les savanes de la république dominicaine et leur exploitation par le

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les savanes de la république dominicaine et leur exploitation par le
LES SAVANES
DE LA RÉPUBLIQUE DOMINICAINE
ET LEUR EXPLOITATION
PAR LE SYSTÈME DES "HATOS"
Par Rafaël CAMARA*
La région traditionnelle d'élevage par excellence de la République
Dominicaine était jadis la Plaine Orientale Caraïbe, située à l'est de la capitale,
Saint-Domingue, car elle est constituée pour l'essentiel de terrains de parcours
en savanes arborées. Aujourd'hui cette activité a pratiquement disparu de la
région, mais historiquement d'autres régions de l'île, qui ont également connu
ce type d'exploitation, en conservent de nombreux traits.
L'élevage dominicain est une activité introduite par les colons espagnols
et était une réplique lointaine des pratiques prévalant dans la Meseta castillane.
En effet, d'une part les conditions naturelles n'en étaient pas si éloignées et,
d'autre part, s'agissant d'une colonie, il était normal de reproduire les mêmes
choses. La métropole était fort éloignée et souvent désintéressée des "affaires
coloniales", si bien qu'elle toléra des initiatives. Des particularités locales
purent se développer qui, une fois bien établies, furent à leur tour exportées
vers d'autres colonies comme Cuba ou Porto Rico. Ce fut le cas de l'élevage
dominicain dont le modèle fut copié plus tard dans le continent sud-américain
et en particulier au Mexique.
L'élevage bovin non seulement supposait une bonne harmonie entre
l'homme et son environnement mais aussi une adaptation au système
économique, par des modifications du système esclavagiste. En outre, il fallait
une adéquation au système social en vigueur connu sous le terme de "sociednd
hatera" (société d'éleveurs). Ce système avait pris une grande importance tout
au long de la période coloniale, se prolongeant après l'Indépendance de Haïti,
" Professeur Université de Séville.
Cahiers d'outre-Mer. 53 (212) octobre - décembre 2000 (pp.343-366)
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
au milieu du XIX' siècle. Ce n'est qu'après la décision du président Santana,
lui-même grand éleveur, d'annexer Saint-Domingue à l'Espagne, en 1861, que
le système périclita. En effet, après la Guerre d'Indépendance, Saint Domingue
développa des cultures de tabac, de cacaoyers et de caféiers. Le succès de ces
cultures permit l'avènement d'une nouvelle classe de propriétaires et mit fin au
pouvoir des éleveurs : la sociedad lzatera périclita définitivement.
Aujourd'hui des troupeaux subsistent toujours et l'élevage participe à
l'économie du pays, fondée au début du X F siècle sur la canne à sucre puis, à
partir des années 1980, sur le tourisme.
1 - Les savanes selon l'historiographie coloniale
La plus ancienne description et référence géographique que l'on ait
concernant le milieu naturel de la Espagnola (Saint-Domingue), est le travail
du frère Bartolomé de Las Casas, "Apologética Historia Sumaria" de 1522. Y
sont consignées les observations de l'auteur effectuées entre 1502, date de sa
première visite dans l'île avec son père, et 1520. Il décrit les paysages, les
aménagements, l'exploitation de la terre et les manifestations culturelles de
l'île. Il consigne notamment (Chap. II à VII) ses expériences au cours des
quatre voyages de reconnaissance (régions donnant sur l'Atlantique, sur la mer
Caraïbe ou des montagnes intérieures). Il décrit en particulier, au nord de la
Cordillère Septentrionale, les bois et les étendues herbeuses plus ou moins
entremêlés que les Taïnos (les indigènes) nommaient "sabanas de yerba ". Ces
savanes parcourues par Las Casas étaient particulièrement étendues dans les
provinces de Higüey et à l'est de la Espafiola. Certaines, très étendues et
agrémentées seulement par des boqueteaux, furent évaluées à l'époque à plus
d'une dizaine de lieues castillanes de longueur.
D'autres descriptions de savanes furent effectuées dans les provinces de
Cayacoa, entre Higüey et la ville de Saint-Domingue. II s'agissait de savanes
déjà utilisCes par des éleveurs de troupeaux comme celles du Valle de San Juan
ou du Valle del Cibao. Il existait également d'autres savanes éparses sur le
piémont méridional de la Cordillère Sud Occidentale où apparemment les
Indiens cultivaient du coton.
Depuis l'époque de Las Casas jusqu'à nos jours, la présence de savanes
dans les paysages de la République Dominicaine est une constante qui s'inscrit
dans des iconographies multiples et dans de nombreux toponymes ruraux :
Sabana Buey, Sabana-Grande de Boya, et Sabana de la Mar en sont trois
exemples parmi d'autres. Rodriguez (1915), dans sa Géographie de l'île de
Saint Domingue, décrit les savanes comme des "plaines couvertes de
*
LES SAVANES DE LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
chiendent et autres herbes, avec quelques ou pas d'arbres", les comparant aux
pâturages. Plus tard il précise que la savane est comme "n'importe quelle autre
grande plaine sèche ou marécageuse et sur laquelle ne vient aucune grande
.forêtw.Ces plaines, en suivant Rodriguez, présentent des taches ou des îlots
de ligneux nommés "saos", "cejas de monte O matas" (crêtes boisées ou de
broussailles), en insistant sur le caractère herbeux ("prados","praderias") qui
pourrait être utile à l'élevage. Il distingue même trois types de savanes :
les prairies naturelles sans intervention de l'homme, qui s'entretiennent
d'elles-mêmes ;les savanes anthropiques, dominées par une ou deux espèces
de légumineuses et qui durent un à trois ans; enfin les savanes temporaires,
sortes de modèle mélant les deux cas précédant marquées par la présence de
graminées et de légumineuses. Il nomme "praderas altas" ("alpages") celles
qui occupent les flancs des montagnes, "praderas bajas", les prairies de fond
de vallées et "praderas medianas" celles qui sont en situation intermédiaire.
Ses observations climatiques s'attachent à montrer que la savane reçoit moins
de précipitations que les montagnes et que l'alternance des saisons (sèche et
humide) est régulière, la saison sèche durant environ six mois. Il explique ainsi
la rareté des arbres et la dominante de hautes herbes à croissance rapide. De son
coté, W.D. Durland visite le pays au printemps 1892 pénétrant dans l'intérieur
lors de plusieurs voyages. Il subdivise l'île en unités physiographiques,
climatiques et biogéographiques (Martinez, 1990). Parmi celles-ci, il décrit la
savane comme une formation arborée etfou à arbustes isolés. Pour lui, elles
sont particulièrement remarquables en saison sèches lorsque le paysage prend
une tonalité grise avec une mention particulière pour les savanes de la Valle de
San Juan dans la dépression centrale. Elles donnent lieu à un paysage plat et
ouvert, au sol fertile et voué exclusivement à l'élevage.
