anthologie jeux de mots jeux de scènes
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anthologie jeux de mots jeux de scènes
Jeux de mots, jeux de scène Sélection de textes poétiques Année scolaire 2006-2007 1 2 A l’aube du buisson Pour un caillou A l’aube du buisson On peut voir se lever La flamme d’un oiseau … Avec des crayons on dessine si l'on peut les pieds nus du soleil le cri de la mer et un peu de tristesse qui remonte au galop La lumière se poser Dans la main des feuilles La pluie enchanter Ses abeilles limpides Et on perd le caillou dans le sable des couleurs qui file entre les doigts mais laisse comme le sel les traces d'un poème qu'on n'a jamais écrit mais qu'on connaît par cœur Le silence à genoux Et les heures offertes Comme des fruits sucrés On peut voir bien des choses A l’aube du buisson François de Cornière Jean-Pierre Siméon 3 4 Ronde flamande Ça frappe . Si j'étais roi de la forêt, je mettrais une couronne Toute d'or; en velours bleuet J'aurais un trône, En velours bleu, garni d'argent Comme un livre de prière, J'aurais un verre en diamant Rempli de bière, Rempli de bière ou de vin blanc. Je dormirais sur des roses. Dire qu'un roi peut avoir tant De belles choses. J’entends qu’on frappe. Disons ça frappe. Ne sais pas quoi, Pas où, pas qui. Ça frappe, ça frapouille, Ça cogne, ça tapouille. Et ça fait comme un bruit Dans l’espace en vacances. Je ne sais pas pourquoi Ça cogne, mais j’écoute. Eugène Guillevic. Charles Cros 2 5 6 La main à la plume Égocentrisme J'écrirai des poèmes sur le lait le beurre la crème j'écrirai des odes en vers heptasyllabiques sur les vaches les brebis les biques j'écrirai des myriades de myriades de sonnets sur le vent qui couche les lourds épis de blé j'écrirai des chansons sur les mouches et les charançons j'écrirai des sextines sur les fonds de jardin où se mussent les latrines j'écrirai des phrases obscures sur l'agriculture j'utiliserai des métonymies et des métaphores pour parler de la vie des porcs et de leur mort j'utiliserai l'assonance et la rime pour parler des prés, de la forêt, de la campagne j'écrirai des poèmes la main sur la charrue du vocabulaire Raymond Queneau 7 Je m'attendais au coin de la rue j'avais envie de me faire peur en effet lorsque je me suis vu j'ai reculé d'horreur Faisant le tour du pâté de maisons je me suis cogné contre moi-même c'est ainsi qu'en toute saison on peut se distraire à l'extrême Raymond Queneau 8 Arbre : le micocoulier Chanson pour les baptêmes Mélancolie Mélancolie quel joli nom pour une jeune fille Neurasthénie Neurasthénie quel joli nom pour une vieille fille Je cherche un nom pour un garçon un nom d’emprunt un nom de guerre pour la prochaine et la dernière pour la dernière des dernières Espoir Peut-être Agénor ou Singulier ou Dominique un nom à coucher dehors au temps des bombes atomiques Quel temps fait-il dans votre espoir ? Couci Coup là Mi figue mi frisquet Mi laine mi loup Quelle heure est-il à votre espoir ? Mi fête mi bête Mi rêve mi roc Mi vigne mi guêpe Mi vol mi lien Micocoulier Vous connaissez ? Mais je préfère Nuit pour celle que j’aime et chéris Nuit brune Nuit douce Nuit claire comme eau de source Marie Claude Caiserman Philippe Soupault 3 9 10 Fatras Le trou noir - Il était une fois... Le conteur s'interrompit. II répéta : - II était une fois ? C'était le trou, le trou noir, l'abominable trou de mémoire. Fourbissez votre ferraille, aiguisez vos grands couteaux ! Fourbissez votre ferraille, coquinaille, quetinaille, coquardaille, friandeaux, garçonaille, ribaudaille, laronnaille, brigandaille, crapaudaille, leisardeaux, cravetaille, goulardeaux, villenaille, bonhommaille, falourdaille, paillardeaux, truandaille, lopinaille, Tout à coup, il y eut un bruit. Et du trou, un lion surgit, une bêle énorme au moins aussi en colère que le lion de la Goldwyn Mayer Le conteur reprit : ---- Il était une fois un lion énorme... Il s'interrompit de nouveau. C'était le trou, le trou noir, l'abominable trou de