence des douleurs post-zostériennes est de 12% à 3 mois et de 5% à un an, celles des douleurs fantômes de près de 70% en postopératoire, celles des douleurs de neuropathie diabétique de 26%, et celles des douleurs post-chirurgicales (après chirurgie qui sectionne des nerfs : curage axillaire, thoracotomie, cure de hernie inguinale,…) de près de 40% à trois mois. Dix pour cent des patients qui ont une lésion nerveuse périphérique souffrent de douleurs ; plus la lésion est centrale, et plus ce pourcentage augmente. Ces douleurs sont donc relativement fréquentes, et représentent près de 25% des motifs de consultation au centre de la douleur. Définition des douleurs neuropathiques Elles résultent d’un dysfonctionnement des voies nociceptives consécutif à une lésion et/ou à une irritation de l’un quelconque de ses constituants. Ainsi existe-t-il des douleurs neuropathiques en rapport avec une lésion/irritation des nerfs périphériques d’origine traumatique, toxique, métabolique, ischémique, immuno-allergique, infectieuse, génétique (neuropathie à fibres fines, maladie de Fabry,…). Mais les mêmes causes peuvent endommager la moelle épinière ou les centres supérieurs et être alors à l’origine de douleurs neuropathiques centrales. Ainsi dans les suites d’un AVC, certains patients, et en général ceux qui ont la meilleure récupération motrice, peuvent développer des douleurs localisées aux zones corporelles qui ont la plus grande représentation somesthésique (extrémités). Lésion et/ou irritation expliquent la diversité des tableaux cliniques (même s’il y a des éléments communs à toutes les douleurs neuropathiques, en particulier dans les termes employés pour leur description) et les différences de sensibilité aux médicaments, les opioïdes pouvant, en partie tout du moins, soulager parfois certaines douleurs neuropathiques. L’irritation (inflammation locale, névrite,…) donne en effet une douleur nociceptive du nerf qui peut être sensible aux antalgiques. Physiopathologie des douleurs neuropathiques La physiopathologie est mieux connue pour les douleurs neuropathiques périphériques qui recouvrent différentes entités pour lesquelles existent des modèles animaux : la section d’un nerf périphérique peut donner des douleurs dans le territoire anesthésié et on parle alors de désafférentation vraie; les lésions partielles d’un nerf périphérique ou de ses racines par ligature ischémiante provoquent en plus une douleur nociceptive du nerf. La perte de certaines fibres du nerf, la sensibilisation des fibres partiellement lésées à toutes les stimulations (chimiques, mécaniques, activation locale ou généralisée du système nerveux sympathique), la repousse de fibres Aβ vers des synapses spinales laissées vacantes par la perte de fibres Aδ ou C, ainsi que l’apparition de foyers d’électrogenèse ectopique sont responsables des sensations anormales douloureuses (fig. 3). Figure 3 : Mécanismes physiopathologiques des douleurs par lésion nerveuse périphérique. L’irritation d’un nerf (non sectionné) donne, via des influx antidromiques, une inflammation neurogène, responsable en partie de la douleur nociceptive du nerf. La lésion entraîne une dégénérescence des fibres, et une tentative de repousse, mais l’on considère qu’un nerf qui a été simplement comprimé perd au final 10% de ses fibres, d’où des signes déficitaires (anesthésie ou hypoesthésie à différentes modalités sensorielles). L’activité électrique générée au site de lésion se projette vers les structures centrales qui, en outre, deviennent elles-mêmes des foyers d’électrogenèse atypique. La perturbation des réponses réflexes et des contrôles descendants peut être à l’origine d’une causalgie secondaire (douleur dépendante du sympathique, qui va évoluer pour elle-même). Les sensations anormales constituent le cœur des douleurs neuropathiques. L’intégration centrale anormale de l’électrogenèse est parfois à l’origine de signes dits irritatifs, allodynie et/ou hyperalgésie, et/ou hyperpathie. Les données récentes de la recherche révèlent