effleurement - Accueil compagnie petrole

Transcription

effleurement - Accueil compagnie petrole
EFFLEUREMENT
Création
18 au 21 mars 2016 | STUDIO-THÉÂTRE DE VITRY
24 mars 2016 | THÉÂTRE DE VANVES - ARTDANTHE
19 au 27 Janvier 2017 | La Comédie de Reims
Lecture:
20 novembre 2015 - 19h30 | THÉÂTRE OUVERT - Centre
National des Ecritures Contemporaines - festival FOCUS
compagnie pétrole - 60 rue Hoche 93170 BAGNOLET | www.compagniepetrole.com
contact artistique - 06 60 97 66 70 | [email protected]
contact production / diffusion - 06 28 22 72 52 | [email protected]
GÉNÉRIQUE
Texte : Asja Srnec Todorović
Traduction : Christine Chalhoub
Avec : Pauline Jambet (Bouboule), Caroline Darchen (Puce)
et les voix de Clara Chabalier, Alexandre Pallu, Pierre et Anselme Barché
Mise en scène : Clara Chabalier
Scénographie: Jean-Baptiste Née
Coiffure: Judith Scotto
Création sonore : Julien Fezans
Création Lumière : Philippe Gladieux
Régie lumière: Gildas Goujet
Régie Plateau: Adrien Geiler
Durée estimée : 2h
Production compagnie Pétrole ; co-production Studio-Théâtre de Vitry, Comédie de Reims - CDN,
Théâtre Ouvert - Centre National des Dramaturgies Contemporaines;
La compagnie Pétrole bénéficie de l’aide au projet de la DRAC Île-de-France - Ministère de la Culture
et de la Communication ; avec le soutien de la Région Île-de-France, du Théâtre de Vanves et de la
SPEDIDAM.
RÉSUMÉ
Dans un salon de coiffure en banlieue, la coiffeuse reçoit la visite de sa mère,
qui souhaite l’inviter à fêter un anniversaire dont on ne sait s’il est celui d’une
naissance ou d’une mort. Les gestes de la coiffure (shampoing, coupe, teinture,
séchage) sont à la fois la tentative et l’échec du contact, un effleurement sensuel
et destructeur entre les deux femmes, par lequel le corps de la mère (Puce), obèse,
passif, par opposition à celui de sa fille (Bouboule), très maigre, tente de changer
d’apparence.
Dans leur éternelle soumission - à leur environnement, aux hommes,
figures cruelles, violentes, mais aimées - apparaît l’impossibilité pour ces femmes
de sortir de l’enfermement. Elles parlent une langue approximative, bégayante,
trouée, langue de la zone qui s’oppose au discours haché et standardisé d’une
radio asthmatique qui interfère dans leur tentative de (se) parler et fait rejaillir
les souvenirs qu’elles préfèreraient oublier. Leur conversation est rythmée par les
bruits étranges des voisins, qui tous les soirs se lancent dans une étrange course
poursuite à la recherche de leur bébé perdu, et par les coupures de courant, qui les
plongent dans une obscurité inquiétante et rédemptrice.
Asja Srnec Todorović, avec noirceur, déploie l’extraordinaire tension de la
culpabilité réciproque d’une mère et de sa fille. Comment pardonner sans oublier ?
Question douloureuse, que son écriture affine et aiguise en plaçant au centre le
caché, l’invisible, l’absent.
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NOTE D’INTENTION
En mars 2014, j'ai été invitée à intervenir à l'Ecole Régionale d'Acteurs de
Cannes, dans le cadre des Ateliers d'Ecritures Contemporaines. Michel Corvin,
dramaturge, m’a glissé dans les mains Effleurement d'Asja Srnec Todorović, qui était
passé à travers les mailles de toutes les sélections d’écritures contemporaines.
J’ai travaillé trois semaines avec 6 jeunes acteurs, l'atelier s'est clôt par une
présentation publique. Une lecture du texte a été présentée le 20 novembre 2015
à Théâtre Ouvert dans le cadre du festival Focus. La pièce sera créée du 18 au
21 mars au Studio-Théâtre de Vitry, le 24 mars au Théâtre de Vanves (festival
Artdanthé) et reprise la saison prochaine à La Comédie de Reims.
La pièce se situe dans un lieu unique: un salon de coiffure de banlieue,
modeste et bien tenu. Les murs sont recouverts de miroirs, qui fragmentent les
corps et dévoilent les angles morts. Le salon est étonnement vide, restent seuls
les derniers éléments nécessaires : une console pour poser les instruments, un
comptoir avec un téléphone, un rebord où un poste de radio grésille tristement le
refrain de The Man I Love. On distingue un amas indistinct et foutraque d'objets
hétéroclites stockés là à travers une grande bâche. Sur le fauteuil de coiffure,
devant le bac à shampoing, une femme est assise, raide et prostrée. Une autre
recourbée sur sa tache lui lave les cheveux. Les deux femmes se parlent peu, se
regardent encore moins. Quelques brefs coups d'oeil interrogateurs et suspicieux.
