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L’ÉCRITURE DOCUMENTAIRE DE L’HISTOIRE : LE MONTAGE EN RÉCIT Colloque international 3 − 4 novembre 2015, INHA Université Paris 1 − Panthéon Sorbonne − HiCSA ————————————————————————————————————— Dork Zabunyan, Université Paris 8 (ESTCA) Matériaux et matérialités des savoirs sur le passé. Synthèse des interventions et des débats ————————————————————————————————————— Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l’éditeur. Les articles figurant sur ce site peuvent être consultés et reproduits sur un support papier ou numérique sous réserve qu’ils soient strictement réservés à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l’éditeur, le nom de le revue, l’auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l’éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Référence électronique : Dork Zabunyan, « Matériaux et matérialités des savoirs sur le passé. Synthèse des interventions et des débats », in RAGARU, Nadège et SZCZEPANSKA, Ania (dir), L’écriture documentaire de l’histoire : le montage en récit, actes du colloque international, Paris, 3-4 novembre 2015, mis en ligne avril 2016. Editeur : HiCSA, Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Tous droits réservés 1 La deuxième table ronde a croisé les perspectives développées par l’historienne, Sylvie Lindeperg, dont les travaux portent sur les images de la Seconde Guerre mondiale et des procès d’après-guerre, professeure à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (HICSA), la juriste, Nathalie Chassigneux, avocat en droit de la propriété intellectuelle, et Matthias Steinle, historien du cinéma allemand à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. L’objet en était de réfléchir aux usages des archives audiovisuelles dans les productions de documentaires historiques. L’intervention de Sylvie Lindeperg se situait dans le prolongement d’un article intitulé « Le singulier destin des images d’archive. Contribution pour un débat, si besoin une querelle ». Quels sont les termes de cette « querelle » ? Les archives audiovisuelles sont souvent victimes de leur pouvoir de séduction. En témoigne la colorisation de sources en noir et blanc, dans la série télévisuelle Apocalypse produite par France 2 depuis 2009, par exemple. Ce traitement vise à accroître l’attractivité des archives filmées du passé. Cette communication, consacrée à la place des images dans le travail historien, est articulée autour de trois axes. Premièrement, il convient de rappeler que les images furent longtemps tenues pour un objet illégitime n’ayant pas la noblesse de l’écrit, ni l’aura de l’œuvre d’art. Le cinéma était vu comme supprimant l’écart entre le moment où un fait advenait et celui où il était inscrit sur un support d’enregistrement. En étaient affectées aussi bien l’écriture de l’histoire que la production de l’événement. Le cinéma aurait suscité un double effet de simultanéité et de présence du passé. Face à cette illusion d’un passé qui aurait fait retour par l’image, les historiens, souvent légitimement, ont cherché à établir les sources et à les interpréter rigoureusement. Mais il convient de rappeler que l’étude du cinéma exige aussi la connaissance des techniques d’enregistrement, l’examen du contexte des prises de vue et une réflexion sur le hors-champ de l’image. Deuxièmement, malgré ses réticences, l’historien est souvent sollicité par les médias audiovisuels comme conseiller, auteur ou, plus rarement, réalisateur. A cet égard, remarquons que la figure du consultant historique entre parfois en contradiction avec celle de l’historien. 2 Appelé à valider un usage illustratif des sources audiovisuelles, le consultant en vient à oublier la disjonction entre histoires des événements et des images. Comment respecter la vérité historique quand l’historicité des archives est niée et que les réalisateurs prétendent transmettre une vérité historique en brandissant les images comme preuves ? Troisièmement, l’émergence des nouvelles technologies impose à l’historien d’interroger les phénomènes de colorisation, de sonorisation ou de changement de format. Une déconstruction des justifications apportées par les défenseurs de la colorisation (réalisateurs, producteurs ou diffuseurs) est en ce sens indispensable. L’argumentation déployée repose sur une contradiction : d’une part, celle-ci est présentée comme destinée à attirer de jeunes spectateurs ; de l’autre, elle constituerait un « must technologique » capable de produire de la vérité historique. Or les deux arguments se contredisent. Les couleurs ajoutées renvoient-elles aux couleurs vraies du passé ? Il s’agit plutôt d’une réalité augmentée qui favorise une illusion au carré, laquelle est une négation des coordonnées techniques de la prise de vue et, par là même, de l’historicité des âges du visible. Nous avons également affaire à une pratique qui nivelle les écarts temporels entre passé et présent, qui en supprime les articulations et qui efface l’altérité de l’archive. Pour conclure, l’usage des techniques numériques dans la transmission du passé ne devrait-elle pas susciter une réflexion éthique équivalente à celle qui accompagne les recherches actuelles en médecine ? Si les mutations technologiques peuvent fournir de précieux instruments de connaissance, les historiens ont la responsabilité d’en interroger les incidences sur la compréhension du passé. L’enjeu est de plaider la cause des archives pour en étudier les métamorphoses. Au-delà des questions éthiques, comment