qu’outre des modifications anatomiques (avec en particulier remodelage somatotopique) et histologiques (en cas de tentative de repousse, les fibres fines, essentiellement les fibres C sont surreprésentées dans le névrome), il y a en périphérie et en spinal des perturbations biochimiques et électrophysiologiques. Dans l’afférence et dans le ganglion spinal, il y a des modifications concernant des neurotransmetteurs excitateurs et inhibiteurs (neuropeptides, acides aminés excitateurs, GABA, interleukines, anti-opioïdes tel la CCK). Dans les fibres fines du ganglion spinal, on constate une chute des canaux sodium résistants à la tétrodotoxine (TTX-r) et une élévation des canaux TTX-s, alors que dans les nerfs voisins intacts, il y a une surexpression. Dans les grosses fibres, on note assez rapidement une augmentation des courants chlore dépendant du calcium et de la densité des canaux TRPV1 (excitateur rapide). Il y a aussi surexpression des récepteurs B1 à la bradykinine, ainsi que de certains canaux sodium. Dans la moelle, la réduction de l’effet habituellement inhibiteur du GABA facilite l’excitabilité des neurones nociceptifs spinaux. Dans la corne postérieure de la moelle, la dégénérescence des afférences provoque une chute modeste du nombre de récepteurs α2-adrénergiques, une chute prononcée et réversible en quelques semaines, du nombre de récepteurs µ et δ. La chute de la densité des récepteurs µ est corrélée au degré d’allodynie. Enfin, dans la moelle, l’accès a été mis récemment sur la participation des cellules microgliales et des astrocytes à la pérennisation des anomalies électriques, et à l’extension topographique des douleurs (en-dehors du territoire de la structure lésée, vers les nerfs intacts voisins, voire à distance dans l’extension centripète ou dans les douleurs en miroir). Le remodelage somatotopique affecte non seulement l’échelon spinal, mais aussi les structures centrales, ce que l’imagerie fonctionnelle cérébrale a permis de démontrer. Une zone désafférentée laisse sur l’homonculus des aires somesthésiques (fig. 4 gauche) des synapses vacantes qui seront activables par les afférences destinées aux zones cérébrales voisines. Ainsi par exemple dans une désafférentation de membre supérieur (amputation, avulsion plexique,…), ce sont les projections de la face qui vont occuper la place vacante, et toute stimulation faciale peut être perçue dans le fantôme (fig. 4 droite). Figure 4 : Réorganisation somatotopique centrale après lésion nerveuse périphérique. A gauche, disposition somatotopique sur l’aire S1 ; noter la proximité des représentations de la face et du membre supérieur. A droite, patient avec avulsion plexique (donc désafférentation du membre supérieur) chez lequel des stimulations appliquées sur la joue déclenchent des sensations à la fois dans les doigts (n° de doigt figuré sur la face) et dans la zone limitrophe non désafférentée. Toutes les lésions nerveuses ne donnent cependant pas des douleurs, et il y a une prédisposition génétique, qui concerne pour l’essentiel les gènes codant pour certains canaux sodiques (responsables des douleurs spontanées) dans le ganglion spinal, les gènes codant pour un canal transitoire TRPM (impliqué dans l’hyperalgésie). Certains facteurs de fragilisation (compression des racines du nerf dans un canal rachidien étroit, syndrome canalaire, neuropathie métabolique ou toxique,….) favorisent l’expression clinique douloureuse d’une lésion/irritation de nerf. Dans la majorité des cas, une lésion nerveuse donne simplement des troubles sensitifs déficitaires. La récupération est possible après une lésion nerveuse, pour peu que les fibres lésées « retrouvent » leur cible. Après une lésion de fibre nerveuse, c’est à partir du ganglion spinal qui contient les corps cellulaires que se fait une repousse, à une vitesse allant de 1 à 3 cm par mois, la douleur étant, lorsqu’elle existe, présente aussi pendant la phase de récupération. Ainsi, il est aisé de comprendre qu’une sciatique compressive qui a été opérée