Traduction du texte religieux : créativité littéraire et - DOCT-US

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Traduction du texte religieux : créativité littéraire et - DOCT-US
Ştiinţe socio-umane
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Traduction du texte religieux : créativité littéraire et
persécution
Chokri Mimouni
Université Rennes 2-Haute Bretagne
Rennes, France
[email protected]
Abstract: The way of the translation is, generally speaking, very thorny, difficult to access and leading
nowhere not to say impossible. Impossibility not only bound to the distrust which we have towards the translator
but also strictly bound to the nature of the task, especially when it is about the translation of a religious text and
in this case about the Koran. Besides the linguistic correspondence and cultural of the text, there are, in fact, so
many other factors to be considered: the history of the text, its impact at the time of its appearance on the
individuals, even on the whole peoples, its impact on the cultural and religious life in the middle age. The
orientation stemming from the translation would be blocked not at all, therefore, in front of expectations of the
individuals whom addresses the translation and show the influence whether the translation, however small it is,
can have on the reaction of these same persons.
Keywords: religion, philosophy, middle age, wisdom, Koran
Toute sa vie, l’érudit Gazâlî (m. 1111)
défendit l’idée que le texte fondateur de l’Islam
n’est pas un texte ordinaire et qu’il fallait donc le
préserver tel quel, dans sa langue d’origine, sans
modifications, sans transformations et sans
traduction, face aux autres langues, portées par
des non-arabes, le perses et les turcs. A tenir
compte de cette déclaration du début du XIIème
siècle, tous les efforts de traduction d’un texte
religieux quelconque n’auraient plus la place qui
leur est réservée et seraient tout bonnement
inutiles.
Avant de voir le détail de cette vision
Gazalienne, il est utile d’esquisser en quelques
lignes préliminaires la problématique générale de
la traduction se rapportant au texte religieux. Ce
présent exposé, un fragment d’une traduction de
l’œuvre susmentionnée qui sera produite très
bientôt, tente de trouver un juste équilibre entre
les différentes opinions concernant la traduction
et la place du traducteur. On pourrait dire,
comme le proclament les défenseurs de la
traduction, que les traducteurs sont les éclaireurs
de l’âge des lumières. Comme on pourrait aussi
sombrer dans des jugements hâtifs qui ont
souvent associé, à tort ou à raison, le traducteur
à la trahison. Une place fort inconfortable dès
qu’il s’agit d’un texte religieux d’une manière
générale, et plus particulièrement du texte
fondateur de la religion musulmane, le Coran. Un
jugement qui place le traducteur entre deux
extrêmes,
une
sorte
d’étape
Manzila bayna manzilatayn.
intermédiaire,
Ce qui montre déjà que la voie de la
traduction est, d’une manière générale, très
épineuse, difficile d’accès et menant à une
impasse pour ne pas dire impossible.
Impossibilité non seulement liée à la méfiance
que l’on a à son égard mais aussi étroitement
liée à la nature de la tâche. Surtout lorsqu’il
s’agit de la traduction d’un texte religieux et
dans le cas présent du Coran. Outre la
correspondance linguistique et culturel du texte,
il y a, en fait, tant d’autres facteurs à prendre en
considération : l’histoire du texte, son impact à
l’époque de son apparition sur les individus, voire
même sur des peuples entiers, son impact sur la
vie culturelle et cultuelle de l’époque…
L’orientation issue de la traduction ne serait
aucunement obstruée, de ce fait, face aux
attentes des individus auxquels s’adresse la
traduction et montre l’influence que la
traduction, aussi minime soit-elle, peut avoir sur
la réaction de ces mêmes personnes. Citons, à
titre d’exemple, une erreur assez lourde qui
marqua le système philosophique d’Avicenne et
qui consistait à l’attribution à Aristote d’un traité
de Plotin sur la théologie1 ou encore Le Liber de
1
Voir Jolivet. J, Philosophie médiévale arabe et latine, éd.
Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1995, p. 90-110. Voir
aussi Plotin, Ennéades, éd. par Émile Bréhier, 7 vol., texte
grec et traduction, Les Belles Lettres, 1924/1927.
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DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
Causis, compilation de Proclus, attribué lui aussi
par erreur à Aristote2. Là nous sommes très loin
de ce que disait Gāḥiz (m. 1024-5) : « Le
traducteur doit maîtriser autant le sujet que son
auteur3. »
Par ailleurs, il est très difficile, et tout
bonnement impossible, que deux traducteurs
donnent des traductions identiques d’un même
texte, même s’ils œuvraient, chacun de leur
côté, sous l’emprise totale de son démon, Jinn4,
comme l’on a rapporté des poètes de la période
antéislamique. La traduction est donc liée à
l’effort de chaque traducteur et reste tributaire
de ses convictions profondes.
C’est pour dire que la traduction suppose
donc un acte d’interprétation. Souvent plusieurs
interprétations sont possibles et cela met le
traducteur devant l’acte de choisir. Faut-il tout
de même dire que la linguistique et le contexte
du texte permettent d’éliminer une partie
d’interprétations. Mais le choix demeure entre les
parties restantes et ce ne seront que des
éléments extérieurs au texte qui vont orienter le
choix : il y a des éléments liés à la subjectivité
du traducteur telle que sa croyance, sa
préférence mais il y a aussi les contraintes
normatives, les normes de traduction par
exemple, un éventuel contrôle institutionnel de
l’interprétation. Ḥunayn b. Isḥāq (m. 873), un
des piliers de la traduction à la « Maison de la
sagesse », grande institution de traduction et
point de départ de l’âge d’or de la civilisation
arabo-musulmane, dit : « Je n’est pas saisi le
sens précis de la phrase rapportée par Galien sur
Aristophane, j’ai décidé alors de l’éliminer
complètement5 .»
