Sacré serpent ! Magie et mythologie

Transcription

Sacré serpent ! Magie et mythologie
LE MONDE
DE LA BIBLE
Sommaire
Paradoxal et
omniprésent serpent
par Valérie Matoïan
Entretien audio: Dans
l'Égypte des pharaons
avec Vincent Rondot
Le voleur d’immortalité
et autres filous ophidiens
de Mésopotamie
par Brigitte Lion
Un bon dieu qui guérit
et protège
Entretien avec Paolo Xella
Le serpent dans la Bible
hébraïque
par Thomas Römer
Vidéo : Dans les
collections de Louvre
visite guidée
par Marielle Pic
Un culte des serpents
à l’âge du Fer
par Anne Benoist
Le chant du serpent
par Dominique Pierre
À lire aussi nos conseils : livre numérique mode d’emploi p. 92
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Introduct ion
Le serpent exerce sur les peuples de l’Orient ancien
une fascination paradoxale. D’un côté, il évoque les forces
néfastes, comme l’illustrent bien les premières pages
de la Bible ; de l’autre, il intervient largement dans
la prévention et la lutte contre toutes sortes de maux,
au point de symboliser aujourd’hui encore, avec le caducée,
les vertus de la médecine… Bref, il est le mal et son antidote !
Une telle curiosité méritait bien un petit retour aux sources.
L’archéologue Valérie Matoïan, qui nous a aidés à préparer
ce dossier, introduit notre enquête par un grand tour d’horizon
de la place symbolique du serpent dans les cultures
proche-orientales, soulignant son omniprésence et sa grande
pérennité. L’exégète Thomas Römer met en lumière
les différents portraits de notre protagoniste à travers quelques
grands récits de la Bible hébraïque. L’assyriologue Brigitte
Lion se penche ensuite sur la documentation mésopotamienne,
en particulier L’Épopée de Gilgamesh dans le dénouement
de laquelle le serpent joue un rôle décisif. Dans un entretien
avec l’historien des religions Paolo Xella, nous envisageons
le symbole du caducée et la bonne réputation du serpent
guérisseur au Levant. Quant à l’archéologue Anne Benoist,
elle nous entraîne sur les traces d’un exemple de culte
du serpent en Arabie.
Pour compléter ces articles, Marielle Pic, directrice
du département des Antiquités orientales au musée du
Louvre, nous fait découvrir en vidéo quelques chefs-d’œuvre
serpentiformes de ses collections, tandis que Vincent Rondot,
son homologue du département des Antiquités égyptiennes,
nous explique le sens de l’uræus, cette petite tête de cobra
qui orne les statues des dieux et des pharaons d’Égypte.
Pour clore ce dossier en beauté, le musicologue Dominique
Pierre nous fait découvrir le son grave et feutré du serpent, un
instrument à vent dont le souffle enchanta longtemps nos églises.
Au terme de cette lecture, gageons que vous n’aurez
plus la même perception de ce sacré petit diable !
Bonne lecture !
SOMMAIRE
Estelle Villeneuve
SACRÉ SERPENT ! MAGIE ET MYTHOLOGIE
Paradoxal
et omniprésent
serpent
Valérie Matoïan
Archéologue, chercheur au laboratoire Archéorient
(C.N.R.S. – université Lumière Lyon 2)
MSH Maison de l'Orient et de la Méditerranée, Lyon
© D.R.
Aujourd'hui comme hier, le serpent fait l'objet
de représentations variées, aux sens parfois
très divergents, voire apparemment opposés.
Une partie de la symbolique actuelle attachée
au reptile trouve ses sources dans
les civilisations du Proche-Orient ancien,
qui lui ont prêté très tôt une attention
particulière. Attribut des dieux, dieu lui-même,
objet de crainte ou doté de vertus positives,
le serpent ne se laisse pas aisément saisir.
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
L
e serpent ne laisse pas indifférent. Classé parmi les
reptiles dépourvus de pattes ou, si l’on se réfère à la
classification phylogénétique, dans le groupe des
squamates, l’animal, bien que sauvage, est étroitement lié à
l’homme. Dans notre société, il est associé à une palette de
sens où les opposés abondent : vie et mort, régénération et
fin, maladie et guérison, peur et fascination. On lui associe
aussi les notions de transformation, d’initiation, d’intelligence,
de connaissance… S'il est encore possible, malgré une forte
diminution de leur population, de croiser des serpents dans
la nature, se chauffant sur des pierres au soleil, ce sont avant
tout les images de ces reptiles que nous côtoyons désormais.
Un symbole très présent dans notre quotidien
vantant le pouvoir régénérateur des produits, n’hésitent pas
à leur associer l’image d’un serpent, dont la mue est un symbole d’éternelle jeunesse. Dans l’adaptation du Livre de la
jungle par les studios Disney, la forêt tropicale abrite un
énorme python nommé Kaa, doué d'un pouvoir hypnotique,
rappelant que chez les serpents, des écailles transparentes
remplacent les paupières. Le visiteur du bosquet du Théâtre
d’eau des jardins du château de Versailles se retrouve quant
à lui face à des serpents de perles aquatiques, créés par
l’artiste contemporain Jean-Michel Othoniel, dont les larges
Le bosquet du Théâtre d'eau du château de Versailles
a été recréé par le sculpteur Jean-Michel Othoniel.
Regarder cette vidéo sur YouTube via une connecxion internet
(cliquez sur l’image).
Depuis longtemps déjà, la figure du serpent n’est plus cantonnée à l’espace sacré des lieux de culte chrétiens, où elle
symbolise le mal et peuple l'enfer, mais s’est propagée dans
divers domaines de notre quotidien, véhiculée sur de nombreux supports. Certaines représentations font référence de
manière directe aux caractéristiques anatomiques, physiologiques ou comportementales de l’animal dont l’environnement varie selon les espèces : eau, terre ou arbres. C’est ainsi que les opérations de marketing de certains cosmétiques,
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
ondulations évoquent le mode de déplacement par reptation
de ces reptiles sans membres.
Mais le plus souvent, l’image du serpent induit une peur
face à l’inconnu et au danger, car l’animal est généralement
venimeux et vit caché. Que l'on pense aux productions
cinématographiques, riches de scènes où les héros, tels
Indiana Jones et ses acolytes, parcourent des espaces
souterrains grouillants de bêtes hostiles.
D’autres représentations puisent aux racines culturelles de
notre société, tels les emblèmes des professions médicales,
qui font référence aux attributs de divinités de la mythologie
grecque : pour les médecins, le serpent enroulé autour du
bâton du dieu de la médecine Asclépios, et pour les pharmaciens, le serpent associé à la coupe d’Hygie, personnification de la santé. Selon un principe de magie sympathique,
l’animal est alors bénéfique et protecteur (cf. entretien avec
Paolo Xella).
La permanence et la force du symbole semblent avoir facilité
son adoption pour d’autres logos de création plus récente,
comme celui des sages-femmes, où le serpent est superposé à un « O » évocateur de la femme enceinte. On pourrait s’étonner de voir la médecine occidentale, pour laquelle
l’étude du corps prime sur l’analyse de la psyché, user des
attributs divins de l’Antiquité ; mais force est de constater que
ces images à forte connotation symbolique, en lien direct avec
les besoins les plus élémentaires des hommes, ont traversé
les millénaires.
L'héritage biblique
Le Proche-Orient ancien fut un autre creuset culturel. Le pouvoir protecteur et guérisseur du reptile est en action dans
l’épisode biblique du serpent d’airain : « Si un homme était
mordu par quelque serpent, il regardait le serpent d’airain et
restait en vie. » Mais l’image biblique la plus connue du reptile reste celle livrée par la Genèse : le serpent y est le gardien
« rusé », à l’origine de l’expulsion d’Adam et Ève du jardin de
la Création (cf. article de Thomas Römer).
Quête de la connaissance, quête de l’immortalité, le récit de la
Genèse associe le serpent et la femme. Ce rôle de la féminité
est souligné dans certaines représentations artistiques évoquant le paradis terrestre. Des peintres de la Renaissance,
tels Masolino (dans la chapelle Brancacci de Santa Maria del
Carmine, à Florence) ou Paolo Uccello (au cloître Vert de Santa
Maria Novella, à Florence également), ne s’y sont pas trompés,
qui montrent le reptile doté d’une tête de femme. La thématique
de la femme – celle qui porte la descendance de l’humanité –
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
et du serpent placés au cœur de la nature originelle fait partie
de nos références culturelles communes. Parmi les exemples,
nombreux, d’images du monde contemporain établissant des
liens avec les traditions du passé, on retiendra, par exemple,
La Charmeuse de serpents du Douanier Rousseau (1907), ou
une photographie de 1993 de l’artiste américaine Annie Leibovitz mettant en scène le mannequin Cindy Crawford, nue
dans un cadre végétal luxuriant, un serpent enroulé autour de
son corps. Et que dire des nombreuses créations de la joaillerie moderne aux formes ou aux décors ophidiens : besoin
d’un bijou apotropaïque, rapport à la fertilité, attirance pour le
« fruit défendu » que représente l’objet de luxe, tentation née
de notre société de consommation ?
Un motif très tôt adopté
La Tentation d'Ève, Paolo Uccello, XVe siècle. Florence,
basilique Santa Maria Novella, détail d'une fresque du cloître
Vert. © Valérie Matoïan
L’étude des textes du Proche-Orient ancien apporte un éclairage significatif sur l’intérêt porté aux serpents par les Anciens
et sur la profondeur historique et culturelle de certaines thématiques. La réflexion sur la nature et la condition humaines
qui sous-tend l’épisode du serpent tentateur dans la Genèse
est ainsi éclairée par le récit, bien antérieur, de L’Épopée de
Gilgamesh, roi héroïque de la ville mésopotamienne d’Uruk
en quête de l’immortalité (cf. article de Brigitte Lion).
