logement social

Transcription

logement social
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES BARCELONE
Barcelona 25 i 26 de novembre de 2005
LES CIUTATS
MEDDITERRÀNIES
DEU ANYS DESPRÉS DE BARCELONA
Barcelona 25 i 26 de novembre de 2005
Crèdits
Ce rapport a été préparé par Jean-Claude TOURRET, Délégué Général de
l’Institut de la Méditerranée de Marseille.
Ont également participé à sa rédaction:
Daoud AMALE
Sandrine BEN KHELIL
Rana Haj-IBRAHIM
Djamila KOURTA
Anne-Victoria LETORT
Roger MELKI
Angélique PELLEAU
Johan PELOPONESE
Siouar.SOUHI Sofiane SISSAOUI
Avertissement
Les résultats, interprétations et conclusions exprimées ici ne reflètent pas
nécessairement les vues de la Mairie de Barcelone.
Sommaire
PRÉFACE
4
EXECUTIF
7
UN SYSTÈME URBAIN EN MUTATION PROFONDE
15
Une explosion démographique sans précédent
16
Des déséquilibres territoriaux difficiles à compenser
17
Un contexte économique encore peu favorable
19
SITUATION ET POLITIQUES URBAINES DANS
LES GRANDS VILLES DE LA MEDITERRANEE
21
ALGER
22
ALEXANDRIE
29
AMMAN
38
BEYROUTH
44
CASABLANCA
54
DAMAS
61
GAZA
67
ISTANBUL
74
TEL-AVIV
80
TUNIS
88
ENJEUX ET RISQUES URBAINS EN MÉDITERRANÉE
98
Des services publics à la peine
99
Des risques réels de déstabilisation sociale
103
DÉCENTRALISATION ET GOUVERNANCE URBAINE
111
La gouvernance urbaine en question
112
La décentralisation : un mouvement encore relatif à poursuivre et à maîtriser
113
Face aux résistances, l’émergence de conditions de succès et de solutions innovantes
115
LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES URBAINES
119
Des besoins financiers considérables
120
Le partenariat public-privé : outil au service du développement urbain
122
LA COOPERATION DECENTRALISEE DES VILLES DANS
LA NOUVELLE POLITIQUE DE VOISINAGE
129
La coopération décentralisée des villes en Méditerranée
130
Le nouveau rôle des villes dans la politique de voisinage
136
PRÉFACE
RESUME EXECUTIF
Le partenariat entre l’Europe et les pays du sud de la
Méditerranée, lancée en 1995, à Barcelone, avait pour
ambition de créer en Méditerranée une zone de stabilité et
de prospérité partagée. Lancé à un moment historique où le
monde anticipait la résolution du conflit arabo-israélien, ce
processus a connu de nombreuses difficultés, et beaucoup
des espoirs qui avaient été placés en lui ne se sont pas
matérialisés. Par ailleurs, la perception de la sécurité – un
concept central dans le Processus de Barcelone – a
radicalement changé depuis le 11 septembre 2001.
Pour autant, un certain nombre d’avancées et de succès
ne doivent pas être minimisés. Le partenariat a, en particulier,
induit dans les pays méditerranéens un programme de
réformes économiques qui est sans précédent dans leur
histoire. Ces pays ont accompli en dix ans des changements
que certains pays européens ont mis des décennies à réaliser.
Par ailleurs, l’accrochage à l’Europe qui était visé avec la mise
en place d’une zone de libre-échange est attesté par un
développement des échanges commerciaux nord-sud
également sans précédent. Enfin, de nombreux réseaux euro
méditerranéens ont été créés dans tous les domaines et
constituent un maillage permettant le transfert de savoirfaire.
Pour autant, la croissance espérée n’a pas été au
rendez-vous. La libération progressive des échanges, qui était
au cœur du volet économique du partenariat, n’a pas
dynamisé la production et l’emploi. La croissance moyenne
des pays méditerranéens, qui était de 3,5 à 4% par an avant
1995, s’est maintenue, depuis dix ans, à ce même niveau. Au
rythme actuel, il faudra plus de 50 ans pour voir le revenu
moyen par tête dans ces pays être multiplié par deux. Cette
maigre performance n’a pas permis de faire reculer une
pauvreté endémique qui touche aussi bien les villes que les
campagnes. Par ailleurs, les avancées sur le terrain de la
démocratie et des libertés dans le Sud ont été trop lentes
comparées aux engagements souscrits par les uns et les
autres en novembre 1995.
Dix ans plus tard, l’occasion est donnée de dresser un
bilan des réussites et des carences du partenariat euro
méditerranéen. Il était donc légitime, compte tenu de
l’importance croissante du phénomène urbain au sud de la
Méditerranée, de porter un éclairage particulier sur la
situation des villes et particulièrement des grandes villes au
sud du Bassin qui sont au cœur des évolutions lourdes
auxquelles les pays sont aujourd’hui confrontées. Les villes
concentrent, en effet, dans la complexité de leur seul territoire
l’ensemble des difficultés auxquels leur société doit faire face
cumulant problèmes économiques, environnementaux et
sociaux.
L’attrait des grandes villes du Sud leur a imposé un
surplus de population dépassant leurs capacités d’expansion
spatiale. À la forte croissance urbaine des années 70, nourrie
par une inertie démographique endogène, s’est superposée
une croissance alimentée principalement par l’exode rural.
Ainsi, la population urbaine des pays du Sud et de l’Est de la
Méditerranée, estimée aujourd’hui à 165 millions d’habitants,
devrait croître d’environ 80 millions à l’horizon 2025, faisant
de la Méditerranée l’une des zones les plus urbanisées au
monde.
Les villes méditerranéennes partagent évidemment la
plupart des dysfonctionnements de gestion propres à l’urbain
dans le monde, mais elles se caractérisent par l’ampleur des
problèmes et par le niveau insuffisant de leurs moyens. Nulle
part ailleurs l’acuité des maux nés des mutations urbaines
n’apparaît plus grande. C’est le cas, en particulier, des
services urbains essentiels, dont l’organisation et le bon
fonctionnement sont au cœur des préoccupations de tous les
responsables urbains, et qui constituent un bon indicateur
de leur capacité à répondre aux besoins des populations dont
ils ont la charge.
C’est donc sur ce domaine des services publics
essentiels, c’est-à-dire ceux qui répondent aux besoins vitaux
des habitants, et que l’on considère de façon universelle
comme nécessaires à la conduite de toute vie digne et
décente, que s’est axé ce rapport. Au-delà du diagnostic,
l’objectif était d’évaluer les besoins d’investissement qui
devraient être consentis pour une mise à niveau des villes du
Sud, conformément aux objectifs du Millénaire approuvé par
le Conseil Mondial de Cités et Gouvernements Locaux Unis
(CGLU) à Pékin en juin 2005. Cette finalité a commandé le
choix de centrer l’analyse sur les services à forte intensité
capitalistique comme l’eau et l’assainissement, la collecte et
le traitement des déchets, les transports publics, le logement
social et la lutte contre les risques majeurs. Ce choix est,
évidemment, restrictif. Il exclut les services dont l’usage
contribue principalement à la performance économique,
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BARCELONE
comme la téléphonie cellulaire, les télécommunications ou
ceux qui répondent à des besoins facultatifs de consommation
comme les services culturels ou touristiques Mais il exclut
également d’autres besoins essentiels comme l’accès à la
santé ou à l’éducation, qui n’ont pas été retenus ici car
relevant, en terme d’investissement, d’une logique
d’intervention différente.
DES SERVICES PUBLICS
ESSENTIELS À LA PEINE
Des analyses détaillées ont donc été menées dans dix des
grandes villes du Sud, soit une pour chacun des dix pays du
partenariat. Elles mettent en évidence à la fois les
insuffisances et les carences observées dans la fourniture
des services publics essentiels et les réponses apportées au
travers des politiques urbaines par les autorités responsables
de ces villes pour y faire face.
L’accès à l’eau potable et à l’assainissement représente,
aujourd’hui, une priorité. Les ressources en eau sont presque
partout insuffisantes, quelquefois dans des proportions
dramatiques, et les infrastructures physiques ne sont pas à
la mesure des besoins. La gestion du secteur est, souvent,
défaillante et les ressources financières destinées au secteur
manquent. Un rapport des Nations Unies situe à 30 millions
le nombre de personnes qui n’auraient pas accès en
permanence à l’eau potable dans la région. Les défaillances
observées dans la gestion du secteur de l’eau ont de multiples
causes, au premier rang desquelles les politiques tarifaires
auxquelles les sociétés gestionnaires ont été astreintes, qui
ne permettent de couvrir qu’une fraction de leur coût et qui
les a, de facto, placé sous la dépendance de l’Etat.
Insuffisamment financés, les opérateurs publics se sont
trouvés pris dans une spirale de réduction de la maintenance
et des investissements les plus rudimentaires, entraînant
une baisse de la qualité de service et une résistance des
consommateurs à payer plus cher un service de mauvaise
qualité.
L’assainissement pose partout un problème au moins
aussi grave et urgent que celui de l’accès à l’eau potable. Le
niveau de collecte et surtout de traitement des eaux usées
domestiques est très faible, voire dans certains cas, inexistant.
Les réseau sont le plus souvent en mauvais état. De
nombreuses grandes villes n’ont pas de station d’épuration
d’eau. Près de 90% des rejets urbains des villes étudiées sont
déversés, sans traitement, dans la Méditerranée qui reçoit
ainsi 60 000 tonnes de détergent, 100 tonnes de mercure et
12 000 tonnes de phénols par an. À cela s’ajoute une situation
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très peu contrôlée en matière de rejets industriels.
Concernant les déchets urbains, l’urbanisation galopante
combinée à une forte industrialisation place la plupart des
villes étudiées en situation d’urgence : collecte défaillante,
amoncellement d’ordures dans les décharges publiques
sauvages ou non contrôlées, inexistence de traitement,
notamment des déchets spéciaux. On estime aujourd’hui à
près de 40 millions de tonnes le volume de déchets urbains
générés dans les villes des pays méditerranéens, soit environ
0,7 kg par personne et par jour. Ce volume croît d’environ 3
à 4% par an sous l’effet combiné de la démographie urbaine
et de l’évolution des modes de vie. La collecte relève encore
dans une très large proportion des services municipaux. Elle
est dans ce cas très souvent déficiente. On estime que près
du quart des déchets urbains ne sont pas collectés du fait de
la mauvaise organisation et du manque de moyens des
services concernés. Les déchets ménagers et industriels
sont, le plus souvent, déposés dans des décharges non
contrôlées, avec les conséquences que l’on connaît sur la
contamination des milieux (sol, air, nappes phréatiques, etc).
Dans toutes les villes étudiées, on note une nette
insuffisance des transports publics du fait de l’étendue des
agglomérations, de la médiocre qualité des voiries, des faibles
ressources des habitants et des lacunes dans les subventions
publiques. Les projets d’aménagement routier intra urbains
abondent, par contre, favorisant un usage croissant de la
voiture individuelle, symbole d’ascension sociale, au détriment
des transports en commun.
La crise du logement frappe durement des populations
déjà fragilisées par une situation économique précaire. L’offre
adaptée aux catégories les plus défavorisées est inexistante
ou se raréfie. Le parc existant est souvent vétuste du fait d’un
faible entretien et d’une sur-occupation. L’habitat informel
(qualifié également de spontané) continue de se développer.
Il côtoie des formes d’habitat précaire assimilables à des
bidonvilles qui se sont développés depuis plusieurs dizaines
d’années en périphérie des centres urbains et où les familles,
issues des milieux ruraux, s’entassent dans des logements
de fortune. Les raisons de cette situation sont à peu près
partout les mêmes et renvoient aux difficultés rencontrées
par les Etats pour maîtriser l’utilisation des sols, faire
respecter la réglementation, juguler la spéculation
immobilière et produire un parc suffisant de logements
sociaux.
Enfin, les villes méditerranéennes sont particulièrement
exposées aux risques naturels, principalement aux
inondations et aux séismes. Les villes littorales sont, de
surcroît, exposées au risque de pollution maritime. Face à
ces risques, les populations défavorisées sont les plus
vulnérables, en particulier celles regroupées dans les zones
urbaines d’habitat spontané qui sont, en situation de
catastrophe, les plus touchées du fait de l’absence
d’équipements publics permettant d’y faire face.
DES RISQUES RÉELS DE
DÉSTABILISATION SOCIALE
Les dysfonctionnements dont il vient d’être question sont
au coeur des problèmes actuels des villes méditerranéennes.
Ils portent en eux des risques réels de déstabilisation sociale.
Des franges entières de la population,victimes des
défaillances sociales et économiques, sont touchées par une
pauvreté extrême qui se manifeste aussi bien sur le plan
monétaire que sur le plan des conditions de vie. Par ailleurs,
l’insécurité et la violence représentent aussi une menace
pour les populations en situation précaire qui deviennent les
proies faciles des réseaux intégristes.
Pendant longtemps, la pauvreté en Méditerranée n’a pas
entraîné de phénomènes d’exclusion sociale similaires à ceux
rencontrés dans les pays européens du fait de l’existence de
réseaux familiaux de solidarité encore très puissants. Cette
situation est en train de changer. Une des conséquences de
la brutale urbanisation a été, en effet, de faire éclater les
anciens cadres de socialisation et avec eux des systèmes de
solidarité qui en avaient jusqu’ici amorti les effets.
La pauvreté n’est pas le seul problème affectant les centres
urbains. La violence, elle aussi, se répand dans les villes
favorisant un climat d’insécurité. Les rares études sur ce
sujet, même si elles doivent être interprétées avec prudence
du fait de l’imprécision statistique, témoignent d’une montée
de la violence urbaine dans la plupart des villes du Sud
méditerranéen.
Autre principale cause d’insécurité urbaine, l’intégrisme
est devenu en l’espace de quelques années un phénomène
endémique. Sa progression est un fait préoccupant pour les
autorités des villes et des Etats concernés, tout comme pour
la communauté internationale, inquiète de l’ampleur prise
par ce phénomène. L’action des organisations intégristes
dans les domaines où les services publics essentiels sont
déficients voire inexistants est l’une des clés expliquant leur
infiltration dans les quartiers pauvres des cités. S’appuyant
sur le discours religieux, l’islamisme radical séduit des
populations appauvries et marginalisées. La pauvreté,
l’ignorance et les inégalités sociales font le jeu des
fondamentalistes qui mettent en avant les inaptitudes des
régimes à résoudre ces problèmes de société. Les mosquées
qui, dans bien des pays méditerranéens, fournissent un point
de repère social pour les exclus des villes, servent parfois de
relais à ces réseaux. Elles sont souvent à l’origine des services
sociaux les plus rudimentaires, comme l’enseignement ou
encore les soins médicaux. Ces nouvelles solidarités créées
par les organisations islamiques viennent ainsi se substituer
à l’action carencée, voire inexistante, des Etats et insufflent
une forme de lien social là où il n’y en a pas.
Des politiques urbaines volontaristes mais largement
insuffisantes
Face à cette avalanche de problèmes, les gouvernements
et les autorités responsables des ville ne sont pas, au cours
de ces dix dernière années, restés inactifs. Des politiques
urbaines parfois vigoureuses ont été mises en place qui ont,
dans certains cas, conduit à des progrès quantitatifs et
qualitatifs importants dans la satisfaction des besoins
essentiels des populations concernées.
Les taux de raccordement à l’eau potable et aux réseaux
d’assainissement ont, ainsi, presque partout progressés. Le
traitement des eaux usées progresse également, bien que
plus lentement. Des solutions innovantes commencent à être
mises en œuvre pour développer les ressources hydriques.
De nombreux projets sont en cours pour mobiliser de
nouvelles ressources : barrages, connexions entre bassins
versants, voire le captage de sources d’eau douce sousmarines. Des expériences de production d’eau douce par
dessalement de l’eau de mer ou par traitement des eaux
saumâtres sont également en cours en Algérie, en Tunisie,
en Jordanie, en Isarël et en Egypte. Les techniques de
rechargement des nappes phréatiques ont fait leur apparition
et commencent à se diffuser. Enfin, les taux de pertes des
réseaux, même s’ils restent encore importants du fait de l’état
des infrastructures, régressent.
Dans le domaine des déchets certains pays ont,
également, entamé des politiques volontaristes. Des
stratégies globales se mettent en place, incluant une
législation plus rigoureuse, concernant en particulier les
déchets industriels et dangereux, des plans de réduction de
la production de déchets, des objectifs en matière de
valorisation et de recyclage et, enfin, l’application du principe
pollueur payeur pour recouvrer les coûts de collecte et de
traitement des déchets.
Quelques projets de reconquête du domaine public au
profit des transports en commun ont vu le jour : métro du
Caire (une troisième ligne est lancée), métro léger de Tunis,
tramway d’Istanbul, projet de métro d’Alger. Mais ces projets
ont du mal à s’étendre en raison de leur coût élevé.
Les politiques de logement social semblent, par contre,
marquer le pas, la plupart des gouvernement s’en remettant
au secteur privé. Des succès sont enregistrés, en revanche,
dans certains pays, dans la lutte contre l’habitat insalubre
qui va souvent de pair avec la reconquête du centre historique.
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LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
Mais en dépit des efforts déployés, force est de constater
que les problèmes ne régressent que très lentement. Les
difficultés sont ici de plusieurs ordres. La culture
administrative centralisatrice fait obstacle à la dévolution des
compétences aux communes qui, en l’état, reste encore
embryonnaire. Même si les villes apparaissent comme le plus
haut degré de décentralisation, l’exécutif municipal est
souvent placé sous la tutelle des niveaux déconcentrés de
l’Etat. Par ailleurs, la complexité des problèmes urbains exige
des compétences à la fois organisationnelles et techniques
de plus en plus pointues, qui font largement défaut au niveau
local.
Mais l’élément le plus marquant des difficultés
rencontrées reste financier. Les recettes des compagnies de
service public ne couvrant même pas les charges courantes
d’exploitation, les investissements doivent être financés sur
le budget des Etats, déjà largement sollicité par ailleurs. Les
investissements publics urbains sont, de fait, très en-deça
des besoins. Ils ont, de plus, connu une suite d’accélérations
et de freinages en fonction des disponibilités du Trésor Public.
Ces fluctuations ont considérablement gêné l’exécution des
programmes, l’insuffisance des crédits entraînant des retards
importants dans la réalisation des projets.
DES BESOINS FINANCIERS
CONSIDÉRABLES
En rapprochant les éléments recueillis au cours de cette
étude d’autres données relatives aux investissements publics
dans les pays méditerranéens, on a cherché à dégager les
besoins financiers nécessaires à une « mise à niveau » des
services publics les plus indispensables à la population dans
les villes du Sud. Concernant les résultats à atteindre, on a
étendu à l’ensemble des services publics urbains les objectifs
pris par la communauté internationale pour l’eau et
l’assainissement dans la Déclaration du Millénaire, par
laquelle les Nations Unies se sont donné pour objectif à un
horizon de quinze ans la réduction de moitié de la proportion
de personnes sans accès durable à une eau saine, abordable
et en quantité suffisante. On retiendra de ces évaluations le
chiffre de 10 milliards d’euros par an soit 100 milliards, à
l’horizon 2015, comme ordre de grandeur des investissements
nécessaires pour résorber environ 50% des déficits en terme
d’infrastructures urbaines dans les villes méditerranéennes.
Dans la structure actuelle de financement, l’objectif de porter
à 10 milliards d’euros le niveau des investissements urbains
conduirait à un quasi doublement de l’effort public supporté
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LES VILLES
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BARCELONE
par les Etats dans le domaine. Or, un tel effort dépasse très
largement les possibilités budgétaires des pays concernés.
L’objectif visé n’est pas, pour autant, irréalisable, à la
condition toutefois que l’ensemble des ressources
mobilisables puissent l’être effectivement.
La tarification des services publics doit évoluer dans un
sens qui traduise mieux la valeur économique du service
rendu. Des progrès ont été réalisés dans ce domaine au cours
des dernières années. Dans certains pays, le principe de la
tarification et les mécanismes de marché sont de mieux en
mieux acceptés. Ces succès demandent à être rapidement
généralisés. Il faudra également que soient stimulés les
investissements privés dans le cadre du partenariat publicprivé sous des formes, et elles existent, qui permettent un
accès à ces services à tous à un prix abordable, et
particulièrement aux populations les plus défavorisées.
Il faut, enfin poursuivre les réformes politiques et
institutionnelles qui seules, permettront d’engager des
changements durables à la fois dans la gestion des services
publics et l’attraction d’investisseurs privés. Un consensus
mondial s’est également créé autour de la nécessité de
réformes politiques et institutionnelles pour enclencher des
changements durables. Les caractéristiques de ces réformes
commencent à être comprises et existent d’ores et déjà dans
certaines régions. Il s’agit maintenant de généraliser ces
succès et de faire de l’exception la règle.
Un rôle de plus en plus essentiel de la coopération
décentralisée
La coopération décentralisée est un outil de plus en plus
adapté pour accompagner les mutations urbaines dans les
villes méditerranéennes. Considérée comme un modèle
alternatif moins formaliste sur le plan institutionnel, moins
bureaucratique dans sa gestion et moins coûteux en terme
budgétaire que les formes traditionnelles de coopération, elle
présente également l’avantage de susciter, par le biais des
collectivités locales, l’adhésion des populations. Les difficultés
de mobilisation rencontrées dans le passé sont en voie d’être
résolues. Face à des sollicitations très diverses, les villes du
Nord ont appris à s’organiser. Elles sont à présent plus
sélectives dans leurs réponses et se focalisent sur un nombre
de domaines plus restreints, en s’appuyant sur des opérateurs
professionnels et expérimentés. Elles cherchent également
à inscrire la coopération dans des accords-cadres où sont
définis les attentes et les engagements de chacune des
parties. Pour autant, on peut dire que le partenariat entre
villes est loin d’avoir atteint sa pleine potentialité. La
démarche, il est vrai, est exigeante en temps et en ressources
humaines, complexe au niveau politique et administratif,
contraire à la pression de l’engagement financier et risquée
au niveau des résultats. Elle garde néanmoins toute sa
pertinence dans sa fonction d’apprentissage collectif. Elle
reste, en particulier, un terrain privilégié de l’affirmation de
l’autonomie des villes qui est, comme on l’a vu, l’une des clefs
de leur développement. La gouvernance devrait, pour cette
raison, devenir progressivement l’un des thèmes majeurs de
la coopération.
Il faut souhaiter que le nouvel instrument de voisinage
donne un nouvel élan et une nouvelle dimension à la
coopération entre les villes du Nord et du Sud de la
Méditerranée. C’est, bien entendu, important pour les pays
du Sud aujourd’hui confrontés à des évolutions lourdes qui
placent les formes urbaines au cœur de leur processus de
développement.
Mais c’est également important pour les villes
européennes et ceci pour au moins trois raisons. La première
est qu’elles abritent des populations originaires de ces pays,
qu’il leur faut intégrer et qu’il leur faut, par conséquent, mieux
connaître et mieux comprendre. La seconde est qu’à l’instar
de ce que l’on a connu à l’Est, l’approfondissement des
relations entre l’Europe et les pays du Sud de la Méditerranée
va générer, aux espaces de contact, un nombre croissant de
problèmes résultant de l’imbrication progressive des systèmes
économiques, sociaux et politiques, que seule une coopération
accrue permettra de surmonter. Mais la troisième, et peutêtre la plus importante, est que la situation des grandes villes
de la Méditerranée porte en elle les germes d’une
déstabilisation sociale profonde dont les conséquences
risquent d’être ressenties par-delà la Méditerranée. C’est là
tout l’enjeu d’un plan d’urgence pour les villes des pays du
Sud de la Méditerranée que ce rapport appelle de ses vœux.
11
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
UN SYSTÈME URBAIN EN
MUTATION PROFONDE
UNE EXPLOSION
DÉMOGRAPHIQUE SANS
PRÉCÉDENT
La ville est un fait permanent de l’histoire méditerranéenne.
C’est le long des rivages, sur les semis denses et anciens des
villes, que se sont développées les activités marchandes,
articulées les routes maritimes, et que s’est construit l’espace
méditerranéen. Les plus vieilles villes du monde sont nées
ici. La plupart d’entre elles furent de grandes villes puissantes
et actives qui, à des époques différentes, ont rayonné sur
l’ensemble du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient
jusqu’à ce que les grands courants commerciaux soient
détournés au profit, d’abord des puissances vénitienne et
ottomane puis des puissances coloniales européennes. La
période ottomane a fait de ces villes de véritables centres de
commandement et y a implanté des formes spécialisées
d’urbanisme qui, pour certaines d’entre elles, subsistent
encore. La colonisation puis, après les indépendances, le
formation des Etats-Nations ont renforcé le rôle des villescapitales souvent au détriment d’autres villes, pourtant au
départ d’égale importance, et jeté les bases d’une structure
urbaine qui s’est hypertrophiée sous l’effet de la pression
démographique et de l’exode rural.
UN PHÉNOMÈNE RÉCENT ET BRUTAL
L’explosion urbaine est un phénomène à la fois récent et
brutal. Elle est très différente, dans ses modalités et dans son
rythme, des formes de croissance urbaine que l’on a connu
en Europe au moment de la période d’industrialisation où les
populations quittaient leurs villages, attirées par les emplois
industriels qui se créaient dans et autour des villes. A la forte
croissance urbaine des années 70, alimentée par une inertie
démographique endogène, s’est superposée une croissance
alimentée principalement par l’exode rural. La dureté des
conditions de vie dans les campagnes s’est, en effet,
accentuée, ces dernières années, du fait des mutations
économiques récentes et d’un mode d’insertion des pays dans
l’économie mondiale qui profite, pour l’essentiel, aux couches
les plus favorisées de la population et aux grands centres
urbains. L’exode rural prend alors sa source dans une
perception largement répandue qui est que la pauvreté est
plus supportable dans les villes qu’à la campagne. L’attention
particulière portée par les autorités aux grandes villes phares
du pays ne pouvait que renforcer ce point de vue.