1. La renaissance
traduction
arabe
et
la
Dix siècles après Hunayn b. Isḥâq et avec la
Nahdha, la renaissance, Ṭahtāwī (m. 1873),
outre son chef d’œuvre Takhlīṣ al-Ibrīz fī Talkhīṣ
2
Voir Qanawati. G, Etudes de philosophie musulmane,
Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1974, p. 117-154.
3
'alā al-mutarǧim an yudrika l-mawḍū' bi-qadr idrāk l-kātib
lah-u.
4
En guise d’anecdote, la réalisation de la plus ancienne de
toutes les versions ou traductions des textes hébraïques, La
Septante, Ancien Testament des chrétiens d’Orient. On
rapporte que le monde sombra dans une obscurité totale
pendant trois jours lorsque la Torah fut traduite de l’hébreu
au grec. Rappelons qu’il s’agit de la première traduction de la
Bible dans une autre langue. La légende voulue aussi que les
traducteurs, aussi nombreux qu’ils étaient, trouvèrent la
même traduction tout en travaillant individuellement.
5
Lam atabayyan bil-dhabti ma'nâ l-jumla l-latî naqalahā
Jālînûs 'an Aristûfân w Qarrartu hadhfahâ bi rummatihâ..
ahwāl Bârîz, traduit sous le titre L’or de Paris, fit
plusieurs traductions d’ouvrages du français à
l’arabe6. Si l’on analyse de près l’une de ses
réalisations, Mawâqi’ l-Aflâk fî Waqâ’i’ Tīlīmāk,
dans le miroir de sa conviction religieuse, les
normes minimales de la traduction seraient
compromises et tout l’intérêt de la traduction
serait remis en question malgré la notoriété et le
prestige dont il bénéficiait à l’époque. Des
questions du genre pourquoi traduire et à qui
traduire émergeraient à la surface et inhiberaient
l’effort de traduction connu depuis plusieurs
siècles. Dans cet ouvrage qui devrait à la base
traduire Les aventures de Télémaque, le
rapprochant ainsi de la société arabe, nous
assistons à la naissance d’une autre œuvre se
différenciant totalement ou presque de l’œuvre
d’origine. Des concisions, rajouts et modifications
furent en quelques sortes les outils principaux à
utiliser, sous les yeux vigilants de Ṭahtāwī, à
priori, afin de recadrer le contenu dans une
perspective monothéiste.
Par exemple lorsque, sous la plume de
François de Salignac (m. 1715), le roi dit à
Mentor : « Les dieux vous ont envoyés pour
nous sauver…7 », Ṭahtāwī traduit : « Iqtadhat l-
hikma l-rabbâniyya irsâlakum ilaynâ li inqâdhinâ
mina l-halâk8 ». Par un jeu de mots assez habile,
nous sortons là de la Grèce où la divinité était
multiple pour l’intégrer dans un monde
monothéiste9. Plus loin et toujours à propos de la
divinité, quand Antiope dit en s’adressant à son
mari : « Télémaque, votre amour pour elle est
juste ; les dieux vous la destinent : vous l’aimez
d’un amour raisonnable…10 » Ṭahtāwī traduit :
« Hubbuka iyyâhâ yâ Tilimâk lâ lawma fîhi w lâ
tathrîba fa bi minnatihi ta'âlâ takûnu min ajlika
w nakhbika 'an qarâbin, haythu innaka mala'un
w malahun w hubbuka laha bidûni gharadhin w
lâ illatin…11 » Nous voyons ici comment le pluriel
« dieux » devient singulier comme s’il voulait
éviter de heurter la sensibilité des croyants.
Aussi le mot « juste » prend une autre
interprétation et nécessite même, selon Tahtâwî,
deux mots pour le sens en arabe sans oublier
que tout ceci transforme la réalité du texte de
départ en un élément courant de la vision
6
Voir Amara. M, Al-a'mâl l-Kâmila li Rifâ'a Râfi' l-Ṭahtāwî,
éd. Al-Mu'assasa l-'arabiyya, Beyrout, 1973-1981.
7
Voir De Salignac. F, Les aventures de Télémaque, Livre I,
Librairie Hachette, Paris, 1893, p. 12.
8
Voir Ṭahtâwî. R .R, Mawâqi' l-aflâk fî waqâ'i' tilimâk,
Beyrout, 1867.
9
La notion de dieux, au pluriel, est remplacé par le singulier
« la sagesse divine ».
10
Voir De Salignac. F, op. cit., Livre XVII, p. 317.
11
Voir Ṭahţâwî. R. R, op. cit., p. 723.
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culturelle arabo-musulmane : Elle ne peut pas
être à toi sans la volonté de Dieu.
Dans le livre VIII nous avons : « C’est dans
cette demeure, si élevée au-dessus de la terre,
que Jupiter a posé son trône immobile […] Au
contraire, quand il secoue sa chevelure, il
ébranle le ciel et la terre12. » Tahtâwî reprend à
sa manière l’interprétation de ce passage pour
l’intégrer dans un contexte monothéiste où
Jupiter n’a rien à voir avec la divinité et dans
lequel les dieux de la Grèce antique sont réduit à
néant13.
