Traitement diététique de l`insuffisance rénale chronique féline
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Traitement diététique de l`insuffisance rénale chronique féline
Fermez cette fenêtre pour retourner sur IVIS Encyclopédie de la Nutrition Clinique Féline Pascale Pibot DMV, Responsable des Éditions Scientifiques, Communication, Groupe Royal Canin Vincent Biourge Denise Elliott DMV, PhD, Dipl. ACVN, Dipl. ECVCN Directeur Scientifique Nutrition-Santé pour le Centre de Recherche Royal Canin BVSc (Hons) PhD, Dipl. ACVIM, Dipl. ACVN Directrice Scientifique Royal Canin aux États-Unis Ce livre est reproduit sur le site d'IVIS avec l'autorisation de Royal Canin. IVIS remercie Royal Canin pour son soutien. Jonathan ELLIOTT MA, Vet MB, PhD, Cert SAC, Dipl. ECVPT, MRCVS Denise A. ELLIOTT Reins BVSc (Hons), PhD, Dipl. ACVIM, Dipl. ACVN Traitement diététique de l’insuffisance rénale chronique féline 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251 2. Physiologie rénale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251 3. Stades de la maladie rénale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 4. Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 5. Traitement diététique en phase urémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277 Questions fréquemment posées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280 Informations nutritionnelles Royal Canin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 282 ABRÉVIATIONS UTILISÉES DANS CE CHAPITRE ACVIM : American College of Veterinary Internal Medicine ADH : hormone antidiurétique ADMA : diméthylarginine asymétrique (asymmetric dimethylarginine) AGPI : acide gras polyinsaturé ARP : activité rénine plasmatique ASVNU : American Society for Veterinary Nephrology and Urology DFG : débit de filtration glomérulaire ESVNU : European Society for Veterinary Nephrology and Urology IRC : insuffisance rénale chronique IRIS : International Renal Interest Society KDOQI ™ : Recommandations de la Kidney Disease Outcomes Quality Initiative émises par la National Kidney Foundation LEC : liquide extracellulaire LDL : lipoprotéine de faible poids moléculaire (low density lipoprotein) MCP-1 : protéine chimiotactique des monocytes (monocyte chemoattractant protein-1) NRC : National Research Council PM : poids moléculaire PTH : parathormone RPCU : rapport protéine/créatinine urinaire SRAA : système rénine-angiotensine-aldostérone 249 Traitement diététique de l’insuffisance rénale chronique féline Jonathan ELLIOTT MA, Vet MB, PhD, Cert SAC, Dipl. ECVPT, MRCVS Jonathan Elliott est diplômé de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Cambridge (1985). Après une année d’internat en médecine et chirurgie des petits animaux à la clinique vétérinaire de l’Université de Pennsylvanie, il retourne à Cambridge faire un doctorat (PhD) dans le département de pharmacologie. En 1989, il soutient sa thèse sur la pharmacologie vasculaire. En 1990, il devient chargé de cours en pharmacologie vétérinaire au Royal Veterinary College de Londres, où il est actuellement professeur de pharmacologie vétérinaire clinique. Ses travaux de recherche sont consacrés à l’insuffisance rénale chronique et à l’hypertension chez le chat et à la fourbure chez le cheval. En 2004, il est nommé vice-recteur pour la recherche. Il est Diplomate du European College of Veterinary Pharmacology and Toxicology (ECVPT) et membre du Veterinary Products Committee, qui conseille le gouvernement britannique à propos des autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires. Pour sa contribution à la médecine vétérinaire, en particulier à propos des sujets cités plus haut, Jonathan Elliott a reçu le Pfizer Academic Award en 1998, le Prix Amoroso de la BSAVA (British Small Animal Veterinary Association) en 2001 et le Pet Plan Scientific Award en 2006. Reins Denise A. ELLIOTT BVSc (Hons) PhD Dipl. ACVIM, Dipl. ACVN Denise Elliott obtient son doctorat de Médecine vétérinaire avec mention à la faculté de Médecine vétérinaire de l’Université de Melbourne en 1991. Après un internat en Médecine et Chirurgie des petits animaux à l’Université de Pennsylvanie, Denise effectue un résidanat de Médecine Interne des petits animaux et de Nutrition clinique à l’Université de Davis (Californie). Elle bénéficie d’une bourse universitaire en Médecine rénale et en hémodialyse. Denise devient membre du Collège Américain de Médecine vétérinaire Interne en 1996, et du Collège américain de Nutrition vétérinaire en 2001. Elle obtient son PhD de Nutrition à l’Université de Davis en 2001, pour ses travaux sur l’analyse de l’impédance bioélectrique à multifréquence chez les chats et les chiens en bonne santé. Denise occupe actuellement la fonction de Directrice de la Communication scientifique dans la filiale Royal Canin aux USA. L a prévalence des maladies rénales est très élevée chez les chats âgés, chez qui elle constitue l’une des raisons les plus fréquentes de consultation. Des données épidémiologiques fiables manquent pour l’Europe, mais les données en provenance des États-Unis suggèrent que parmi les chats âgés de plus de 12 ans, un sur trois présente une forme ou une autre d’insuffisance rénale (Lulich et coll, 1992). Une étude portant sur des chats âgés de 9 ans et plus, apparemment en bonne santé et présentant des paramètres biochimiques normaux, recrutés de manière prospective dans des cliniques vétérinaires du centre de Londres, a révèlé l’apparition d’une azotémie (c’est à dire des concentrations plasmatiques de créatinine et/ou d’urée supérieures aux normes de référence) chez environ un tiers des chats en douze mois (Jepson et coll, 2007a). 250 1 - Introduction 1 - Introduction Il existe des processus pathologiques bien connus provoquant des lésions rénales chez le chat et conduisant à une pathologie déterminée. Chez la majorité des chats, lorsque le diagnostic d’insuffisance rénale chronique (IRC) est posé par la mise en évidence d’une azotémie associée à une incapacité des reins à concentrer convenablement les urines (voir section 2 pour un exposé plus approfondi), la maladie sousjacente n’est souvent pas identifiable, même avec une biopsie rénale. Très clairement, ce syndrome n’est pas une entité unique et, si l’on veut progresser en matière de prévention de certaines formes d’IRC chez le chat, il est nécessaire de mieux comprendre les processus pathologiques impliqués. Même après détection d’une azotémie chez un chat présentant des signes cliniques de néphropathie, l’évolution vers le stade où il devient incontournable de compenser le dysfonctionnement rénal (par dialyse ou transplantation) n’est pas obligatoire dans tous les cas. La maladie ne progresse pas à la même rapidité chez tous les chats, ce qui souligne le caractère hétérogène de la pathologie rénale chronique féline. Des progrès ont été récemment réalisés dans l’identification des facteurs de risque de progression et dans l’évaluation des traitements (incluant les facteurs alimentaires) chez les patients en stade clinique par rapport aux statistiques classiques d’espérance de vie. Pour le clinicien, il est utile d’identifier le stade de maladie rénale chez chaque patient félin car ce classement permet d’obtenir de l’information à propos des traitements les plus appropriés et des complications à prévoir, en association avec l’IRC. Le présent chapitre se propose de: 1. présenter les rôles physiologiques du rein qui sont déterminants pour comprendre les mécanismes conduisant à la perte de l’homéostasie lors d’IRC 2. définir le classement des stades de la maladie rénale chez le chat 3. développer la prise en charge de l’IRC, en référence aux objectifs décrits plus haut, et identifier les stades auxquels il est nécessaire de traiter des problèmes particuliers. 2 - Physiologie rénale L’unité fonctionnelle du rein est le néphron (Figure 1). Chez le chat, chacun des reins contient environ 200000 néphrons. Les principaux rôles du rein sont les suivants: • excrétion urinaire des déchets hydrosolubles • homéostasie du volume et de la composition des fluides de l’organisme • fonctions endocrines (production d’érythropoïétine, d’angiotensine II et de calcitriol). FIGURE 1 - REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE D’UN NÉPHRON Tubule proximal Contrôle de la réabsorption de : - 70 % du volume filtré - des acides aminés, du glucose et des protéines filtrées - des phosphates (via la PTH**) Tubule distal Contrôle les concentrations urinaires en : - sodium (via l’aldostérone) - potassium (via l’aldostérone) - calcium (via la PTH**) - ions hydrogène (via l’aldostérone) Capsule de Bowman Anse de Henlé - portion ascendante - portion descendante - Génération d’un gradient médullaire hypertonique (NaCl + urée) - Concentration urinaire Tubule collecteur Contrôle par l’ADH* : - de la perméabilité à l’eau - de la perméabilité à l’urée - l’eau est réabsorbée grâce au gradient hyperosmotique Si le nombre de néphrons diminue, la médulla devient moins concentrée et le flux urinaire augmente. *ADH : hormone antidiurétique **PTH : parathormone Les constituants du néphron sont le glomérule (filtre), le tubule proximal, l’anse de Henlé, le tubule distal et sa portion terminale et le tube collecteur. 251 Reins Une fois que le diagnostic d’IRC est posé, les objectifs diagnostiques et thérapeutiques sont les suivants: 1. identification des facteurs qui affectent la qualité de vie du chat 2. sélection des traitements (médical ou diététique) qui devraient améliorer sa qualité de vie 3. identification des facteurs qui augmentent le risque de progression de la maladie rénale 4. sélection des traitements (médical et/ou diététique) qui pourraient diminuer le risque de progression de la maladie rénale 5. surveillance de la réponse au traitement et adaptation de celuici à chaque cas particulier. 2 - Physiologie rénale Le rein filtre le sang de manière non spécifique de sorte que les composants aqueux du plasma se retrouvent dans l’urine aux mêmes concentrations que dans le plasma. La présence de protéines dans le filtrat urinaire est d’autant plus faible que leur poids moléculaire (PM) est élevé: normalement, très peu de protéines de PM supérieur à 70000 passent la barrière de filtration. Environ 20 % du débit rénal est filtré vers l’urine primitive. Ensuite, 65 à 70 % du filtrat initial est réabsorbé au niveau du tube contourné proximal. Ce mécanisme permet que les substances nécessaires à l’organisme, telles que le glucose et les acides aminés, redeviennent disponibles, tandis que les déchets hydrosolubles, inutiles à l’organisme, restent dans l’urine et sont éliminés. Reins Pour un grand nombre de composants hydrosolubles, comme la créatinine, sous-produit du métabolisme musculaire, le taux d’excrétion dépend du débit de filtration glomérulaire (DFG). Des substances dont le PM est relativement bas sont également transportées activement depuis le plasma vers le filtrat tubulaire. Des transporteurs spécifiques sont capables de sécréter des acides ou des bases organiques depuis les capillaires péritubulaires vers la lumière des tubes contournés proximaux. Il existe de nombreux exemples de tels transporteurs. L’un des mieux connus est capable de sécréter les pénicillines dans le liquide tubulaire. Les pénicillines étant très hydrophiles, elles restent dans l’urine tandis que l'eau est réabsorbée. Ainsi, après l’administration d’une dose standard de pénicilline G à un chat, la concentration urinaire peut être 300 fois plus élevée que la concentration plasmatique. FIGURE 2 - INFLUENCE DU SODIUM ALIMENTAIRE SUR LE VOLUME URINAIRE CHEZ LE CHAT (Biourge et coll, 2001) Aliment témoin Aliment enrichi en sodium * Moyenne ± écart-type 25 Volume urinaire (mL/kg/jour) *20 ± 7 20 15 *11 ± 5 10 5 0 L’aliment témoin contient 1,1 g de sodium pour 1000 kcal et le régime étudié en contient 2,5 g/1000 kcal. Cette étude montre qu’une consommation importante de sodium augmente la diurèse (différence significative : p<0,05) : le volume urinaire est pratiquement doublé avec un aliment sec (4000 kcal/kg) contenant 1 % de sodium comparé avec un aliment à 0,4 % de sodium. 252 Tandis que cette première partie du néphron (tube contourné proximal) est chargée de faire retourner les plus grosses molécules et les électrolytes vers le plasma, les sections suivantes sont chargées d’affiner le contrôle de la composition urinaire. L’anse de Henlé est impliquée dans l’obtention d’un gradient de concentration en captant le chlorure de sodium et l’urée dans le tissu interstitiel du rein. Cette fonction est assurée par un système amplificateur à contre-courant: la partie descendante de l’anse de Henlé est imperméable au chlorure de sodium mais perméable à l’eau tandis que la partie ascendante de l’anse, plus épaisse, est imperméable à l’eau et transporte activement du chlorure de sodium vers le tissu médullaire interstitiel. Le chat est parfaitement adapté à la production d’une urine concentrée car une large proportion de ses néphrons possède une anse de Henlé très longue. Le chat est capable de produire de l’urine d’une densité supérieure à 1080 et la capacité maximale de concentration n’a pas encore été mesurée chez cet animal. Cela signifie que le chat peut vivre avec très peu d’eau et lorsqu’il est nourri avec un aliment humide, il n’a pas besoin de boire beaucoup puisque l’eau contenue dans l’aliment est souvent suffisante. La capacité de produire une urine concentrée et, par conséquent, d’économiser l’eau, dépend fortement du nombre de néphrons fonctionnels disponibles pour créer un gradient de concentration du chlorure de sodium au niveau de l’interstitium médullaire. Chez le chat, le sodium alimentaire (chlorure de sodium) et l’eau contenue dans les aliments sont très efficaces pour stimuler la consommation d’eau et la diurèse (Burger et coll, 1980). Une diurèse accrue favorise la dilution de l’urine (Figure 2). Le contrôle fin de la composition urinaire est assuré par les dernières parties du néphron. L’urine primitive présente dans l’anse de Henlé doit être hypotonique (par rapport au plasma) lorsqu’elle arrive dans le tubule collecteur cortical. En effet, l’excrétion du chlorure de sodium est plus importante que celle de l’eau. Ce processus se poursuit au niveau de la première partie du tube distal, où la réabsorption du sodium se fait indépendamment de la réabsorption d’eau. Dans la dernière partie du tubule distal, la réabsorption du sodium est contrôlée par l’aldostérone, hormone tendant à retenir le sodium. La composition ionique du liquide tubulaire (calcium, hydrogène et potassium) est également sous contrôle hormonal (parathormone [PTH], aldostérone) au niveau du tube distal et du tubule collecteur cortical (également appelé partie terminale du tube distal). Les dernières parties du tubule collecteur cortical et les tubes collecteurs sont eux sensibles à l'action de l’hormone anti-diurétique (ADH), qui contrôle la perméabilité à l’eau et à l’urée. La sécrétion d’ADH par l’hypophyse est régulée par l’osmolalité du plasma et la prévention de la déshydratation est assurée par le rein, qui réduit au minimum les pertes d’eau en concentrant l’urine au maximum lorsque c’est nécessaire. Il est important de garder à l’esprit, pour interpréter les données cliniques de laboratoire concernant les chats, que la composition urinaire est très variable. Physiologiquement, le rein est capable d’in- La composition du régime alimentaire est importante pour maintenir l’homéostasie chez le chat atteint d’IRC et permet d’améliorer sa qualité de vie. Dans certains cas, les mesures diététiques peuvent prévenir la progression de l’IRC vers le stade où il serait nécessaire de passer à un traitement de substitution rénale. Le paragraphe suivant traite des différents stades de l’IRC et présente les facteurs intrinsèques et extrinsèques susceptibles d’influencer l’évolution de la maladie. Les sections ultérieures discutent des niveaux d’apports optimaux pour les différents composants de l’alimentation des chats atteints d’IRC et exposent, pour chaque stade de la maladie, les justifications des modifications alimentaires éventuelles. FIGURE 3 - RELATION ENTRE LÉSION RÉNALE, PERTE DE NÉPHRONS, ADAPTATIONS RÉNALES COMPENSATOIRES ET PROGRESSION DE L’INSUFFISANCE RÉNALE Réduction du nombre de néphrons Lésion rénale Signes cliniques (ex : PU/PD) La concentration plasmatique de la créatinine est une fonction exponentielle inverse du DFG, critère de choix pour évaluer la masse rénale fonctionnelle. Actuellement, les méthodes pratiques de mesure du DFG utilisables chez le chat dans le cadre d’une clientèle vétérinaire généraliste ne sont pas encore disponibles. Elles le deviendront cependant à plus ou moins brève échéance et le DFG remplacera la concentration plasmatique de la créatine pour l’évaluation du stade de l’IRC (Le Garreres et coll, 2007) (Figure 4). Hypertrophie et hyperfiltration des néphrons survivants Les modifications compensatoires limitent l’évolution clinique de la maladie jusqu’à ce que les lésions structurelles et fonctionnelles dépassent un seuil au-delà duquel apparaissent les signes cliniques. Il faut dépasser ce seuil critique pour voir la maladie rénale chronique évoluer vers l’insuffisance rénale terminale. FIGURE 4 - CINÉTIQUE D'ÉLIMINATION DE LA CRÉATININE PLASMATIQUE APRÈS ADMINISTRATION INTRAVEINEUSE DE CRÉATININE EXOGÈNE CHEZ DEUX CHATS (dose: 40 mg/kg poids) D’après B. Reynolds (École Nationale Vétérinaire de Toulouse) Plasma creatinine-basal value (µmol/L) Le classement repose d’abord sur le dosage de la créatinine plasmatique. Les membres de l’IRIS sont conscients des limites de cette approche. En effet, la concentration plasmatique de la créatinine est influencée par différents facteurs, à savoir: • la masse musculaire • l’état d’hydratation • le régime alimentaire. Lésions glomérulaires et tubulointerstitielles Mort Perte de capacité de compensation fonctionnelle 3 - Stades de la maladie rénale L’International Renal Interest Society (IRIS) a proposé une classification générale de l’IRC du chat (et du chien); elle a été approuvée par l’American et l’European Societies for Veterinary Nephrology and Urology (ASVNU et l’ESVNU). Le classement s’effectue après que le diagnostic d’IRC a été posé, à partir des résultats cliniques et des analyses de laboratoire. L’évaluation du stade de l’IRC n’est possible que lorsque le patient est stable et non pas en phase d’évolution aiguë, qui nécessite alors une intervention thérapeutique pour prévenir l’apparition de la crise urémique. Syndrome urémique Réduction progressive du débit de filtration glomérulaire Reins Dans l’IRC, comme la fonction rénale se détériore (le nombre de néphrons fonctionnels va en diminuant), les mécanismes homéostatiques peinent à maintenir les équilibres liquidiens, électrolytiques et minéraux à cause d’au moins un des éléments suivants: • les pertes rénales sont limitées à cause de la réduction de la masse rénale (excrétion limitée) • le débit tubulaire est augmenté dans les néphrons fonctionnels subsistants, ce qui rend plus difficile le contrôle de la composition urinaire car ce débit est trop rapide dans les dernières parties du néphron (hyperfiltration) • les mécanismes compensatoires deviennent contre-productifs avec aggravation des déséquilibres électrolytique et minéral. (Figure 3) 3 - Stades de la maladie rénale fluencer la composition de l’urine afin d’assurer l’homéostasie et l’équilibre de l’équation suivante pour chaque substance concernée: Ingéré = Pertes extra rénales + Pertes rénales. 