l`amiral de grasse. - Site de Bruno de Maricourt

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l`amiral de grasse. - Site de Bruno de Maricourt
LES AMITIÉS FRANCO-AMÉRICAINES AU XVIIIe SIÈCLE.
L'AMIRAL DE GRASSE.
Baron André de Maricourt, whose articles on Franco-American Friendships will be remembered
by our readers, completes, in in this issue, the series of portraits of soldiers and sailors who offered
their swords to the cause of American Independence. He tells, this time, the life of Admiral de
Grasse a Provencal hero, who. a Lieutenant at sixteen, fought for many years in the seas around the
Antilles. During war of Independence, he kept the English fleet occupied at Tobago and SaintDomingo, and took St. Christopher in 1782. But he met with a defeat off Jamaica, where he was
taken prisoner. He died in 1789 enjoying the esteem of everyone.
Les indulgents teneurs qui veulent bien s’intéresser l'étude que nous avons faite ici des héros de
la guerre de l'Indépendance nous ont adressé un reproche justifié ! Celui d'avoir oublié, dans cette
série de médaillons, l'image de l'amiral de Grasse, dont le nom est attaché d'une manière impérissable au souvenir de la guerre qui unit pour des siècles l'Amérique & la France.
Il est vrai. Nous craignions d'être quelque peu fastidieux en évoquant à l'excès ces figures de marins & de soldats dont les gestes furent à peu prés identiques en leur beauté formelle & dans la
même campagne. Mais Grasse possède à nos yeux un titre de plus. Il fut malheureux malgré sa bravoure & ses efforts. Et ce titre seul qui lui valut le respect & l'estime des Anglais lui mérite une
place à part dans l'histoire.
Avant que de parler sur un autre terrain d'autres amitiés franco-américaines de temps abolis, nous
terminerons donc notre étude concernant les soldats de la guerre de l'Indépendance en jetant
quelques fleurs sur la tombe de M. de Grasse.
C'est un héros provençal. Au contraire de Guichen qui connut l'existence rude des manoirs bretons battus par le vent du large, son enfance s'éclaira des sourires d'un soleil chanté par Mistral dans
une terre de promissions dont ses aïeux avaient été souverains.
Les Grasse sont de fière race. Dès le Xe siècle ils possédaient ce titre au nom qui chante, de
princes d'Antibes. Sous l'azur chaud du ciel leur petite souveraineté, sur une 'côte dorée & savoureuse », s’exerçait en toute franchise. Soumis ensuite à la France, les Grasse ne furent pas de ceux
qui s'étiolèrent à Versailles, énervant leurs forces dans l'atmosphère surchauffée d'une civilisation
qui touche à l'excès. Forts de leurs traditions premières & de leurs grands devoirs, ils donnèrent
sans trêve des officiers aux armées du Roi & seize d'entre eux tombèrent sur les champs de bataille.
Par sa mère née Villeneuve, l'amiral de Grasse tenait également à une très vieille race qui avait
possédé une partie de la Provence & marqué dans nos fastes.
Il naquit le 13 septembre 1722 au château de Bar, vieille forteresse cuite par le soleil, dont les
tours roses dominaient les oliviers blancs & l'ondulement des prés où chantaient les cigales. Que de
grands souvenirs il puisa dans cette demeure où ses pères avaient vécu depuis sept siècles ! Combien son imagination s'exalta en regardant le miroir de la mer proche qu'il devait traverser un jour !
Car – suivant une tradition des Grasse – il devait aller « là-bas » au loin, risquant les attaques des
Barbaresques, prononcer à Malte ses vœux de cadet de famille.
Ces impressions de la première enfance au temps de nos pères on ne les dira jamais assez. Il faut
se reporter aux Mémoires d'outre-tombe pour comprendre combien, en un temps où régnait le pittoresque, où les voyages étaient malaisés, où les heures lentes laissaient à la folle du logis le temps de
courir, les fils de famille élevés loin des villes concevaient volontiers, avec leur goût héréditaires du
risque & de l'aventure, l'amour des expéditions lointaines.