nécessite environ 3 ans avant une hypothétique récupération complète des troubles sensitifs, et que les douleurs peuvent durer tout ce temps. Aspects cliniques des douleurs neuropathiques Les douleurs liées à un dysfonctionnement des voies somesthésiques peuvent apparaître rapidement (dans les jours suivant la lésion) ou de façon plus tardive (semaines, mois, voire années qui suivent la lésion, le vieillissement du système nerveux ou tout autre facteur surajouté pouvant constituer un révélateur). Quand il y a un élément irritatif de type inflammatoire, la douleur est souvent précoce, et peut alors réveiller le patient, ce qui n’est jamais le cas lors des douleurs purement lésionnelles. Les douleurs sont perçues dans le territoire de distribution de la structure lésée et/ou irritée, avec possibilités d’extensions. Celles-ci peuvent, en cas d’atteinte nerveuse périphérique, concerner : i/ la partie proximale du nerf lésé, la douleur pouvant ainsi se propager en direction centripète, ii/ les nerfs voisins, à priori intacts, qui sont alors le siège de « sensations anormales » sans que l’on ne puisse parle d’hypoesthésie ou d’hyperalgésie franches, iii/ an quadrant, dans le territoire de distribution du système nerveux sympathique qui accompagne le nerf lésé, iv/ rarement en controlatéral, v/ encore plus rarement en hémicorporel. Ces extensions sont le fait de manifestations de la plasticité centrale des voies nociceptives, dans laquelle les cellules microgliales et les astrocytes jouent un rôle important. Le site de lésion/irritation nerveuse, est le siège d’une hyperexcitabilité, ce qui, lorsque ce site est accessible à la palpation, donne le classique signe de Tinel. Les douleurs sont spontanées et/ou provoquées, continues et/ou paroxystiques. De multiples facteurs, tels que l’humeur, le climat, le stress, l’attention ou la distraction, des affections intercurrentes douloureuses peuvent les modifier. Les douleurs continues sont le plus souvent décrites comme des brûlures, des « orties », des picotements, un engourdissement, des impressions de froid ou de chaleur. Les douleurs paroxystiques sont décrites comme des crampes, des décharges électriques, une impression d’étau, des coups de poignard. Ces termes sont ceux que l’on retrouve dans l’outil d’évaluation nommé DN4 (fig. 5). Parfois s’y associent des manifestations vasomotrices et sudomotrices, ainsi que des altérations de la coloration, et de vives douleurs à l’effleurement, ce qui correspond à une causalgie surajoutée, laquelle signe l’intervention du système nerveux autonome. L’examen clinique retrouve des signes déficitaires et des signes irritatifs. Il peut exister une hypo- voire une anesthésie à une ou plusieurs modalités somesthésiques, et par ailleurs des sensations pénibles déclenchées par d’autres modalités. L’allodynie est une sensation douloureuse déclenchée par une stimulation qui en temps normal ne l’est pas : on distingue l’allodynie mécanique, statique (application de la main par exemple) ou dynamique (effleurement par exemple, et l’allodynie thermique (au chaud ou au froid). L’hyperalgésie est une douleur exagérée en réponse à une stimulation normalement douloureuse. L’hyperpathie est déclenchée par la répétition de stimulations - qui, appliquées isolément, ne sont pas douloureuses, voire non perçues s’il y a une anesthésie – la douleur étant explosive, décalée dans le temps par rapport aux stimulations et pouvant durer même après l’arrêt de la stimulation. Evaluation Une douleur neuropathique est à suspecter sur plusieurs critères : la topographie de la douleur, les termes utilisés par les patients pour la décrire, et l’examen clinique. L’outil d’évaluation DN4 (fig. 5) comporte 10 items, et si la réponse aux questions est « oui » à au moins quatre items, il y a dans la douleur du patient, une composante neuropathique. Figure 5 : Outil DN4. Le premier groupe de questions concerne la douleur, le second les sensations associées. Les troisième et quatrième groupes correspondent aux données de