2500 Chat 1 Chat 2 2000 1500 1000 500 0 0 60 120 180 240 300 360 Temps (min) La clairance respective de la créatininémie (reflet du DFG) est de 2,6 et 1,3 mL/min/kg pour les chats 1 et 2. Le chat 1 (chat européen de 5 ans, 6,1 kg) est atteint de maladie rénale polykystique, diagnostiquée de manière fortuite lors d’un examen échographique de l’abdomen. A ce stade, la créatininémie est de 158 µmol/L (1,79 mg/dL). La mesure du DFG permet de considérer la fonction rénale comme normale. Le chat 2 (chat européen de 9 mois, 2,6 kg) présente un syndrome polyurie-polydipsie sévère. L’échographie révèle des anomalies des deux reins. A ce stade, la créatininémie est de 152 µmol/L (1,72 mg/dL). La mesure du DFG met en évidence un fonctionnement rénal perturbé qui implique la mise en place de mesures diététiques appropriées. Ces deux exemples illustrent l'influence de la masse musculaire sur la créatinine plasmatique quand ce paramètre est utilisé comme indicateur de la fonction rénale. 253 3 - Stades de la maladie rénale TABLEAU 1 - CLASSEMENT DE L’INTERNATIONAL RENAL INTEREST SOCIETY (IRIS) DES STADES DE L’INSUFFISANCE RÉNALE CHRONIQUE CHEZ LE CHAT, BASÉ SUR LA CRÉATININE PLASMATIQUE Stade Créatinine* Commentaire < 140 µmol/L (< 1,6 mg/dL) Pas d’azotémie Présence d’autres anomalies rénales telles que : concentration urinaire insuffisante sans cause extrarénale identifiable ; palpation des reins anormale ; images rénales anormales ; protéinurie d’origine rénale ; biopsie rénale anormale ; augmentation de la créatininémie sur plusieurs prélèvements II 140-249 µmol/L (1,6-2,8 mg/dL) Azotémie rénale peu élevée. La partie inférieure de la plage se situe dans les limites de la normale pour un grand nombre de laboratoires mais l’insensibilité de la créatinine comme test de dépistage signifie que dans les cas de valeur à la limite supérieure de la normale, souvent l’excrétion est insuffisante. Signes cliniques habituellement peu importants, voire absents III 250-439 µmol/L (2,8-5,0 mg/dL) Azotémie rénale modérée Possibilité de nombreux signes cliniques extra-rénaux IV > 440 µmol/L (> 5,0 mg/dL) Azotémie rénale sévère Nombreux signes cliniques extra-rénaux habituellement présents I Reins *Pour la conversion en mg/dL, diviser par 88,4 Le Tableau 1 décrit le système de classement basé sur la créatininémie. La principale difficulté à laquelle les vétérinaires sont confrontés réside dans la détection de la maladie rénale avant le stade d’azotémie (stade I et début du stade II). En médecine vétérinaire, le diagnostic d’IRC est classiquement posé face à une créatininémie chroniquement élevée, associée à une densité urinaire relativement faible (le degré de dilution des urines est souvent incohérent par rapport à l’état d’hydratation). Souvent à ce stade (fin du stade II jusqu’au stade IV), il n’est plus possible de découvrir l’étiologie de la maladie rénale, même avec une biopsie du rein et la cause sousjacente de la maladie rénale ne peut donc plus être traitée. Chez le chat d’âge mûr (à partir de 8 ans), il faut procéder systématiquement à un dépistage de routine d’un dysfonctionnement rénal, par un dosage annuel de la créatininémie (et éventuellement par la mesure du DFG). Ainsi, les chances de détection d’un début d’IRC sont améliorées ainsi que la possibilité éventuelle de traitement du processus pathologique initial. La maladie rénale évolue sans doute selon trois mécanismes fondamentaux. 1. Récidives successives du processus pathologique initial entraînant une aggravation des lésions et une perte de néphrons fonctionnels. 2. Inadaptation des mécanismes homéostasiques intrinsèques du rein, conduisant à l’hypertension, à l’hyperfiltration et à l’hypertrophie glomérulaire, probablement par l’activation locale du système rénine-angiotensine (SRAA). L’apparition d’une protéinurie de plus en plus importante pourrait être un signe indicateur de ce processus. Il existe des données indiquant qu’un excès de protéines filtrées pourrait léser les tubules rénaux et contribuer à la progression des lésions rénales. 3. Inadaptation des mécanismes homéostasiques extrinsèques du rein, conduisant à une diminution de la fonction rénale qui peut à son tour engendrer des conséquences négatives sur les néphrons fonctionnels subsistants : • hyperphosphatémie, hyperparathyroïdie et néphrocalcinose • hypertension artérielle systémique due à une incapacité de réguler le volume des liquides extracellulaires. Le rein malade perd progressivement sa capacité d’autorégulation et d’autoprotection contre l’hypertension artérielle systémique, ce qui peut conduire à des lésions rénales hypertensives. Comme mentionné plus haut, l’IRC ne progresse pas chez tous les chats de la même manière. Dans certains cas, elle se stabilise au stade II ou III et l’animal peut très bien décéder plus tard d’une autre affection. Dans d’autres cas, l’IRC évolue jusqu’au stade IV et l’IRC devient fatale. Deux types d’évolution au moins sont possibles: • une progression par paliers avec décompensation soudaine de la fonction rénale provoquant une crise urémique • une progression linéaire constante avec augmentation régulière de la créatinine plasmatique. Lorsque l’IRC apparaît spontanément chez le chat, c’est l’évolution par paliers qui est la plus fréquemment observée (Elliott et coll, 2003b; Ross et coll, 2006). Les données obtenues chez d’autres espèces montrent clairement que les principaux facteurs de risque de progression rapide de l’IRC sont la protéinurie et l’hypertension artérielle systémique. Aussi, le classement proposé par l’IRIS suppose-t-il une subdivision des stades de l’IRC en fonction du rapport pro- 254 Le classement des cas à partir du RPCU implique que la protéinurie soit uniquement d’origine rénale. Avant de le mettre en œuvre, il est nécessaire d’exclure les causes pré-rénales et post-rénales (Lees et coll, 2005). La détermination du RPCU impose donc préalablement de réaliser une analyse complète des urines et de faire un examen microscopique du sédiment urinaire afin de s’assurer de l’absence d’inflammation au niveau des voies urinaires basses. Le Tableau 3 présente le système de subdivision IRIS à partir de la pression artérielle systémique. Les membres du groupe IRIS reconnaissent qu’il n’existe pas de méthode standardisée de mesure de la pression artérielle chez le chat. Celle que nous utilisons est la méthode Doppler, qui ne mesure que la pression systolique. L’évaluation n’est pas possible avec des mesures faites lors d’une seule consultation. Il faut au moins deux visites pour évaluer la pression artérielle, à moins qu'il n’existe des signes clairs de lésion d’un organe cible (voir plus haut), auquel cas un traitement antihypertenseur spécifique peut être indiqué. TABLEAU 2 SOUS-CLASSEMENT DE L’IRC EN FONCTION DU RAPPORT PROTÉINE / CRÉATININE URINAIRE (RPCU) RPCU* Interprétation < 0,2 Pas de protéinurie 0,2 à 0,4 Protéinurie limite > 0,4 Protéinurie 3 - Stades de la maladie rénale téine/créatinine urinaire (RPCU) et de la pression artérielle systémique. Des résultats récents indiquent que le RPCU est un facteur de risque indépendant pour toute cause de mortalité chez le chat présentant une IRC (Syme et coll, 2006) ou une hypertension systémique (Jepson et coll, 2007b). Le Tableau 2 présente la subdivision proposée par IRIS à partir du RPCU. * Calculé en utilisant les unités de masse TABLEAU 3 - SOUS-CLASSEMENT DE L’IRC EN FONCTION Risque Minime [N] (No) Faible [L] Modéré [M] Élevé [H] Pression artérielle systolique (mm Hg) < 150 150-159 160-179 ≥ 180 Pression artérielle diastolique (mm Hg) Classement selon les signes de complications extrarénales * < 95 - Risque minime ou absence de risque de lésion de l’organe cible. - Il est très improbable qu’il y ait des signes de lésion extrarénale à ce stade. 95-99 - Faible risque de lésion de l’organe cible. - En absence de complication extrarénale visible [Lnc]. - En présence de complication extrarénale visible [Lc] 100-119 - Risque modéré de lésion de l’organe cible - En absence de complication extrarénale visible [Mnc] - En présence de complication extrarénale visible [Mc] ≥ 120 - Risque élevé de lésion de l’organe cible - En absence de complication extrarénale visible [Hnc] - En présence de complication extrarénale visible [Hc] Reins DE LA PRESSION ARTÉRIELLE nc : absence de complications extrarénales c : complications extrarénales détectées. * Parmi les complications extrarénales, citons : - Hypertrophie ventriculaire gauche concentrique en absence de problème cardiaque structurel ou valvulaire identifié - Anomalies oculaires compatibles avec une lésion due à l’hypertension telles que l’hyphéma ou la rétinopathie hypertensive - Signes neurologiques : absence de réactivité, léthargie, convulsions. 255 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique De nombreux aliments existent pour aider à prendre en charge l’IRC féline. La formulation de ces aliments diffère à plusieurs égards des aliments habituels d’entretien des chats adultes. - En introduisant des modifications du régime alimentaire au stade II ou III d’une IRC, l’objectif est principalement de jouer sur les facteurs susceptibles de contribuer à la progression des lésions rénales et à la perte continue de néphrons fonctionnels. Ce paragraphe passe en revue les justifications des modifications proposées concernant les différents apports nutritionnels et présente les données publiées à propos de l’efficacité du traitement dans le ralentissement de la progression de la maladie rénale. - De la fin du stade II au stade IV, les signes cliniques du syndrome urémique sont évidents et le traitement alimentaire vise plus à améliorer la qualité de vie du chat qu’à ralentir la progression de la maladie. La 5e partie traitera de l’approche et de l’utilisation des régimes à visée rénale ainsi que des suppléments indiqués lors de syndrome urémique. Restriction du phosphore et prise en charge de l’hyperparathyroïdie secondaire d’origine rénale FIGURE 5 - EFFETS DE LA PARATHORMONE (PTH) SUR L’HOMÉOSTASIE DU CALCIUM ET SES EFFETS SUR TROIS ORGANES CIBLES : LE SQUELETTE, LE REIN ET LE TUBE DIGESTIF Reins Excrétion fécale Ca + PO4 Aliment Squelette Vitamine D Activation Ca + PO4 Tube digestif Activation Rein Ca Vita min eD PO4 PO4 Excrétion urinaire • La PTH stimule la libération de calcium et de phosphates à partir du tissu osseux vers les liquides extracellulaires (en bleu dans l’illustration). • La PTH stimule l’activation rénale de la vitamine D (1,25-D3); elle inhibe la réabsorption des phosphates à partir du tube contourné proximal, si bien que la concentration urinaire en phosphates augmente, ce qui stimule alors la réabsorption de calcium au niveau du tube distal et augmente la rétention calcique. • La vitamine D3 stimule l’assimilation de calcium et de phosphates à partir de l’intestin grêle, augmentant la proportion de calcium et de phosphore alimentaires absorbés. À travers l’action de ces hormones, l’homéostasie du calcium et des phosphates est garantie par l’équilibre entre l’absorption de calcium et de phosphates et l’excrétion urinaire de ces minéraux. 256 Dans les conditions physiologiques, les phosphates sont filtrés librement et ne sont pas sécrétés de manière active par le tubule rénal. La quantité de phosphates excrétés quotidiennement par l’organisme dépend donc largement du DFG. La réabsorption des phosphates a lieu au niveau du tube contourné proximal au moyen d’un transporteur (co-transport avec l’ion sodium). La capacité maximale du système de réabsorption est influencée par la PTH, qui réduit la réabsorption des phosphates et augmente ainsi la quantité excrétée dans l’urine, pour une phosphatémie et un DFG donnés. Lorsque le DFG diminue, si la consommation de phosphore reste inchangée, la quantité de phosphates excrétée quotidiennement dans l’urine ne correspond plus à la consommation et les phosphates s’accumulent dans l’organisme. Les réserves intracellulaires augmentent, de même que la concentration en phosphates dans les liquides extracellulaires. À mesure que la phosphatémie s’élève, le taux d’excrétion augmente jusqu’à un nouvel état stable, à une concentration plasmatique et un niveau de réserves intracellulaires en phosphates plus importants. La PTH joue un rôle dans ce processus : sa synthèse et sa sécrétion augmentent avec les réserves de phosphates intracellulaires et avec la phosphatémie. Au début, cette adaptation est utile car elle fait augmenter l’excrétion urinaire et compense ainsi l’effet de la diminution du DFG (Figure 5). 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique FIGURE 6 - PHYSIOPATHOLOGIE DE L’HYPERPARATHYROÏDIE SECONDAIRE D’ORIGINE RÉNALE Lésions rénales Diminution du DFG Inhibition de l'activité de l'a1-hydroxylase Rétention de phosphates Lésions des tubules proximaux À mesure que l’IRC progresse et qu’il subsiste de moins en Diminution de la synthèse et moins de néphrons fonctionnels, la sécrétion de PTH, stide la sécrétion mulée par la rétention du phosphore, devient contre-produ calcitriol ductive et inadaptée. La libération des phosphates osseux ajoute au problème en inhibant la production rénale de calcitriol et en stimulant la synthèse et la sécrétion de PTH ainsi que la croissance de la glande parathyroïde. Aux stades avancés de l’IRC (fin du stade III et stade IV du classement de l’IRIS), le déficit en calcitriol (qui résulte de la diminution de la masse rénale et de l’effet inhibiteur de l’hyperphosphatémie sur la synthèse de calcitriol) aggrave l’hyperparathyroïdie de deux manières. • Le calcitriol inhibe la synthèse et la sécrétion de la PTH par action directe sur la glande parathyroïde. Cette hormone prévient également l’hypertrophie de la glande parathyroïde. • En cas de déficit en calcitriol, l’absorption intestinale de calcium diminue et une hypocalcémie peut intervenir lors d’IRC sévère (en particulier diminution de l’absorption du calcium ionisé). Lorsque la phosphatémie est élevée, le calcium ionisé diminue aussi à cause de la formation d’un complexe entre calcium et phosphore et avec d’autres anions plus petits. Augmentation de la phosphatémie Loi d'action de masse Diminution de la concentration plasmatique en calcium ionisé Augmentation de la synthèse et de la sécrétion de PTH Reins L’augmentation de la sécrétion de PTH pour compenser la tendance à une rétention accrue des phosphates lorsque le nombre de néphrons fonctionnels et le DFG diminuent est une réponse adaptative qui est malheureusement limitée par les deux facteurs suivants: 1. au moins 30 % du phosphore filtré doit être réabsorbé dans le tube proximal au cours de la réabsorption du sodium et de l’eau 2. l’élévation de la concentration plasmatique de PTH implique une libération accrue des phosphates par le tissu osseux vers le compartiment extracellulaire, ce qui aggrave l’hyperphosphatémie. Il ressort clairement des études publiées que l’hyperphosphatémie et l’hyperparathyroïdie sont importantes lors d’IRC d’apparition spontanée (Barber et Elliott, 1998). L’importance de ces deux phénomènes sur la santé et le bien-être du chat insuffisant rénal a fait l’objet de débats. Les données issues de modèles animaux et de la médecine humaine suggèrent que l’hyperphosphatémie et l’hyperparathyroïdie ont un effet délétère sur la qualité de vie du patient et peuvent contribuer à la progression des lésions rénales. Les données spécifiquement relatives au chat sont assez rares. Néanmoins, certains résultats provenant de chats insuffisants rénaux, qu’il s’agisse d’IRC spontanée ou induite (Ross et coll, 1982), confirment le fait que réduire la consommation de phosphore pour maîtriser la sécrétion de PTH permet d’obtenir les résultats suivants: • diminution de la minéralisation (Figure 7) et de la fibrose dans le tissu rénal fonctionnel (études expérimentales [Ross et coll, 1982]) • réduction de la mortalité, quelle que soit la cause, chez les chats présentant une IRC spontanée (Elliott et coll, 2000). © Crédit : PJ Barber Cette description de la physiopathologie de l’hyperparathyroïdie secondaire d’origine rénale est illustrée