Grasse n'échappa point à ces hantises. Il fut mieux que chevalier de Malte car, s'il ne prononça
pas ses vœux, nous le voyons dès 1737 « prendre la mer » dans le moment où la marine française
est la reine du monde. Le chevalier de Valettes ainsi l'appelait-on quand vivait le marquis son père
débuta comme garde de la marine sur les galères de Sa Majesté. Huit ans après il est lieutenant de
vaisseau. En 1778 le voici capitaine, commandant le Robuste à la fameuse bataille d'Ouessant. Puis
la fantaisie des guerres le conduit à la Martinique, à Sainte-Lucie, aux Antilles.... un peu partout, apprenant cet art difficile qu'est l'art.de savoir vivre, mourir au besoin pour la France, & commander
les hommes.
Il y excelle. Nativement doux, affable, il possède ce je ne sais quoi de gracieux & d'amène qui
apparente tout Provençal aux lointains troubadours, aux courtisans ou aux serviteurs du bon roi
René. Mais sous le masque de l'homme du monde, il cache une énergie & une résignation un peu
mélancoliques au destin, qui sont le propre de tant de marins soumis aux caprices de l'océan.
Il débute sous les ordres de d'Estaing pendant la guerre de l'Indépendance; il se distingue à YorkTown, mais c'est surtout à Tabago, à Fort-Royal, à la Chesapeake, à Saint-Domingue que pendant
toute l'année 1781, il « occupe » les Anglais, mettant son art, son courage & son astuce à tenir devant des forces plus considérables que les siennes & à soutenir ainsi le succès des armes de Rochambeau.
En 1782 M. de Grasse amiral des armées navales du Roi marche sur Saint-Christophe & après de
longs combats, il fait signer au gouverneur anglais, le major général Thomas Shirley, la capitulation
de cette île. Grand succès & grande liesse. De Versailles, où son nom est porté aux nues, le ministre
de la marine, M. de Castries, lui donne l'ordre de s'emparer de la Jamaïque avec la connexion des
forces de « S. M. catholique d'Espagne ».
Ordre plus facile à donner qu'à exécuter Grasse a contre lui un adversaire de premier ordre l'ami ral Rodney en personne. Un combat s'engage entre les deux flottes le 12 avril. Grasse commande la
Ville-de-Paris. « La bataille, écrira plus tard La Gazette extraordinaire de la Cour de Londres, dura
avec une furie sans égale, depuis sept heures du matin jusqu'à six heures du soir, que le coucher du
soleil y mit fin. »
Bataille qui, en nos temps modernes de suprême horreur, aurait à peine mérité un « bref communiqué » de la presse, bataille formidable en un temps où la vie des hommes comptait davantage, où
le progrès ne s'était pas retourné contre nous pour mettre la science au service de la mort ! Grasse y
demeura prisonnier malgré des prodiges de valeur dans une lutte inégale (290 morts & 1,029 blessés....). Ce fut pour nous un désastre :
Hâtons-nous de le dire, car il convient de signaler un fait très rare dans l'histoire de l'humanité au
cours de laquelle – c'est la loi de fer – les malheureux ont toujours tort, Grasse avait tellement forcé
l'estime & l'admiration au cours de sa carrière que M. de Castries lui adressa des éloges pour sa bravoure, & que les Anglais le saluèrent très bas pour avoir combattu « avec dix canons contre
cent.... ».
Mais, bien entendu, simpliste & malveillante, l'opinion publique ne partagea pas cette manière de
voir noble & élevée. Pendant plusieurs mois le nom de l'amiral de Grasse fut honni en France. Il fallut que, pendant sa captivité en Angleterre, un conseil de guerre tenu à Brest en juillet 1783 disculpât complètement l'amiral, il fallut les louanges à lui hautement adressées par Washington pour que
peu à peu la figure de l'amiral se dégageât des nuages de la calomnie. Et quand il mourut, délivré,
en 1788, elle apparaissait déjà avec une auréole de courage malheureux & de vaillance chevaleresque, que l'histoire a maintenue autour de son image.
ANDRÉ DE MARICOURT.