Des échanges énigmatiques et glacés.
A la fin de la pièce, aucune réponse satisfaisante ne sera apportée sur la
cause du malaise qui pèse entre elles. Ces personnages se rapprochent du théâtre
beckettien : le non-dit transpire dans le silence d'une phrase inachevée, dans
l'esquisse d'un geste qui sortirait du cadre, la situation banale s’échappe brusquement
vers l’absurde ou le fantastique. Quel est ce monde où les bébés sont vendus dans
des cartons de bière sur le marché noir? Que se passe-t-il dans ce mystérieux
Centre où Puce travaille, et où Bouboule ne veut à aucun prix remettre les pieds?
Leurs gestes, leurs échanges sont mus par des influences qui nous échappent.
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Anna di Prospero
PERSONNAGES
Tout oppose ces deux personnages. L’apparence physique: Bouboule, comme
ne le dit pas son prénom, est maigre, nerveuse, agitée. Elle dépense beaucoup
d’énergie dans son travail.
Puce, bien en chair, est figée, raide, tendue. Sa coquetterie (elle est excessivement
maquillée) se distingue de celle de sa fille, qui évoquera des épisodes où elle se
transforme en chienne enragée, suante et velue, où elle saute sur tout ce qui bouge.
La séance de coiffure vise aussi à écorner cette image de la mère, « la plus belle »,
en lui infligeant des potions nauséabondes, des situations peu confortables, avec
l’interdiction formelle de se regarder dans les miroirs avant que ce soit fini.
Le physique des deux actrices entretient ce rapport d’opposition. Caroline
Darchen, la mère, de petite taille avec son visage poupon, paraît presque plus jeune
que Pauline Jambet, grande et très mince, androgyne.
Bouboule effectue sa tache avec application. Elle est dans un état
d’essoufflement constant. Elle soupire, souffle bruyamment. La respiration est un
motif obsessionnel d’Asja Srnec Todorović : les personnages, bloqués, contraints,
sont en quête perpétuel d’un souffle apaisé qui permettrait d’accéder à la liberté, au
calme. Cet instant se confond avec celui du dernier souffle : à la fin de la pièce, Puce
raconte à sa fille ce moment où, en haut d’un mur, enfin « paisible... en sécurité »,
elle regarde la ville (« ce petit biscuit inoffensif »). Elle décide de se jeter en bas avec
son bébé, dans une pulsion suicidaire, mais renonce en cours de route et bat des
bras pour remonter sur le mur.
Ce monologue étrange, saccadé, renvoie aux derniers mots de Respire !, une
pièce qui sera écrite trois ans plus tard par Asja Srnec Todorovic:
« Nous allons bien, et personne ne peut
plus nous faire de mal, bien qu’il puisse
vous sembler le contraire. Vous ne pouvez
rien contre nous, ni contre moi, ni contre
quiconque. Nous respirons calmement et,
bien que nous ne soyons peut-être pas
définitivement sauvés, nous finirons par
l’être un jour ou l’autre. Et peut-être n’avonsnous jamais été enlevés, et peut-être
n’avons-nous jamais encore été captifs, et
peut-être n’avons-nous jamais été tués. Tout
cela reste à advenir. Mais pas maintenant.
Plus tard. Respirons calmement. »
Sloane #34, Oakland, CA, Lise Sarfati, 2003 .
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L’EFFLEUREMENT
La séance de coiffure est le prétexte au modelage de la figure de la mère qui
s’en remet au doigté expert de la fille. Il y a toujours le risque que cette coiffure
dérape, rate, qu’elle ébranle l’image que la mère se fait d’elle-même, qu’elle crève
la carapace, que le masque se fissure. Si le toucher est protégé par les actes
techniques de la coiffeuse professionnelle, la caresse est électrique : il ne s’agit pas
d’une cliente habituelle.
La coiffure est le prétexte pour aborder un certain nombre de sujets difficiles,
impossibles à affronter de face : le père, un homme visiblement brutal et violent
qu’elles ne cessent pas d’aimer, la violence des relations amoureuses, condition
pour passer à l’âge adulte et s’établir en tant que femme, le désir ou non d’avoir un
enfant. Et puis aussi cet évènement, sur lequel la mère a visiblement trop longtemps
fermé les yeux et qui pèse sur la fille comme un cauchemar récurent.
Cette fragilité, cette ambiguité du toucher contient toute la pièce. L’extrême
violence des rapports est contenue dans un frôlement, les personnages sont
écorchés vifs mais continuent, malgré leurs blessures mises à nu par l’étincelle d’un
regard, à faire bonne figure.