Les prévisions réalisées par le Plan Bleu ne laissent pas
présager un ralentissement de ce phénomène. Ainsi, la
population urbaine des pays du Sud et de l’Est de la
Méditerranée qui est estimée aujourd’hui à 165 millions
d’habitants, devrait croître d’environ 4 millions par an, soit
une augmentation moyenne annuelle de près de 2,5%. Le taux
d’urbanisation dans ces pays passerait de 64% en 2004 à près
de 75% en 2025. Au total, à l’horizon de 2025 la population
urbaine des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée
augmenterait d’environ 80 millions d’habitants. Et bien qu’on
ne dispose pas de statistiques précises à ce sujet, on estime
généralement que le taux de croissance des grandes
métropoles du Sud continuera d’être supérieur à celui des
autres villes. Des millions de ruraux doivent alors, dans un
laps de temps très court, faire l’apprentissage de la vie citadine
dans des conditions souvent précaires. Du coup, la crise des
campagnes se transforme en crise des villes et des structures
urbaines qui subissent de plus en plus difficilement l’afflux
des populations nouvelles. Partout, l’attrait des grandes villes
du Sud leur impose un surplus de population dépassant leurs
capacités d’expansion spatiale. Nulle part ailleurs l’acuité des
problèmes nés des mutations urbaines n’apparaît plus grande
: la croissance des besoins en logement, voirie, adductions
d’eau et d’énergie, écoles, hôpitaux, et le manque de maîtrise
des marchés alimentaires et industriels engendrent
spéculation, pénurie, flambée des prix largement liées à la
mobilité des concentrations née de la redistribution spatiale
des activités. Les villes méditerranéennes partagent
évidemment la plupart des dysfonctionnements de gestion
propres à l’urbain dans le monde mais elles se caractérisent
par l’ampleur des problèmes et par le niveau insuffisant de
leurs moyens. La ville y est aujourd’hui synonyme de malvie,
d’inconfort, d’insécurité pour les populations qui y vivent. Et
dans un situation de forte carence d’emploi, cet exode rural
alimente un secteur informel qui représente un élément de
survie pour des millions de citadins.
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
DES MÉTROPOLES MONDIALES EN
FORMATION
Du fait de cette croissance, la région méditerranéenne
compte parmi les plus urbanisées du globe, après l’Amérique
Latine. Et cette croissance tend à se polariser sur un nombre
limité de grandes villes qui accèdent ainsi au rang de grande
métropole européenne et mondiale. Plus du tiers de la
population méditerranéenne vit dans des villes de plus de 1,5
millions d’habitants alors qu’on n’en comptait que 20% au
début des années 60.
L’hétérogénéité des sources et le faible degré de
comparabilité des chiffres de la population vivant dans les
zones urbanisées ne permet pas une analyse trop fine du
phénomène. Malgré cet écueil, les tendances sont claires et
connues : les grandes villes du Sud de la Méditerranée sont
sur une trajectoire démographique ascendante et dépassent
pour la plupart le million d’habitants. Ainsi, la ville d’Amman
compterait plus de 2 millions d’habitants, Istanbul 11 millions
(mais les estimations convergent pour 14 à 15 millions), Damas
3 millions, la grande zone urbaine de Tel-Aviv 1,5 millions,
Alger 5 millions, Casablanca 4 millions, Alexandrie 4 millions,
Beyrouth 1,8 million, Gaza 1,3 million, Tunis 2 millions. A cet
accroissement démographique se conjugue un étalement
spatial généralisé (le Caire s’étire sur 46 km du nord au sud,
et sur 35 km d’est en ouest, Istambul sur près de 100 km),
résultant parfois d’extensions illégales, mais également d’une
forme dominante d’habitat à l’horizontale.
Cet éclatement des villes du Sud se décline certes
spatialement, mais également socialement puisqu’on distingue
trois formes urbaines hétérogènes, présentes dans des
proportions variables:
• Les «gated comunities», ou ghettos de villas, où
s’établissent les plus fortunés, dans les lieux
souvent les plus prestigieux (les collines
d’Istanbul par exemple);
• L’habitat réglementaire (ou illégal) qui est
désormais la forme la plus banale et la plus
utilisée. Elle permet une production efficace de
l’espace urbain, avec des coûts de viabilisation et
d’équipement réduits, tout en procurant au
système une meilleure plasticité économique et
sociale;
• Tout en bas de la hiérarchie urbaine se trouvent
les zones d’habitat non intégrées, sur lesquelles
pèsent de multiples précarités, et qui prennent
des formes variées, dont le bidonville.
Ces formes urbaines hétérogènes cohabitent avec des
espaces standardisés, conformes aux normes urbaines
14
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
internationales, avec la « ville vitrine ». Toutes les villes
importantes de la région méditerranéenne ont ainsi fait l’objet
de multiples aménagements et ont acquis la plupart des outils
techniques nécessaires : aéroport international modernisé,
ports, zones technopolitaines, téléports, palais des congrès
et des expositions, quartiers d’affaires, etc. Mais si la mise
aux normes logistiques, technologiques et juridiques est
obligatoire dans un contexte de mise en concurrence mondiale
des territoires, elle ne garantit pas pour autant l’inclusion de
la ville qui en est l’objet dans les réseaux et flux mondiaux. La
qualité de l’environnement matériel s’améliore, mais atteint
rarement un optimal : sans mise à niveau des ressources
immatérielles, cette course à la métropolisation est illusoire.
Sans compter que cette mise aux normes peut conduire à la
requalification de zones entières de l’espace urbain, voire des
espaces centraux, dans la logique des centres d’affaires, tandis
que les quartiers «illégaux » ou les zones d’habitat spontané
ne font pas l’objet d’investissements comparables.
Cette traduction spatiale du déclassement de certaines
populations est un risque évident de déstabilisation de la
région. De nombreuses analyses économiques ont d’ores et
déjà démontré la faible capacité régionale à transformer
l’augmentation du PIB en un accroissement du bien-être
social. Certes, il y a une amélioration globale mais celle-ci
n’est pas suffisante et ne répond pas à l’immensité des besoins
de la population.
DES DÉSÉQUILIBRES TERRITORIAUX
DIFFICILES À COMPENSER
Les limites de la politique de déconcentration
urbaine
En réponse aux déséquilibres territoriaux à l’échelle
nationale, la plupart des pays de la région méditerranéenne
partagent l’objectif d’assurer une plus grande attractivité des
villes moyennes sur le territoire.
Ainsi, la Tunisie affichait au lendemain de l’indépendance
l’objectif d’assurer un encadrement territorial par les villes
moyennes, soit indirectement, en accompagnant le
développement touristique et industriel, soit directement en
développant les fonctions administratives des villes moyennes.
Si cette politique a su rendre particulièrement attractives les
villes moyennes, mieux équipées que les petites villes et moins
coûteuses que les métropoles, ces efforts n’ont cependant
pas permis d’enrayer le renforcement du processus de
littoralisation et de concentration des activités sur l’espace
Nord-Est.
Le Maroc, malgré les efforts de décentralisation
économique engagés depuis les années 1960 a lui aussi
échoué à réduire le poids de Casablanca. La politique de
régionalisation économique entreprise depuis 1971 n’a pas
empêché l’accroissement des inégalités territoriales : malgré
un objectif affiché de promouvoir de nouveaux pôles de
développement dans chaque région, les investissements
d’infrastructures ont toujours privilégié la région du Centre
(Casablanca) et la Région Nord-Ouest (Rabat).
Néanmoins, de telles initiatives peuvent porter leurs
fruits, mais au prix d’investissements massifs et ciblés. L’Etat
algérien est ainsi parvenu à faire d’un gros bourg sans tradition
urbaine une ville attractive. Elevé au rang de Wilaya lors du
découpage administratif de 1974, Oum El Bouaghi a bénéficié
de la masse considérable d’investissements accordé aux
Wilayas et à vu en 10 ans la multiplication par 10 du nombre
d’actifs et une véritable mutation des structures socioéconomiques. La même expérience est aujourd’hui tentée au
sud d’Alger avec la ville nouvelle de Sidi Abdellah.
Un système des villes fragmenté
La réflexion en terme de système de villes à l’échelle
de la région méditerranéenne est encore balbutiante. Il n’y a
que très peu d’analyses des formes urbaines, si ce n’est pour
souligner leur hétérogénéité. Les déséquilibres sont souvent
dus à des contraintes géographiques et climatiques.
Certes, des phénomènes régionaux et nationaux de
multipolarisation urbaine existent de facto, comme les
interdépendances Beyrouth et Damas, le Caire et Alexandrie,
Rabat et Casablanca, mais il n’y a pas à proprement parler
de « système des villes », dans lequel se développeraient des
interdépendances de type socio-économique ou géographique.
Le phénomène de globalisation affecte cependant toutes
les villes, à des degrés divers, et contribue à composer,
décomposer et recomposer l’espace et les territoires, en
privilégiant constamment les zones urbaines, même quand
celles-ci sont qualifiées de périphériques. La région
méditerranéenne ne fait pas exception à la règle, malgré sa
faiblesse en terme de connectivité à l’économie globale, qui
en fait pour certains analystes, comparativement aux réseaux
urbains européens ou asiatiques, un « structural hole ». Et ce
malgré les initiatives pour promouvoir une meilleure
articulation des villes de la zone, comme l’Organisation des
Villes Arabes (Arab Towns Organisation), sous l’égide de la
Ligue des Etats Arabes, ou encore le Forum Méditerranéen
du Développement de la Banque Mondiale, qui a facilité les
discussions sur les thématiques urbaines, y compris les
connexions régionales des centres urbains.
Or ce système urbain intégré dans l’espace
méditerranéen ne pourra voir le jour sans volonté politique
forte d’agir sur les fondamentaux structurels (transports,
communication, développement des flux de personnes, de
capitaux, d’expertise, de services et de marchandises entre
les villes).
Néanmoins, un tel système ne sera viable que s’il s’insère
dans un réseau de villes moyennes renforcé, réseau qui devra
lui aussi bénéficier d’une amélioration significative de ses
fondamentaux structurels. Le mouvement semble d’ores et
déjà amorcé, puisque « l’explosion urbaine » qui caractérise
plusieurs pays arabes se traduit non seulement par une
croissance spectaculaire des métropoles et des grands centres
régionaux, mais aussi par l’évolution rapide de certaines petites
et moyennes villes sur ces vingt dernières années. Ce constat
de rééquilibage est cependant, dans une perspective de
développement urbain polycentrique, à nuancer dans la
mesure où les petites et moyennes villes qui bénéficient d’un
regain d’activités se situent sur le littoral et, dans leur grande
majorité, à proximité des grands pôles urbains. Les villes
moyennes bénéficient également des difficultés des
métropoles à absorber un flux de main-d’œuvre en
augmentation constante, contrairement aux possibilités
d’intégration qu’elles offraient aux migrants dans les années
1960. Les petites et moyennes villes bénéficient donc de leur
positionnement géographique et de la saturation des grands
centres urbains plutôt que d’un potentiel d’attractivité
intrinsèque.
Malgré ce rééquilibrage et l’émergence de pôles urbains
attractifs, le poids des plus grandes villes semble donc amené
à se confirmer dans les décennies à venir. Tout laisse supposer
aujourd’hui que la suppression des barrières douanières et
les délocalisations affecteront inégalement le territoire
régional. Sans dispositif de cohésion territoriale, seules les
villes offrant déjà le plus d’opportunités, les villes les plus aux
normes, seront en mesure de profiter de l’ouverture
économique. Il est donc fort probable que le phénomène de
concentration ne fera, à partir de là, que s’accentuer.
UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE
ENCORE PEU FAVORABLE
Une performance économique insuffisante au
regard des besoins en emploi
La situation des villes des pays du Sud et de l’Est de la
Méditerranée ne peut être déconnectée des difficultés, en
particulier économiques, qui prévalent dans la plupart d’entre
eux et ce en dépit des efforts déployés par les pays eux mêmes
15
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
et des politiques de coopération et de partenariat mises en
place par l’Europe et les autres grands bailleurs de fonds
internationaux.
Le système d’interdépendance mis en place dans le
cadre du partenariat euro-méditerranéen n’a pas eu, loin s’en
faut, les résultats escomptés. La libération progressive des
échanges qui était au cœur du volet économique du partenariat
n’a pas dynamisé la production et l’emploi. La croissance
moyenne des pays méditerranéens, qui était de 3,5 à 4% par
an avant 1995, s’est maintenue, depuis dix ans, à ce même
niveau. Autrement dit le partenariat n’a pas eu d’impact
significatif sur le taux de croissance moyen de ces pays.
Compte tenu d’une démographie maîtrisée mais encore active
conduisant à un accroissement de 2,3% environ par an de la
population, le revenu par tête ne progresse pratiquement pas.
Au rythme actuel, il faudrait plus de 50 ans en moyenne pour
voir le revenu par tête moyen doubler.
Le taux de chômage des pays méditerranéens a crû plus
vite que dans toutes les autres régions du monde. Les taux
mesurés par les administrations publiques, d’environ 20% en
moyenne, traduisent mal la réalité. Certains pays tiennent
compte dans leurs statistiques de l’emploi dit « informel » et
d’autres non. Les taux d’activité réels qui mesurent la
population qui a un emploi rapportée à la population totale
en âge de travailler sont parmi les plus faibles du monde.
Pour les années à venir, les besoins en emplois nouveaux
sont considérables. Compte tenu de leur situation
démographique et de celle des marchés de l’emploi, on estime
que près de 35 millions d’emplois devront être créés d’ici à
2015 uniquement pour ne pas dégrader la situation actuelle.
Modifier le régime de croissance est donc une nécessité
pour ne pas voir s’amplifier une situation difficile de l’emploi
et se développer une pauvreté qui touche tous les pays
méditerranéens. Cette pauvreté surtout présente dans les
centres urbains, vulnérabilise une grande partie de la
population en la privant d’accès aux services et équipements
essentiels de base.
A long terme, la croissance reste le déterminant le plus
important pour lutter contre la pauvreté. L’enjeu actuel est
donc de porter le rythme moyen de croissance aux alentours
de 6 à 7% par an. A ce niveau, la substitution du capital au
travail qu’expérimentent les économies industrialisées et
ouvertes serait possible, la vitalité du système permettant
d’absorber les effets de l’ajustement sans que soient
nécessaires les interventions pour limiter l’impact sur l’emploi.
Des investissements directs étrangers en panne
Les investissements directs étrangers sont l’un des facteurs
importants qui pourrait doper la croissance. Or, ceux-ci sont
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
très largement insuffisants au regard des potentialités et des
besoins. Les pays méditerranéens reçoivent en moyenne 8
milliards de dollars d’investissements étrangers soit guère
plus que la seule Pologne. L’essentiel s’est porté sur des
opérations de privatisation, en particulier dans les télécoms,
ou sur le rachat d’entreprises existantes dans le cadre de
privatisations. La proportion d’investissements «green-field»
immédiatement créatrice de nouveaux emplois est marginale.
Il faut dire que même dans les pays les plus dynamiques que
sont le Maroc et la Tunisie, ces secteurs (le secteur financier
en particulier) sont largement protégés de la concurrence
extérieure. Les raisons de ce relatif désintérêt des grands
investisseurs mondiaux pour la zone méditerranéenne sont
multiples. La principale semble être, toutefois, que ces
marchés sont trop fragmentés et leur croissance trop faible
au regard d’autres régions plus attractives.
Au total, il n’a pas été possible de développer, dans les
pays méditerranéens, une vision de long terme et de
matérialiser le concept central de la déclaration de Barcelone,
« une aire de prospérité partagée », en une stratégie cohérente
et opérationnelle. La situation actuelle correspond sans doute
à un équilibre justifié compte tenu des distorsions de tous
ordres que subissent les agents économiques. Ce qui est
certain, c’est qu’elle ne correspond pas à un optimum
d’allocation des ressources, surtout si l’on garde à l’esprit les
déséquilibres démographiques évoqués plus haut.
Des succès dans le gestion macroéconomique à
consolider
La gestion macroéconomique constitue, à l’inverse, l’un des
progrès les plus marquants des pays méditerranéens. Les
engagements de maîtrise des déficits budgétaires, pris auprès
du Fonds Monétaire International en particulier, ont été tenus.
Et l’engagement de mener une politique fiscale « saine» n’a,
en général, pas été prise en défaut sauf au cours des dernières
années, suite à des chocs externes et internes importants.
Il faut rappeler, à ce sujet, que dans les années 80, les
pays méditerranéens étaient confrontés à de graves crises
d’endettement extérieur liés à de forts déficits de leur balance
des paiements. Il a fallu plus de quinze ans au prix de plans
de stabilisation rigoureux pour remédier à cette situation. Le
coût en a été, en particulier, une baisse drastique de
l’équipement public, que l’on constate en particulier au niveau
des villes.
Il reste que, dans le contexte de la croissance de la
demande d’emplois, de la persistance de poches de pauvreté,
de besoins de plus en plus pressants au niveau des services
publics les plus essentiels, les budgets de l’Etat sont à nouveau
sollicités.
Les contraintes budgétaires n’ont pourtant pas entamé
l’effort des Etats de la zone en matière d’investissement public,
lequel progresse en valeur absolue et relative dans les budgets
nationaux. Mais cette politique a consisté en une suite
d’accélérations et de freinages en fonction des disponibilités
du Trésor Public. Ces fluctuations ont considérablement gêné
l’exécution du programme d’investissement public,
l’insuffisance des crédits entraînant des retards importants
dans la réalisation des projets.
17
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
SITUATION ET POLITIQUES URBAINES
DANS LES GRANDS VILLES DE LA
MEDITERRANEE
Alger
PRÉSENTATION
DE LA VILLE
Capitale du pays auquel elle a donné son nom, Alger est
une grande métropole africaine, méditerranéenne et arabe.
Construite sur le site d’un ancien comptoir punique, elle a
été fondée sous son nom actuel comme port du royaume
ziride à la fin du Xème siècle. Capitale ottomane puis coloniale,
Alger a pu, face à l’Europe, exploiter sa position médiane sur
le littoral du Maghreb central. A la veille de l’occupation
française, Alger a été largement rebâtie après le tremblement
de terre de 1716. Les marins de la Méditerranée la décrivaient
alors comme une ville très peuplée, au commerce florissant.
Le millénaire d’El Djazair a été célébré en décembre 1999.
Alger rassemble actuellement une population de près de 5
millions habitants. L’étroitesse de l’espace, l’insuffisance de
l’infrastructure héritée en matière de voirie, d’adduction d’eau,
de logements ont poussé dès 1974 à la déconcentration en
deux puis, en 1984, en quatre wilayas des activités
métropolitaines en même temps que de l’habitat.
Alger est, aujourd’hui, une Wilaya (Préfecture) à elle
seule en même temps qu’elle est la capitale de la République
Algérienne Démocratique et Populaire. Le budget alloué à la
Wilaya d’Alger pour l’année 2005 est de 10,5 milliards de
dinars. Le pouvoir législatif est détenu par l’Assemblée
Populaire de Wilaya d’Alger (APW) qui comprend 57
conseillers, soit un par commune, élus pour 4 ans au suffrage
universel. Le pourvoir exécutif est confié à un wali nommé
par le président de la république. Après la dissolution du
gouvernorat du grand Alger, en 2000, pour des raisons
d’inconstitutionnalité, le wali a retrouvé sa place. Les walis
délégués qui dirigent des circonscriptions administratives de
4 à 5 communes sont, en revanche, restés en place. Les 28
arrondissements urbains ont aussi récupéré leur statut de
commune avec une gestion autonome et la restitution des
taxes locales (taxes professionnelles, bénéfice des sociétés).
Les directions de wilayas dans les différents secteurs
fonctionnent sous l’autorité de l’APW.
La vie quotidienne à Alger est en butte à un stress
urbain fait de toutes sortes de pollutions et nuisances, en
plus des soucis matériels et des exigences d’une vie
quotidienne difficile. La forte densité de population et le
brusque changement de mode de vie ont entraîné la
transformation de certains quartiers en véritables ghettos
:
insuffisance
du système d’assainissement, mares d’eaux usées,
amoncellements de déchets qui dégradent l’environnement.
La crise du logement a entraîné une prolifération de l’habitat
précaire et des constructions illicites amplifiée, au cours
des années 90, par un exode rural justifié par des raisons
de sécurité. Un marché immobilier du bidonville a surgi.
Face à une surpopulation dépassant largement les normes
d’occupation des espaces et des logements, les services
urbains de base se sont avérés insuffisants et sous-équipés.
L’agglomération algéroise, c’est-à-dire la commune
d’Alger-centre et la commune de Sidi M’Hamed, s’est lancée,
ces dernières années, dans des actions publiques dans les
domaines de la protection de l’environnement et pour un
développement urbain équilibré et durable. Ainsi, une nouvelle
politique de la ville vient d’être adoptée par le gouvernement
en présentant à l’Assemblée Populaire Nationale (APN), en
juin 2005, un projet de loi d’orientation de la ville. Un projet
qui tend à « établir une politique cohérente sur la ville pour
améliorer le cadre de vie du citoyen, réduire l’anarchie
urbanistique et maîtriser l’extension de la ville » selon le
gouvernement. Il vise aussi, expliquent les membres du
gouvernement , à « préserver la cohésion sociale », à
promouvoir le rôle des collectivités locales dans la gestion
de la ville et à mettre en place des mécanismes permettant
la contribution du citoyen à l’entretien du quartier et de la
ville. Une loi qui vient répondre aux attentes des citoyens qui,
depuis des années, font face à des difficultés quotidiennes
dans divers domaines.
EAU ET ASSAINISSEMENT
La ville d’Alger souffre d’une pénurie chronique en matière
d’eau potable. Certains quartiers ont de l’eau de façon
continue alors que d’autres ne l’ont qu’un jour sur deux ou
sur trois. Un Plan ORSEC, imposé par le déséquilibre entre
l’offre et la demande en eau, a été mis en place une première
fois en 1994, puis réintroduit en 1997 et à nouveau en 2001.
Et le centre de l’agglomération est mieux desservi que les
régions périphériques où le robinet ne coule qu’une fois tous
les cinq jours et qui subissent des coupures qui durent parfois
des semaines.
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Cette pénurie d’eau, dont souffre toute la population
algérienne, a fait l’objet de plusieurs études et projets visant
a améliorer la distribution, mais sans jamais respecter les
échéances fixées. Les perturbations en matière
d’approvisionnement sont quotidiennes et le jerrycan est
devenu la corvée du citadin. Cette situation a poussé la
population algéroise à installer des citernes de 1000 à 5000
litres en moyenne, lorsque cela est possible. Après le plan
ORSEC de 2002, les premiers vendeurs d’eau ont fait leur
apparition dans la banlieue algéroise. Une citerne de 3000
litres est vendue 800 DA.
Le réseau en alimentation d’eau à Alger, long de 2 500
kilomètres, est vétuste et loin de pouvoir supporter les
charges d’une alimentation quotidienne sans un complet
lifting. Ce même réseau avoisine les égouts, dont les plans
ne sont pas tous connus des pouvoirs publics et qui doivent
être épurés et étanchés pour éviter les infiltrations et partant
la transmission de maladies à transmission hydrique.
Les fuites d’eau dans les conduites d’adduction et de
distribution ont accentué la pénurie. Pour Alger, sur les
650.000 m3 libérés par jour, il est constaté entre 20 à 40% de
pertes du fait des fuites et des branchements illicites. La
mauvaise gestion de la ressource est aggravée par les
insuffisances du service public.
En 1997, le gouvernement a procédé à la réorganisation
du secteur à la lumière des nouvelles dispositions du code
sur l’eau. Les systèmes de production et de distribution d’eau
potable ont été placés sous la compétence des communes.
Depuis avril 2001, la gestion de l’eau a été confiée à un
établissement public à caractère industriel et commercial :
l’Algérienne Des Eaux (ADE). L’ADE est chargée de la mise
en œuvre de la politique nationale de l’eau potable dans tous
les aspects de gestion de la production : transfert, traitement,
stockage, adduction, distribution et approvisionnement en
eau potable et industrielle. Elle est aussi chargée de la
maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre pour son propre
compte et/ou par délégation pour le compte de l’Etat ou des
collectivités locales. Elle est également appelée à promouvoir
le partenariat en favorisant les contrats de management,
d’affermage, de concession et de BOT.
Face aux problèmes de mobilisation de ressources
hydriques et de distribution d’eau potable accrus d’année
en année, les responsables algériens ont opté pour
l’établissement d’une stratégie durable, à savoir l’option du
dessalement de l’eau de mer pour ne plus dépendre des
aléas de la météo. Cette solution est considérée comme
moins coûteuse que la construction de grands barrages qui
nécessitent le transport de l’eau à travers un réseau
important. C’est ainsi qu’un programme pour l’acquisition
de petites stations monobloc et de grandes stations de
22
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
dessalement a été lancé pour les villes côtières. La mise
en œuvre de cette technologie s’appuie sur des facteurs
naturels importants à savoir la proximité de la population
du littoral, l’eau de mer ressources inépuisable, la
disponibilité de ressource énergétique. Quatorze wilayas
côtières et six autres de l’intérieur sont concernées par ce
programme. La Wilaya d’Alger est en tête pour la réalisation
de ce projet. Après plusieurs mois de négociations, les
contrats portant la réalisation de la station du Hamma,
quartier situé au centre d’Alger, ont été signés le 25 juin
2005 par l’agence américaine Overseas Private Investment
Corporation (OPIC), d’une part, et l’ADE associée à l’Algerian
Energy Company (AEC), d’autre part.
La société, Hamma Water Desalination, a été créée à cet
effet dont sont actionnaires le groupe américain GE Ionics à
hauteur de 70% et l’ADE et l’AEC qui détiennent à eux deux
30% des actions. Les travaux préliminaires ont été entamés
en avril 2005.. Le montant du projet dépasse les 200 millions
de dollars et sera financé selon la formule Build, Own and
Operate (BOO), qui prévoit la réalisation et l’exploitation par
l’opérateur, et ce sans l’intervention de l’Etat. D’une capacité
de 200 000 m3 par jour, cette unité sera réceptionnée dans 24
mois et sera donc opérationnelle le quatrième trimestre 2007.
Par ailleurs, le projet pour la réalisation du système de
transfert d’eau du barrage de Taksebt vers Alger, Tizi-Ouzou
et Boumerdes sera réalisé par le groupe canadien SNCLavalin. D’un montant de 750 millions de dollars canadiens,
le projet prévoit la conception et la construction d’une usine
de traitement de l’eau d’une capacité de 600 000 m3/ jour et
d’une station de pompage. Il est également question de
l’exploitation et de l’entretien des installations pendant cinq
ans. Trois groupements étaient en course pour ce marché.