l’examen clinique. Approche thérapeutique De façon habituelle, les traitements, en particulier médicamenteux, ne sont pas les mêmes dans les douleurs nociceptives et les douleurs neuropathiques. Il est passé dans l’usage de se référer à la classification de l’OMS (fig. 6), différente de la classification des pharmacologues, pour traiter les douleurs. Il faut cependant rappeler qu’initialement cette classification était prévue pour les douleurs cancéreuses nociceptives, et que son extension à d’autres situations de douleurs est probablement en cause dans les prescriptions abusives d’opioïdes forts. Figure 6 : Echelle de l’OMS. Elle s’adresse aux douleurs nociceptives cancéreuses, et n’inclut pas tous les antalgiques connus (antalgiques purs type fénines, antispasmodiques, néfopam,méthadone).Parmi les co-analgésiques ne figurent pas non plus d’autres molécules telles la kétamine, les corticoïdes, les inhibiteurs calciques. Aux niveaux 2 et 3, il est conseillé d’adjoindre des antalgiques du palier 1de façon à avoir une action additive ou synergique. Le tableau 1 fournit une liste, non exhaustive, des médicaments utilisés dans le traitement des différents types de douleurs. Antalgiques purs Antispasmodiques Antalgiques antipyrétiques Néfopam Acupan Floctafénine Idarac Phloroglucinol Spasfon Tiémonium Viscéralgine Paracétamol Dafalgan, Doliprane, Efferalgan,… Douleurs aiguës Douleurs aiguës viscérales Douleurs nociceptives aiguës de faible intensité Salicylés Antalgiques antipyrétiques antiAINS inflammatoires Opioïdes de faible puissance d’action Opioïdes forts Antidépresseurs Aspirine, Cébutide Advil, Spifen, Diclofénac, Kétoprofène,….. Codéine, en association avec le paracétamol Efferalgan codéiné, Lindilane, Algisédal,… Dihidrocodéine Dicodin Tramadol Topalgic, Monocrixo, Ixprim (avec paracétamol),… Nalbuphine (agoniste antagoniste) Nubain Buprénorphine (agoniste partiel pouvant devenir antagoniste) Temgésic, Subutex Morphine Skénan, Actiskénan, Moscontin, Kapanol, Sévrédol,… Hydromorphone Sophidone Oxycodone Oxycontin, Oxynorm Fentanyl Durogésic, Effentora, Abstral, Instanyl, Actiq Amitriptyline Laroxyl Clomipramine Anafranil Venlafaxine Effexor Douleurs inflammatoires nociceptives aiguës Douleurs nociceptives d’intensité modérée à forte Douleurs nociceptives intenses, aiguës, ou chroniques (surtout liées aux cancers). Il n’est pas recommandé d’associer deux opioïdes différents. Les opioïdes au long cours entraînent une hyperalgésie et une tolérance. Composante continue des douleurs neuropathiques Les effets Antiépileptiques Autres médicaments Duloxétine Cymbalta secondaires sont fréquents, et gênants surtout chez les sujets âgés Carbamazépine Tégrétol Oxcarbazépine Trileptal Lamotrigine Lamictal Composante paroxystique des douleurs neuropathiques Hydantoïne Di-Hydan Baclofène Liorésal Clonazépam Rivotril Gabapentine Neurontin Prégabalin Lyrica Corticoïdes Prednisolone Les effets secondaires sont fréquents, et gênants surtout chez les sujets âgés Douleurs inflammatoires L’effet antalgique s’épuise rapidement Synacthène Utile au coup par coup dans les douleurs neuropathiques Vérapamil Isoptine Migraines, algies vasculaires, douleurs dépendantes du sympathique Triptans Sumatriptan, Almogran, Tigréat,… Crise de migraine ou d’algie vasculaire Kétamine Antagoniste canalaire des récepteurs NMDA Toutes les variétés d’hyperalgésie, dans toutes les douleurs Sevrage des opiomanes Protoxyde d’azote MEOPA, en Actes douloureux Anesthésiques locaux mélange équimolaire avec l’oxygène Douleurs neuropathiques Lidocaïne, Flécaïne Douleurs viscérales, et neuropathiques La palette thérapeutique des douleurs neuropathiques comprend la prévention des douleurs neuropathiques iatrogènes, et le traitement des douleurs installées, par des médicaments, ou par des traitements non médicamenteux. Les modalités de prévention des douleurs neuropathiques s’appuient sur des données issues de la recherche et sur des arguments cliniques validés. La création d’une lésion/irritation d’un nerf périphérique