Il est intéressant de voir ici comment Tahtâwî
manipule les mots en traduisant Jupiter tantôt
par al-mukhtar et tantôt par al-kawkab, l’astre.
La notion du trône qui est assez importante dans
le Coran et qui a donné des divergences de
traduction et d’interprétation, est traduite ici par
des termes étranges, rares et détournés du sens
voulu : avec le terme de saltana, royauté,
voudrait-il basculer le sens de dieu tout
simplement au sens de roi, en passant d’un coup
du monde supra-lunaire, monde divin des
intelligibles, vers le monde sublunaire, le monde
de l’Homme ?
Un peu plus loin dans le texte de Solignac
nous lisons : « […] En disant ces paroles, il fit à
Vénus un sourire plein de grâce et de majesté.
Un éclat de lumière semblable aux plus perçants
éclairs, sortit de ses yeux. En baisant Vénus avec
tendresse, il répandit une odeur d’ambroisie dont
tout l’olympe fut parfumé14. »
Nous voyons qu’ici, tout comme dans l’œuvre
de départ, plusieurs éléments considérés comme
tabous dans la société arabo-musulmane, tel que
le baiser (qabbalahâ taqbîla hanînin), sont traduit
complètement différemment afin de satisfaire
ses lecteurs et les intégrer ainsi dans une culture
qui est sienne. En outre il raye du texte la notion
de l’Olympe, lieu de séjour des dieux du
paganisme gréco-romain.
Par ces manipulations voudrait-il satisfaire le
lecteur de cette époque ? En tout état de cause,
même si les efforts de traduire sont salutaires,
nous pouvons déceler sa conviction culturelle et
cultuelle personnelle. Comment pouvait-il en être
autrement alors que Tahtawî fut le guide pour
diriger la prière, l’imam, à la tête de la délégation
dépêchée en France après la conquête de
l’Egypte par Napoléon ? Il fut certes l’auteur
d’ouvrages assez importants pour l’époque tel
que Takhlîṣ al-Ibrîz fī Talkhîs ahwâl Bârīz. Son
fort n’était cependant pas, nous semble-t-il, dans
Le Coran, comme tout texte fondateur d’une
religion, est sujet à controverses, si ce n’est le
texte sujet à polémique, de tout temps. Quelque
soit la place occupée, du côté des fidèles ou sur
le banc des adversaires, il continue à attirer les
regards sur lui et alimente les débats les plus vifs
à son sujet. Dès qu’il s’agit de versets
coraniques, la vigilance et la méfiance
deviennent de rigueur, de part et d’autre, et ce à
travers tous les temps que ce soit au tout début
de leur révélation ou encore aujourd’hui, au sein
de la communauté musulmane comme à
l’extérieur. Comme nous l’avons annoncé plus
haut, nous n’allons que nous intéresser à la
traduction et pour ce faire, nous nous
interrogerons sur quelques traductions. Car, le
lecteur non arabophone, et étranger à la langue
du Coran, se trouve face à une multitude de
traductions autour du même texte qui envahirent
la société et ne sait plus, du coup, laquelle
choisir. Entre des traductions opérées sur
d’autres traductions, savantes ou pas, bien que
multiples, faites sur le texte arabe, comme nous
le verrons plus bas, quelle voie suivre ?
Dans l’impossibilité de les lire toutes, pour
une raison ou pour une autre, faut-il se fier à la
belle présentation, à la célébrité de l’auteur ou
chercher, tout bonnement, à s’informer sur le
traducteur et sur ses convictions.
Nous savons que, comme ce fut le cas pour
n’importe quelle œuvre traduite, les intentions
des traducteurs oscillent, d’une manière
générale, entre une volonté propagandiste pour
le faire découvrir à public très large de nonmusulmans et entre une volonté de défiguration
et de nuisance à l’Islam. Entre les deux, il y a
bien sûr, ceux qui considèrent l’œuvre comme
faisant partie du patrimoine universel et donc il
est culturellement enrichissant de la traduire.
C’est ce qui explique les différentes
traductions, en notre possession aujourd’hui :
2°/ D’autres traductions se présentent de
manière différente :
12
13
14
Voir De Salignac. F, op. cit., Livre VIII, p. 119.
Voir Ṭahtâwî. R. R, op. cit., p. 251.
Voir De Salignac. F, op. cit., Livre VIII, p. 120.
la traduction et ne fait que compromettre le
travail du traducteur.
2. Coran et traduction
1°/ Tout d’abord : il y a les traductions qui
ont été réalisées sur d’autres traductions :
version italienne sur une version latine, ou une
version hollandaise, sur une version allemande,
sur une version française, français/anglais, etc.
180
DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
2-1 : Sur le plan sémantique :
Certaines sont de simples traductions du
texte coranique.
D’autres présentent à leur début une
introduction sur l’Islam, la vie de Muhammad,
sur la révélation, l’exégèse et les interprétations,
etc.
2-2 : Sur le plan linguistique : la démarche
n’est pas la même non plus.
Les uns, tel que A. Ghédira15, ont privilégié
l’arabe, la langue de départ, réputée sacrée, en
essayant de dévoiler et le fond et la forme arabe.
Les autres, comme Kazimirski16, ont privilégié la
fidélité à la langue d’arrivée.