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
L’iconographie permet quant à elle de faire remonter le curseur temporel des millénaires avant l’invention de l’écriture et
les premières mentions de l’animal. Les plus anciennes représentations du serpent au Proche-Orient datent en effet de
la période néolithique. Les découvertes récentes faites dans
une vaste région couvrant le nord de la Syrie et le sud-est de
la Turquie ont ainsi révélé que des cultures villageoises du
Xe millénaire av. J.-C. l’avaient choisi comme motif iconographique privilégié. Le reptile est sculpté sur les piliers monolithiques de bâtiments communautaires sur le site de Göbekli
Tepe (près d’Urfa), parfois en association avec d’autres animaux (lion, renard, sanglier, oiseaux) ou des représentations
anthropomorphes. Il apparaît aussi, seul ou en groupe, sur
des artefacts en pierre de petite dimension (plaquettes et
pierres à rainures) mis au jour sur plusieurs sites implantés
sur les bords de l’Euphrate (Jerf el-Ahmar, Dja’de) ou dans le
bassin de la rivière Qoueiq (Tell Qaramel). Une pierre gravée
trouvée à Tell Qaramel présente un décor exceptionnel : une
multitude de serpents y entourent une figure hybride à buste
humain (une femme ?) et corps composé de ce qui semble
être des tentacules serpentiformes.
Certains chercheurs voient dans ces objets des sortes d'aidemémoire, chaque motif gravé correspondant peut-être à un
pictogramme. Les compositions ainsi créées esquisseraient
Pilier décoré de serpents du site de Göbekli Tepe (Turquie),
Xe millénaire av. J.-C. © Éric Coqueugniot
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
Pierre à rainures trouvée sur le site de Jerf el-Ahmar (Syrie),
Xe millénaire av. J.-C. © Danielle Stordeur
un monde symbolique définissant l’homme aux prises avec
son milieu, voire un récit de nature mythologique.
Sur une pierre à rainures de Jerf el-Ahmar, le décor associe
l’image d’un oiseau, un rapace peut-être, aux ailes éployées à
plusieurs signes serpentiformes. Sommes-nous déjà en présence du binôme aigle/serpent qui sera si fréquemment repris
dans l’iconographie à partir de l’âge du Bronze, comme en
témoignent les fabuleuses découvertes effectuées sur la civilisation de Jiroft (Kerman, Iran du Sud-Est), et que les textes
évoquent ? Dans la littérature mésopotamienne, ce couple
animalier apparaît en effet dans l’histoire du héros Etana,
roi de la ville de Kish, qui met en
Décor d'un vase trouvé dans la
région de Jiroft (Iran) montrant des
rapaces tenant dans leurs serres des
serpents, IIIe millénaire av. J.-C.
Dessin tiré d'Youssef Madjidzadeh et Jean Perrot,
« L'iconographie des vases et objets en chlorite de
Jiroft (Iran) », Paléorient, 31/2, 2005, p. 139.
scène une alliance conclue entre les deux animaux. Or, ici,
le rôle négatif n’est pas joué par le serpent : c'est l’aigle qui
brise l’accord le premier.
D’autres motifs ont une origine pareillement ancienne. Les
deux serpents aux corps entrelacés autour d’un bâton, têtes
se faisant face, présents dans la culture grecque sur le caducée d’Hermès, le héraut divin, ornent déjà un vase cultuel
inscrit au nom de Gudea, prince mésopotamien qui régna sur
l’État sumérien de Lagash à la fin du IIIe millénaire av. J.-C.
Le reptile a aussi prêté son corps à l’élaboration de figures
monstrueuses, tels les deux dragons-serpents cornus et ailés
qui côtoient les serpents classiques sur ce vase. Leur présence s’explique par leur lien avec le dieu personnel de Gudea, Ningishzida (le « seigneur de l’arbre véritable »), dont ils
sont l’attribut.
Le serpent fut associé à bien d’autres divinités du ProcheOrient ancien. En Mésopotamie, on retrouve son image sur
des stèles en pierre inscrites (kudurrus) attestées du XIVe au
VIIe siècle av. J.-C. Leur décoration repose sur l’association
des emblèmes divins des grands dieux du panthéon babylonien, garants du contrat de donation royale gravé sur ces
pierres. Le serpent et le scorpion, symboles des divinités du
monde chthonien (Ishtaran, Nirah, Ishara), apparaissent souvent au registre inférieur de la composition, évocatrice d’un
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
microcosme. En Iran enfin, dans l’iconographie du IIe millénaire av. J.-C., le reptile est associé à une divinité masculine
du panthéon élamite, peut-être Inshushinak, le grand dieu de
la ville de Suse.
Des vertus liées à la terre et l'eau
En raison de son association fréquente au motif des eaux
jaillissantes, le serpent est souvent perçu comme un symbole
de fertilité. Ce rapprochement avec l’eau ou la terre nourricière est aussi envisagé pour interpréter des vestiges archéologiques récemment mis au jour en Arabie orientale (cf. article
d'Anne Benoist). Sur plusieurs sites (Bithnah, Masafi, Salut,
Al-Qusais, Rumeilah…) de l’âge du Fer II, période au cours
de laquelle on assiste au développement d’une société agricole, l’image du serpent est en effet privilégiée. Elle apparaît,
notamment en contexte cultuel, sur différents supports : récipients et braseros en céramique, figurines en métal cuivreux,
aménagements serpentiformes en pierre.
Ces découvertes s’ajoutent à d’autres pour témoigner de la
récurrence du motif du serpent dans l’iconographie de la
péninsule Arabique et de la corne de l’Afrique (Éthiopie) au
Ier millénaire av. J.-C. Ainsi, le décor de plusieurs sanctuaires
yéménites (Ma’in, Al-Sawda, Kamna…), tout en privilégiant
l’image du bouquetin, laisse une place aux motifs ophidiens,
Stèle trouvée sur le site de Ras Shamra - Ougarit (Syrie), dont le
décor montre un personnage (le roi ?) tenant un bâton terminé par
une tête de serpent, âge du Bronze récent. Alep, Musée national.
© Mission de Ras Shamra, cliché Valérie Matoïan
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
interprétés généralement comme des symboles de fertilité,
de fécondité ou d’immortalité. Dans l’île de Bahreïn, ce sont
des sacrifices de serpents – pratique rituelle exceptionnelle –
qui ont été mis au jour dans un bâtiment daté de 500 av. J.-C.
environ.
Le rapport à la terre des espèces fouisseuses a par ailleurs
conféré une symbolique double à l’animal, à la fois représentant du monde souterrain et symbole des transmutations. On
l'a ainsi naturellement associé au travail des métaux : exploitation des mines dans les entrailles de la terre, transformation
et purification des minerais, fabrication d’objets. On trouve un
site de production à Saruq al-Hadid ; des vestiges attestent
le travail du cuivre à Bithnah ; des lingots de cuivre ont été
retrouvés à Masafi et Salut. Or, des figurines de serpents en
métal cuivreux ont été exhumées à Salut, Al-Qusais et Masafi.
On rappellera pour finir que la Bible évoque le culte rendu au
serpent Nehushtan, dont le nom est formé par l’association
des termes désignant l’animal et le cuivre.
Les représentations levantines
Dans le monde levantin des âges du Bronze et du Fer,
l’image du serpent est également commune. En Palestine, on
retrouve l’animal sous forme de figurines en métal cuivreux
Fragment d'un support cultuel trouvé sur le site de Ras
Shamra - Ougarit (Syrie), âge du Bronze récent. Lattaquié,
Musée national. © Mission de Ras Shamra, cliché Valérie Matoïan.
mises au jour sur de nombreux sites (Megiddo, Lakish, Hazor,
Gezer…), ainsi que sur des vases et des supports cultuels
en céramique (Beth Shéan). À Ougarit, capitale méditerranéenne d’un royaume prospère et marchand du IIe millénaire
av. J.-C., le décor d’un pendentif en or daté du Bronze récent
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
Pendentif en or
trouvé sur le site de
Minet el-Beida (Syrie),
port d'Ougarit, âge
du Bronze récent. Paris,
musée du Louvre.
© Mission de Ras Shamra
combine l’image d’une femme
nue à celle de deux reptiles.
L’identification de la figure féminine se révèle particulièrement
délicate en l’absence de texte
associé à la représentation.
S’agit-il de Qudshu, divinité associée à la fertilité, d'Astarté, ou
encore d’Asherah, épouse du
dieu El et mère des dieux dans
la mythologie ougaritique ?
La documentation ougaritique
livre une grande variété de représentations iconographiques
et littéraires en rapport avec
le serpent, ces dernières étant
les plus connues. Les poèmes
mythologiques découverts dès
le début de l’exploration du site
de Ras Shamra (Ougarit) il y a
plus de quatre-vingts ans décrivent pour la première fois le
monstre serpentiforme Lôtan –
le serpent « fuyard » et « tortueux » –, précurseur du Leviathan biblique. Il est l’assistant du dieu de la mer, Yam, dont
triomphe le dieu de l’orage Baal (le « seigneur »). Ce combat
mythique symbolisant la victoire du cosmos organisé sur le
chaos aqueux, qui rappelle le combat de Marduk contre Tiamat dans la littérature mésopotamienne, du dieu de l’orage
contre le grand serpent Illuyanka dans la mythologie anatolienne, ou encore de Seth contre le serpent cosmique Apophis dans la religion égyptienne, est peut-être évoqué dans
le décor de certaines œuvres, comme la stèle dite du Baal au
foudre exposée aujourd’hui au Louvre.
