Edith Piaf et la femme pécheresse de l`Evangile. Luc 7, 36

Transcription

Edith Piaf et la femme pécheresse de l`Evangile. Luc 7, 36
Dimanche 9 septembre 2007
Anne FAISANDIER, pasteur de l’Eglise réformée de France à LyonBrotteaux. Avec la participation de Frédéric Lamantia, organiste de la
paroisse du Grand Temple à Lyon-Brotteaux, et du pasteur Olivier RaoulDuval pour les lectures.
Edith Piaf et la femme pécheresse de l'Evangile.
Luc 7, 36 - 42.
Musique : Jean Villard Gilles/adaptation à l'orgue par Frédéric Lamantia. "Les trois
cloches".
Accueil :
AF : Un culte autour des chansons d'Edith Piaf... Quel rapport entre cette interprète à la vie
sulfureuse et dont beaucoup de chansons ne parlent que d'amours déçues et le sérieux d'un
culte ? Aucun ? Je crois qu'il y a le même rapport entre Edith Piaf et un culte qu'entre
l'Evangile et nos existences quotidiennes : une distorsion, une distance, une
incompréhension... et pourtant au final la possibilité d'une résonance.
Un culte, ce n'est rien d'autre que mettre sa vie devant Dieu.
Les chansons que Piaf a pu interpréter ne sont rien d’autre que des morceaux de vie qui
nous rejoignent peu ou prou. Et c'est pour cela qu'elles sont populaires. Parce qu'elles sont
l'écho d'une voix qui ressemble à la nôtre : la chanteuse le disait elle-même dans cette
chanson qui justifiait si besoin son pseudonyme de "piaf", moineau...
O-R.D. : « C'est pas seulement ma voix qui chante1.
C'est l'autre voix, une foule de voix,
Voix d'aujourd'hui ou d'autrefois,
Des voix marrantes, ensoleillées,
Désespérées, émerveillées,
Voix déchirantes et brisées,
Voix souriantes et affolées,
Folles de douleur et de gaieté.
C'est la voix d'un chagrin tout neuf,
La voix de l'amour mort ou vif,
La voix d'un pauvre fugitif,
La voix d'un noyé qui fait plouf.
C'est la voix d'une enfant qu'on gifle,
C'est la voix d'un oiseau craintif,
La voix d'un moineau mort de froid
Sur le pavé d' la rue d' la joie...
Et toujours, toujours, quand je chante,
Cet oiseau-là chante avec moi.
Toujours, toujours, encore vivante,
Sa pauvre voix tremble pour moi.
Si je disais tout ce qu'il chante,
Tout c'que j'ai vu et tout c'que j'sais,
J'en dirais trop et pas assez. ».
1
Jacques Prévert, 1960.
189
A.F. : L'Evangile a quelque chose à voir et à faire de ces morceaux de vie portés par la voix de l'oiseau. Aussi
menu et fragile soit cet oiseau, aussi contestable soit-il, aussi apparemment vide de sens. Parce que l'Evangile
n'est rien d'autre justement que l'histoire d'une voix venue d'ailleurs et qui se mêle à nos voix. Ce ne sont pas
les bien portants qui ont besoin d'un médecin, mais les malades. Le Christ n'est pas venu appeler les justes,
mais les pécheurs, pour qu'ils changent de regard et de vie2.
Comme une chanson, cette Parole a besoin d'interprètes et de notes de musique pour prendre vie. Une Parole
qui se dresse inlassablement contre tous les maux de l'existence pour s'y frayer un passage. Une Parole qui
s'accroche à la fragilité et à la blessure pour y dire simplement :
Aujourd'hui, une grâce t'a été faite.
Tu es aimé du Seigneur. C'est lui qui t'accueille. Tu n'as pas besoin de te justifier.
La Paix est offerte en partage.
Musique : Enrique Dizeo/ Adaptation pour l'orgue de Frédéric Lamantia. "La foule".
Confession du péché :
Dans les chansons de Piaf et dans les cultes protestants, on fait le même constat de la finitude humaine et de
l'échec de nos attitudes. Le désespoir et la souffrance d'un côté, ce qu’on appelle la reconnaissance du péché
de l'autre, mais il s'agit de la même réalité.
« Nous sommes maîtres de la terre3.
Nous nous croyons des presque Dieu
Et pan ! Le nez dans la poussière
Qu'est-ce que nous sommes : Des pouilleux », dit la chanson.
Dans une autre de ses chansons Edith Piaf propose une version plus personnelle de ce constat :
« Cet air qui m'obsède jour et nuit4.