Exemples : Le choix sera fixé sur la sourate
XXIV du Coran parce qu’elle exprime la lumière ;
Lumière sans laquelle l’Homme sombrerait dans
l’ignorance et la déraison.
d’origine
« qul lil mu'minâti
yaghdhudhna min
absârihinna […]
wa lâ yubdîna
zînatahunna illâ libu’ûlatihinna aw
âbâihinna aw âbâi
bu’ûlatihinna aw
abnâ’ihinna
aw
abnâ'i
bu’ûlatihinna…19 »
teur
Kazimirski
Savary
1°/ La restriction sémantique :
Versets
d’origine
«Wallâhu
langue
yarzuqu
man
yachâ'u
bighayri
hisâbin17 .»
Traducteur
Traduction
Kazimirski
« Dieu donne
la nourriture à
qui il veut, et
sans compte »
« Il
vous
comblera
de
ses bienfaits.
Il les dispense
à son gré et
sans
compte18.»
« Dieu donne
la richesse à
qui Il veut
sans
compter. »
Savary
Ghédira
Dans la traduction de Kazimirski le « il »
minuscule, nous fait croire que le choix revient à
l’individu. Or, il s’agit bel et bien d’une décision
divine, dépassant la volonté des créatures, selon
la tradition musulmane. C’est en ce sens que
Ghédira l’a traduite par une majuscule. En outre,
la notion de Rizq, étroitement lié à yarzuqukum
dans le verset, est sémantiquement plus vaste
que la nourriture seule en prenant plutôt le sens
de bien en général ou de richesse comme dans
la traduction de Ghédira.
2°/ La confusion :
Versets langue
Traduc
15
Traduction
Voir Ghédira. A, Le Coran, éd. Maisonneuve, Paris, 1957.
Voir Kazimirski. A, Le Coran, Maisonneuve et Larose, 1840.
17
Voir Coran (XXIV, 38).
18
Voir Savary. C, Le Coran, Les libraires associés, Leyde,
1783.
16
Ghédira
« Commande
aux femmes qui
croient
de
baisser les yeux
[…] de couvrir
leur sein d’un
voile, de ne
faire voir leurs
ornements qu’à
leurs maris ou à
leurs pères, ou
aux pères de
leurs maris, à
leurs fils ou aux
fils de leurs
maris20…
« Ordonne aux
femmes
de
baisser les yeux
[…] Qu’elles ne
laissent voir leur
visage
qu’à
leurs
maris,
leurs
pères,
leurs
grands
pères,
leurs
enfants,
aux
enfants de leurs
mari21… »
« Dis
aux
croyantes
de
baisser
leurs
regards et d’être
chastes […] De
ne se montrer
qu’à leurs maris
ou
à
leurs
pères, ou aux
pères de leurs
maris, à leurs
fils ou aux fils
de
leurs
maris »22…
Dans le verset de base, âbâ'i bu’ûlatihinna
est connu, dans la conception musulmane, par
les pères de leurs maris ; Ce qui est
correctement traduit par Kazimirski et Ghédira.
En revanche la traduction de Savary, « leurs
grands pères », ne satisfait pas du tout le
message initial et induit par la suite à une
confusion,
pour
ne
pas
dire
une
incompréhension, chez le lecteur de la traduction
en français. De plus, Kazimirski introduit la
notion de sein qui, à notre sens, n’a pas sa place
dans ce verset même s’il s’agit de beauté ou de
19
20
21
22
Voir
Voir
Voir
Voir
Coran (XXIV, 31).
Kazimirski. A, op. cit., p. 282.
Savary. C, op. cit., p. 124.
Ghédira. G, op. cit., p. 265.
Ştiinţe socio-umane
signe de beauté, comme le traduit Ghédira, dans
ce verset.
3°/ estropiement :
Versets
langue
d’origine
« walladhîna
yarmûna
lmuhsanâti
thumma lam
ya’tû
bi'arba’ati
chuhadâ
fajlidûhum
thamânîna
jaldatan23.»
Traduc
teur
Kazimirski
Savary
Ghédira
Traduction
« Ceux qui portent
des
accusations
contre des femmes
honnêtes,
sans
pouvoir
produire
quatre
témoins,
seront punis de
quatre-vingts coups
de fouet. »
« Ceux
qui
accuseront
d’adultère
une
femme vertueuse,
sans
pouvoir
produire
quatre
témoins,
seront
punis de quatre
vingt
coups
de
fouet.»
« Ceux qui lancent
des
propos
malveillants
au
sujet d’une femme
vertueuse,
sans
pouvoir
produire
quatre
témoins,
infligez-leur quatrevingts coups de
fouet. »
L’ordre donné par Dieu, dans le texte de
départ, est maintenu seulement dans la dernière
traduction avec l’expression « infligez-leur ». Il
s’agit, en effet, du verbe Jalada, donner des
coups de fouet, à l’impératif. Les deux autres
traducteurs se sont contentés de ne pas insister
sur la notion de devoir et d’obligation ordonnés
par Dieu pour punir les accusateurs à tort. En
outre le terme Muhsana désigne la vertu et la
chasteté comme dans la traduction de Ghédira et
il ne s’agit aucunement d’honnêteté ici, comme
le traduit Kazimirski.