Le serpent, incarnation des forces négatives en action, est
aussi représenté sur un fragment de support cultuel en céramique trouvé à Ras Shamra, sur lequel on voit un personnage, interprété comme le roi d’Ougarit, maîtrisant un énorme
serpent et garantissant probablement par là même la bonne
marche du royaume.
D’autres textes ougaritiques, de nature magico-religieuse,
traitent de la manière de combattre l’animal, dangereux pour
les hommes comme pour les chevaux. Horon, le patron de la
magie blanche, y apparaît comme la divinité spécialisée qui
protège et guérit des morsures de serpent. Dans le texte intitulé Horon et les serpents sont décrits les actes d’un charmeur
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
de serpents : « Ma conjuration [contre] la morsure du serpent, [Contre] le venin du serpent qui a mué : Ô charmeur,
détruis-lui, Extirpe-lui le venin. Ci-après, il dresse le serpent. »
Ici encore, le principe de magie sympathique semble être
requis, l’exposition d’un serpent permettant de repousser les
attaques de ses congénères. L’une des stèles mises au jour
à Ougarit, dont le décor sculpté montre un personnage tenant
une sorte de bâton terminé par une tête de serpent, pourraitelle faire référence à de telles pratiques ?
Il n’est pas exclu que la materia magica d’Ougarit ait comporté d’autres artefacts dont l’iconographie avait une fonction apotropaïque. On trouve ainsi, sur des productions
locales, l’image de divinités égyptiennes protectrices – la
diffusion dans l’espace méditerranéen d’images en lien
avec des figures divines protectrices et guérisseuses est un
phénomène ancien – représentées en train de maîtriser des
serpents. Parmi elles, le dieu à l’aspect de gnome grotesque
appelé Bès. Au millénaire suivant, l’image de Bès gagne la
Méditerranée occidentale, où on la retrouve notamment sur
des sites liés à l’exploitation de ressources minérales et aux
eaux salvatrices. Les diverses dimensions symboliques du
serpent se croisent ainsi de nouveau.
Stèle dite du Baal au foudre trouvée sur le site de Ras Shamra -
Ougarit (Syrie), XVe-XIIIe siècle av. J.-C. Paris, musée du Louvre.
© Mission de Ras Shamra
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
Une ambivalence pérenne
La richesse des occurrences ne nous permet pas l’exhaustivité. Ces lignes, qui permettent tout au plus d’esquisser
une première analyse de l’image du serpent dans le ProcheOrient ancien, montrent cependant combien l’animal a capté, au cours des âges, les peurs et les espoirs de l’homme.
Une œuvre contemporaine de Fabrice Monteiro, artiste
belgo-béninois, pourrait résumer la richesse de la symbolique
associée au serpent, animal rassemblant des pouvoirs qui
s’opposent ou s’équilibrent. Intitulée Prophecy No 1 (2014), la
photographie montre une femme africaine, dans l’attitude de
la marche, vêtue des déchets de notre société de consommation et coiffée de serpents dressés. Rappelant la figure de
Méduse, on ne sait si son regard pétrifiera tout mortel, annonçant la fin d’un monde, ou si cette incarnation porte le masque
protecteur de la Gorgone.
•
SOMMAIRE
SACRÉ SERPENT ! MAGIE ET MYTHOLOGIE
© 2014 Musée du Louvre / Florence Brochoire
Audio :
Écouter l’entretien audio avec Vincent Rondot.
Sacré serpent
dans l'Égypte
des pharaons
Vincent Rondot, directeur du département
des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre,
reçoit Le Monde de la Bible pour évoquer
la place et les rôles du serpent
dans la vie quotidienne, la mythologie
et la symbolique du pouvoir royal
dans l'Égypte des pharaons.
Entretien réalisé par Benoît de Sagazan,
rédacteur en chef du Monde de la Bible.
Écouter l'entretien via une connexion internet :
SOMMAIRE
SACRÉ SERPENT ! MAGIE ET MYTHOLOGIE
Le serpent
dans la Bible
hébraïque
Thomas Römer
Professeur au Collège de France, chaire « Milieux bibliques »
La Tentation d'Ève,
John Roddam Spencer Stanhope,
1877. États-Unis, collection
de Fred et Sherry Ross.
Lorsqu’on évoque la figure du serpent
dans la Bible hébraïque, on pense bien
évidemment d’abord et peut-être exclusivement
au « serpent tentateur » du récit de la chute
du couple primordial. Cette histoire a quelque
peu occulté les rôles et les fonctions
du serpent dans d’autres textes bibliques,
qui ne sont pas, loin s'en faut, tous négatifs.
Et même dans l’histoire du paradis,
l’entreprise du serpent n’est peut-être pas
si néfaste que ne semble le suggérer une
vision répandue de la tradition chrétienne.
© Creative Commons/Wikimedia
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
I
l n’est pas besoin de rappeler l’importance du serpent dans
le Proche-Orient ancien (cf. article de Valérie Matoïan). Or, les
royaumes d’Israël et de Juda furent tout au long de leur histoire
influencés par les civilisations égyptienne et mésopotamienne,
et ces influences se reflètent aussi dans certains textes mettant
en scène des serpents.
Un animal mystérieux, rusé et dangereux
Le terme le plus courant pour désigner le serpent en hébreu
est nakhash, mot imitant probablement le sifflement qu’il émet.
Comme dans le Proche-Orient ancien, le serpent a dû être associé chez les Hébreux à la sagesse et à la connaissance.
Leur langue utilise en effet la même racine que celle à partir de
laquelle est formé le substantif pour le verbe « présager (l’avenir) », et l’utilisation de serpents dans des contextes de divination et de charme est largement attestée dans le Levant et le
Proche-Orient anciens. Dans l’histoire de Joseph, on apprend
que celui-ci se sert d’une coupe de divination (Genèse 44,515), ce qui n’est nullement critiqué, contrairement au verset du
Deutéronome (18,10) qui interdit cette pratique. La connotation positive du serpent apparaît également dans le fait que
Nahash est utilisé dans la Bible comme nom propre, non seulement pour un roi ammonite (1 Samuel 11), mais aussi pour
des Israélites (2 Samuel 17,25). La tribu de Dan est comparée
en Genèse 49,17 à un serpent qui mord les jarrets du cheval,
image évoquant la ruse d’un petit animal et présentant donc
Dan comme une tribu certes petite, mais courageuse et forte.
De telles attaques imprévisibles du serpent en font un animal
dangereux, insidieux, qui se cache dans les maisons (Amos
5,19 ; Ecclésiaste 10,8) et peuple également le désert
(Deutéronome 8,15), voire le fond de la mer (Amos 9,3). Cette
dernière idée est liée au mythe du combat du dieu créateur
contre un dragon ou un serpent aquatique.
Léviathan, le serpent primordial
Certains mythes mésopotamiens et ougaritiques imaginent la
création du monde comme résultant d’un combat contre un
serpent primordial. Ainsi, dans l’épopée Enuma Elish, le dieu
babylonien Marduk triomphe de Tiamat et construit avec sa
dépouille le firmament. À Ougarit, le dieu Baal triomphe de
Yam (personnification de la mer), qui est accompagné d’acolytes comme Lôtan, l’ancêtre du Léviathan biblique. Dans le
récit de création de la Genèse (1), un tel combat fait défaut ; le
motif est cependant bien connu en Israël et Juda, comme l’atteste le Psaume 74 dans lequel le psalmiste rappelle au dieu
d’Israël ses exploits d’antan (v. 13-14) : « C'est toi qui as fendu
la mer par ta puissance, tu as brisé les têtes des dragons sur
les eaux ; c'est toi qui as écrasé les têtes de Léviathan. » Les
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
têtes de Léviathan qui, en Isaïe 27,1, est appelé le « serpent
tortueux », rappellent un motif iconographique mésopotamien
répandu qui représente le monstre contre lequel le dieu créateur se bat et qui a plusieurs (souvent sept) têtes. Dans la Bible,
le Léviathan apparaît dans la réponse divine à Job (Job 40-41)
comme représentant du chaos contre lequel Dieu doit se battre
constamment afin de garantir la stabilité du monde. L’auteur du
Psaume 104, cependant, s’oppose à cette idée puisqu’il affirme
que Dieu a créé Léviathan comme son jouet (v. 26). L’idée d’un
combat contre le serpent marin représentant le chaos ne disparaît pourtant pas ; elle ressurgit avec force dans le Nouveau
Testament, lorsque l’auteur de l’Apocalypse de Jean décrit le
combat de l’armée céleste contre l’armée céleste du Dragon,
« l’antique Serpent », identifié à Satan (12,9), ce combat étant
le prélude de la nouvelle création.
Le bâton transformé en serpent
Le thème de la domination du serpent s’exprime de nouveau,
d’une autre manière, dans l’histoire de la transformation du bâton sacerdotal d’Aaron en un serpent (Exode 7,8-13), récit qui
ouvre le cycle des Plaies d’Égypte. Ce miracle est déjà annoncé
au moment de la vocation de Moïse à qui Yahvé confère également un bâton (le même que celui jeté par Aaron ?) pouvant se
transformer en serpent (Exode 4,2-5). La différence entre les
Tesson dit de Moïse découvert lors des fouilles du praesidium
(fortin) romain d'Umm Balad (Égypte), vers 100 ap. J.-C.
