Le 51eme anniversaire de la naissance du FFS

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Le 51eme anniversaire de la naissance du FFS
Le 51eme anniversaire de la naissance du
FFS
Par Ait Benali Boubekeur
Pour comprendre l’histoire du FFS, il faut se placer dans le contexte
historique. Ce dernier, pour ceux qui feignent de ne rien vouloir savoir,
s’inscrit dans le prolongement de la crise de l’été 1962. En effet, la propension
du duo Ben Bella-Boumediene à ériger un pouvoir personnel a créé une fissure
dans le mouvement libérateur. De toute évidence, malgré l’accession du pays à
la souveraineté, l’emploi de la force réduit considérablement les chances de
voir une Algérie apaisée. Résultat des courses : à peine le système colonial de
sujétion est vaincu qu’un autre le remplace en ce qui concerne notamment la
restriction des libertés. Vivant loin du théâtre des combats pendant la guerre
de libération, les troupes des frontières, commandées par Houari Boumediene,
s’imposent donc au peuple exsangue par l’affrontement avec l’armée française.
Cela dit, bien que la prise du pouvoir soit effectuée par la force, les Algériens,
pour éviter une lutte fratricide, acceptent cette fatalité. Dans la foulée des
festivités célébrant la fin du joug colonial, le bureau politique, dominé par la
coalition Ben Bella-Boumediene, impose donc sa liste pour élire, le 20
septembre 1962, les députés à l’Assemblée nationale constituante (ANC). Deux
jours après le vote, Mohamed Boudiaf, un chef historique, conteste le procédé
choisi par le bureau politique. Pour marquer son désaccord, il crée le parti
révolutionnaire socialiste (PRS).
Quoi qu’il en soit, pour préserver une certaine apparence d’un régime ouvert,
les vainqueurs de la crise de l’été 1962 n’éliminent pas, pour les élections à
l’ANC, les personnalités prestigieuses du mouvement national, à l’instar de
Hocine Ait Ahmed ou de Krim Belkacem. Quant aux autres députés, triés sur le
volet, ils se caractérisent par leur docilité. Néanmoins, bien que la majorité des
députés obéisse à l’autorité exécutive, Hocine Ait Ahmed, suivi par un groupe
de députés, décide de mener une « opposition constructive » à l’intérieur du
système. Cette tâche –et c’est le moins que l’on puisse dire –est alambiquée
dans la mesure où la nouvelle Assemblée ne dispose que d’un espace restreint
pour manœuvrer.
D’ailleurs, dès l’entame de sa mission, l’Assemblée constituante montre des
signes de faiblesse. Selon Amar Ouredane, « le président de l’ANC, Ferhat
Abbas, est critiqué par Ait Ahmed qui caractérise, le 20 novembre 1962, le
règlement de l’ANC comme une confuse copie du règlement de l’Assemblée
nationale française ». Par ailleurs, revenant sur la mission du député, Ait
Ahmed regrette que celui-ci ne se donne pas les moyens d’agir en vue de jouer
pleinement son rôle législatif. « Dans notre règlement, on prévoit et on étend
sur treize articles les pouvoirs du président. Près de trente articles ont été
conçus pour ligoter les députés dans une étrange discipline. Quant au pouvoir
fondamental, quant à la mission essentielle pour cette Assemblée d’exister, à
savoir le contrôle à exercer sur l’action gouvernementale, cela fait l’objet d’un
seul article », déclare Ait Ahmed à l’hémicycle. Naturellement ces
interventions n’ont aucun effet. Étonnant que cela puisse paraitre, les
propositions d’Ait Ahmed, pour que l’Assemblée ait notamment plus de
pouvoir, sont combattues par les mêmes députés censés accomplir leur mission
en dehors de l’influence du pouvoir exécutif.
D’une certaine façon, bien que l’ANC soit aux ordres, le duo Ben BellaBoumediene s’en passe des députés en vue d’élaborer le texte fondamental du
pays, la constitution. « Après avoir critiqué, le 2 juillet 1962, la politique de la
« dictature personnelle » de Ben Bella, « un homme tout puissant, aveugle et
buté », Ait Ahmed traite de « monstre constitutionnel » le projet de
constitution approuvé par les « cadres du FLN » et exhorte les citoyens
réfléchis à dire non au régime chaotique de la médiocrité, de l’improvisation et
de l’arbitraire », note à juste titre Amar Ouredane. En tout cas, le fait de
choisir une salle de cinéma pour élaborer le texte fondamental, au lieu de le
faire par l’instance prévue à cet effet, réduit à néant le rôle de cette
Assemblée. Du coup, une dizaine de députés, dont Hocine Ait Ahmed,
démissionne.