Une première constatation s’impose pour dire
que la multitude de traductions témoigne tout de
même de la difficulté de ce travail de traduction
et du devoir du traducteur dans la réalisation de
son œuvre. Face à un texte renfermant des
versets obscurs, donnant droit à plusieurs
interprétations, la pénibilité de l’acte de traduire
ainsi que les multiples facettes de traduction se
comprennent très bien. Mais faudrait-il rappeler
que face à de telle situation, le mot, tel un dé,
23
Voir Coran (XXIV, 4).
181
donne un sens nouveau selon la facette du dé.
Le verset peut avoir autant de sens que de jet de
dé. C’est pourquoi la tâche de traduction du
Coran se transforme en une énigme que seuls
les spécialistes en la matière, ceux qui peuvent
détenir vraiment la clé du mystère, seront
capables de résoudre. Outre les erreurs et les
incompréhensions telles que celles que nous
venons de mentionner, certains traducteurs se
contentent, en fin de compte, d’interpréter tout
simplement le texte.
Par ailleurs des traductions littéralistes, avec
des notes et des explications, sont proposées
aux lecteurs. Par ce genre de traduction, les
spécialistes établissent des correspondances au
niveau formel de la langue : grammaire, syntaxe,
lexique, style, etc. Cependant, la correspondance
du sens, nous réconforte pour affirmer qu’on ne
traduit pas seulement un texte mais un contexte
car le sens, vu son instabilité, est le résultat d’un
système d’interprétation individuelle ou collective
dans un contexte socioculturel particulier et
historiquement bien déterminé. Comme dans le
verset suivant de la sourate quatre qui revient
sur la scène de la polémique à propos d’Islam et
qui attise le feu entre adeptes et adversaires de
la polygamie :
[…] Si vous craignez d’être injustes envers les
orphelins (vous craindrez encore plus d’être
injustes envers les femmes), n’épousez donc,
parmi celles qui vous plaisent, que deux, trois ou
quatre. Si vous craignez encore d’être injustes,
n’en épousez qu’une seule ou simplement des
esclaves.24
Ce sont ce genre de versets sur le mode de
vie et l’organisation de la société qui attirent les
regards sur le texte fondateur de l’Islam et qui
suscitent plus d’intérêt que les versets sur les
fondements de religion ou autres. Nous
trouvons, de ce fait, plusieurs traducteurs qui
rallongent leurs travaux par des explications et
des argumentations parfois inutiles. D’autres
orientalistes, au contraire, s’imposent plus de
temps pour exécuter la traduction, à l’instar du
clerc Ludovico Marracci25 qui réalisa, selon
24
“Fankihû mâ tâba lakum mina l-nisâ'i mathnâ w thulâtha w
rubâ’a fa 'in khiftum allâ ta’dilû fa wâhidatun aw mâ malakat
aymânukum.” Voir Coran (IV, 3). Nous nous sommes
appuyés sur la traduction de Ghédira. Voir Ghédira, op. cit.,
p. 58.
Il s’agit d’un clerc italien qui passa quarante ans pour
traduire le Coran en 1698. Elle est considérée par certains
comme étant la plus fiable des traductions à côté de la
traduction allemande de Rudy Paret. Il s’est éteint en 1700 à
l’âge de 88 ans. Voir Marracci. L, RefutatioAlcorani, 2 Vol.,
Patavii, Typographia Seminarii, 1698.
25
182
DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
certains, un travail minutieux et proche du texte
de départ. Car comme tout citoyen hostile à la
polygamie, il cherchait à comprendre l’intérêt de
cette dernière dans une religion adoptée par des
adeptes de tous horizons ; Et il finit par légitimer
celle-ci en faisant le lien entre la révélation de ce
verset et le contexte social, la deuxième bataille
qu’a connu l’Islam, une lourde défaite sur tous
les plans26.
Enfin faut-il rappeler qu’il existe, au jour
d’aujourd’hui, plus d’une centaine de traduction
du Coran, à travers le monde, dans plusieurs
langues,
totalement
ou
partiellement
différentes27. Certaines de ces traductions sont
accompagnées d’explication lorsque l’auteur
l’estime nécessaire. D’autres sont précédées d’un
prélude sur l’histoire de l’Islam, du prophète, etc.
Aussi, des traductions comme celle de Blachère
s’appuient sur l’ordre chronologique des sourates
et enfin, il existe des traductions partielles de
quelques sourates seulement.
3. Al-Gazâlî et la traduction
Il s’agit ici bien évidemment de la traduction
du Coran et plus particulièrement de la
traduction vers le turc ou le persan, langues de
deux grandes civilisations qui embrassèrent
l’Islam très tôt et qui formèrent une part
importante de la société musulmane encore
aujourd’hui.
Face à cet enjeu, cet encyclopédiste va nous
dévoiler son point de vue dans une épître,
encore assez méconnue, qu’il rédigea vers la fin
de sa vie, Iljâm l-‘awâmm ‘an ‘ilm l-kalâm. Il va
se dévoiler linguiste après que nous l’avons
connu philosophe, théologien, juriste…
Parmi les règles émises par Gazâlî, dans cet
ouvrage, il y en a une, la cinquième, qui attire
l’attention, sur le plan linguistique28 :
26
Il fit le lien entre le début et la fin de ce verset pour
comprendre que lors de la deuxième bataille, ghazwat Uhud,
plusieurs hommes ont trouvé la mort et du coup plusieurs
veuves et beaucoup d’orphelins se trouvèrent jetés sur le
banc de la société et qu’il fallait, pour ceux qui en avaient les
moyens, les prendre en charge et s’en occuper.