Il est curieux d'observer comment aujourd'hui à Saint-Domingue, le
terme de savane a perdu de son sens originel, au point que le "Dictionnaire
encyclopédique dominicain" de 1988 ne relève le terme que pour désigner des
noms de localités comme par exemple Sabana de la Mar. La carte botanique du
Dr. R. Ciferri de 1938, les travaux de C.E. Chardon (1939- 1940) puis les études
des Ressources Forestières de 1'O.E.A. de 1967 et de la Végétation Naturelle
de 1'A.I.D. de 1986, n'identifient pas ce type de milieu naturel, le laissant de
coté même pour la toponymie. Depuis les travaux de W.D. Durland jusqu'aux
publications du Secrétariat d'État de l'Agriculture (S.E.A.) en collaboration
avec l'Office Technique de la Coopération Allemande (GTZ) (1990), on ne
retrouve plus aucune mention de la savane en tant que formation caractéristique du paysage dominicain.
La "résurrection" du terme est due à la mise en place d'études d'évaluation du milieu naturel appuyée sur une méthodologie focalisant les aspects
biogéographiques, ce qui a amené les différents découpages à une nouvelle
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classification effectuée en terme de "formations végétales". Dans cette nouvelle approche, on retrouve le terme de savane pour désigner les boisements
tropophiles de la zone basse et les savanes d'altitude pour les pinèdes claires
des cordillères ce qui rappelle la classification de Rodriguez (1915).
Les premières se réfèrent aux environs du Lac Enquirillo, décrites comme
'Yor~izationde couverture graminéenne très ouverte, avec de rcires arbres et
arbustes isolés, ou en petits groupes" (S.E.A., 1992). Leur origine est attribuée
aux conditions extrêmes du climat et du substrat et serait donc entièrement
naturelle. Les secondes s'observent dans les pinèdes, sur des sols profonds et
saturés en eau. Elles maintiennent une couverture végétale de graminées en
touffes recouvrant partiellement le sol, sans autres arbres.
Cette mise au point recouvre la majorité des classifications des savanes,
en renforçant l'aspect physionomique en admettant la présence de ligneux.
Nos recherches nous ont permis de constater que les savanes de SaintDomingue possèdent la plupart des grands traits caractéristiques des savanes
américaines. Leurs caractères biogéographiques montrent qu'il s'agit de
formations de transition entre la forêt ombrophile et les boisements secs.
II - Les savanes de la République de Saint-Domingue
Par savane on entend une formation végétale et faunistique tropicale où
dominent les espèces herbacées héliophiles, de tailles et de couvertures
variées, avec quelques boisements ou maquis. Leur rythme biologique est de
type alterné (saison humidelsaison sèche).
Les boisernents
Des quatre types de boisements présents à Saint-Domingue, trois
présentent des traits savanicoles avec une dominante tantôt mésophile, tantôt
tropophile, tantôt tropophile à épineux (fig. 1). On distingue :
- les boisements mésophiles situés dans le domaine humide (parfois très
humide) mais qui présentent une période de déficit hydrique importante. Le
port des arbres atteint 10 à 15 m et la strate arbustive est relativement bien
développée. Les espèces présentent des feuilles de taille moyenne à petite;
certaines sont coriaces mais rarement succulentes. Les troncs peuvent
présenter des tonalités claires. Il s'agit d'un boisement à épiphytes et lianes ;
- les boisenzents tropophiles qui se rencontrent dans le domaine
sub-humide. Il s'agit d'essences basses (de 5 à 8 m) dominées par le palmier
Haitielln ekmanii qui peut atteindre plus de 12 in. En conditions plus humides
%
LES SAVANES DE LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
ces boisements prennent de la hauteur. Les feuilles des arbres sont petites
coriaces et caduques. Les branches ont des lianes et des épiphytes mais en
moindre quantité que dans le cas précédent ;
- les boisements tropophiles à épineux qui se développent dans l'étage le
plus sec caractérisé par l'extension de la saison sèche et la dormance de la
végétation. Généralement, ils se présentent en formations arbustives plus ou
moins ouvertes, avec de nombreuses cactacées. Le boisement est bas, de 3 à 4
m, avec une croissance lente des espèces. Les feuilles sont petites et coriaces.
Très souvent les végétaux sont couverts d'épines et ont des troncs succulents.
Les espèces à feuilles caduques dominent.
Au sein même du boisement mésophile existent des savanes telles que
nous les avons définies, qui sont composées des espèces suivantes :
Cemtoplzyllum demersum (yerba de cotorra = herbe de commère), Cyperus
digitatus, Cyperus odoratus (yerba canuto = entre-nœud), Heliotropiurn
curassavicum (yerba alacrn'n = herbe scorpion, ne se rencontre que dans les
maniguas du littoral), Imperata contracta, Ludwigia erecta (yerba hicotea =
herbe tortue), Panicum elephantipes (yerba de elefante = herbe à éléphant des
maniguas côtières de l'Amérique tropicale), Panicum purpurascens (hierba
pliez), Panicum tenerum (la yerba puy des marais caraïbes), Polygonum
punctatum (yerba de burro = herbe de l'âne) et Theineda quadrivalvis
(arrocillo).
- les boisements purs ne se rencontrent que dans quelques endroits. Au
total le pays présente une mosaïque de paysages.
Par contre les savanes se rencontrent à peu près partout à Saint
Domingue.
Les savanes
- les savanes herbeuses s'observent dans les régions littorales ou
s'étirent le long des vallées comme celle de I'Ozama, ou dans les dépressions
quaternaires des régions calcaires (sud-ouest). On les trouve aussi sur les piémonts, les alvéoles granitiques des cuvettes endoréïques comme la Dépression
Méridionale, et les plates-formes carbonatées. Au total elles ne dépassent pas
92 km', soit environ 6% du total des savanes du pays.
2
- les savanes arborées représentent 46% du total, soit 428 km . On distingue notamment les boisements mésophiles des piémonts méridionaux de la
Cordillère Orientale, puis les savanes arborées mésophiles sur argiles et limons
(11%) à Izua et dans l'est de la Dépression Septentrionale. Sur le karst, dominent les savanes arborées des domaines mésophile et tropophile (10%).