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Untitled-W-53254, Cindy Sherman, 1980
“La peau est perméable et imperméable. Elle est superficielle et profonde. Elle
est véridique et trompeuse. Elle est régénératrice, en voie de desséchement permanent.
Elle est élastique mais un morceau de peau détaché de l’ensemble se rétrécit
considérablement. Elle appelle des investissements libidinaux autant narcissiques que
sexuels. Elle est le siège du bien-être et aussi de la séduction. Elle nous fournit autant en
douleurs qu’en plaisirs. Elle transmet au cerveau les informations provenant du monde
extérieur, y compris des messages « impalpables » qu’une de ses fonctions est justement
de « palper » sans que le Moi en soit conscient. La peau est solide et fragile. Elle est au
service du cerveau mais elle se régénère alors que les cellules nerveuses ne le peuvent pas.
Elle matérialise, par sa nudité, notre dénuement mais aussi notre excitation sexuelle. Elle
traduit par sa minceur, sa vulnérabilité, notre détresse originaire, plus grande que celle
de toutes les autres espèces, et en même temps notre souplesse adaptative et évolutive.
Elle sépare et unit les différentes sensorialités. Elle a, dans toutes ces dimensions que
je viens de passer incomplètement en revue, un statut d’intermédiaire, d’entre-deux, de
transitionnalité.”
C’est cet aspect transitoire du sens du toucher et de l’organe de la peau,
tour à tour carapace, maquillage, nudité, cicatrice, qui est exploité par l’écriture.
La séance de coiffure devient une métamorphose pour, enfin, accepter le passé, et
continuer à vivre.
Notons également que le titre croate, Dodir, intraduisible en français, désigne
précisément le rapprochement du doigt de Dieu et de l’homme dans la fresque La
création d’Adam de Michel Ange, qui orne la Chapelle Sixtine. Ainsi ce contact est
également une (re)naissance, un acte créateur, mais interroge aussi la faille entre ce
à quoi on doit la vie, et ce qui nous fait vivre.
La peau maintient l’intégrité physique et sépare du monde extérieur, mais
elle est en même temps le miroir de notre inconscient. Il s’agit d’accompagner les
actrices afin de saisir la vie qui transparaît quand le geste mécanique de la coiffure
est épuisé, perturbé : le pli d’un sourire mélancolique, une pâleur d’effroi, un
rougissement de honte, une perle de sueur, les poils qui se dressent subitement...
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INTÉRIEUR
Ces deux femmes s’expriment dans une langue simple, économe, par des
échanges ciselés. Elles n’ont pas conscience de leur poids social, elles font partie
de cette majorité invisible, exclues, elles se débattent et cherchent leur liberté dans
un monde qui a avancé sans elles.
La banlieue du salon de coiffure, zone de la périphérie, s’oppose au Centre
où travaille la mère, organe du pouvoir dont on ne sait s’il s’agit d’un camp de
concentration, d’un hôpital psychiatrique ou d’une prison. Au Centre, « ils » décident
comment les personnes doivent s’habiller, agir, se comporter, « ils » organisent le
« départ » de ceux qui y sont enfermés. « Ils » achètent les objets qu’utilise Puce,
jusqu’au crayon à lèvre, et « ils » empêchent que ces objets soient utilisés à des fins
personnelles en raison d’importantes restrictions budgétaires.
L’image de la chambre a une grande importance pour moi. C’est d’abord la
chambre dans laquelle sont enfermés les mystérieux habitants du Centre, qu’on ne
devine qu’à travers les rideaux, qui évoque immédiatement les chambres à gaz.
C’est aussi la chambre d’enfant où Bouboule a visiblement subi des attouchements
étant enfant. C’est la chambre où la petite fille venge sa colère sur sa poupée, c’est
le lieu d’une enfance dont on arrive pas à sortir.
C’est enfin la chambre photographique, une dimension qui m’était chère dans
Autoportrait, la camera oscura où s’imprime la lumière pour laisser une trace dans
la mémoire du spectateur, la chambre mentale où les pulsions s’incarnent pour se
rejouer dans l’infini.
Alors le cagibi, lieu fermé où se réfugie Bouboule, se compare à la chambre
racinienne décrite par Roland Barthes : un lieu soustrait au regard, devant lequel
se passe l’action. C’est là où Bouboule se réfugie : on y devine par transparence un
amas foutraque, anarchique. La bâche plastique qui le protège des regards laisse
penser que derrière la surface lisse du salon, se cache un chaos beaucoup plus
profond.
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Red Room, David Lynch.