Cet air n'est pas né d'aujourd'hui
Il vient d'aussi loin que je viens
Traîné par cent mille musiciens
Un jour cet air me rendra folle
Cent fois j'ai voulu dire pourquoi
Mais il m'a coupé la parole
Il parle toujours avant moi
Et sa voix couvre ma voix
Il arrive en courant derrière moi
Il me fait le coup du souviens-toi
C'est un air qui me montre du doigt
Et je traîne après moi comme une drôle d'erreur
Cet air qui sait tout par cœur ».
Seigneur, toi qui connaîs les chants de nos vies,
Aujourd’hui accueille ces airs de peine et de déception qui nous collent à la peau.
Ne nous laisse pas sombrer mais tends-nous la main.
Musique : Norbert Glanzberg/ Adaptation pour l'orgue de Frédéric Lamantia. "Padam, padam".
Edith Piaf, dans le cadre d'un culte, cela n’a rien d’une évidence.
Piaf c'est plutôt le chant de la désespérance. J'ai lu les textes des chansons qu'elle a chantées. Et cela se
ressemble, beaucoup. Le genre : histoire d'amour qui finit mal, et sinon elle est qualifiée de banale. Le genre :
portrait d'un(e) malheureux(se). Mais cela manque de perspective : c’est comme un oiseau qui se heurte à une
vitre. L'amour à toutes les sauces qui en devient complètement insensé et dilué. Mais il y a un cri qui s'entend
à travers ces chansons dont elle n'a été que l'interprète. Comme celle-ci, chanson cynique et triste à souhait...
2
Luc 5, 31.
Tout fout l’camp, 1939.
4
Padam…Padam…
3
190
O-R.D. : « La foule aux grandes mains5.
S'accroche à ses oreilles
Lui vole ses chagrins
Et vide ses bouteilles
Son cœur qui se dévisse
Ne peut les attrister
C'est là qu'ils applaudissent
La vie qu'il a ratée !
Pour la femme infidèle
Bravo ! Bravo !
Et tu fais la vaisselle
Bravo ! Bravo !
Ta vie est un reproche
Qui claque dans ton dos
Ton fils te fait les poches
Et toi, tu fais l'idiot »
Musique : Louiguy/ Adaptation pour l'orgue de Frédéric Lamantia. "Bravo pour le clown".
A.F. : Il y a un cri qui s’entend à travers les chansons interprétées par Edith Piaf. Un cri qui résonne à travers
la vie de la chanteuse, une vie malheureuse : malgré la gloire, malgré l'argent. Une femme à la vie de
saltimbanque, éternelle errance derrière un amour improbable. Comme un constat en face duquel il n'y aurait
rien à faire. C'est là qu'est le vrai désespoir : la conscience aiguë de la finitude de toute existence humaine et
l'impossibilité d'espérer au-delà de cette décevante humanité. C'est de ça que parlent les chansons interprétées
par Edith Piaf.
Et puis ça et là, un peu cachées, presque au détour des phrases, il y a des allusions malgré tout à un "au-delà"
possible, mais qui est cité sans vraiment trop y croire.
C’est comme un reste de culture chrétienne, un vague souvenir de catéchisme mal digéré. Et en cela aussi les
chansons du répertoire de Piaf sont populaires : elles nous ressemblent jusque sur ce point. On y parle du bon
Dieu et du ciel, du diable et des anges... comme les personnages du théâtre de ce qui nous échappe. A une
exception près...
« Tu feras pleurer les anges6.
En leur racontant tes souffrances.
Apporte dans tes mains trop jolies,
Ton cœur, tes pleurs, et puis la vie...
Quand Jésus est mort sur sa croix,
Il a souffert autant que toi. ».
Ici, le cri refait surface. Le cri d'une vie rattrapée par le refrain lancinant des déchirures et des incohérences
Musique : Norbert Glanzberg/ Adaptation pour l'orgue de Frédéric Lamantia. "Padam, padam".
La vérité des chansons de Piaf surgit de ce cri. Et c'est ce qui les rend intemporelles. C'est le même cri que
poussaient les aveugles, les paralytiques et toutes les femmes pécheresses de l'Evangile. Et tous les autres : les
disciples déçus, les centurions en recherche. Quand la Bible parle du Salut, elle ne parle de rien d'autre que
d'une réponse à ce cri dans la nuit. De quoi s'agit-il quand on parle du Salut ? Eh bien d'être sauvé de ce
désespoir justement, de ce néant, de ce vide de l'existence humaine qui ne peut se raccrocher à elle-même sans
sombrer.