s’accompagne chez l’animal d’une volée persistante d’influx anormaux qui, aux échelons spinal et supra-spinal, vont altérer de façon durale la réactivité des neurones de projection. Si ces influx sont bloqués, de préférence au moment où la lésion est faite, par un bloc anesthésique prolongé (environ 5 jours), ou si leur impact sur les neurones est atténué par un antagoniste NMDA (kétamine pour quelques jours), les modifications centrales sont quasi inexistantes. Les mêmes modalités appliquées à l’homme, lors d’une amputation de membre par exemple (bloc AL prolongé du nerf sectionné, kétamine IV pour quelques jours), les douleurs de membre fantôme ont une incidence quasi nulle, alors que sans ces mesures, l’incidence atteint 70%. Les traitements médicamenteux des douleurs neuropathiques diffèrent de ceux des douleurs nociceptives. Les douleurs neuropathiques lésionnelles pures ne sont pas sensibles à l’effet des antalgiques, mais sont préférentiellement traitées par des psychotropes (antiépileptiques et antidépresseurs). Quand il y a une part irritative (avec nociception du nerf), les antalgiques peuvent atténuer une partie des douleurs, ce qui explique les discordances trouvées dans la littérature, en particulier en ce qui concerne l’effet des opioïdes sur les douleurs neuropathiques. Les antiépileptiques agissent par le biais de leur effet stabilisant de membrane, soit via des canaux sodiques (carbamazépine, lamotrigine,…), soit via des canaux calciques (gabapentine, prégabalin), soit en modulant des canaux chlore via des récepteurs gabaergiques A (benzodiazépine), soit en activant des récepteurs gabaergiques B (baclofène). Ils sont utilisés pour la composante paroxystique, fulgurante des douleurs neuropathiques. Les études réalisées sur les douleurs de neuropathie diabétique ou sur les douleurs post-zostériennes montrent un bénéfice (fig. 7). Figure 7 : Efficacité des AE dans certaines douleurs neuropathiques. Ici, il s’agit de l’efficacité de la gabapentine. Le NNT (nombre de patients à traiter pour en avoir au moins un qui obtient un soulagement d’au moins 50%) est d’environ 3, le chiffre du NNH (nombre de patients à traiter pour en avoir au moins un qui fait un effet secondaire) est identique. Pour la gabapentine (Neurontin®), la posologie efficace se situe entre 1200 et 2400 mg/j. Il est bon de commencer avec 3 X 100 mg/j puis d’augmenter la posologie tous les trois jours en surveillant l’efficacité et les éventuels effets secondaires, et en tenant compte de la fonction rénale. L’effet indésirable le plus grave est la neutropénie. Les effets les plus fréquents sont : agressivité, confusion, nervosité, somnolence, ataxie, flou visuel, hypertension artérielle, nausées, vomissements, diarrhées, arthralgies, myalgies, fatigue. Le prégabalin (Lyrica®) est de la même famille, et à peu de choses près, le bénéfice et les effets antalgiques sont identiques. Le clonazépam (Rivotril®) n’a pas d’AMM mais l’usage l’a consacré car la posologie peut être adaptée au milligramme près en raison de la présentation sous formes de gouttes. La carbamazépine (Tégrétol®) a une AMM pour toutes les douleurs neuropathiques ; son administration nécessite cependant une surveillance clinique et biologique régulière. L’oxcarbazépine (Trileptal®) et la lamotrigine (Lamictal®) n’ont pas d’AMM, mais ont été testées dans les mêmes indications que la carbamazépine. Les antidépresseurs les plus efficaces sont ceux qui ont une action noradrénergique prépondérante (fig. 8), alors que les sérotoninergiques spécifiques n’ont pas d’effet antalgique propre. Les plus utilisées sont l’amitriptyline (Laroxyl®), la clomipramine (Anafranil®), la venlafaxine (Effexor®), la duloxétine (Cymbalta®). L’effet antalgique dans les douleurs neuropathiques apparaît rapidement (en 8 à 10 jours) et pour des doses 5 à 10 fois moindres que celles utilisées dans la dépression (sauf pour la duloxétine où les mêmes doses sont préconisées). Pour la duloxétine, les effets indésirables fréquents consistent en : baisse