Une partie de cet investissement a été débloquée par la
Banque Européenne de l’Investissement (BEI) et l’Agence
Française du Développement (AFD). Selon les délais impartis
pour la réalisation du projet, la ville de Tizi-Ouzou sera
alimentée à partir de ce barrage dans un an, Draa Ben
Khadda dans 18 mois et Alger dans environ 36 mois. C’est
l’un des plus gros projets de transfert d’eau de l’Algérie
indépendante. Le barrage a été achevé en novembre 2001.
Le système de transfert devrait être achevé en 2007. Il a une
capacité de remplissage de 175 millions de m3. Le couloir
Alger-Boumerdes-Tizi-Ouzou ne devrait plus, après cela,
connaître de problèmes d’alimentation en eau potable
pendant longtemps et la distribution devrait être assurée
régulièrement et sans coupures jusqu’en 2030. Le ministre
des Ressources en Eau a indiqué récemment qu’après
l’achèvement du programme des transferts, il est probable
qu’un système d’interconnexion entre l’ensemble des
barrages du pays sera effectué.
La priorité des pouvoirs publics est aujourd’hui accordée
à la recherche de financements privés pour la réalisation
d’infrastructures hydrauliques en faisant appel à des
entreprises spécialisées pour leur savoir-faire, pour bénéficier
d’un apport de nouvelles technologies et assurer une
meilleure gestion du service public. L’accord de « gestion
déléguée » d’une durée de cinq ans, signé en juin 2005 entre
le ministère des Ressources en Eau et la société française
Suez-Environnement en est un exemple. Le projet portera
sur la gestion de l’alimentation en eau potable dans la
capitale.
La société par actions (SPA) qui sera chargée de la
gestion des réseaux de l’alimentation en eau potable (AEP)
et de l’assainissement à Alger, baptisée Société des Eaux et
de l’Assainissement d’Alger (SEAL), regroupant l’Algérienne
des Eaux et l’Office National d’Assainissement (ONA), sera
mise en place et sera le seul interlocuteur vis-à-vis de Suez.
L’ADE et l’ONA seront propriétaires des infrastructures; ils
contrôleront l’exécution du cahier des charges et leurs
personnels seront à la disposition de Suez. Le conseil
d’administration sera présidé par la SPA et la facturation sera
également gérée par cette entité. Si elle réussit à Alger, cette
expérience sera renouvelée dans les autres grandes villes
tel qu’Oran, Constantine et Annaba.
Cette société travaillera durant cinq années pour le
compte de SEAL et se chargera de réhabiliter le réseau de
distribution de l’eau de la capitale, d’assurer un service public
continu, de mettre en place un système de gestion cohérent,
et de réaliser le transfert technologique et la formation des
cadres. Pour ce qui est du coût, aucun montant n’a été
annoncé officiellement avancé. Officieusement, il se situerait
entre 50 et 60 millions de dollars. Depuis le 1er janvier 2005
une nouvelle tarification de l’eau et de l’assainissement est
en vigueur. Le tarif de base, variant d’un minimum de 3,60
DA/m3 à un maximum de 4,50 DA/m3, est passé à un
minimum de 5,80 DA/m3 et un maximum de 6,30 DA/m3. Les
tarifs varient en effet selon les zones tarifaires territoriales,
au nombre de cinq, et les catégories de consommateurs. Le
tarif de l’assainissement, qui était jusque-là calculé à hauteur
de 20% du montant de la facture de l’eau, a été institué : son
prix a été fixé entre 2,10 DA/m3 et 2,35 DA/m3. Sur la facture,
la partie eau potable et la partie assainissement seront
désormais détaillées. Ce réajustement de la tarification prend
uniquement en considération les charges d’exploitation. Il en
est de même pour la prochaine augmentation prévue en 2007.
A partir de 2009, les investissements seront intégrés dans
les factures. Mais même avec ces augmentations, le tarif, de
l’ordre de 9 à 12 DA/m3, n’atteindra pas le prix des charges
d’exploitation qui est de 25,5 DA. Avec les augmentations
prévues, le tarif moyen passera à 15 DA soit environ 60% des
charges d’exploitation. Les mêmes tarifs seront appliqués à
l’eau dessalée. La nouvelle loi prévoit d’aller progressivement
vers des tarifs d’équilibre liés au coût de l’exploitation dans
un premier temps. L’Etat payera la différence pour les petits
consommateurs. Le ministère des Ressources en Eau espère,
avec cette nouvelle tarification, réduire le gaspillage et assurer
ainsi une meilleure gestion de la ressource.
Le problème de l’acheminement et du traitement des
eaux usées se pose également avec acuité dans toutes les
régions d’Algérie. Les stations d’épuration réalisées ont des
capacités très insuffisantes au regard des besoins.
A Alger, un projet de collecteur d’eaux usées reliera
Rais Hamidou à Baraki à un grand bassin souterrain d’une
capacité de 10 000 m3 pour soulager les conduites en période
de crues. D’autre part, le projet d’aménagement de l’oued El
Harrach a été réactivé.
Les responsables algériens ont également annoncé la
fin programmée des rejets en mer des eaux usées d’Alger.
Ainsi, il est prévu la réhabilitation des 45 stations d’épuration
situées en zone côtière et la réalisation de 62 autres à travers
tout le pays pour couvrir les villes de plus de 100.000
habitants. La priorité est donnée au bassin du Chellif dont
les 7 barrages sont pollués. Sur les 11 stations en cours de
réalisation à travers huit wilayas, trois projets sont inscrits
dont la station d’épuration de Beni-Messous à Alger, destinée
à l’épuration des eaux usées des agglomérations côtières de
la zone ouest de la Wilaya d’Alger.
COLLECTE ET GESTION
DES DECHETS
Maintenir la ville propre relève de l’impossible en Algérie.
Plusieurs quartiers de la capitale offrent un décor désolant.
Les ordures ménagères, les animaux errants, les gravats font
partie de la vie quotidienne des Algérois. Les ruelles sont
jonchées d’ordures ménagères. Depuis le séisme de 2003,
plusieurs chantiers sont en cours dans la ville d’Alger,
produisant des masses de gravats et de déblais de
construction jetés à même sur la voie publique. Les transferts
vers les décharges publiques se font généralement durant
la nuit. Cette situation est aggravée par l’incivisme de
beaucoup de citoyens. Il est rare, par exemple, que les
habitants de certains quartiers respectent les horaires prévus
pour le dépôt de leurs ordures.
Selon les données du ministère de l’Aménagement du
Territoire et de l’Environnement, la quantité de déchets
urbains produits en Algérie s’élève à 8,5 millions de tonnes
23
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
par an soit 0,75 kg par habitant et par jour. Ce ratio atteint
1kg par habitant et par jour à Alger. Les emballages prennent
une part de plus en plus grande dans ce volume.
Le code communal, promulgué le 7 avril 1990, a confié
la gestion de l’ensemble des déchets aux Assemblées
Communales Populaires (APC). Ces dernières n’ont toutefois
ni les moyens humains ni les moyens matériels de mener à
bien cette mission. Une collecte défaillante explique la
prolifération des décharges sauvages à proximité des cités
d’habitation.
Les décharges existantes au niveau de la Wilaya d’Alger
(Oued Semar et Ouled Fayet) font l’objet de nombreuses
protestations de la part de la population. Tous les déchets
collectés à Alger sont entassés sur ces terrains vagues situés
respectivement à l’est et à l’ouest de la ville, sans limitation
du volume et en dehors de toute norme. Ces deux décharges
sont à l’origine de la forte pollution de l’air de la ville d’Alger.
Un programme national de gestion des déchets
municipaux (PROGDEM) a été mis au point mais sa mise en
application suppose la mise en place d’une assistance
technique et des moyens financiers importants. Les
financements seront assurés par le budget de l’Etat, la
fiscalité locale et les bailleurs de fonds. Ce projet a pour
ambition de mettre fin aux défaillance des systèmes de
collecte, à la multiplication des décharges sauvages et à
l’insuffisance et l’inadaptation des systèmes d’élimination.
Un projet d’aménagement d’un centre d’enfouissement
technique (CET), d’un coût de 400 millions de dinars, est en
cours de réalisation à Ouled Fayet.
TRANSPORTS PUBLICS
A Alger, le secteur des transports urbains est en crise
depuis les années 1980. Le problème réside dans les longues
distances entre les lieux de résidence et les lieux de travail.
Il faut deux heures minimum à un Algérois habitant la
banlieue pour arriver à son travail, situé généralement au
centre. Les longues queues pour prendre un taxi, moyen de
transport coûteux, découragent les usagers qui s’orientent
vers les bus surchargés depuis leur point de départ. Dans
les bus de l’ETUSA ou du secteur privé, les bousculades ne
sont pas rares, un comportement qui trouve son explication
dans l’insuffisance et l’irrégularité d’autres moyens de
transports. Le parc automobile, qui a connu ces dernières
années une croissance annuelle de 8 à 10%, a entraîné une
saturation progressive des axes routiers.
Dans le cadre de la politique d’ajustement menée dans
24
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
les années 94 à 96, il a été décidé de revoir la politique de ce
secteur sur la base des principes suivants: mettre fin aux
monopoles et redéfinir le rôle de l’Etat. L’exploitation de taxis
collectifs privés a été autorisée pour pallier l’insuffisance de
l’offre de l’entreprise publique de bus ETUSA dans
l’agglomération algéroise. Des modes d’exploitation plus
dynamiques ont été recherchés par les entreprises en charge
des transports publics ainsi que des politiques tarifaires
adaptées. En effet, le blocage des tarifs des transports publics
urbains pendant une très longue période a privé le secteur
des ressources nécessaires à son développement.
Les difficultés de circulation dans l’agglomération
d’Alger imposent une réorganisation des transports en
commun avec un plan de circulation et un aménagement de
la voirie urbaine qui rendraient possible l’amélioration de la
fluidité du trafic. La nouvelle politique du secteur des
transports urbains prévoit la mise en place d’une autorité
organisatrice des transports pour redéfinir le service et la
tarification et mobiliser les financements. L’objectif est de
favoriser la gestion d’un système multimodal de transport
incluant autobus public et privé, chemin de fer de banlieue,
métro et tramway.
Bien que la part du rail dans le transport des voyageurs,
à travers la Société Nationale du Transport Ferroviaire (SNTF),
ne représente que 8% du trafic national, ce mode de transport
ne compte pas moins de 30 millions de voyageurs par an,
dont 22 millions pour la seule banlieue algéroise, un trafic
appelé à doubler à l’horizon 2009 avec l’achèvement du projet
d’électrification du réseau de cette banlieue, confié, depuis
juin dernier, à l’entreprise française Alstom.
Pour la SNTF, qui a accusé un retard certain ces quinze
dernières années, à cause, entre autres, des attaques
terroristes contre son parc et la suppression de plusieurs
lignes, il est question aujourd’hui de reconquérir sa part du
marché du transport de voyageurs grâce notamment à la
modernisation de ses infrastructures, l’acquisition d’un nouveau
matériel roulant de type RER (réseau express régional) et
l’adaptation de son service à la demande du marché.
Mais en attendant 2009, des efforts sont d’ores et déjà
consentis en vue de reconquérir le marché sur les lignes
régionales. Quant au transport urbain, il n’est pas attendu
que les recettes couvrent les coûts du service, mais elles
seront en partie compensées par l’activité principale de
l’entreprise qui est le transport de marchandises. Celui-ci
représente en effet pas moins de 84% du chiffre d’affaires de
la société.
Par ailleurs, il faut savoir que certaines voitures du parc
de la SNTF datent de 1976 alors qu’en principe leur durée de
vie n’excède pas trente ans. Celles-ci sont donc appelées à
être progressivement remplacées.
Mais le projet le plus important de la SNTF est
certainement l’électrification du réseau de la banlieue
algéroise. D’un coût global de 88 millions d’euros, il porte
essentiellement sur l’électrification des voies sur les lignes
Alger-El Harrach sur 10 kilomètres avec trois voies, El
Harrach-Thénia sur 43 kilomètres avec deux voies, et El
Harrach-El Afroun sur 58 kilomètres avec deux voies. Le
mode de traction par locomotive diesel existant sera remplacé
par la traction électrique. Et l’idée de relier l’aéroport
international d’Alger à une voie ferrée figure parmi les projets
phares de l’entreprise.
Ayant connu une situation particulière, jalonnée par le
désordre et un laisser-aller flagrant, le transport urbain
connaîtra prochainement une réorganisation. Une entité de
régulation du transport au niveau de la ville d’Alger sera créée
dans cette optique. Conçue, semble-t-il, sur le modèle
français (RATP), cette nouvelle entité prendra en charge, selon
le ministre des Transports, l’organisation du transport dans
la Wilaya d’Alger. Si les résultats sont satisfaisants, le dispositif
sera étendu à d’autres régions du pays. Avec la réhabilitation
de l’ETUSA, la réception du métro d’Alger, la réalisation du
tramway et le train de banlieue ainsi que la réhabilitation et
la mise en marche des téléphériques, le problème du
transport à Alger devrait être résolu.
Datant des années 80, le plus vieux chantier de
développement des infrastructures de transport en Algérie
commence à devenir enfin une réalité : le métro d’Alger.
Plus de 20 ans après le début des travaux, le chantier
du métro a été réactivé en 2003. Depuis son lancement,
excepté pour la période 1982-1985, le projet du métro a été
confronté à des difficultés multiples qui se sont traduites par
des dérives importantes des délais de réalisation. Un
document élaboré par le ministère des Transports explique
que les principaux obstacles à ce projet ont été l’inexpérience
des entreprises nationales dans la construction d’ouvrages
souterrains, le départ des assistants techniques étrangers
en 1993, le problème du financement caractérisé par les
modalités d’individualisation par lot (la dernière remonte à
1993) au lieu d’une autorisation globale, la lenteur des
expropriations des terrains pour cause d’utilité publique,
l’approvisionnement irrégulier en matériaux de construction
et, enfin, l’interruption de l’usage des explosifs entre 1993 et
1999. Près de 400 millions de dollars ont été pourtant investis
sur la période.
Les travaux du génie civil, sur le troncon Hai el
Dadr-Grande Poste, d’une longueur de 4,1 km, devraient se
terminer en juillet 2006. Confronté à des difficultés techniques
et financières, ce projet, dont la réalisation a été confiée à la
Cosider avec l’assistance technique de partenaires italiens,
devrait être achevé en 2008.
Par ailleurs, les autorités espèrent mettre en service
deux lignes du tramway dans la capitale d’ici 2007. Cette
échéance paraît cependant optimiste au vu de l’avancement
des travaux en cours . Il est à noter que le schéma de principe
qui ressort de l’étude de conception prévoit à long terme un
réseau constitué de trois lignes totalisant 56 km de tunnels
et 54 stations. La première va de Oued Koriche à Haï El Badr.
La deuxième, à partir de la Grande-Poste, monte vers le
plateau des Anassers et dessert Bachedjarah, El Harrach et
Bab Ezzouar. La troisième part d’Hussein Dey, suit la
pénétrante des Anassers et le tracé de la rocade sud jusqu’à
Aïn Allah pour desservir le Sud-Ouest.
Ce programme a fait l’objet de la signature de deux
contrats : un contrat de maîtrise d’œuvre confié au
groupement français Systra-SGTE et un contrat de réalisation
du génie civil confié à un groupement algéro-allemand Gaama
(Dywidag, Cosider et Infrafer) ; il s’ajoute au précédent
programme de réalisation qui couvre 3,4 km de tunnels (place
Emir Abdelkader-El Hamma), six stations, une plate-forme
ferroviaire, un complexe de maintenance (18 ha) et un
bâtiment administratif. Ces deux programmes constituent la
première étape du tronçon Haï El Badr-Grande Poste, dont
la mise en service est prévue pour le début de 2008.
LOGEMENT SOCIAL
L’Algérie a connu, depuis l’Indépendance, un rythme
d’urbanisation particulièrement élevé, avec une croissance
annuelle de la population urbaine de l’ordre de 5,4%. Malgré
la multiplication des lotissements, dès les années 80, les
exigences accrues des couches sociales supérieures et
moyennes ont aggravé un déficit déjà chronique en logement.
Le déficit en logements est estimé aujourd’hui à 1,5 millions,
auquel il faut ajouter 500.000 logements précaires ou
insalubres à réhabiliter. L’Algérie, à l’instar des pays qui ont
recouvré leur indépendance après une longue période de
colonisation, a subi un exode rural important, aggravé par le
déplacement des populations qui fuyaient les zones touchées
par le terrorisme. Cette situation a favorisé le développement
de bidonvilles et l’habitat précaire. Ce dernier n’a pas cessé
de se développer et a pris des proportions alarmantes,
notamment à la périphérie des grandes villes. Plusieurs
familles de cinq à dix personnes se sont retrouvées à partager
un appartement de deux pièces. Les programmes de
logements sociaux se sont avérés, durant des années,
insuffisants pour reloger tous les habitants des quartiers
défavorisés.
25
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Les autorités algériennes ont défini une nouvelle
politique de l’Habitat reposant largement sur l’initiative du
secteur privé. Parallèlement, un programme national de
résorption de l’habitat précaire a été lancé pour éliminer
progressivement les 600 sites insalubres recensés sur le
territoire, qui couvrent 17 000 hectares et abritent 3,5
millions d’habitants. Ce programme, qui porte sur la
rénovation des zones d’habitat spontané, la restructuration
de quartiers dégradés et la réalisation de lotissements
économiques, bénéficie d’un appui important de la Banque
Mondiale. Des ressources considérables sur le budget de
l’Etat ont été également mobilisées pour satisfaire la
demande pressante en matière de logement.
Une autre démarche vise à identifier les sites
potentiels pouvant accueillir de nouvelles villes et ce, en
collaboration avec le département de l’aménagement du
territoire. Ces nouvelles villes serviraient à faire face à la
forte demande de logements recensée particulièrement
dans les grandes métropoles. Aux choix des sites de Sidi
Abdellah et de Bouinan, pourrait s’ajouter celui de
Menaceur.
Par ailleurs, le secteur du logement social a connu
une nouvelle impulsion avec une production annuelle de
près de 140 000 logements par an. Toutes les formules sont
représentées : logements sociaux locatifs, logements
sociaux participatifs, logements promotionnels, aides
financières à l’habitat rural, afin de fixer les populations
rurales dans leurs terres, location-vente, etc.
Durant la dernière décennie, l’offre de logements a
concerné principalement les couches défavorisées, c’està-dire, les ménages à faibles revenus, alors que les couches
moyennes ne pouvaient accéder ni au logement social ni
au logement promotionnel du fait de leur coût élevé. C’est
pourquoi d’autres formules de logements, comme le
logement social participatif et la location-vente, ont été
introduites. Ces formules sont actuellement expérimentées
dans le cadre du programme de l’Agence Nationale de
l’Amélioration et de Développement du Logement (AADL)
pour résorber la crise du logement. Mais ce projet a connu
des retards importants liés aux mauvaises conditions
climatiques, au manque de matériaux de construction, au
flottement des effectifs de la main-d’œuvre, ainsi qu’à des
problèmes fonciers. Ainsi, sur un total de 55 000 logements
au titre des programmes 2001 et 2002, l’AADL n’en a livré
pour l’heure que 5000.
Suite aux inondations de Bab El Oued et au séisme
d’Alger et de Boumerdès, 76 000 logements ont été réparés
dans ces deux wilayas. Ces réparations ont permis aux
familles sinistrées, logées provisoirement sous des tentes,
de réintégrer leurs habitations complètement restaurées.
26
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
De ce fait, pas moins de 180 000 sinistrés ont été relogés
en un temps record, grâce à la mobilisation des moyens
humains et matériels dont dispose le pays.
VOIRIE
Les nombreux chantiers, entamés depuis des années
dans la ville d’Alger, continuent de bloquer sérieusement
le développement ou la rénovation de la voirie qui est encore
aujourd’hui dans un état lamentable.
Les trottoirs sont souvent inutilisables en raison de
leur détérioration. Lorsqu’ils sont praticables, ils sont
généralement occupés par les marchandises des petits
magasins qui poussent dans les quartiers. Sur les grandes
artères, ce sont les vendeurs à la sauvette qui s’installent
pour la journée avec, sur leurs tables, toutes sortes de
marchandises généralement importées de Chine.
L’éclairage public est encore inexistant dans certains
quartiers.
Un programme de 1500 projets d’équipements publics
et de rénovation de la voirie a été lancé en 2003. Mais en
2005, plus d’un millier n’ont toujours pas démarré du fait
de querelles entre élus locaux, d’insuffisance de
financements et de manque de coordination entre les
différentes administrations.
LUTTE CONTRE LES RISQUES
MAJEURS
La ville d’Alger est particulièrement exposée aux risques
majeurs naturels et industriels : les inondations de Bab El
Oued, le séisme de Boumerdès et l’incendie de la raffinerie
de Skikda en ont été les manifestations les plus récentes.
Outre les pertes humaines, ces catastrophes entraînent des
dommages matériels importants. Elles peuvent également
avoir des conséquences écologiques désastreuses.
La prévention est évidemment l’axe de travail privilégié.
Les communes ont été récemment exhortées à préparer
des plans de prévention des risques. Ces plans doivent, en
particulier, introduire la notion de risque dans les plans
d’occupation des sols (POS). Mais le manque de
compétences et d’expérience des communes les conduit à
rechercher des coopérations extérieures.
La réaction en situation de crise est une autre priorité.
Le gouvernement vient de lancer, en coopération avec la
Banque Mondiale, un vaste projet de réduction de la
vulnérabilité et du risque (inondation, séismes,...) sur la ville
d’Alger. Ce projet doit déboucher sur la mise en place de
plans d’action pour neuf communes, lesquels comprendront
en particulier des plans de circulation et de communication
détaillés, permettant de mieux gérer les crises futures
éventuelles.
27
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Alexandrie
PRÉSENTATION
DE LA VILLE
Alexandrie a été fondée par Alexandre le Grand en 331 av.
J.-C. Elle devint dans l’Antiquité le premier port d’Égypte et
la capitale du pays. Elle sera à son époque l’un des plus
grands foyers culturels de la Méditerranée, sa fameuse
Bibliothèque étant sans conteste l’un des principaux
fondements de sa notoriété. En 30 avant J.-C., les Romains
se rendirent maîtres de l’Égypte et Octavien fit d’Alexandrie
la capitale de la province romaine d’Égypte. Au IVe siècle
après J.-C., une série de tremblement de terre et l’élévation
du niveau de la mer font disparaître une partie de la ville
antique.
Jusqu’à la conquête des Arabes en 642 après J.-C. 8
ans après la mort de Mahomet, Alexandrie sera le théâtre
de combats sanglants entre païens et chrétiens. Les
nouveaux conquérants établiront leur nouvelle capitale à
Fustat, qui deviendra Le Caire actuel, Alexandrie devenant
un port de transit, situé aux marges du pays.
Il faudra attendre 1805 pour que Mohammed Ali, officier
turc originaire d’Albanie, et vice-roi pour la Sublime Porte
Ottomane (le pouvoir central de l’Empire turc) entreprenne
la reconstruction du port. Pendant plus de 150 ans, la ville
restera le second port de la Méditerranée.
Si Alexandrie a aujourd’hui perdu sa grandeur d’antan,
elle est encore le plus grand port de son pays.
Alexandrie occupe une place originale dans le pays par
rapport aux habitudes des Égyptiens. Leurs capitales étaient
construites à l’intérieur du pays et elles tournaient en
quelque sorte le dos à la mer : les échanges avec les autres
nations de l’Est, lointain ou proche, se faisaient par voie de
terre. Alexandrie est un port, le plus grand de la Méditerranée
orientale. Ce rappel n’est pas inutile pour apprécier le mode
d’existence de la ville. De la mer, la ville reçoit les productions
du monde entier, alors que les importations se faisaient
auparavant par voie de terre. Mais c’est l’intérieur du pays
qui assure son existence, en lui fournissant l’eau pour la
boisson et pour tous les autres besoins de la vie (hygiène du
corps : importance des bains) et la nourriture. L’eau potable
manquant à proximité, on alla la chercher dans le Nil à vingtcinq kilomètres à l’est d’Alexandrie : un canal alimentait les
aqueducs qui conduisaient l’eau jusqu’à la ville.
Le miracle alexandrin est qu’une telle activité ait pu se
développer sur un site qui semblait fort peu se prêter à
l’installation d’une ville de cette importance. La ville est, en
effet, installée sur une bande de terre de 35 km de long sur
5 km de large, séparant la mer et le lac Mariout, aujourd’hui,
en grande partie, asséché. Située à l’ouest du delta, entre
le lac Maréotis et l’île de Pharos, elle est rattachée à l’île de
Pharos par l’Heptastade, une sorte de digue servant aussi
d’aqueduc qui a permis, non seulement l’extension de la
ville, mais aussi la création de deux ports maritimes. Le plan
de la ville, élaboré par Deinocratès selon une grille
géométrique parfaite, avec ses deux perpendiculaires
majeures du nord au sud, et l’autre d’est en ouest, marque
encore la ville d’aujourd’hui. La rue Nebi Daniel, d’un côté,
la rue de Rosette, de l’autre, témoignent de la force de ce
schéma et les axes mêmes de l’extension urbaine s’y
inscrivent.
Aujourd’hui, Alexandrie est une ville cosmopolite de 4,1
millions d’habitants grecs, macédoniens, égyptiens sans
parler des innombrables représentants d’autres origines
que leurs activités appellent à y faire des séjours temporaires.
Les différences entre les populations affectent les genres
de vie, les mœurs, les croyances, les religions, le culte des
morts, etc. Chaque peuple conserve ce qui lui appartient en
propre (organisation de la communauté du point de vue
matériel, cultuel et administratif), mais on constate aussi
des rapprochements et des échanges. Les rapports avec la
classe dominante des Grecs et des Macédoniens évolueront
au fil des siècles, plus ou moins vite. Longtemps célébrée
comme la capitale du cosmopolitisme, Alexandrie s’est
transformée, sous l’ère nassérienne, en une banale cité
balnéaire. Mais le souvenir de la grande époque reste présent
dans tous les esprits.