Le contact entre les deux femmes est protégé par l’aspect utilitaire de chaque
geste: le travail fait rempart. Mais il y a en permanence le risque que cette barrière
fragile soit brisée par la dangerosité des outils, telle une petite fille qui chercherait
à se venger sur sa poupée. Le bac à shampoing, le fauteuil, les instruments de
teinture forment un espace fixe, rigide, central. Puce est recroquevillée dans son
fauteuil modulable, mise à disposition, manipulée, soumise là encore. Bouboule,
elle, peut en changer la position, la bousculer, agir sans être vue, ou la laisser seule
pendant de longs instants.
Le salon de coiffure est circonscrit par un sol, qui serait peut-être le seul
élément daté, un lino en damier un peu pisseux, balayé, piétiné, sali par tant
de coupes de cheveux. Les objets qui définissent le salon de coiffure (console,
comptoir, radio), restent dans les normes mais sont peut-être légèrement décalés,
déplacés, agrandis. Deux rangées de miroirs font ricocher les regards, exposent les
silences. Devant ces rangées de miroirs, décalées l’une par rapport à l’autre pour
démultiplier les angles de vue, Bouboule vient prendre sa pause, se délasse et livre
enfin, face à l’image démultipliée d’elle-même, les souvenirs qui la hantent. Une
structure en fer, pas tout à fait ajustée par rapport au sol, soutient les miroirs qui
cadrent le salon de coiffure et lui confèrent une profondeur.
Puce n’a pas le droit de se regarder: elle qui est au centre de ce petit espace
recouvert de miroirs, comment pourrait-elle ne pas se voir? La situation définit
immédiatement le cadre de la relation au spectateur. En plaçant l’action face à la
vitrine, Puce est exposée au regard des passants dans une position quelque peu
humiliante (qui a envie d’être regardée les cheveux pleins de mixture verdâtre?). Il s’agit d’un dispositif d’exposition au regard de l’autre, tel un vivarium où
on observerait des animaux mis en cage. Interdiction de se voir, impossibilité de se
regarde. Ce n’est que dans l’obscurité qu’elles pourront enfin se toucher. Car tout
cela met au fond en scène l’image que l’on cherche à renvoyer de soi, et la volonté
impuissante et désespérée d’être aimé pour ce que l’on est.
EXTÉRIEUR
Le son tient lieu de troisième personnage: des voix, des sons, envahissent
l’environnement clos du salon, et le peuplent de fantômes. Les voisins du dessus
rejouent sans cesse une scène qui semble en lien avec l’origine du malaise, la radio
grésillante semble inciter les deux femmes à se parler.
L’élocution standardisée des speakers radiophoniques contraste avec la
diction approximative des deux femmes. Toutes les nuances de grincements sont
émises tour à tour par la radio asthmatique. Celle-ci est toujours citée comme un
organe vivant (elle « grésille tristement », crépite, crachote de manière « maussade »,
couine, de manière régulière, constante, et désagréable). Plus qu’une ambiance, elle
est un élément crucial qui instaure un climat, rythme le dialogue, sature l’espace
puis le vide, laisse la place à un silence pesant.
L’auteure mêle la citation de tubes radiophoniques (I will survive, The Man
I Love...) à l’utilisation de sons concrets (fracas, rires d’enfants, jeux, cris venus
d’au-dessus). Les sons provenant de l’étage du dessus englobent le public et le
placent à l’intérieur du salon de coiffure, dans l’intimité des personnages, dans leur
promiscuité avec un environnement proche mais mystérieux. La fille nous apprend
qu’il s’agit d’un mystérieux rituel qu’ils reproduisent tous les soirs avec exactitude : ils « cherchent leur bébé », par des moyens aussi incongrus que casser des objets,
écouter des rires d’enfants, donner le bain à tout ou n’importe quoi, ou jouer à chat
perché.
Parfois agressifs, parfois apaisants, ces éléments dialoguent littéralement
avec les personnages, qui n’hésitent pas à leur répondre. Ils agissent parfois
comme un baume, un encouragement à parler, ou agissent en écho comme quand
la radio tente de dire un poème, et incite Bouboule à faire rejaillir ses souvenirs. La
spatialisation du son est extrêmement importante car elle ouvre un hors-champ :
l’espace narratif n’est pas seulement celui que peut voir le spectateur, mais aussi
celui qu’il projette au-dehors, à l’extérieur du plateau. Immergé, il ne peut saisir les
limites de cet espace impalpable.
Les multiples pannes de courant, symptômes d’un monde dévasté, postapocalyptique, interrompent brutalement la séance de coiffure et plongent les deux
femmes dans une obscurité rédemptrice. Eclairées par les phares de voitures qui
tournent au coin de la rue, ou par la petite flamme d’une bougie d’anniversaire, ce
n’est que lorsqu’on ne se voit plus qu’on peut enfin se dire les choses, se toucher,
qu’on ne cherche plus à masquer sa faiblesse. Et que Puce peut enfin donner la
lettre qu’elle était venue remettre. La lumière est un autre type de dialogue entre
le dispositif et les personnages. Elle n’est jamais une illustration de la narration,
mais un élément de contraste, d’opposition, qui guide le regard et porte le sens
avec puissance.