de l’appétit, insomnie, agitation, baisse de la libido, anxiété, orgasmes anormaux, rêves anormaux, céphalées (14,3 %), somnolence (10,7 %), sensations vertigineuses (10,2 %), tremblements, paresthésies, vision floue, acouphènes, palpitations, bouffées de chaleur, nausées, sécheresse buccale, douleurs et spasmes musculaires, fatigue, douleurs abdominales, ce qui explique le peu de compliance des patients. Figure 8 : Efficacité des ATD dans certaines douleurs neuropathiques. Ici, il s’agit de l’efficacité des tricycliques, à gauche dans les douleurs de neuropathie diabétique, à droite dans les douleurs post-zostériennes. Le NNT est de 3,4 pour les douleurs de neuropathie diabétique, et de 2, 1 pour les douleurs post-zostériennes, le chiffre du NNH (nombre de patients à traiter pour en avoir au moins un qui fait un effet secondaire) est ide 2,7. D’autres médicaments ont aussi parfois une efficacité, mais leur place exacte reste discutée. Les corticoïdes ont en plus de leurs effets génomiques une action stabilisante de membrane, mais ne peuvent pas être administrés au long cours ; cependant, dans les périodes d’accès douloureux qu’ont parfois certains patients, l’administration de tétracosactide (Synacthène® retard) permet d’atténuer les douleurs pour quelques semaines. La kétamine à doses subanesthésiques (de l’ordre de 1 mg/kg/j en IV continue, ou par voie orale, 3 X 0,5 mg/kg/j) possède des propriétés antihyperalgésiantes, et quelques jours d’administration (7 à 14) peuvent avoir des effets désensibilisants sur les voies nociceptives. Les antidépresseurs noradrénergiques agissent via les récepteurs β2-mimétiques, et de fait, les patients qui prennent au long cours de telles substances, ont une incidence moindre de douleurs neuropathiques en cas de lésions nerveuses ; à l’inverse, chez les patients sous β-bloquants, les antidépresseurs sont moins efficaces. L’utilisation des opioïdes dans les douleurs neuropathiques dites réfractaires fait l’objet de controverses. En effet, en-dehors de situations où il y a une part irritative (hernie discale récente avec névrite, zona récent,…) les opioïdes sont peu efficaces car dans les lésions nerveuses, il y a une élévation des anti-opioïdes et une chute des récepteurs aux opioïdes. La tolérance et l’hyperalgésie due aux opioïdes s’installent donc rapidement. Quelques opioïdes ont néanmoins une efficacité dans les douleurs neuropathiques. Le tramadol est également un inhibiteur de la recapture des amines biogènes, et à ce titre, son mode d’action s’approche de celui des antidépresseurs. La méthadone, non disponible en France dans cette indication, a un effet proche de celui de la kétamine. L’oxycodone (Oxycontin®, Oxynorm®) a fait la preuve de son efficacité, même au long cours, dans les douleurs neuropathiques. Par contre, le fentanyl (Durogésic®) est à éviter en raison de l’installation rapide d’une tolérance. Les douleurs neuropathiques peuvent aussi bénéficier de traitements non médicamenteux, en particulier des techniques de stimulation électrique. La stimulation électrique transcutanée (TENS) est intéressante, en mode conventionnel (fréquence élevée, de l’ordre de 100 Hz, largeur d’onde à 250 µs, amplitude faible, de façon à recruter les grosses fibres somesthésiques) est utile dans les douleurs de lésion nerveuse périphérique, à la condition qu’il n’y ait pas d’allodynie, laquelle risque d’être aggravée. Il faut prévoir au minimum trois séances d’au moins une heure chacune par jour, les électrodes étant placées de façon à ce que les paresthésies induites recouvrent la zone de douleurs (fig. 9 gauche). Pour des douleurs pluriradiculaires de topographie plus étendue, il est possible de stimuler les cordons postérieurs, par exemple dans la région dorsolombaire pour des sciatalgies postopératoires persistantes (fig. 9 droite). Figure 9 : à gauche,TENS pour des douleurs dans le territoire du nerf radial ; à droite, sonde de stimulation en projection dorsale basse pour lombosciatalgies chroniques. Pour certaines douleurs