à la Figure 6. L’explication scientifique de ce processus a largement évolué: s’il a d’abord été supposé que l’hypersécrétion de PTH était provoquée par la diminution de la concentration du calcium ionisé, il est actuellement admis que la rétention de phosphates joue en fait un rôle déterminant. Figure 7 - Minéralisation du tissu rénal due à un hyperparathyroïsme d’origine rénale chez un chat. Une bande de calcification est visible à l'intérieur de la médulla rénale, confirmée par l'examen histopathologique (échelle en mm). Elliott et coll. (2000) ont réalisé une étude prospective sur l’alimentation des chats présentant une IRC au stade II ou III. L’objectif était étudier l’impact d’un régime pauvre en phosphore, permettant de maîtriser la PTH plasmatique, sur l’espérance de vie des chats. Les chats du groupe témoin continuaient à 257 B: Calcification de l'aorte abdominale et d’autres vaisseaux abdominaux chez un chat de 19 ans en stade terminal d'insuffisance rénale chronique. consommer leur aliment d’entretien habituel, après que les propriétaires avaient refusé de distribuer l’aliment diététique à visée rénale. Ce protocole est certes criticable d’un point de vue scientifique puisque cette étude n’était pas menée en aveugle et que le groupe témoin s’était formé par auto-détermination. Une deuxième étude portant aussi sur l’intérêt d’un aliment spécifique chez des chats à IRC a été publiée plus récemment (Ross et coll, 2006). L’essai clinique, contrôlé, randomisé et conduit en aveugle, étudie l’influence du régime sur la survenue des crises d’urémie ou de la mort des chats présentant une IRC au stade II ou III. L’aliment diététique et l’aliment d’entretien utilisé comme témoin différaient par leur contenu en protéines, en sodium, en phosphore et en lipides. Le taux de phosphore était de 0,5 % (sur brut) pour le régime à visée rénale (1,2 g/1000 kcal pour l’aliment sec, 1,0 g/1000 kcal la forme humide) et de 0,9 ou 1 % (sur brut) pour le régime d’entretien (1,8 g/1000 kcal pour l’aliment d’entretien sec et 2,3 g/1000 kcal pour l’aliment d’entretien humide). Le régime à visée rénale a entraîné une diminution de la phosphatémie entre douze et vingt-quatre mois après sa mise en place mais les concentrations plasmatiques de PTH n’ont pas évolué de manière significative. Les chats ayant consommé ce régime ont présenté significativement moins de crises d’urémie et la mortalité due à l’IRC a été significativement moins importante. Dans les deux études mentionnées ci-dessus, la formulation des régimes à visée rénale différaient des aliments d’entretien sur plusieurs points et il n’est donc pas possible d’affirmer que la restriction en phosphore est seule responsable des effets observés. Cependant, il semble probable qu’elle y ait contribué. L’accumulation de phosphates et de calcium dans les tissus rénaux conduit à la néphrocalcinose, ce qui peut contribuer à la progression des lésions rénales. Ce processus est probablement à l’œuvre dans les stades II et III de l’IRC. Lors d’IRC très sévère (stade IV), les effets extra-rénaux de l’hyperphosphatémie et de l'hyperparathyroïdie, soit l’ostéodystrophie rénale et la minéralisation des tissus mous (Figure 8), deviennent clairement visibles à la radiographie, accompagnés par une hypertrophie marquée des parathyroïdes. En médecine humaine, un déséquilibre de l’apport alimentaire en phosphore chez le patient en dialyse rénale entraîne une augmentation du risque cardiovasculaire par accumulation du calcium et de phosphore dans la paroi des vaisseaux (KDOQI, 2003). FIGURE 9A - EFFET D’UN RÉGIME À VISÉE RÉNALE SUR LA PHOSPHATÉMIE DE CHATS PRÉSENTANT UNE IRC AU STADE II ET III Barber et coll, J Small Anim Pract, 1999 Permission de reproduction accordée par Blackwell Publishing 3,00 NS Phosphatémie (mmol/L) 2,50 NS 2,00 1,50 1,00 0,50 Jour 0 p=0,003 Jour 28 à 49 p=0,007 Jour 105 à 147 Les données sont des valeurs moyennes obtenues sur 14 chats ayant reçu un aliment à visée rénale (en orange) et 8 chats ayant reçu un aliment d’entretien (en bleu). Les barres d’erreur correspondent à l’écart-type par rapport à la moyenne. Le test tapparié montre d’importantes différences par rapport à la valeur au jour 0 (NS : non significatif) 258 FIGURE 9B - EFFET D’UN RÉGIME À VISÉE RÉNALE SUR LA CONCENTRATION PLASMATIQUE DE LA PTH CHEZ LES CHATS PRÉSENTANT UNE IRC AU STADE II ET III Barber et coll, J Small Anim Pract, 1999 Permission de reproduction accordée par Blackwell Publishing Concentration plasmatique en parathormone (pg/mL) © Penney Barber A: Calcification de l'aorte thoracique chez un chat de 20 ans atteint d'insuffisance rénale chronique (au stade urémique). © Penney Barber 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique Reins Figure 8 - Images radiographiques de la minéralisation de certains vaisseaux lors d’hyperparathyroïdie secondaire d’origine rénale 350 p=0,040 300 250 200 NS 150 100 50 0 Jour 0 p=0,031 Jour 28 à 49 p=0,009 Jour 105 à 147 Les données sont des valeurs moyennes obtenues sur 14 chats ayant reçu un aliment à visée rénale (en orange) et 8 chats ayant reçu un aliment d’entretien (en bleu). Les barres d’erreur correspondent à l’écart-type par rapport à la moyenne. Le test t-apparié montre d’importantes différences par rapport à la valeur au jour 0 (NS : non significatif) 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique > Prise en charge de l’hyperparathyroïdie secondaire d’origine rénale La discussion menée plus haut à propos de la physiopathologie de l’hyperphosphatémie et de l’hyperparathyroïdie secondaire d’origine rénale montre que dans un premier temps, il faut logiquement chercher à réduire la consommation alimentaire de phosphore. Cela peut être réalisé en diminuant la quantité de phosphore présent dans l’alimentation et/ou en ajoutant des chélateurs du phosphore afin de réduire la biodisponibilité du phosphore consommé. Les données publiées montrent que chez les chats présentant une IRC spontanée, l’administration d’un aliment diététique à visée rénale permet de faire baisser la phosphatémie et la PTH plasmatique (Barber et coll, 1999 ; Figure 9). Une fois que la phosphatémie est stabilisée, la concentration plasmatique de PTH peut être encore diminuée si la restriction du phosphore alimentaire devient plus sévère (Figure 10). Cette observation s’explique probablement par l’appauvrissement des réserves de phosphore intracellulaire, qui influence la synthèse et la sécrétion de la PTH. En médecine humaine, les recommandations concernant le contrôle de la phosphatémie ont été publiées sur la base de l’avis d’experts et des données cliniques disponibles (KDOQI, 2003). Ces recommandations ont été adaptées au chat par un groupe de vétérinaires néphrologues et les membres de l’IRIS les ont adoptées, en tant que préconisations en fonction du stade d’IRC à traiter. • Lors d’IRC de stade II, la phosphatémie après traitement doit être inférieure à 1,45 mmol/L (4,5 mg/dL) mais ne pas être inférieure à 0,8 mmol/L (2,5 mg/dL). Dans notre expérience, l’état des chats chez qui il est possible de maintenir la phosphatémie en dessous de 1,2 mmol/L (3,72 mg/dL) tend à se stabiliser durablement au stade II de l’IRC. Reins • Pour l’IRC de stade III, il faut viser une valeur < 1,61 mmol/L (5,0 mg/dL) après traitement. Dans les cas de stade III avancé, il peut être nécessaire d’associer des chélateurs intestinaux du phosphore et un régime pauvre en phosphore pour atteindre la valeur ciblée. • Pour l’IRC de stade IV, la phosphatémie après traitement devrait rester < 1,93 mmol/L (6,0 mg/dL) et il est peu probable d’obtenir ce résultat seulement grâce à la restriction alimentaire du phosphore. FIGURE 10 - EFFET D’UN ALIMENT DIÉTÉTIQUE À VISÉE RÉNALE SUR LA PHOSPHATÉMIE (EN BLEU) ET SUR LA PTH PLASMATIQUE (EN ORANGE) CHEZ UN CHAT PRÉSENTANT UNE IRC Barber, 1999 500 2,5 400 2 300 1,5 200 1 100 Phosphatémie (mmol/L) Concentration plasmatique en parathormone (pg/mL) 3 0,5 0 0 0 200 400 600 Temps (jours) Il faut noter que, tandis que la phosphatémie se stabilise très rapidement, la PTH plasmatique continue à diminuer pour finalement atteindre les limites normales (2,5 à 20 pg/mL) après près de 400 jours d’alimentation. 259 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique FIGURE 11 - RELATION ENTRE LE DÉLAI DE SURVIE ET LA PHOSPHATÉMIE MOYENNE OBTENUE PENDANT LA PREMIÈRE MOITIÉ DE LA PÉRIODE DE SURVIE. Nouvelle analyse des données de Elliott et coll (2000) valeurs observées données individuelles (95 % des points) intervalle de régression (pour 95 % des points) courbe de régression (95 % Cl) Espérance de vie (jours) 900 800 700 600 500 400 300 Des données non publiées issues de notre recherche clinique montrent que parmi les chats présentant une IRC de stade II, III et IV, la phosphatémie est supérieure à 1,45 mmol/L (4,5 mg/dL) au moment du diagnostic dans respectivement 55 %, 90 % et 100 % des cas. Une nouvelle analyse des données de l’étude prospective portant sur l’effet de la maîtrise de la phosphatémie et de la PTH sur l’espérance de vie des chats présentant une IRC de stade II ou III (Elliott et coll, 2000) montre que : - si la phosphatémie moyenne est maintenue en dessous de 1,45 mmol/L (4,5 mg/dL) pendant la première moitié du délai de survie (ce qui a été obtenu chez 18 des 50 chats), la survie moyenne est de 799 jours (écart interquartile: 569 à 1383) - chez les chats dont la phosphatémie moyenne est supérieure à 1,45 mmol/L (4,5 mg/dL), le délai de survie n’est que de 283 jours (écart interquartile: 193 à 503) (Figure 11). 200 100 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 Phosphatémie (mmol/L) Étude prospective basée sur 50 chats (Elliott et coll, 2000) ; les échantillons sanguins étaient prélevés tous les 2 à 3 mois pendant la période d'étude. La concentration plasmatique moyenne en phosphates a été calculée pour chaque chat pendant la première moitié de leur période de survie et comparée à leur espérance de vie. Une analyse de régression linéraire met en évidence la relation exponentielle inverse entre les deux paramètres (R2 = 0,45). Ces observations encouragent à extrapoler au chat les recommandations KDOQI (2003) concernant la maîtrise de la phosphatémie chez l’homme. Toutefois, afin de valider cette recommandation, il est nécessaire de réaliser d’autres études prospectives visant spécifiquement à étudier l’intérêt de maintenir la phosphatémie en dessous de 1,45 mmol/L (4,5 mg/dL) chez le chat présentant une IRC. Reins Les effets indésirables de la restriction du phosphore alimentaire sont rares. Il est recommandé de mesurer régulièrement tous les deux à trois mois la phosphatémie et la calcémie (de préférence le calcium ionisé) des chats dont l’état reste stable avec un régime pauvre en phosphore. Il faut veiller à éviter l’hypophosphatémie (phosphatémie < 0,8 mmol/L [2,5 mg/dL]). Occasionnellement, des cas d’hypercalcémie ont été rapportés (Barber et coll, 1998). Il s’agit d’hypercalcémie vraie car le calcium ionisé et le calcium total sont en dehors des limites normales, associés avec un niveau de PTH inférieur à la limite de détection. La cause sous-jacente de l’hypercalcémie n’est pas déteminée mais elle apparaît liée à la restriction du phosphore puisque l’augmentation de l’apport alimentaire de phosphore permet de faire revenir la calcémie dans la fourchette physiologique et d’obtenir une valeur de PTH mesurable. Comme cette dernière est importante pour le renouvellement des cellules osseuses, il ne semble pas approprié de supprimer complètement sa sécrétion et, par conséquent, un apport plus important en phosphore est recommandé dans ce type de cas. Chez les chats concernés, il est clair que le niveau de restriction en phosphore habituellement nécessaire pour maîtriser la phosphatémie et la PTH plasmatique est trop sévère, ce qui illustre l’importance d’adapter le traitement à chaque cas individuel. Sodium alimentaire et maladie rénale © Dr H. Syme Le sodium représente le cation le plus important du liquide extracellulaire (LEC) et joue donc un rôle déterminant pour le volume du LEC et la pression sanguine. L’ion sodium est maintenu à une concentration stable dans le LEC et dans le plasma grâce aux osmorécepteurs et au mécanisme de la soif, qui régule l’équilibre hydrique. L’osmolalité plasmatique se maintient normalement entre 280 et 290 mOsm/L. Mesure de la pression artérielle par Doppler chez un chat 260 Dans le rein sain, habituellement plus de 99% du sodium filtré est réabsorbé et revient dans la circulation sanguine. La fraction excrétée peut être considérablement réduite par l’aldostérone, une hormone hypernatrémique, qui agit au niveau de la portion terminale du tube distal (tubule collecteur cortical) pour augmenter la réabsorption du sodium dans cette partie du rein. Il existe une relation étroite entre l’excrétion urinaire de sodium et la pression artérielle systémique. Lorsque le rein est sain, une petite augmentation de la pression artérielle entraîne une nette augmentation de l’excrétion urinaire de sodium. Ce phénomène survient grâce à l’inhibition de la sécrétion de l’aldostérone (diminution du SRAA) et à l’action de facteurs natriurétiques sur le rein, antagonistes de l’aldostérone (par exemple les peptides natriurétiques atriaux et les facteurs digitaliques endogènes). SUR LA PRESSION ARTÉRIELLE CHEZ LE CHAT SAIN Luckschander et coll, 2004 160 Régime enrichi en sodium : 0,91% Na sur matière sèche Régime témoin : 0,43% Na sur matière sèche 140 120 100 80 60 40 20 0 Les aliments diététiques à visée rénale ont généralement une teneur en 1 période 2 période sodium plus faible (par rapport à la valeur énergétique) que les aliments d’entretien. Cependant, la quantité de sodium consommée avec un tel L'étude portait sur 10 chats sains divisé en 2 groupes. Pendant aliment est d’environ 2 mmol/kg/j (46 mg/kg de poids/j), soit plus de 2 la 1ère période de 2 semaines, le 1er groupe reçevait le régime à 4 fois l’apport quotidien de sodium recommandé par le National témoin, le 2ème groupe le régime enrichi en sodium. Pendant Research Council (NRC) (0,4 à 0,9 mmol/kg/j ou 9,2 à 20,7 mg/kg/j) la 2ème période (2 semaines), les aliments étaient inversés (Yu et Morris, 1999). Les aliments standards du commerce fournissent après une semaine de transition sur un aliment d'entretien. entre 4 et 6 mmol/kg/j (92 à 138 mg/kg/j) (Tableau 4). La capacité Une augmentation modérée du sel dans l’alimentation ne paraît pas influencer la pression artérielle chez le chat sain. d’excrétion du sodium diminue avec la perte de néphrons fonctionnels. Si la consommation de sodium alimentaire ne change pas, un chat insuffisant rénal court un plus grand risque de développer une hypertension artérielle. Jusqu’ici, aucune étude contrôlée n’a cependant été publiée en médecine vétérinaire, montrant l’intérêt de diminuer l’apport en sodium pour la pression artérielle d’un chat présentant une IRC spontanée. Grâce à une étude transversale portant sur des chats à différents stades d’IRC, nous avons montré que la fraction d’excrétion du sodium augmente lorsque la fonction rénale diminue (Figure 13, données non publiées sur des chats étudiés dans Elliott et coll, 2003a). Les résultats concernant la fraction d’excrétion urinaire doivent être interprétés avec prudence lorsqu’il s’agit d’un prélèvement ponctuel d’urine chez un chat. En effet, il existe une variabilité forte chez un même animal en fonction du moment du prélèvement (Adams et coll, 1991; Finco et coll, 1997). Une collecte des urines sur 24 heures donnerait des résultats plus fiables, mais cette technique n’et pas applicable à des études cliniques sur les chats. De plus, la tendance observée dans les données présentées à la Figure 13 pourrait être biaisée par le fait que les chats recevaient des aliments différents. Néanmoins, malgré ces problèmes de méthodologie, il apparaît bien que la fraction d’excrétion du sodium s’élève lorsque l’IRC est sévère, ce qui suggère que les tubules rénaux fonctionnels subsistants s’adaptent progressivement afin d’éliminer de l’organisme une plus grande proportion du sodium filtré. Dans cette étude transversale, il n’y avait pas de différence de la natrémie selon le stade de l’IRC mais les concentrations plasmatiques en chlorures e Reins ère FIGURE 13 - FRACTION D’EXCRÉTION DU SODIUM CHEZ LE CHAT SAIN ET CHEZ LE CHAT PRÉSENTANT UNE IRC, AU MOMENT DU DIAGNOSTIC Données provenant de cas publiés par Elliott et coll, 2003a TABLEAU 4 - APPORT ALIMENTAIRE EN SODIUM CHEZ LE CHAT ADULTE À L’ENTRETIEN National Research Council, 2006 Besoins recommandés (mg) mg/kg MS mg/1000 kcal EM mg/kg PC0,67 mg/kg MS mg/1000 kcal EM mg/kg PC0,67 650 160 16 680 170 16,7 > 15 g mg/kg MS : Quantité par kg de matière sèche, en supposant que la densité énergétique de l’alimentation est de 4000 kcal d’énergie métabolisable /kg PC : Poids corporel : les valeurs pour les quantités par poids corporel 0,67 sont calculées pour un chat maigre avec un apport énergétique de 100 kcal par kg de poids corporel 0,67 EM : Énergie métabolisable Fraction de l’excrétion du sodium (%) Besoins minimaux (mg) 10 Limite supérieure de sécurité (g/kg matière sèche) 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique FIGURE 12 - INFLUENCE DU SODIUM ALIMENTAIRE Pression artérielle moyenne (mm Hg/chat/jour) Par conséquent, un chat dont les reins fonctionnent normalement tolère des niveaux très variés de sodium alimentaire sans que sa pression artérielle soit affectée. Afin de limiter le risque de formation de calculs urinaires chez le chat, il existe une stratégie qui consiste à augmenter l’apport alimentaire de sodium. Un plus grand volume d’urine est alors produit et le chat boit plus pour compenser. Les concentrations urinaires en calcium et en magnésium diminuent, de même que le risque d’urolithiase. La pression artérielle des chats sains qui suivent un tel régime alimentaire n’a pas tendance à augmenter (Buranakarl et coll, 2004; Luckschander et coll, 2004) (Figure 12). 