© Adam Bülow-Jacobsen
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
deux épisodes consiste en ce que la transformation du bâton
de Moïse produit un serpent normal, alors qu'Aaron produit
avec son bâton un dragon (en hébreu, tannîn), ce qui renvoie
au passage de la Genèse (1,21) où Dieu crée les monstres
marins. Les auteurs sacerdotaux de Genèse 1 et d’Exode 7
affirment ainsi la supériorité du dieu d’Israël sur les représentations du chaos aquatique. Dans le récit d’Exode 7, les
prêtres magiciens du roi d’Égypte sont capables d’exécuter
le même exploit ; mais le bâton d'Aaron va dévorer ceux de
ses collègues égyptiens (7,12).
Ce récit qui met en scène le changement d’un bâton en un
serpent divinisé peut également être lu comme une moquerie
vis-à-vis de l’importance accordée par la religion égyptienne
au serpent. Ce rôle religieux du serpent en Égypte a d'ailleurs
laissé des traces dans le royaume de Juda, notamment aux
VIIIe et VIIe siècles avant l’ère chrétienne.
Les séraphins au temple de Jérusalem
Lors de sa vision, Isaïe voit la cour céleste du dieu d’Israël.
Cette vision reflète sans doute l’arrangement du Temple de
Jérusalem. Le prophète voit notamment Yahvé sur son trône
entouré de séraphins ailés (Isaïe 6,1-8). Les séraphins sont
des serpents volants (14,29 et 30,6) de provenance égyptienne (l’uræus), populaires en Judée durant l’âge du Fer,
comme l’attestent des sceaux les représentant. Dans la version d’Isaïe, ils apparaissent sous l'aspect d'êtres hybrides
(mi-serpents, mi-hommes) qui font partie de la cour céleste
et remplissent en quelque sorte la fonction de gardiens du
trône divin.
Mais, plus encore que dans le royaume de Juda, c'est à
Jérusalem que le culte des serpents était populaire.
Le serpent Nehushtan
Les livres des Rois attribuent au roi Ézéchias, qui régna à
la fin du VIIe et au début du VIe siècle av. J.-C., une réforme
religieuse : « Il fit disparaître les hauts lieux, brisa les pierres
dressées, coupa l’Asherah et broya le serpent de bronze que
Moïse avait fabriqué, car les Israélites avaient jusqu’alors
brûlé des parfums devant lui ; on l’appelait Nehushtan. »
(2 Rois 18,4.) Le nom « Nehushtan » est une combinaison des
mots hébreux désignant le serpent et le cuivre. Il s’agissait
donc peut-être d’une statue en cuivre ou en bronze. On connaît
en Égypte de nombreuses représentations de serpents sur
des étendards ou sous forme de statues, comme le fameux
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
cobra de Louxor (VIIe siècle av. J.-C.) représentant le dieu
Amon-Rê. Le serpent dont il est question dans le passage du
livre des Rois cité avait sans doute une fonction de guérisseur.
Le récit de Nombres 21,4-9, peut-être écrit bien plus tard, lui
donne une légitimité : il explique en effet comment Yahvé,
pour punir son peuple désobéissant, avait envoyé contre des
Israélites des serpents venimeux ; puis, suite à l’intercession
de Moïse, Yahvé avait indiqué à ce dernier d’ériger un serpent
d’airain qui avait le pouvoir de guérir les morsures mortelles.
Ce récit fut sans doute écrit par un auteur mécontent de la
destruction de Nehushtan et qui voulait montrer que ce culte
était tout à fait compatible avec la religion yahviste. Les raisons
de la destruction de ce serpent de bronze par Ézéchias sont
d’ailleurs plus politiques que religieuses : devenu vassal des
Assyriens, le roi devait sans doute débarrasser le Temple
de tout objet cultuel à connotation égyptienne. Mais cette
disparition déplut à certains, comme le montre le récit du livre
des Nombres.
Le serpent dans le jardin
Cobra représentant Amon-Rê, VIIe siècle av. J.-C.
Louxor, musée de Louxor. © Creative Commons/Wikimedia
Est-ce cette popularité du serpent dans le royaume de Juda
durant le premier millénaire av. J.-C. qui explique son rôle dans
l’histoire de la transgression du premier couple humain ? Pas
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Le Serpent d'airain,
Pierre Subleyras, 1727. Nîmes, musée des Beaux-Arts.
© VladoubidoOo/Creative Commons/Wikimedia
directement. Le serpent qui provoque en Genèse 3 l’expulsion du jardin a un précurseur dans L’Épopée de Gilgamesh.
Ayant finalement réussi à trouver un plant qui pourrait être un
remède contre la mort, Gilgamesh s’endort, épuisé, et se fait
voler ce plant par un serpent : « Alors un serpent flaira l’odeur
de la plante. Silencieusement il monta et emporta la plante,
et quand il repartit, il avait déjà rejeté sa mue. » (Gilgamesh,
tablette XI, l. 287-289, traduction personnelle d'après le texte
akkadien.)
La mue du serpent était considérée par les Anciens comme
un signe d’immortalité, et c’est aussi le thème dont discutent,
dans la Genèse (3,3-5), le serpent et la femme. La femme
résume l’interdit divin de manger le fruit de l’arbre de la manière
suivante : « Quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin,
Dieu a dit : “Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas,
sinon vous mourrez !” ». Mais le serpent lui répond : « Pas
du tout ! Vous ne mourrez pas ! Dieu le sait : le jour où vous
en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme un
dieu/des dieux connaissant ce qui est bon ou mauvais. » Qui
a raison ? Yahvé ou le serpent ? Apparemment, le serpent
est plus proche de la vérité que Yahvé. En effet, les yeux
des humains s’ouvrent. La connaissance nouvelle acquise
en mangeant le fruit est la connaissance de leur nudité. Ils
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
découvrent par là même qu’ils ont une sexualité différente
de celle des animaux, et c’est cette prise de conscience qui
fait naître la pudeur et les éloigne des animaux. Le premier
couple a transgressé, à cause du serpent, l’interdit divin. Par
conséquent, Dieu chasse l’homme et sa femme du jardin,
mais en admettant que leur transgression leur a donné de
l’autonomie : « Yahvé Dieu dit : “Voici que l’homme est devenu
comme l’un de nous par la connaissance de ce qui est bon ou
mauvais. Maintenant, qu’il ne tende pas la main pour prendre
aussi de l’arbre de vie, en manger et vivre à jamais !” »
(Genèse 3,22.) Ainsi, le récit de la Genèse ne parle nullement
d’un péché originel comme l’a voulu la tradition chrétienne
à la suite de l’apôtre Paul (Épître aux Romains 5,12-17). Par
conséquent, le serpent de Genèse 3 n’est pas le diable. Il est,
comme le souligne le récit, à la fois une des créatures et l’agent
provocateur de Dieu ; il a presque un côté prométhéen. On
peut en effet avoir l’impression que c’est Dieu lui-même qui,
via le serpent, pousse l’homme à la transgression pour qu’il
assume son autonomie et sa responsabilité. Il faut que les
êtres humains sortent du domaine de Dieu pour s’approprier
leur propre espace, qui est le monde. Le rôle du serpent dans
cette histoire s’explique d’abord par l’épopée de Gilgamesh
et son lien à l’immortalité, mais peut-être aussi par le fait
Chromo illustrant l'épisode biblique de la tentation d'Ève,
début du XXe siècle. Domaine public
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
que cet animal est, pour les Anciens, à la fois dangereux et
guérisseur. Dans le récit de la Genèse, le serpent est qualifié
de ‘aroum, ce que l’on traduit habituellement par « rusé »,
mais ce mot se trouve surtout dans le livre des Proverbes
où il désigne l’attitude de l’homme sage, avisé. Le serpent
aurait-il donc été avisé en poussant la femme et l’homme à
la transgression ? Quelle que soit la réponse, c’est bien le
serpent qui est à l’origine de la condition humaine telle qu’elle
se présente après la sortie du jardin : les êtres humains ne
vivent plus protégés dans un enclos, ils sont mortels et leurs
vies pénibles, mais ils ont acquis une autonomie et peuvent
désormais affronter la mort grâce à leur descendance. l
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Sacré serpent dans l’Orient ancien
Visite guidée dans les collections du musée du Louvre,
par Marielle Pic, directeur du département des Antiquités
orientales, et découverte des mythologies du serpent
dans les mondes mésopotamien, perso-iranien et chyprolevantin. Dès l’Antiquité, le serpent fait l’objet d’un culte
et se révèle selon les lieux, les époques et les circonstances
une puissance inquiétante ou protectrice… Il offre une
iconographie riche et variée sur les nombreux objets trouvés
lors des fouilles archéologiques en Orient.
Vidéo-documentaire réalisé
par Clémence de Sagazan
pour Le Monde de la Bible, en juillet 2015. La musique du générique est extraite
de Voyage en soi, méditations à la flûte,
par Miqueu Montanaro (ADF-Bayard Musique 2010).
Regarder cette vidéo sur YouTube via une connexion Internet
(cliquez sur l’image).
SOMMAIRE
SACRÉ SERPENT ! MAGIE ET MYTHOLOGIE
Le voleur
d’immortalité
et autres filous ophidiens de Mésopotamie
Brigitte Lion
Professeur d'histoire du Proche-Orient ancien
à l'université Lille 3, chercheur associé à l'équipe
Histoire et archéologie de l'Orient cunéiforme,
Maison de l'archéologie et de l'ethnologie
René-Ginouvès, Nanterre
Tablette V de L'Épopée de Gilgamesh,
2000-1595 av. J.-C. Sulaymaniyah (Irak), musée de Sulaymaniyah.