- les savanes à palmiers (8%) sont très localisées dans la Dépression
Septentrionale et sur les piémonts nord des Systèmes Oriental et Septentrional,
ainsi qu'au sud de Los Haitises. Au total elles couvrent environ 70 km'.
a
LES SAVANES DE LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
- les savanes boisées sont moins étendues (36%) que les précédentes.
Cependant, dans le domaine tropophile à épineux elles peuvent couvrir de
grands espaces. Elles représentent 23% du total soit 200 km2,suivies par les
savanes boisées du domaine mésophile (1 0%).
Par secteurs, la Plaine Orientale est la région la plus savanisée couvrant
28% du pays, suivie par l'ouest de la Dépression Septentrionale (Cibao oriental), la Dépression Centrale (Valle de San Juan), Azua-Bani et la Dépression
Méridionale avec 10%.
La localisation des savanes dominicaines les plus significatives montre
que les savanes boisées se trouvent très localisées. Les plus fréquentes sont
celles du domaine tropophile à épineux (piémonts N et S du Système Central).
Les savanes herbeuses s' observent surtout dans les plaines côtières de Yasica
Boba et Yuna, dans la plaine de 1'Ozama et dans la péninsule de Jaragua.
L' analyse des conditions morpho-édaphiques montre une bonne corrélation entre savanes boisées et arborées et unités morpho-pédologiques stables. La variété croissante des faciès savanicoles s'explique par une plus forte
hétérogénéité de ces conditions. Les savanes herbeuses et à palmiers sont des
milieux particulièrement fragiles et instables car ils ont été soit colonisés
récemment, soit sont en équilibre climacique instable. Nous avons pu constater
qu'il existe un véritable gradient hydrologique lié au comportement hydrique
ce qui permet de distinguer les types de savanes en fonction de l'humidité
édaphique.
Les résultats de cette corrélation sont synthétisés dans la figure 1 en
fonction de la typologie qui suit en tenant compte de la position géomorphologique et du drainage. Du plus humide au plus sec, on distingue :
a - Savanes avec un excédent d'humidité stationnelle :
- savanes arborées du domaine mésophile des alvéoles granitiques ;
- savanes herbeuses littorales faisant transition avec la mangrove ;
- savanes herbeuses inondables ;
- savanes à palmiers à Roystonea hispaniolana ;
- savanes boisées du domaine mésophile sur plate-forme corallienne ;
- savanes boisées du domaine mésophile sur versants ;
b - Savanes sans excPs d'humidité stationnelle et avec reconstitution des
réserves d'humidité des sols :
- savanes à palmiers et Saba1 umbraculifera :
- savanes boisées du domaine tropophile sur grès calcaires ;
- savanes boisées du domaine tropophile à épineux sur limons et argiles
-savanes boisées du domaine tropophile à cactacées sur limons et
argiles ;
'hoto 1 - Savane de Sanson sur le piémont de la Cordillère de Bahc
la péninsule de Jaragua (S'W). Savaine herbei!Ise à draînage déficic
..- - .
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.
en conditions bioclimariques trupopniies.
(Cliché de l'auteur).
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1
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A
Photo 2 -- Savane arborée sous condiitions bioclimatiques t r o p o ~
i du Systè&me
Centiral, aux eiavirons d e Bani. L'arbre dominant e(
. .
L'utilisation de ces savanes n'implique
cambiron (Prosopis
- -juliflora).
- - -p;as un
aménagement pour I'élc:veur. La dynamiq ue nature:Ile de la s~avanedomine
ale (bovins et caprins) varialble selon 1les propriiétés.
avec Iune char$
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~ ~ l'au~eurj.
i-.
Z
LES SAVANES DE LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
c - savanes sans recharge d'humidité des sols :
sans sécheresse stationnelle
- savanes boisées du domaine mésophile sur karst ;
- savanes arborées du domaine tropophile.
avec sécheresse stationnelle
- savanes arborées du domaine tropophile à épineux sur karst ;
- savanes arborées à épineux sur plate-forme corallienne ;
- savanes herbeuses à drainage déficient ;
- savanes herbeuses littorales faisant transition avec la mangrove ;
- savanes herbeuses sur substrat salin.
Seules les savanes boisCes, arborées et herbeuses du domaine tropophile
correspondent aux sites de sécheresse stationnelle où l'on peut déceler un
stress de la végétation assez important. Les précipitations sont inférieures à
800 mm et la température moyenne supérieure à 27" C. Il s'agit de régions à
déficit hydrique supérieur à 800 mm et qui dure plus de 300 jourstan. Il y a
donc un risque réel de dessiccation du sol avec parfois une absence totale de
recharge hydrique dans l'année.
Les savanes arborées du domaine mésophile et à palmiers présentent un
très faible risque de dessiccation du sol avec 200 à 300 jours de déficit mais ne
dépassant pas 500 mm. Il peut même y avoir un excès du bilan hydrique. La
recharge en humidité, typique de ce genre de formation, varie de 30 à 150 mm.
Les précipitations sont comprises entre 1300 et 1700 mm avec une température
moyenne de 26 à 27 " C.
Certaines savanes boisées du domaine mésophile constituent des formes
isolées comme à Jaragua, Los Haitises et dans la péninsule de Higüey. Quand
elles sont situées sur le karst elles obéissent à des conditions édaphiques
particulières. A coté d'elles, les savanes herbeuses des plaines côtières sont
soumises à des conditions pluviométriques fortes (> 1 800 mm) et des
températures moyennes comprises entre 26 et 28" C. Il existe ici des risques
sérieux d'inondation. Le déficit hydrique, lorsqu'il existe, ne dépasse pas
150 mm et une période de 150 jours. Il n'y a pas pour ces savanes de risque
de dessiccation.
III - Les savanes arborées
Avec une couverture qui oscille entre 2 et 15% et une densité d'arbres de
l'ordre de 1 OOOIha, les savanes arborées se trouvent au sein des domaines
mésophile, tropophile et tropophile à épineux de la classification de Sarmiento.
Elles se composent d'un tapis herbeux uniforme dominé par des ligneux épars
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dont la densité est variable ;il s'agit surtout d'arbustes. Ces savanes sont les plus
étendues et occupent des unités géomorphologiques variées depuis les alvéoles
granitiques (Vila Altagracia; Zambrana) ou les piémonts, en passant par les terrasses marines soulevées (Higüey et littoral de la Plaine Orientale ou de La
Isabella).
