anthologie jeux de mots jeux de scènes

Transcription

anthologie jeux de mots jeux de scènes
Jeux de mots,
jeux de scène
Sélection de textes poétiques
Année scolaire 2006-2007
1
2
A l’aube du buisson
Pour un caillou
A l’aube du buisson
On peut voir se lever
La flamme d’un oiseau
… Avec des crayons
on dessine si l'on peut
les pieds nus du soleil
le cri de la mer
et un peu de tristesse
qui remonte au galop
La lumière se poser
Dans la main des feuilles
La pluie enchanter
Ses abeilles limpides
Et on perd le caillou
dans le sable des couleurs
qui file entre les doigts
mais laisse comme le sel
les traces d'un poème
qu'on n'a jamais écrit
mais qu'on connaît par cœur
Le silence à genoux
Et les heures offertes
Comme des fruits sucrés
On peut voir bien des choses
A l’aube du buisson
François de Cornière
Jean-Pierre Siméon
3
4
Ronde flamande
Ça frappe
.
Si j'étais roi de la forêt,
je mettrais une couronne
Toute d'or; en velours bleuet
J'aurais un trône,
En velours bleu, garni d'argent
Comme un livre de prière,
J'aurais un verre en diamant
Rempli de bière,
Rempli de bière ou de vin blanc.
Je dormirais sur des roses.
Dire qu'un roi peut avoir tant
De belles choses.
J’entends qu’on frappe.
Disons ça frappe.
Ne sais pas quoi,
Pas où, pas qui.
Ça frappe, ça frapouille,
Ça cogne, ça tapouille.
Et ça fait comme un bruit
Dans l’espace en vacances.
Je ne sais pas pourquoi
Ça cogne, mais j’écoute.
Eugène Guillevic.
Charles Cros
2
5
6
La main à la plume
Égocentrisme
J'écrirai des poèmes
sur le lait le beurre la crème
j'écrirai des odes en vers heptasyllabiques
sur les vaches les brebis les biques
j'écrirai des myriades de myriades de sonnets
sur le vent qui couche les lourds épis de blé
j'écrirai des chansons
sur les mouches et les charançons
j'écrirai des sextines
sur les fonds de jardin où se mussent les
latrines
j'écrirai des phrases obscures
sur l'agriculture
j'utiliserai des métonymies et des métaphores
pour parler de la vie des porcs et de leur mort
j'utiliserai l'assonance et la rime
pour parler des prés, de la forêt, de la
campagne
j'écrirai des poèmes
la main sur la charrue du vocabulaire
Raymond Queneau
7
Je m'attendais au coin de la rue
j'avais envie de me faire peur
en effet lorsque je me suis vu
j'ai reculé d'horreur
Faisant le tour du pâté de maisons
je me suis cogné contre moi-même
c'est ainsi qu'en toute saison
on peut se distraire à l'extrême
Raymond Queneau
8
Arbre : le micocoulier
Chanson pour les baptêmes
Mélancolie Mélancolie
quel joli nom pour une jeune fille
Neurasthénie Neurasthénie
quel joli nom pour une vieille fille
Je cherche un nom pour un garçon
un nom d’emprunt un nom de guerre
pour la prochaine et la dernière
pour la dernière des dernières
Espoir Peut-être Agénor
ou Singulier ou Dominique
un nom à coucher dehors
au temps des bombes atomiques
Quel temps fait-il dans votre espoir ?
Couci
Coup là
Mi figue mi frisquet
Mi laine mi loup
Quelle heure est-il à votre espoir ?
Mi fête mi bête
Mi rêve mi roc
Mi vigne mi guêpe
Mi vol mi lien
Micocoulier
Vous connaissez ?
Mais je préfère Nuit
pour celle que j’aime et chéris
Nuit brune Nuit douce
Nuit claire comme eau de source
Marie Claude Caiserman
Philippe Soupault
3
9
10
Fatras
Le trou noir
- Il était une fois...
Le conteur s'interrompit. II répéta :
- II était une fois ? C'était le trou,
le trou noir,
l'abominable trou de mémoire.