© Osama Shukir Muhammed Amin FRCP (Glasg)/Creative Commons/Wikimedia
La Mésopotamie nous a légué de nombreux textes.
Certains sont aujourd'hui encore célèbres,
comme ceux mettant en scène le héros Gilgamesh ;
d'autres, moins connus du grand public,
recèlent des indications précieuses sur la vie
quotidienne et les croyances des populations.
Tous ont en commun de réserver une place
de choix au serpent, animal avec lequel il fallait,
tant bien que mal, cohabiter, et qui s'est vu
attribuer une symbolique plurielle.
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
L
es serpents devaient abonder en Mésopotamie, à en
juger par le grand nombre de mentions de l’animal
dans les listes lexicales, les présages et les conjurations. Dangereux par sa morsure venimeuse, il suscitait la
peur. Pourtant, les textes littéraires, qui le convoquent fréquemment, ne lui donnent pas toujours le mauvais rôle.
Serpents de la littérature
La version akkadienne de L’Épopée de Gilgamesh dit
qu'après avoir appris du seul survivant du Déluge, UtaNapishtim, qu’il ne pourrait trouver l’immortalité, le héros
rapporta avec lui à Uruk une plante qui devait lui rendre la
jeunesse. Mais sur le chemin du retour, alors qu’il s'était arrêté
pour se baigner, « un serpent sentit l’odeur de la plante :
il arriva silencieusement et emporta la plante ; comme il
s’en retournait, sa peau tomba ». Voilà expliquée l’origine
de la mue des serpents. Ce larcin renvoie Gilgamesh à sa
condition d’homme : après avoir perdu l’espoir d’échapper
à la mort, il perd aussi celui d’éloigner la vieillesse.
Est-ce en raison d’un vieux compte à régler avec le héros
que l’animal lui joue ce mauvais tour ? Tous deux se rencontraient en effet déjà dans le récit sumérien Gilgamesh,
Enkidu et les enfers, connu par des manuscrits du début
du IIe millénaire av. J.-C. Ce récit raconte que dans le jardin
de la déesse Inanna, un arbre sert de logis à trois étranges
créatures : dans ses racines vit « un serpent insensible aux
incantations », dans ses branches un oiseau-Anzu (symbole de l'orage) et dans son tronc, une démone. La déesse
se plaint de cette situation et Gilgamesh tue le serpent, fait
fuir l’oiseau-Anzu et la démone, et fabrique avec le bois de
l’arbre une chaise et un lit pour Inanna. L'animosité entre le
serpent et le héros est donc ancienne.
Le reptile n’a cependant pas toujours un rôle aussi négatif
dans les textes littéraires. L’histoire d’Etana, en akkadien, est
connue, comme L'Épopée de Gilgamesh, par des manuscrits
qui en donnent plusieurs versions du début du IIe millénaire
au VIIe siècle av. J.-C. On y trouve presque le même motif que
dans la légende sumérienne : un serpent loge au pied d’un
peuplier et un aigle à son sommet. Les deux animaux font
le serment, devant Shamash, dieu du soleil et de la justice,
de se prêter mutuellement assistance, allant chasser à tour
de rôle pour nourrir leur progéniture. Mais l’aigle rompt le
pacte et, en l’absence du serpent, dévore ses petits. Sur les
conseils de Shamash, le serpent tend un piège à l’aigle, lui
plume et lui casse les ailes, et le jette dans une fosse, d’où
le héros Etana le tire un peu plus tard. La suite ne semble
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
plus concerner le serpent, qui apparaît donc, dans ce récit,
comme un animal respectueux de sa parole face à un aigle
parjure et cruel.
On a parfois cherché une interprétation iconographique
de ce thème sur des cylindres-sceaux de l’époque d’Uruk
(IVe millénaire av. J.-C.), qui représentent un rapace entouré de serpents entrelacés. Il n’est pas certain qu’ils fassent
directement allusion à l’histoire d’Etana. Ce motif vient peutêtre d’Iran, où il est bien attesté. Sur les sceaux de l’époque
dynastique archaïque (au début du IIIe millénaire av. J.-C.)
apparaît aussi, quoique moins fréquemment, l’association
Cylindre-sceau mésopotamien figurant un dieu-serpent
et diverses divinités hybrides aux mains en forme de scorpions
et aux pieds serpentiformes, 2350-2150 av. J.-C. New York,
The Metropolitan Museum of Art. © The Metropolitan Museum of Art
du serpent à l’aigle léontocéphale, l’oiseau-Anzu. Il y a peutêtre là une paire antagoniste symbolique, formée d’un animal céleste et d'un animal terrestre ; ce duo est très répandu
dans l’ensemble du Proche-Orient et jusque dans la mythologie hittite du IIe millénaire av. J.-C., avec les récits de combats entre le dieu de l’orage et le serpent.
Un animal envahissant
dans les listes lexicales…
En dehors de la littérature, le serpent est abondamment attesté dans les textes lexicaux, longues listes de mots que
les jeunes scribes devaient copier pour apprendre à écrire.
Rédigées d’abord en sumérien, elles deviennent bilingues
à partir du milieu du IIe millénaire av. J.-C., une traduction
akkadienne accompagnant le terme sumérien. L’une de ces
listes donne des noms de plantes, d’objets en bois, de récipients, etc., et, dans sa version canonique du Ier millénaire
av. J.-C., consacre deux tablettes entières aux animaux, domestiques puis sauvages. Ces derniers représentent plus
de 400 entrées, et la tablette commence par une quarantaine de noms de serpents : le serpent de la montagne, de
la poutre, de la vigne, de l’eau ou de la pierre, ainsi que le
serpent à deux têtes ou à sept langues…
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Ces listes ne reflètent pas nécessairement la réalité : ce ne
sont pas des manuels de zoologie, mais des instruments d’apprentissage de l’écriture ; elles sont rédigées par et pour des
scribes qui n’avaient peut-être aucune connaissance particulière du monde animal. Le grand nombre d’entrées consacrées aux serpents n’est toutefois pas un hasard, car le même
phénomène se retrouve dans d’autres types de sources.
… et dans les textes divinatoires
Parmi les grandes séries de présages compilées sous une
forme canonique au Ier millénaire av. J.-C., la série appelée,
d’après ses premiers mots, « Si une ville… » déduit les événements à venir des phénomènes observables dans la vie
quotidienne. Elle rassemble plus de 10 000 présages sur
107 tablettes, dont une quarantaine examinent le comportement des animaux. Elle donne donc une idée assez précise
de la faune que pouvait croiser au quotidien un habitant de
Mésopotamie. L’énumération commence par les animaux
terrestres, en premier lieu les nuisibles comme les serpents
et les scorpions, puis les lézards ; les serpents occupent à
eux seuls 5 tablettes.
On les rencontre aux carrefours, dans les rues ; ils peuvent
aller de la droite à la gauche du passant, ou inversement,
se dresser, faire du bruit, effrayer celui qui les rencontre. Le
serpent entre dans les maisons ou en sort, tenant parfois
dans sa bouche un lézard ou une souris. Les observations
concernant l'intérieur des bâtiments sont encore plus développées, et la zone de la porte, passage par où le mal peut
pénétrer, est souvent évoquée : « Si un serpent s’enroule
autour de la porte ou du verrou de la maison d’un homme
et l’empêche d’ouvrir... » Cet hôte indésirable fait des trous,
se meut avec plus ou moins de raideur, croise les humains,
mord et émet des « cris » ou « murmures » qui doivent correspondre à divers sifflements : « Si un serpent crie sans
cesse dans la maison d’un homme ; un serpent provoque
la peur en permanence dans la maison d’un homme... » Il
hante toutes les pièces, on le trouve couché sur le lit ou,
comme l’indique le tout premier présage de la série, on le
voit depuis son lit. On le rencontre aussi au pied d’un mur,
sur la fenêtre, sur une chaise, sur une meule à grains, dans
un panier de pain ou de laine. Comme il a la mauvaise habitude de grimper sur les poutres, il effraye les habitants en
se laissant choir : « Si, entre le 1er et le 30 du mois de nisan, un serpent tombe à droite d’un homme… » Il peut aussi
bien tomber à gauche, devant ou derrière, « entre mari et
femme », « au milieu d’une assemblée », « sur une personne
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
malade » ou « sur un bébé ». « Si un serpent tombe sur la
tête d’un homme qui est engagé dans un procès, son procès va durer longtemps. » Il lui arrive aussi de dégringoler
sur la table ou dans une jarre de bière.
Ce genre de variations sur un même thème permet d'envisager un très grand nombre de cas. Même la mort du serpent
est signifiante.
L'art de se protéger
Des rencontres fortuites avec ces reptiles, exprimées dans
une proposition conditionnelle, découlent des prédictions,
exprimées dans l’apodose. Par exemple : « Si un serpent est
vu [chez quelqu’un] : [cette personne] deviendra riche. »
Elles sont souvent négatives et au sein même de la série
de présages, une brève notice indique parfois la conduite
à adopter pour se prémunir du mal annoncé : « Si, le 1er du
mois de nisan [soit le premier jour de l’année], avant qu’un
homme ait pu se lever et poser le pied sur le sol, un serpent sort d’un trou, et [si], avant que quelqu'un l’ait vu, il voit
l’homme, [cet homme] mourra dans l’année ; si cet homme
veut vivre, il devra scarifier [?] sa tête, raser ses joues, et il
sera souffrant trois mois, mais il vivra. »
Décor du vase à libation du prince Gudea
dédié par une inscription à Ningishzida, le dieu personnel
de Gudea, trouvé dans le sanctuaire du dieu à Tello (Irak),
vers 2120 av. J.-C. Dessin tiré de Léon Heuzey, Catalogue des antiquités
chaldéennes, Paris, 1902, figure 125.