Par ailleurs, bien que le duo Ben Bella-Boumediene soumette le projet à
l’approbation du parlement le 28 aout 1963 et puis le 8 septembre aux
Algériens, il n’en reste pas moins que le nouveau pouvoir ne souhaite pas que
quiconque s’oppose à sa politique. Par conséquent, « ne pouvant s’exprimer
comme il le souhaite, H. Ait Ahmed songe à une opposition hors système »,
écrit Pierre Monbeig dans sa thèse de doctorat sur l’opposition algérienne.
Dans la foulée du référendum constitutionnel, Ben Bella organise son
plébiscite le 15 septembre 1963 à l’occasion de l’élection présidentielle. « Vous
voulez que je vous dise ? Eh bien ! Je suis la seule chance de l’Algérie »,
déclare Ben Bella au journal Le Monde du 17 septembre 1963. En tout cas, vu
l’héritage de Ben Bella, on peut dire que l’Algérie n’a pas eu la chance de
l’avoir eu à sa tête.
De toute évidence, préoccupé par la pérennisation de son pouvoir, le nouveau
président, dont la tentation de bâtir un pouvoir démesuré fut innée, recourt
aux arrestations tous azimuts des opposants. Pour corroborer cette thèse, on
peut citer, à titre d’exemple, l’arrestation de Boudiaf, celle de Salah
Boubnider, celle de Mohand Akli Benyounes, etc. D’après Amar Ouerdane, Ait
Ahmed est le seul à avoir interpellé Ben Bella sur ces arrestations abusives.
Cependant, tous les opposants ne sont pas d’accord sur la stratégie à adopter.
En tout cas, suite au désarroi prévalant à ce moment-là, les initiatives ne
manquent pas. Parmi elles, il y a la création de l’UDRS (Union pour la défense
de la révolution socialiste), un mouvement créé en juin 1963. Dirigés par Krim
Belkacem et plusieurs militants de la fédération de France du FLN, cette union
envisage la prise d’Alger par la force. Tout en s’interdisant d’avoir une
quelconque activité militaire en Kabylie, sa démarche consiste à mobiliser la
7eme région militaire (ex Wilaya III) en vue de renverser le pouvoir incarné
par le duo Ben Bella-Boumediene en occupant la capitale.
En tout cas, ce projet irréalisable est resté au stade théorique. Dans la réalité,
tout le monde savait qu’une épreuve de force contre le régime d’Alger aurait
été un flop. D’ailleurs, est-il nécessaire de rappeler que ce régime s’est installé
un an plus tôt en allant au bout du GPRA, l’instance légitime de la révolution
algérienne. Baptisée ANP, cette armée des frontières a réussi à intégrer ce qui
restait des effectifs intérieurs des maquis. Tout compte fait, la façon dont est
pris le pouvoir en 1962 renseigne sur la promptitude des forces dirigées par
Boumediene à agir violemment. Pour Ait Ahmed, il est hors de question de
laisser se dérouler, sous ses yeux, un éventuel bain de sang. En se démarquant
de l’usage de la violence, il déclare le 10 juillet 1963 à Michelet : « Dans le but
d’éviter des affrontements monstrueux, j’ai décidé de mener une lutte ouverte
contre le régime socialo-mystificateur soutenu par des contre-révolutionnaires
de tout poil. Cette opposition publique est aujourd’hui le seul moyen de
désamorcer une situation rendue explosive par l’enlèvement du frère Boudiaf
et de frères de combat par l’incapacité de l’Assemblée nationale constituante à
bloquer la totalitarisation du régime ».
De toute évidence, cette position raisonnable finit par convaincre la majorité
ou peu s’en faut des fondateurs de l’UDRS de rejoindre la formation politique
de Hocine Ait Ahmed. Le 29 septembre 1963, écrit Amar Ouerdane, « un grand
meeting populaire antigouvernemental est organisé à Tizi Ouzou par Ait
Ahmed et le colonel Mohand ou El Had, chef de la 7eme région militaire,
rejoints par des députés kabyles, en particulier le colonel Sadek (Slimane
Dhiles), ancien dirigeant de la wilaya 4 ; Abdenour Ali Yahia, ancien secrétaire
général de l’UGTA ; Mourad Oussedik et Arezki Hermouche ». Quoi qu’il en
soit, bien que le but assigné au FFS soit l’organisation de la société en
recourant aux moyens pacifiques de lutte, la réaction du régime d’Alger tombe
comme la foudre. « Quatre jours après la proclamation du FFS, A. Ben Bella
envoie l’armée en Kabylie », écrit Pierre Monbeig.