mémoire. Alors, le lion prit peur J.Molinet et, d'un coup, croqua le conteur. aiguisez vos grands couteaux ! Pierre Coran 11 12 L’habitant du miroir Un beau matin Enfants, méfiez-vous des miroirs! Surtout lorsque tombe le soir, Quand le chien-loup du crépuscule Hurle à la nuit dans la pendule A l'heure où le jour va dormir S'éveille le miroir-vampire. Car cette glace familière Où se mirent les écolières Après les belles de jadis, Cette glace, je vous le dis, Abrite un monstre sans visage Qui veut dévorer vos images. Le monstre du miroir attend Le temps qu'il faut, il a le temps, Tapi dans son luisant dédale, Salles de neige et de cristal, Il attend sans un mouvement L'instant d'agir, le bon moment. Il n'avait peur de personne Il n'avait peur de rien Mais un matin un beau matin Il croit voir quelque chose Mais il dit Ce n'est rien Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Ce n'était rien Mais le matin ce même matin Il croit entendre quelqu'un Et il ouvrit la porte Et il la referma en disant Personne Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Il n'y avait personne Mais soudain il eut peur Et il comprit qu'il était seul Mais qu'il n'était pas tout seul Et c'est alors qu'il vit Rien en personne devant lui. Luc Decaune Jacques Prévert 4 13 14 Monde Solipsisme Qui c'est qu'est là ? quand j'y suis pas ? Dans le salon de madame des Ricochets Les miroirs sont en grains de rosée pressés La console est faite d’un bras dans du lierre Et le tapis meurt comme les vagues Dans le salon de madame des Ricochets Le thé de lune est servi dans des oeufs d’engoulevent Les rideaux amorcent la fonte des neiges Et le piano en perspective perdue sombre d’un seul bloc dans la nacre Dans le salon de madame des Ricochets Des lampes basses en dessous de feuilles de tremble Lutinent la cheminée en écailles de pangolin Quand madame des Ricochets sonne Les portes se fendent pour livrer passages aux servantes en escarpolette C'est-i l'bureau ? C'est-i la porte ? C'est-i l'parquet ? C'est-i l'plafond ? C'est-i la rue ? C'est-i la terre ? C'est-i le ciel ? Ah, nom de nom ! Quand j'y suis pus Y a pus personne. A preuve ? C'est que quand j'reviens je ramèn' tout à la maison : et v'là la terre et v'là le ciel et v'là la rue et ma maison et v'là la porte et v'là l'parquet et v'là l'plafond ! Jean Tardieu 16 André Breton 15 Boum Orthographe Je dis boum et tu dis boum-boum. Je réponds boum-boum-boum, car je veux boumer plus boum que toi. Ça reboume de plus en plus fort, et c'est ainsi que commencent les grands empires. C'est ainsi que les grands empires finissent. Et d'ailleurs que ; boum, ils recommencent. Avec une bonne orthographe on peut devenir géographe lexicographe ethnographe paléographe ou océanographe... « Et alors, pourquoi pas girafe ? » dit sans rire la girafe qui ne sait pas lire. Norge. Jean-François Mathé 5 17 18 Zoziaux La vache : descriptif Amez bin li tortorelle, Ce sont di zoziaux Qui rocoulent por l'oreille Di ronrons si biaux. La Vache Est Un Tout zoulis de la purnelle, Ce sont di zoziaux Amoreux du bec, de l'aile, Du flanc, du mousiau. Animal Qui A Environ Quatre Pattes Qui Rouketou, rouketoukou Tourtourou torelle Amez bin li roucoulou De la tortorelle. Descendent Jusqu’ à terre. On dirou quand on l'ascoute Au soulel d'aoûte Que le bonhor, que l'amor Vont dorer tozor. Jacques Roubaud Norge 19 20 Le menu du cochon qui veut devenir top modèle Je rentrai un soir dans la maison aux 365 chambres on pouvait y dormir chaque nuit de l'année dans une chambre différente. Il y avait encore des chambres secrètes à découvrir à la faveur d'une cheminée basculante on trouvait alors une pièce restée intacte depuis deux siècles et dans la tirette d'une armoire des pièces d'or laissées là par un aventureux millionnaire... Lundi : Un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau fraîche Mardi : Un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau fraîche Mercredi : Un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau fraîche Jeudi : Un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau fraîche Vendredi : Un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau fraîche Samedi : Un pépin de pomme reinette et une gorgée d’eau fraîche Et dimanche ? Dimanche à l’hôpital. Julos Beaucarne Jacques Roubaud 6 21 22 Tant de temps Le temps qui passe le temps qui ne passe pas le temps qu'on tue le temps de compter jusqu'à dix le temps qu'on n'a pas le temps qu'il fait le temps de s'ennuyer le temps de rêver le temps de l'agonie le temps qu'on perd le temps d'aimer le temps des cerises le mauvais temps et le bon et le beau et le froid et le temps chaud l le temps de se retourner le temps des adieux le temps qu'il est bien temps le temps qui n'est même pas le temps de cligner de I"oeil le temps relatif le temps de boire un coup le temps d'attendre le temps du bon bout le temps de mourir le temps qui ne se mesure pas le temps de crier gare le temps mort et puis l'éternité … «Je vous prendrai, certes, à mon service avec le plus grand plaisir, déclara la Reine. Quatre sous par semaine, et confiture tous les autres jours (...). La règle en ceci est formelle : confiture demain et confiture hier - mais jamais confiture aujourd'hui. - On doit bien quelquefois arriver à confiture aujourd'hui, objecta Alice. - Non, ça n'est pas possible, dit la Reine. C'est confiture tous les autres jours. Aujourd'hui, cela n'est pas l'un des autres jours, voyez-vous bien. » … Lewis Caroll Philippe Soupault 7 23 24 Du silence Le ballon La nuit tombe. Deux doux lampions s’allument. La plage est lisse comme un œuf. L’enfant étrenne un ballon neuf Et le fait monter vers la lune. La lune tombe Et le ballon s’allume. C’est toujours extraordinaire Que le spectacle d’un enfant Á ras de digue, à la lisière Norge D’un monde où s’engloutit le temps, En train de jouer comme si C’était une affaire d’État, Tenant la lune entre ses doigts Comme une médaille, un grigri, Comme s’il était innocent Ou plus loyal que l’océan ! Le soir, quand les grands bruits se sont tus, les petits bruits commencent. Ceux-là vous empêchent de dormir ; le sommeil des hommes leur fait peur. Il faut être mort pour goûter un vrai silence. Mais on dit que la mort, ça bourdonne aux oreilles. Ouste, rien à faire levons-nous, continuons ! Catherine Paysan 25 26 Je mènerai mon enfant Où avez-vous la tête ? Je mènerai mon enfant Partout où je n'ai pas été. Avec lui sur du marbre blanc. Dans des palais d'Orient Je rirai aux gens de couleur. - Mais où donc avez-vous la tête ? Mais à quoi donc pensez-vous`? Et aussi sous le soleil clair Qui éclaire toute la terre Pour ceux qui n'ont jamais pu faire Tout ce que j'ai fait. Pour ceux qui n'ont pas vu Tout ce que j'ai vu. - Mais où donc avez-vous les jambes? Mais où donc vous encourez-vous? - J'ai la tête près du bonnet, j'ai la cervelle à tous les vents. - J'ai pris mes jambes à mon cou, ,j'ai mis mes Jambes au grand air. - Mais où donc avez-vous les yeux ? Paul Eluard Vous me rendez vraiment soucieux. - Je n'ai pas mes yeux dans ma poche. Je les ai clairs comme eau de roche. - Mais où donc avez-vous le cœur? Vous voulez faire mon malheur! - J'ai le cœur qui chante à tue-tête : « Les grandes personnes, c'est bête! » Claude Roy 8 27 28 Rêvé pour l’hiver Déménager L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose Avec des coussins bleus. Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose Dans chaque coin moelleux. Quitter un appartement. Vider les lieux. Décamper. Faire place nette. Débarrasser le plancher. Inventorier ranger classer trier Eliminer jeter fourguer Casser Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace, Grimacer les ombres des soirs, Ces monstruosités hargneuses, populace De démons noirs et de loups noirs. Brûler Descendre desceller déclouer décoller Dévisser décrocher Débrancher, détacher couper tirer démonter Plier couper Rouler Empaqueter emballer sangler nouer empiler Rassembler entasser ficeler envelopper Protéger