LE TEMPS
L’image de la roue du destin, qui donne à chacun sa charge de bonheur et de
malheur, revient plusieurs fois, en particulier par la radio. D’abord, c’est à travers
la très célèbre cellule rythmique du premier mouvement de la 5e Symphonie de
Beethoven (appelée Symphonie du Destin) qu’apparaît l’idée d’une fatalité qui
mènerait toujours à la catastrophe. Puis, prétextant un « jeu de la phrase la plus
longue », la radio demande que cette roue de l’univers, qui d’habitude est changeante
et alterne entre bonheur et malheur, soit « la plus grande, la plus belle et la plus fiable,
qui ne pourra jamais et ne devra jamais se détraquer dans la lutte sans fin... »
Cette image donne à la pièce sa dimension cyclique. La même scène ouvre et
clôt la représentation : Bouboule est penchée sur sa mère pour la laver, les notes
grésillantes du standard de jazz The Man I Love résonnent dans la pièce, un sourire
mélancolique se dessine sur le visage de Bouboule. Mais les rôles s’inversent : à la
fin, c’est la mère qui s’occupe de la fille...
L’enfer est peut-être là, sous nos yeux: la tentative sans cesse renouvelée,
l’échec sans cesse répété de dire son amour, de le partager, de le transmettre.
Clara Chabalier, septembre 2015.
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GILLES DELEUZE
UN PRODIGIEUX BÉGAIEMENT
“Je voudrais dire ce que c’est qu’un style. C’est la propriété de ceux dont on dit d’habitude
“ils n’ont pas de style... “.
Ce n’est pas une structure signifiante, ni une organisation réfléchie, ni une inspiration
spontanée ni une orchestration, ni une petite musique. C’est un agencement, un agencement
d’énonciation.
Un style, c’est arriver à bégayer dans sa propre langue. C’est difficile parce qu’il faut qu’il y
ait nécessité d’un tel bégaiement. Non pas être bègue dans sa parole, mais être bègue du langage
lui-même. Etre comme un étranger dans sa propre langue. Faire une ligne de fuite. Les exemples
les plus frappants pour moi: Kafka, Beckett, Gherasim Luca, Godard.
(…) Jamais les choses ne se passent là où on croit, ni par les chemins qu’on croit.
(...) Nous devons être bilingue même en une seule langue, nous devons avoir une langue mineure
à l’intérieur de notre langue, nous devons faire de notre propre langue un usage mineur. Le
multilinguisme n’est pas seulement la possession de plusieurs systèmes dont chacun serait
homogène en lui-même; c’est d’abord la ligne de fuite ou de variation qui affecte chaque système
en l’empêchant d’être homogène.
Non pas parler comme un Irlandais ou un Roumain dans une autre langue que la sienne, mais au
contraire parler dans sa langue à soi comme un étranger.(...)
Là aussi c’est une question de devenir. Les gens pensent toujours à un avenir majoritaire
(quand je serai grand, quand j’aurai le pouvoir...).
Alors que le problème est celui d’un devenir-minoritaire: non pas faire semblant, non pas
faire ou imiter l’enfant, le fou, la femme, l’animal, le bègue ou l’étranger, mais devenir tout cela,
pour inventer de nouvelles forces ou de nouvelles armes.”
ROBERT BRESSON
NOTES SUR LE CINÉMATOGRAPHE
“La grande difficulté, c’est que tout art est abstrait et en même temps suggestif.
Il ne faut pas tout montrer, quand on montre tout, il n’y a pas d’art, l’art va avec la
suggestion. La grande difficulté dans ce cinématographe, c’est justement de ne pas
montrer la réalité, le maximum, l’idéal, serait de ne rien montrer du tout mais ce n’est
pas possible. Il faut donc montrer les choses sous un angle, un seul angle qui évoque
tous les autres angles mais ne pas tout montrer les autres. Il faut peu à peu laisser le
spectateur deviner, espérer deviner et le tenir tout le temps dans une espèce d’attente
qui vient de ce que en effet, comme je vous disais tout à l’heure, la cause est montrée
après l’effet. Il faut garder le mystère, nous vivons dans le mystère, il faut que ce
mystère soit sur l’écran. Il faut toujours que l’effet des choses vienne avant leur cause
comme il arrive dans la vie. La plupart des événements que nous voyons s’accomplir,
leur cause est inconnue, nous voyons leur effet et c’est plus tard que nous découvrons
leur cause.”
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EXTRAIT
Puce reste immobile.