Cependant, bien que le FFS ait des ramifications un peu partout dans le pays,
le régime d’Alger essaie autant que faire se peut de le ghettoïser. D’ailleurs, à
l’Assemblée désormais fantoche, les députés issus de la région de Kabylie
condamnent vigoureusement le mouvement lancé par Hocine Ait Ahmed. Dans
une déclaration publique, treize députés condamnent l’avènement de cette
nouvelle formation politique. Parmi les signataires, on trouve Belhocine,
Bouzida, Mouloud Gaid, Ouamrane, Hamel, Mahiouz, Safya, Yazourene,
Aoudjhane, Slimani, Bouaziz, Feddal et Hadj Ali.
Par ailleurs, pour discréditer l’opposition intérieure, le régime d’Alger n’hésite
pas à raviver le conflit frontalier avec le Maroc. Paradoxal que cela puisse
paraitre, certains membres fondateurs de l’UDRS, ceux qui voulaient lancer
une action armée sur Alger, sont les premiers à rejoindre Ben Bella et
Boumediene. Selon Amar Ouredane, « la rupture publique et définitive entre
Mohand ou El Hadj et Ait Ahmed n’interviendra, cependant, qu’au mois de
janvier 1964, après la publication d’un texte signé par de nombreux anciens
dirigeants du FFS dont le colonel Mohand ou El Hadj, le commandant Si
Lakhdar, le lieutenant Allouache, les députés Arezki Hermouche et Abdenour
Ali Yahia. Tout en confirmant l’arrangement intervenu le 13 novembre entre
Ben Bella et Mohand ou El Hadj… »
Dans cet accord, comme point capital, il est question de tenir prochainement
un congrès du FLN. À vrai dire, cette concession de Ben Bella ne représente
qu’une miette par rapport aux revendications du FFS. En plus, celle-ci n’est
pas du gout de l’homme fort du moment, Houari Boumediene. « Boumediene
reprochait amèrement à Ben Bella d’avoir composé avec le colonel Mohand ou
El Hadj. De son côté Ben Bella accusait Boumediene d’avoir violé le cessez-l-feu avec le Maroc quelques heures après sa signature », témoigne Hervé
Bourges, un ami proche de Boumediene. D’ailleurs, ce litige entre le chef de
l’État et son ministre de la Défense se terminera deux ans plus tard par
l’élimination du premier. En effet, le 19 juin 1965, Houari Boumediene
renverse Ben Bella. En revanche, bien que ce dernier ait conclu des accords,
notamment le 16 juin avec le FFS, l’arrivée de Boumediene au pouvoir rend
systématiquement caduc les accords signés auparavant.
Partant, depuis l’instauration du nouveau régime sous la houlette de Houari
Boumediene, l’Algérie est soumise à une dictature innommable. Et malgré le
recours aux éliminations physiques des opposants, à l’instar de Khider en 1967
et de Krim en 1970, Hocine Ait Ahmed ne cesse pas de dénoncer le régime
incarné par Boumediene. « Après son évasion, H. Ait Ahmed prononce une
violente condamnation du régime de Boumediene et appelle à un
regroupement des forces d’opposition autour du FFS, seul parti à avoir osé
affronter le pouvoir les armes à la main. L’union de l’opposition algérienne ne
se fera jamais malgré quelques initiatives avortées et le conflit israélo-arabe,
savamment utilisé par le pouvoir, lui apporte un nouveau coup dur ; certains
leaders rentrent dans le rang », écrit Pierre Monbeig. Parmi ces cadres, il y
avait les fondateurs de l’UDRS, à l’instar de Mohand ou El Hadj et Ali Yahia
Abdenour.
Enfin, il va de soi que la création du FFS est intervenue à un moment où le
régime avait des appuis solides. Ayant vaincu toutes les forces révolutionnaires
saines, le nouveau régime s’en tient au seul côté négatif de l’esprit
révolutionnaire : étouffer les voix discordantes. Or, un homme comme Ait
Ahmed, qui s’est opposé frontalement au régime colonial, ne peut pas se taire
face à toutes ces injustices. Hélas, ceux qui ont souhaité l’emploi de la violence
contre le régime sont les premiers à quitter le navire en se rapprochant du
régime. Enfin, quoi qu’on puisse épiloguer sur les revirements des personnes,
cette histoire va suivre le FFS tout au long de son parcours. Mais, ce qui est
intéressant dans l’histoire du FFS est indubitablement la constance du combat
de son président, Hocine Ait Ahmed. Et le moins que l’on puisse dire c’est que
mêmes ses adversaires politiques lui reconnaissent cela.