neuropathiques faciales, il est proposé une stimulation électrique du cortex moteur. Les blocs et les neurolyses sont parfois utiles, mais à réserver à certaines indications bien précises. Les blocs sont pratiqués avec de l’anesthésique local seul, ou avec des mélanges (anesthésique local + corticoïdes + clonidine). L’infiltration de névromes cicatriciels (fig. 10) avec de tels mélanges peut parfois donner des résultats antalgiques de plusieurs semaines ou mois. En cas de réapparition des douleurs, il est possible d’injecter un neurolytique (phénol à concentration > 2%, alcool à concentration > 50%), mais uniquement sur des filets nerveux sensitifs, ou à contingent moteur minime. L’injection d’un petit volume de neurolytique sur la zone gâchette est une alternative intéressante aux antiépileptiques dans les névralgies du trijumeau. Figure 10 : Infiltration de névrome sur cicatrice de thoracotomie. Les neurolytiques créent cependant une lésion nerveuse surajoutée qui peut elle-même être source de douleurs secondaires, et ils ne sont indiqués qu’en dernier recours. Il a été proposé d’utiliser du NaCl à 10% plutôt qu’un neurolytique, l’hypertonie étant responsable d’un bloc prolongé des fibres C de la douleur. CAS CLINIQUE Exposé des faits Mr Xe…, 57 ans, maçon, a été opéré d’une hernie inguinale droite considérée comme un accident du travail, et est adressé par son médecin traitant pour persistance de douleurs de la zone opérée, alors que le chirurgien ne trouve plus aucune faiblesse pariétale qui justifierait une réintervention, et que les antalgiques banals ne sont d’aucune efficacité. Trois tentatives de reprise du travail se sont soldées rapidement soldées par un échec pour cause de douleurs insupportables. Le patient est toujours en arrêt de travail dans le cadre de cet AT, mais le médecin conseil souhaite consolider, ce que Mr Xe… saisit mal, et conteste. Mr Xe… annonce d’emblée que l’opération a sans doute été mal faite et qu’il ne veut plus revoir ce chirurgien, tout comme un autre chirurgien consulté qui confirme l’avis du premier. Dans ses antécédents médicaux on note trois traumatismes avec fractures (côtes, phalange de la main gauche, jambe droite), tous trois dans le cadre d’accidents du travail ( il a une IPP de 5% qu’il juge « insuffisante »), dont un qui n’a pas été reconnu comme tel (« à cause du patron qui n’a pas voulu »), un tabagisme à 20 paquet-années, et un énolisme timidement avoué (alors que des tests hépatiques montrent déjà une stéatose). Il est par ailleurs en instance de divorce, et n’a plus de contacts avec ses deux enfants. Lors de la première consultation, il insiste sur l’intensité « horrible » des douleurs qui lui interdisent toute activité physique, en particulier la reprise du travail qu’il dit souhaiter, il se meut difficilement, légèrement penché en avant, appuyant avec sa main droite sur la région douloureuse (« ça me calme »), et déclare prendre les nombreux médicaments qui lui ont été prescrits (paracétamol, tramadol, codéine, AINS, dextropropoxyphène) même s’il trouve qu’ils sont inefficaces ; son médecin lui a proposé un patch de Durogésic® qu’il hésite à utiliser parce qu’il ne veut pas « s’intoxiquer ». Les douleurs sont perçues sur et en aval de la cicatrice, avec irradiation vers la partie supéro-interne de la cuisse, sont décrites comme des « déchirures, décharges électriques », aggravées par l’effleurement et la mise sous tension de la paroi abdominale, et atténuées par le décubitus et l’application de la main. Quelle est la lésion organique source de douleurs ? Quels sont les déterminants de la plainte douloureuse ? Quelle évaluation pour ces douleurs ? Quels traitements ? Eléments de réponse Quelle est la lésion organique source de douleurs ? - - - - l’examen chirurgical a éliminé toute récidive de hernie la cause la plus habituelle de douleurs après une telle intervention est une lésion de nerf qui peut concerner la partie distale du génito-crural ou celle de l’ilio-inguinal, en cause dans ce cas vu la topographie