recouvrir entourer serrer Enlever porter soulever Balayer Fermer Partir Georges Pérec 30 Puis tu te sentiras la joue égratignée... Un petit baiser, comme une folle araignée, Te courra par le cou... Et tu me diras « Cherche ! » en inclinant la tête, — Et nous prendrons du temps à trouver cette bête — Qui voyage beaucoup... Arthur Rimbaud 29 C’est demain dimanche Il faut apprendre à sourire même quand le temps est gris Pourquoi pleurer aujourd’hui quand le soleil brille C’est demain la fête des amis des grenouilles et des oiseaux des champignons des escargots N’oublions pas les insectes les mouches les coccinelles Et tout à l’heure à midi j’attendrai l’arc-en-ciel violet indigo bleu vert jaune orange et roue et nous jouerons à la marelle Chanson bretonne J'ai perdu ma poulette Et j'ai perdu mon chat. Je cours à la poudrette Si Dieu me les rendra. Je vais chez Jean le Coz Et chez Marie Maria. Va-t'en voir chez Hérode Peut-être il le saura. Passant devant la salle Toute la ville était là À voir danser ma poule Avec mon petit chat. Tous les oiseaux champêtres Philippe Soupault Sur les murs et sur les toits Jouaient de la trompette Pour le banquet du roi. Max Jacob 9 31 32 Le dromadaire On n’est pas n’importe qui Quand tu rencontres un arbre dans la rue, dis-lui bonjour sans attendre qu'il te salue. C'est distrait, les arbres. Si c'est un vieux, dis-lui « Monsieur». De toute façon, appelle-le par son nom: Chêne, Bouleau, Sapin, Tilleul... Il y sera sensible. Au besoin aide-le à traverser. Les arbres, ça n'est pas encore habitué à toutes ces autos. Même chose avec les fleurs, les oiseaux, les poissons: appelle-les par leur nom de famille. On n'est pas n'importe qui ! Si tu veux être tout à fait gentil, dis « Madame la Rose» à Paul Savatier l'églantine; on oublie un peu trop qu'elle y a droit. Un jour au Caire un dromadaire entra chez un libraire et prit une grammaire. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Ce dromadaire savait tout faire, multiplier, soustraire, et même le contraire. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Il savait braire, ou bien se taire, et versait un salaire à son vétérinaire. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Pour se distraire Monsieur le Maire en fit son secrétaire dans toutes ses affaires. C'est pas vrai, ça fait rien, ça sera vrai demain. Ce dromadaire est légendaire chez tous les antiquaires de la ville du Caire C'est pas vrai, ça fait rien ça sera vrai demain ou à la Saint Glin-Glin. Jean Rousselot 33 34 Le pays de l’édredon bleu Tant bien que mal Quand j'étais malade, en mon lit, (Sous ma tête deux oreillers) Mes jouets étant rassemblés, Me tenant bonne compagnie. Parfois, pour un temps assez long, J'observais mes soldats de plomb, À la manœuvre, allant au pas Parmi les collines des draps. J'envoyais bateaux, cargaisons, Au gré des flots de couvertures, Ou bien pour mes cités futures Mettais en place arbres maisons. J'étais le géant silencieux Qui de sa pile d'oreillers Voyait les plaines, les vallées Du pays de l'édredon bleu. Robert-Louis Stevenson Ils sont marrants les êtres Vous tout comme moi Moi tout comme vous Et c'est pas du théâtre c'est la vie c'est partout Ils sont marrants les êtres En entrant chez les autres il y en a qui tombent bien il y en a qui tombent mal A celui qui tombe bien on dit Vous tombez bien et on lui offre à boire et une chaise où s'asseoir A celui qui tombe mal personne ne lui dit rien Ils sont marrants les êtres qui tombent chez les uns qui tombent chez les autres ils sont marrants les êtres Celui qui tombe mal une fois la porte au nez retombe dans l'escalier et l'autre passe dessus à grandes enjambées Quand il regagne la rue après s'être relevé il passe inaperçu oublié effacé La pluie tombe sur lui et tombe aussi la nuit Ils sont marrants les êtres Ils tombent ils tombent toujours ils tombent comme la nuit et se lèvent comme le jour. Jacques Prévert 10 35 36 Lettre aux gens très sages Quelque part, au bord de la