Celles de la forêt tropophile ont une extension assez réduite sauf dans
quelques cas comme à Sabana Buey, à l'ouest de Bani. Les savanes à épineux,
de plus grandes étendues, sont bien localisées : plaines d'Azua au Sud-Ouest,
de Bajo Yaque del Norte au Nord-Ouest. Il s'agit de savanes à paysages
prototypiques - pâturages de Rzedowsky (1986) ou savanes de Léopold ( 1950)
- où l'on peut observer des différences en fonction du bilan hydrique et de la
fertilité des sols (Birot, 1965).
Les savanes arborées occupent un vaste spectre morpho-édaphique au
sein du régime hydrique. On les trouve aussi bien sur les plates-formes et les
replats structuraux que sur les glacis, les secteurs d'érosion ou les vallées
fluviales. Cette grande ubiquité se manifeste aussi dans l'adaptation aux formations superficielles et pédologiques de caractère azonal. Le risque de
dessiccation est faible pour les graminées mésophiles et fort pour les tropophiles.
Les savanes à palmiers s'adaptent à une forte humidité édaphique et se
localisent indifféremment entre les savanes boisées, arborées et herbeuses. Le
risque de dessiccation de ces formations est très faible. Dans la Vega Real, la
savane à palmiers royaux s'étend à l'est de la Dépression Septentrionale sur
l'interfluve compris entre les vallées du Camu et du Yuna. Sur les Systèmes
Oriental et Septentrional ces savanes sont associées aux formations superficielles des versants hydromorphes.
Un exemple évolutif de ce type de savanes arborées est donné par les
figures 2 et 3 (transect de Loma de La Media Cara - Sud des Haitises - Valle del
Ozama) - avec les différentes actions anthropiques intervenues au cours de
l'histoire. Ce transect, de près de 40 km de long, se situe au sud du karst des
Haitises englobant l'inselberg de la Loma de La Media Cara et le glacis de Los
Llanos pour atteindre les plates-formes coralliennes du nord de SaintDomingue. On y reconnaît un dépôt colluvionné au contact du glacis marqué
par un knick prononcé. La catena débute en amont par une formation boisée
mésophile, sur lambeaux d'altérite ferrugineuse, passant sur le glacis
à une savane arborée mésophile et îlots de savane à palmiers royaux. Elle
s'achève en aval, dans la vallée de 170zama,par une savane herbeuse sur sols
hydromorphes à traits vertiques.
Cette catena est typique des savanes de Saint-Domingue avec une
dominante de Cyperl~ssp. et Imperclta sp., dans les savanes boisées et arborées
et de Panicum sp. pour la savane herbeuse, les savanes à palmiers faisant
transition.
-
hot0 3 - Savane boisée à Prosopisjuliflora sur les dunes de Montecristi
(NW) sous conditions biocllimatiques tropophiles (été 11998).
Cette saivane se tirouvant a u sein d'i in Parc National est soustra ite à I'éle vage.
lrrI-1( L I I L I I ~de l'uuteur).
Photo 4 -Un exemple de la faible technologie de la production de la
-ni ne à sucre, dans la Plaine Orientale : attelage
- de bœufs, coupe à 1:
machettle avec de!s journaliers haïtie,ns,etc. De nos jouirs la culture de la c
à sucre est une miédiocre a Iternativce aux hatc)S d'eleva ge. (Cliché de I'nut
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
IV - Les savanes et l'anthropisation
D'emblée, à son arrivée dans l'île, l'homme a utilisé les ressources de la
savane. Selon son emprise au cours de la période pré-hispanique puis
coloniale, le milieu a été à peu près préservé, légèrement modifié ou totalement bouleversé comme avec l'extension récente des plantations.
Grâce aux très nombreuses références de Las Casas on sait que les
Taïnos incendiaient la forêt pour chasser l'agouti (Plagiodontia aedium) mais
il est certain qu'il existait également des savanes naturelles. Sur toute la zone
littorale, s'il existait une forte présence indigène, attestée par de nombreuses
céramiques et des gisements archéologiquesl, il n'y avait pas de traces
d'activité agricole. A la lueur de ces enseignements, il est clair que la mise en
valeur du milieu par les Taïnos, avant la période coloniale, était de type
extensif et avait donc déjà affecté l'environnement, notamment forestier.
L'arrivée des Espagnols a entraîné une modification importante de la
mise en valeur du pays. Dans une première phase, la fièvre de l'or et de
l'argent a servi de support aux premières exploitations autour des placers de
rivière ou de montagne. Un témoignage de cette période est la fondation de
Cotui en 1505 qui, après quelques années de prospérité, déclina et ferma en
1520. L'année suivante un moulin à sucre était consti-uit à Concepcion de la
Vega. La canne traitée était issue des plants des îles Canaries que Christophe
Colomb avait introduit à La Isabella. Par la suite d'autres tentatives eurent lieu
dans la région de Nagua et Santo Domingo et à partir de 1508 cette industrie
fut dirigée par les Pères Hiéronymites. Le cours des prix du sucre en Europe en
1510 poussait de nombreux colons à développer cette activité lucrative
d'ailleurs subventionnée par la Couronne.
De nouveaux inoulins furent construits dans le Sud, et dès 1518, sur le
conseil des Pères Hiéronymites, commença l'importation des esclaves
noirs d'autant plus que l'industrie minière était décadente. Les premières
exportations de sucre commencèrent en 1521 et en 1527 on dénombrait dans
l'île 19 sucreries et 6 moulins, la plupart se trouvant sur les rives des rivières
Ozama, Haina, Nigua Ocoa Via et Yaque del Sur. Leur nombre s'accrût et
passa de 20 en 1545 (Cassa, 1989) à 35 en 1548 (Moya, 1992) pour atteindre
80 en 1568 et une production annuelle de 200 000 arobes 2 (Bermejo, 1983).
A partir de la seconde moitié du XVI' siècle, et avec l'apparition du
gingembre produit encore plus rentable, débuta la baisse des prix du sucre. De
plus, l'attaque de Drake en 1586, et la peste qui entraîna une quarantaine de
1 - Giseineiits archéologiques de San Rafael de Yuma, de Honduras, d' El Caimito, de Hoyo de Toro, d' El
Porvenir-Madrigales, de Batey, de Cueva de Berna et Musiepedro.
2 - L' ombe est une mesure ancienne équivalant à 11,502 kg.
%
LES SAVANES DE LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
l'île et une forte mortalité des esclaves noirs et donc de la main-d'œuvre,
donnèrent un coup fatal à l'industrie sucrière. Celle-ci disparut pratiquement à
la fin du XVI' siècle de telle sorte qu'en 1606 il ne restait plus que 12 sucreries
produisant annuellement 8 000 arobes.
e
Ces plantations, tout au long du XVI siècle, ont largement modifié le
paysage des vallées fluviales notamment sur la côte sud entre Saint-Domingue
et Azua. Les sucreries cédèrent la place à une nouvelle activité : l'élevage.