de la zone douloureuse une lésion nerveuse est source de signes déficitaires (anesthésie ou hypoesthésie) et/ou de signes irritatifs (allodynie, hyperalgésie, hyperpathie). La présence d’une zone gâchette palpable en sous-cutané signe la présence d’un névrome. La lésion est définitive les sensations anormales résultent des conséquences électrophysiologiques (électrogenèse ectopique anormale spontanée et provoquée) périphériques et centrales de la lésion nerveuse il s’agit d’une douleur neuropathique, terme générique recouvrant différentes entités que l’on peut regrouper en trois catégories : « lésionnelles » (la vraie désafférentation qui résiste aux antalgiques et est sensible aux psychotropes), « irritatives » (avec phénomènes d’inflammation locale et une part de douleur nociceptive, sensible aux antalgiques), « mixtes » (c’est sans doute le cas ici) Quels sont les déterminants de la plainte douloureuse ? - seuls 10-15% des patients ayant une telle lésion vont développer une symptomatologie douloureuse, alors que chez la plupart on retrouve des signes déficitaires la plainte et le comportement douloureux ne relèvent qu’en partie de l’épine irritative organique - les autres déterminants sont liés à la personnalité du patient et à des facteurs socioculturels et familiaux : clairement, il y a chez ce patient une note de revendication face aux médecins auxquels il a eu à faire : ceci est un élément péjoratif pour une éventuelle guérison le contexte familial est fragile il y a un risque addictif en cas de passage aux opioïdes le retour au travail n’est sans doute pas souhaité, compte tenu des revendications face à l’employeur et de ce qu’il considère comme une incapacité insuffisante Quelle évaluation pour ces douleurs ? - - - l’examen clinique révèle la présence d’une zone d’hypoesthésie à la piqûre, avec douleur et horripilation à l’effleurement, et met difficilement en évidence une zone gâchette palpable lors de la mise en tension des muscles de la paroi abdominale. Cette zone déborde vers la partie supéro-interne de la cuisse, mais pas en direction des bourses. un entretien avec le psychiatre, accepté par le patient (« je ne suis pas fou, mais si ça peut aider… »), montre une personnalité fragile, dépendante, et confirme des traits de personnalité paranoïaque l’assistante sociale réussit à lui faire comprendre ce que signifie la consolidation. Toutefois, compte tenu de son âge, la reprise du travail ne se fera plus, et il est donc préférable de discuter soit une longue maladie, soit un statut de travailleur handicapé, de façon à lui assurer un minimum de revenus, le temps d’atteindre l’âge de la retraite Quels traitements ? - parmi les médicaments qui ont une chance d’être efficaces sur ce type de douleurs : les antidépresseurs tricycliques à faibles doses atténuent chez 75% des patients la douleur continue d’au moins 50% les antiépileptiques atténuent dans les mêmes proportions les douleurs paroxystiques spontanées et provoquées la kétamine à petites doses en perfusion pour 48-72 heures permet d’atténuer les signes irritatifs pour plusieurs jours ou semaines et peut donc faciliter l’infiltration du point gâchette - une infiltration du point gâchette, sous réserve que l’allodynie l’autorise, peut servir de « starter » à une prise en charge. Il peut s’agir, au départ, d’une infiltration de lidocaïne (avec éventuellement des corticoïdes, du fait de leur action stabilisante de membrane), et, par la suite, d’un neurolytique (phénol à concentration ≤ 10%) qui atténuera pour un temps la douleur, avec risque de récidive. Compte tenu de la personnalité du patient, les attendus devront être bien expliqués, et son plein accord devra être obtenu - la stimulation électrique transcutanée, relativement contraignante à utiliser, a l’avantage d’être peu agressive, et peut éventuellement atténuer la douleur. Une allodynie sévère est une contre-indication - la prise en compte des facteurs sociaux et financiers sera sans doute le meilleur moyen d’atténuer la plainte douloureuse