27
La première traduction fut réalisée, à la demande de Pierre
Le Vénérable (1092-1156), en 1143 par Robert de Rétines
associé à un Dalmate nommée Hermann. Ils ont mis deux
ans pour cette réalisation. Cette traduction fut reproduite à
plusieurs reprises, pendant quelques siècles, jusqu’à sa
première édition en Suisse en 1543 par Theodorus Bibliander.
La première traduction en Français, L’Alcoran de Mahomet,
fut réalisé en 1647 par André De Ruyer (1580-1660) et fut la
base de certaines traductions du Coran en anglais, en
allemand, etc. La première traduction de l’arabe vers l’anglais
directement était faite en 1734.
28
Voir manuscrit du Koweit, feuille 8.
Il est obligatoire, pour tous, de garder les
mêmes mots rapportés par la tradition et de
s’interdire de les manier selon six cas : Al-Tafsîr,
la traduction29, Al-Ta’wîl, l’interprétation, AlTa’rîf, la déclinaison, Al-Tafrî‘, la dérivation, Aljam‘ et Al-Tafrîq, combinaison et dissociation.30
3.1. L’interdiction de traduire
Gazâlî, comme son surnom l’indique, Hujjat lislâm, la preuve de l’Islam, se lève cette fois-ci
non pas contre les attaques externes mais plutôt,
dans l’enceinte même de l’Islam, contre les
fidèles perses et turcs qui voulaient traduire le
Coran. Même si l’intention n’est d’utiliser la
traduction que pour accomplir des obligations,
récitation du Coran, accomplissement de la
prière, etc., il l’interdit complètement en se
basant sur les distinctions linguistiques et sur le
manque de synonymies et de correspondance,
mot pour mot, dans une autre langue et en
particulier entre l’arabe et le persan.
Et même s’il en existe, les Perses, euxmêmes, ne les utilisaient pas à cause du sens
précis voulu dans la langue arabe. Aussi, il y en a
qui possèdent plusieurs entrées indexées en
arabe et qui n’ont pas d’équivalent en persan31.
Il cite l’exemple de, al-istiwâ, la Session de
Dieu sur le Trône en disant que ce terme n’a pas
d’équivalent, dans le même sens voulu par la
langue arabe, chez les Perses. De plus, Persan
d’origine et maîtrisant parfaitement sa langue
maternelle, il donne les termes Raft et Bayistâd
qui désignent respectivement le redressement et
la droiture par opposition à la courbure et
l’inclinaison pour le premier, et l’arrêt et la
stabilité en opposition à l’agitation et au
mouvement. Il conclut, donc, que l’usage et la
signification sont plus précis que le terme arabe
Istiwâ en langue persane. Cependant si le sens
voulu par la langue de départ n’est plus le
même, les deux termes correspondants ne sont
plus synonymes ; Il n’est alors possible de
29
Normalement le mot Tafsîr se traduit par exégèse ou
explication. Cependant pendant les premiers siècles de
l’islam, ce mot Tafsîr désignait la représentation d’un mot
par son synonyme et de son explication dans une autre
langue, sans la contrainte du style, de la rîme…Il pouvait
s’agir aussi de sa traduction. Dans le grand dictionnaire alQâmûs le traducteur, al-mufassir, est celui qui explique des
propos dans une autre langue mais aussi celui qui les traduits
dans une autre langue. Voir M. H. Makhlouf, Manhaj l-Yaqîn,
éd. Mustafa Lubâbâ l-halabî, 1932, p. 62.
30
« […] min sittati 'awjuhin : al-Tafsîr wal Ta'wîl wal Ta’rîf
wal Tafrî’ wal jam’ wal Tafrîq »
31
Op.cit., feuille 7.
Ştiinţe socio-umane
remplacer un terme que par un équivalent
parfait.
Le second exemple qu’il donne pour légitimer
son point de vue est le terme Isba’, doigt. Dans
l’usage des Arabes, ce terme peut, entre autres,
désigner la largesse. On dit qu’un tel a un isba’
auprès d’un tel autre c’est-à-dire un bienfait,
Inkachat, en persan. Or les Perses n’ont pas
l’habitude d’utiliser cet emprunt, selon notre
auteur. La richesse en entrées indexées et en
néologismes, concernant ce terme, est largement
plus importante en langue arabe qu’en langue
persane et par la suite la traduction ne doit
s’opérer que par un synonyme parfait. Ce qui
n’existe vraisemblablement pas, selon notre
auteur.
Le troisième exemple : le terme ‘Ayn, œil.
Lorsqu’il est utilisé, ce terme prend toujours le
sens apparent, selon Gazâlî pour désigner
l’organe de vision, la source d’eau, l’or ou le
soleil. Son synonyme jachm32, en persan, n’a pas
toutes ces possibilités. Et donc le maintien du
mot en arabe s’impose chez Gazâlî. La même
chose est valable pour les termes Wajh33 et
janb34. Même si les mots sont synonymes dans
les deux langues, la langue de départ, l’arabe et
la langue d’arrivée, le persan, la distinction entre
eux réside dans leurs entrées indexées
respectives. Dans ce cas-là, Gazâlî interdit la
traduction afin d’éviter aux gens simples de
chercher à chaque fois le sens voulu même si
certains termes tels que khubz et Nân35 ou Lahm
et Kucht36, restent des vrais synonymes comme il
le cite dans son ouvrage. Les divergences et
convergences sémantiques entre deux termes,
dans les deux langues, seraient, dans le cas
contraire, difficiles à établir et par la suite
sujettes à polémique. Ceci est d’autant plus
valable qu’il ne faut pas surtout pas l’autoriser
concernant les noms divins : Il est obligatoire de
garder le terme arabe comme il est donné et le
recours à le traduire serait vain face aux
différences existantes entre les catégories
sociales.