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 Normal Stade II Stade III Stade IV Stade de l’IRC (selon l’IRIS) 261 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique étaient plus basses dans les stades avancés (équivalent au stade IV d’IRIS ; Elliott et coll, 2003a), en association possible avec une acidose métabolique (voir infra). Certains chats présentant une IRC spontanée souffrent d’hypertension sévère. La Figure 14 montre les différentes valeurs de pression artérielle mesurées au moment où le diagnostic d’IRC est posé. Ces données proviennent de 103 cas consécutifs d’IRC spontanée (Syme et coll, 2002a) et ont été ordonnées suivant le classement proposé par l’IRIS: • risque minime (< 150 mmHg) – 62/103, soit 60 % • risque peu élevé (150 à 159 mmHg) – 10/103, soit 10 % • risque modéré (160 à 179 mmHg) – 15/103, soit 14,5 % • risque sévère (> 180 mmHg) – 16/103, soit 15,5 % Reins Il s’agissait d’une étude transversale qui ne portait pas sur la question de savoir si la pression artérielle augmente avec le temps chez les chats souffrant d'IRC. Si l’IRC favorise une rétention progressive du sodium par incapacité à excréter le sodium consommé dans l’alimentation quotidienne, on pourrait effectivement s’attendre à ce que ce soit le cas. Cependant, Syme et coll. (2002a) ont mis en évidence que la créatininémie n’est pas liée à l’élévation de la pression artérielle; en d’autres termes, la pression artérielle ne semble pas plus élevée chez les chats souffrant d’une IRC plus sévère. En effet, la majorité des chats constituant le groupe à haut risque à cause d’une pression artérielle élevée présentent une IRC de stade II ou du début du stade III selon le classement proposé par l’IRIS. Mais ces données sont difficiles à interpréter car les chats au stade IV peuvent présenter une tension basse à cause de la déshydratation. FIGURE Syme (2003) a analysé les données provenant d’une population de chats à IRC suivie de manière longitudinale, afin de déterminer si la pression artérielle augmentait par rapport à celle mesurée au moment du diagnostic de l’IRC. Les critères d’inclusion dans cette étude rétrospective ont été soigneusement définis pour exclure des facteurs autres que la nature chronique de l’IRC. Cinquante-cinq chats ont été inclus dans l’étude, chacun suivi pendant trois mois. Sept des 55 chats ont montré une augmentation de la pression artérielle telle qu’un traitement médical est devenu nécessaire (pression systolique supérieure à 175 mmHg de manière persistante). Au cours de la période de suivi, l’IRC s’est aggravée chez 17 des 55 chats (augmentation de plus de 20 % de la créatininémie), tandis qu’elle est restée stable chez les 38 autres chats. L’incidence cumulée de l’augmentation de la pression artérielle rendant un traitement obligatoire n’était pas significativement différente entre les deux groupes. Sur l’ensemble du groupe, la pression artérielle augmente significativement avec le temps (0,38 [0,2 à 0,56] mmHg/mois; P<0,001: mesures répétées selon un modèle linéaire mixte comportant des effets aléatoires). Ces données suggèrent que la pression artérielle augmente graduellement avec le temps chez les chats présentant une IRC spontanée. Ce phénomène ne paraît pas être associé à une détérioration de la fonction rénale, lorsqu’elle est appréciée par des mesures répétées de la créatininémie. Une évaluation plus fine de la fonction rénale (par exemple par mesures répétées du DFG) serait nécessaire pour avoir la certitude que la fonction rénale n’a effectivement pas varié avec le temps dans le groupe appa14 - DISTRIBUTION DES MESURES DE LA PRESSION ARTÉRIELLE SYSTOLIQUE CHEZ 103 CHATS INSUFFISANTS RÉNAUX remment stable. D’après Syme et coll (2002a) 25 Fréquence 20 15 10 5 0 90 100 110 120 130 140 150 160 170 180 Pression artérielle (mm Hg) 262 190 200 210 220 230 Des résultats similaires ont été rapportés par Ross et coll. (2006) dans une étude prospective portant sur l’influence du régime sur l’IRC spontanée. Sept des 45 chats de l’étude ont développé une hypertension artérielle systémique (pression systolique >175 mmHg) et ont dû recevoir un traitement médical pendant les deux années de suivi alors que leur tension était normale au moment du début de l’étude. L’effet général d’un régime à visée rénale sur la pression artérielle des chats de cette étude n’a pas été rapporté. Toutefois, le régime diététique n’a pas semblé limiter le développement de l’hypertension dans cette étude. En effet, 5 des 7 chats ayant développé une hypertension consommaient ce régime. Le nombre de cas d’hypertension est de toute façon trop faible dans chacune de ces deux études longitudinales pour permettre d’en tirer des conclusions définitives. Rétinopathie hypertensive très étendue chez un chat de 15 ans Hypertrophie concentrique du ventricule gauche chez un chat atteint d'IRC et d'hypertension (examen post-mortem) Reins Il ressort des considérations théoriques précédentes qu’il est logique de réduire l’apport de sodium chez les chats à IRC spontanée. Cependant, il n’existe pas d’étude contrôlée qui montre l’intérêt d’une telle intervention pour contrôler la pression artérielle ou prévenir la détérioration de la fonction rénale. Dans une étude sans groupe témoin, Syme (2003) s’est intéressé à l’effet de l’introduction d’un régime à visée rénale sur la pression artérielle des chats à IRC spontanée. Tous les animaux de l’étude recevaient l’aliment à visée rénale. En outre, cette étude n’incluait pas les chats jugés à haut risque lésionnel (Figure 15) à cause d’une pression artérielle élevée car ils recevaient des médicaments pour maîtriser leur tension. La pression systolique a été mesurée deux fois avant la mise en place du régime et deux fois ensuite (entre 4 et 12 semaines après l’introduction du régime) et la moyenne des mesures a été calculée avant et après le traitement. L’aliment a été bien consommé car la phosphatémie a baissé significativement (1,55±0,53 mmol/L vs 1,31±0,32 mmol/L soit 4.8 ± 1.64 mg/dL vs 4.04 ± 0.99 mg/dL; n=28). Aucun changement de la natrémie ou de la kaliémie n’a été induit par la consommation du régime diététique. La pression systolique n’a pas été modifiée par l’introduction du nouvel aliment (139±24 mmHg vs 141±32 mmHg; n=28). La capacité de détection d’une modification de 10 mmHg dans la pression systolique a été évaluée à 90 %. Chez certains des chats de cette étude, l’activité de l’aldostérone plasmatique et l’activité de la rénine plasmatique (ARP) ont été mesurées avant l’introduction du régime et pendant toute la période de suivi. La concentration plasmatique de l’aldostérone était plus élevée lorsque les chats consommaient l’aliment à visée rénale rénale (73 [43 et 105] pg/mL vs 123 [65 et 191] pg/mL respectivement avant la prise du régime et pendant le suivi; n=22). Des modifications similaires de l’ARP ont été détectées après l’introduction de l’aliment diététique (0,53 [0,17 et 1,11] vs 0,75 [0,21 et 1,38] ng/mL/h). Avant et pendant la période de consommation du régime, la concentration plasmatique de l’aldostérone et l’ARP sont restées dans les limites physiologiques (évaluées chez des chats sains âgés consommant différents aliments d’entretien standards pour chats adultes). 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique Décollement de rétine infundibulaire (image dite “en fleur de liseron”) et hémorragies rétiniennes secondaires à une hypertension artérielle systémique chez un chat. © J. Elliott (Royal Veterinary College de Londres) © Rebecca Elks, Royal Veterinary College, Londres © A.Régnier Unité d'ophtalmologie ; École Nationale Vétérinaire de Toulouse FIGURE 15 - LÉSIONS SECONDAIRES LORS D’IRC SPONTANÉE ACCOMPAGNÉE D’HYPERTENSION SÉVÈRE. Chez les chats partiellement néphrectomisés (Buranakarl et coll, 2004), la réduction de la consommation de sodium peut causer l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) et entraîner une chute brutale de la kaliémie sans effet bénéfique sur la pression artérielle. Trois aliments, contenant respectivement 0,34 %, 0,65 % et 1,27 % de sodium, ont été administrés pendant 7 jours consécutifs à 3 groupes de chats. La consommation de chlorure de sodium était respectivement de 50, 100 et 200 mg par kg de poids corporel (soit 0,5 g, 1,4 g et 2,8 g de sodium pour 1000 kcal), la consommation la plus basse équivalant à celle obtenue avec de nombreux aliments à visée rénale. Les trois groupes de chats impliqués dans cette étude correspondaient à: - des chats témoins avec une fonction rénale normale (jeunes adultes), - des chats néphrectomisés (modèle de néphrectomie 11/12), 263 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique Reins FIGURE 16 - ACTIVATION DU SYSTÈME RÉNINE-ANGIOTENSINE-ALDOSTÉRONE (SRAA) Angiotensinogène Rénine Angiotensine I Enzyme de conversion de l’angiotensine Chacun des deux modèles de néphrectomie a conduit à l’apparition d’une insuffisance rénale accompagnée d’une élévation de la tension artérielle d’une ampleur semblable à celle qui s’observe lors d’IRC spontanée. Cependant, dans chacun des cas, et particulièArginine rement dans le modèle du rein enveloppé, le SRAA a été activé vasopressine (ADH) (Figure 16), avec élévation de l’ARP (2 à 6 fois) par rapport au groupe témoin et le niveau de l’aldostérone était 4 à 25 fois plus Effet vasoconstricteur élevé que chez les chats témoins. Les chats souffrant d’une IRC Rétention d’eau spontanée et dont la pression artérielle équivaut à un risque minime à modéré d’hypertension (plus de 175 mmHg) tendent à avoir une ARP soit normale soit en baisse par rapport à des chats témoins du même âge et nourris de la même façon. En outre, la concentration plasmatique d’aldostérone reste également dans les limites normales et ne diffère pas significativement de celle observée chez les chats témoins du même âge (Syme et coll, 2002b). Une nette activation du SRAA s’observe chez les chats non stabilisés parvenus à un stade IV d’IRC spontanée (Syme, 2003). Par conséquent, il apparaît que l’hypertension induite par néphrectomie s’accompagne d’une activation importante du SRAA, résultat qui ne s’observe pas aux stades II et III de l’IRC spontanée, lorsque la pression artérielle est peu ou pas élevée. Les résultats obtenus expérimentalement ne sont donc pas forcément transposables aux chats présentant une IRC spontanée. Angiotensine II Aldostérone Rétention de sodium et d’eau TABLEAU 5 - OBSERVATIONS QUI ONT SEMÉ LE DOUTE QUANT À L’INTÉRÊT D’UNE RESTRICTION SYSTÉMATIQUE EN SODIUM DANS L’ALIMENTATION DES CHATS PRÉSENTANT UNE IRC SPONTANÉE • La consommation à long terme de sodium en excès n'entraîne pas d'hypertension artérielle chez le chat si la fonction rénale est normale. • La réduction de la consommation de sodium dans les modèles expérimentaux d’hypertension artérielle, avec activation du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), conduit à une augmentation des pertes urinaires en potassium et à une hypokaliémie légère avec activation plus importante du SRAA. • Les mêmes modèles expérimentaux d’IRC et d’hypertension artérielle tolèrent une augmentation de l’ingéré de chlorure de sodium jusqu’à 200 mg/kg de poids corporel pendant 7 jours (aliment contenant 1,27 % de sodium soit 2,8 g de sodium pour 1000 kcal) sans augmentation de la pression artérielle, modification alimentaire inhibant les sécrétions de rénine et d’aldostérone. • L’activation pathologique du SRAA peut avoir des effets néfastes sur la fonction rénale et exacerber la fibrose rénale dans certains modèles de maladie rénale féline (Mathur et coll, 2004) ainsi que dans d’autres espèces. 264 - et enfin des chats ayant subi une néphrectomie partielle bilatérale avec un rein enveloppé de soie et de cellophane (modèle qui provoque une hypertension artérielle sévère) (Mathur et coll, 2004). Au cours de la période d’alimentation, les chats du 3e groupe recevaient du bésilate d’amlodipine pour contrôler la pression artérielle et empêcher le développement d’une encéphalopathie hypertensive. Effet vasoconstricteur Les chats souffrant d’une IRC spontanée et présentant une nette élévation de la pression artérielle (pression systolique >180 mmHg; risque lésionnel élevé des organes cibles) tendent à avoir une ARP normale ou inhibée, en association avec une concentration en aldostérone plasmatique normale ou légèrement augmentée (Jensen et coll, 1997; Syme et coll, 2002b). Chez ces chats, la kaliémie a tendance à être basse au moment du diagnostic. Ces chats sont relativement résistants aux effets antihypertenseurs des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) à posologie usuelle (Littman, 1994). Ces deux résultats suggèrent que l’hypertension peut alors résulter d’une augmentation de la sécrétion d’aldostérone et/ou d’une augmentation de son activité mais pas de l’activation du SRAA. Chez ces chats souffrant d’hypertension sévère, la restriction de la consommation de chlorure de sodium ne suffit absolument pas à prévenir l’hypertension artérielle qui doit être traitée ici médicalement. Des études cliniques font défaut pour savoir si la restriction du sodium alimentaire facilite le traitement médical destiné à contrôler la pression artérielle. Il reste à comprendre pourquoi certains chats à IRC spontanée développent une hypertension artérielle sévère associée à un risque lésionnel élevé. Une fois cette question résolue, le rôle de la restriction de sodium dans le traitement de ces patients s’éclaircira. En résumé, la plupart des régimes destinés aux chats insuffisants rénaux contiennent moins de sodium que les aliments d’entretien pour chats adultes. Cette formulation découle de l’hypothèse qu’avec une masse rénale fonctionnelle réduite, le maintien de l’homéostasie du sodium est plus difficile à réaliser et que la rétention du sodium pourrait faire augmenter la pression artérielle. L’hypertension pourrait réduire la qualité de vie des chats à IRC et entraîner d’autres lésions au niveau des néphrons fonctionnels subsistants ce qui pourrait contribuer à aggraver les lésions rénales. Chez environ 20 % des chats présentant une IRC spontanée, la pression artérielle au moment du diagnostic est telle qu’elle entraîne un risque lésionnel sévère des organes cibles (notamment des reins). En revanche, chez les 80 % de chats présentant une IRC, la pression artérielle tend à augmenter graduellement au cours du temps mais l’hypertension n'est pas présente au moment du diagnostic initial. Cependant, certaines observations ont semé le doute quant à l’intérêt d’une restriction systématique du sodium alimentaire chez un chat présentant une IRC spontanée (Tableau 5). DU TUBULE COLLECTEUR CORTICAL Lumière du tubule Sang Noyau Ce diagramme montre les canaux potassiques (ROMK1) et les canaux sodiques (ENaC) à la surface apicale et à la surface luminale de la cellule, le récepteur minéralocorticoïde dans le cytoplasme cellulaire (MR) et la pompe sodium/potassium (Na/K ATPase). L’épithélium est chargé négativement à la surface luminale. L’association entre l’IRC et l’hypokaliémie est relativement spécifique au chat. Chez le chien ou chez l’homme, la perte de néphrons fonctionnels entraîne plus un risque d’hyperkaliémie. Chez 20 à 30 % des chats à IRC, l’adaptation fonctionnelle des néphrons subsistants conduit à accroître l’élimination de potassium et peut aboutir à une hypokaliémie en cas de fuite excessive de potassium dans l’urine (DiBartola et coll, 1987; Elliott et Barber, 1998). Ce phénomène ne s’observe pas en phase oligurique lors de crise d’urémie. En cas d’IRC, l’hypokaliémie apparaît également associée à un risque accru d’hypertension systémique (Syme et coll, 2002a), peut-être à cause de la manière dont le rein s’adapte à la perte de néphrons fonctionnels. Le potassium est le principal cation intracellulaire et sa concentration plasmatique est d’environ 4 mmol/L. La mesure de la kaliémie ne reflète qu’indirectement le statut potassique de l’organisme parce que le potassium circule entre les cellules et le LCE, par exemple lors de perturbations de l’équilibre acido-basique. Le potassium plasmatique est filtré librement, et la plus grande partie du potassium filtré est réabsorbé au niveau du tube contourné proximal et de l’anse de Henlé. Le tubule collecteur cortical est le lieu où le potassium est sécrété dans le liquide tubulaire (Figure 17). La fraction d’excrétion du potassium varie en fonction de plusieurs facteurs (Tableau 6). TABLEAU 6 - FACTEURS INFLUENÇANT LA FRACTION D’EXCRÉTION DU POTASSIUM • Apport alimentaire de potassium • Concentration plasmatique de l’ion potassium (élevée, elle stimule la sécrétion d’aldostérone par la corticosurrénale) • Concentration plasmatique de l’aldostérone • Nombre de néphrons fonctionnels subsistants et débit tubulaire • Statut acido-basique de l’animal (l’acidose a tendance à augmenter la fuite urinaire du potassium) L’aldostérone agit sur le tubule collecteur cortical en augmentant le nombre de canaux potassiques dans la membrane apicale des cellules des tubules à travers lesquelles les ions potassium peuvent diffuser. Elle provoque ainsi une fuite urinaire accrue des ions potassium. En fait, il se produit un échange entre les ions potassium et les ions sodium diffusant depuis le liquide présent dans les tubules vers les cellules des tubules à travers les canaux sodiques épithéliaux, dont la synthèse est également contrôlée par l’aldostérone. Le potassium intracellulaire est maintenu à une concentration élevée tandis que la concentration intracellulaire de sodium reste faible à cause de l'action de l’aldostérone, qui stimule la synthèse de pompes sodium/potassium ATPase situées au niveau de la membrane basolatérale (Figure 17). Dow et Fettman (1992) ont émis l’hypothèse que la déplétion potassique peut conduire à un cercle vicieux entre les lésions rénales et les pertes de potassium. Cette hypothèse se fonde sur les éléments suivants: • l’observation clinique d’une association statistique forte entre l’IRC et l’hypokaliémie (Dow et coll, 1989) • une IRC spontanée a été associée à l’administration d’un régime acidifiant pauvre en potassium. Un changement de régime a permis d’améliorer la fonction rénale et de corriger l’hypokaliémie (Dow et coll, 1987) • expérimentalement, il est montré qu’un régime carencé en potassium et supplémenté en acide phosphorique (régime acidifiant) entraîne l’apparition d’une hypokaliémie sévère, d’une acidose métabolique et d’une baisse du DFG (Dow et coll, 1990). 