Fourbissez votre ferraille,
aiguisez vos grands couteaux !
Fourbissez votre ferraille,
coquinaille, quetinaille,
coquardaille, friandeaux,
garçonaille, ribaudaille,
laronnaille, brigandaille,
crapaudaille, leisardeaux,
cravetaille, goulardeaux,
villenaille, bonhommaille,
falourdaille, paillardeaux,
truandaille, lopinaille,
Tout à coup, il y eut un bruit.
Et du trou, un lion surgit, une bêle énorme
au moins aussi en colère
que le lion de la Goldwyn Mayer
Le conteur reprit :
---- Il était une fois un lion énorme...
Il s'interrompit de nouveau.
C'était le trou,
le trou noir,
l'abominable trou de mémoire.
Alors, le lion prit peur
J.Molinet et, d'un coup, croqua le conteur.
aiguisez vos grands couteaux !
Pierre Coran
11
12
L’habitant du miroir
Un beau matin
Enfants, méfiez-vous des miroirs!
Surtout lorsque tombe le soir,
Quand le chien-loup du crépuscule
Hurle à la nuit dans la pendule
A l'heure où le jour va dormir
S'éveille le miroir-vampire.
Car cette glace familière
Où se mirent les écolières
Après les belles de jadis,
Cette glace, je vous le dis,
Abrite un monstre sans visage
Qui veut dévorer vos images.
Le monstre du miroir attend
Le temps qu'il faut, il a le temps,
Tapi dans son luisant dédale,
Salles de neige et de cristal,
Il attend sans un mouvement
L'instant d'agir, le bon moment.
Il n'avait peur de personne
Il n'avait peur de rien
Mais un matin un beau matin
Il croit voir quelque chose
Mais il dit Ce n'est rien
Et il avait raison
Avec sa raison sans nul doute
Ce n'était rien
Mais le matin ce même matin
Il croit entendre quelqu'un
Et il ouvrit la porte
Et il la referma en disant Personne
Et il avait raison
Avec sa raison sans nul doute
Il n'y avait personne
Mais soudain il eut peur
Et il comprit qu'il était seul
Mais qu'il n'était pas tout seul
Et c'est alors qu'il vit
Rien en personne devant lui.
Luc Decaune
Jacques Prévert
4
13
14
Monde
Solipsisme
Qui c'est qu'est là ?
quand j'y suis pas ?
Dans le salon de madame des Ricochets
Les miroirs sont en grains de rosée pressés
La console est faite d’un bras dans du lierre
Et le tapis meurt comme les vagues
Dans le salon de madame des Ricochets
Le thé de lune est servi dans des oeufs
d’engoulevent
Les rideaux amorcent la fonte des neiges
Et le piano en perspective perdue sombre d’un
seul
bloc dans la nacre
Dans le salon de madame des Ricochets
Des lampes basses en dessous de feuilles de
tremble
Lutinent la cheminée en écailles de pangolin
Quand madame des Ricochets sonne
Les portes se fendent pour livrer passages aux
servantes
en escarpolette
C'est-i l'bureau ?
C'est-i la porte ?
C'est-i l'parquet ?
C'est-i l'plafond ?
C'est-i la rue ?
C'est-i la terre ?
C'est-i le ciel ?
Ah, nom de nom !
Quand j'y suis pus
Y a pus personne.
A preuve ? C'est que quand j'reviens
je ramèn' tout à la maison :
et v'là la terre
et v'là le ciel
et v'là la rue
et ma maison
et v'là la porte
et v'là l'parquet
et v'là l'plafond !
Jean Tardieu
16
André Breton
15
Boum
Orthographe
Je dis boum et tu dis boum-boum. Je réponds
boum-boum-boum, car je veux boumer plus
boum que toi. Ça reboume de plus en plus fort,
et c'est ainsi que commencent les grands
empires. C'est ainsi que les grands empires
finissent. Et d'ailleurs que ; boum, ils
recommencent.
Avec une bonne orthographe
on peut devenir géographe
lexicographe
ethnographe
paléographe
ou océanographe...
« Et alors, pourquoi pas girafe ? »
dit sans rire
la girafe qui ne sait pas lire.