penser les droits de propriété sur les archives audiovisuelles ? Dans quelle mesure l’utilisation des images du passé est-elle juridiquement encadrée ? Dans son intervention, Nathalie Chassigneux, avocat à la cour, revient sur les relations entre l’archive audiovisuelle et le code de la propriété intellectuelle. De quelles manières les archives audiovisuelles peuvent-elles être protégées ? Une archive audiovisuelle peut être protégée par le droit de la propriété intellectuelle lorsqu’elle est considérée comme 3 « œuvre ». Pour que le droit d’auteur puisse s’appliquer, il convient que cette œuvre puisse être qualifiée d’« originale », c’est-à-dire qu’elle soit le reflet de la personnalité de son auteur. Une telle conception est laissée à l’appréciation du juge. S’agissant de photographies mais aussi de films, la jurisprudence de la Cour européenne de justice signale que l’originalité se définit comme le résultat d’une création portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Celle-ci se caractérise par un choix libre et créatif effectué avant la réalisation (mise en scène, éclairage), au moment de la prise de vue (cadrage, atmosphère créée) et après la prise de vue (développement, montage, retouche). Avant l’adoption de la loi de 1957, les auteurs étaient considérés comme de simples techniciens et seuls les scénaristes, les adaptateurs, les dialoguistes et les musiciens pouvaient bénéficier de l’application du droit d’auteur. Toutefois, devant la multiplication des images et des instruments d’enregistrement, les juges sont devenus réticents à protéger systématiquement ce qui pourrait être qualifié « d’œuvre ». Ils peuvent convoquer le critère de la « prise sur le vif » pour justifier que l’on ne soit pas en présence d’un auteur, et, par conséquent, d’une œuvre. Le droit d’auteur comprend des droits patrimoniaux et des droits moraux. Les premiers recouvrent le droit de représenter (séance cinématographique) et le droit de reproduire (copie, téléchargement, etc.). Mais il est un droit beaucoup plus important, le droit moral, droit à la paternité de l’œuvre et à son respect. Si elle est définie comme œuvre, une archive audiovisuelle ne peut être modifiée sans le consentement de l’auteur. Les exceptions au droit d’auteur sont multiples, qui concernent notamment la diffusion dans un cercle familial ou la courte citation. La citation audiovisuelle implique exactitude et brièveté. L’œuvre dans laquelle elle figure doit avoir une vocation pédagogique et/ou d’information. La définition d’un cadre juridique très contraignant risquerait de rendre presque impossible l’utilisation dans un cadre documentaire des archives audiovisuelles. La meilleure protection réside dès lors dans le travail des historiens, lorsqu’ils rappellent le contexte de production, de classement et de diffusion des documents qu’ils mobilisent. Si l’on souhaitait renforcer leur protection, il conviendrait de réfléchir aux conditions de dépôt des archives et de veiller à la collecte de toutes les informations nécessaires à leur contextualisation. 4 La troisième intervention, celle de Matthias Steinle, a porté sur un cas d’étude spécifique, l’utilisation d’archives dans des docufictions allemands produits après 1989. Pour cet historien du cinéma, l’émergence de ce genre soulève des dilemmes pour l’écriture de l’histoire de l’ancienne Allemagne de l’Est. Visant un public large, faisant un usage peu rigoureux des images d’archives, cette catégorie de films a conduit à agréger des matériaux hétérogènes et à façonner un imaginaire du passé communiste portant le double sceau de son origine spatiale (ouest-allemande) et temporelle (post-communiste). Ces films s’inscrivent dans la commémoration d’événements historiques et, en mobilisant vedettes et/ou sujets polémiques, s’emploient à créer l’événement. L’histoire contemporaine qu’ils mettent en scène ne semble commencer qu’avec la Seconde Guerre mondiale. Elle se découpe en trois périodes : le Troisième Reich, l’après-guerre en zone d’occupation occidentale puis en RFA et la RDA. Là où les docufictions consacrés à la Seconde Guerre mondiale offrent une figuration de la souffrance des Allemands, les œuvres portant sur l’histoire de l’Allemagne de l’Ouest sont parsemées de miracles. Le récit du passé est-allemand est sensiblement moins enthousiaste : son histoire est contée en trois dates, 1953, 1961 et 1989. Dans les films consacrés à l’unification, la RDA est réintégrée dans l’histoire miraculeuse de la RFA. La focalisation sur les crises et l’appareil répressif est-allemand comme seul lieu de mémoire véhicule la thèse téléologique d’une mort à crédit. La complexité des logiques institutionnelles et de pouvoir pendant l’ère socialiste est éludée. Images d’archives, reconstitutions fictionnelles et témoignages s’entrecroisent, chaque élément authentifiant l’autre dans un cercle autoréférentiel. Dans tous ces films l’image de la RDA est marquée par des clichés narratifs et esthétiques de la guerre froide : les couleurs sont grises, parfois pastelles, les rues sont vides et les gens tristes, la pénurie règne et la population est mécontente ou malheureuse. L’histoire de la RDA est par ailleurs également placée en continuité avec celle du troisième Reich, par la mobilisation de références au national-socialisme. Il semblerait toutefois que le Dokudrama ait perdu son hégémonie dans le champ télévisuel, comme en témoignent la disparition en 2013 de la société teamWorx et le départ à la retraite du producteur, Guido Knopp. Dork Zabunyan 5