Celui-ci avait débuté de façon marginale mais allait connaître du XVI' au
XVIII' siècles une emprise telle que les historiens parlent de la "sociedad
hatera" pour désigner cette société d'éleveurs (Silie, 1976, 1990 ; Bosch,
1988 ;Cassa, 1989 ; Moya, 1992).
V - Les sociétés coloniales d'élevage
Les premiers élevages apparurent avec certains encomenderos3,
fonctionnaires ou ordres religieux. La chute de l'activité sucrière incita la
population à se tourner massivement vers cette activité qui était souvent de type
familial et avait l'avantage de ne pas demander beaucoup de main-d'œuvre. Dès
1600, la société de la Espaiïola était organisée autour de l'élevage.
Il représentait un système d'exploitation régi par la Loi di1 15 avril 1541
qui stipulait que "les pâturages, parcours et ressources en eau seraient communs à tous les voisins de Saint-Donzingue" afin que chacun puisse en jouir
librement et utiliser les cabanes pour y abriter le bétail, regroupé ou non. Le
texte s'appliquait à "un rayon de dix lieues castillanes" autour de la ville de
Saint-Domingue. Ailleurs il était possible d'avoir des propriétés privées pour
le bétail mais d'un rayon d'une lieue (environ 97 ha) au sein de laquelle "nul
autre troupeau ne pouvait pénétrer".
Au départ l'élevage se composait d'un troupeau de bovins n'excédant
pas 2 000 têtes. En 1547 l'Évêque Bastidas en possédait entre 20 000 et 30 000
répartis en 11 fermes et certains propriétaires en avaient davantage comme
Doiïa Maria Arana qui en avait 42 000 (Bosch, 1988).
A partir de la parution de cette Loi, I'habitude fut prise de désigner du
terme "hato" l'hacienda (ferme d'élevage) ou encore les pâturages parcourus
par les bêtes (Silie, 1990). Ces derniers avaient une forme plus ou moins
circulaire à partir d'un point central représenté par un arbre marqué d'une croix
ou d'un mat nommé bramad der^"^. Entre les différents hatos les terres étaient
3 - Eiicoinei~dero
: en Ainérique latine, il s'agir do propriétaire d'un ou de plusieurs Indiens sous le régiine
cle 1' "er~corrrieiidn".
4 - Brciri~adrro: endroit où se réunissent les animaux sauvages. En Amérique latine le terme désigne le
poteau et par extension le lieu où se trouvent attachés ou parqués les animaux domestiques.
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
à usage commun ou réservés à l'agriculture. Certaines propriétés eurent
jusqu'à 3 lieues castillanes de rayon et plus de 10 000 têtes (Cassa, 1989). Les
hatos n'avaient pas de limites, clôtures ou bornes. Leur seule référence était
ces points centraux et les levés cartographiques réalisés par les Audiencias
(l'administration) mais ces derniers étaient rares : c'est pourquoi les conflits
étaient nombreux comme en attestent les archives de la Real Audiencia de
Saint-Domingue. Bref le hato colonial était une terre ouverte, privée, parfois
avec des actionnaires (Gutierrez, 1985).
Ce n'est qu'avec la disparition de la "société hatera" et le développement des cultures que l'on marqua physiquement les limites des propriétés
par des clôtures, des murs de pierres sèches ou des palissades puis, à partir du
XXe siècle, la loi obligea à clôturer en haie de "cagüey" (Neoabottia
paniculata) dans les secteurs secs ou en pin cubain (Gliricidia sepium) dans les
secteurs les plus humides.
Dans le cadre des limites du hato se trouvaient les maisons du maître, du
gérant et des peones. Une partie de la surface était consacrée à la pâture et une
autre, plus petite, aux cultures vivrières. Un bois était réservé à la chasse car le
propriétaire avait l'habitude de laisser quelques bêtes, notamment des porcs,
retourner à l'état sauvage afin qu'ils servent ultérieurement de nourriture
d'appoint (Guttierez, 1985). L'exploitation du hato était de type bovin extensif
(la charge pastorale ne dépassait que rarement 2 bêteslha), c'est pourquoi on
s'attacha à étendre les terrains de parcours au détriment de la forêt, tout en
fabriquant du charbon de bois. Au XXcsiècle furent introduits des manguiers
dont on vendait les fruits.
La situation des hatos était fonction des installations humaines et des
voies de communication qui les reliaient car il ne faut pas oublier que la sécurité était imparfaite et que jusqu'au XVIII" siècle, perdurèrent des révoltes
indiennes ou d'esclaves enfuis. Les seules routes (les "voies royales") existant
alors étaient celles qui reliaient les villes aux fermes d'élevage dessinant un
système radial à partir de Saint-Domingue, suivant les trois grandes
Dépressions (Septentrionale, Centrale et Méridionale) et la Plaine Orientale.
La route est unissait Saint-Domingue à Bani et Azua se divisant là en
deux tronçons, l'un vers la Dépression Méridionale (Neyba et Puerto
Principe), l'autre vers la Centrale (San Juan et Baniqué). La route ouest parcourait les savanes de la Plaine Orientale reliant la capitale à Monte Plata, puis
Bayaguana, El Seybo et Higüey vers l'est et Boy5 et Cotui au nord-ouest.
Enfin, la voie centrale colonne vertébrale de la colonie, parcourait l'île du sud
au nord jusqu'à Santiago en passant par Cotui et La Vega. D'autre rameaux
secondaires en partaient. Si l'on en croit les dessins de Samuel Hazaed (1873)
cet axe était bien entretenu et jalonné de palmiers royaux. Il était le plus
fréquenté notamment par les troupeaux se dirigeant vers la capitale à des fins
'b
LES SAVANES DE LAREPUBLIQUE DOMINICAINE
commerciales. L'encombrement était tel qu'il y eut des tentatives pour trouver
d'autres sorties aux productions de l'intérieur soit par la baie de Samani soit
par voie ferrée vers Puerto Plata.
L'importance économique de l'élevage est avérée par les chroniques et
les recensements de l'époque. En 1540 il existait des centaines de milliers de
bovins et en 1568 au moment de l'"âge d'or", le troupeau culmina à environ
400 000 têtes (Gilbermejo, 1983).