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Des rituels plus longs et complexes sont rédigés sur des
tablettes différentes de celles des présages ; ils relèvent des
activités de l’exorciste qui les utilise dans des cas précis, par
exemple pour éloigner le mal annoncé par la vue de serpents
entrelacés ou d’un serpent ayant attrapé sa proie dans la
maison. Il faut alors procéder à une véritable cérémonie qui
comprend des invocations aux dieux et des purifications.
Quant aux morsures de serpent, elles représentent un grave
danger pour les Mésopotamiens, qui n’ont guère de moyens
de se soigner. Quelques textes médicaux prévoient de faire
ingérer des plantes au patient, mais ils sont rares à traiter
du sujet : les morsures de serpent venimeux devaient provoquer une mort rapide, laissant peu de possibilités pour des
interventions thérapeutiques.
De ce fait, ce sont plutôt les incantations qui doivent permettre
de se prémunir contre les serpents, ainsi que contre les
scorpions et les chiens enragés. Plusieurs ont été conservées.
Elles sont en sumérien ou en akkadien et datent surtout du
début du IIe millénaire av. J.-C., mais on en connaît jusqu’au
milieu du Ier millénaire av. J.-C. Elles recourent parfois à un
style poétique qui, par des allitérations, évoque le sifflement
du serpent ; cela relève d’un processus de magie sympathique
ou associative, l’incantation imitant ce qu’elle doit combattre.
Elles ne donnent pas toutes des remèdes, mais certaines
recommandent de faire boire au patient de l’eau sur laquelle
l’incantation a été récitée, ou de l’en asperger.
Une symbolique encore à découvrir
Animal dangereux, le serpent reliait le monde chthonien
(celui des morts) et le monde terrestre (celui des hommes),
ce qui le rendait peut-être encore plus effrayant. Il pouvait
cependant aussi évoquer les eaux souterraines, et donc la
fertilité. Est-ce en raison de cette ambiguïté que les textes lui
confèrent parfois un rôle positif ? Dans des incantations destinées à favoriser l’accouchement, le bébé est quelquefois
invité à sortir « comme un serpent », c’est-à-dire rapidement
et facilement.
Pour mieux cerner la dimension symbolique de cet animal, il
faudrait aussi interroger les images, même si l’iconographie
du serpent est moins abondante en Mésopotamie qu’en Iran.
Des dieux et des déesses-serpents figurent sur certains
sceaux et, au Ier millénaire av. J.-C., la plaque de Shamash,
qui montre la statue divine dans son temple de Sippar, fait
figurer un serpent à deux têtes surmontant l’image du dieusoleil, avec l’inscription « le serpent à deux visages ». Cette
figuration unique de serpent bicéphale associé au soleil a
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
fait l’objet de multiples spéculations : elle pourrait dériver
d’images plus anciennes et renvoyer à une divinité mineure
devenue l’acolyte de Shamash, représenter un dieu originaire de l’est (direction du soleil levant), ou encore évoquer
le monde souterrain que l’astre visite pendant la nuit. Animal
ambivalent, le serpent est porteur de significations multiples
qui, dès l’Antiquité, semblent s’être superposées. l
Stèle dédiée par le roi Untash-Napirisha
au dieu Inshushinak trouvée à Suse (Iran),
vers 1340-1300 av. J.-C. Paris, musée
du Louvre. Au registre supérieur, le roi fait
face à Inshushinak, qui est assis sur un trône
composé de serpents. L'ensemble
de la composition est encadré par deux
grands serpents symbolisant peut-être
les flots qui entourent le monde.
Dessin tiré de Pierre de Miroschedji, « Le dieu élamite aux
serpents et aux eaux jaillissantes », dans Iranica Antiqua, XVI,
1981, planche VIII.
SOMMAIRE
SACRÉ SERPENT ! MAGIE ET MYTHOLOGIE
Un bon dieu qui
guérit et protège
Entretien avec Paolo Xella
Professeur d’histoire des religions à l’université de Pise,
directeur de recherche émérite au C.N.R.,
Istituto di Studi sul Mediterraneo Antico, Rome
Propos recueillis par Estelle Villeneuve
Hermès psychopompe tenant le caducée,
Dans l'Antiquité gréco-romaine comme
au Proche-Orient, le serpent a joui d'une grande
popularité en tant que divinité guérisseuse
et protectrice. Nous en conservons des traces,
notamment dans le symbole du caducée,
mais il faut revenir aux sources iconographiques
et littéraires pour mieux comprendre
la place dédiée au dieu-serpent dans
les croyances anciennes.
détail d'un tambour de chapiteau provenant du temple
d'Artémis à Éphèse, vers 325-300 av. J.-C. Londres, British
Museum. © Marie-Lan Nguyen/Creative Commons/Wikimedia
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
D’où vient le symbole du caducée, et que signifie-t-il ?
Paolo Xella : En tant que symbole de la médecine, le caducée,
avec son double enroulement de serpents autour d’une
hampe, nous vient des Grecs anciens, qui ont développé
et codifié la pharmacopée à partir de l’époque classique.
Il y a depuis toujours une
certaine confusion entre le
bâton avec un seul serpent,
lié aux dieux guérisseurs
‒ Asclépios et Apollon en
Grèce, Esculape dans le
monde romain ‒ et celui au
couple de serpents, attribut
d’Hermès, le messager de
la volonté des dieux auprès
Le caducée du dieu Mercure
(Hermès) orne cet aes signatum
(lingot de bronze coulé utilisé
en Italie avant l'introduction
de la monnaie de bronze).
Photographie tirée de la Rivista italiana di
numismatica, 1891, planche X.
des mortels. De toute manière, la présence de deux reptiles
sur cet emblème pourrait se référer à l’idée que la santé réside
dans l’équilibre de l’état général entre bien-être et mal-être,
longévité et mortalité. Or le serpent, auquel on attribue, entre
autres, la capacité de circuler librement entre les mondes
terrestre et chthonien, c'est-à-dire entre le domaine des vivants
et celui des morts, symbolise bien cet équilibre.
D’un point de vue phénoménologique, il est perçu dans presque
toutes les cultures de notre planète à la fois comme un symbole maléfique, ce que manifeste sa venimosité mortelle, et
comme un symbole salutaire : en raison de sa connaissance
des cavités qui mènent aux enfers (et donc de leurs issues)
et de sa faculté d’hypnotiser, il est crédité d’une intelligence
profonde, tandis que son habitude de changer de peau signifie qu’il détient le secret du perpétuel rajeunissement. C’est
vraisemblablement pour exprimer cette saine bipolarité que le
caducée figure un double serpent.
Le caducée est-il attesté ailleurs que chez les Grecs ?
Paolo Xella : Une image définie comme « caducée », mais
sans enroulement de serpents, figure sur des stèles votives
trouvées dans les tophets phénico-puniques, ces sanctuaires
où étaient pratiqués des sacrifices comprenant la mise à mort
rituelle d’enfants nouveau-nés ou très jeunes.
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Des représentations de serpents enroulés sont par ailleurs
connues dans le Proche-Orient ancien, la Mésopotamie,
l'Anatolie et la Syro-Palestine, avec ou sans connotation
thérapeutique. Dans le domaine syro-palestinien, pour autant
que notre documentation permette d’en juger, l’aspect positif et
bénéfique du serpent semble prévaloir dans cette perception
ambiguë. En d’autres termes, les cultures de ces régions ont
eu tendance à valoriser la capacité du serpent à guérir et
protéger plutôt que ses capacités de nuisance.
Quelles sont les sources qui évoquent des dieux-serpents
bénéfiques au Proche-Orient ?
Paolo Xella : Plusieurs épisodes importants de la Bible
hébraïque témoignent de l’aura positive du serpent dans la
culture ouest-sémitique ambiante, ne serait-ce que par la
méfiance que le texte sacré manifeste à son égard (cf. article
de Thomas Römer). En dehors de la Bible, ce sont surtout
les textes des XIVe-XIIIe siècles av. J.-C. trouvés à Ougarit,
l’actuelle Ras Shamra en Syrie, qui illustrent la puissance que
les populations de l’âge du Bronze accordaient à cette divinité.
Je pense en particulier à un texte d’incantation (CAT 1.100) qui
met en scène une sorte d’appel d’offres lancé par les hommes
parmi les dieux pour traiter les morsures de serpent. Un dieu
Skyphos attique à figures rouges
représentant Iris, la messagère des dieux, tenant un caducée,
milieu du Ve siècle av. J.-C. Paris, Bibliothèque nationale de France,
département des Monnaies, Médailles et Antiques.
© Bibi Saint-Pol/Creative Commons/Wikimedia
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
nommé Horon s’avère le seul apte à y répondre. Ce nom
signifiant probablement « celui du trou », « celui qui est caché
dans les trous », il désigne vraisemblablement un serpent.
C’est une bonne illustration du principe de l’homéopathie
et des vaccins, par lesquels on soigne le mal par le mal !