Norge.
Jean-François Mathé
5
17
18
Zoziaux
La vache : descriptif
Amez bin li tortorelle,
Ce sont di zoziaux
Qui rocoulent por l'oreille
Di ronrons si biaux.
La
Vache
Est
Un
Tout zoulis de la purnelle,
Ce sont di zoziaux
Amoreux du bec, de l'aile,
Du flanc, du mousiau.
Animal
Qui
A
Environ
Quatre
Pattes
Qui
Rouketou, rouketoukou
Tourtourou torelle
Amez bin li roucoulou
De la tortorelle.
Descendent
Jusqu’
à terre.
On dirou quand on l'ascoute
Au soulel d'aoûte
Que le bonhor, que l'amor
Vont dorer tozor.
Jacques Roubaud
Norge
19
20
Le menu du cochon qui veut devenir top
modèle
Je rentrai un soir dans la maison aux 365
chambres on pouvait y dormir chaque nuit de
l'année dans une chambre différente. Il y avait
encore des chambres secrètes à découvrir à la
faveur d'une cheminée basculante on trouvait
alors une pièce restée intacte depuis deux
siècles et dans la tirette d'une armoire des
pièces d'or laissées là par un aventureux
millionnaire...
Lundi : Un pépin de pomme reinette
et une gorgée d’eau fraîche
Mardi : Un pépin de pomme reinette
et une gorgée d’eau fraîche
Mercredi : Un pépin de pomme reinette
et une gorgée d’eau fraîche
Jeudi : Un pépin de pomme reinette
et une gorgée d’eau fraîche
Vendredi : Un pépin de pomme reinette
et une gorgée d’eau fraîche
Samedi : Un pépin de pomme reinette
et une gorgée d’eau fraîche
Et dimanche ? Dimanche à l’hôpital.
Julos Beaucarne
Jacques Roubaud
6
21
22
Tant de temps
Le temps qui passe
le temps qui ne passe pas
le temps qu'on tue
le temps de compter jusqu'à dix
le temps qu'on n'a pas
le temps qu'il fait
le temps de s'ennuyer
le temps de rêver
le temps de l'agonie
le temps qu'on perd
le temps d'aimer
le temps des cerises
le mauvais temps
et le bon et le beau et le froid
et le temps chaud l
le temps de se retourner
le temps des adieux
le temps qu'il est bien temps
le temps qui n'est même pas
le temps de cligner de I"oeil
le temps relatif
le temps de boire un coup
le temps d'attendre
le temps du bon bout
le temps de mourir
le temps qui ne se mesure pas
le temps de crier gare
le temps mort
et puis l'éternité
… «Je vous prendrai, certes, à mon service avec
le plus grand plaisir, déclara la Reine. Quatre
sous par semaine, et confiture tous les autres
jours (...). La règle en ceci est formelle :
confiture demain et confiture hier - mais jamais
confiture aujourd'hui.
- On doit bien quelquefois arriver à confiture
aujourd'hui, objecta Alice.
- Non, ça n'est pas possible, dit la Reine. C'est
confiture tous les autres jours. Aujourd'hui, cela
n'est pas l'un des autres jours, voyez-vous
bien. » …
Lewis Caroll
Philippe Soupault
7
23
24
Du silence
Le ballon
La nuit tombe.
Deux doux lampions s’allument.
La plage est lisse comme un œuf.
L’enfant étrenne un ballon neuf
Et le fait monter vers la lune.
La lune tombe
Et le ballon s’allume.
C’est toujours extraordinaire
Que le spectacle d’un enfant
Á ras de digue, à la lisière
Norge D’un monde où s’engloutit le temps,
En train de jouer comme si
C’était une affaire d’État,
Tenant la lune entre ses doigts
Comme une médaille, un grigri,
Comme s’il était innocent
Ou plus loyal que l’océan !
Le soir, quand les grands bruits se sont tus,
les petits bruits commencent.
Ceux-là vous empêchent de dormir ; le
sommeil des hommes leur fait peur.
Il faut être mort pour goûter un vrai silence.