Voix de femme : Je vais maintenant lire le poème…
Puce (sourit) : Voyons voir… Il est peut-être pas mal, ce poème.
Bouboule immobile devant le miroir.
Voix de femme : Tu m’as frôlée…
Un grésillement perçant couvre la Voix de femme.
Voix de femme : … effleurée…
De nouveau, la friture couvre la voix. Bouboule et Puce immobiles.
Bouboule (sans lever la tête) : Un jour, j’ai écrit un tout petit poème sur un coin d’emballage
de saucisson, j’étais debout penchée au-dessus de la table de la cuisine, ça s’est carrément
déversé de moi sur le bout de papier, des rondelles grasses, sombres, me dansaient sous les
yeux, des cercles durs, noirs…
La Voix de femme, assourdie, perce à travers le grésillement permanent de la radio.
Voix de femme : Sikrkrrrrrrr… ssssssvvvoouuuuuu…
Elle est de nouveau couverte par des crépitements et un vrombissement strident.
Voix de femme : T…t…t…t…i
La Voix de femme se noie dans le bourdonnement monotone.
Bouboule est toujours assise, immobile, la tête appuyée sur ses bras croisés. Puce jette des regards
contrariés vers le public.
Bouboule (tout bas) : Je suis tout de suite sortie, en le gardant serré dans ma main, tout
chiffonné, j’arrêtais pas de me dire que le stylo allait s’effacer à cause du gras, mais je l’ai pas
changé de place, je l’ai même pas regardé avant de me retrouver à la gare…
Puce sursaute et regarde Bouboule qui est toujours immobile.
Bouboule (tout bas) : Et dès que je suis arrivée à la gare, aussitôt, la nuit est tout de suite
tombée, et tous ces gens sur les bancs sont devenus encore plus lugubres. J’étais trop énervée
pour m’asseoir, alors j’ai fait les cent pas à droite à gauche, vers les toilettes, vers le restau,
vers les voies. Un type qui était assis très très loin de moi, peut-être celui qui était le plus loin
de tous, ce type, il arrêtait pas de me dévisager, et même s’il était minuscule à cause de la
distance, je voyais sa figure de près. Et c’est pour ça que je me suis tout de suite approchée
de lui. Et lui, il s’est tout de suite levé, il a passé son bras sur mon épaule en disant quelque
chose, juste deux ou trois mots, dans une langue que j’ai pas comprise. On s’est tout de suite
mis en route et on s’est pas arrêtés avant de tomber nez à nez avec le papier dégoulinant de
fange qui recouvre les murs des toilettes de la gare, un pauvre papier complètement éreinté
par les bégaiements du néon, sur lequel il a posé son doigt cornu en me chuchotant quelque
chose dans une langue que j’avais jamais entendue de ma vie. Quand j’ai hoché la tête, il a
tout de suite baissé son pantalon, et moi j’ai pas du tout regardé vers le bas, j’ai gardé les
yeux fixés sur son visage sillonné de rides qui s’est mis peu à peu à bouger. Sur le papier, il y
avait un dessin, en différentes couleurs, on voyait la ville entière, en plus petit, vue de haut,
et quand il a retiré son doigt j’ai de nouveau hoché la tête, alors il a remis son pantalon et il
a enlevé son autre main qu’il avait plaquée sur ma bouche. Il a commencé à parler, à parler, à
parler… pendant qu’on arpentait les rues…
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L’AUTEURE
Asja Srnec Todorović (1967), auteur dramatique, metteur en scène, scénariste,
romancière, vit et travaille à Zagreb (Croatie).
Ses pièces sont lues, mises en ondes et jouées tant en Croatie, où elle a monté ses
propres textes au théâtre ITD (Zagreb), qu'à l'étranger (Royaume-Uni, France, Allemagne).
Elle a reçu le prix de la meilleure pièce radiophonique de la BBC (1997), le prix
Marulić (1992), et le prix du président de l'université de Zagreb (1988). En 2000, elle
reçoit le prix du Meilleur texte dramatique au Festival International du Théâtre de
Chambre d'Umag pour la version originale d'Effleurement.
Ses autres pièces traduites en français sont : Mariages morts (Les Solitaires
intempestifs, 1998), Bienvenue aux délices du gel et Respire ! (Editions l'Espace d'un instant,
2008), ainsi que Failles et Compte à rebours (textes non publiés). Un extrait de Respire !
figure dans Une parade de cirque - anthologie des écritures théâtrales contemporaines de
Croatie, réalisé sous la direction de Nataša Govedić.
Mariages morts a été mis en scène au Théâtre National de Bretagne en 1994 par
Christian Colin, puis mis en lecture par Stanislas Nordey au Théâtre Gérard Philippe en
1998.
Bienvenue aux Délices du Gel a été présenté au Festival Regards Croisés de Grenoble en
2005 et diffusé sur France Culture.