265 Reins Potassium et insuffisance rénale FIGURE 17 - SCHÉMA D’UNE CELLULE 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique Malgré ces observations, des aliments pour chats insuffisants rénaux très pauvres en sodium continuent d’être prescrits systématiquement à des chats présentant une IRC spontanée. Leur utilisation en clinique ne paraît pas être associée à une aggravation de l’hypokaliémie (Elliott et coll, 2000; Ross et coll, 2006) ou de la protéinurie (données non publiées), bien que ces aliments induisent une augmentation de la concentration plasmatique de l’aldostérone, tout en restant dans les limites physiologiques (Syme, 2003). Des études longitudinales devront être réalisées pour déterminer si: - cette réduction de l’ingéré de sodium permet de limiter la légère augmentation chronique de la pression artérielle détectée chez la majorité des chats à IRC spontanée - elle présente un intérêt potentiel chez les chats souffrant d’hypertension sévère nécessitant déjà un traitement médical antihypertenseur. CHEZ LE CHAT SAIN ET CHEZ LE CHAT INSUFFISANT RÉNAL, AU MOMENT DU DIAGNOSTIC. Données issues des cas publiés par Elliott et coll, 2003a 300 Fraction de l’excrétion du potassium (%) 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique FIGURE 18 - FRACTION D’EXCRÉTION DU POTASSIUM 250 200 150 100 50 0 Normal Stade II Stade III Stade IV Cette hypothèse est supportée par la démonstration qu’un régime similaire (pauvre en potassium mais riche en protéines et acidifiant), administré à des chats pendant deux ans, conduit à l’apparition d’une hypokaliémie tout en induisant des signes cliniques et des résultats de laboratoire compatibles avec un dysfonctionnement et des lésions des reins (DiBartola et coll, 1993). Cependant, malgré un certain nombre d’études approfondies et bien conduites, la relation de cause à effet entre le déficit corporel en potassium et la progression des lésions rénales n’a pas encore été prouvée. S’il est possible d’entraîner des lésions rénales avec l’administration prolongée d’un régime acidifiant et pauvre en potassium, il semble généralement plus probable que l’hypokaliémie modérée associée à la néphropathie soit le résultat de la progression de la maladie rénale plutôt qu’une cause majeure. L’excrétion urinaire de potassium (calculée comme fraction d’excrétion) augmente lorsque la fonction rénale s’altère (Figure 18). En effet, dans certains cas, la fraction d’excrétion du potassium est supérieure à 100 %, signe que le tube collecteur cortical peut s’adapter à la perte de néphrons en augmentant la sécrétion de potassium. Parmi les observations réalisées dans notre clinique, l’hypokaliémie est observée à tous les stades d’IRC dès lors qu’une azotémie est présente : - 30 % (6 sur 20) au stade IV - 25 % (5 sur 20) au stade III - 14,3 % (3 sur 21) au stade II (Elliott et coll, 2003a). Reins Comme signalé plus haut, la seule mesure du potassium plasmatique risque de conduire à une sous-évaluation de la prévalence de l’hypokaliémie (Theisen et coll, 1997). La prévalence plus élevée de l’hypokaliémie associée à des stades avancés d’IRC peut être expliquée par le développement d’une acidose métabolique, fréquente lors d’IRC sévère. Selon notre expérience clinique, les chats présentant une hypokaliémie reçoivent en général des aliments d’entretien pour chats adultes dont la teneur en potassium n’est pas limitée. De plus, l’hypokaliémie observée est relativement modeste (concentration plasmatique du potassium habituellement entre 3,0 et 3,4 mmol/L; limites normales: 3,5 à 5,5 mmol/L) et n’est habituellement pas associée à des signes cliniques typiques (par exemple faiblesse musculaire sévère). Une supplémentation en potassium peut permettre d’observer des améliorations cliniques, notamment un meilleur appétit et une plus grande activité. Cependant, cette supplémentation ne suffit pas à induire une amélioration de la fonction rénale (évaluée par des mesures en série de la créatininémie). En médecine humaine, certaines études ont montré une relation inverse entre la consommation de potassium et la pression artérielle (Reed et coll, 1985) mais pas toutes (Walsh et coll, 2002). Chez l’homme, des essais cliniques contrôlés et randomisés ont montré qu’une supplémentation potassique réduit la pression artérielle diastolique et systolique (Whelton et coll, 1997). L’observation selon laquelle une faible concentration plasmatique en potassium augmente le risque d’hypertension chez le chat présentant une IRC nous a conduit à mener un essai clinique contrôlé et randomisé afin de déterminer l’effet d’un supplément de potassium sur la pression artérielle de chats à IRC spontanée (Elliott et Syme, 2003). L’essai était également conçu pour déterminer l’intérêt pour le bien-être général (évalué par le poids corporel) et la fonction rénale de l’animal (déterminée à l’aide d’une série de mesures de la créatininémie). Le supplément utilisé était du gluconate de potassium, l’un des mieux tolérés par les chats, à la dose de 2 mEq par chat deux fois par jour. Nous avons choisi de comparer ce supplément à de l’amidon de maïs plutôt qu’à un autre type de gluconate. Le gluconate est en effet un précurseur du bicarbonate et pourrait favoriser la restauration des réserves intracellulaires de potassium en traitant l’acidose métabolique subclinique qui aggrave la perte de potassium. Il s’agissait d’une étude prospective randomisée, contrôlée face à un placebo, avec permutation des groupes, chaque phase s’étendant sur une durée de trois mois. Les chats sélectionnés présentaient une IRC au stade II ou III et avaient reçu un régime alimentaire stable pendant les trois mois précédant l’inclusion dans l’étude. Les chats traités pour hypertension étaient exclus de l’étude, tout comme ceux 266 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique dont la concentration plasmatique de potassium était inférieure à 3,0 mmol/L. Dix-sept chats ont été évalués dans ce protocole. Les concentrations plasmatiques du potassium (4,35 [4,21, 4,66] vs 4,16 [3,92, 4,38] mmol/L) et le pH urinaire (6,08 [5,66, 6,51] vs 5,63 [5,42, 5,96]) étaient significativement plus élevés lorsque les chats recevaient un supplément de potassium, ce qui confirme l’observance du régime, au moins partielle, pour les animaux inclus dans l’étude. Ce niveau de supplémentation en gluconate de potassium n’a pas permis de détecter un effet bénéfique sur la pression artérielle ou sur la fonction rénale (déterminée par une série de mesures de la créatininémie et du RPCU). Cette étude reposait sur la volonté des propriétaires de traiter leur chat. La non-consommation du supplément (gluconate de potassium ou placebo) par le chat fut le principal motif de retrait de l’étude. Prise en charge alimentaire de la protéinurie Au cours des vingt à trente dernières années, c’est la théorie de l’hyperfiltration proposée par Hostetter et coll. (1981) qui a orienté la recherche portant sur la progression de l’IRC. Cette théorie était basée sur des observations faites sur des rats néphrectomisés pour imiter la perte de néphrons fonctionnels qui survient dans les maladies rénales cliniques. Ce modèle de réduction chirugicale de la masse rénale conduit à des modifications anatomiques et fonctionnelles des néphrons subsistants sur lesquelles repose le principe de l’hyperfiltration. Ces adaptations consécutives à la perte de néphrons fonctionnels semblent compenser initialement la réduction de capacité de filtration des néphrons (Figure 3). Cependant, ces adaptations deviennent dangereuses car l’hypertension glomérulaire et la protéinurie conduisent à la glomérulosclérose et à la dégénérescence des néphrons fonctionnels subsistants. Cela est particulièrement net chez le rat néphrectomisé, où la détérioration rénale est rapide et étroitement liée au degré de protéinurie. Une telle situation peut être reproduite chez le chat. Après réduction de la masse rénale, les adaptations fonctionnelles entraînent aussi des phénomènes d’hypertension glomérulaire, d’hyperfiltration et de protéinurie modérée (Brown et Brown, 1995). Cependant, la progression des lésions conduisant à un stade d’insuffisance rénale terminale a lieu plus lentement que chez le rat et il est donc plus difficile d’évaluer les interventions visant à ralentir cette évolution. Dans le modèle murin, la protéinurie est considérée comme un marqueur de la progression des lésions rénales, glomérulaires et/ou tubulaires, ou comme un médiateur des lésions tubulaires. Dans les modèles de réduction rénale chirurgicale, l’hyperfiltration et l’hypertension glomérulaires s’avèrent dues, au moins en partie, à l’activation locale du SRAA. Face à la vasodilatation artériolaire afférente, ce système favorise la constriction de l’artériole efférente, l’hypertension glomérulaire et exacerbe le passage transglomérulaire de protéines plasmatiques, parmi lesquelles l’albumine est la plus abondante. Reins En résumé : • les chats à IRC s’adaptent à la perte de néphrons en augmentant l’excrétion du potassium. Dans certains cas, il peut en résulter des pertes urinaires excessives et une hypokaliémie ; • l’hypokaliémie survient dans environ 20 % des cas d’IRC et se rencontre à tous les stades de ce syndrome. La correction de ces anomalies électrolytiques, en particulier lorsque la concentration de potassium plasmatique est inférieure à 3,0 mmol/L, permet d’obtenir des bénéfices cliniques ; • une hypokaliémie sévère peut se produire lorsque le chat reçoit un aliment acidifiant contenant une faible quantité de potassium; ces régimes sont associés avec le développement de lésions rénales mais il s’agit d’une étiologie relativement inhabituelle chez les chats ; • chez les chats présentant un stade II ou III d’IRC spontanée et une concentration plasmatique de potassium supérieure à 3,0 mmol/L, un supplément de potassium (ex: 4 mEq/jour de gluconate de potassium par chat) pendant trois mois n’a pas montré d'avantage clinique mesurable sur la pression artérielle ou la fonction rénale des chats ; • la prévention de la néphropathie hypokaliémique chez les chats présentant une IRC implique d’éviter les aliments acidifiants et de vérifier que l’apport en potassium est supérieur aux besoins. Dans la majorité des cas, la prescription systématique de suppléments de potassium (en cas de distribution d’un aliment à visée rénale) s’avère inutile. THÉORIE DE L’HYPERFILTRATION DES NÉPHRONS SUBSISTANTS 1. Hypertrophie : les néphrons subsistants augmentent de taille 2. Hypertension glomérulaire : ces néphrons fonctionnent à une pression glomérulaire plus élevée, ce qui augmente leur charge de travail 3. Hyperfiltration : en raison de l’augmentation de la pression capillaire dans les glomérules, le débit de filtration par néphron augmente, compensant partiellement la perte de la masse rénale fonctionnelle 4. Augmentation de la quantité de protéines entrant dans l’urine primitive et excrétées par voie urinaire (protéinurie). 5. La protéinurie indique une hypertension glomérulaire mais, en saturant les capacités de réabsorption tubulaire des protéines, elle induit aussi une sécrétion de médiateurs inflammatoires et profibrotiques dans le compartiment interstitiel. Ce processus inflammatoire contribue sans doute à la fibrose interstitielle et aggrave les lésions rénales. 267 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique FIGURE 19 - PATHOGÉNIE DE LA FIBROSE INTERSTITIELLE D’après Remuzzi et Bertani (1998) Lésion rénale Sécrétion d’angiotensine II Hypertension des capillaires glomérulaires Activation du TGFb Augmentation de la filtration des protéines plasmatiques Hypertrophie des cellules tubulaires Surcharge en protéines des endosomes des cellules des tubes contournés proximaux Synthèse de collagène de type IV Activation des gènes inflammatoires Protéinurie Secrétion de cytokines dans l’interstitium Chez le chien et chez l’homme, l’IRC entraîne une protéinurie plus importante que chez le chat. Par exemple, une étude anatomopathologique montre que plus de 50 % des chiens insuffisants rénaux présentent une pathologie glomérulaire primaire (MacDougall et coll, Ce diagramme illustre comment la fibrose interstitielle peut être provoquée 1986). Chez le chat, l’inflammation interstitielle et la par la surcharge protéique des endosomes des tubes contournés proximaux. fibrose dominent le tableau lésionnel, la gloméruloscléLa protéinurie induit un changement de phénotype des cellules qui induit la sécrétion rose ne survenant que comme une conséquence de de cytokines (ex : MCP-1, RANTES et ET-1) dans le compartiment interstitiel. l’IRC plutôt que comme un processus pathologique primaire (Lucke, 1968). Chez les chats à IRC, le RPCU est rarement supérieur à 2, ce qui signifie que la pathologie glomérulaire primaire est peu fréquente (Lees et coll, 2005). Toutefois, des études montrent qu’une protéinurie, même peu élevée, est associée avec une mortalité en hausse, quelle qu’en soit la cause (King et coll, 2006; Syme et coll, 2006) et avec la survenue des crises urémiques (Kuwahara et coll, 2006). Fibrose rénale Reins Hypertension systémique L’exsudation de protéines vers l’urine primitive a été impliquée comme agent causal de la maladie rénale. Normalement, les protéines qui sont filtrées au niveau du glomérule sont réabsorbées par pinocytose au niveau du tube proximal: au cours de ce processus, la protéine est entourée par une vésicule formée par invagination de la membrane plasmique. Dans la cellule, la vésicule fusionne ensuite avec un lysosome, qui contient des enzymes. Ceux-ci décomposent la protéine en acides aminés qui retournent ensuite vers le plasma. Lorsque ce phénomène s’intensifie, la capacité de captation des protéines urinaires par les cellules du tube proximal semble saturée. La surface basolatérale de ces cellules sécrètent alors des cytokines inflammatoires, notamment l’endothéline-1, la protéine MCP-1 (protéine chimiotactique des monocytes ou monocyte chemoattractant protein-1) et la protéine RANTES. La protéinurie est ainsi indirectement responsable de l’inflammation interstitielle et de la fibrose (Remuzzi et Bertani 1998) (Figure 19). Inflammation interstitielle Les données provenant de l’une ces études (Syme et coll, 2006) sont présentées à la Figure 20. Cette étude repose sur le suivi longitudinal de 94 chats à partir du moment où le diagnostic d’IRC est posé, comparé à 28 chats sains d’âge comparable et à 14 chats âgés présentant de l’hypertension (pression artérielle systolique >175 mmHg) mais dont la créatininémie reste comprise dans les fourchettes de référence. Les chats sains âgés utilisés dans cette étude permettent de définir les limites physiologiques concernant le RPCU (la limite supérieure fut de 0,4). Pour identifier les facteurs de risque associés à la protéinurie au moment de l’entrée dans l’étude, une analyse de régression multidimensionnelle a été utilisée. Les variables identifiées furent la créatininémie (plus elle est élevée, plus le chat risque de présenter une protéinurie) et la pression artérielle. Le modèle de régression de Cox a servi à l’analyse de l’espérance de vie. L’âge, la créatinémie et la protéinurie (déterminée par le RPCU) sont des facteurs de risque significatifs et indépendants qui sont associés à une réduction de l’espérance de vie. Dans cette étude, les causes de mortalité n’ont pas été inventoriées car les chats âgés présentent souvent une pathologie multifactorielle. Les résultats de cette étude ont pour l’instant été présentés sous la forme d’un résumé préalable à la publication intégrale afin de communiquer lors de l’American College of Veterinary Internal Medicine (ACVIM) sur le consensus obtenu à propos de la protéinurie chez le chat (Lees et coll, 2005). Il est clair que la réduction du nombre de néphrons fonctionnels chez les chats présentant une IRC (montrée par l’augmentation de la créatininémie) favorise l’aggravation de la protéinurie. Ce phéno- 268 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique mène est confirmé par des études longitudinales portant sur la progression de l’IRC féline (Hardman et coll, 2004). L’augmentation du RPCU avec la progression de la maladie rénale sous-estime probablement l’importance de l’hyperfiltration qui s’installe lorsque la maladie évolue. En effet, à cause de la diminution du nombre de néphrons fonctionnels, la surface disponible pour le passage des protéines plasmatiques diminue aussi, ce qui tend à atténuer la perte urinaire de protéines. La déclaration de consensus communiquée à l’ACVIM recommande de traiter la protéinurie chez les chats azotémiques dès que le RPCU dépasse 0,4. Le traitement doit s’accompagner d’une investigation complète des facteurs pouvant causer ou exacerber la protéinurie et d’une surveillance attentive de la protéinurie pour évaluer l’efficacité du traitement. > Traitement de la protéinurie Comme la protéinurie semble être un facteur de risque important de diminution de l’espérance de vie