D’après ce même texte, il semble que l’action thérapeutique
d’Horon couvrait aussi bien les hommes que les animaux, les
chevaux en particulier, et s’appliquait contre tous les types de
venin, de scorpions et autres. Mais les compétences d’Horon
dépassaient la spécialisation médicale ; à deux ou trois reprises,
il est aussi conjuré dans des textes mythologiques d’Ougarit
pour neutraliser un ennemi – « Puisse Horon te frapper à la
tête… », « Puisse Horon te détruire… » –, c'est-à-dire qu’on
le considère comme une divinité capable de protéger celui
qui l’invoque contre tout type d’action maléfique. C’est donc
une divinité extrêmement puissante qui peut intervenir de
manière globale pour peu qu’on fasse appel à elle de manière
adéquate.
compte pas de description détaillée de tels rituels, ni de remèdes à base de serpent. En revanche, l’histoire de l’appel
des dieux pour traiter les morsures de serpent auquel répond
Horon fait certainement écho à des légendes mythologiques
que nous ne connaissons pas. Or, la fonction de tels récits était
précisément d’expliquer l’origine mythique des institutions et
des pratiques religieuses. Quoi qu'il en soit, la documentation
dont nous disposons accorde une place non négligeable au
dieu-serpent parmi les divinités bienfaisantes auxquelles les
Ougaritains faisaient appel pour régler leurs problèmes. l
Ces demandes de protection ou de guérison donnaientelles lieu à des pratiques très ritualisées ?
Paolo Xella : Les textes d’incantation laissent entrevoir un univers de pratiques magico-thérapeutiques au cours desquelles
on avait recours au serpent, même si notre documentation ne
SOMMAIRE
SACRÉ SERPENT ! MAGIE ET MYTHOLOGIE
Un culte
des serpents
à l’âge du Fer
Anne Benoist
Archéologue, chercheur au laboratoire Archéorient,
(C.N.R.S. – université Lumière Lyon 2)
MSH Maison de l'Orient et de la Méditerranée, Lyon
Vue du sanctuaire de Salut. Ce site d'un diamètre de 90 mètres
Les recherches menées depuis 2000
par la Mission archéologique française
aux Émirats arabes unis ont révélé
une série de sanctuaires centrés sur l’image
du serpent. Les sites de Bithnah et Masafi
illustrent particulièrement bien les multiples
facettes de ce qui semble être un culte
de la fertilité lié à la métallurgie du cuivre
et aux eaux souterraines.
environ domine la plaine environnante depuis la colline rocheuse
où il est installé, au centre du wādī Bahla. Alentour, on trouve de
nombreux autres sites de l'âge du Fer. © Anne Benoist
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
N
iché dans une vallée qui sillonne la chaîne montagneuse
du Hajar dans l’émirat de Fujairah, le site de Bithnah a
livré les vestiges d’un sanctuaire dédié à une ou plusieurs divinités représentées sous la forme d’un serpent.
Fouillé entre 2000 et 2006, il comprenait plusieurs installations
cultuelles, bâties vers 1300 av. J.-C. et qui furent entretenues
pendant près de sept cents ans1.
Un bâtiment central en pierre doté d'une grande pièce
servait sans doute aux festivités assorties de banquets. La
salle elle-même était presque vide, à l'exception de deux
podiums rectangulaires au centre, qui furent arasés, et de
quelques poteries en miettes. Devant le bâtiment, le long de
sa façade nord, se trouvait un espace circulaire d’environ
trois mètres sur trois, bordé de pierres, dans lequel étaient
creusées une quarantaine de fosses remplies d’ossements
animaux et scellées par une couche de pierres ou d’argile,
ainsi que de petits puits à libation soigneusement maçonnés.
Cette aire dédiée aux offrandes par la terre fut reconstruite
à deux reprises, avec à chaque fois de nouvelles fosses
ajoutées aux précédentes. Les archéozoologues Matthias
Skorupka et Marjan Mashkour, du Muséum national d’histoire
naturelle à Paris, ont identifié des restes de chèvres et de
moutons nains, sacrifiés au cours de cérémonies incluant
Vue du bâtiment central en cours de fouille à Bithnah.
© Mission archéologique française aux Émirats arabes unis
Dégagement d'os
en connexion dans
l'une des fosses de
la zone des offrandes
du sanctuaire de Bithnah.
© Mission archéologique française
aux Émirats arabes unis
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Plan du site de Bithnah.
© Mission archéologique française
aux Émirats arabes unis
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Fragment d'une grande jarre décorée de serpents
trouvée dans une fosse devant un autel dans le sanctuaire de Bithnah.
© Mission archéologique française aux Émirats arabes unis
probablement des banquets et des offrandes. Le contenu
des plus récentes parmi ces dernières révèle l’ampleur des
cérémonies, avec plus de quarante bêtes (de préférence
jeunes) sacrifiées.
Aux offrandes de nourriture et de liquides s’ajoutèrent
dès l’origine des offrandes de produits de la métallurgie
du cuivre. Dans la partie est du site, des fosses furent
creusées autour d’un podium circulaire bas, sur lequel
des alignements de pierres dessinaient un serpent lové.
Des jarres à décor de serpent en relief y étaient déposées.
L'une d'entre elles contenait des centaines de petites billes
en métal cuivreux. Selon les paléométallurgistes Sophie
Pillault, Cécile Le Carlier et Alain Ploquin du Centre de
recherches pétrographiques et géochimiques de Nancy,
ces billes sont des coulures de cuivre issues de la fonte du
métal. Elles contenaient encore de la chalcosine, un minerai
partiellement transformé ; passées dans un four de refonte,
elles auraient fourni un cuivre plus homogène et auraient pu
servir à l’élaboration d’objets. Leur présence dans les jarres
apparaît donc comme le symbole d’une activité économique.
Or, de tels fours de réduction ont été observés dans les
années 1990 par une équipe d’archéologues suisses dans
un site proche de Bithnah, aujourd’hui détruit. Ce qui nous
autorise à penser que le culte du serpent à Bithnah fut dès
l’origine lié à l’exploitation et à la transformation du cuivre,
source de richesse issue du monde souterrain.
Des rites en évolution
Entre 1000 et 800 av. J.-C. environ, de nouvelles installations
furent ajoutées au sanctuaire, suggérant des modifications
du rite religieux. Un petit bâtiment rectangulaire d’à peine
un mètre sur deux fut édifié au nord du bâtiment principal. Il
contenait un podium en briques crues sur lequel des braseros en céramique étaient vraisemblablement déposés. Nous
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Vase à pied anthropomorphe
orné d'un serpent trouvé à Bithnah.
© Mission archéologique française
aux Émirats arabes unis
avons retrouvé plusieurs récipients en forme de calice, généralement brûlés à l’intérieur, dans et devant ce bâtiment,
ainsi qu’un vase remarquable mais non brûlé. Son pied a la
forme d’un homme nu brandissant un bol sur lequel rampe
un serpent. Ce petit bâtiment marque l’introduction sur le site
de rituels à caractère individuel ou intime, associant peutêtre fumigations et dépôts de produits. Il fut ultérieurement
doublé d’un second bâtiment identique.
Dans le même temps, des bassins furent aménagés dans la
partie nord du site. Le plus ancien, mal préservé, n’a fourni
que peu d’indices. Le plus récent, un bassin circulaire d’environ deux mètres de diamètre pour un mètre de profondeur,
était desservi par un canal sinueux qui vraisemblablement le
remplissait d’eau ; il était entouré de trous de poteaux suggérant l’existence d’une clôture de protection tout autour.
On peut supposer que s'y pratiquaient des ablutions, ce qui
marquerait l’apparition de rituels de purification parmi les
rites cultuels.
Enfin, au sommet de la colline voisine, accessible par un
sentier aménagé, on a trouvé un podium carré à degrés, sur
l’un desquels reposaient encore les vestiges d’un serpent en
pierre. Autour de ce podium, on a recueilli plusieurs fragments
de braseros décorés d’un serpent. Visible de partout dans la
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Vue du sanctuaire de Masafi en cours
vallée, il plaçait symboliquement le territoire de Bithnah sous
la protection de la divinité représentée par le serpent.
de fouille. Au fond, les arbres marquent le
début de la palmeraie actuelle, sous laquelle
se trouve la palmeraie antique. © Anne Benoist
Le serpent et l'eau jaillissante
Si, depuis 2006, plusieurs sites sont venus confirmer le lien
particulier existant entre le serpent et la métallurgie du cuivre2,
d’autres soulignent plutôt le caractère ambigu et multiple de
ce symbole, et établissent des associations nouvelles. Ainsi,
dans le sanctuaire de Masafi, non loin de Bithnah, c’est le
rapport du serpent aux eaux souterraines qui a été mis en
évidence. Masafi (« eau pure » en arabe) est un lieu particulier
doté de sources pérennes qui fournissent aujourd’hui l’eau
minérale de Masafi, consommée dans plusieurs émirats, et
d’où jaillissent trois grands wādī qui traversent la montagne
dans toutes les directions.