Mais on dit que la mort, ça bourdonne aux
oreilles.
Ouste, rien à faire levons-nous, continuons !
Catherine Paysan
25
26
Je mènerai mon enfant
Où avez-vous la tête ?
Je mènerai mon enfant
Partout où je n'ai pas été.
Avec lui sur du marbre blanc.
Dans des palais d'Orient
Je rirai aux gens de couleur.
- Mais où donc avez-vous la tête ?
Mais à quoi donc pensez-vous`?
Et aussi sous le soleil clair
Qui éclaire toute la terre
Pour ceux qui n'ont jamais pu faire
Tout ce que j'ai fait.
Pour ceux qui n'ont pas vu
Tout ce que j'ai vu.
- Mais où donc avez-vous les jambes?
Mais où donc vous encourez-vous?
- J'ai la tête près du bonnet,
j'ai la cervelle à tous les vents.
- J'ai pris mes jambes à mon cou,
,j'ai mis mes Jambes au grand air.
- Mais où donc avez-vous les yeux ?
Paul Eluard Vous me rendez vraiment soucieux.
- Je n'ai pas mes yeux dans ma poche.
Je les ai clairs comme eau de roche.
- Mais où donc avez-vous le cœur?
Vous voulez faire mon malheur!
- J'ai le cœur qui chante à tue-tête :
« Les grandes personnes, c'est bête! »
Claude Roy
8
27
28
Rêvé pour l’hiver
Déménager
L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous
repose
Dans chaque coin moelleux.
Quitter un appartement. Vider les lieux.
Décamper.
Faire place nette. Débarrasser le
plancher.
Inventorier ranger classer trier
Eliminer jeter fourguer
Casser
Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la
glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Brûler
Descendre desceller déclouer décoller
Dévisser décrocher
Débrancher, détacher couper tirer
démonter
Plier couper
Rouler
Empaqueter emballer sangler nouer
empiler
Rassembler entasser ficeler envelopper
Protéger recouvrir entourer serrer
Enlever porter soulever
Balayer
Fermer
Partir
Georges Pérec
30
Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou...
Et tu me diras « Cherche ! » en inclinant la
tête,
—
Et nous prendrons du temps à trouver
cette bête
— Qui voyage beaucoup...
Arthur Rimbaud
29
C’est demain dimanche
Il faut apprendre à sourire
même quand le temps est gris
Pourquoi pleurer aujourd’hui
quand le soleil brille
C’est demain la fête des amis
des grenouilles et des oiseaux
des champignons des escargots
N’oublions pas les insectes
les mouches les coccinelles
Et tout à l’heure à midi
j’attendrai l’arc-en-ciel
violet indigo bleu vert
jaune orange et roue
et nous jouerons à la marelle
Chanson bretonne
J'ai perdu ma poulette
Et j'ai perdu mon chat.
Je cours à la poudrette
Si Dieu me les rendra.
Je vais chez Jean le Coz
Et chez Marie Maria.
Va-t'en voir chez Hérode
Peut-être il le saura.
Passant devant la salle
Toute la ville était là
À voir danser ma poule
Avec mon petit chat.
Tous les oiseaux champêtres
Philippe Soupault Sur les murs et sur les toits
Jouaient de la trompette
Pour le banquet du roi.
Max Jacob
9
31
32
Le dromadaire
On n’est pas n’importe qui
Quand tu rencontres un arbre dans la rue,
dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue.
C'est
distrait, les arbres.
Si c'est un vieux, dis-lui « Monsieur». De
toute
façon, appelle-le par son nom: Chêne,
Bouleau,
Sapin, Tilleul... Il y sera sensible.
Au besoin aide-le à traverser. Les arbres, ça
n'est pas encore habitué à toutes ces autos.
Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les
poissons: appelle-les par leur nom de famille.
On n'est pas n'importe qui ! Si tu veux être
tout
à fait gentil, dis « Madame la Rose» à
Paul Savatier l'églantine;
on oublie un peu trop qu'elle y a droit.