Sarthe... Non il n'est pas fou Celui qui parle au vent Aux murs aux rues aux lampadaires Quelque part, au bord de la Sarthe, un homme, un jour, avec grand soin, repeignait de grandes pancartes : A l'ombre du chat sur la fenêtre Aux mains fragiles Qui l'aiment et le connaissent PRAIRIE INTERDITE AUX PINGOUINS - Il n'est pas fou Celui qui voit la mer Dans son miroir Et des chiens bleus Dans les nuages Non il n'est pas fou Il rêve il rêve Et nous attend Sous le manteau de son mystère Au coeur du monde imagé. Des pingouins, dis-je, dans la Sarthe, on n'en voit pas des quantités ! - Monsieur, c'est grâce à mes pancartes : rien de tel pour les arrêter ! N'en déplaise aux savants hilares, dans la Sarthe en toutes saisons, si les pingouins restent si rares, c'est que cet homme avait raison. J.L. Moreau Jean-Pierre Siméon 37 38 Le secret La chasse aux papillons D’où viennent-ils ? Où vont-ils, Tous ces humains que cherchent-ils ? Il court, il court, le Secret ! Et les hommes lui courent après ! Il est passé par ici, Il repassera par là. C’est comment, c’est quoi la vie ? Bien malin qui le dira ! Elle est passée par ici ! Elle repassera par là ! Il court, il court, le Secret ! Et les hommes lui courent après ! Parfois, pendant les vacances, Papa rapporte un lion Qu’il a tué par malchance Á la chasse aux papillons. Vite, on le soigne, on le panse, On lui retire les plombs Qui l’ont tué sans raison… Le voilà remis d’aplomb. Et ce gentil lionceau Revoit le bonheur des plaines Où mon papa de nouveau Peut le tuer par déveine. Andrée Chedid Norge 11 39 40 La danse de nuit Le dessin J’ai du papier, un crayon neuf Pour dessiner la route ; Sur la route, je fais un bœuf, La vache, je l’ajoute. Ah ! la danse ! la danse Qui fait battre le cœur ! C’est la vie en cadence Enlacée au bonheur ! La pluie ici ; là, le jardin ; Au jardin, quinze points, Quinze pommes… Le doux festin Que la pluie n’atteint point ! Accourez, le temps vole, Saluez, s’il vous plaît ; L’orchestre a la parole Et le bal est complet. J’ai fait le bœuf couleur de miel, La route en orangé, Mais les nuages dans le ciel, J’ai dû les arranger… Sous la lune étoilée Quand brunissent les bois Chaque fête étoilée Jette lumière et voix. Je les perce, je les lacère D’une flèche et soudain On voit éclater le tonnerre Et la foudre au jardin. Les fleurs plus embaumées Rêvent qu’il fait soleil, Et nous, plus animées, Nous n’avons pas sommeil. Barrons les pommes d’un trait noir ! Car cela signifie Qu’un coup de vent les a fait choir Que le vent s’amplifie. Flamme et musique en tête Enfants, ouvrez les yeux, Et frappez, à la fête, Vos petits pieds joyeux. Avec ce seul trait que je trace La pluie entre au jardin, Mais, brusquement, mon crayon casse, L’encre est sèche soudain. Marceline Desbordes-Valmore Sur la table posant la chaise, Je suis monté. Enfin, Bien que raté, d’une punaise J’accroche mon dessin. Serge Mikhalkov 41 42 La mouche qui louche Chaque fois que la mouche qui louche veut se poser au plafond elle s’y cogne le front et prend du plâtre plein la bouche MORALITÉ Pauvres mouches qui louchez posez-vous sur le plancher Les mlaisirs les plus himples I1 a passé une femise blanfe mis un vlip propre revêtu son nostume vert mistache noué une bravate à quois enfilé ses xaussures pernies et puis il est sorti dans la lue tout content sous le joleil simplement parce qu'il était teureux de bibre et qu'il faisait très meau. Jean Orizet jean Guichard-Meili 12 43 44 Un jour, un voulut Ce silence du soir, Un jour, un voulut Jouer au cerceau Avec le zéro. Ce silence du soir, Ce n'est pas le silence. Écoute ! Tout est noir, La nuit obscure fait toute chose pareille, Le ciel verse un repos immense ; pour l'oreille Tout bruit a cessé. L'âme entend en ce moment Une foule de voix sortir confusément De cette ombre en disant des choses inconnues. Il semble que les eaux, les plaines et les nues Sont pleines de secrets qu'elles vont révéler, Et dès que tout se tait, tout commence à parler. Il