Respire ! a été lu au Festival Regards croisés (2006) et mis en scène par Dominique
Dolmieu (2014).
Failles a été créé par Miloš Lazin, dans le festival Nous n'irons pas à Avignon en 2009.
Effleurement a été mise en scène par l'auteure à Zagreb (Croatie). Ce sera la première fois
que cette pièce sera jouée en France.
LA TRADUCTRICE
Christine Chalhoub (1956), mathématicienne de formation, informaticienne de
métier, est traductrice par passion depuis 2004 et à titre professionnel depuis 2007.
Elle consacre son mémoire de master de traduction en serbo-croate, à Paris IVSorbonne, à l’écriture dramatique en ex-Yougoslavie (mention très bien) ; ses travaux ont
été publiés dans la Revue des études slaves.
Elle traduit du serbo-croate (presque) tous les genres littéraires : nouvelles, romans,
essais, poésie, scénarios, théâtre – sans oublier les textes journalistiques et le code de
l’empereur serbe Stefan Dušan (recueil de lois du XIVe siècle). Sa dernière traduction
parue : Sous pression, recueil de nouvelles de Faruk Šehić (Bosnie-Herzégovine), Maison
des écrivains étrangers et des traducteurs de Saint-Nazaire, novembre 2014.
Elle a notamment traduit deux textes dramatiques d’Asja Srnec Todorović, Compte
à rebours (Odbrojavanje) et Effleurement (Dodir), qu’elle a décidé – en tant que traductrice
mais aussi en tant que lectrice – de traduire pour leur puissance.
Elle travaille également, depuis plusieurs années, pour le Tribunal pénal international
pour l’ex-Yougoslavie de La Haye (traducteur-réviseur, essentiellement de l’anglais vers le
français).
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L’EQUIPE
Clara Chabalier - metteure en scène
Formée à l'Ecole Régionale d'Acteurs de Cannes, elle intègre en 2012 le deuxième
cycle du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique.
Elle joue notamment sous la direction de Jean-François Peyret (Re:Walden), Romeo
Castellucci (Four Season's Restaurant), Pauline Bourse (Voyage au Bout de la Nuit), César
Vayssié (Un Film Evènement), Laurent Chétouane (Considering), Dieudonné Niangouna
(Nkenguegi)...
Elle créée en 2009 la compagnie les ex-citants, qui devient en 2015 la compagnie
Pétrole, en hommage au livre inachevé de Pier Paolo Pasolini.
Sa première création, Calderón de Pier Paolo Pasolini, a été programmée notamment
au Festival Théâtre en Mai (CDN Dijon-Bourgogne). Elle créée ensuite Autoportrait en
se basant sur les démarches photographiques de Cindy Sherman, Robert Mapplethorpe,
Francesca Woodman et Edouard Levé (Théâtre de Vanves, Théâtre les Ateliers – Lyon).
Une performance dérivée de ce spectacle est présentée à Ancône (Italie) pour la Biennale
des Jeunes Créateurs d'Europe et de Méditerranée.
Elle est invitée à intervenir dans des écoles d'acteurs : l'EDT91 (Par les villages de
Peter Handke, 2012) et l'Ecole Régionale d'Acteurs de Cannes (Effleurement d'Asja Srnec
Todorovic, 2014). Elle travaille avec des amateurs en partenariat avec le Théâtre de la
Cité Internationale et le Théâtre Nanterre-amandiers, Centre Dramatique National.
Elle réalise également des performances, des installations sonores et des
documentaires radiophoniques.
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Caroline Darchen - Puce
Formée à l’École du Studio d’Asnières avec JeanLouis Martin-Barbaz et à l’École Internationale de
Théâtre Jacques Lecoq.
Au théâtre, elle joue dans les mises en scène de Sylvain
Creuzevault (Le père tralalère, création collective d’ores
et déjà), elle-même (Les Simone, Entre chien et loup),
Damien Mongin ( A memoria perduda), Jeanne Candel (Le
Goût du Faux et autres Chansons, Nous brûlons, Some kind
of monster), Bénédicte Guichardon ( Les Vilains Petits,
l’Oeuf et la Poule), Antoine Cegarra (Léonce et Léna de
G.Büchner), Thomas Quillardet (le Repas de V.Novarina
et Villégiature de Goldoni), Julie Deliquet (Amorphe, La
noce de B.Brecht), Karine Tabet (Auschwitz et après... une
connaissance inutile de Charlotte Delbo, Mort accidentelle
d’un anarchiste de Dario Fo), Lionel Gonzalez (Le Médecin
malgré lui de Molière, Escurial de Michel de Ghelderode,
Sganarelle ou le cocu imaginaire de Molière).