Un jour au Caire un dromadaire entra chez
un libraire et prit une grammaire. C'est pas
vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Ce
dromadaire savait tout faire, multiplier,
soustraire, et même le contraire. C'est pas
vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Il savait
braire, ou bien se taire, et versait un salaire à
son vétérinaire. C'est pas vrai, ça fait rien, ça
sera vrai demain. Pour se distraire Monsieur
le Maire en fit son secrétaire dans toutes ses
affaires. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera
vrai demain. Ce dromadaire est légendaire
chez tous les antiquaires de la ville du Caire
C'est pas vrai, ça fait rien ça sera vrai demain
ou à la Saint Glin-Glin.
Jean Rousselot
33
34
Le pays de l’édredon bleu
Tant bien que mal
Quand j'étais malade, en mon lit,
(Sous ma tête deux oreillers)
Mes jouets étant rassemblés,
Me tenant bonne compagnie.
Parfois, pour un temps assez long,
J'observais mes soldats de plomb,
À la manœuvre, allant au pas
Parmi les collines des draps.
J'envoyais bateaux, cargaisons,
Au gré des flots de couvertures,
Ou bien pour mes cités futures
Mettais en place arbres maisons.
J'étais le géant silencieux
Qui de sa pile d'oreillers
Voyait les plaines, les vallées
Du pays de l'édredon bleu.
Robert-Louis Stevenson
Ils sont marrants les êtres
Vous tout comme moi
Moi tout comme vous
Et c'est pas du théâtre c'est la vie c'est partout
Ils sont marrants les êtres
En entrant chez les autres il y en a qui
tombent bien il y en a qui tombent mal
A celui qui tombe bien on dit
Vous tombez bien et on lui offre à boire et
une chaise où s'asseoir
A celui qui tombe mal personne ne lui dit
rien
Ils sont marrants les êtres qui tombent chez
les uns qui tombent chez les autres ils sont
marrants les êtres
Celui qui tombe mal une fois la porte au nez
retombe dans l'escalier et l'autre passe dessus
à grandes enjambées
Quand il regagne la rue après s'être relevé il
passe inaperçu oublié effacé
La pluie tombe sur lui et tombe aussi la nuit
Ils sont marrants les êtres
Ils tombent ils tombent toujours ils tombent
comme la nuit et se lèvent comme le jour.
Jacques Prévert
10
35
36
Lettre aux gens très sages
Quelque part, au bord de la Sarthe...
Non il n'est pas fou
Celui qui parle au vent
Aux murs aux rues aux lampadaires
Quelque part, au bord de la Sarthe,
un homme, un jour, avec grand soin,
repeignait de grandes pancartes :
A l'ombre du chat sur la fenêtre
Aux mains fragiles
Qui l'aiment et le connaissent
PRAIRIE INTERDITE AUX PINGOUINS
-
Il n'est pas fou
Celui qui voit la mer
Dans son miroir
Et des chiens bleus
Dans les nuages
Non il n'est pas fou
Il rêve il rêve
Et nous attend
Sous le manteau de son mystère
Au coeur du monde imagé.
Des pingouins, dis-je, dans la Sarthe,
on n'en voit pas des quantités !
- Monsieur, c'est grâce à mes pancartes
:
rien de tel pour les arrêter !
N'en déplaise aux savants hilares,
dans la Sarthe en toutes saisons,
si les pingouins restent si rares,
c'est que cet homme
avait raison.
J.L. Moreau
Jean-Pierre Siméon
37
38
Le secret
La chasse aux papillons
D’où viennent-ils ?
Où vont-ils,
Tous ces humains que cherchent-ils ?
Il court, il court, le Secret !
Et les hommes lui courent après !
Il est passé par ici,
Il repassera par là.
C’est comment, c’est quoi la vie ?
Bien malin qui le dira !
Elle est passée par ici !
Elle repassera par là !
Il court, il court, le Secret !
Et les hommes lui courent après !
Parfois, pendant les vacances,
Papa rapporte un lion
Qu’il a tué par malchance
Á la chasse aux papillons.
Vite, on le soigne, on le panse,
On lui retire les plombs
Qui l’ont tué sans raison…
Le voilà remis d’aplomb.