Un bâtiment collectif et un petit bâtiment ouvert de l’âge du
Fer s’élevaient en bordure d’une zone agricole en partie
préservée sous la palmeraie actuelle. Le bâtiment collectif
abritait un trésor de plus de deux cents lingots et fonds de
four bruts en cuivre et alliage cuivreux conservé dans deux
jarres enfouies dans des niches creusées dans le sol. Il a
également livré quelques objets rituels utilisés pendant des
cérémonies : braseros, cruches à bec et jarres, tous ornés
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
Une des deux jarres contenant les lingots trouvées dans le bâtiment
collectif à Masafi. © Mission archéologique française aux Émirats arabes unis
de serpents ainsi que de chameaux, de caprinés, d’oiseaux
et de poissons. Le petit bâtiment, inclus dans la palmeraie
antique, renfermait quant à lui des dizaines de figurines en
forme de serpent et des centaines de braseros ornés de
serpents en relief, pour la plupart très peu utilisés (une seule
fois ?), qui apparaissent comme autant d’ex-voto à caractère
propitiatoire. Certains des serpents en cuivre, dotés de
Objets divers trouvés dans le petit bâtiment du sanctuaire de
Masafi : couteau miniature, petit bol avec un serpent lové
à l'intérieur, couvercle orné de deux serpents, jarre décorée
d'un serpent, supports ornés de serpents, figurine de serpent
en cuivre et pied de brûle-encens décoré d'un serpent grimpant.
© Mission archéologique française aux Émirats arabes unis
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
petites excroissances coniques à pointe aplatie placées sous
leur ventre, pourraient avoir été destinés à être posés dans
une eau peu profonde où ils seraient apparus comme des
serpents nageant. Ouvert en direction des jardins, ce petit
bâtiment montrait les stigmates de multiples inondations.
Dans les jardins alentour, de nombreux puits de l’âge du Fer
ont été découverts lors de sondages. Des puits artésiens
(trous de sonde donnant un jaillissement spontané de liquide)
fonctionnaient encore dans la palmeraie de Masafi dans les
années 1960, d’où l’eau jaillissait deux fois par an, selon la
tradition locale.
Les nouvelles pistes à explorer
Brûle-encens avec son couvercle perforé surmonté
d'une figurine animale trouvé à Masafi.
À Salut, dans le sultanat d'Oman, un sanctuaire monumental
a été récemment découvert. Là, des lingots et des figurines
de serpents en cuivre massif voisinaient avec des restes de
paniers qui ont livré quantité de pollens de fleurs de palmiers
mâles, symbole de fertilité par excellence, et des restes
de laurier-rose, plante réputée pour son efficacité contre
les morsures de serpents. Cette dernière trouvaille semble
indiquer que des rituels de guérison pourraient avoir figuré
parmi les pratiques associées au culte du serpent3.
© Mission archéologique française aux Émirats arabes unis
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
La distribution de tous ces sanctuaires le long des voies de
passage et leur relative diversité architecturale soulève la
question de l’existence de pèlerinages. Les recherches à
venir exploreront cette dimension du culte du serpent, qui
a pu constituer un ciment culturel et social non négligeable
dans la région. l
Bibliographie
Benoist Anne, « Fouilles à Masāfi-3 en 2009 (émirat de Fujairah, E.A.U.).
Premières observations à propos d’un espace cultuel de l’âge du Fer
nouvellement découvert en Arabie Orientale », dans Proceedings of the
Seminar for Arabian Studies, Vol. 40, 2010, p. 119-130.
Benoist Anne, Bernard Vincent, Charbonnier Julien, Goy Julie, Hamel
Aurélien et Sagory Thomas, « Une occupation de l’âge du Fer à Masafi.
Travaux récents de la Mission archéologique française aux E.A.U. dans
l’émirat de Fujairah (Émirats arabes unis) », dans Chroniques yéménites, 17,
2012 [http://cy.revues.org/1803].
Benoist Anne, Pillault Sophie, Skorupka Matthias, « Rituels associés au
symbole du serpent en Arabie orientale au cours de l’âge du Fer (1200300 av. J.-C.) : l’exemple de Bithnah (émirat de Fujairah) », dans Dieux et
déesses d’Arabie : images et représentations, sous la direction d'Isabelle
Sachet et Christian Julien Robin, Paris, De Boccard, 2012, p. 362-381.
1. Cf. Benoist Anne, « Authority and Religion in Eastern Arabia during the Iron Age (1150-250
B.C.) », dans Eastern Arabia in the First Millennium B.C., sous la direction d'Alessandra Avanzini, Rome, L’Erma di Bretschneider, 2010, p. 109-143 ; Benoist Anne (dir.), La Vallée de Bithnah
au cours de l’âge du Fer, British Foundation for the Study of Arabia Monographs No 14, Oxford,
Archaeopress, 2013.
Nashef Khaled, « Saruq al-Hadid. An Industrial Complex of the Iron Age II
Period », dans Eastern Arabia in the First Millennium B.C., sous la direction
d'Alessandra Avanzini, Rome, L'Erma di Bretschneider, 2010, p. 213-226.
2. Outre Bithnah : Masafi (émirat de Fujairah), Al-Qusais (émirat de Dubwwsai), Saruq al-Hadid
(émirat de Dubai) et Salut (sultanat d’Oman). D’autres sites sont pressentis, notamment Nud
Ziba, près de Ras al-Khaimah, dans la partie nord des Émirats arabes unis, et Am-Dhurra, dans
la partie orientale du sultanat d’Oman, où de nombreux décors de serpents ont été trouvés en
surface.
3. Cf. Bellini Cristina, Condoluci Chiara, Giachi Gianna, Gonnelli Tiziana, Mariotti Lippi Marta,
« Interpretative Scenarios Emerging from Plant Micro- and Macroremains in the Iron Age Site of
Salut, Sultanate of Oman », dans Journal of Archaeological Science, Vol. 38/10, 2011, p. 27752789 ; Avanzini Alessandra et Phillips Carl, « An Outline of Recent Discoveries at Salut in the
Sultanate of Oman », dans Eastern Arabia in the First Millennium B.C., op. cit., p. 93-108.
SOMMAIRE
SACRÉ SERPENT ! MAGIE ET MYTHOLOGIE
Le chant
du serpent
Dominique Pierre
Rédacteur en chef, Signes Musiques
et Signes d’aujourd’hui (Bayard)
© D.R.
Avez-vous déjà entendu le chant
du serpent ? Si vous aviez vécu
à l'époque de Louis XIV, par exemple,
et qu'un dimanche matin, à l'heure
de la messe, vous aviez poussé la porte
d'une église du royaume de France,
vous auriez sans doute eu cette chance.
Car le chant du serpent se mêlait
alors au chœur des fidèles, et il en serait
ainsi pendant quelques siècles encore.
SOMMAIRE
Sacré serpent ! Magie et mythologie
U
n serpent dans une église ? Soyez rassurés, le serpent dont il s’agit ici n’est pas un ophidien, mais un
instrument de musique qui, de la fin de la Renaissance
jusqu’au milieu du XIXe siècle, fut très souvent utilisé pour
accompagner le plain-chant. À partir du XVIIIe siècle, on
l'employa aussi au sein des musiques militaires.
Une basse de cornet à bouquin
Le serpent appartient à la famille des cornets à bouquin : ce
sont des instruments le plus souvent en bois qui se jouent,
comme les cuivres, avec une embouchure (bocca en italien). Les cornets à bouquin, connus depuis le XVe siècle,
sont constitués de deux morceaux de bois creusés puis
collés, généralement recouverts de cuir, et percés de sept
trous. Le serpent, lui, apparaît vers la fin du XVIe siècle :
le dernier-né de la famille est cependant le plus grand, ce
qui lui permet de jouer des notes graves équivalentes aux
voix de baryton ou de basse. Un long instrument droit serait
difficilement manipulable, voire injouable : c’est pour pallier
cet inconvénient que l’on donne aux instruments graves des
formes courbes. Avec sa forme ondulante, le serpent avait
un nom tout trouvé.
L’accompagnement du plain-chant
Entre le XVIIe et le milieu du XIXe siècle, cet instrument fut
largement utilisé dans les églises de France pour accompagner le plain-chant. Dans certaines paroisses rurales,
il était encore employé jusque dans la première moitié du
XXe siècle. Il servait en premier lieu à donner le ton ; parfois
il doublait le chant, ou bien s’en distinguait en jouant une
partie de basse, évitant ainsi aux voix de baisser. Comme
tous les instruments, il était plus ou moins bien joué, et il
devint de bon ton, au cours du XIXe siècle, dans les milieux
musicaux et religieux, d’en critiquer l’usage. Alors qu’à cette
époque on cherchait à réformer le chant dans les églises
(c’est le temps de la restauration du chant grégorien), le
serpent représentait une pratique du chant telle qu’on ne la
voulait plus. Accusé de mille maux (sa forme et son nom ontils joué un rôle en la matière ?), le serpent tomba rapidement
en désuétude, et l’orgue, qui auparavant n'accompagnait
que rarement le chant, se développa et le supplanta.
Les moines et le serpent
Les occasions d’entendre jouer du serpent sont rares. Mais
Michel Godard, tubiste, s’est intéressé à cet instrument
que l’on considère comme l’ancêtre du tuba et a largement
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
contribué à le faire redécouvrir. Dans l’enregistrement qu’il
a réalisé avec les moines de l’abbaye de Ligugé, il utilise le
serpent pour accompagner le chant grégorien, tout en lui
apportant une touche de modernité par sa façon d’improviser ‒ c’est un grand musicien de jazz. Le son grave et feutré
du serpent se mêle aux voix des moines et dialogue avec
elles. Différentes pièces nous ramènent à des commencements, des temps lointains où les serpents chantaient dans
les églises… l
Répons
Chœur des moines de l’abbaye de Ligugé ;
Michel Godard, tuba et serpent. Studio SM.
L’album est disponible uniquement en téléchargement
sur le site adf-bayardmusique.com
Les plages 1, 2, 6, 7, 9, 10, 14, 15, 16 et 18
sont accompagnées au serpent.
Répons
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et écouter des extraits de l’album
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Sacré serpent ! Magie et mythologie
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