VI - Les abandons ou "dévastations"de 1606
En 1606, par ordre du Gouverneur de Saint-Domingue, Antonio Osorio
alla expulser les populations de Montecristi, Puerto Plata, Bayaji et Yaguana,
épisode qui est connu à Saint-Domingue sous l'expression de "dévasrations d'
Osorio". Avec les gens de Montecristi et de Puerto Plata, Osorio fonda Monte
Plata et avec ceux de Bayaji et deYaguana, la nouvelle ville de Bayaguana, toutes
deux au nord de la savane de Guabatico. Ces villes furent reliées à Higüey et
Sabana Grande, Boya Cotui par une nouvelle route au centre de laquelle fut créé
un nouvel hato pour le troupeau du Roi devenu plus tard Hato Mayor del Rey.
Au moment du recensement de 1606 à cause des "dévastations" il ne
restait dans le pays que 189 hatos et 110 000 têtes (Bosch, 1988). Cela
représentait un total de 1 127 familles, 5 000 à 6 000 personnes, auxquelles il
faut ajouter les esclaves (près de 10 000).
En 1608 le nouveau président, Don Ger6nimo de Sandoval, demanda un
nouveau recensement qui montra une nouvelle perte de 61 hatos et de 24 000
bovins. Deux autres recensements, l'un en 1743, l'autre en 1772 donnèrent
respectivement 112 098 et 271 000 têtes de bétail (Sevilla, 1981). La différence
entre les deux s'explique surtout par de fausses déclarations ou des omissions
lors du premier recensement.
La crise de 1606 fut surmontée au cours du XVIII' siècle si bien que l'influence de la "société hatera" perdura jusqu'à la moitié du XIX' siècle. Son
apogée coïncida avec l'accès à la présidence de la République de Pedro
Santana, un "hatero" d' El Seybo devenu général lors de la guerre
d'Indépendance contre Haïti (1844). Dès lors la prépondérance des idées conservatrices, de l'élevage et de l'exploitation forestière et en fait du Sud sur le
Nord, allait durer jusqu'au rattachement volontaire à l'Espagne en 1861.
Ensuite la "société hntera" allait perdre de sa superbe.
Cependant on peut penser que son impact sur le milieu naturel n'a pas
été très important car la population de la ville de Saint-Domingue ne dépassait
pas 5 000 habitants au XVII' siècle pour un total de seulement 300 hntos pour
le pays.
a) Ecosystème de la Plaine Orientale à l'Holocène (6 000 BP)
Colline de la
Media Cara
b) XIVeet XV' siècles : Occupation du milieu naturel par des groupes humains de la culture taina
Incendies de savane pour la chasse
aux petits mamifères
- Développement d'indurations et rubéfaction des sols
pour établir des villages à grandes
places cérémoniales
Culture du manioc en périphérie
par oxydation des profils
-Augmentation de l'érosion laminaire
- Inactivité de la matière organique par mélanisation
* Disparition de la "hojarasca"
Diminution de la faune édophique
'Pertes en N et K
Baisse du pH et acidification
600 m
300 m
S
"""""""""""""""""""""""""""""""""""".
Om
""""""".
Figure 2 - Evolution écodynamique le long du transect de la Media Cara de l'Holocène (a) au XVesiècle
c) 1493-1844 : Développement de la colonisation espagnole
Elevage (Hatos ganaderos)
(Surpâturage)
Compactage des horizons superficiels du sol
Pertes de porosité
"Apparition d'encroûtements superficiels
* Baisse du pH et acidification
Colline de la Media Cara
""""""""""""""""""""""""""""""""~""""""""""u"""""
" " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " W " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " " ~
d) 1844.1 998 : Indépendance et développement de la République Dominicaine
Culture de la canne à sucre
1
Déforestation pour agrandir
les superficies cultivables
canne après la récolte
les inondations
l I
Déforestation pour l'exploitation
des bois nobles tropicaux
Colline de la Media Cara
. .. . . .. .. .. . .. .. . .. ... .... . ..
-
.. , .. , .
. . ., ,
., ,, , ., ,...., . ., .. ., , .,
Figure 3 Evolution écodynamique le long du transect de la Media Cara entre le X V siècle (c) et 1998 (d)
Z
LES SAVANES D E LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
-
VI1 Les grandes propriétés d'élevage au XX'siècle.
Les hntos actuels sont sous le contrôle de grands propriétaires éleveurs
qui exploitent toujours sous une forme extensive. Du hato colonial et de sa
structure territoriale et sociale, il ne subsiste plus que le nom et un grand
pouvoir car l'influence des grands propriétaires subsiste.
Selon le recensement agraire de 1982 il existait à cette date 16 2 19 haros
répartis majoritairement dans les provinces de San Cristobal (2 43 l), La Vega
(1 294), Distrito Nacional ( 1 282), San Juan (1 054), El Seybo (942), Duarte
(922) et Peravia (901). Cela correspond aux aires traditionnelles d'élevage
depuis la colonisation : les alentours de Saint-Domingue, la Plaine Orientale, la
Dépression Centrale et la Vega Real dans la Dépression Septentrionale. Le
troupeau était de 59 000 têtes dont la moitié dans les provinces ci-dessus
nommées, le pourcentage le plus élevé étant dans les provinces de Santiago et
de Duarte. Cependant la répartition est très inégale avec des Izatos de 3 à 5
bovins et d'autres où la centaine est dépassée (fig. 2).
D'un total de 42 560 000 tareas' de surface en exploitation, 1 614 000
(environ 1 0 15 km2)soit 4%, sont des pâtures qui se décomposent en savanes
2
2
naturelles (577 km ) ou entretenues et cultivées (438 km ). Ces données
montrent bien que l'élevage ne pèse plus d'un très grand poids dans
l'économie du pays (fig. 3).
La charge bovine la plus élevée est détenue par le Distrito Nacional avec
1,5 bêtelha ce qui montre le caractère extensif toujours prévalent. L'ouest de la
Dépression Septentrionale, le Distrito Nacional et l'est de la Plaine Orientale
sont les régions où la marque de l'élevage est la plus importante. La gestion des
terrains est très variable : certains sont bien entretenus et reçoivent des
injections de capitaux, d'autres n'utilisent que les parcours naturels en savane.
Les parcours naturels sont constitués essentiellement de pajon lzaitinno ou
pangolilla (= chaume haïtien) et de chiendent. Ils peuvent également être
bonifiés par des introductions telles que estrella africana (Cyizodon nelnzefirensis), pangola (Digitaria decumbens), guinea (Panicum maxinzunz), napier
(Pennisetum purpureum) et Braquaria sp.. Ces parcours améliorés ont permis
d'augmenter de 30% la production de lait et de viande (Martinez, 1990) car
leur apport en protéines est supérieur. Mais en fait il y a peu de fermes
d'élevage qui cherchent à améliorer les pâturages (Vargas, 199 1 ).