chez le chat insuffisant rénal, il est logique de prescrire un traitement visant à réduire la protéinurie lorsque celle-ci est diagnostiquée en association avec l’IRC. Un chat azotémique, sans signe inflammatoire à l’examen du sédiment urinaire mais dont le RPCU est supérieur à 0,4 lors deux mesures consécutives, exige un traitement spécifique. Le traitement le plus efficace consiste à prescrire est un IECA. Le bénazépril est autorisé pour les chats en Europe. Expérimentalement, il permet de réduire la pression glomérulaire chez le chat (Brown et coll, 2001) et un essai clinique contrôlé randomisé en aveugle (King et coll, 2006) a prouvé qu’en cas d’IRC spontanée, le bénazépril diminue le RPCU. > Restriction de l’apport protéique INTERPRÉTATION DU RAPPORT PROTÉINE/CRÉATININE URINAIRE (RPCU) SELON L’IRIS - un RPCU < 0,2 est considéré comme Proportion d’animaux en vie normal L’hémodynamique rénale varie lors de chaque repas contenant des protéines et le DFG augmente selon - un RPCU compris entre 0,2 et 0,4 la quantité et la nature des protéines consommées. La restriction de l’apport en protéines devrait se représente la limite inférieure d’une faire en fonction du niveau de l’hyperfiltration réactionnelle. La question de l’efficacité de la réduction protéinurie pathologique de l’apport en protéines alimentaires pour faire baisser la protéinurie est un sujet très controversé, que - RPCU > 0,4 : protéinurie vraie. ce soit chez le chien ou chez le chat. Dans des modèles murins expérimentaux (réduction de la masse rénale), cette stratégie permet de limiter la protéinurie, de ralentir la dégradation de la fonction rénale et la progression des lésions rénales (Brenner et coll, 1982), si bien que la resFIGURE 20 - INFLUENCE DU RAPPORT PROTÉINE/CRÉATININE URINAIRE triction protéique a été recommandée pour les autres espèces SUR L’ESPÉRANCE DE VIE DES CHATS INSUFFISANTS RÉNAUX Syme et coll, J Vet Intern Med 2006 également. Des études similaires ont été réalisées chez le chat Permission de reproduction accordée par Blackwell Publishing et les résultats ont d’abord suggéré un effet bénéfique de la restriction protéique sur le développement des lésions gloméru1,0 laires dans le rein restant (Adams et coll, 1993; 1994). CepenRPCU dant, dans ces études, les chats qui recevaient moins de pro0,8 < 0,2 téines (2,7 g/kg/jour) consommaient également moins de calo0,2 - 0,4 > 0,4 ries (56 kcal/kg/jour) que le groupe témoin qui recevait une plus 0,6 grande quantité de protéines (75 kcal/kg/jour et 6,8 g protéines/kg/jour). De plus, les chats dont l’apport protéique était 0,4 limité ont présenté des signes de malnutrition protéique avec diminution de l’albuminémie à la fin de l’étude. Une étude 0,2 ultérieure portant sur la même question a permis de distinguer l’effet de l’apport calorique et celui de la restriction protéique. Les lésions rénales observées étaient nettement différentes et 0 l’effet bénéfique de la restriction protéique n’a pas été mis en 200 400 600 800 1000 1200 évidence (Finco et coll, 1998). Espérance de vie (jours) Dans les études précédentes, le modèle utilisé ne permet pas d’envisager séparément l’effet du régime alimentaire sur la perte de la fonction rénale (mesurée par la détérioration progressive du DFG) au cours des douze mois de suivi post-opératoire. Dans Les données de RPCU ont été classées selon le classement proposé par l’IRIS : absence de protéinurie (< 0,2), protéinurie moyenne (0,2 à 0,4) et protéinurie marquée (> 0,4). 269 Reins Parmi les interventions alimentaires destinées à diminuer la protéinurie, citons: • un apport protéique réduit, mais de protéines de haute valeur biologique • une supplémentation en acides gras polyinsaturés oméga-3, afin d’augmenter la proportion des acides gras oméga-3 par rapport aux acides gras oméga-6. 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique l’étude rapportée par Finco et coll. (1998), une faible protéinurie se développe chez les chats après l’intervention (RPCU: 0,24 à 0,27) alors qu’elle était absente avant (RPCU: 0,06 à 0,08). Aucune différence significative de RPCU n’a été notée entre les quatre groupes de chats de cette étude et, par conséquent, le régime alimentaire est considéré sans effet sur le RPCU. L’examen histologique du rein restant révèle cependant un effet bénéfique de la diminution de l’apport calorique (mais non protéique) sur la sévérité des lésions interstitielles (mais non des lésions glomérulaires). Les chats dont l’apport calorique était le plus faible recevaient entre 55 et 58 kcal/kg/jour au lieu de 71 à 73 kcal/kg/jour; l’apport protéique le plus faible correspondait à 5,2-5,3 g/kg/jour contre 9 g/kg/jour avec le régime le plus concentré en protéines. Les différences entre les résultats de ces deux études sont frappantes et largement commentées par Finco et coll. (1998) qui remarquent les points suivants: - la source de protéines n’est pas la même dans les deux études: protéines principalement d’origine animale dans l’étude d’Adams et coll. (1994), végétale dans l’étude de Finco et coll. (1998) - l’apport en potassium est plus faible dans l’étude d’Adams et coll. (1994) (les chats qui ont reçu le régime à teneur élevée en protéines ont développé une hypokaliémie) - dans l’étude d’Adams et coll. (1994), la contribution des lipides au total de l’apport énergétique est plus importante. Reins À partir de ces deux seules études, il est difficile d’émettre des recommandations nutritionnelles applicables à tous les chats présentant une IRC de stade II ou III. Pour limiter la protéinurie et peut-être ralentir la progression des lésions rénales consécutives (voir mécanismes physiopathologiques expliqués plus haut), il semble approprié de réduire l’apport en protéines animales. La plupart des régimes à visée rénale conçus pour limiter l’apport en phosphore doivent aussi restreindre la part des protéines d’origine animale. L’intérêt de la seule restriction protéique chez le chat n’a pas été étudié indépendamment des autres modifications de la formulation habituellement présentes dans les aliments à visée rénale. Par extrapolation à partir de résultats émanant d’autres espèces, les chats dont l’hémodynamique rénale est la plus susceptible de bénéficier d’une restriction protéique sont ceux qui présentent une protéinurie relativement marquée (RPCU> 1,0). > Supplémentation en acides gras polyinsaturés oméga-3 Les chats dont l’hémodynamique rénale est la plus susceptible de bénéficier d’une restriction protéique sont ceux qui présentent une protéinurie relativement marquée (RPCU> 1,0) lors d’IRC de stade II ou III. La composition des lipides alimentaires influence de nombreux paramètres importants, dont la concentration plasmatique en cholestérol et la structure des membranes cellulaires. Chez l’homme, l’hypercholestérolémie et l’hypertriglycéridémie sont d’importants facteurs de risque des maladies cardiovasculaires et rénales. Il ne semble pas que ce soit le cas chez le chat, en partie au moins parce qu’il ne possède que peu de lipoprotéines à faible densité (LDL), particules impliquées dans la progression des maladies cardiovasculaires et rénales chez l’homme. Mais chez le chien, et peut-être chez le chat, des modifications de la structure des membranes cellulaires peuvent être obtenues grâce à l’alimentation, en agissant sur les types d’acides gras polyinsaturés (AGPI) présents dans la ration. Le paramètre qui a été le mieux étudié chez le chien concerne les variations du rapport entre les AGPI oméga-6 (huiles végétales) et oméga-3 (huiles de poisson). Les AGPI oméga-6 et oméga-3 sont incorporés aux phospholipides des membranes cellulaires pour servir de précurseurs à certains eicosanoïdes comme la prostaglandine E2 et le thromboxane A2, importants pour la vascularisation du rein. Des modifications du rapport alimentaire oméga-6/oméga-3 ont été proposées afin de modifier l’hémodynamique rénale et ce faisant, de protéger les reins contre les effets secondaires de l’hyperfiltration trop poussée évoquée plus haut. Ces recommandations s’appuient sur des études faites chez le chien ayant subi une réduction chirugicale de la masse rénale fonctionnelle. L’administration d’un régime nettement enrichi en AGPI oméga-3 à longue chaîne diminue la pression glomérulaire, réduit la protéinurie et ralentit la progression de la détérioration du DFG observée dans ce modèle (Brown et coll, 1998). En revanche, dans ce même 270 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique modèle de réduction rénale, la distribution d’un régime nettement enrichi en AGPI oméga-6 augmente la pression glomérulaire, aggrave la protéinurie et provoque une accélération de la détérioration du DFG (Brown et coll, 2000). Ces études ont utilisé des niveaux très élevés de supplémentation en AGPI mais ont confirmé l’intérêt de diminuer le rapport entre AGPI oméga-6 et oméga-3. Dans ce but, certains aliments formulés pour chiens insuffisants rénaux sont maintenant enrichis en huile de poisson. Il n’existe pas de données de ce type pour le chat, dont le métabolisme des AGPI est quelque peu particulier. Cependant, il est probablement encore plus important d’apporter des AGPI oméga-3 (acide eicosapentaénoïque [EPA] et acide docosahexaénoïque [DHA]) chez le chat que chez le chien parce que les félins présentent un déficit en delta-6-désaturase. Ce principe est appliqué dans des aliments pour chats insuffisants rénaux. Un de ces aliments a été utilisé dans un essai clinique contrôlé et randomisé, conduit en aveugle pendant deux ans chez des chats présentant une insuffisance rénale spontanée. En se basant sur la prévention des crises d’urémie et de la mortalité liée à l’IRC chez des chats au stade II ou III, ce régime a produit de meilleurs résultats qu’un aliment d’entretien standard (Ross et coll, 2006). En revanche, les chats recevant l’aliment à visée rénale n’ont pas montré de réduction détectable du RPCU. Comme discuté plus haut, l’aliment diététique utilisé dans cette étude se caractérisait par son profil lipidique mais également par une réduction des teneurs en protéines, en phosphore et en sodium. D’autres études seront nécessaires pour déterminer si, chez le chat, un supplément d’AGPI oméga-3 est efficace pour limiter la protéinurie et quel est son impact sur la progression de l’IRC. Dans certains états pathologiques, le dysfonctionnement des cellules endothéliales pourrait contribuer au caractère chronique et progressif de la maladie (Figure 21). Citons comme exemples: l’insuffisance cardiaque chronique, l’hypertension artérielle, les complications cardiovasculaires du diabète sucré et des maladies rénales. Chez l’homme et dans certains modèles expérimentaux d’IRC, il existe des éléments solides qui viennent étayer le rôle du dysfonctionnement des cellules endothéliales dans l’hypertension artérielle systémique, la pathologie glomérulaire, la protéinurie progressive et la fibrose interstitielle. Chez l’homme, l’IRC est un important facteur de risque de maladie cardiovasculaire et les complications cardiovasculaires sont une cause fréquente de décès. Le dysfonctionnement des cellules endothéliales dans la maladie rénale a différentes causes possibles: • dyslipoprotéinémie associée à des perturbations du métabolisme du cholestérol © Unité d’anatomie pathologique ; Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse Les modifications alimentaires exposées plus haut sont classiquement prises en compte dans les aliments diététiques destinés aux chats insuffisants rénaux. Il existe cependant aujourd’hui d’autres voies de travail, ouvertes à partir par des résultats obtenus dans d’autres espèces. L’importance du dysfonctionnement des cellules endothéliales dans la progression de l’IRC chez l’homme a suscité beaucoup d’intérêt. Les cellules endothéliales tapissent le système cardiovasculaire et produisent un très grand nombre de médiateurs différents. Chez l’individu sain, ces substances ont pour rôle: • d’offrir une surface de résistance à la thrombose FIGURE 21 - LÉSIONS MICROSCOPIQUES TYPIQUES DE NÉPHRITE • d’induire une vasodilatation tonique des cellules musculaires lisses TUBULO-INTERSTITIELLE CHRONIQUE CHEZ LE CHAT sous-jacentes afin de compenser l’action des médiateurs de la vasoconstriction qui sont produits localement ou qui sont présents dans la circulation • de résister à l’adhésion des leucocytes et à leur migration en absence de stimulus inflammatoire majeur • d’inhiber la prolifération inappropriée des muscles lisses et des fibroblastes. Atrophie des cellules tubulaires Contenu tubulaire éosinophilique rose pâle Fibrose interstitielle Infiltrat interstitiel lymphoplasmocytaire Les lésions microscopiques typiques de néphrite tubulo-interstitielle chronique chez le chat comprennent : un infiltrat interstitiel lympho-plasmocytaire, une fibrose interstitielle et une atrophie des cellules tubulaires. Le contenu tubulaire éosinophilique rose pâle suggère une protéinurie compatible avec l'existence de lésions glomérulaires associées. 271 Reins Autres stratégies alimentaires destinées à ralentir la progression des lésions rénales 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique Reins FIGURE 22 - ORIGINE DES FLAVANOLS Polyphénols Flavonoïdes Flavonols Flavanols Non-Flavonoïdes Flavanones Anthocyanes Monomères : catéchine, épicatéchine, épigallocatéchine galate Oligomères : procyanidines Polymères : tanins • accumulation d’inhibiteurs de l’enzyme endothéliale synthétisant l’acide nitrique ou NO (principalement le diméthylarginine asymétrique (ADMA)), suite à la réduction de l’excrétion rénale d’ADMA et à la diminution du catabolisme par la diméthylarginine diméthylamino-hydrolase, conséquence du stress oxydatif (Baylis, 2006) • réduction de la synthèse rénale de la L-arginine, acide aminé nécessaire à la synthèse du NO par l’endothélium • augmentation du stress oxydatif associé à l’IRC, avec les effets suivants : - réduction de la biodisponibilité du NO libéré par l’endothélium - stimulation de la production endothéliale de médiateurs profibrotiques et promitotiques et de médiateurs vasoconstricteurs (par exemple endothéline-1, thromboxane A2 et peroxyde d’hydrogène). Bien qu’il y ait peu de publications concernant la pertinence de ces facteurs dans la maladie rénale chronique du chat, il existe des données publiées sous forme d’absLes principales sources de flavanols sont : le cacao, le raisin et surtout le thé vert, où 40 à 50 % des flavanols présents sont représenté par l’épigallocatéchitracts qui soulignent l’importance du stress oxydatif dans ne gallate, l’un des flavanols les plus actifs. le développement de l’IRC spontanée chez le chat (communication personnelle: Braun, 2000) et de l’accumulation d’ADMA aux stades II, III et IV de l’IRC (Jepson et coll, 2008). Ces données indiquent une étroite corrélation entre la concentration plasmatique d’ADMA et la créatininémie. Il existe des approches diététiques visant à corriger le dysfonctionnement des cellules endothéliales associé à l’IRC. Aucune de ces approches n’a été étudiée chez le chat et, à l’heure actuelle, l’intérêt de leur application au chat insuffisant rénal reste à confirmer. Parmi ces recommandations, citons: • une supplémentation en L-arginine pour stimuler la production de NO et surmonter l’inhibition induite par l’ADMA; • un apport de flavanols (Figure 22) qui sont aussi connus pour favoriser la production de NO par l’endothélium et améliorer la santé des cellules endothéliales de manière générale. En piégeant les radicaux libres, les flavanols exercent un effet protecteur dans les zones de nécrose qui apparaissent dans les glomérules à cause du phénomène d’alternance entre ischémie et reperfusion, dû aux troubles circulatoires accompagnant l’IRC. L’action anti-hypertensive des flavanols combine plusieurs effets: - relaxation des fibres musculaires lisses (Duarte et coll, 1993; Huang et coll, 1998). Cette propriété facilite l’augmentation du DFG dans les néphrons subsistants lorsque le tissu rénal fonctionnel a diminué; - stimulation de la production endogène de NO à partir de l’arginine (Chevaux et coll, 1999; Duarte et coll, 2002). Le NO favorise la vasodilatation locale; - inhibition de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, qui a un rôle important dans la vasoconstriction (Hara et coll, 1987; Cho et coll, 1993); • un enrichissement du régime en antioxydants (vitamine E, vitamine C, taurine, lutéine, lycopène, bêta-carotène, etc.) pour rétablir l’équilibre entre les pro-oxydants et les antioxydants et limiter les problèmes dûs au stress oxydatif dans l’IRC. En médecine humaine où des recherches actives sont menées pour lutter contre le dysfonctionnement des cellules endothéliales, certaines des stratégies mentionnées ci-dessus se sont avérées intéressantes. Le dysfonctionnement des cellules endothéliales est impliqué aussi bien dans les premiers stades de l’IRC que dans les stades les plus sévères, lorsqu’un traitement substitutif de la fonction rénale s’impose et que les complications cardiovasculaires représentent une cause importante de morbidité et de mortalité. Il reste encore à déterminer si ces mesures sont bénéfiques chez le chat insuffisant rénal et à quel moment les appliquer. 