Il y a un texte dans l'Evangile qui ne parle pas d'autre chose. De souffrance et d'amour. Et aussi de tous ces
bien-pensants qui condamnent d'emblée, se souciant tellement de leur propre salut qu'ils en oublient celui des
autres. Ce jour-là, Jésus a vite fait de remettre chacun à sa place.
Lecture biblique :
O-R.D. : « Un Pharisien invita Jésus à manger avec lui ; il entre dans la maison du Pharisien et se met à
table. Survient une femme de la ville qui est pécheresse; elle avait appris qu'il était à table dans la maison du
Pharisien. Apportant un flacon de parfum en albâtre et se plaçant par-derrière, tout en pleurs, aux pieds de
Jésus, elle se met à baigner ses pieds de larmes ; elle les essuie avec ses cheveux, les couvre de baisers et
répand sur eux du parfum.
Voyant cela, le Pharisien qui l'a invité se dit en lui-même: "Si cet homme était un prophète, il saurait qui est
cette femme qui le touche, et ce qu'elle est : une pécheresse". Jésus prend la parole et lui dit : "Simon, j'ai
quelque chose à te dire." - "Parle, Maître", dit-il. - "Un créancier avait deux débiteurs ; l'un lui devait cinq cents
pièces d'argent, l'autre cinquante. Comme ils n'avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce de leur dette à
tous les deux. Lequel des deux l'aimera le plus?". Simon répond: "Je pense que c'est celui auquel il a fait
grâce de la plus grande dette". Jésus lui dit: "Tu as bien jugé". Et se tournant vers la femme, il dit à Simon :
5
6
Le clown.
Chanson bleue.
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"Tu vois cette femme? Je suis entré dans ta maison : tu ne m'as pas versé d'eau sur les pieds, mais elle, elle
a baigné mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m'as pas donné de baiser, mais
elle, depuis qu'elle est entrée, elle n'a pas cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n'as pas répandu
d'huile odorante sur ma tête, mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. Si je te déclare que ses
péchés si nombreux ont été pardonnés, c'est parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on
pardonne peu montre peu d'amour."
Il dit à la femme: "Tes péchés ont été pardonnés". Les convives se mettent à dire en eux-mêmes: "Qui est cet
homme qui va jusqu'à pardonner les péchés?" Jésus dit à la femme: "Ta foi t'a sauvée. Va en paix." ».
(Evangile selon Luc 7, 36-42)
A.F. : Ce texte parle d'une femme. Une femme pécheresse : il n'y a pas d'autre définition au refrain des
incohérences et des trahisons qui résonne dans la vie. Cette femme est ce qu'elle est. Elle ne renie pas ses
failles. Elle vient avec, à la rencontre de Jésus.
Ensuite, ce texte parle de la grâce d'une dette remise. Cette dette qui nous rattrape toujours et finit par couvrir
notre vraie voix, par nous détruire à petit ou long feu. En face, Jésus pose la grâce. La libération de la dette.
La fin du refrain lancinant qui lacère l'espérance. Il est capable de faire attention au cri de souffrance, mais en
plus de pardonner le péché, c'est à dire de briser la spirale qui attire l'être vers la mort.
Enfin, et surtout, ce texte parle d'amour. On devine cette femme ressemblant aux amantes des chansons du
répertoire d'Edith Piaf : éternelle assoiffée du grand amour qui viendra combler sa vie, et éternelle déçue. Ses
pleurs, son parfum, son geste même (qui est d'une grande sensualité) de baiser les pieds du Christ, tout cela
est amour, et c'est ainsi que Jésus le nomme, le mettant d'autant plus en relief en l'opposant à l'attitude froide
et distante (et pourtant une attitude très convenable !) de Simon le pharisien. Mais cet amour, nous dit le texte,
cet amour ne cherche pas acheter qui que ce soit, quoi que ce soit. Il n'y a pas de marchandage, pas de risque
de dépendance, pas d'asservissement à un amant tyrannique. Non. Le texte nous parle d'un amour qui vient ici
s'inscrire comme une conséquence du pardon. Comme un signe de la grâce.
"Celui à qui on pardonne peu montre peu d'amour" dit Jésus à Simon. Elle montre beaucoup d'amour : et la
conclusion vient aussitôt, "Tes péchés ont (déjà) été pardonnés."
Il n'y a qu'une réponse possible à la désespérance de l'humain : c'est la grâce de Dieu, cet amour
inconditionnel qu'il nous offre en Christ. Il n'y a pas d'autre chemin de salut que d'accepter de recevoir ce
cadeau, au lieu d'épuiser sa vie en vaines courses d'un bonheur limité parce qu'assujetti à des amours
faillibles.