3.2. L’interprétation
Qu’il s’agisse de l’interprétation du simple
citoyen ou du savant, l’interprétation est à
proscrire, toujours selon l’auteur. Car le moindre
doute entraine une atteinte à la majesté divine
183
et une offense à la volonté de Dieu. Ceci serait,
selon Gazâlî, comme quelqu’un qui se jette dans
un océan sans savoir nager ou encore quelqu’un
qui entraine un autre à affronter un océan sans
savoir que celui-ci ne connait rien aux secrets de
l’océan. Par exemple l’interprétation du mot AlFawq qui désigne le rang, par exemple, comme
quand on dit le sultan est au dessus du vizir. Nul
doute que cette explication concerne Dieu mais
peut être nous hésitons concernant le sens de
Al-Fawq dans : « Ils craignent leur seigneur qui
est au dessus d’eux37.» A-t-on voulu le sens lié
au rang ou un autre sens différent, autre que le
sens qui conviendrait à la Majesté de Dieu sans
rapport à la position qui demeure impossible à ce
qui n’est pas corps et ce qui n’est pas une
caractéristique d’un corps.
3.3. La déclinaison d’un mot
Gazâlî dit que lorsqu’il apparaît, par exemple
le mot Istiwâ, qui implique le session sur le
Trône, il ne faut pas le décliner en participe
présent, Mustawin, ou en verbe conjugué, par
exemple Yastawî. Car il y a risque de
modification de sens comme dans les deux
versets suivants : « Dieu est celui qui a élevé les
cieux sans colonnes visibles, Il s’assit [Istawâ]
ensuite dignement sur le Trône38 » et « C’est Lui
qui a crée pour vous tous ce qui est sur terre ;
puis Il se porta vers le ciel [Istawâ ila ssamâ]39. »
3.4. Syllogisme et dérivation
Cette méthode est réservée uniquement aux
savants. Car certains mots risquent d’être mal
compris de la part du simple citoyen. Gazâlî dit
que si le mot Yad, main, par exemple, est cité, il
ne faut le confondre avec l’avant-bras, la main
ou les doigts. Il n’est pas admis de comprendre
le sens de bouche quand on évoque la source ou
le rire40. Aussi lorsque l’on évoque l’ouïe et la
vision, il ne faut pas comprendre de suite qu’il
s’agit de l’être humain.
3.5. Réunir
des
informations
chronologiquement différentes
Rassembler des notions évoquées par le
prophète de l’islam à des périodes différentes,
32
Le synonyme de ce terme, en arabe est jism pour désigner
un corps.
33
Terme à double entrées indexées : soit visage soit
direction.
34
Ce terme désigne côté, versant, flan.
35
C’est-à-dire pain.
36
Les deux termes sont synonymes et désignent la viande.
37
Voir Coran (XVI, 50).
Voir Coran (XIII, 2).
39
Voir Coran (II, 29).
40
Astucieusement Gazâlî use du mot ‘Ayn qui désigne soit
l’œil soit la source d’eau.
38
184
DOCT-US, an III, nr. 1, 2011
avec la seule excuse qu’ils renferment le même
mot ou la même notion risque de tomber dans le
contre sens et d’induire, par la suite, les gens en
erreur. Car les propos du prophète expliquent les
incompréhensions au moment où il s’est
prononcé et surtout pas avant le déroulement
d’un évènement quelconque. Des notions
d’époques
différentes
ne
peuvent
être
rassemblées dans le même texte pour
comprendre une situation.
3.6. Ne pas séparer entre des mots
groupés
Comme il ne faut pas compiler des choses
différentes, il ne faut pas dissocier entre des
termes utilisés ensemble pour un but particulier.
Gazâlî donne l’exemple suivant : « Il est Le
Dominateur, Il est au dessus de Ses
serviteurs41. » Il n’y a pas de domination, selon
notre auteur, si l’on dit : « Il est au dessus »,
Huwwa Fawq car si le mot dominateur lui est
précédent, la signification du terme Fawq indique
bien la supériorité qui est au dominateur par
rapport au dominé. Il est cependant prohibé de
dire « Il est le Dominateur au dessus d’autrui »
mais plutôt dire « au dessus de Ses serviteurs »
car il est préférable de dire le maître est au
dessus de son esclave même s’il est incorrect de
dire, par exemple, Zayd est au dessus de ‘Amr.
A travers ses opinions, Gazâlî paraissait agir
uniquement sous la pulsion religieuse. Il
encourageait, de manière implicite la diffusion de
la langue arabe, par l’interdiction de traduire et
le Coran et le corpus de la Sunna et cela au
dépend même de sa langue maternelle, le
Persan. Ceci se justifierait-il par le surnom qu’on
lui attribue encore aujourd’hui Hujjat l-Islâm, la
preuve de l’Islam, ou par la place que lui offrait
Nizân l-mulk (m. 1092), vizir des seljoukides, à
cette époque là ? Certes, Gazâlî fut utilisé, par ce
vizir, comme une arme de guerre par excellence,
sur le plan intellectuel, contre certaines factions
du chi’isme. Après avoir été le plus important
maître initiateur à l’école fondée par ce vizir, la
Madrasa, Gazâlî partait, en effet, en guerre
contre l’islam chi’ite d’une manière générale et
sa doctrine dévorait par phagocytose toutes les
autres doctrines ou presque, en particulier celle
des imamites. Si tel était le cas, pourquoi ce fut
dans le dernier ouvrage, vers la fin de sa vie qu’il
affichait de telles idées ? Y avait-il la crainte de
l’ennemi extérieur, par le déclenchement de la
première croisade en 1099 ?