Au cours des cinquante dernières années, Alexandrie
sera submergée par des vagues successives d’exode rural
- venues de haute Egypte, de Nubie - qui ont arraché son
âme à la cité. Alexandrie est désormais une ville d’habitat
informel, et même l’intérieur de ses vieux immeubles
d’époque coloniale représente tous les styles : victoriens,
italiens, français, grecs ou islamiques. Des années 50 au
début des années 70, en dépit de sa décadence, Alexandrie
était encore un endroit où l’on construisait des villas de luxe,
des chalets et des hôtels prestigieux sur le front de mer. Le
cœur de la ville historique, entre la station de tram de Ramla,
la place Saad-Zaghloul et les alentours de la place MéhémetAli, n’a été que peu touché, au point qu’on se croirait pris
29
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
dans une faille de l’espace-temps. Il y a cependant une
différence de taille : les habitants. Les nouveaux occupants
de ce centre-ville n’ont rien à voir avec les hautes fonctions
et les rôles sociaux prééminents des anciens propriétaires
pour qui la ville avait été conçue.
L’Etat tente de ravaler la physionomie de sa ville. Des
façades ont été repeintes, des statues et des monuments
sont érigés sur les places principales, une entreprise
étrangère a été chargée de la collecte des ordures, et les
investisseurs locaux ont été fortement incités à financer les
travaux de voirie et de réfection des jardins publics. Mais
l’événement le plus important qui traduit cette réorientation
- sur le plan pratique comme sur le plan symbolique -est la
renaissance de la bibliothèque d’Alexandrie, autrefois centre
mythique de la culture antique. Cette renaissance, rendue
possible par une collaboration internationale et interarabe,
débouche sur un joyau architectural qui redonne du souffle
au tourisme culturel. Et si le projet de reconstruction du
phare d’Alexandrie est, lui aussi, mené à son terme, les
architectures hellénistiques et romaines revisitées
deviendront une nouvelle composante de l’identité
contemporaine de l’Etat égyptien, s’ajoutant à l’habituelle
mixture des styles pharaonique et arabo-islamique.
ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
Alexandrie est rattachée au gouvernorat du même nom.
Le gouverneur relaye le pouvoir central et dispose de
pouvoirs étendus. Au gouvernorat sont attachés deux
conseils : le conseil populaire et le conseil exécutif.
Le conseil populaire local comprend 130 membres.
Chaque arrondissement (qism) est représenté par quatre
élus en plus d’une femme. Le conseil élit un président et
deux vice-présidents. La loi donne le droit au chef du
parlement (nommé) d’assister aux réunions du conseil et de
prendre part aux délibérations sans avoir le droit de vote. Le
gouverneur peut également assister aux réunions du conseil.
Les décisions du conseil sont effectives si elles sont
conformes aux lois. Toutefois le gouverneur peut rejeter toute
décision qui contredit le plan économique et le budget et la
renvoyer au conseil avec ses commentaires dans un délai
de trente jours. Si le conseil maintient sa position, il la
soumet au Haut Conseil des collectivités locales.
Les conseils populaires locaux, à l’échelle des districts,
sont régis par les mêmes dispositions, chaque qism est
représenté par six membres élus. Le conseil exécutif est
30
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
présidé par le gouverneur assisté par les chefs des quartiers,
les directeurs des services et des divers départements ainsi
que le secrétaire général du gouvernorat.
Le Gouverneur est le représentant du chef de l’Etat
dans son gouvernorat et le chef de l’exécutif local. Il est le
responsable de la mise en œuvre de la politique générale
du gouvernement. Il est, pour cela, doté des pouvoirs d’un
ministre. Les départements techniques sont présidés par
des fonctionnaires affectés par les différents ministères tels
que l’éducation nationale, la santé, l’habitat, etc.
Le gouvernorat d’Alexandrie a lancé en 2004 une
concertation devant conduire à la mise en place d’une
stratégie globale, qui serait fondée sur une vision unifiée
pour un développement soutenable de la ville. Les principaux
objectifs de ce plan sont :
•
•
•
•
Instaurer un dialogue entre les différents
partenaires sociaux de la ville,
Mettre en place une réforme administrative
législative et institutionnelle ,
Mettre la culture au cœur du processus de
développement,
Promouvoir les nouvelles technologies comme
des vecteurs de développement.
Une structure de concertation a été mise en place dans
le but d’identifier les projets prioritaires et les sources
potentielles de financement dans les quatre domaines
suivants:
•
•
•
•
Développement économique,
Politique urbaine et infrastructure,
Environnement et lac Mariout,
Culture.
Il est également envisagé la création d’une agence
municipale de développement chargée de mettre en œuvre
les projets et de mobiliser les ressources financières et
humaines nécessaires à leur exécution. Dès à présent, une
dizaine de projets prioritaires ont été identifiés. Parmi ceuxci figure la réhabilitation du lac Mariout dont il sera question
plus loin.
EAU ET ASSAINISSEMENT
L’Egypte a, comme ses voisins, un problème grave de
ressources en eau. Les ressources actuelles viennent
principalement du Nil ; elles représentent environ à 900 m3
par personne et par an et se situent donc en dessous du
seuil de pauvreté en eau. Et si rien n’est fait pour développer
les ressources ou modifier les modes de consommation, le
niveau des ressources tombera, en 2017, à 670 m3 par
personne et par an.
Jusqu’en 1991, la stratégie de développement du pays
ne prenait pas en compte les questions d’environnement.
La première loi sur l’environnement date de 1994 et a suivi
le succès du plan d’ajustement structurel entamé quelques
années plus tôt. Un premier plan national de protection de
l’environnement a été mis en place en 1992 mais n’a pas eu
de véritable impact du fait d’une structure gouvernementale
inadaptée et donc incapable d’imposer les infléchissements
politiques nécessaires. La création, en 1997, d’un ministère
de l’Environnement a permis de mieux coordonner des
politiques qui étaient jusque-là gérées par plusieurs
ministères. La création, l’année suivante, d’une Agence de
l’Environnement (Egyptian Environmental Affairs Agency),
dotée de compétences étendues, a marqué une nouvelle
étape de cette politique et conduit à une meilleure
coordination des actions sur le terrain dans le domaine de
l’eau, des déchets, et de la pollution de l’air. Elle a permis,
en particulier, une meilleure coordination de l’aide extérieure
qui a été, comme on le verra plus loin, particulièrement
importante à cette époque.
Le ministère de l’Eau et de l’Irrigation vient de mettre
au point un plan national pour la gestion des ressources
hydrauliques, qui portera sur la période 2005-2017. Ce plan
se résume à quatre points essentiels :
•
•
•
•
développer les ressources en réduisant les
pertes et par une meilleure utilisation de l’eau
souterraine.
assurer une meilleure utilisation des ressources
disponibles,
viser une meilleure efficacité des institutions en
charge de l’eau dans le pays par la
décentralisation et un appel, lorsque cela est
possible, au secteur privé.
consolider des relations avec les pays du bassin
du Nil pour développer des projets visant à
regagner les eaux évaporées dans les
marécages.
A titre d’exemple, le projet Gongli, dont profitent l’Egypte
et le Soudan, a réussi, dans sa première phase, à fournir 4
milliards de m3 d’eau. Un chiffre qui aurait pu atteindre les
9 milliards de m3 à la fin de la deuxième phase si le projet
n’avait dû s’interrompre du fait des circonstances politiques
au sud du Soudan. Ce projet d’ensemble a été chiffré à près
de 200 milliards de LE.
L’approvisionnement en eau des villes comme
Alexandrie ou le Caire est, bien évidemment, au cœur de la
nouvelle politique.
Cette question a eu une place considérable au moment
de la construction d’Alexandrie et lors de ses aménagements
ultérieurs. L’emplacement de la ville étant dépourvu d’eau
douce directement accessible, type source ou rivière, il a
fallu apporter l’eau jusqu’à la future Alexandrie. Le
creusement du canal (ou khalig), partant de la branche
canopique du Nil à Schedia, point d’origine du captage, et
courant sur environ vingt-sept kilomètres jusqu’à Alexandrie,
témoigne, dès la création de la ville, de la volonté des
aménageurs d’assurer un arrivage régulier de l’eau en vue
d’un développement croissant des besoins domestiques,
artisanaux et agricoles exigeant des quantités d’eau
considérables. C’est la preuve que la ville a été pensée, dès
le départ, sur un plan d’expansion remarquable.
Au début des années 80, la situation de la ville en
matière d’eau et d’assainissement avait atteint un seuil
critique. La pollution des eaux du Nil en aval du Caire s’était
considérablement aggravée du fait des rejets industriels et
agricoles. Les eaux usées de la ville étaient rejetées sans
traitement dans la mer au travers de 15 collecteurs tout au
long de la côte, polluant les plages et tout l’environnement
côtier. La vétusté du réseau de distribution était à l’origine
de fuites importantes. Les infiltrations des eaux d’égout dans
le réseau d’eau potable menaçaient la santé publique.
L’aide internationale a alors été sollicitée pour résoudre
les problèmes les plus urgents. L’aide américaine a été, de
très loin, la plus importante. Depuis 1978, Alexandrie a reçu
près de 500 MUS$ de l’USAID, sous forme de dons, qui ont
permis, en particulier, de rénover une partie des
infrastructures du réseau d’eau potable et d’assainissement
(plus de 200 km d’égouts ont été rénovés), et la construction
de plusieurs unités de traitement des eaux usées. Treize des
quinze collecteurs qui déversaient l’eau usée directement
dans la mer sans aucune forme de traitement ont pu être
ainsi éliminés.
Jusqu’à une période très récente, la production et la
distribution d’eau potable, de même que le traitement des
eaux usées, était confié à une entité administrative,
l’Alexandria Water General Authority (AWGA) relevant à la
fois du gouverneur et du ministère de l’Eau et de l’Irrigation.
Cette entité ne disposait d’aucune autonomie financière et
fonctionnait, pour l’essentiel, grâce à une subvention de
l’Etat. En effet, bien que plus de 80% des habitants soient
raccordés au réseau, les prix pratiques pour l’eau ne
permettaient pas de financer les investissements nécessaires
31
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
à une remise en état de l’ensemble du réseau. Aujourd’hui
encore, le prix payé par les usagers couvre moins de 25%
du prix de revient, les 75% restants étant supportés par le
budget général de l’Etat. Cependant, dans certaines zones,
la dégradation des canalisations est telle que les habitants
n’osent pas boire une eau qu’ils pensent polluée. Ils
s’adressent, alors, pour l’eau potable, à des vendeurs d’eau
qui leur fournissent les quantités strictement nécessaires à
la consommation familiale mais à des prix environ dix fois
plus élevés que l’eau du robinet.
Un plan de réhabilitation du système de production, de
distribution d’eau potable et de traitement des eaux usées
étalé sur 20 ans, a été mis en place en 2000 qui prévoit
l’équivalent de près d’un milliard d’euros d’investissements.
Élaboré en coopération avec les grandes institutions
internationales, il a permis, pour la première fois, de
développer une approche intégrée portant sur l’ensemble
de la filière et définissant clairement, à la fois les priorités
d’action et leur programmation. Toutefois, ce plan s’est
heurté à un problème institutionnel dû à la multiplicité des
intervenants et à l’absence d’une véritable coordination entre
eux.
Pour résoudre ce problème et dynamiser le secteur, un
décret présidentiel a autorisé la transformatio,n en 2004, de
14 institutions publiques en société. C’est ainsi, qu’Alexandria
Water General Authority (AWGA) est devenue Alexandria Water
Company (AWCO), qui a le statut de société indépendante et
qui bénéficie donc d’une plus grande autonomie et d’une
liberté d’action qui n’existait pas avec l’ancienne structure.
Elle pourra disposer, en particulier, d’une large autonomie
financière qui lui permettra de contracter des prêts et d’investir.
La gestion du personnel se rapprochera du secteur privé.
Aujourd’hui, AWCO s’est fixé cinq objectifs prioritaires,
à savoir :
•
améliorer l’efficacité et la productivité de la maind’œuvre,
• diminuer les pertes et assurer un service client
de qualité,
• mettre en œuvre les technologies les plus
récentes,
• rester à l’écoute des tendances du monde de
l’industrie de l’eau,
• enfin, devenir un acteur de référence des services
de l’eau au Moyen-Orient.
En parallèle à la création de sociétés des eaux
indépendantes, le gouvernement a mis en place une entité de
régulation, la Central Authority for the Drinking Water and
Sanitation Sector, and Protection of the Consumer, chargée
d’établir et de faire respecter des normes de qualité et de
32
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
contrôler le prix de l’eau. Cette entité a été calquée sur le
modèle des Utilities Commissions qui régulent les services
publics aux Etats-Unis.
Le traitement des eaux usées pose également un
problème de taille. Environ 800 000 m3/jour sont collectés
et traités dans deux stations, l’une à l’est et l’autre à l’ouest
de la ville, avec des capacités à peu prés équivalentes. Après
un traitement primaire, la station de l’est rejette ses effluents
dans le collecteur Al’Quala qui se déverse dans la partie sud
du lac Mariout. La station de l’Ouest rejette directement ses
effluents dans la partie nord du lac. La capacité des deux
unités à été portée à 1,2 million de m3 par an pour tenir
compte de l’extension du réseau de collecte des eaux usées
qui concerne actuellement près de 70% de la population.
La pollution touche également la zone côtière autour
d’Alexandrie. La principale source de pollution directe vient
de l’égout proche du fort de Qaytbay qui déverse sans
traitement 250 000 m3 par jour de rejets industriels et
domestiques. Le canal de Mahmoudeya qui se déversait il y
a 10 ans dans le port a été bouché mais 9 000 m3 par jour
de rejets toxiques continuent de filtrer. Plus loin vers l’ouest,
là où se trouvent les plus belles plages, la pollution,
essentiellement pétrolière, est due au pipeline Sumed et aux
champs pétrolifères d’Al-Alamein.
À l’extrémité orientale de la cité, dans la rade d’Aboukir,
la station de pompage de Tabia rejette 1,8 million de m3 par
jour. Le canal de dérivation du lac Edkou, situé au-dessus
de la mer, déverse 3,5 millions de m3 de rejets agricoles,
peu toxiques. Sans compter les dizaines d’industries (papier,
raffineries, engrais chimiques) qui se débarrassent de leurs
eaux usées dans la mer.
Les conséquences sont dramatiques. La rade d’Aboukir
est biologiquement morte. Il n’y reste que quelques poissons
migrants. La côte à l’est est un peu plus propre, surtout à
cause du courant qui entraîne la pollution. Depuis la
fermeture des principaux égouts, il y a cinq ans, la faune et
la flore commencent à s’y reconstituer. Le port oriental, qui
contient la plupart des restes antiques dont le fameux palais
de Cléopâtre, est hautement pollué. De même que le port
occidental où les poissons sont impropres à la
consommation.
Alexandrie fournissait, il n’y a pas longtemps, 10% des
poissons et crevettes consommés en Égypte. Aujourd’hui,
ses pêcheurs vont les chercher vers les côtes libyennes.
Quant au tourisme, il ne peut que pâtir de l’état des plages.
COLLECTE ET TRAITEMENT DES
DÉCHETS
Depuis les années 30, la collecte des ordures était
effectuée, à Alexandrie comme au Caire ou à Giza, par la
communauté des Zabbaleen. Plusieurs milliers de familles
assuraient une collecte journalière des ordures qui étaient
ensuite amenées sur un site en bordure de la ville, triées
et pour partie recyclées. Les particuliers, dont les ordures
étaient collectées, acquittaient aux représentants de cette
communauté une redevance mensuelle de 15 LE. Les
déchets organiques nourrissaient des animaux
domestiques, et les matériaux récupérés étaient revendus
à des industriels. Près de 10% des déchets produits en
Egypte étaient collectés et traités de cette façon. L’arrivée
de concessionnaires privés a mis un terme partiel à cette
activité qui subsiste néanmoins dans certaines zones. Au
Caire, la société concessionnaire a passé un accord avec
la communauté des Zabbaleen qui est, à présent, intégrée
au service.
Le principe d’une gestion intégrée des déchets urbains
est apparu en Egypte en 1998, après qu’un nuage noir
nauséabond ait traversé le ciel du Caire en provenance
d’une des plus grandes décharges de la ville. Un
programme d’élimination portant, sur 12 millions de m3
de déchets accumulés aux abords des grandes villes a été
lancé en catastrophe qui a touché 12 gouvernorats dont
celui d’Alexandrie. Ces déchets ont été transportés en zone
désertique et, pour partie, enfouis.
Le système des Zabbaleen présentant de nombreuses
insuffisances (seuls les quartiers qui avaient les moyens
de s’offrir ce service étaient couverts), il a été décidé de
faire appel au secteur privé. D’importantes remises
d’impôts étaient prévues pour les attributaires, en
particulier une exemption de taxe sur les matériels et les
équipements importés. Alexandrie a été la première ville
retenue. Le contrat a été attribué à la société française
Onyx qui est donc responsable de la collecte et du
traitement des déchets ainsi que du nettoyage des rues.
Le contrat, signé en 2001, porte sur une durée de 15 ans.
Onyx, depuis son arrivée à Alexandrie, a mis en place
120 000 bacs pour une population de plus de 4 millions
d’habitants. C’est 4 fois plus qu’à Paris intra-muros pour
une population équivalente.
Un dispositif de décharge contrôlée a été mis en place
qui est actuellement suffisamment dimensionné et permet
la prise en charge, dans des conditions satisfaisantes, des
quelque 3000 tonnes de déchets produits chaque jour.
Environ 45 millions d’euros ont été investis par la
société depuis son arrivée sur l’ensemble de ses activités.
Une importante campagne de sensibilisation a été
également lancée auprès de la population pour faire
évoluer les comportements et associer les citoyens aux
mesures de protection et de respect de l’environnement.
Le service s’est, depuis, très fortement amélioré : toutes
les enquêtes réalisées montrent un niveau élevé de
satisfaction de la part de la population. Le succès de cette
opération a incité le gouvernement à étendre à d’autres
villes la privatisation du service. C’est le cas, à présent,
du Caire (trois districts sur quatre), de Giza, de Louxor et
d’Assouan.
La redevance pour la collecte et le traitement des
déchets était, jusqu’en 2004, prélevée sur la facture
d’électricité, proportionnellement à cette dernière. Ce
dispositif ayant été annulé par la Cour suprême, d’autres
formes de contribution sont à l’étude.
Alexandrie a également bénéficié de la mise en place
du premier site d’enfouissement des déchets industriels et
des déchets dangereux. Installé dans la région de Nasseriya,
ce projet a été le fruit d’une coopération entre les
gouvernements égyptien et finlandais. Dans sa deuxième
phase, le projet a accueilli un laboratoire d’analyse des
déchets dangereux, une unité de traitement physicochimique et la diffusion d’informations sur les résidus
industriels dangereux. Les hôpitaux de la ville sont également
équipés d’incinérateurs.
LE PROJET DU LAC MARIOUT 1
Le lac Mariout occupe, au sud d’Alexandrie, une surface
d’environ 74 km2. Aujourd’hui en grande partie asséché, il
a reçu, pendant de nombreuses années, les effluents urbains,
industriels et agricoles d’une partie de la région. Cinq
collecteurs y déversent annuellement prés de 9 millions de
m3 d’effluents dont certains sont traités et d’autres non (voir
tableau).
Il est, aujourd’hui, une menace pour l’environnement
de la ville et, plus loin, de toute la région du delta du Nil. La
forte concentration en éléments lourds détruit les réserves
organiques et menace les activités de pêche déjà fortement
réduites. La forte concentration en pesticides provenant des
effluents agricoles provoque la prolifération de roseaux et
de plantes d’eau qui couvrent 70% de la surface du lac,
réduisant les mouvements d’eau et détruisant l’écosystème.
Par ailleurs, la réduction du taux d’oxygénation de l’eau
favorise l’accumulation de bactéries anaérobique et la
prolifération d’algues rouges toxiques.
D’après un rapport réalisé par le professeur Shacker Helmi, conseiller du Gouvernorat d’Alexandrie pour l’environnement.
1
33
LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
Origine et quantité d’effluents déversés
annuellement dans le lac Mariout
Paradoxalement, le lac est devenu un élément
stratégique du plan de développement urbain d’Alexandrie
et, au-delà, de l’ensemble de la région. L’étalement urbain
l’a rapproché de la ville dont il devient progressivement une
composante. C’est ce qui explique que la dépollution du lac
Mariout soit inscrite comme projet prioritaire du plan
Collecteur
Type d’effluents
Volume estimé
(millions de m3/an)
Omoun
Agricoles
6,0
Gharb Al Nubereyya
Agricoles
1,5
Al Quala
Urbains, industriels et
agricoles
(partiellement traités)
0,75
Urbains, industriels
(traités)
0,35
Urbains, industriels
0,5
Kabbary
Autres
stratégique du gouvernorat d’Alexandrie. L’objectif qui est
visé est de redonner au lac une vocation à la fois agricole
(activité de pêche) et touristique. Un partenariat avec le
distributeur Carrefour a déjà permis l’installation d’une zone
commerciale et de loisirs m1odernes aux abords du lac.
Le projet de rféhabilitaion du lac Mariout, conduit en
partenariat avec la Banque Mondiale, est porté par un
groupe de travail constitué de représentants du ministère
de l’Agriculture, du Conseil Supérieur de la Pêche, de l’ASDC
(Alexandria of Sanitary Drainage Company), de la branche
régionale du Bureau des Affaires Environnementales
Egyptiennes et de l’Institut d’Océanographie de l’université
d’Alexandrie.
Un plan d’action a été mis en place dont la première
phase passe par une aide apportée aux industriels pour réduire
leurs effluents et se mettre en conformité avec la
réglementation. Un budget de 60 millions de dollars a été
débloqué à cet effet par la Banque Japonaise de
Développement (40 millions) et la Banque Mondiale (20
millions) La seconde phase du plan consiste à traiter à la base
les pollutions en retraitant les déversements des drains d’ElQala. Un budget de 35 millions de dollars a été débloqué par
la banque mondiale et GEF. Un traitement biologique du lac
est également prévu qui coûtera 10 millions de dollars. Un
budget de 1 million est aussi débloqué pour l’éradication des
algues rouges. L’ensemble du programme, qui devrait s’étaler
sur six ans, est estimé à plus de 120 millions de dollars.
34
LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
Il est également question de détourner les effluents
des deux unités de traitement qui actuellement se déversent
dans le lac Mariout vers le désert. L’objectif, en arrosant ces
terres, est de créer une ceinture verte autour d’Alexandrie.
Cette ceinture constituerait également une barrière naturelle
contre l’érosion marine qui ne manquera pas d’attaquer la
côte lorsque le lac Mariout sera mort.
LOGEMENT SOCIAL
Alexandrie compte 48 zones recensées d’habitat insalubre
d’une surface d’environ 32 km2, représentant 10% de
l’espace urbain et 7% de la région. Ces espaces d’habitat
dit spontané sont en fait de véritables bidonvilles dans
lesquels vivent plus d’un million de personnes, soit 30% de
la population de la ville. Les problèmes rencontrés dans ces
zones y sont multiples :
•
Une densité de population qui dépasse les 33
000 personnes par km2, soit plus de trois fois la
densité moyenne de la ville, ce qui pose un
véritable défi en terme de service public : eau,
assainissement, électricité, gaz naturel,
• Un manque criant d’infrastructures et de
services de base. Certaines zones, comme El
Agamy ou Borg El Arab, ne disposent d’aucune
infrastructure d’assainissement et les services
de santé y sont quasi inexistants. La mortalité
infantile atteint le taux effrayant de 25/‰.
• Une insuffisance d’équipements scolaires : dans
certains quartiers comme celui d’El Amerya, on
compte 51 élèves par classe contre 37 en
moyenne dans la ville.
• Le taux de chômage est deux fois plus élevé que
celui observé sur l’ensemble du gouvernorat.
• L’analphabétisme dépasse 25%, soit le double
de ce qu’il est en moyenne dans le pays.
L’éradication progressive de ces bidonvilles est l’un des
objectifs inscrits au plan stratégique de la ville. Quelques
actions ont été conduites, par exemple dans le quartier
d’Abou-Kharouf, avec des résultats tout à fait encourageants
qui ont permis de mettre au point une méthode à étendre à
d’autres quartiers.
L’ÉRADICATION DU BIDONVILLE
D’ABOU-KHAROUF
Dans ce quartier, les efforts conjugués d’une ONG,
d’hommes d’affaires et des collectivités locales coordonnées
par le Gouvernorat, ont permis de sortir de la misère les
habitants qui, pour certains, y vivaient depuis plus de vingt
ans. Jusqu’en 2000, quelque treize mille personnes vivaient
là dans la plus grande pauvreté. Le seul mode de transport
qui reliait ce quartier au reste de la ville était les calèches.
Sur la place centrale, où stationnaient une centaine de
fiacres, la moindre discorde entre cochers se transformait
en bagarres violentes. Des excréments d’animaux jonchaient
le sol et des tonnes d’immondices s’amoncelaient tout le
long du sentier. L’odeur fétide des détritus empestait l’air. Il
n’existait aucun service de voirie pour assurer le ramassage
des ordures. Et les murs délabrés des 286 maisonnettes
laissaient transparaître leurs briques rouges. La nuit,
l’absence d’éclairage dans la rue principale et ses alentours
plongeait ce bidonville dans l’obscurité et l’insécurité la plus
totale. Les ruelles étroites et boueuses rendaient l’accès
difficile aux services de police quand le terrain se
transformait en champs de bataille.