5 - Les espèces d'arbres les plus fréquentes sur les terrains de pâtiires sont les suivants:
Albiziri lebheck, Ctr.ssicrfi.stirlri. Cassin grondis. Crescerttin crrjete, Be1orii.r regin. Enterolohirrrn cyclocnrl~irrn.Ef.vrhrirltr pocp/~i~,yirrnrr,
Gllri-idicin sepium. Gunziirrta rtlnzifolio, Mnir,y<fern indicci, Moringu
oleifern, Snrrroirecr S ~ I I ~ I U ISp(ithodea
I,
cnmpanulo, Spondin pirrprr,~cr.Trernn cloinir~gueitsis,Treintr niicr~ctnthn, et Trerria Itirrinrrkit~n~r.
dans les zones humides, et Prirkin rouhrrrgltii, Prosol,is jrrliflnr~r,et Trrmtir~irtt1ir.s
iridicn . dans les zones sèches.
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
Les pâturages améliorés sont l'objet d'une gestion particulière qui
consiste en une coupe et un labour léger de la terre. Puis on laisse le terrain
reposer une quinzaine de jours pour que germent les semences, puis on
désherbe au moins deux fois, avec 15 jours de repos entre les deux opérations.
Ce n'est qu'ensuite que l'on fertilise la terre avec des engrais, et que l'on sème
des graminées dans des sillons espacés d'un mètre. Cette opération s'effectue
en pleine saison des pluies (mai-octobre) pour profiter de l'humidité de la terre.
Deux mois plus tard, les parcours peuvent être pâturés (Martinez, 1990). Plus
le fourrage a de feuilles, plus le bétail absorbera de calcium, phosphore, potassium et magnésium. C'est pourquoi l'on cherche à favoriser la feuillaison au
détriment des tiges (Caro-Costas, 1990). On peut aussi recourir à des
épandages de chaux (environ 5 tlha) pour réguler l'acidité des sols.
La rotation des pâtures est une façon d'éviter leur épuisement.
Généralement il faut deux à trois semaines de repos pendant la saison des
pluies ce qui permet une bonne repousse, et près d'un mois en saison sèche. Le
problème du surpâturage en saison sèche peut trouver une solution dans la mise
en culture de la canne à sucre, la fenaison ou tout simplement la mise à l'écart
du troupeau (Vargas, 1991). La rotation permet en définitive une plus grande
charge animale. Le non-respect de ces pauses aboutit à une diminution des
réserves racinaires, notamment en hydrates de carbone, et à une grande sensibilité des terrains à la sécheresse et à l'invasion par des mauvaises herbes, ce
qui diminue les rendements et la qualité de la production (Caro-Costas, 1990).
Les techniciens du pays recommandent l'observation des règles
suivantes (Vargas, 1991) :
- mettre les bêtes sur la prairie lorsque les herbes sont à leur optimum de
croissance ;
- respecter les habitudes du troupeau qui paît entre 5 et 10 heures du
matin puis de 16 à 20 heures l'après-midi ;
- respecter le temps de repos entre un lieu de pâture ensemencé d'une
façon et un autre portant d'autres graminées ;
- le temps passé dans un lieu de pâture ne doit pas excéder 3 jours ;
- s'assurer de la possibilité d'abreuver le troupeau (environ de 120 à
170 llvache) en eau saine ;
- disposer de suffisamment de lieux ombragés (avec des arbres )
La modernisation des hatos a amené la division et l'isolement des
propriétés par des haies vives de Pitheceliobiurn dulce, Hura crepitnns,
Gliricidia sepiun1 (pin cubain), et Haematoxylon cainpechiarturn.Ces clôtures,
à Saint-Domingue, ne doivent être ni en pierres sèches ni en palissades (loi
284/85), mais en végétaux vivants.
Cependant, aujourd'hui le troupeau de Saint Domingue n'est plus seulement bovin. Il existe également un grand nombre de chèvres (72 000 têtes),
i
LES SAVANES DE LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
notamment dans la province de Sanchez Ramirez (21 450 têtes), parcourant les
différents milieux du pays. Ce troupeau caprin est en extension car il représente
une alternative économique intéressante même si les animaux, que l'on laisse en
liberté, causent davantage de dégâts au milieu naturel. Les autres troupeaux
d'importance sont ceux des chevaux (près de 16 000 têtes) et des ovins (2 700).
Le hato ganadero, inscrit dans le paysage des savanes arborées de la
République de Saint-Domingue, a été au cours de l'histoire la principale structure socio-kconomique de l'île depuis la colonisation espagnole, et ce jusqu'au
début du XXe siècle. La dominante de l'élevage a été ensuite concui-rencée et
supplantée par celle de la culture de la canne à sucre, en particulier dans la
Plaine Orientale où se trouvaient les fermes d'élevage les plus importantes. La
toponymie du pays abonde en termes évoquant cette emprise (Hato Mayor del
Rey, Hato Grande, Hato Viejo, etc.) comme ceux qui font référence aux
savanes : Sabana de la Mar, Sabana Buey, Sabana Grande, Sabana de Boya,
Sabaneta, etc.
L'étude de ces savanes a permis d'établir les relations existant entre
l'homme et le milieu de savane, de même que les impacts qui en ont découlé et
qui, en définitive, ont établi le maintien d'un équilibre sur près de 4 siècles. Il
n'a été rompu que par le développement de l'économie de plantation (canne à
sucre, tabac, caféiers, cacaoyers) amenant corollairement un bouleversement
des structures socio-économiques du pays.
Aujourd'hui, si l'élevage continue à représenter un volet important de
l'économie du pays, il n'est plus l'axe central de son économie ni sa principale
source de devises. Le relais a été pris par le tourisme (en plein essor) car
l'économie de plantation, insuffisamment modernisée, a subi à son tour les
secousses du marché et de la chute des prix.
ANNEXES
Espèces rencontrées dans les savanes arborées de la République
Dominicaine (noms vernaculaires et scientifiques).
a - Savane arborée à boisement mésophile.