Pauline Jambet - actrice
(Bouboule)
En 2007, elle obtient son master de philosophie
de l’Art à la Sorbonne puis intègre l’Ecole Régionale
d’Acteurs de Cannes où elle suit l’enseignement entre
autres de Catherine Marnas, Gildas Milin, Nadia
Vonderheyden et s’initie à diverses disciplines telles
que le clown, la marionnette ou le krump.
Depuis la fin de son cursus en 2010, elle
a joué dans J’ai 20 ans, qu’est-ce qui m’attend ? mise
en scène par Cécile Backès à Théâtre Ouvert, avant
de travailler comme comédienne et assistante à la
mise en scène avec Catherine Marnas sur l’adaptation
de Lignes de Faille (Théâtre de la Passerelle-Gap-,
Théâtre National de Strasbourg...) et Cécile Backès
sur Requiem.
En 2012, elle joue le Futur dans le spectacle de Théo Mercier, Du futur faisons table
rase. Elle participe aussi régulièrement à des fictions radiophoniques pour France
Culture et France Inter, ainsi qu’à de nombreuses lectures (Paris en toutes Lettres, les
Correspondances de Manosque, la Société des Gens De Lettres…).
Elle travaille avec Clara Chabalier sur les spectacles Autoportrait et Blasted
[Anéantis]
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Julien Fezans - Création sonore
Après des études en image et son à l’Université de Bretagne Occidentale de
Brest, il travaille à l’Université du Québec à Montréal aux côtés de Daniel Courville afin
de créer des outils permettant de traiter le format ambisonique.
Il travaille ensuite en tant que chef opérateur et assistant son en fiction et
documentaire. Parallèlement il participe à différents projets en tant qu’ingénieur du son
ou créateur son, tout d’abord pour le théâtre, aux côtés d’Elzbiéta Jeznach – Miettes
de spectacles, Judith Depaule – Mabel Octobre, Jacques Dor – Désordre alphabétique,
Noelle Keruzoré – Dellie Compagnie, Sarah Oppenheim – Le Bal Rebondissant, Katia
Ponomareva – L’ Ensemble à Nouveau, puis pour la radio avec le festival Longueur
d’Ondes de Brest et au sein de l’équipe de 37.2, émission diffusée sur Radio Campus
Paris.
En 2011, il participe au groupe de recherche Gangplank, regroupant techniciens
lumière, son, vidéo, musiciens, chorégraphes, metteurs en scène autour des interactions
de la technologie et de la dramaturgie dans nos pratiques de fabrication scénique,
soutenue par les Laboratoires d’Aubervillers.
Avec Clara Chabalier, ils mennent une expérimentation sur la technique binaurale
dans le projet G., ils réalisent des interviews d’artistes pour le spectacle Autoportrait dont
ils offrent une forme radiophonique intitulée Portrait Of Something I’ll Never Really See
(Radio Campus). Il créée également le dispositif sonore de Blasted [Anéantis].
Philippe Gladieux - Création Lumière
Sa recherche s’inscrit dans un espace résolument organique où les percepts du
corps sont à la naissance du jeu.
Il collabore avec le groupe T’chang (Didier-George Gabily), et créée l’outil shape
dans le cadre d’un accueil au Théâtre de la Bastille sur la recherche d’un procédé
d’interprétation de l’organicité en lumière.
Il collabore régulièrement avec les chorégraphes Fabrice Lambert (Topo, Imposture, Solaire, Nervures), Caterina et Carlotta Sagna (Heil Tanz!, Basso Ostinato, Exercices
Spirituels, P.O.M.P.E.I... Tourlourou, Ad Vitam, Nuda Vita et Bal en Chine), Yves-Noël Genod
(Chic by Accident, Je m’occupe de vous personnellement, Un petit peu de Zelda), Olga de Soto
(Débords), François Chaignaud (ДУМИ МОЇ).
Avec Clara Chabalier, il compose les lumières d’Autoportrait et Blasted [Anéantis].
Jean-Baptiste Née - Scénographe
Scénographe, peintre et plasticien, après une Hypokhâgne option cinéma au Lycée
de Sèvres il intègre l’Académie Charpentier où il s’initie aux Beaux-arts. Il est diplômé des
Arts-Décoratifs de Paris en 2012, son mémoire, “Le Chemin du Regard”, s’intéresse au
parcours de l’oeil dans les images et dans l’espace. Jean-Baptiste Née travaille pour les
expositions (A.Hollan) et le théâtre (S. Seide), réalise des installations parallèlement à son
travail pictural centré sur le motif de la montagne. Les différentes pratiques se font écho
et se nourrissent mutuellement.
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CONTACT
Production - diffusion:
Sébastien Lepotvin
06 28 22 72 52 - [email protected]
Compagnie Pétrole
60 rue Hoche - 93170 BAGNOLET
[email protected]
www.compagniepetrole.com