Dans ce bidonville, le revenu moyen mensuel d’une
famille composée de 5 à 6 personnes ne dépassait pas les
150 LE (30 euros). Des conditions de vie pénibles
auxquelles s’ajoutait un taux d’analpha-bétisme dépassant
les 50 %, qui laissait une partie de la population dans
l’ignorance de ses droits. La population vivait en marge de
tout jusqu’au jour où une ONG Rowad al-Biaa (Les
Précurseurs de l’environnement) dont la mission est
d’améliorer les conditions de vie des populations
démunies, a démarré son action, épaulée par une
association d’hommes d’affaires, le gouvernorat
d’Alexandrie et le support du programme Life de l’ONU. «
Jusque-là, aucune organisation n’avait osé s’aventurer
dans cette région malgré ses conditions déplorables. Et
c’est un exploit que d’avoir osé entamer un tel projet à
Abou-Kharouf », confiait le Dr Wafaa Al-Méneissi, directrice
du projet et présidente de l’ONG. Elle se souvient que la
première fois où le camion de la municipalité avait fait son
entrée dans le bidonville, les habitants avaient crié de joie
: « Nous avons été longtemps marginalisés. C’est bien la
première fois que nous réalisons qu’Abou-Kaharouf fait
partie du plan d’Alexandrie », commentait une habitante
à Abou-Kharouf. Sur les 50 bidonvilles que compte le
gouvernorat d’Alexandrie, le choix d’Abou-Kharouf n’avait
pas été fait au hasard, poursuit Al-Méneissi : « Il fallait
casser ce grand contraste entre le bidonville et la région
d’Al-Montaza située au sud. La première zone vivait encore
au XIXe siècle, alors que la deuxième était rentrée en force
dans le XXIe siècle ».
Une collaboration étroite a été instaurée entre les
différents intervenants mais qui ne pouvait être efficace
sans l’adhésion de la population. Pour cela, une stratégie
de sensibilisation a été mise en œuvre par les responsables
de l’ONG, « On a commencé par apprendre aux gens ce
qu’était le civisme, pour les contraindre à changer leurs
mauvaises habitudes. Corriger le comportement d’un
individu, c’est contribuer au développement de son
environnement. Et ce changement devait se faire à la base
», poursuit Al-Méneissi. Ainsi, pour mieux s’intégrer, l’ONG
a recruté 15 volontaires parmi les jeunes étudiants habitant
la zone, qui ont commencé par convaincre les mères de
famille d’assister aux réunions. Une sensibilisation qui a
porté ses fruits, puisque elles y étaient de plus en plus
nombreuses. « Lors des réunions, on leur parlait de santé,
d’hygiène et de protection de l’environnement. On leur
demandait de changer certaines mauvaises habitudes
comme ne pas jeter les ordures par la fenêtre ou dans la
rue, mais les refermer dans des sacs en plastique avant
de les déposer à l’extérieur», poursuit Al-Hussein
Mahgoub, coordinateur sur le terrain. Il fallait aussi
expliquer à ces personnes les avantages d’un tel
changement d’habitude. Avec un langage simple et
persuasif, les coordinateurs sont parvenus à faire
comprendre aux habitants que les mouches étaient
porteuses de maladies et qu’il était « préférable de
dépenser 12 LE par mois pour acheter des sacs à ordures
que de débourser 100 LE en médicaments.», assure
Chéhata, fonctionnaire et habitant de la région.
De plus, l’ONG a dû négocier avec la nouvelle
entreprise privée, chargée de collecter les ordures, et les
chiffonniers traditionnels dont beaucoup habitaient le
quartier, surtout après la vague de colère qu’ils avaient
manifestée après l’arrivée du concessionnaire privé. Il a
été décidé que l’entreprise se chargerait de la collecte des
ordures sur l’artère principale et que les chiffonniers
œuvreraient dans les rues adjacentes. Pourtant, la plus
belle participation des habitants a été de planter des arbres
devant leurs maisons. Ils ont même construit des petites
palissades avec du matériel de récupération pour protéger
leurs espaces verts.
Avec un budget qui ne dépassait pas les 100 000 LE (30
000 euros), l’ONG a réussi à faire un travail extraordinaire en
un temps record. Abou-Kharouf a changé de visage et même
de nom. Baptisée Makka Al-Mokarrama, la zone s’est
transformée en quartier à part entière. Les 18 rues qui
mènent à la place, devenue artère principale aujourd’hui,
ont été goudronnées. Trois lignes d’autobus relient désormais
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LES VILLES
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DIX ANS APRES
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le bidonville au centre-ville. Le nombre de calèches, sources
de nombreux problèmes autrefois, a été réduit. Seules, une
dizaine ont survécu et une station leur a été réservée à la
sortie de la zone. Par ailleurs, plus de 500 arbres ont été
plantés et 20 poteaux électriques éclairent les rues de Makka
Al-Mokarrama. Une entreprise privée de nettoyage assure
quotidiennement le ramassage des ordures. Les façades
des immeubles qui entourent la place ont été repeints en
blanc et le prix de location des appartements a grimpé : le
prix d’un petit logement situé sur l’artère principale, estimé
à 10 000 LE. il y a quelque temps, est passé aujourd’hui à
100 000 LE. Ce projet a été salué comme meilleur projet de
développement au niveau mondial lors du sommet de la terre
à Johannesburg en 2002.
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BARCELONE
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DIX ANS APRES
BARCELONE
Amman
PRÉSENTATION
DE LA VILLE
Amman est une ville arabe dont les racines antiques
remontent à 8 000 ans avant J.-C., et qui a vu son visage et
son nom évoluer au cours des siècles. En 1921, quand l’émir
Abdallah l’a choisie pour capitale, elle n’était qu’un petit
village circassien de 6 000 habitants. En 1947, elle ne
comptait encore que 60 000 habitants. La croissance a été,
depuis, exceptionnellement rapide, du fait d’apports brutaux
et massifs palestiniens qui sont à l’origine de cet
extraordinaire développement. La Jordanie a reçu ainsi plus
d’un million et demi de réfugiés palestiniens au cours des
deux guerres de 1948 et 1967. Près de 20% d’entre eux vivent
encore dans des camps alors que d’autres se sont installés
dans les différentes villes du royaume. Un autre événement
récent, qui a affecté Amman au début des années 90, a été
la deuxième guerre du Golfe, provoquant l’afflux de 300 000
personnes dans Amman, principalement des Jordaniens
expatriés qui vivaient dans le Golfe. Capitale, et ville
principale de Jordanie, elle compte aujourd’hui plus de 2
millions d’habitants. Construite en cercles concentriques
cernés par 7 collines, elle semble ne jamais vouloir s’arrêter
de grandir. La ville continue de s’étendre, débordant sur le
désert. Les larges avenues opulentes, les maisons espacées
aux toits de tuiles évoquent bien peu l’Orient.
ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
Amman et d’autres communes environnantes se sont
regroupées, en 1987, sous la bannière d’une
intercommunalité, celle du Grand Amman. Cette nouvelle
transformation de l’organisation administrative et politique
de la capitale jordanienne a donné à la ville un visage
différent, plus ambitieux et porteur de projets d’avenir. Parmi
les objectifs et les valeurs revendiqués par le « GAM », sont
la transparence, la prévention et la protection de
l’environnement, la communication et la coopération,
prouvant ainsi que la gestion de la municipalité d’Amman
commence à intégrer des principes de management
publique dans sa vision du service public. En raison de son
statut spécial, législations et règlements spéciaux ont été
adoptés et régissent maintenant le travail de la municipalité.
Le conseil municipal comporte 40 membres dont 20 sont
élus au suffrage direct. Les 20 autres membres sont
nommés par le gouvernement (premier ministre) pour
représenter les établissements publics et les organismes
de la société civile. Les membres désignés incluent la
société d’éléctricité, l’administration des eaux, la chambre
de commerce, etc. Le maire rapporte directement au conseil
municipal et au premier ministre, et non au ministre des
Affaires Municipales, comme c’est le cas dans toutes les
autres municipalités jordaniennes. Un Plan stratégique
2002-2006 est en cours de réalisation qui couvre les
différents secteurs de la vie urbaine. Sa réalisation a été
cependant fortement retardée du fait de graves insuffisances
en terme de gouvernance : manque de clarté de
l’organisation municipale et des responsabilités de chaque
département, problèmes de compétence des services
techniques, rigidité excessive des procédures, manque de
coordination entre les différentes agences spécialisées, etc.
La faible planification urbaine se conjugue avec une gestion
urbaine fonctionnelle déficiente : violations fréquentes de
la réglementation en matière de construction, manque de
participation des citoyens au processus de planification,
niveau de recouvrement des coûts insatisfaisant des services
publics marchands (eau, électricité, etc). Face à ces
problèmes la municipalité s’est fixée les objectifs suivants
:
•
•
•
Améliorer les mécanismes de gouvernance
urbaine par le développement institutionnel et
une fiscalité locale plus efficace ;
Mettre en place un plan d’urbanisme cohérent,
répondant aux besoins de la population et le
faire appliquer : révision des règlements
d’urbanisme, refonte et informatisation du
cadastre, règlement applicable aux zones
squattées ;
Adoption d’une évolution des règlements des
squatts et des camps de réfugiés partout dans
la ville.
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LES VILLES
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EAU ET ASSAINISSEMENT
La Jordanie est l’un des pays les plus « pauvres en eau »
du monde, avec une ressource annuelle désormais inférieure
à 150 m3/habitant très en dessous du « seuil de pauvreté en
eau » généralement estimé à 1 000 m3/habitant. Les réserves
renouvelables en eau douce sont estimées à près de 850
millions de m3 par an, consistant principalement en eaux de
surface et eaux souterraines. Les possibilités de recourir à
des ressources en eau non conventionnelles sont limitées
dans un pays où presque toutes les réserves en eaux
renouvelables sont exploitées et où la plupart des habitants
de la capitale ne reçoivent de l’eau qu’une fois par semaine.
Les options pour augmenter l’approvisionnement en eau sont
réduites : des quantités supplémentaires d’eaux de pluie
peuvent être captées et de l’eau saumâtre peut être pompée
des aquifères de grès. La quantité d’eau renouvelable
disponible par individu est parmi les plus faibles au monde
et continue à décliner. Il est prévu qu’elle passe des 140
m3/personne/an actuels à 90 m3/personne/an en 2025
(estimations du ministère des Ressources en Eau et de
l’Irrigation).
Ce constat, qualifié par les experts de « situation de
stress hydraulique », reflète l’état de pénurie en eau dont
souffre le Royaume qui consomme bien plus que ce qu’il
reçoit naturellement et doit, pour essayer de satisfaire une
demande sans cesse croissante, puiser dans ses réservoirs
fossiles et surexploiter les réservoirs renouvelables. Cette
situation résulte, d’une part, de la situation géographique
et des conditions climatiques semi-arides du pays et, d’autre
part, de l’augmentation constante des besoins, du fait d’un
taux de croissance relativement élevé de la population (3,3%
par an de 1996 à 2004) et du développement économique
qui a démarré notamment début 90 avec le retour des
Jordaniens Palestiniens installés dans les pays du Golfe et
qui semble se poursuivre actuellement malgré les difficultés
régionales.
La politique de l’eau dans le pays a été, pour cette raison,
centrée sur le développement des ressources. Or, le Royaume
partage ses principales ressources en eau avec les pays
voisins : le Jourdain et le wadi Araba avec Israël, le Yarmouk
avec la Syrie et Israël, et l’aquifère de Disi avec l’Arabie
Saoudite, ce qui le met dans une position de dépendance et
à la merci du contexte géopolitique régional. Néanmoins, les
accords de paix avec Israël en 1994 et pour la construction
du nouveau « barrage de l’Unité » avec la Syrie, en 2002, ont
permis d’obtenir des garanties officielles des droits de la
Jordanie principalement sur les eaux du Yarmouk, ce qui a
stabilisé favorablement la situation sans vraiment résorber
le déficit.
40
LES VILLES
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BARCELONE
La Jordanie a bénéficié d’une aide internationale
importante. Plus de 600 millions US$ de dons et de prêts
ont été consacrés au secteur de l’eau. Et les besoins à
l’horizon 2012 sont estimés à près de 5 milliards US$.
Amman est en situation de pénurie chronique d’eau.
Le réseau de distribution d’eau potable de la capitale dessert
une superficie d’environ 660 km2 pour une population
d’environ 2 millions d’habitants. En grande partie, le réseau
de distribution, notamment au centre, est vieux de plus de
35 ans. Le mauvais entretien des réseaux vétustes nécessite
des investissements élevés de simple maintenance. Plus
de 50% de l’eau fournie n’est pas comptabilisée du fait des
fuites et des branchements illégaux. Alors que la production
d’eau potable se situaient au début des années 2000 autour
de 89 millions de m3, la quantité consommée facturée
n’était que de 46.
Le coût d’exploitation de l’eau urbaine, dans un pays
ayant un climat semi-aride et des ressources en eau limitées
et difficiles à exploiter, est très élevé. Ce coût est
généralement assumé par l’Etat et les bailleurs de fonds
sous forme d’aides et de prêts. Et cette situation de
dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure ne pourra que
s’aggraver du fait du coût élevé des investissements
nécessaires pour la remise en état du réseau.
L’Etat jordanien, pendant de très nombreuses années,
a financé le secteur de l’eau par l’endettement. En moyenne,
le prix du m3 vendu au citoyen ne dépasse pas 50% de son
coût réel. Le prix de revient est de 1 dinar tandis que le prix
de vente moyen se situe aux environs de 450 fils (0,45 JD ).
La tarification de l’eau potable est progressive. Les tarifs ont
été structurés de manière à garantir une consommation
minimum nécessaire aux plus pauvres, à un prix subventionné
fixé au m3, permettant ainsi de recouvrer ces subventions
auprès des usagers dont la consommation est plus élevée,
et qui disposent de moyens financiers plus importants. Mais
même subventionnée, l’eau reste chère. Une famille moyenne
ayant un revenu mensuel de 225 JD consacre plus de 10%
de son budget pour avoir accès à une eau potable. Et cette
situation est appelée à empirer. De nouvelles hausses sont
prévisibles pour permettre, d’une part, de rationaliser
l’utilisation de l’eau en limitant au maximum les gaspillages
et, d’autre part, de limiter les subventions de l’Etat pour
l’entretien des réseaux d’adduction d’eau et de drainage.
Dans ce contexte de stress hydrique et de difficultés
chroniques dans la fourniture du service, la Banque Mondiale
et le FMI ont exigé des réformes, dans le secteur de l’eau,
comme préalable au financement de nouveaux projets. En
1999, la Jordanie a entamé un processus de privatisation des
eaux d’Amman dont l’objectif est d’assurer une meilleure
gestion du service et à un moindre coût.
Un contrat de gestion déléguée a été accordé, après
une procédure d’appel d’offre, à la société LEMA filiale du
groupe français ONDEO (ex-Lyonnaise des Eaux). Financé
par la Banque Mondiale, ce contrat est fondé sur un niveau
de performances convenu à l’avance, assimilable à une régie
intéressée. D’une durée initiale de 4 ans, il a été depuis
prolongé à deux reprises jusqu’à 2006. La zone
géographique couverte correspond au gouvernorat
d’Amman, qui comprend presque 2 millions d’habitants, soit
40% de la population jordanienne. Le nombre d’abonnés en
2004 était de 350 000.
La Banque Mondiale a accordé pour ce projet un prêt
de 55 millions US$ étalé sur la durée du contrat. L’objectif
du prêt était de financer les coûts de gestion des systèmes
d’eau potable et d’assainissement mais aussi certains
investissements de réhabilitation urgents au niveau des
usines de traitement et des réseaux, et certains coûts liés
à la restructuration du service. Le contrat a été considéré,
alors, comme une référence majeure pour tenter de
convaincre les gouvernements dans cette partie du MoyenOrient, de l’intérêt de la gestion déléguée.
Cette délégation de service a été accompagnée de la
création d’une institution régulatrice, Program Management
Unit (PMU), chargée de suivre le contrat avec LEMA et
l’utilisation du prêt de multiples donateurs (Banque
Européenne d’Investissement, USAID, Italie, KFW, etc) d’un
montant de 250 millions US$, destiné à financer un grand
projet de réhabilitation du réseau de la ville d’Amman.
Cependant, avec le recul, les résultats apparaissent
mitigés. Le service s’est certes, amélioré, mais le grand
projet de réhabilitation du réseau d’adduction d’eau potable
a pris du retard et n’a pas pu précéder ou accompagner les
travaux de réparations urgentes qui ont dû être faits. La
situation des branchements illégaux ne s’est pas beaucoup
améliorée. Ces branchements illégaux sont une pratique
répandue dans toutes les couches sociales, spécialement
chez les personnes issues des classes aisées, qui
bénéficient de l’appui d’un réseau de connaissances haut
placées.
Malgré un taux de branchement qui avoisine 98%, il
existe encore un service d’eau alternatif, assuré par des
opérateurs privés. Ce système alternatif se situe largement
dans ce qu’on appelle « l’économie informelle ». Les
opérateurs privés étaient omniprésents depuis le début de
l’extension urbaine de la ville. La mise en place du réseau
d’eau potable, depuis les années 1950, n’a pas pu suivre
l’urbanisation accélérée de la capitale et les camionsciternes continuent à approvisionner les ménages non
branchés au réseau, les quartiers non équipés et les
bédouins non sédentarisés. Selon les chiffres officiels de la
WAJ, le nombre de camions citernes privés, dans le
gouvernorat d’Amman en 2004, serait proche de 1300 dont
290 appartiennent aux sociétés industrielles et aux hôpitaux,
tandis que le nombre de ceux appartenant à LEMA ne
dépasse pas 26. Le volume des citernes transportées par
les camions varie de 4 à 37 m3.
Cette eau «informelle» provient de forages « agricoles
» environnants. Le prix du m3, payé au propriétaire du forage
est de 0,5 JD, est revendu au consommateur 2 JD. Le prix
appliqué par les camions-citernes de LEMA (tout compris)
est de 1,5 JD pour le m3, moins élevé que le prix des
opérateurs privés, mais ces derniers proposent un service
immédiat, et selon les usagers, la qualité de l’eau provenant
des forages serait supérieure à celle du secteur public.
Pour développer les ressources, le ministère de l’Eau
et de l’Irrigation prévoit de réaliser plusieurs projets qui
consistent à aller chercher l’eau de plus en plus loin.
Le premier projet est celui de l’aquifère fossile de Disi,
qui va apporter vers Amman l’eau du Sud, à 350 km de la
capitale et 800 m plus en profondeur. Le coût du projet, qui
prendra la forme d’un BOT pour une durée de 40 ans, est
estimé à 600 millions US$ et d’une capacité de 100 millions
de m3 par an pendant seulement 50 ans.
Le second projet est celui qui vise à stocker l’eau du
Yarmouk dans un barrage jordano-syrien, finalement
possible après l’accord de paix jordano-israélien. Le coût
estimé est de 60 millions de JD. Un troisième projet de
développement intégré dans les Southern Ghors est
actuellement en cours. Il comprend principalement la
construction de trois barrages dont la capacité totale de
stockage atteindra 60 millions de m3 d’eau qui, aujourd’hui,
se déversent en grande partie dans la Mer Morte.
Parmi les autres projets qui viennent compléter ces
efforts, on peut citer des projets de nouveaux forages dans
le bassin de Amman Zarqa, déjà surexploité, à Alajoune et
Alkoridor qui ont assuré en 2001, 21 millions de m3/an
supplémentaires, dont 13 millions de m3 pour le
gouvernorat d’Amman. Mais aussi des projets coûteux mais
durables de dessalement d’eaux saumâtres comme le projet
de dessalement des Wadis Zara et Ma’in, qui devrait fournir
35 millions de m3/an d’eau supplémentaires à la
municipalité d’Amman.
Le coût du projet Ma’in est parmi les plus onéreux : en
plus des 120 millions US$ d’investissements (don de
l’USAID) pour produire 35 millions de m3/an, s’ajoute le coût
du dessalement des eaux saumâtres (± 0,3 USD/ m3) puis
leur transport sur 45 km avec une élévation de 1 300 m (0,6
à 0,7 USD/m3). Quant à l’eau provenant de l’aquifère fossile
de Disi, du fait des 600 millions US$ d’investissements, on
prévoit que le transport de chaque m3coûtera 1.3 US$.
41
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Les coûts totaux pourraient donc atteindre plus de 2
USD pour chaque m3 rendu chez le consommateur.
Les eaux usées traitées constituent une autre
ressource en Jordanie. Elles sont déjà traitées dans 19
stations. On prévoit que le volume des eaux usées traitées
qui sera utilisé pour le seul secteur de l’irrigation devrait
atteindre 220 millions de m3/an en 2020. L’appel au secteur
privé est également important dans ce domaine. Ainsi, un
contrat de 25 ans pour la globalité de l’assainissement du
Grand Amman en Jordanie a été attribué au consortium
SPC (Samra Plant Consortium) constitué à parts égales de
deux partenaires américains : Morganti et Infilco Degrémont
Inc., spécialiste de l’usine de traitement d’eau de SUEZ
Environnement en Amérique du Nord. De type PPP (PublicPrivate Partnership), ce projet, qui bénéficie d’un important
soutien de l’USAID (United States Agency for International
Development), représentera un chiffre d’affaires total de 15
millions US$ par an sur une durée de 25 ans. Il concerne
la conception et la construction de l’usine de traitement des
eaux usées de Khirbet As Samra, l’extension et la mise aux
normes de la station de prétraitement de Ain Ghazal, et
l’exploitation de l’ensemble ainsi que des stations de
pompage du Gouvernorat de Zarqa (nord-est d’Amman).
L’usine de Khirbet As Samra va dépolluer les eaux usées
des 2,5 millions d’habitants de l’agglomération d’Amman.
Avec une capacité de 268 000 m3/j, elle utilisera des
solutions techniquement avancées tant pour l’épuration des
eaux (boues activées et décantation primaire) que pour le
traitement des boues (digestion et compostage). Elle sera
pratiquement autonome en énergie.
LEMA
Co-entreprise créée en 1999 dans le cadre du contrat
de gestion des eaux du Grand Amman. Elle est composée
à 75% de ONDEO (ex-Lyonnaise des Eaux) et à 25% de
Montgomery Watson (Etats-Unis) / Arabtech Jardaneh
(Jordanie). Outre la mise à disposition échelonnée sur la
durée du contrat de 25 millions US$ pour les travaux
urgents de maintenance et de réhabilitation (working
capital), la BM rémunère l’opérateur (sous forme de prêt
à l’Etat jordanien) selon une partie fixe à concurrence de
8,8 millions US$ (management fee), plus une partie
variable qui sera exprimée en pourcentage des bénéfices
estimés : 5% du gain en cash encaissé annuellement ou,
le cas échéant, pénalités pour non respect des
performances (Witholding and Liquidated Damages).
42
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
GESTION ET TRAITEMENT DES
DÉCHETS
Le volume des déchets produits en Jordanie est
comparable à celui d’une nation semi-industrialisée. Des
quelque 8 000 tonnes produites par jour, 3 200 proviennent
de déchets ménagers et le reste des déchets industriels et
agricoles.
La collecte et le traitement des déchets sont placés sous
l’autorité de la municipalité. Mais la répartition des
responsabilités entre la municipalité et le ministère de la
Santé et de l’Environnement n’est pas totalement clarifiée.
Il est envisagé le renouvellement de la flotte vieillissante
des véhicules de collecte grâce à une opération de « lease
back », consistant à faire acquérir ces matériels par une
société privée qui les louerait ensuite à la municipalité.
L’ancienne décharge de Russaifah ne répondant plus
aux normes, a été fermée en 2002 et remplacée par le
nouveau site mieux adapté de Al Ghabawi-Madonna.
Ces déchets étant, pour une large part, organiques, il
a été envisagé leur recyclage pour produire du gaz méthane,
de l’électricité, du combustible et des engrais par digestion
anaérobique. Cette technologie, largement utilisée dans les
pays développés, ne libère pas de gaz à effet de serre.
La municipalité d’Amman a donc décidé, en juillet 2005,
de relancer la production d’électricité à partir de la biomasse
sur le site de sa décharge de Ruseifeh. La municipalité avait
quasiment abandonné le développement de ce projet lancé
en 2000 en BOO avec l’allemand FARMATIC, suite au retrait
de ce partenaire après des difficultés financières. Depuis
cette date, la société JORDAN BIOGAS, constituée par la
municipalité pour exploiter la première phase, faisait
fonctionner un bioréacteur de 1 MW (sur les trois prévus à
l’origine), installé par FARMATIC sur une partie seulement
des 84 puits d’exploitation déjà forés sur le site de la
décharge. Suite à un nouvel appel d’offre. financé par le
PNUD, la seconde phase du projet, attribuée en avril 2005
par la municipalité au consultant jordanien AQUA TREAT,
associé à l’allemand PASSAVANT ROEDIGER, est
actuellement en cours d’achèvement. Elle devrait voir la
mise en service, dès septembre 2005, de deux turbines
supplémentaires DEUTZ, d’une capacité totale de 2 MW, à
interconnecter avec le réseau de transmission et de
transport de National Electric Power Company (NEPCO).
Cependant, la mise en service de cette tranche risque d’être
retardée car NEPCO doit encore installer le transformateur
qui permettra le raccordement des nouvelles installations
de JORDAN BIOGAS à son réseau. Selon les professionnels,
le prix de vente de l’électricité obtenu par la municipalité
auprès de NEPCO atteindrait 0,040 JOD/kwh (0,056 USD).
Avec l’entrée en production du projet, JORDAN BIOGAS
s’attend à pouvoir bénéficier de «crédits carbone» en
application des mesures dites de « clean development
mechanism » (CDM) inclues dans le protocole de Kyoto.
TRANSPORTS PUBLICS
Les voies de communication les plus importantes sont
celles qui relient Amman à la Syrie et la route dite du désert
qui mène d’Amman à Aqaba. Une autre route longe la Mer
Morte et traverse ensuite le désert de « Wadi Araba » pour
gagner Aqaba. Une autre artère relie Bagdad à la route
Damas-Amman. De nouvelles routes sont actuellement en
construction ou en projet. Les moyens de transport les plus
utilisés sont les taxis et les « taxis-services ». Ils desservent
un parcours déterminé et peuvent être hélés à n’importe
quel endroit de ce parcours et prendre en charge jusqu’à 5
personnes. Un réseau d’autobus et de taxis relie les
principales villes.
La ligne de chemin de fer entre Amman et la frontière
de la Syrie est plutôt employée à des fins touristiques. A
noter la construction de deux périphériques, autour
d’Amman et Irbid, la troisième ville du pays. Les autorités
jordaniennes nourrissent également le désir d’ouvrir au
privé le capital de la compagnie d’Etat des transports en
commun.