272 4 - Règles diététiques lors d’insuffisance rénale chronique Rôle des fibres Les fibres fermentescibles sont apparues récemment dans le traitement diététique de l’IRC. Elles représentent une source de glucides pour les bactéries gastrointestinales qui utilisent l’urée comme source d’azote pour leur croissance. Comme l’excrétion d’azote dans les fèces augmente en fonction de la masse bactérienne, il a été supposé qu’une augmentation de cette dernière puisse contribuer à faire baisser l’urémie. Cependant, les toxines urémiques classiques, contrairement à l’azote uréique, sont des molécules de taille moyenne, trop grosses pour passer facilement la barrière membranaire. Il est donc peu probable que ces toxines soient utilisées par les bactéries pour couvrir leurs besoins azotés. En revanche, les effets bénéfiques des fibres fermentescibles peuvent permettre d’aider à réguler les perturbations digestives qui accompagnent l’IRC. Résumé La section 4 de ce chapitre a traité des mesures diététiques fréquemment mises en place dans les aliments à visée rénale et a discuté de l’intérêt de leur application au stade II et au début du stade III de l’IRC. La nécessité du traitement diététique avant l’apparition des signes cliniques liés au syndrome urémique est quelque peu controversée. En clinique, le principal objectif thérapeutique à viser chez ce type de patients est de ralentir la progression de l’IRC vers le stade IV et au-delà. Les principes diététiques de base à respecter sont les suivants: • limitation de l’apport de phosphore • limitation de l’apport de sodium • supplémentation en potassium • limitation de l’apport protéique et modification de la composition des matières grasses de l’aliment. Reins Chacune de ces mesures a fait la preuve de son efficacité pour ralentir la progression des lésions rénales. Deux essais prospectifs utilisant des aliments diététiques ainsi formulés ont clairement prouvé que ceuxci peuvent être bénéfiques aux stades II et III de l’IRC pour diminuer la mortalité, toutes causes confondues (Elliott et coll, 2000) ainsi que la survenue des crises d’urémie ou le stade fatal de l’IRC (Ross et coll, 2006). Si ces deux études ont mis l’accent sur l’importance d’un régime alimentaire spécifique pour les stades II et III de l’IRC chez le chat, il n’est pas possible de savoir de manière précise quelle mesure diététique est la plus responsable des bénéfices observés. 5 - Traitement diététique en phase urémique [IRC : fin du stade III/stade IV] L’état clinique des chats urémiques est très instable et il est donc important d’être particulièrement attentif à: 1. l’équilibre hydrique: s’assurer que le chat reçoit un apport liquidien qui soit quantitativement et qualitativement adéquat en vue de rétablir l’équilibre hydrique, en particulier si la fonction rénale s’est détériorée brutalement et qu’il y a risque de crise d’urémie 2. l’alimentation: toute modification doit être introduite très progressivement en surveillant régulièrement que l’animal répond bien au traitement. (N = 28 chats urémiques) D’après Elliott et Barber, 1998 100 90 80 Chats survivants (%) Cette section discute des mesures diététiques applicables pendant le traitement du syndrome urémique (rencontré en fin de stade III et au stade IV de l’IRC). L’espérance de vie moyenne d’un chat urémique est d’environ huit mois (Figure 23) mais, selon notre expérience, elle est souvent beaucoup plus courte chez les chats qui sont présentés pour la première fois lors d’une crise d’urémie. À ce stade, l’objectif thérapeutique prioritaire consiste à améliorer la qualité de vie des patients plutôt que d’essayer de traiter les facteurs qui influencent la progression de l’IRC. FIGURE 23 - ESPÉRANCE DE VIE DU CHAT URÉMIQUE 70 60 233 jours, soit environ 8 mois 50 40 30 20 10 0 0 200 400 600 800 1000 Temps (jours) 273 5 - Traitement diététique en phase urémique Prise en charge de l’urémie Lorsque l’accumulation de déchets azotés devient importante, elle a une incidence sur l’appétit et elle peut être à l’origine de nausées et de vomissements dus à l’effet irritant des déchets azotés sur les muqueuses. Lorsque l’urée plasmatique dépasse 30 mmol/L (84 mg/dL), il est recommandé de réduire l’apport protéique afin de limiter l’urémie pour qu’elle n’altère pas trop le bien-être du chat. Il est important de veiller à ce que l’apport énergétique soit suffisant, en contrôlant régulièrement le poids corporel et l’état général. La mesure du RCPU est utile pour évaluer séparément l’effet du dysfonctionnement des reins sur l’urée plasmatique et pour apprécier la réponse à la restriction protéique (diminution de la production de déchets azotés). Chez le chien, des valeurs de référence ont été proposées en fonction de l’apport protéique mais aucune n’a été publiée chez le chat. Un rapport très élevé peut s’expliquer par une mauvaise observance du traitement par le propriétaire, par une déshydratation, des saignements gastrointestinaux et un état hypermétabolique (par exemple une septicémie). Des valeurs très basses sont signes d’une consommation alimentaire insuffisante et de malnutrition protido-calorique qui pousse l’organisme à consommer ses propres protéines comme source d’énergie. Si cette situation persiste un certain temps, l’animal perd beaucoup de poids et présente des signes de fonte musculaire. Un tel état peut être provoqué par une inappétence de l’aliment qui est alors sous-consommé par l’animal. Dans ce cas, il est inutile de s’entêter et il faut chercher une solution alternative. Il peut être nécessaire de proposer plusieurs aliments différents avant de sélectionner celui qui est préféré par le chat. Reins Le syndrome urémique s’accompagne souvent de lésions buccales, gastriques et intestinales qui provoquent des vomissements, des diarrhées et de l’anorexie. Il peut être utile d’incorporer une source d’argile dans l’alimentation pour protéger la muqueuse digestive (Droy et coll, 1985). À un stade encore plus avancé d’IRC (fin de stade IV) (Figure 24), l’appétit du chat risque d’être tellement faible que la malnutrition protido-calorique est inévitable à moins d’alimenter l’animal par sonde entérale (voir chapitre 14, Soins intensifs). Des propriétaires peuvent considérer inacceptable ce type de traitement et préférer l’euthanasie. En plus de la restriction destinée à limiter la formation de déchets azotés, certains régimes à visée rénale mettent également l’accent sur l’inclusion de fibres alimentaires non digestibles capables de fixer les déchets azotés pour encourager leur élimination par voie gastrointestinale. La littérature scientifique ne fournit pas de données objectives démontrant l’efficacité de cette mesure pour diminuer l’urémie et l’intérêt clinique qu’elle présente au stade IV de l’IRC. La constipation est un problème pratique fréquemment rencontré chez les chats âgés atteints d’IRCsévère, qui résulte probablement de la combinaison de plusieurs facteurs: • déshydratation entraînant la production de selles dures et de faible volume • faiblesse musculaire et diminution de la motricité gastrointestinale, aggravée par l’hypokaliémie • réticence à déféquer, à cause de la douleur provoquée par la position adoptée pour éliminer (arthrose, douleur osseuse à cause de l’ostéodystrophie rénale) • effet secondaire des doses élevées de chélateurs intestinaux du phosphore • effet inhibiteur des antihypertenseurs (agents bloquants des canaux calciques) sur la motricité gastrointestinale. Figure 24 - Examen post-mortem d'un rein d'un chat Persan de 6 ans euthanasié en stade terminal d'insuffisance rénale chronique. Le rein présente des lésions de maladie rénale polykystique. 274 La constipation peut être à l’origine d’un cercle vicieux : diminution de l’appétit et de la consommation alimentaire conduisant à une diminution de la stimulation de la motilité gastrointestinale et à une aggravation du déséquilibre potassique. En cas d’IRC de stade IV, il faut donc rechercher des aliments qui favorisent le maintien de la motricité gastrointestinale et permettent la production de selles formées qui ne soient pas dures. 5 - Traitement diététique en phase urémique Prise en charge de l’acidose métabolique et de l’hypokaliémie Des signes objectifs d’acidose métabolique deviennent en général visibles au stade III avancé et au début du stade IV de l’IRC. La prévalence de l’acidose métabolique est de 15 % au stade III (3/20) et de 52,6 % au stade IV (10/19) (Elliott et coll, 2003a). Ceci suggère qu’aux stades plus précoces de l’IRC, les chats sont capables d’excréter les acides ingérés ou que le rôle tampon de l’organisme masque les petits déséquilibres entre l’ingestion et l’excrétion si bien qu’il n’est pas possible de détecter de modification significative de la concentration plasmatique en bicarbonates. L’os est le tissu le plus susceptible de servir d’organe tampon. La libération osseuse de calcium risque alors d’aggraver l’ostéodystrophie rénale et de favoriser la minéralisation des tissus mous (Leemann et coll, 2003). La contribution de l’acidose métabolique à la pathologie osseuse associée à l’IRC est bien connue en médecine humaine mais n’a pas encore fait l’objet d’études chez le chat. En effet, dans une étude longitudinale sur des chats présentant une IRC, l’incidence de l’acidose métabolique n’a pas pu être détectée avant que les chats au stade II n’évoluent vers les stades III/IV (Elliott et coll, 2003b). L’intérêt d’une supplémentation alcaline avant que l’acidose métabolique ne soit détectable reste à confirmer. En tout cas, trois mois d’administration de gluconate de potassium n’ont pas eu d’effet notable sur le renouvellement des cellules osseuses (mesuré par des marqueurs biochimiques de la synthèse et de la dégradation osseuse) (données non publiées). En revanche, à un stade d’IRC avancé, il est incontestable qu’il faut prendre des mesures pour traiter le problème de l’acidose métabolique. Reins L’acidose métabolique implique un traitement alcalinisant par voie orale (Tableau 7). La réponse au traitement peut être suivie par des mesures répétées de la concentration plasmatique en bicarbonates qui doit idéalement être comprise entre les limites de la fourchette physiologique. Le choix de l’agent alcalinisant se fait en fonction de plusieurs paramètres : son appétence pour l’animal, la présence éventuelle d’une hypertension (auquel cas les suppléments sodiques sont contre-indiqués), d’une hypokaliémie (pour laquelle des sels de potassium sont recommandés) et d’une hyperphosphatémie ; dans ce dernier cas des sels de calcium peuvent être prescrits pour leur capacité à fixer le phosphore (à condition de ne pas entraîner d’hypercalcémie). L’acidose métabolique augmente le risque d’hypokaliémie. En réponse à l’acidose, le potassium tend à quitter les cellules et il est éliminé par voie urinaire. De plus, l’acidose peut être associée à une diminution de la consommation alimentaire et à des vomissements, ces deux éléments augmentant les pertes en potassium. Comme décrit plus haut, un traitement par le gluconate de potassium ou par le citrate de potassium est alors indiqué. L’utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons comme la famotidine (2,5 mg/ chat une fois par jour) peut également améliorer l’appétit en diminuant l’acidité gastrique. Lors d’IRC, l’hyperacidité survient suite à l’hypergastrinémie (Goldstein et coll, 1998) secondaire à la diminution de la clairance rénale de la gastrine. Prise en charge de l’hyperphosphatémie Le niveau nécessaire de restriction du phosphore alimentaire pour faire baisser la phosphatémie au niveau souhaité dépend de la sévérité de l’atteinte rénale. À un stade III/IV, il est peu probable qu’un aliment à visée rénale suffise à atteindre l’objectif et il peut être utile d’avoir recours à des chélateurs intestinaux du phosphore pour abaisser la phosphatémie en-dessous de 1,9 mmol/L (5,88 mg/dL) (Tableau 8). Il est important de savoir que les chélateurs du phosphore interagissent avec la nourriture et qu’il faut donc les mélanger à l’aliment pour obtenir une efficacité maximale. En revanche, ils peuvent parfois altérer l’appétence de l’alimentation. Bien adapter la posologie d’administration des chélateurs du phosphore impose de suivre les recommandations suivantes: • commencer avec des doses de 30 à 60 mg/kg • préférer les préparations en poudre ou granulés à mélanger plutôt que les liquides ou les gels, qui affectent plus l’appétence de l’aliment • mélanger le chélateur à l’aliment 275 5 - Traitement diététique en phase urémique FIGURE 25 - RADIOGRAPHIES CHEZ UN CHAT PRÉSENTANT UNE HYPERPARATHYROÏDIE SECONDAIRE RÉNALE MARQUÉE Reproduction à partir de Barber (1999) Vue latérale de l'humérus proximal Vue antéro-postérieure du tibia proximal Reins Noter les lésions kystiques avec amincissement de la corticale dans les deux os longs. • mesurer la phosphatémie toutes les 4 semaines • augmenter la dose en fonction de la réponse du chat (en doublant jusqu’à la dose maximale tolérable) et réévaluer l’effet • les chélateurs contenant de l’aluminium peuvent provoquer une microcytose, de la faiblesse musculaire et une encéphalopathie • ne pas hésiter à augmenter les doses de chélateurs en cas de faible consommation de l’aliment diététique (ou lorsque l’aliment est relativement riche en phosphore) et lorsque l’IRC est à un stade avancé • des doses élevées peuvent provoquer de la constipation, quel que soit le chélateur choisi • suivre la concentration plasmatique du calcium pour éviter l’hypercalcémie, en particulier si les chélateurs du phosphore contiennent du calcium. À mesure que l’IRC progresse, il devient de plus en plus difficile de maîtriser la phosphatémie et de maintenir une consommation énergétique suffisante. La mise en place d’une sonde gastrique pour administrer l’alimentation mélangée aux chélateurs du phosphore permet de mieux maîtriser le phosphore plasmatique. Une hyperphosphatémie marquée affecte la qualité de vie du chat en aggravant l’ostéodystrophie rénale secondaire qui devient apparente à la radiographie (Figure 25). Le dépôt de calcium et de phosphore dans les parois vasculaires augmente le risque de complications cardiovasculaires de l’IRC chez l’homme et il est intéressant de remarquer qu’environ 20 % de la mortalité chez le chat à IRC est imputable à des problèmes cardiovasculaires (Figure 26, données provenant de cas publiés par Elliott et coll, 2000). Prévention de l’anorexie et de la perte de poids FIGURE 26 - CAUSES DE LA MORT CHEZ 50 CHATS SUIVIS À PARTIR DU DIAGNOSTIC D’IRC DE STADE II OU III Insuffisance rénale chronique Maladie cardiovasculaire Tumeurs Autres causes Il est nécessaire d’assurer un apport énergétique suffisant pour prévenir le catabolisme des protéines endogènes, qui conduit à la malnutrition et à l’aggravation de l'azotémie. Les chats ont besoin de 50 à 60 kcal/kg/jour. L’apport énergétique doit être adapté aux besoins de l’animal en fonction du score corporel obtenu par une série de mesures du poids et de son état général. Les glucides et les matières grasses sont des sources non-azotées d’énergie. Les matières grasses apportent environ deux fois plus d’énergie par gramme que les glucides. Elles augmentent donc la densité énergétique du régime, ce qui permet de couvrir les besoins avec une plus petite quantité d’aliment. Si le bol alimentaire est réduit, l’estomac est moins distendu, l’animal souffre moins de nausées et a moins tendance à vomir. 19 % 12 % 54 % 15 % L’efficacité du traitement diététique rénal suppose que l’animal ne reçoive rien d’autre à manger et que les repas soient distribués de manière régulière. L’aliment doit être appétent, sinon le chat risque de refuser de manger. Une haute concentration énergétique et une excellente digestibilité sont indispensables pour maintenir un apport nutritionnel suffisant (Figure 27). Parvenu à un stade sévère d’IRC, le chat tend à perdre l’appétit et cette question du maintien du poids et de l’état général par un apport calorique suffisant devient centrale. L’appétit peut être stimulé par l’ajout d’arômes (il existe des produits disponibles dans le commerce) au régime de base. Pour maintenir une consommation alimentaire suffisante, il est parfois intéressant de réchauffer l’aliment et de le proposer par petites quantités, très régulièrement. À un stade encore plus avancé d’IRC, lorsque l’animal ne se nourrit plus assez, il peut être nécessaire de donner des suppléments vitaminiques, en particulier des vitamines hydrosolubles (B et C) car les pertes urinaires de ces éléments peuvent être supérieures aux apports. Les déficits vitaminiques associés à l’IRC ne sont pas documentés mais la concentration en vitamines hydrosolubles est nettement augmentée dans beaucoup d’aliments diététiques à visée rénale, par rapport aux aliments d’entretien standards. 276 Conclusion Conclusion FIGURE 27 - CONDITION CORPORELLE ET ESPÉRANCE DE VIE DU CHAT De Doria-Rose et Scarlett, 2000 L’alimentation a un rôle important à jouer dans le traitement de l’IRC chez le chat. Il est important que le régime soit adapté aux besoins de l’animal et de comprendre les objectifs du traitement diététique aux différents stades de la maladie. Condition corporelle optimale (n=878) Chats maigres (n=222) Chats cachectiques (n=38) 100 Taux de survie (%) • Aux stades II et III, les aliments diététiques de l’IRC sont bénéfiques 80 car ils permettent d’allonger l’espérance de vie en limitant les crises d’urémie. Parmi les principes du traitement, citons: 60 - la limitation de l’apport en phosphore: elle prévient le risque de réten40 tion anormale du phosphore et ralentit la progression des lésions 20 rénales induites par la néphrocalcinose - la réduction de l’apport protéique: elle limite l’hyperfiltration et la pro0 téinurie lorsque celle-ci est notable 0 1 - les effets bénéfiques d’une supplémentation en AGPI oméga-3: ils doivent encore faire l’objet d’études chez le chat - un supplément de potassium: il est nécessaire chez les chats qui présentent une hypokaliémie mais aucun bénéfice n’est détecté lorsque la kaliémie est normale - l’avantage de la réduction de l’apport en sodium alimentaire sur la maîtrise de la pression artérielle doit encore être déterminé. 