- Arbres :
Acacia scleroxyla, Ateramnus lucidus, Bumelia ohovata, Burnelia
salicifolia, Bursera sirnaruba (almacigo), Bucida buceras (gri-gri), Canella
winterana, Cassia grandis (canafistula cimarrona), Catalpa longissima,
Coccoloba diversifolia (uvero), Coccoloba pubescens (hoja ancha),
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
Crescentia cujete (higüero), Erythroxylonareolatum., Eugenia sp., Genipa
americana, Guaiacum sanctum, Guazuma ulmifolia (guicima),
Krugiodendron ferreum, Lonchocarpus domingensis, Mastichodendroi?
foetidissimum, Metopium toxiferum, Metopium brownei, Plumeria obtusa,
Oxandra lanceolata, Peltophorum berteroantrm (abey), Pithecellobium dulce
Cjina), Roystonea hispaniolaiza (palma real), Simarouba glauca, Swietenia
inahagoni (caoba), Tabebuia berterii (roble), Tabebuia ekmanii (botoncillo
cimarron), Tabebuia acrophylla (paragua) y Tetragastris balsamifera.
- Herbacées :
Chamaesyce berteriana, Clzamaesyce hypericifolia, Chamae.~yce
hyp.ssopifolia, Chamaesyce serpens (toutes les espèces de Chamaesyce sont
connues comme "herbes à poulets"), Eupatorium microstemon, Justicia
pectoralis, Ludwigia leptocarpa (yerba hicotea), Ludvvigia octovalvis,
Ludwigia peruviana, Panicum xalapense (pachuli de sabana), Panicum
adpersuliz (arrocillo), Panicum fascicullatum (yerba de indio), Panicum
reptans, Panicuin trichoides (ilusion), Panicum zizanioides (carice),
Paspalum coizjugatum (cafiamazo), Paspaluinfimbriatum (yerba peluda),
Paspalum liizdenianum (pajon), Paspalum notatum (yerba bahia), Paspalunz
virgafunz (yerba novillo), Paspalum millegrama (pajon), Pilea nummularifolia, Pilea repens (las dos ultimas llamadas yerba buena cimarrona),
Rorippa portoricensis (yerba de invierno), Salvia occidentalis, Setaria
geniculata (pajon blanco), Sporobolus domingensis (yerba de elefante),
Spoi-obol~~s
indicus (pojun), Verbesina domingensis, Wedelia trilobara,
Wedelia gracilis.
b. - Savane arborée à boisement tropophile
- Arbres :
Byrsoniina lucida, Cameraria linearifolia, Capparis mynophallophora,
Capparis ferruginea, Casia emargii~ata,Coccoloba pubescens (hoja ancha),
Coccothrinax argentea (palma de guano ou yarey), Comocladiu clodonaea,
Coperiiicia berteronna, Croton sp., Guaiacum officinale (guayacin),
Guaiacum sacrum (guayacancillo), G ~ ~ a p i rtrevipetiolulata,
c~
Haitiella
ekmanii, Lonc11ocarpu.s pycnophyllus, Maytenus buxifolia, Phyllostylon
brasiliense, Plumeria subses.silis, Saba1 umhrac~~lifera
(palma cana),
Taheh~liaostenfeldi, Thoucnidium inaequilaterum, Ziziplzus rignoni, et
Prosopis jul[jlora (cambron) et Lemaireocereus hysrrix (cayuco) en secteurs
dégradés.
Ab~~tilonamericanum, Abutilon hirtum, Ageratunz coi~yzoides,
Alternanthera pungens, Andropogon bicornis (rabo de mulo, pajon haitiano).
-'b
LES SAVANES DE LA REPUBLIQUE DOMINICAINE
Andropogon glomeratus (paj6n de laderas), Andropogon gracilis (maicoté),
Aizdropogon leucostachys, Andropogon pertusus (paj6n haitiano),
Andropogon sacclzaroides, Andropogon urbanianus (yerba cayé), Aizdropogon
virgatus (pajon), Bastardia viscosa, Chamaesyce prostrata, Corchorus hirtus,
Croton sidifolius, Crysaizthellum ame- ricanum,Cynodon dactylon, Digitaria
decumbens (hierba pangola), Gouanin lupuloides, Hyptis americana, Hyptis
escohilla, Malvastrum nmericanum, Malvastrum coromandelianum,
Malvastrum corchorifoli~im,Parthenium hysterophorus, Paspaluin distortum,
Paspaluni filiforme, Paspalum Izeterotrichum, Paspcilum .secans, Securidcica
virgata (yerba maravedi), Setaria tenacis.sima, Sida spinosa, Sida ciliaris, Sida
cordifolia, Sida acuta, Sollanum americanum, Sporohulus jacquemontii
(Maicoté de sabana, paj6n haitiano), Sporobolus cuhensis, Sporobolus
purpurascens, Sporobolus pyramidatus, Sporobolus tenuissimus, Sporoholus
sirgiizicu.~,Stylosanthes hamnta, Trichachne insularis (rabo de zorra) y
Waltheria americana.
Ré.siimé: Les savanes de la République Dominicaine prennent toute leur extension
dans la Plaine Orientale Caraïbe, où l'élevage est pratiqué de façon traditionnelle
depuis les débuts de la colonisation espagnole. Le terme même de savane est originaire
de ce pays. Ce milieu naturel, sous ses différentes variantes, herbeuse, arborée et
boisée, et en relation avec les actions anthropiques, a marqué l'histoire du pays lors des
cinq siècles passés. Aujourd'hui encore la savane constitue une entité importante, bien
que moindre que dans le passé, de l'économie du pays.
Resumen : Las savanas de la Republica Domicana y su explotaciuii por el sistema de
los "Hatos". Las sabana.~de Repdblicn Dominicana tienen su nzdxima expresibn en la
Llaniircr Oriental de Caribe, donde la garîaderia se prcrctica de fornza tradicioncrl
desde los inicios de lu colonizacibn e.spafiola. u1presencia cle .sabanas E I I este paiv es
un dato que crirrzque desconocido no es ajeno ni et su realiclcrcl izi al propio origen de la
palabra sabaiîa. Lu presencia de este medio nat~rralen sus cliferentes tipolngias cle
lîerbdcea, arbolarfa y forestal con sus respectivas acciones cle antropizaci(in lian
mcrrcado In historia clel pais en los Liltinîos 500 atïo.s J auil hoy es iina realidad
inzportctiite, airnque rzofirnclnrnental conio en el pasado, de la ecoiiomia clel pais.
Mots-clés : dégradation, économie coloniale, élevage, végétation inésophile, végétation tropophile, Saint-Domingue.
Palabras clave : devastaciones, economia colonial, gmzaderia, haro, rnes4fïlo, sabana,
Santo-Doiningo, trol)bfilo.
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
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