Un projet consistant à relier par un train de banlieue
les villes d’Amman et de Zarqa est en cours. Les 7 sociétés
pré-qualifiées en 2004 dans le cadre de ce projet ont été
invitées, en juillet 2005, par le régulateur jordanien des
transports, Public Transport Regulatory Commission (PTRC),
à visiter le site de la future liaison et à poser des questions
sur l’appel d’offre qui sera clos le 15 septembre 2005.
Selon les documents remis aux participants, ce projet
en BOOT consiste à élargir et à électrifier l’ancienne voie
métrique des Chemins de Fer du Hejaz, ainsi qu’à la doubler
sur 22,5 km entre Amman et Zarqa (un tronçon
supplémentaire de 2,5 km est à construire), avec une
concession sur 30 ans. Les participants regrettent que des
garanties ne soient pas proposées aux futurs investisseurs.
De fait, les hypothèses de trafic sont difficiles à traduire en
termes de revenus (la dernière actualisation du trafic
passagers remonte à août 2003), tandis que les défaillances
ne sont pas non plus couvertes par le gouvernement. Le
projet est évalué à quelque 100 millions US$, mais les
professionnels l’estiment pour leur part à près de 150
millions US$ au total.
LOGEMENT SOCIAL
L’habitat informel reste un problème important de l’aire
métropolitaine d’Amman : la population concernée a
augmenté de 50% entre 1990 et 2003 et représente plus de
36% de la population totale. Ces quartiers sont concentrés
au sud et à l’est de la ville. Caractérisés par une forte
densité, qui atteint parfois les 600 habitants/ha , ils sont, de
plus, implantés sur des sites au relief très accidenté, comme
par exemple, Jebel Al Joffeh, Achrafieh, Jebel hussein.
La précarité physique de ces quartiers non
réglementés, socialement marginalisés, a obligé en 1990
la municipalité d’Amman à aménager et alléger la densité
de la population en créant, au sein de ses services, le
Département du Développement Urbain (DDU) qui a pris en
charge la restauration des sites spontanés non réglementés
et la construction des logements pour les ménages à bas
revenus. Un rapport récent du Département des Statistiques
sur l’accroissement de la démographie en Jordanie, révèle
que le royaume aurait besoin de 29.000 nouveaux logements
chaque année pour répondre à la demande grandissante.
Au cours des années 1990, la Banque Mondiale a
financé des projets de réhabilitation et de lotissement de
terrains, réalisés par le Département du Développement
Urbain, rebaptisé depuis Housing and Urban Development
Corporation (HUDC). Les quartiers sélectionnés qui ont fait
l’objet de projets de réhabilitation sont tous localisés à l’est
et au sud d’Amman. Ils sont caractérisés par la présence
de différents types d’habitat (habitat informel et résidentiel)
et de populations d’origines différentes (palestinienne,
jordanienne, irakienne, égyptienne). Le recensement de
1996 indique que 67% des logements de ces zones ont trois
pièces ou moins. Les maisons sont petites et ont un, voire
deux étages. Seules les personnes dont les revenus sont
plus élevés arrivent à faire construire des structures
définitives, de plus d’un étage. Les autres connaissent une
densité d’occupation extrême : 6, voire 7 personnes par
logement.
Les programmes de réhabilitation lancés au début des
années 1990, et qui sont toujours en cours, semblent avoir
amélioré de façon significative les conditions de vie des
habitants. Les toits de tôles se font rares et leurs habitants
se rangent parfois dans les classes moyennes, surtout dans
les quartiers les plus récents. Il devient même difficile de
distinguer les quartiers illégaux des normaux.
Mais le développement des quartiers informels est
aussi fortement lié à la question des réfugiés palestiniens.
La Jordanie a reçu plus d’un million et demi de réfugiés
palestiniens pendant les deux guerres de 1948 et 1967. Prés
de 20% d’entre eux vivent dans ces camps alors que d’autres
43
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
se sont installés dans les différentes villes du Royaume. Il
existe treize camps de réfugiés palestiniens en Jordanie,
qui sont construits en marge des principales villes du
Royaume. Al Hussein (1952), Al Wehdat (1955) et Al Baqa’a
(1968) sont les trois camps majeurs situés en périphérie
d’Amman. Les conditions de vie qui y règnent sont
catastrophiques. La densité de la population y est très élevée
et les infrastructures de base notoirement insuffisantes.
L‘approvisionnement en eau potable ou en électricité est un
problème quotidien et les libertés y sont restreintes. Soixante
ans ont passés depuis que les habitants ont quitté leur
territoire en pensant que cette période durerait un mois ou
deux, une année ou deux maximum. Ils y sont toujours. Et
la perspective d’un hypothétique retour de ces réfugiés vers
leur terre d’origine n’a jamais été aussi lointaine.
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Beyrouth
PRÉSENTATION
DE LA VILLE
Beyrouth, où vivent près de 1,8 millions habitants, est la
capitale du Liban. La ville s’est élevée à proximité immédiate
des ruines de la cité phénicienne de Beryte, ou Berytos,
dont le nom apparaît dès le XVe siècle avant J.-C. et qui lui
a transmis son nom. Il s’agit donc là de l’un des plus
anciens établissements humains du pourtour
méditerranéen.
Après son heure de gloire romaine, et d’une certaine
manière, sa première expérience de « mondialisation »,
Beyrouth perdit son panache pour plusieurs siècles. En
effet, et jusqu’au début du XIXe siècle, Tripoli et Saïda
étaient les deux principales villes côtières du Liban,
Beyrouth n’étant qu’une simple petite ville de pêche. Mais
les développements politiques internes des années 1800
imposent de nouveau Beyrouth comme ville de compromis
entre les différentes communautés du pays. Depuis, ce rôle
fédérateur n’a fait que grandir, entraînant une très forte
centralisation de l’activité économique et culturelle vers la
capitale.
Sous le mandat français, la capitale libanaise
consolide encore plus ses fonctions centralisatrices et
reprend progressivement sa vocation internationale et
régionale. D’une simple bretelle de la route de la soie,
jusqu’au XIXe siècle, Beyrouth devient, à partir de la
deuxième moitié du XXe siècle, un centre régional et
international très actif. Elle est le passage obligé pour les
grands groupes internationaux souhaitant prospecter le
Moyen-Orient, et plus particulièrement la région du Golfe,
dont les revenus externes explosent avec le premier choc
pétrolier de 1973.
La guerre, qui éclate en 1975 et qui durera jusqu’à fin
1990, raye pratiquement Beyrouth de la carte internationale
des affaires. La quasi-totalité de ses hommes d’affaires
étrangers, et une grande partie des entrepreneurs
nationaux, abandonnent la capitale libanaise pour des
espaces plus propices aux affaires. Beyrouth est morcelée
entre différentes factions et le pouvoir officiel perd le
contrôle de la ville. Cette éclipse durera plus de 15 ans. Et
aux moments de l’arrêt des combats, la ville perd la
quasitotalité de son dynamisme et son infrastructure de
base est d’une totale inefficience.
Cependant, aucune autre métropole régionale n’ayant
réussi à assurer, à elle seule, la relève de la capitale
libanaise, les mouvements d’affaires ont été partagés entre
Le Caire, Chypre, Amman, Bahreïn, ou les capitales
européennes elles-mêmes. Par ailleurs, cette fonction
d’intermédiation qu’assurait Beyrouth avant 1975, est ellemême remise en cause par les bouleversements que
connaît le monde dans les années 80 et 90, avec une forte
globalisation des échanges, les délocalisations et
l’ouverture des marchés internationaux. De leur côté, les
pays régionaux ont développé des infrastructures et des
capacités d’accueil nettement plus importantes que celles
d’une ville usée par la guerre et les conflits internes et
régionaux. Beyrouth, même pacifiée, est loin d’être une
étape nécessaire pour les courants d’échanges régionaux
et encore moins internationaux.
Toute l’action de l’Etat libanais se concentre, à présent,
sur l’objectif de redonner à Beyrouth le rôle qui était le sien
avant le conflit, à savoir celui de principal centre financier,
centre d’affaires et centre culturel d’une importance
majeure au Moyen-Orient.
ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
Le pays est divisé en six grandes préfectures (Mohafazat)
et chaque préfecture est subdivisée en arrondissement
(Qada). Les municipalités sont, en principe, sous l’étroite
tutelle de l’Etat. Mais le contrôle étroit antérieur a été
progressivement remplacé par la tutelle administrative
exercée successivement et par palier par le qaimacam, le
Mohafez et le ministre.
La municipalité de Beyrouth fait exception à cette
règle. La loi de 1963 sur les municipalités, confirmée par
celle de 1977, l’a dotée d’un statut spécial. A titre
exceptionnel, c’est le Mohafez (préfet) de Beyrouth qui est
administrateur de la ville. Le Mohafez est un fonctionnaire
de première catégorie, grade correspondant à celui d’un
directeur général dans l’administration centrale. Il est
nommé par décret pris en conseil des ministres. Il est
hiérarchiquement lié au ministre de l’intérieur. Sa fonction
est d’exécuter les délibérations du conseil municipal.
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Le ministre des Affaires Municipales lui-même exerce
le pouvoir de contrôle sur le conseil de la capitale. Chaque
décision votée par le conseil passe donc par un long et lent
circuit qui remonte au ministère ou à l’administration
publique concernée, et requiert ensuite l’aval du Conseil
des ministres puis celui de la Cour des comptes, toujours
par le truchement du Mohafez. Les obstacles administratifs
et les pièges juridiques sont sans fins, même lorsque les
relations entre le Mohafez et le conseil municipal sont
bonnes - ce qui n’est pas toujours le cas.
En résumé, la ville présente la particularité d’avoir
une double autorité de tutelle pour sa gestion. D’une part,
un conseil municipal élu, mais qui ne dispose que d’un
faible pouvoir décisionnaire, et d’autre part, un Mohafez
nommé par le gouvernement et de qui dépend l’essentiel
des décisions de gestion de la capitale libanaise.
Mais, quand il s’agit de planification et d’exécution de
grands projets d’infrastructures pour la capitale, les deux
parties sont renvoyées dos à dos, et les programmes et
leur mise en œuvre dépendent du Conseil de
Développement et de la Reconstruction (CDR). En effet, les
autorités libanaises ont confié au CDR l’ensemble de la
reconstruction des infrastructures du pays, y compris dans
Beyrouth et sa banlieue, qui sont accusées d’avoir eu la
part la plus importante des programmes de financement
aux dépens des autres régions du pays. Ces allégations
paraissent exagérées, les différents projets entrepris par
le CDR couvrant l’ensemble du pays. Certes les travaux les
plus spectaculaires, notamment au niveau des transports,
se sont concentrés autour de la capitale et sa banlieue mais
cela est dû au fait que celle-ci regroupe plus de 40 % de la
population du pays et plus de 65 % de l’activité nationale.
Défigurée par une longue période de combats ayant
abouti à la perte de sa centralité urbaine, et à l’effacement
de son rôle régional, la capitale libanaise se devait, dans les
années 90, et après l’arrêt des combats et de la guerre civile,
de penser sa reconstruction sur de nouvelles base. La vision
des autorités libanaises étaient quelque peu simpliste dans
la mesure où l’on espérait que la cessation des opérations
militaires et la réhabilitation de l’infrastructure suffiraient,
à elles seules, à redonner à Beyrouth son rôle interne et
international d’avant 1975. En fait, à la fin de la guerre,
Beyrouth présentait une nouvelle organisation urbaine.
D’une ville bien centralisée, et organisée autour de son
ancien centre-ville, la capitale libanaise était passée à une
ville éclatée en un ensemble de quartiers et de secteurs,
plus ou moins développés, fortement désarticulés et qui
tournaient autour d’un centre vide.
L’année 1992 constitue un tournant dans l’histoire urbaine
beyrouthine, avec la décision d’accélérer la reconstruction du
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
centre-ville qui devenait une priorité nationale pour les
autorités publiques. Bien évidemment, le modèle suivi pour
cette opération d’aménagement d’une grande ampleur n’a
pas fait l’unanimité et a suscité de nombreuses polémiques
sur divers sujets (modernisation/conservation, acteurs de la
reconstruction, public/privé, etc). La compagnie libanaise pour
le Développement et la Reconstruction du Centre-Ville de
Beyrouth, SOLIDERE, est créée en 1994 sur base d’une loi qui
réglemente l’établissement de compagnies immobilières ayant
pour but la reconstruction des surfaces détruites par la guerre.
Le plan de reconstruction couvre une superficie de
1,8 millions de m2 (soit environ 8% de la superficie de la
ville). Il prévoit la reconstruction de plus de 5,2 millions de
m 2 représentant plus de 17% de la surface bâtie de la
capitale libanaise. De plus, et à l’image des phénomènes
observés lors de la reconstruction d’une grande partie de
l’Europe après la deuxième guerre mondiale, la
réhabilitation du centre-ville a ouvert la voie à des
modernisations urbaines majeures pour l’ensemble de
l’agglomération.
En effet, le projet SOLIDERE a induit la relance de
nombreux projets d’infrastructure dans l’ensemble de la
capitale et de sa banlieue, à la dimension de l’ambition
souhaitée à son centre-ville. On notera, en particulier, une
totale modernisation de l’aéroport de Beyrouth, une
réhabilitation et une extension du port, la construction de
grands axes routiers, la réfection des réseaux électriques
et de communications, sans oublier les nombreux projets
immobiliers et hôteliers lancés dans le sillage de la
reconstruction du centre-ville.
Par ailleurs, la reconstruction du centre-ville,
considérée parmi les plus importants projets de
développement urbain contemporain, se devait d’assurer
un équilibre entre une mémoire riche et glorieuse, d’une
part, et un futur exigeant modernité et équipements
performants, d’autre part. Sans oublier bien sûr le rôle
fédérateur de ce centre-ville, autour duquel se sont toujours
réunis tous les Beyrouthins et tous les Libanais de toutes
les couches sociales et de toutes les confessions. En outre,
ce nouveau centre-ville devait répondre à la nouvelle vision
du gouvernement d’après-guerre qui vise à redonner à la
capitale libanaise un rôle central dans la région. Ce projet
s’inscrit donc dans l’horizon d’une ville qui se tourne vers
l’extérieur et qui espère réacquérir une place économique
et financière importante au niveau régional et international.
Une certaine controverse semble naître sur le devenir
de la ville et plus particulièrement sur son centre. Faut-il
en faire un centre d’affaires, comme l’avaient conçu ses
planificateurs, ou faut-il confirmer son caractère de centre
de loisirs et de commerce, comme l’a transformé la
demande effective sur le terrain ? En effet, les ambitions
des planificateurs de SOLIDERE étaient de faire du centreville de la capitale libanaise un foyer central des affaires
régionales et internationales et de lui redonner son lustre
d’antan. La paix régionale entre Palestiniens et Israéliens,
qui s’annonçait à l’époque de sa conception, était supposée
accélérer le phénomène de reprise.
Ce retour des hommes d’affaires régionaux et des
entreprises internationales n’a, cependant, toujours pas
été amorcé et les surfaces construites destinées aux
bureaux trouvent difficilement preneurs. Cette déception
est accélérée par la reprise de la violence dans les
territoires palestiniens et par le recul des perspectives de
paix dans la région.
En fait, le centre-ville de Beyrouth a réussi à attirer
des activités de commerce, et surtout de loisirs ,nettement
plus importantes que celles imaginées par les concepteurs
du projet. Aujourd’hui, de jour comme de nuit, la foule des
Libanais et des étrangers, surtout les ressortissants arabes
des pays du Golfe, envahissent les restaurants et les cafés
trottoirs du « down town » qui, par ailleurs, accueille
diverses manifestations (conférences, spectacles,
expositions, compétitions sportives, et autres happenings).
L’attractivité du centre-ville touche surtout les ménages
libanais et les touristes arabes et étrangers. Les
entreprises internationales et régionales y sont moins
sensibles. En fait, il leur faudrait beaucoup plus qu’un
espace agréable et convivial pour revenir vers le Liban.
Mais cet accent mis sur la reconstruction du centreville a fait, pendant près d’une dizaine d’années, passer au
second plan les problèmes qui se sont accumulés dans les
autres quartiers et à la périphérie de la ville et où le
manque d’infrastructures et de services urbains est patent
et appelle une réponse urgente.
EAU ET ASSAINISSEMENT
d’exploiter l’eau du Hasbani.
L’eau, au Liban est donc un paradoxe, elle coule en
grande quantité alors que son utilisation pose des
préoccupations certaines.
La gestion du secteur de l’eau de la ville de Beyrouth
est placée sous la responsabilité de l’Office des Eaux du
Grand Beyrouth et du Mont Liban, l’un des quatre offices
régionaux responsables de la gestion de l’eau potable et
des eaux d’assainissement du pays. Le ministère de
l’Energie et de l’Eau dont dépend l’office étudie les
modalités suivant lesquelles le secteur privé pourrait être
appelé à participer à sa gestion.
Les investissements de rénovation et de réhabilitation
sont, quant à eux, placés sous la responsabilité du Conseil
de Développement et de la Reconstruction qui décide des
priorités et des programmes, lance les appels d’offres et
supervise les travaux.
L’accès à l’eau potable à Beyrouth reste très
inégalitaire et variable selon les appartenances religieuses
et communautaires, et la localisation des populations dans
l’agglomération. La consommation moyenne est de 200
litres par personne et par jour (contre 500 litres aux ÉtatsUnis et 300 en France).Une partie de la population est
alimentée par des puits individuels qui fournissent parfois
des immeubles entiers. Le reste de la population, raccordée
au réseau municipal, connaît des difficultés quotidiennes
(voir encadré).
On estime que 40% seulement des abonnés payent
leurs factures. En l’absence de compteurs d’eau, les clients,
qu’ils soient particuliers, commerçants ou industriels,
acquittent une redevance fixe de 150 euros par an. Cette
tarification n’incite évidemment pas à économiser l’eau.
Les pertes dans le réseau avoisinent les 40%, du fait du
mauvais état des canalisations dont 50 à 70% doivent être
remplacés.
Les recettes couvrent moins de 70% des dépenses
courantes d’exploitation et ne permettent donc pas de
dégager les ressources nécessaires à la rénovation du
réseau. En conséquence, de nombreux habitants disposent,
de citernes ou s’approvisionnent aux fontaines publiques.
Eau potable
Du fait de sa situation géographique, le Liban est un pays
qui regorge de ressources en eau de surface et souterraine.
Les richesses en eau du Liban en font un pays très convoité
par ses voisins, les Israéliens au Sud et les Syriens au Nord
et à l’Est. Si des accords plus ou moins partiaux ont été
trouvés avec la Syrie, c’est loin d’être le cas avec Israël.
Pour donner un exemple, dans le sud du pays (région de
Nabatiye), il est impossible, faute d’accord avec Israël,
49
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
«La vie quotidienne des Beyrouthins révèle des
pénibilités certaines. Prenons le cas d’un quartier de
Beyrouth, Ber Hassen, construit au début de la guerre
civile, dans les années 1970, sur les terrains qui
appartenaient à des riches ayant fui le Liban ou Beyrouth.
Hassan habitant le quartier depuis toujours, livre
le récit précis de sa vie. Les habitants ne disposent que
de deux réseaux, l’un concerne l’eau non potable issue
d’un puits que nous partageons entre 6 maisons
voisines, et l’autre, l’eau potable, que nous allons
chercher tous les jours au magasin dans des bidons de
20 litres. Aujourd’hui, nous avons une pompe qui prend
de l’eau à quelques mètres de profondeur. Cette eau
n’est pas potable, mais nous nous en servons pour tous
les usages domestiques (douches, vaisselles, nettoyage
de la maison). C’est un très gros avantage. Chacun des
6 propriétaires (dans certaines zones, cela peut être plus
ou moins 6) a payé pour le creusement du puits et l’achat
de la pompe ; aujourd’hui, nous payons tous 2 dollars
par mois pour l’électricité. S’il y a un problème, nous
devons repayer pour réparer. L’un des six propriétaires
est chargé de récolter l’argent et d’allumer la pompe
une fois par jour, et il est payé un peu pour cela.
La pompe ne fonctionne donc pas à plein temps
seulement entre 10h00 à 12h00. Nous avons tous des
citernes sur nos toits et nous les remplissons pendant
ces deux heures. Grâce à cela nous avons une réserve
d’eau pour toute la journée.»
Pourtant, depuis la fin de la guerre, l’aide, n’a pas
manquée. On estime à plus de 600 millions de $ le montant
des aides reçues par le Liban pour améliorer la situation
du secteur de l’eau dans le pays et dans la capitale. Près
de 50 millions de dollars ont ainsi été investis sur le réseau
d’adduction d’eau de Beyrouth.
Les aides reçues du Fonds Koweitien pour le
Développement Economique Arabe ont permis de réhabiliter
les sources d’eau (Kachkouche et Ain El Delb), de réhabiliter
les stations de traitement de l’eau potable de Daychounieh
et de Hazmieh. et de rénover une partie du réseau de
transmission et de distribution de l’eau potable dans la
région du Grand Beyrouth.
L’extension de la station de traitement de l’eau potable
de Dbayeh a été financée sur le Protocole Financier
Libano-Italien. Sa capacité a été portée à 430 000 m3 par
jour.
Une Commission spéciale a été mise en place pour
résoudre l’ensemble des problèmes d’alimentation en eau
potable de Beyrouth. À court terme, c’est-à-dire jusqu’en
2008, cette commission a proposé d’alimenter
50
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
artificiellement les puits de Damour, de détourner environ
60 millions de m 3 d’eau de cette même région vers
Beyrouth, de poursuivre l’installation de compteurs chez
les consommateurs, de rationaliser l’utilisation de l’eau
et de promouvoir l’achat d’équipements à faible
consommation en eau.
À plus long terme, c’est-à-dire d’ici à l’horizon 2011,
il est proposé la réalisation d’un projet d’adduction d’eau
du fleuve Awali vers Beyrouth. Ce projet permettrait
d’acheminer sur la capitale près de 250 000 m3 durant
sept mois de l’année. Les études d’avant-projet remontent
à 1966. Il est prévu de réaliser ce projet sous forme de
concession (BOT). La réalisation est prévue pour 2011. Son
coût estimatif est de 170 millions de dollars.
Est également envisagée pour l’alimentation en eau
de Beyrouth la construction des barrages de Bisri, de
Damour et de Nahr Ibrahim.
ASSAINISSEMENT
Si, comme on le verra plus loin pour les déchets solides,
la situation est plus ou moins « sous contrôle », il en va
différemment pour les eaux usées. Plus de 45% des
résidences du pays ne sont connectées à aucun réseau de
collecte d’eaux usées.
De nombreux contrats d’études et de travaux, d’une
valeur de 382 millions de dollars, ont été conclus au plan
national au cours des 15 dernières années dans le secteur
de l’assainissement. Le plan du gouvernement met l’accent
sur son double engagement :
• respecter le traité pour la protection du littoral
méditerranéen contre la pollution,
• protéger les ressources d’eau et les nappes
phréatiques contre la pollution, ce qui
nécessite, par conséquent, le traitement des
eaux usées.
La construction de la première station de prétraitement
des eaux d’assainissement dans la banlieue sud a
commencé en 1974 mais a dû être interrompue en raison
de la guerre. Elle a été finalement mise en service en
novembre 1997 et a été intégrée au projet des collecteurs
côtiers de la région de Beyrouth. Ce projet a pour but de
protéger le littoral qui s’étend entre les cazas du Metn et
d’Aley. Les eaux d’assainissement venant des régions du
nord de Beyrouth (de Dbayeh à Manara) seront collectées
et canalisées vers Dora. Les eaux d’assainissement venant
des régions du sud de Beyrouth et de sa banlieue seront
canalisées à travers le collecteur Carlton-Ghadir-Naameh
vers la station de pré-traitement de Ghadir.
Les travaux relatifs à la composante Nord de ce projet
sont terminés avec la construction de deux collecteurs :
pour les eaux d’assainissement convergeant vers Dora, à
partir de Dbayeh et de Manara, pour desservir
conjointement des régions comptant 891 000 habitants.
Cette composante comprend également la construction
de cinq stations de pompage, l’élévation et l’installation
de plus de 17 kilomètres de canalisations et de conduits
souterrains. Les travaux, commencés en 1997, sont
maintenant achevés. Leur coût s’est élevé à 46 millions de
dollars.
La composante Sud est actuellement dans sa phase
finale mais se heurte à des problèmes d’expropriation de
terrains. Elle comprend la construction de deux stations
de pompage et l’installation de neuf kilomètres de
canalisations qui desserviront des régions totalisant 784
000 habitants. Le coût du projet est de 10,5 millions de
dollars.
Parallèlement à ces projets de traitement des eaux
usées, la ville de Beyrouth bénéficie d’un projet national pour
l’entretien et le développement des réseaux d’assainissement
et des eaux de pluie. Les travaux ont débuté en 1997 et
couvrent la maintenance périodique et la réparation des
réseaux d’assainissement et des eaux de pluie pour les
principales villes, ainsi que le contrôle des inondations et des
problèmes qui peuvent résulter du mauvais fonctionnement
des réseaux actuels. Les travaux comprennent également le
nettoyage des réseaux d’évacuation des eaux pluviales et des
réseaux d’assainissement existants, ainsi que l’installation
des canalisations et jonctions nécessaires pour améliorer
l’efficacité de ces réseaux. Le projet couvre la région du Grand
Beyrouth et de ses banlieues Nord et Sud, Tripoli, Zahlé,
Jounieh, Saida, Sour et Nabatieh (banlieues comprises). Le
projet est exécuté en coordination avec le ministère de
l’Intérieur et des Municipalités.
Le Liban a signé plusieurs engagements pour la
protection de la Mer Méditerranée contre la pollution, y
compris la Convention de Barcelone et la Déclaration de
Gênes. Ces engagements soulignent la nécessité de traiter
les eaux d’assainissement avant leur rejet en mer, pour
les villes et agglomérations comprenant plus de 100 000
habitants.
Une première vague de travaux pour le traitement
des eaux usées avant leur rejet en mer a été lancée en
2002 et terminés en 2005 pour un montant de 16 millions.
Un deuxième lot a été lancé en 2003 pour un montant de
11 millions de dollars.
COLLECTE ET TRAITEMENT DES
DÉCHETS
La ville de Beyrouth produit plus de 900 tonnes de déchets
par jour. Au lendemain de la guerre, la plupart des
équipements et des installations nécessaires à la collecte
et au traitement des déchets urbains étaient hors d’usage.