2 Années 3 4 TABLEAU 7 – AGENTS ALCALINISANTS Reins • Au stade III avancé et au stade IV d’IRC, l’alimentation devient utile pour améliorer la qualité de vie du chat qui entre en phase urémique. Parmi les principes importants du traitement diététique à ce stade, citons: - La limitation de l’apport protéique afin de réduire l’accumulation de déchets azotés, en particulier lorsque l’urémie dépasse 30 mmol/L (84 mg/dL). Il faut prendre en considération l’origine de la protéine: les protéines hautement digestibles limitent la libération de sous-produits azotés dans le sang - L’inclusion de nutriments qui restent dans le tube digestif et fixent l’urée et d’autres sous-produits azotés - Les suppléments alcalinisants pour traiter l’acidose métabolique qui contribue à l’ostéodystrophie rénale secondaire, au manque d’appétit et au malaise de l’animal - Les suppléments de potassium selon les besoins pour traiter l’hypokaliémie, qui aggrave le manque d’appétit, la faiblesse musculaire et le malaise général - La réduction de la biodisponibilité du phosphore de l’aliment par l’utilisation de chélateurs intestinaux du phosphore afin de limiter les effets extrarénaux de l’hyperphosphatémie et de l’hyperparathyroïdie, notamment l’ostéodystrophie rénale et la calcification vasculaire, qui affectent la qualité de vie de l’animal. TABLEAU 8 - CHÉLATEURS DE PHOSPHORE ACTUELLEMENT DISPONIBLES UTILISABLES CHEZ LE CHAT • Bicarbonate de sodium • Citrate de potassium • Carbonate de calcium La dose de 1 à 3 mEq d'agent alcalinisant par kg par jour est habituellement efficace. Les animaux qui souffrent d’un défaut d’acidification tubulaire peuvent nécessiter des doses sensiblement plus importantes (3 à 9 mEq/kg/j). • Carbonate d’aluminium • Hydroxyde d’aluminium • Oxyde d’aluminium • Carbonate de calcium (+/- Chitosan) • Acétate de calcium • Carbonate de lanthane • Sevelamer hydrochloride (hydrogel d’hydrochloride de polyallylamine) Un chélateur à base de lanthane, se liant au phosphore dans l’intestin, a récemment fait l’objet d’un test d’appétence lorsqu’il est mélangé à des aliments d’entretien pour chats (Schmidt et coll, 2006) et pour chiens (Spiecker-Hauser et Schmidt, 2006). Ce produit apparaît acceptable à raison de 3 g/kg d’aliment (poids brut) et, chez le chat sain, il augmente la quantité de phosphore excrété dans les fèces, passant de 30,7 ± 10,4 mg/j à 66,7 ± 21,0 mg/j. Il reste à déterminer l’efficacité et la tolérance de ce produit chez le chat présentant une IRC. 277 Questions fréquemment posées Questions fréquemment posées à propos du traitement diététique de l’insuffisance rénale chronique chez le chat Q R Non. L’IRC est un syndrome hétérogène qui résulte de la perte du tissu rénal fonctionnel. Beaucoup de processus pathologiques peuvent entraîner la perte des néphrons (infectieux, à médiation immune, dégénératifs, néoplasiques, toxiques, congénitaux, métaboliques, héréditaires). L’insuffisance rénale chronique (IRC) constitue-t-elle une entité unique ? Cette perte de tissu rénal fonctionnel (indépendamment de la cause) entraîne un certain nombre de réponses de la part des néphrons fonctionnels restants (mécanismes intrinsèques) et des autres systèmes corporels (mécanismes extrinsèques) pouvant aggraver les lésions des néphrons; ces réponses sont donc contre-productives et doivent souvent être traitées, indépendamment de la cause initiatrice de l’IRC. Pourquoi la composition de l’urine est-elle si variable ? Le rôle physiologique du rein est de contrôler l’équilibre entre l’ingestion de différents nutriments (eau, électrolytes et minéraux), les pertes extrarénales et les besoins en période de croissance, de lactation ou autres afin que l’homéostasie soit préservée. La prise alimentaire et hydrique variant d’un jour à l’autre, la composition de l’urine varie également, afin que la composition liquidienne reste stable et que l’homéostasie soit maintenue. Comment identifier les patients en stade I d’IRC (selon l’IRIS) s’ils ne sont pas azotémiques ? Il est important de se rappeler que le classement de l’IRIS ne s’applique qu’aux animaux pour lesquels un diagnostic d’insuffisance rénale chronique est posé. Au stade I, le diagnostic de maladie rénale ne se fait pas en fonction d’une créatininémie élevée, mais en se basant sur d’autres anomalies cliniques/biologiques: une anomalie anatomique des reins identifiée à l’examen clinique ou par imagerie médicale et confirmée par biopsie rénale; une incapacité persistante à concentrer l’urine de manière efficace en dehors de toute cause extrarénale; une protéinurie persistante sans qu’une maladie extrarénale ne semble être à l’origine de cette anomalie ou lorsque la créatininémie reste élevée sur plusieurs prélèvements différents (dans les limites définies pour le stade I). Lors d’IRC de stade II (selon IRIS), il n’y a souvent pas de signes cliniques nets. Est-il nécessaire de modifier l’alimentation à ce stade ? Les objectifs de la prise en charge d’un patient insuffisant rénal chronique, lorsque la cause sousjacente de lésion rénale n’est pas identifiée, sont d’améliorer la qualité de vie et de ralentir la progression de la maladie vers le stade final. Il existe des éléments montrant que les chats atteints d’IRC spontanée et recevant un aliment spécialement formulé pour cette indication ont une espérance de vie plus longue et moins de crises d’urémie. D’après des essais cliniques prospectifs contrôlés, les chats qui bénéficient le plus d’aliments formulés spécialement pour ralentir la progression de la maladie rénale sont ceux du stade II ou du stade III débutant. Reins Pourquoi l’IRC est-elle si fréquente chez les chats âgés ? La réponse à cette question n’est pas complètement connue. Le rein du chat est adapté à produire une urine hautement concentrée permettant à l’animal de vivre dans des environnements où l’eau est rare. Il est possible que la génération d’une telle urine concentée entraîne une ‘usure’ des néphrons (200000 par rein au départ) au cours de la vie du chat. Ceci, couplé à d’autres agressions extérieures dirigées contre le rein font que moins de 25 % des néphrons sont fonctionnels à la fin de la vie. Les chats commencent donc à manifester des signes cliniques d’insuffisance rénale chronique lorsqu’ils déviennent âgés. Cette explication n’est certainement pas complète et n’est que pure hypothèse puisque la raison définitive de la forte prévalence de l’IRC chez le chat n’est pas connue. 278 Pourquoi les aliments diététiques sont-ils bénéfiques pour les chats en insuffisance rénale de stade II ? Les essais cliniques ayant impliqué des aliments diététiques présentent une formulation qui diffère sur plusieurs points des aliments d’entretien et il n’est donc pas possible de savoir exactement pourquoi telle modification alimentaire est intéressante à tel ou tel stade de l’IRC. Il est cependant probable qu’une partie des bénéfices observés soit à relier à la restriction alimentaire en phosphore et donc à la diminution de la surcharge corporelle en phosphore. Que peut-on faire si les chats ne mangent pas l’aliment diététique ? La restriction du phosphore est un point important de la gestion des chats à IRC. Réduire le phosphore ingéré à travers un aliment d’entretien est possible en ajoutant un chélateur intestinal du phosphore, même s’il vaut mieux utiliser un aliment spécialement formulé pour l’IRC féline. Les effets des chélateurs du phosphore peuvent être suivis en mesurant la phosphatémie. La posologie du chélateur de phosphore mélangé à la nourriture dépend du stade de l’IRC et de la teneur en phosphore de l’aliment; de 30 à 60 mg/kg au début, elle doit être augmentée progressivement jusqu’à obtenir l’effet escompté c’est à dire que la phosphatémie soit inférieure au seuil fixé (1,45 mmol/L ou 4,5 mg/dL pour un stade II). Les chats atteints IRC doivent-ils tous recevoir une supplémentation en potassium ? Non. Ceci n’est pas nécessaire à condition que le chat reçoive un aliment non acidifiant avec un taux de potassium adapté au chat adulte et si sa kaliémie reste dans les limites des valeurs usuelles. Environ 20 % des chats avec IRC sont hypokaliémiques au moment du diagnostic et ont besoin d’un supplément de potassium par voie orale. Ces chats ont alors meilleur appétit et un niveau d’activité plus élevé. Un aliment diététique peut les aider à maintenir leur kaliémie dans les limites des valeurs usuelles, auquel cas la supplémentation orale n’est pas nécessaire. Les chats atteints d’IRC dont la kaliémie se situe dans les limites des valeurs usuelles et qui reçoivent des suppléments de potassium par voie orale excrètent plus de potassium par voie urinaire afin de maintenir l’homéostasie. Pourquoi les aliments à visée rénale sont-ils plus pauvres en protéines que les aliments d’entretien ? La restriction protéique était au départ perçue comme utile pour diminuer la pression capillaire glomérulaire et donc l’hyperfiltration associée à la prise alimentaire, particulièrement lors d’un repas riche en protéines. Cependant, si des lésions rénales se développent en effet plus vite chez des rats néphrectomisés qui reçoivent un régime riche en protéines, l’extrapolation aux chats et aux chiens n’est pas appropriée. Aux stades II et III débutants, la réduction des protéines alimentaires permet seulement de formuler des aliments qui contiennent également peu de phosphore. L’intérêt de la restriction protéique n’est réel qu’à partir des stades III (avancé) et IV où elle permet de prévenir l’accumulation de sous-produits azotés et donc de réduire les signes cliniques associés. Un tel bénéfice n’est en général pas évident lorsque l’urémie est inférieure à 30 mmol/L (87 mg/dL). Quel est le facteur pronostic le plus fiable chez le chat atteint d’IRC ? L’IRC féline a tendance à progresser de manière variable et l’espérance de vie à un stade IRIS donné est également très variable. Le facteur pronostique le plus fiable concerne la sévérité de la protéinurie au moment du diagnostic. Si le RPCU est constamment >0,4 (une faible protéinurie est normale chez les chats à IRC) le pronostic est mauvais et l’espérance de vie est probablement très inférieure à celle de chats avec un RPCU <0,2. Les chats avec un RPCU >0,4 bénéficieraient sans doute d’un traitement anti-protéinurique bien que ceci reste à prouver par des essais cliniques prospectifs contrôlés. 279 Reins R Questions fréquemment posées Q Références Références Adams LG, Polzin DJ, Osborne CA, et al. Comparison of fractional excretion and 24-hour urinary excretion of sodium and potassium in clinically normal cats and cats with induced renal failure. Am J Vet Res 1991; 52: 718-722. Brown SA, Brown CA, Crowell WA, et al. 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Il fut découvert en 1669 par un alchimiste allemand, Hennig Brandt : en évaporant de l’urine et en calcinant le résidu dans une cornue, il obtint en effet un dégagement de phosphore sous forme d’une vapeur qui brillait dans le noir. Le phosphore est également intégré à des molécules majeures comme l’ADN, l’ARN, les phospholipides membranaires, etc. Il constitue aussi la partie active de la molécule d’adé- NIVEAU DE PHOSPHORE DE PLUSIEURS SOURCES DE PROTÉINES UTILISÉES EN ALIMENTATION CANINE (Données internes Royal Canin) 5 Quantité maximale de phosphore (g/100 g protéines) Reins Sous forme de phosphates, le phosphore entre dans la composition des os : 86 % du phosphore de l’organisme est stocké dans le squelette où il participe à leur structure. nosine triphosphate (ATP), qui stocke ce phénomène accélère la perte des l’énergie nécessaire au fonctionne- néphrons fonctionnels. ment des organismes vivants. Lorsqu’il est impératif de restreindre Lorsque le débit de filtration glomé- le phosphore dans l’alimentation, la rulaire (DFG) diminue, le phosphore difficulté réside surtout dans la s’accumule dans l’organisme qui nécessité de trouver des sources de réagit en augmentant la sécrétion de protéines qui soient pauvres en phosparathormone (PTH). Cette réponse phore. Les sources de protéines permet initialement de conserver le animales classiquement utilisées dans phosphore dans les limites normales les aliments chat sont en effet assez mais entraîne aussi une libération de riches en phosphore : il y a par phosphates et de calcium à partir des exemple de 1,6 à 2,5 % de phosphore réserves osseuses. sur matière sèche dans des protéines de volailles déshydratées, suivant la Avec le temps, cette réponse compen- teneur globale en matières minérales satrice ne suffit plus à rétablir l'équi- subsistant après tamisage. Les libre. L’accumulation de phosphates et sources de protéines végétales (glude calcium entraîne la minéralisation ten de blé ou de maïs, hydrolysat de de certains vaisseaux des organes protéine végétale) fournissent une filtres (rein, cœur). Dans le cas du rein, alternative intéressante. Protéines de volaille standard Protéines de volaille “Low ash” 4 Poudre d’œuf Hydrolysat de soja 3 Gluten de maïs Gluten de blé 2 1 0 Les hydrolysats de protéines végétales ou le gluten de céréales (maïs ou blé) permettent d’apporter des protéines de bonne qualité en minorant l’ingéré de phosphore. Références Brown SA, Brown CA, Crowell WA, et al. Effects of dietary polyunsaturated fatty acid supplementation in early renal insufficiency in dogs. J Lab Clin Med 2000; 135: 275-286. 282 Ross SJ, Osborne CA, Kirk Ca, et al. Clinical evaluation of dietary modification for treatment of spontaneous chronic kidney disease in cats. J Am Vet Med Assoc 2006; 229: 949-957. Informations nutritionnelles Royal Canin Points clés à retenir à propos du : Traitement diététique lors d’insuffisance rénale chronique féline Les modifications alimentaires prioritaires ont pour but de : - lutter contre l’anorexie et maintenir une consommation énergétique suffisante - prévenir l’hyperparathyroïdie rénale secondaire en contrôlant l’hyperphosphatémie - limiter l’azotémie et/ou l’urémie - prévenir l’hypokaliémie - lutter contre le risque d’acidose métabolique - renforcer les défenses antioxydantes. Lutter contre l’anorexie et maintenir une consommation énergétique suffisante L’appétence de l’aliment est un facteur clé pour stimuler la consommation alimentaire du chat à IRC et pour favoriser l’observance du traitement diététique. Un aliment riche en énergie permet de réduire le volume des repas, ce qui facilite l’alimentation d’un animal à l’appétit perturbé par la maladie. EN FONCTION DE LA PHOSPHATÉMIE D’après F. Hebert, 2008 Dosage de la phosphatémie IRC Stade II Valeur seuil de la phosphatémie = 45 mg/L (1,45 mmol/L) IRC Stade III Valeur seuil de la phosphatémie = 50 mg/L (1,61 mmol/L) Régime hypophosphoré (< 0,7 à 1 g/1000kcal) Si phosphatémie < valeur seuil IRC Stade IV Valeur seuil de la phosphatémie = 60 mg/L (1,93 mmol/L) Contrôle de la phosphatémie Si phosphatémie > valeur seuil Chélateurs de phosphore mélangés à l’alimentation Si phosphatémie < valeur seuil Continuer, contrôle de la phosphatémie tous les 2 mois Lorsque l’IRC atteint le stade urémique, il est recommandé de réduire l’apport protéique afin que l’urémie n’altère pas trop le bien-être du chat. La mesure du rapport protéine/créatinine urinaire est utile pour apprécier la réponse à la restriction protéique (diminution de la production de déchets azotés). Il est également important de fournir au chat insuffisant rénal des acides gras Prévenir l’hyperparathyroïdie polyinsaturés oméga-3 à longue chaîne rénale secondaire en (acide eicosapentaénoïque [EPA] et acide contrôlant docosahexaénoïque [DHA]). Chez le l’hyperphosphatémie chien à IRC, l’administration d’un régime L’objectif est de limiter la teneur en enrichi en huile de poisson ralentit la phosphore des aliments à un niveau de progression de la détérioration du DFG 0,7 à 1,0 g/1000 kcal (soit environ 0,3 à (Brown et coll, 2000). 0,4 % dans un aliment sec à 4000 Prévenir l’acidose métabokcal/kg). Cette restriction permet en lique et l’hypokaliémie effet de multiplier par deux l’espérance de vie des chats insuffisants rénaux (Ross L’acidose métabolique nécessite un traiteet coll, 2005). Si un niveau aussi réduit ment alcalinisant par voie orale. L’acidose ne permet pas de stabiliser la phospha- métabolique augmente le risque d’hypotémie au niveau souhaité (Figure 1), kaliémie : un traitement par le gluconate l’utilisation de chélateurs du phosphore de potassium ou par le citrate de potasdoit alors être envisagée. sium est alors indiqué. FIGURE 1 - DÉMARCHE THÉRAPEUTIQUE IRC Stade I Valeur seuil de la phosphatémie = 45 mg/L (1,45 mmol/L) Limiter l’azotémie et/ou l’urémie Si phosphatémie toujours > valeur seuil Essayer calcitriol 1,5-3,5 ng/kg 1fois/jour PO en contrôlant la calcémie La prévention de l’acidose métabolique et de l’hypokaliémie chez le chat présentant une IRC implique d’éviter les aliments acidifiants et de vérifier que l’apport en potassium est supérieur aux besoins. Lorsqu’un aliment à visée rénale est distribué, la prescription systématique de suppléments de potassium s’avère généralement inutile. Enrichissement du régime en antioxydants L’enrichissement de l’aliment en vitamine E, vitamine C, taurine, lutéine, lycopène, bêta-carotène, (etc.) permet de limiter le stress oxydatif qui contribue à la progression des lésions d’IRC. Le régime diététique constitue la pierre angulaire du traitement de l’insuffisance rénale. Chez le chat, il a été prouvé qu’il contribue à augmenter significativement l’espérance de vie en ralentissant la progression de la maladie rénale. 283 Reins La composition du régime alimentaire est importante pour maintenir l’homéostasie chez le chat atteint d’insuffisance rénale chronique (IRC). Les recommandations relatives au traitement diététique doivent être adaptées à chaque patient en fonction des résultats de la clinique et du laboratoire. L’insuffisance rénale chronique est une maladie progressive et il est donc nécessaire de renouveler régulièrement les examens pour que le traitement soir efficace.