Et ce gentil lionceau
Revoit le bonheur des plaines
Où mon papa de nouveau
Peut le tuer par déveine.
Andrée Chedid
Norge
11
39
40
La danse de nuit
Le dessin
J’ai du papier, un crayon neuf
Pour dessiner la route ;
Sur la route, je fais un bœuf,
La vache, je l’ajoute.
Ah ! la danse ! la danse
Qui fait battre le cœur !
C’est la vie en cadence
Enlacée au bonheur !
La pluie ici ; là, le jardin ;
Au jardin, quinze points,
Quinze pommes… Le doux festin
Que la pluie n’atteint point !
Accourez, le temps vole,
Saluez, s’il vous plaît ;
L’orchestre a la parole
Et le bal est complet.
J’ai fait le bœuf couleur de miel,
La route en orangé,
Mais les nuages dans le ciel,
J’ai dû les arranger…
Sous la lune étoilée
Quand brunissent les bois
Chaque fête étoilée
Jette lumière et voix.
Je les perce, je les lacère
D’une flèche et soudain
On voit éclater le tonnerre
Et la foudre au jardin.
Les fleurs plus embaumées
Rêvent qu’il fait soleil,
Et nous, plus animées,
Nous n’avons pas sommeil.
Barrons les pommes d’un trait noir !
Car cela signifie
Qu’un coup de vent les a fait choir
Que le vent s’amplifie.
Flamme et musique en tête
Enfants, ouvrez les yeux,
Et frappez, à la fête,
Vos petits pieds joyeux.
Avec ce seul trait que je trace
La pluie entre au jardin,
Mais, brusquement, mon crayon casse,
L’encre est sèche soudain.
Marceline Desbordes-Valmore
Sur la table posant la chaise,
Je suis monté. Enfin,
Bien que raté, d’une punaise
J’accroche mon dessin.
Serge Mikhalkov
41
42
La mouche qui louche
Chaque fois que la mouche qui louche
veut se poser au plafond
elle s’y cogne le front
et prend du plâtre plein la bouche
MORALITÉ
Pauvres mouches qui louchez
posez-vous sur le plancher
Les mlaisirs les plus himples
I1 a passé une femise blanfe
mis un vlip propre
revêtu son nostume vert mistache
noué une bravate à quois
enfilé ses xaussures pernies
et puis il est sorti dans la lue
tout content sous le joleil
simplement parce qu'il était teureux de bibre
et qu'il faisait très meau.
Jean Orizet
jean Guichard-Meili
12
43
44
Un jour, un voulut
Ce silence du soir,
Un jour, un voulut
Jouer au cerceau
Avec le zéro.
Ce silence du soir,
Ce n'est pas le silence. Écoute ! Tout est noir,
La nuit obscure fait toute chose pareille,
Le ciel verse un repos immense ; pour
l'oreille
Tout bruit a cessé. L'âme entend en ce
moment
Une foule de voix sortir confusément
De cette ombre en disant des choses
inconnues.
Il semble que les eaux, les plaines et les nues
Sont pleines de secrets qu'elles vont révéler,
Et dès que tout se tait, tout commence à
parler.
Il courut, courut
Á en perdre haleine
Jusqu’à la dizaine.
Alors, par caprice,
Un devenu dix
Dribbla la centaine,
Tripla le zéro
Et s’arrêta pile
En plein dans le mille.
Victor Hugo
Pierre Coran
45
46
Un poème
Le Dictateur
Un poème
ça s'attrape un peu
partout
Un point tout petit petit
mais d'orgueil tout bouffi
criait d'une voix furibonde :
« Après moi la Fin du monde ! »
Comme de l'air en l'air
ou de l'eau dans l'eau
Devant cette conduite indigne,
les mots protestèrent : « I1 est fou !
Il se croit un point-c'est-tout,
et il n'est qu'un point-à-la-ligne ! »
I1 y a des armoires
à mots
où il dort bien plié
comme du linge
Alors au milieu de la feuille
ils le laissèrent tout seul,
et le monde continua
sans lui une ligne plus bas.