La Société finlandaise SUKLEEN a alors obtenu, en 1994,
une concession pour la collecte des déchets et de nettoyage
des rues de Beyrouth et de certaines régions du MontLiban. Ce contrat a été renouvelé.
Suite à la fermeture, en janvier 1997, de la décharge
de Bourj Hammoud, le gouvernement libanais a décidé de
mettre en oeuvre un plan d’urgence de traitement des
déchets solides de la région du Grand Beyrouth.
Un premier contrat a été conclu avec la Société
Sukomi, en vue d’élargir et d’augmenter la capacité des
usines de traitement des déchets solides de Amrousieh et
de la Quarantaine, et d’améliorer le système de tri, de
compostage et de recouvrement des matériaux recyclables.
Ce plan d’urgence a comporté également la
construction de décharges contrôlées pour le Grand
Beyrouth et ses banlieues. Les décharges contrôlées de
Naameh et de Bsalim ont été construites et sont
opérationnelles.
En 2003, le CDR a été aussi chargé de lancer un appel
d’offres international pour le traitement et l’enfouissement
des déchets, et de mettre un terme aux contrats avec le
concessionnaire SUKOMI selon les modalités indiquées
dans les accords, la résiliation des contrats devant avoir
lieu après l’opération de prise en charge de la ou des
sociétés qui remporteront l’adjudication.
Actuellement, le CDR continue à exécuter les travaux
liés au plan d’urgence du Grand Beyrouth. En effet, les
cellules (1) et (2) de la décharge contrôlée de Naameh
couvrant une superficie de 120 000 m2 et ayant une capacité
de deux millions de tonnes d’ordures ménagères sont
saturées ; une zone supplémentaire de 62.000 m2 a été
mise en service en pour former la cellule (3). Elle sert
actuellement à enfouir les déchets solides ménagers
produits dans la ville de Beyrouth.
Par ailleurs, la décharge sauvage de Normandy, située
en bordure de mer, et qui s’était développée pendant des
années en plein centre-ville en bord de mer, fait partie du
projet de reconstruction et de développement de la zone
du centre-ville de Beyrouth, dont la charge de réhabilitation
a été confiée par le gouvernement libanais à la société
Solidere. Le projet consiste à trier et à traiter tous les
déchets et à en dégager les matériaux nécessaires pour le
remblayage de la zone gagnée sur la mer. Le coût de ce
51
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
projet s’élève à 56,6 millions de dollars. Le CDR a chargé
un consultant pour la mission de contrôle technique de
cette opération. 80% des travaux ont déjà été accomplis.
Le projet devrait être complété fin 2005.
La situation des traitements des déchets solides de
la ville de Beyrouth et de ses banlieues est aujourd’hui
stabilisée, mais elle risque de se dégrader dès les prochains
mois si des solutions plus radicales ne sont pas trouvées.
Les espaces de traitement et d’enfouissement sont de plus
en plus rares et toutes les communes refusent d’accueillir
de nouveaux centres pour ces opérations. Une étude a été
lancée pour la construction d’un incinérateur.
TRANSPORTS PUBLICS
En sortie de guerre, l’encombrement des routes de la
capitale et de sa banlieue était tel que les économistes
plaçaient les difficultés de circulation routière en tête des
obstacles au retour à la croissance. Quinze ans après, le
phénomène de l’encombrement est largement résorbé
malgré les difficultés rencontrées par les autorités pour
créer un système efficace de transports en commun,
publics ou privés, et pour gérer d’une manière rationnelle
la voirie. Les différentes études et enquêtes de conditions
de vie des ménages indiquent, en effet, que plus des deux
tiers des déplacements interurbains sont effectués par des
moyens de locomotion privés et le nombre moyen de
voitures par ménage dépasse 1,2.
Beyrouth dispose aujourd’hui d’un réseau routier
moderne et très dense qui permet à ses habitants le luxe
d’utiliser leurs propres véhicules, délaissant des transports
en commun, aujourd’hui, en crise. La multiplication des
licences octroyées au secteur privé, au milieu des années
90, a, en effet, porté atteinte à la compagnie publique des
transports qui accuse des pertes annuelles variant entre
10 et 13 milliards de livres et ce malgré un nombre
croissant de passagers, passé d’environ 10 millions en 2001
à 12,7 millions en 2003, et une augmentation conséquente
des recettes : 5 milliards de livres en 2001, contre 5,7 en
2002 et 6,3 en 2003.
Les licences de transport accordées au cours de la
décennie précédente à quelque 20 000 taxis et services, 4
000 vans et 2 000 bus ont, de fait, causé un profond
déséquilibre de l’offre et de la demande et une totale
désorganisation du marché.
Le Conseil des ministres a donc autorisé, en 2005,
l’achat par la compagnie nationale des transports publics
52
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
de 250 bus supplémentaires, ce qui revient à doubler son
parc de véhicules. Cette initiative est destinée à dynamiser
le secteur des transports en commun en poussant
l’opérateur public à devenir plus compétitif dans un marché
dominé par les entreprises privées. En effet, sur les 250
bus existants, plus de la moitié étaient hors service. Les
250 nouveaux bus représentent donc une chance pour la
compagnie nationale de se redresser.
Le coût des travaux réalisés dans le secteur des routes
et autoroutes, à partir de la capitale et de ses banlieues
vers les différentes régions du pays, s’est élevé à un milliard
de dollars environ. Un solde d’environ un milliard de dollars
du budget prévu dans la loi-programme adoptée en 1993
devrait servir à l’achèvement de ces projets et des projets
d’amélioration des services dans le Grand Beyrouth.
Le périphérique de Beyrouth et les routes pénétrantes
associées doivent permettre de décongestionner les accès
à la capitale et de faciliter le transit entre le Nord et le Sud
du pays. Les plans détaillés du réseau de routes
pénétrantes ont été répartis en trois sections :
•
•
•
l’autoroute côtière Nord et les routes
pénétrantes Nord,
les voies dans les secteurs de Sin el-Fil,
Nabaa’, Bourj Hammoud et de Baouchrieh
(PN1 et PN2),
les routes parallèles à Nahr Beyrouth (PN3). la
route Dbayeh - Antélias -Nahr Beyrouth.
Les travaux ont été achevés sur la section centrale,
le complexe de Hazmieh et la liaison entre Hazmieh et la
route de l’Aéroport ainsi que pour les pénétrantes Sud.
Des travaux ont été aussi engagés pour la
réhabilitation des réseaux de voirie dans les banlieues Nord
et Sud de la capitale pour respectivement 62 et 130 millions
de dollars environ. Ces travaux s’ajoutent à la réfection du
réseau routier interne de la capitale et de sa banlieue
immédiate , notamment la réhabilitation des tunnels,
l’entretien des ponts et des différents ouvrages et la
réfection des chaussées.
Au-delà de l’horizon 2030, d’autres développement
seront envisageables, en particulier la mise en place d’un
transport urbain en site propre (métro léger ou tramway
moderne) pour les liaisons entre Beyrouth et les banlieues
proches. Une telle ambition est subordonnée à l’instauration
d’une autorité unique organisatrice des transports dans
l’aire urbaine centrale. Les réflexions initiées par le
ministère des Transports ont, depuis plusieurs années,
conduit à préconiser la mise en place d’une autorité unique
d’organisation des transports dans le Grand Beyrouth. Le
Schéma d’aménagement du territoire recommande que
cette autorité, absolument nécessaire, soit mise en place
à l’échelle de toute l’aire urbaine centrale, depuis Jbail au
nord jusqu’à Damour au sud, et depuis Beyrouth à l’ouest
jusqu’à Aaley à l’est. Cette autorité devrait être compétente
pour toutes les décisions relatives aux transports dans ce
périmètre, qu’il s’agisse des investissements publics
routiers et des transports collectifs, de la régulation de
l’activité des transporteurs, des plans de circulation sur le
réseau principal, voire de la signalisation.
LOGEMENT SOCIAL
Se loger à l’intérieur de Beyrouth reste une opération
très onéreuse. Il n’existe, au Liban, aucun dispositif
spécifique pour le logement social. Des facilités de
financement sont accordées par quelques institutions
mixtes ou par des organismes religieux, mais ces
opérations sont limitées et concernent uniquement
l’acquisition de logements. Le problème s’amplifie du fait
de la loi sur les loyers. En fait, les loyers sont régis par
deux dispositions officielles :
•
•
la première couvre les loyers à partir de juillet
1992 et libère totalement le bail entre
propriétaire et locataire,
la seconde est relative aux contrats antérieurs
et bloque totalement les loyers.
Cette dernière loi a lourdement pesé sur le marché
du logement dans les années 70 et 80 et continue d’avoir
des effets pervers plus de vingt ans après. En effet,
promoteurs et propriétaires continuent de préférer la vente
à la location, et les contrats de location continuent d’inclure
une forte prime de risque contre le blocage des loyers.
Entre 1996 et 2003, le marché de l’immobilier au Liban
en général, et à Beyrouth en particulier, a connu une très
forte crise avec de larges stocks d’invendus et des prix en
baisse. Ce trend s’est totalement transformé à partir de
2004, sous le double effet d’une forte demande générée
par un retour à la croissance dans le pays, et par une
demande externe induite par la hausse des revenus
pétroliers. Par ailleurs, la baisse des taux de change du
dollar américain, et partant de la livre libanaise qui y est
totalement adossée, a entraîné une hausse des coûts de
la construction que les promoteurs n’ont pas manqué de
répercuter sur leurs prix de ventes.
•
Les espaces périurbains, offrent, quant à eux,
un double visage : celui des espaces clos et
des lotissements fermés où s’établissent les
plus fortunés et celui des zones d’habitat non
intégrées, sur lesquelles pèsent de multiples
précarités, et qui prennent des formes variées,
dont le bidonville. L’espace urbain s’est étalé
largement au-delà des limites communales.
Une double couronne de bidonvilles a alors
ceinturé la ville ; elle abritait en 1975, 87%
d’étrangers, surtout des Palestiniens. Puis
elles ont accueilli les migrants ruraux libanais
dans un cadre dépourvu de contraintes
institutionnelles. La guerre a en effet balayé
toutes les formes extérieures de la présence
de l’État, neutralisé ses institutions et muselé
les organes de contrôle. Sur le terrain, cela
s’est traduit par la multiplication d’espaces
bâtis dans l’illégalité la plus totale sinon dans
un respect formel et superficiel de la légalité.
Les codes de l’urbanisme, les lois sur la
construction ont été ignorés ou contournés,
comme ceux du foncier.
La plupart des camps de la banlieue de Beyrouth :
Chatila, Bourj el Barajneh, Jisr el-Bacha et Dbayyé,
dépendent administrativement du Mont-Liban. Ils sont
situés toutefois aux alentours de la capitale, et feront partie,
plus tard, de « la ceinture de misère », de l’agglomération
de Beyrouth.
Les conditions de vie quotidienne dans ces camps
sont extrêmement difficiles : confinement dans des
espaces surpeuplés ; délabrement des réseaux
électriques, d’eau potable et d’assainissement ; privation
des droits civils les plus élémentaires, comme le droit au
travail, qui réduit ces familles à une précarité absolue.
Les ruelles des camps sont sillonnées de câbles
électriques aériens qui tissent de véritables toiles
d’araignée. Quand il pleut, cela provoque des arcs
électriques et il n’est pas rare qu’il y ait des électrocutions,
notamment chez les enfants.
Les maisons sont en parpaing et elles sont peu à peu
surélevées, ce qui les fait ressembler à la Tour de Pise.
Certaines sont hautes de cinq étages ; elles hébergent trois
générations de réfugiés. Le camp de Chatila compte à lui
seul près de 10 000 habitants. Dans ce dédale, les
problèmes d’hygiène et la pauvreté sont partout présents.
Dans les rues on peut voir des citernes fournies par le
Hezbollah. Mais seules les femmes qui portent le foulard
peuvent y accéder.
53
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
A Chatila, les maisons sont d’abord construites sur
deux niveaux mais sont par la suite surchargées de trois
ou quatre étages supplémentaires. En dessous, les murs,
tuyaux et câbles s’efforcent de soutenir le tout, on ne sait
comment ; au dessus, des familles nombreuses vivent leur
vie immobile.
Depuis le bombardement du camp de Sabra en 1982,
l’ancien hôpital est sinistré. Dans ce bâtiment de 11 étages
habitent pourtant 22 familles. A quelques pas de là,
certaines rues sont envahies de boutiques, comme dans
un village. C’est un véritable souk. Les magasins sont bien
achalandés, des bonimenteurs vantent leurs marchandises.
Il est très difficile de savoir comment ces boutiques sont
approvisionnées. De même, il existe des rues qui sont
entièrement dévolues aux garagistes. L’odeur des huiles
de vidange sature le trottoir. Car il y a quelques voitures
dans les camps, et pas les moindres ! Dans les rues
partout, des photos des “martyrs” et des peintures
légitiment la violence. La majorité des habitants de ces
camps sont Palestiniens. Ils sont, au total, plus de 360 000
au Liban. Et leur nombre n’a cessé d’augmenter depuis
leur arrivée en 1948, en raison d’une croissance
démographique très élevée. Ils représentent plus de 10%
de la population libanaise et près de 11% du total des
réfugiés dans le monde, d’après les statistiques de
l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée des réfugiés
palestiniens.
Ces Palestiniens vivent dans des conditions de grande
précarité. En effet, la législation libanaise leur interdit de
participer à la vie politique, économique et sociale du pays.
Malgré l’explosion démographique, le gouvernement oppose
un veto à l’extension des camps. Le surpeuplement et
l’insalubrité rendent la vie dans les camps extrêmement
difficile. Et le rappel au droit au retour a maintenu et
maintient toujours les réfugiés dans une situation transitoire
d’expectative qui fragilise leur présence et pérennise le
provisoire.
54
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
55
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Casablanca
PRÉSENTATION
DE LA VILLE
Casablanca trouve son origine dans la Cité berbère d’Anfa.
Envahie et détruite par les Portugais au XVème siècle, le
Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah la reconquit au XVIIIème
siècle et la rebaptisa “Dar El-beida”, Maison-Blanche ou
Casablanca. Dès le début du XIXème siècle, sa vocation
commerciale et son ouverture sur l’Atlantique attireront les
bureaux de grandes compagnies de navigation. À la fin du
XIXème siècle, Casablanca connaîtra une série d’incidents
qui amèneront la France à intervenir. Le débarquement
français qui visait à rétablir l’ordre se soldera, suite à des
affrontements et à des mécanismes de pression, par la
signature du Protectorat français en 1912.
Tout au long du XXème siècle, Casablanca ne cessera
de s’affirmer comme pôle économique.
L’avènement de l’Indépendance en 1956 la confortera
dans son rôle de ville phare. Sa situation géographique
privilégiée, au carrefour des deux riches régions agricoles
de la Chaouia et du Gharb, fait d’elle le débouché naturel
des phosphates de Khouribga (principales ressources
minières du Royaume). Son expansion est, depuis,
fulgurante.
Première métropole maghrébine, poumon
économique du Maroc, Casablanca concentre aujourd’hui
près de 12% de la population marocaine. Le dernier
recensement chiffre sa population à 3,61 millions
d’habitants. Sa densité est aussi la plus forte du pays : 4
100 habitants/km 2. Sa position économique et donc
politique reste prédominante. Le taux de croissance de
2,5% enregistré au niveau de la région est le plus fort de
tout le pays.
ORGANISATION ADMINISTRATIVE
ET POLITIQUE
L’organisation administrative et politique de la ville s’est
adaptée au rythme de son expansion.
Dès 1955, la ville de Casablanca était érigée en
Préfecture. L’organisation administrative s’adaptera ensuite
à l’évolution de la ville et la promulgation de la Charte
communale de 1976 conférera de nouveaux pouvoirs aux
2
36 conseils communaux regroupés au sein de la
Communauté urbaine de Casablanca. En 1981, les
différentes zones de la ville deviendront des préfectures
coiffées par la Wilaya de Casablanca. Ce nouveau
découpage était politiquement destiné à mieux gérer les
besoins de la population après les grèves qui avaient
paralysé le pays.
Un nouveau schéma directeur d’aménagement urbain
sera élaboré en 1984, qui présidera à la réalisation du
Grand Casablanca de l’an 2000. En septembre 2003, c’est
une nouvelle vision de la gestion du Grand Casablanca qui
sera mise en œuvre incluant un nouveau découpage
administratif et une nouvelle charte communale.
Ce nouveau découpage institue des arrondissements
et une commune urbaine de Casablanca. C’est donc le
système de l’unicité de la ville qui est maintenant mis en
place, visant à supplanter la multiplicité des intervenants
locaux. La nouvelle organisation devrait permettre à la ville
de Casablanca de faire des économies de fonctionnement
qu’elle convertira en projets d’investissements.
Sous l’effet de l’exode rural, Casablanca ne cesse
pourtant de s’agrandir, souvent de façon anarchique. Au
fil des ans, la ville est devenue un véritable monstre
rendant de plus en plus difficile la gestion des différents
services publics.
Les autorités de la ville apportent aujourd’hui un
diagnostic lucide de la situation2 : poussée de la périphérie
qui a doublé en 10 ans, stagnation du centre métropolitain,
décalage entre les documents d’urbanisme et la réalité
urbaine, insuffisance d’équipements en infrastructures et
superstructures, taux élevé de chômage, exclusion sociale,
pollution, insécurité, etc. À ces problèmes de nature
complexe s’ajoute une crise de régulation. De là, «la
nécessité de rompre avec l’urbanisme rigide, lutter contre
la mainmise des spéculateurs mercantiles par la
restauration de l’autorité publique sur le développement
de la ville».
Une démarche stratégique a donc été engagée qui
vise à dégager une vision d’ensemble sur l’avenir de la
ville et à mettre au point des programmes d’actions
intégrant les différentes fonctions urbaines dans un plan
cohérent. L’objectif est clair. Il s’agit, dans une ville qui
explose sous l’effet de l’exode rural et de la croissance
Déclaration de Mr M’Hammed Dryef, Wali du Grand Casablanca
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LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
démographique, d’évoluer vers une gestion prospective et
d’une gouvernance par anticipation. « Parce que
Casablanca est la vitrine du Maroc d’aujourd’hui et de
demain », elle a besoin « d’une politique urbaine
ambitieuse et réaliste à la fois qui allie efficacité
économique, équité sociale et équilibre écologique »,
affirme avec force le Wali du Grand Casablanca.
Les travaux ont été organisés par pôle de
compétence. Au nombre de 7, chaque pôle est présidé par
deux gouverneurs. Véritables organes de réflexion et de
proposition, ces sept pôles de compétences travaillent en
concertation avec les élus et la société civile et sur la base
de contrats Etat-Région-Municipalités – dans des
domaines aussi variés que l’économie, l’investissement,
l’emploi, l’habitat, la voirie et transport, l’eau et
l’environnement, les équipements publics et les actions
sociales de proximité. Les conséquences financières des
propositions qui sont faites sont, en permanence, évaluées.
Déjà, des propositions préliminaires ont été
formulées, notamment, par les pôles «Eau et
Environnement» : projet de réalisation du super collecteur
ouest pour protéger Casablanca contre les risques de
crues de l’oued Bouskoura, réhabilitation des décharges,
mise à niveau des espaces et parcs de Casablanca et
«Voirie et Transport» : mise à niveau de voirie.
EAU ET ASSAINISSEMENT
L’alimentation de Casablanca en eau potable ne se pose
pas en termes aussi aigus que dans d’autres grandes du
bassin méditerranéen : taux de connexion élevé,
distribution d’eau assurée en continu, meilleure qualité.
Deux problèmes majeurs ont cependant conduit les
autorités à faire appel au privé : le faible niveau de
satisfaction des usagers et l’insuffisance du réseau
d’assainissement et d’évacuation des eaux pluviales.
Destinées à alimenter une population ne dépassant guère
le million d’habitants, les canalisations éclataient
régulièrement sous la pression de millions de mètres
cubes supplémentaires.
La gestion de la distribution d’eau, d’électricité et de
l’assainissement a été confiée en 1997 à la Lydec
(Lyonnaise des Eaux de Casablanca), filiale de Suez
Lyonnaise des Eaux, EDF et Aguas de Barcelona. Le
marché a été accordé selon une formule de gré à gré
incluant une prévision progressive d’augmentation des
tarifs, ce qui a été évidemment objet de débat.
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
L’objectif posé à Lydec est de généraliser l’adduction
en eau potable en termes de qualité et de volume. Un
important programme de raccordement d’eau a donc été
mis en place. Lydec a, pour cela, engagé sur la période
1997 à 2003 pour plus de 4 milliards de DH de travaux,
dont 2,4 milliards en fonds propres et le reste en
endettement. La consommation moyenne des
Casablancais est de 24 m3 d’eau potable par trimestre
(260 litres par jour). Ils règlent moins de 1,3 DH par jour
pour une eau potable de qualité et une évacuation après
usage.
Le mauvais état du réseau entraîne des fuites
importantes. Chaque année, des campagnes sont menées
pour détecter les fuites et procéder à leur réparation. En
2003, ces efforts ont permis d’économiser 25 millions de
mètres cubes d’eau, ce qui correspond à la consommation
de 800 000 habitants.
La concession des services publics de distribution
d’eau et d’électricité de la ville de Casablanca a suscité
de vives critiques. Il faut toutefois indiquer que le Maroc
n’est pas le seul à avoir vécu de telles protestations. Les
concessions ont de tous temps, dans tous les pays du
monde, engendré des résistances. Les opposants au
transfert au secteur privé estiment que l’initiative présente
des dangers quant à la continuité du service. Mais ce n’est
pas la seule raison. A Casablanca, les élus qui avaient
manifesté leur désapprobation quant à la passation de ce
service au privé refusaient son attribution à une société
étrangère.
Les préoccupations des habitants sont d’une toute
autre nature et concernent les augmentations
programmées à propos desquelles la population a maintes
fois exprimé son mécontentement. L’accord passé prévoit
en effet des augmentations régulières des tarifs. Plusieurs
sit-in ont été organisés devant diverses agences de la
Lydec pour protester contre ces hausses. Sans qu’aucun
résultat n’ait été obtenu. Les responsables de la Lydec
rétorquent que toutes les mesures étaient prévues dans
le calendrier approuvé par le gouvernement marocain lors
de la signature du contrat.
COLLECTE ET TRAITEMENT DES
DÉCHETS
Casablanca croulait sous les ordures mal gérées par les
communes (27 à cette époque) qui avaient la charge de
leur gestion. Près d’un million de tonnes de déchets sont
produites annuellement par les ménages casablancais,
soit 3 400 t/jour.
En mars 2004, la gestion du service a été confiée au
privé. Trois sociétés privées étrangères ont été
adjudicataires du marché : Sita El-beida, Tecmed et
Segedema. La concession porte sur une période de dix
ans.
Le contrat passé entre Sita El-beida, filiale de Suez,
et la Wilaya du Grand Casablanca porte sur quatre volets
: la collecte des déchets ménagers, le nettoiement de la
voirie publique, le lavage de certaines artères et places
publiques, le transport et l’évacuation de résidus de
collecte et de nettoiement vers la décharge publique. La
société prévoit un plan d’investissement de 8 millions
d’euros pour un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros.
Environ 1,2 million d’habitants sont concernés.
Tecmed, société espagnole, a pris en charge la
gestion déléguée des services de nettoiement et de collecte
des déchets ménagers de plusieurs arrondissements
coiffant des quartiers périphériques ou populaires.
La troisième société, Segedema, a également pris en
charge des quartiers périphériques à forte densité de
population (Ain Chok, BenMsik, Sbata, Sidi Othmane et excommune Lissasfa).
La ville (Wilaya et Commune Urbaine) garde toutefois
un droit de contrôle et de régulation de l’activité de ces
sociétés privées.
Si des progrès ont été enregistrés au niveau de la
collecte, le traitement des déchets ne répond plus, en
revanche, aux besoins croissants de la population de la
capitale économique du Royaume. La décharge publique,
qui continue à être gérée par les services de la Wilaya,
connaît de graves problèmes. La plus importante, celle de
Médiouna accueille chaque jour plus de 3 300 tonnes de
déchets. Or, aucun aménagement particulier de lutte
contre la pollution de l’air et des eaux souterraines n’a été
envisagé sur le site. Dans cinq ans, il sera complètement
saturé. Les autorités ont déjà identifié un nouveau site se
trouvant à proximité de la première décharge d’une
superficie de 82 hectares et situé à 10 km de
l’agglomération casablancaise. Des études sont en cours
pour l’identification et la localisation de nouvelles
décharges.
LOGEMENT SOCIAL
Casablanca, capitale économique du Maroc, est défigurée
: 20% de la ville sont des bidonvilles. Plus de 100 000 familles
s’entassent dans des logements insalubres où elles vivent
dans la plus grande précarité.
Si Casablanca a été à l’origine du mot bidonville, ce
n’est sans doute pas par hasard. La cartographie qui
recense les implantations de ces habitations insalubres
dans la métropole montre l’ampleur du développement de
ces véritables « villes » dans la ville. Aucun endroit de la
région n’échappe à ce phénomène de concentration
d’habitats insalubres, même pas les quartiers dits
résidentiels.
Deux des plus importants bidonvilles sont localisés
dans les communes d’Anfa et du Mâarif. Par la taille, les
sites d’Aïn Sebaâ et de Sidi Moumen -devenu célèbre malgré
lui depuis les attentats meurtriers de 2004 -sont de loin, les
plus grands bidonvilles de Casablanca. Chacun d’eux abrite
jusqu’à 7 000 ménages, selon les estimations du ministère
de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme. La carte
des bidonvilles casablancais est complétée par Hay Hassani,
Lissasfa, Sidi Maârouf, Ben M’sick-Sidi Othmane, Moulay
Rachid, Moulay Youssef, Mediouna, Sidi Bernoussi, Ahl
Laghlam.