"Ta foi t'a sauvée" dit Jésus à la femme à la fin du texte. "Va en paix". Et la foi n'a été rien d'autre que cette
capacité d'accepter d'être pardonnée sans raison et d'aimer en retour.
« Quelle doit être la grande affaire de la vie ? » disait Saint Augustin dans Les confessions : « C'est de choisir
ce qu'il faut aimer. Mon poids, c'est mon amour. Partout où je vais, c'est lui qui m'entraîne. ».
La chanteuse disait la même chose, à sa façon :
« Oui la vie, c'est l'amour7.
Et l'amour, c'est la vie.
Pas de vie, sans amour.
Pas d'amour, sans la vie.
Notre vie pour l'amour,
Notre amour pour la vie. ».
A elle, et à tous ceux qui lui ressemblent, perdus dans la désespérance d'une vie sans avenir, j'aimerais dire
aujourd'hui ces simples mots reçus à travers une autre chanson, celle qui raconte l'histoire du salut pour
l'humanité toute entière : l'affaire de la vie n'est pas tant d'aimer que d'abord de se laisser aimer par Dieu, ce
tout Autre qui vient à notre rencontre. Alors, oui, l'amour devient l'affaire d'une vie. D'une vie en abondance.
D'une vie relevée de la mort. D'une vie libérée. La foi n'est rien d’autre que cette acceptation : Ta foi t'a
sauvée...
Va. Va en paix. Ta vie est autre chose qu'une vie déchirée.
De toi, Dieu ne regrette rien.
Musique : Charles Dumont/ Adaptation à l'orgue de Frédéric Lamantia. "Non, je ne regrette rien".
7
La vie et l’amour.
192
Dans l'œuvre d'Edith Piaf, il y avait une perle cachée... en forme de profession de foi, une perle que je vous
propose comme une façon contemporaine d'annoncer Jésus-Christ :
O-R.D. : « Seul... Dans le désert et brûlé par le soleil8.
De Jérusalem, de Jérusalem
Seul... Un homme en blanc, au loin, assiste au réveil
De Jérusalem, de Jérusalem.
Dans Ses yeux, il y a la bonté du monde.
Dans Son cœur, il y a tout l'amour du monde.
Dans Ses mains, il y a la magie du monde.
Tout l'univers est là grâce à Lui dans ce désert.
Et l'Homme seul, Transfiguré, va, guidé par l'oiseau blanc
Vers Jérusalem, vers Jérusalem, Là...
Il marche parmi les soldats et les gens de Jérusalem, de Jérusalem
Dans les yeux, il y a la misère du monde.
Dans les cœurs, il y a la douleur du monde.
Dans leurs mains, il y a la colère du monde
Mais l'Homme en blanc sourit, le regard posé sur eux.
Le tambour bat pour annoncer que s'accomplit le destin
De Jérusalem, de Jérusalem
Car... Un homme est tombé sur les pierres du chemin de Jérusalem, de Jérusalem.
Dans Ses yeux, il y a le pardon du monde.
De Son cœur, se répand tout l'amour du monde.
De Ses mains, a surgi la Lumière du monde.
C'est un soleil nouveau qui renaît dans le soleil...
De Jérusalem...
De Jérusalem... »
Musique : Jean Villard Gilles/adaptation à l'orgue par Frédéric Lamantia. "Les trois cloches".
A.F. : « Une cloche sonne, sonne9. Obsédante et monotone.
Elle redit aux vivants :
"Ne tremblez pas cœurs fidèles" "Dieu vous fera signe un jour"
"Vous trouverez sous son aile" "Avec la Vie Éternelle"
"L'éternité de l'amour..." "Vous trouverez sous son aile"
"Avec la Vie Éternelle" "L'éternité de l'amour..." ».
Bénédiction et envoi :
Le Seigneur vous bénit et vous garde. Il vous fait grâce et vous regarde avec tendresse. Grâce à lui, il devient
possible d'aimer.
Musique : Jean Villard Gilles/adaptation à l'orgue par Frédéric Lamantia. "Les trois cloches". Puis (à la fin) :
Charles Dumont/ Adaptation à l'orgue de Frédéric Lamantia. "Non, je ne regrette rien".
MEDITATIONS RADIODIFFUSEES - France Culture Dimanche 8h30
Fédération protestante de France Service Radio 47, rue de Clichy - 75311 PARIS Cedex 09
Tél. : 01.44.53.47.17 - Fax : 01.44.63.01.36 - e.mail : [email protected]
8
9
Jérusalem – Jo moutier, 1960.
Les trois cloches, Jean-François Nicot.
193

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