courut, courut Á en perdre haleine Jusqu’à la dizaine. Alors, par caprice, Un devenu dix Dribbla la centaine, Tripla le zéro Et s’arrêta pile En plein dans le mille. Victor Hugo Pierre Coran 45 46 Un poème Le Dictateur Un poème ça s'attrape un peu partout Un point tout petit petit mais d'orgueil tout bouffi criait d'une voix furibonde : « Après moi la Fin du monde ! » Comme de l'air en l'air ou de l'eau dans l'eau Devant cette conduite indigne, les mots protestèrent : « I1 est fou ! Il se croit un point-c'est-tout, et il n'est qu'un point-à-la-ligne ! » I1 y a des armoires à mots où il dort bien plié comme du linge Alors au milieu de la feuille ils le laissèrent tout seul, et le monde continua sans lui une ligne plus bas. Il y a des arbres d'images où il fait le singe Mais quand il passe c'est tout de suite ou c'est raté Gianni Rodari Werner Lambersy 13 47 48 Lo to folo M à Daniel Selle Ma Madame Madame la Madame la sou Madame la souris Madame la souris a Madame la souris a en Madame la souris a encore Madame la souris a encore ac Madame la souris a encore accou Madame la souris a encore accouché Madame la souris a encore accouché d'une Madame la souris a encore accouché d'une mon Madame la souris a encore accouché d'une montagne Madame la souris a encore accouché d'une montagne russe Lo to folo lo toto Ko ? Ko ? Ko ? - Ko lo folo ? - Lo toto - Oh ! lolo ! - Toto 1o toto ? - Toto ! Lo to folo Mo lo po fo do miotto . - Traduction littérale Il a tout fêlé la tête. / Quoi ? Quoi ? Quoi ?/ Quoi il a fêlé ? / la tête. / Oh ! la la ! / Toute la tête ? / Toute ! / Il l'a toute fêlée / Mais il n'a pas fait de miettes. jean-Claude Touzeil N.B. Tous les O de ce poème sont des O fêlés c'est-à-dire ouverts. Paul Vincensini 49 50 Petit poème d’occasion Petits chevaux S'il fallait renvoyer chez eux Les mots arabes ou arabo-persans Ça ferait du monde Et un drôle de vide sur notre carte de séjour : Azur hasard D'algèbre à zénith Jupe (ce serait dommage) et matelas et nuque (mon amour) Abricot et sirop et sorbet et sucre et tambour Sans oublier la famille (tambourin tambour battant) et guitare lilas luth nénuphar orange Maboul comme azimut qui va bien et comme Zéro qui nous résume Et on serait bien ennuyé Pégases, mes jolis pégases, mes chers petits chevaux de bois ! J’ai connu, quand j’étais enfant, la joie de faire plus d’un tour sur un coursier tout rutilant, par une nuit où c’était fête. Dans l’air obscurci de poussière pétillaient les chandelles pâles et le bleu de la nuit brûlait, la nuit ensemencée d’étoiles. Ô allégresses enfantines qui ne coûtaient qu’un sou de cuivre, pégases, mes jolis pégases, mes chers petits chevaux de bois ! Bernard Chambaz Antonio Machado 14 51 L’écolier 52 Ce que dit le tam-tam Est au fond de mon cœur J'écrirai le jeudi j'écrirai le dimanche Le tam-tam chante quand je n'irai pas à l'école L'arrivée de la pluie j'écrirai des nouvelles j'écrirai des romans Le tam-tam chante et même des paraboles Le passage des perroquets je parlerai de mon village Le tam-tam chante je parlerai de mes parents Le départ des combattants de mes aïeux de mes aïeules Le tam-tam chante je décrirai les prés je décrirai les champs La naissance des jumeaux les broutilles et les bestioles Ce que dit le tam-tam puis je voyagerai j'irai Jusqu'en Iran Est au fond de mon cœur au Tibet ou bien au Népal Le tam-tam chante et ce qui est beaucoup plus intéressant La fleur qui naît et meurt du côté de Sirius ou d'Algol Sans bruit où tout me paraîtra tellement étonnant Le tam-tam chante que revenu dans mon école I:aube des temps nouveaux je mettrai l'orthographe mélancoliquement Le tam-tam chante La terre nourrissante Raymond Queneau Le tam-tam chante Le ciel fleuri d'étoiles Ce qui dit le tam-tam Est au fond de mon cœur Le tam-tam chante La solitude de l'exilé Le tam-tam chante Le lever du soleil Le tam-tam chante La vie qui s'ouvre à l'enfance Le tam-tam chante Ce que dit mon cœur Tout bas tout bas. Pierre Edgar Moundjegou Mangangue 15