Mais ce qui est intéressant dans tout cela,
c’est de voir ces idées là, du début du XIème
41
Voir Coran (VI, 18).
siècle, encore ancrées dans l’esprit de certains.
D’un autre côté, certaines traductions d’un texte
religieux, et du Coran en particulier, pourraient
être le fruit d’une guerre intellectuelle dans le
seul but serait de nuire, à tort ou à raison, à la
religion en question. Alors, devant le phénomène
de mondialisation que nous vivons aujourd’hui et
parallèlement
aux
formidables
débats
interreligieux qui s’y développent, quel traduction
choisir, qui doit traduire et à qui traduire ?
Avant de répondre à ces questions disons que
les premières traductions, concernant le Coran,
considérées bonnes ou mauvaises par les uns et
les autres, ont un effet positif sur l’ouverture de
l’Occident sur l’Orient d’une part, et sur la
découverte de cette religion, qu’est l’Islam, dans
la lignée des religions monothéistes, en Occident
latin.
Nous pouvons nous demander, cependant,
pourquoi des grands noms d’orientalistes ayant
traité du Coran, tel que Noeldke (m. 1930) ou
Bergstrasser (m. 1933) n’avaient-ils jamais eu
l’ambition de traduire le Coran ? Pourquoi a-t-on
autant de traductions du Coran ?
Par ailleurs, il est vrai que la traduction du
Coran est une démarche difficile et inachevée si
l’on tient compte de son caractère sacré. Aussi
les différentes interprétations du Coran tenues
par les sunnites, les chi’ites, traditionnalistes et
modernistes ne facilitent pas le travail du
traducteur mais elles ne doivent pas, non plus,
influencer son travail.
En tous cas le traducteur pourrait en tenir
compte mais ne doit surtout pas ignorer la place
qu’occupe le Coran chez un croyant musulman.
Une traduction qui tient compte de tous les
éléments cités précédemment ne pouvait
conduire, surement, que vers une meilleure
compréhension du monde musulman et, par la
suite, à une fusion sociale plus fluide.
Afin de mieux privilégier cet aspect, la
traduction d’un texte religieux, voire même les
travaux de traduction en général, pourraient se
faire sous l’égide d’un observatoire de traduction,
par exemple. Parallèlement à l’extraordinaire
avancée que vit le monde aujourd’hui en matière
de communication, une alliance entre les
différents traducteurs, afin de coordonner les
travaux et les faires connaître des spécialistes en
la matière, devrait voir le jour. Cet observatoire
pourrait se charger de répertorier les différents
travaux de traduction, dans tous les pays arabes
par exemple, et serait le centre référent, le
centre de communication entre ces différents
pays et entre les différents groupes de
traductions travaillant sur le texte religieux. Ce
qui permettrait de promouvoir les traductions
savantes, de les faire découvrir à un large public
Ştiinţe socio-umane
et de ce fait, écarter du marché les traductions
qui trahissent le texte source. La traduction des
aventures de Télémaque, par Tahtâwî, ne
permet pas du tout à son lecteur de comprendre
ni la Grèce antique ni son mode cultuel.
Cependant, il est regrettable qu’une traduction,
telle que celle de Ghédira, totalement absente
sur la scène de la traduction, soit méconnue des
jeunes chercheurs et des spécialistes.
Bibliographie
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Khânji, 1998.
Amara, M., Al-a'māl l-Kāmila li Rifā'a Rāfi' l-Ṭahţāwī,
Beyrout, éd. Al-Mu'assasa l-'arabiyya, 1973-1981.
Chayyâl, J., Histoire de la traduction en Egypte,
pendant la conquête française, Port Saïd, 2000.
Ghédira, A., Le Coran, nouvelle traduction, Paris,
maisonneuve, 1957.
185
Jolivet, J., Philosophie médiévale arabe et latine,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1995.
Kazimirski, A., Le Coran, Paris, Maisonneuve et
Larose, 1840.
Laoust, H., La politique de Gazâlî, Paris, Paul
Geuthner, 1970.
Makhlouf, M. H., Manhaj l-Yaqîn, edition Mustafa
Lubâbâ l-halabî, 1932.
Mimouni, C., Iljâm l-‘awâm ‘an ‘ilm l-Kalâm, Interdire
à la masse de s’adonner à la théologie, traduction, à
paraître prochainement.
Qanawati, G., Etudes de philosophie musulmane,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1974.
Salignac, (de) F., Les aventures de Télémaque,
Paris, Hachette, 1893.
Savary, C., Le Coran, Leyde, Les libraires associés,
1783.
Tahtawî, R. R., Mawâqi' l-aflâk fî waqâi' tilimâk,
Beyrout, 1867.
Mimouni Chokri
Professeur d’arabe, Département des Etudes Arabes et
Islamiques, Université Haute Bretagne - Rennes 2,
Laboratoire de recherches : EA 3427, EREMIT.

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