Il y a des arbres d'images
où il fait le singe
Mais quand il passe
c'est tout de suite
ou c'est raté
Gianni Rodari
Werner Lambersy
13
47
48
Lo to folo
M
à Daniel Selle
Ma
Madame
Madame la
Madame la sou
Madame la souris
Madame la souris a
Madame la souris a en
Madame la souris a encore
Madame la souris a encore ac
Madame la souris a encore accou
Madame la souris a encore accouché
Madame la souris a encore accouché d'une
Madame la souris a encore accouché d'une
mon
Madame la souris a encore accouché d'une
montagne
Madame la souris a encore accouché d'une
montagne russe
Lo to folo lo toto
Ko ? Ko ? Ko ?
- Ko lo folo ?
- Lo toto
- Oh ! lolo !
- Toto 1o toto ?
- Toto !
Lo to folo
Mo lo po fo do miotto .
-
Traduction littérale
Il a tout fêlé la tête. /
Quoi ? Quoi ? Quoi ?/
Quoi il a fêlé ? / la tête. /
Oh ! la la ! / Toute la tête ? /
Toute ! / Il l'a toute fêlée /
Mais il n'a pas fait de miettes.
jean-Claude Touzeil N.B. Tous les O de ce poème
sont des O fêlés c'est-à-dire ouverts.
Paul Vincensini
49
50
Petit poème d’occasion
Petits chevaux
S'il fallait renvoyer chez eux
Les mots arabes ou arabo-persans
Ça ferait du monde
Et un drôle de vide sur notre carte de séjour :
Azur hasard
D'algèbre à zénith
Jupe (ce serait dommage) et matelas et nuque
(mon amour)
Abricot et sirop et sorbet et sucre et tambour
Sans oublier la famille (tambourin
tambour battant) et guitare lilas luth
nénuphar orange
Maboul comme azimut qui va bien et comme
Zéro qui nous résume
Et on serait bien ennuyé
Pégases, mes jolis pégases,
mes chers petits chevaux de bois !
J’ai connu, quand j’étais enfant,
la joie de faire plus d’un tour
sur un coursier tout rutilant,
par une nuit où c’était fête.
Dans l’air obscurci de poussière
pétillaient les chandelles pâles
et le bleu de la nuit brûlait,
la nuit ensemencée d’étoiles.
Ô allégresses enfantines
qui ne coûtaient qu’un sou de cuivre,
pégases, mes jolis pégases,
mes chers petits chevaux de bois !
Bernard Chambaz
Antonio Machado
14
51
L’écolier
52
Ce que dit le tam-tam
Est au fond de mon cœur
J'écrirai le jeudi j'écrirai le dimanche
Le tam-tam chante
quand je n'irai pas à l'école
L'arrivée de la pluie
j'écrirai des nouvelles j'écrirai des romans
Le tam-tam chante
et même des paraboles
Le passage des perroquets
je parlerai de mon village
Le tam-tam chante
je parlerai de mes parents
Le départ des combattants
de mes aïeux de mes aïeules
Le tam-tam chante
je décrirai les prés je décrirai les champs
La naissance des jumeaux
les broutilles et les bestioles
Ce que dit le tam-tam
puis je voyagerai j'irai Jusqu'en Iran
Est au fond de mon cœur
au Tibet ou bien au Népal
Le tam-tam chante
et ce qui est beaucoup plus intéressant
La fleur qui naît et meurt
du côté de Sirius ou d'Algol
Sans bruit
où tout me paraîtra tellement étonnant
Le tam-tam chante
que revenu dans mon école
I:aube des temps nouveaux
je mettrai l'orthographe mélancoliquement
Le tam-tam chante
La terre nourrissante
Raymond Queneau Le tam-tam chante
Le ciel fleuri d'étoiles
Ce qui dit le tam-tam
Est au fond de mon cœur
Le tam-tam chante
La solitude de l'exilé
Le tam-tam chante
Le lever du soleil
Le tam-tam chante
La vie qui s'ouvre à l'enfance
Le tam-tam chante
Ce que dit mon cœur
Tout bas tout bas.
Pierre Edgar Moundjegou Mangangue
15