Casablanca n’est pas la seule à être concernée par ce
problème. Au Maroc, 25% de la population urbaine vit dans
des bidonvilles ou des zones d’occupation informelles (source
: Banque Mondiale). Au sens des experts de l’institution, ces
zones sont constituées d’aménagements illégaux que les
résidents se sont « appropriés », en y construisant des
logements en dur. Dans les deux cas, les normes de service
pour l’alimentation en eau, l’assainissement et
l’infrastructure sociale sont nettement inférieures à la
moyenne nationale, malgré de gros efforts réalisés ces
dernières années à Casablanca par la Lydec.
Un plan d’urgence sur sept ans, baptisé « villes sans
bidonvilles », vient d’y être décidé pour éradiquer les
bidonvilles et lutter contre l’habitat insalubre. Un budget de
4 milliards de DH (385 millions d’euros) a été prévu pour la
seule ville de Casablanca, alimenté par une taxe sur le
ciment qui devrait rapporter 600 millions de DH par an.
Outre les bidonvilles, les logements clandestins qui se
sont développés anarchiquement au moment de l’exode rural
sont aussi dans la ligne de mire des autorités. Le programme
prévoit le relogement des familles ou la restructuration de
logements, c’est-à-dire le remplacement des logements
insalubres par une construction aux normes, solution
privilégiée puisqu’elle évite d’éloigner les familles de leurs
centres d’activité.
59
LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
Une première tranche a été lancée sur le site de Sidi
Bernoussi, de Lahraouine, de Lamkanssa et de Sidi
Abderrahman.
Sur Sidi Bernoussi, il est prévu le relogement de 2
300 familles, dans un premier temps, grâce à
l’aménagement et l’équipement de 1 150 lots de terrain,
dont 150 de type R+3, et la restructuration de 3 400 « zriba
». L’assiette foncière est de près de 71 ha.
Le projet prévoit également la mise en place de
services sociaux, la création d’une cellule de gestion dans
laquelle les associations du quartier seront impliquées et
la mise sur pied d’un comité d’accompagnement social.
Les coûts de relogement sont estimés à 130 000 DH
par famille, financés par le Fonds de solidarité à l’habitat
(50 000 DH) et les bénéficiaires (80 000 DH). Le coût global
de 335 millions de DH est ventilé entre le ministère de
tutelle (100 millions DH), la contribution des bénéficiaires
(200 millions DH) et les recettes générées par les
conventions conclues avec le secteur privé (35 millions
DH). Ce projet sera réalisé en quatre tranches qui
profiteront respectivement à 402, 918, 390 et 590 familles.
Etalé sur une superficie de 172 ha, le projet de
restructuration du quartier Lahraouine profitera à 5 350
familles et nécessitera une enveloppe budgétaire évaluée
à 53 millions de DH, dont 48 millions seront financés par
le Fonds de Solidarité à l’Habitat (FST) et le reste par le
Conseil de la région. Cette opération, qui sera réalisée
dans un délai de 14 mois, comprend des travaux de voirie
et d’assainissement, d’éclairage public et de construction
de routes. La première tranche de ce projet, qui profitera
à 3 320 ménages, sera achevée en septembre prochain.
Concernant la restructuration du quartier Lamkanssa,
qui profitera à 5 500 familles, elle sera réalisée dans un
délai de 15 mois. D’une superficie de 70 ha, cette opération
mobilisera des fonds estimés à 40 millions de DH, dont 35
millions seront financés par le FST et le reste par le Conseil
de la région. La première tranche de ce projet sera achevée
en novembre prochain et bénéficiera à 3 350 ménages.
Quant à l’opération de restructuration du quartier Sidi
Abderrahman, elle prévoit des travaux de réfection et
d’exécution de tous les réseaux et l’indemnisation des
constructions concernées par les travaux d’équipements.
Ce projet nécessitera un montant de près de 21 millions
de DH, dont 10 millions financés par le Conseil de la ville,
9 par le FST et le reste par les bénéficiaires.
Le programme « villes sans bidonvilles » touche
également l’habitat social.
Les difficultés de logement que connaissent une
grande partie de habitants sont aggravées par la relative
étroitesse du marché de la location. Alors que le parc
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LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
locatif vide est estimé à 30 000 appartements à
Casablanca, le marché de la location est très étroit. La
lenteur des tribunaux, qui laissaient « pourrir » les litiges
relatifs au non-paiement des loyers, a dissuadé presque
tous les propriétaires qui préfèrent laisser vides les
appartements plutôt que les louer à d’éventuels mauvais
payeurs. Une nouvelle loi a été votée en 2003 destinée à
accélérer les formalités en cas de litige et à sévir contre
les mauvais payeurs. Mais les traumatismes causés par
des décennies de longs procès hantent encore les esprits
de nombreux propriétaires.
Au centre-ville, les prix du neuf ont flambé et se
négocient entre 5 000 et 12 000 DH le m2 selon le standing.
Sans aides spécifiques, ces prix sont hors d’atteinte pour
la majorité des Casablancais en quête d’un logement.
Un programme de 200 000 logements a donc été
lancé par le gouvernement de façon à permettre l’accès
au logement aux plus défavorisés. Un appartement coûte
environ 200 000 DH et les conditions d’octroi des prêts
bancaires sont moins exigeantes que pour d’autres
catégories d’habitations. Mais les capacités financières de
beaucoup de ménages se situant en deçà du minimum
requis pour l’acquisition d’un logement (30% des ménages
ont un revenu inférieur à 1,5 fois le Salaire Minimal
Interprofessionnel Garanti)., pression est donc faite sur
les banques pour faciliter l’octroi de crédits.
Une autre crainte est également de voir émerger des
« ghettos » dans la périphérie casablancaise et aboutir,
dans les cinq années à venir, à la naissance de « bombes
sociales », à l’instar de ce qui s’est passé dans de
nombreux autres pays, notamment occidentaux.
POLLUTION DE L’AIR
L’air de Casablanca est très pollué. Les principaux
polluants gazeux sont les oxydes d’azote (NOx), les oxydes
de soufre (SO2), et les matières et particules en suspension
(MPS). Annuellement, on enregistre des émissions de près
de 6 000 tonnes de NOx, de près de 11 700 tonnes de SO2 et
de près de 3 300 tonnes de MPS, générées par les unités
industrielles et le parc automobile de la Wilaya. Ces quantités
menacent la vie des populations de la Wilaya. Elles peuvent
être à l’origine de maladies respiratoires (asthme) voire de
cancer. Le Laboratoire Public d’Essais et d’Etudes qui mesure
cette pollution et son impact sur la santé des citoyens ainsi
que sur l’environnement rend rarement publics les résultats
des analyses qu’il effectue régulièrement.
Une convention s’étalant sur une période de trois ans
a été signée en 2002 entre la Wilaya et le ministère de
l’Aménagement du Territoire pour « sauvegarder
l’environnement et les ressources naturelles et mettre en
œuvre des programmes d’action et de protection contre
toutes formes de pollution ». Les résultats concrets de
cette convention restent encore timides.
La société civile, mène, pour sa part, des opérations
ponctuelles destinées à sensibiliser la population aux
impératifs de sauvegarde de l’environnement (gaz
d’échappement des véhicules, campagne relative à la
propreté). Mais le gros du problème reste toujours non
résolu. Le parc industriel de Ain Sebaâ (quartier industriel
de l’agglomération casablancaise) dégage des taux
alarmants de toxiques. Ce quartier (Ain Sebaa), à quelques
kilomètres de Mohammedia (partie de la région du Grand
Casablanca mais préfecture autonome) où est localisée la
raffinerie de la Samir, unique producteur de pétrole au
Maroc, constitue un axe de danger permanent pour les
riverains.
ESPACES VERTS
L’un des problèmes majeurs de la ville est le manque
criant d’espaces verts. Le plus grand espace date de
l’époque du protectorat (Parc de la Ligue Arabe) construit
au début du siècle, du temps du Maréchal Lyautey.
La superficie allouée aux espaces verts dans la Wilaya
de Casablanca est de 1 057 ha. La population compte 3,6
millions habitants, ce qui donne une superficie spécifique
d’espaces verts de 3,59 m2/hab. Cette valeur est très loin
de la recommandation de l’Organisation Mondiale de la
Santé qui est de l’ordre de 10 m2 d’espaces verts par
habitant. La Wilaya enregistre, sur ces bases, un déficit
d’espaces verts de plus de 2 369 ha.
La spéculation foncière rend plus lucrative la
construction d’un immeuble plutôt que celle d’un espace
vert. Le plus grand parc avait lui-même été menacé de
disparition. Ce projet s’était fort heureusement heurté à
l’opposition de nombreux élus et de la société civile.
La Communauté Urbaine de Casablanca tente
d’apporter des solutions à ce problème. La dégradation
de l’infrastructure de base dans les jardins et parcs publics,
celle des plantations, l’insécurité et les nombreux actes
de vandalisme qui y sont commis ont engagé la
municipalité à envisager la délégation au privé de la
gestion de ces espaces. Un plan d’action s’étalant sur cinq
ans a été mis en place. Il découpe la ville en quatre zones
d’intervention et la concession à des sociétés privées pour
la maintenance et l’entretien des nouveaux espaces y est
envisagée. La gestion de certains d’entre eux par des
entreprises du secteur privé a déjà commencé. Un appel
d’offres a été récemment lancé pour le marché de
l’entretien et des plantations. Quatre sociétés privées ont
été sélectionnées. Dans un premier temps, elles
s’attaqueront aux parcs structurants de la ville notamment
le Parc de l’Hermitage, celui de la Ligue Arabe et le Square
des Fleurs.
Parallèlement à ces initiatives de maintenance des
espaces verts, un programme de plantations d’arbres a
été lancé. Il entre dans sa deuxième phase de réalisation
et prévoit la plantation d’un million d’arbres dans la seule
ville de Casablanca.
VOIRIE
De nouvelles agglomérations résidentielles, véritables
villes satellites, se sont développées dans la périphérie de
Casablanca et dans toute la région entrainant des besoins
grandissant de mobilité. Si le réseau routier dont bénéficie
la région du Grand Casablanca est assez dense et lui
permet une liaison rapide directe avec les différents pôles
du Royaume, le trafic urbain enregistré chaque jour
constitue une problématique lourde caractérisée par un
manque de fluidité du trafic et une congestion chronique,
des accès à la métropole de moins en moins adaptés, une
infrastructure urbaine largement dépassée.
La taille et la complexité de cette problématique,
couplées à l’intérêt national qu’elle représente, ont incité
le ministère de l’Equipement et du Transport à s’associer
aux intervenants locaux, pour étudier et mettre en œuvre
ensemble une solution globale, issue d’une vision intégrée
de développement des infrastructures routières urbaines
et suburbaines, permettant de répondre aux besoins
légitimes des Casablancais et des automobilistes en transit
tout en assurant une bonne intégration au réseau national
routier et autoroutier.
Le réseau routier du Grand Casablanca s’étend sur
une longueur de 644 km, répartis entre autoroutes :64 km,
routes nationales :103 km, routes régionales :70 km et
routes provinciales : 404 km. Le trafic enregistré sur ce
réseau est de 30 à 35 000 véhicules par jour sur les routes
nationales et de 25 à 30.000 sur les autoroutes. L’analyse
globale de la situation, réalisée en partenariat avec le
61
LES VILLES
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BARCELONE
Département de l’équipement (Direction régionale et
Direction des routes et de la circulation routière) et le pôle
de compétence mis en place au niveau de la Wilaya, a
abouti à la définition d’un programme d’actions précis avec
des projets structurants permettant une plus grande
mobilité et une fluidité du trafic.
Ces projets font l’objet d’une convention de
partenariat signée en avril 2005 au siège de la wilaya du
Grand Casablanca, entre le ministère de l’Equipement et
du Transport, le Conseil de la région, le Conseil de la
commune urbaine de Casablanca et leurs autorités de
tutelle, et qui fixe précisément les responsabilités et
engagements contractuels de chacun des partenaires. Elle
porte sur enveloppe globale d’un montant de 720 millions
de DH à mobiliser pour le financement de projets
comprenant études techniques, dédoublement,
renforcement et construction de plusieurs tronçons
routiers totalisant une longueur d’environ 80 km,
réalisation d’un passage souterrain sous la voie ferrée,
achèvement de l’échangeur de Tit Mellil et construction
de l’échangeur de Béni Yakhlef.
Le financement des projets sera assuré à hauteur de
262 millions de DH par le ministère de l’Equipement et du
Transport, soit 36% du montant total, 236 millions de DH
par le Conseil de la région, soit 33% du montant total, et
222 millions de DH par le Conseil de la ville, représentant
31% du montant total. L’achèvement des travaux est
programmé pour 2008.
TRANSPORT PUBLIC
Le transport public est un calvaire au quotidien pour les
Casablancais. Salariés et étudiants souffrent du déficit de
transports.
Les différents moyens de transport, mis à la
disposition des habitants de la métropole (bus, petits taxis
et grands taxis) n’arrivent pas à subvenir aux besoins d’une
population en constante croissance. Face au prix de la
course en taxi et à l’échec de l’expérience du Bidaoui (RER
casablancais reliant la périphérie au centre)
essentiellement à cause du coût de ce type de transport,
le bus reste le moyen le plus prisé des Casablancais. La
Régie Autonome de Transport en Commun de Casablanca
(RTCC), principal transporteur public de la ville, ne dispose
que de 150 véhicules pour une population avoisinant les
quatre millions d’habitants. La société, qui a plus d’un
milliard de DH de dettes accumulés à fin 2004, ne dispose
62
LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
pas de moyen financiers pour renouveler ce parc et
l’entretenir. Les autres opérateurs privés de transport ne
disposent pas non plus des moyens suffisants : bus
vétustes et polluants, véhicules dans un très mauvais état.
Devant cette carence, les autorités ont été conduites
à céder une partie du transport au privé espérant ainsi
résoudre, ne fût-ce qu’en partie, le problème. C’est ainsi
que la société M’dina Bus a été autorisée, début 2005, à
mettre en circulation 170 bus dans la ville de Casablanca.
Une solution de court terme dans la mesure où il s’agit de
bus d’occasion rachetés à la RATP parisienne. Le plan
industriel prévoit cependant une montée en puissance de
l’offre de 1 200 véhicules dans les 5 ans et une exploitation
exclusive à partir de 2009. M’dina Bus s’engage toutefois
à conserver le prix du ticket à son niveau actuel. Les prix
varient entre 2,4 et 2,5 DH (1 euro équivaut à 10 DH). Sur
certaines lignes, le prix du ticket est de 3 DH. D’autres
sociétés entreront probablement en service au cours des
prochaines années pour répondre aux besoins de la
population.
LUTTE CONTRE LES RISQUES
MAJEURS
La construction de logements précaires (essentiellement
dans les bidonvilles) et le manque de canalisations dans
certaines zones ont été à l’origine d’innombrables
inondations à Casablanca.
En 2003, les inondations de la ville de Casablanca
avaient causé la mort de 36 personnes. En 2002 déjà, les
régions avoisinantes de Mohammedia et Berrechid avaient
dû déplorer la mort de 63 personnes dans les inondations.
La configuration de la ville lui confère, il est vrai, une
fragilité particulière. L’urbanisation de la ville de
Casablanca, entre la route d’El Jadida et la zone côtière,
a complètement obstrué l’oued Bouskoura, entravant ainsi
l’écoulement des eaux vers la mer, ce qui expose la ville
aux crues de cet oued. Par ailleurs, les rejets des eaux
usées et pluviales des centres de Bouskoura, de Médiouna,
de Nouacer (situés à proximité du centre urbain) et des
complexes industriels en cours de réalisation, qui
s’ajouteront aux eaux de crues, aggravent encore la
situation. Pour y remédier, un projet de rénovation des
infrastructures d’assainissement est en cours dont la
réalisation figure dans le cahier des charges de la Lydec.
La construction de barrages permettra également de
faire face à ces problèmes. Ainsi, 4 barrages à l’amont de
Berrechid, dont un est en cours de réalisation (Barrage El
Himer) et trois en cours d’étude (Tamedrost, Mazer et
Koudiat El Garn), permettront l’écrêtement des crues des
oueds Tamedrost, Mazer et El Himer. Il faudra également
dévier l’oued Bouskoura. Dans ce dessein, plusieurs
variantes de tracés ont été examinées dont la plus
avantageuse consiste en la réalisation d’une galerie
souterraine de 7 km traversant la ville de Casablanca, pour
faire transiter un débit de 65 m3/s, correspondant à la crue
de 20 ans, pour un coût estimé à 600 MDH.
63
LES VILLES
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Damas
PRÉSENTATION
DE LA VILLE
Citée dans la Bible, Damas est l’une des plus anciennes
villes connues et toujours habitées dans le monde. Elle est
apparue aux premières années du deuxième millénaire
avant J.-C., quand les Araméens ont fondé un Etat ; ils l’ont
appelée “Dramasive” (la rose fructifiée). Plus tard, les
Chaldéens l’ont occupée et y sont restés jusqu’à l’arrivée
des Perses en 538 avant J.-C. Alexandre le Grand l’a occupée
en 333 avant J.-C. La période grecque s’est achevée en 64
avant J.-C., avec l’arrivée des Romains.
Après 611, Damas est devenue la capitale du premier
Etat arabe, celui des Omeyyades. C’est pour elle le début
de l’âge d’or. Un siècle durant, elle fut le centre du
rayonnement du jeune empire arabo-musulman. Après les
Omeyyades, Damas est passée par une succession de
périodes d’expansion et de régression sous des dominations
successives. La ville fut également assiégée, en vain, par
les Croisés, mais fut saccagée par les Mongols en 1401.
Elle fit partie de l’Empire ottoman de 1516 à 1918.
Suite au Traité de Versailles (1919), elle fut placée, avec
la Syrie, sous mandat français en 1920. L’indépendance fût
proclamée en 1946 et Damas retrouva alors progressivement
un rayonnement national et civilisateur au sein du monde
arabe.
La ville est située au coeur d’un désert, ses quartiers
Est escaladant le flanc du mont Quassioun, premier
contrefort du massif de l’Anti-Liban. Située à 60 km à l’ouest
de la mer Méditerranée, sa population, qui atteint 4,5
millions d’habitants croît à un rythme d’environ 3% par an.
ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
Damas est la capitale de la République Arabe Syrienne et
l’une “des 13 “mohafazats” syriennes,. Le pouvoir exécutif
de la mohafazat est confié au « mohafez » (ou gouverneur),
nommé par le président de la République et qui le
représente sur son territoire. Le mohafez prend des
décisions concernant l’aménagement du territoire et le
développement économique. Il veille également à l’ordre
public.
Le budget consacré à la « mohafazat » de Damas pour
l’année 2005 est de 2,5 milliards de livres syriennes (environ
40 millions d’euro).
La tutelle exercée par l’Etat, tant au niveau financier
qu’administratif, limite considérablement les possibilités
d’action de la municipalité. Ne disposant que de faibles
ressources, elle dépend de l’Etat pour la réalisation de ses
programmes d’investissement. Au demeurant, les différents
ministères et agences de l’Etat disposent de directions
locales dans toutes les mohafazat.
En règle générale, les projets de la municipalité de
Damas sont élaborés en coopération étroite avec les
directions compétentes de la Commission de Planification.
Les projets sont ensuite examinés par le ministère de
l’Administration Locale qui prend la décision.
De façon générale, c’est le ministère de l’Administration
Locale qui attribue leur budget aux différentes villes. De lui
dépendent les gouverneurs des mohafazat ainsi que les
maires. Mais dans la pratique, en ce qui concerne les grandes
villes, l’ensemble des décisions est pris au niveau de la
municipalité. Si le mohafez est en principe responsable de
la gestion de l’environnement dans sa mohafazat, il délègue
en général ce rôle aux différentes municipalités. Ce sont par
conséquent les conseils municipaux qui gèrent les services
de collecte des déchets, les implantations de décharges ou
les créations d’usine de traitement. Ils sont également
responsables de l’application de la réglementation.
EAU ET ASSAINISSEMENT
La Syrie connaît, en matière d’eau, une situation
extrêmement critique. L’essentiel des ressources provient
de l’extérieur, principalement de la Turquie (50% environ)
et du Liban (20%). L’eau est, pour cette raison, une source
permanente de tension entre la Syrie et ses voisins.
L’épuisement des nappes phréatiques conduit les habitants
à multiplier le nombre de puits dans des conditions
anarchiques qui ne permettent pas la reconstitution des
nappes en période de pluie. Au plan national, le déficit actuel
estimé à 4 milliards de m3 par an, a été aggravé par une
65
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
sécheresse qui a touché l’ensemble des bassins.
On comprend dans ces conditions que l’eau soit une
préoccupation quotidienne des Damascènes. L’alimentation
est coupée plusieurs heures par jour (généralement la nuit
de 23h à 5 h du matin) et quelquefois la journée entière.
Dans certaines communes environnantes, l’eau potable ne
parvient dans les foyers qu’un ou deux jours par semaine.
Ce qui a bien évidemment entraîné l’installation de
réservoirs sur les toits des immeubles.
Aux effets conjugués de la croissance urbaine, de
l’augmentation des besoins et d’une sécheresse qui frappe
la Syrie depuis trois ans, s’ajoute le mauvais état des
infrastructures. Le réseau d’alimentation d’eau à Damas,
long de 1750 km, est ancien et mal entretenu. Environ 30%
de l’eau est perdue du fait des fuites entraînant une baisse
importante du niveau des nappes phréatiques et
l’assèchement de nombreux puits.
Les prix facturés sont très faibles et adaptés au niveau
de vie de la population : le m3 est facturé environ 3 livres
syriennes (5 centimes d’euros), l’un des prix les plus bas
pratiqués dans les villes arabes. Ces prix ne permettent
donc pas de couvrir les frais d’entretien et de rénovation du
réseau. On note, malgré cela, un nombre important de
branchements illicites.
Le manque d’eau n’a pas permis l’installation de
fontaines publiques où la population pourrait se ravitailler
si ce n’est à l’entrée des mosquées et dans quelques zones
particulièrement éloignées. Une partie de la population,
généralement issue des quartiers défavorisés qui n’a pas
les moyens d’acquérir une citerne, est donc obligée
d’acheter l’eau à des marchands ambulants à un prix élevé
pour couvrir ses besoins essentiels.
C’est la ressource en eau qui pose problème : la
capitale a besoin de 750 000 m3 par jour, mais n’en reçoit
que 315 000 et ce déficit pourrait s’accroître avec la
sécheresse. La rivière Barada qui coule dans la capitale
étant quasi à sec, seule sa nappe phréatique offre encore
de l’eau aux Damascènes (95 000 m3 par jour). Il faut
toutefois chercher l’eau en forant jusqu’à 100 m de
profondeur. Le reste provient d’une conduite qui puise l’eau
directement à la source du Fijeh (le principal affluent du
Barada), à l’ouest de la ville. Cette source offre cette année
220 000 m3 par jour, mais ce chiffre était tombé à 150 000
m3 en 2004.
Par ailleurs, le réseau d’eau avoisine celui des égouts,
occasionnant des infiltrations et des cas d’empoisonnement.
Des travaux récents ont toutefois permis de résoudre ce
problème en zone urbaine mais ils subsistent en zone
rurale. La Syrie a acheté en 2004 pour 1 700 millions de
livres syriennes de médicaments destinés à combattre les
66
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
maladies causées par la pollution de l’eau potable et la
mauvaise qualité de l’eau agricole.
Le problème de la raréfaction de la ressource risque
de s’aggraver au cours des prochaines années. Le fleuve
Barada qui est alimenté par cinq affluents : Fijeh, Barada,
Ein Tayba, Ouyoun Jarouch, Ouyoun Alalaya voit son débit
baisser d’année en année. Le fleuve souffre également de
la pollution causée par les artisans installés dans la ville
même qui déversent leurs effluents directement dans le
fleuve et par les usines installées sur ses abords dans les
zones rurales de Damas: Kudsaya, Dummar, Alhama,
Dabaghat, IbnAsaker, Sayeda Zeinab, Kaboun et Harasta.
Les pollutions les plus importantes sont causées par les
ateliers de teinture des usines textiles, dont les résidus sont
rejetés sans traitement dans le fleuve. Cette pollution
chimique se retrouve dans les plantes irrigués par l’eau du
fleuve. Un projet de loi est actuellement en discussion pour
obliger les industriels à traiter leurs effluents avant de les
rejeter dans la nature.
Les activités touristiques, qui se sont développées
autour de Zabadani, Dommar, et Kudsaya, produisent
également d’importantes quantités de déchets directement
jetés dans le fleuve.
Pour rendre potable l’eau qui alimente Damas, on est
donc obligé d’ajouter d’importantes quantités de chlore qui
atteignent couramment les limites supérieures autorisées
par la réglementation.
Le traitement des eaux usées est un autre problème.
De nombreux rapports existent sur le manquecriant de
stations d’épuration des eaux domestiques et le mauvais
état du réseau des égouts. Lesmoyens financiers pour la
rénovation du réseau font défaut. En 2005, 30 millions de
livres seulementétaient prévus au budget de l’Etat pour la
rénovation des infrastructures d’eau et d’assainissement.
Pourtant, dès 1991, une véritable orientation politique
en faveur d’une gestion durable dudéveloppement a été
prise, avec la création d’un Ministère d’Etat à
l’environnement, premier du genredans la région. Le secteur
de l’environnement fait, depuis, l’objet d’une planification à
l’échelonnational. Un « National Environmental Action Plan
» a été mis en place en collaboration avec lePNUD et la
Banque Mondiale avec cinq priorités:
• la lutte contre la dégradation des sols,
• la pollution et l’épuisement des ressources en
eau,
• la pollution atmosphérique,
• la gestion et le traitement des déchets,
• la lutte contre les activités industrielles
illégales au regard des contraintes
environnementales.
Les moyens restent toutefois insuffisants. Ainsi, le
programme d’investissement pour l’environnement au
cours du 8e plan qui s’est achevé en 2004, se montait à 600
millions USD, soit, sur une base annuelle, moins de 1% du
PIB, alors que le coût des dégradations environnementales
est estimé entre4 et 5% du PIB par an. Les besoins estimés
par le « National Environmental Action Plan » (NEAP)pour
la période 2005-2010 sont évalués à 2 200 millions USD,
soit 375 millions USD par an ou 4 à 5fois le montant actuel
des investissements dans le domaine. Les réalisations
mises en œuvre à ce jour sont donc très loin de couvrir les
besoins.
Quelques progrès ont cependant été obtenus. Le
nombre d’habitants raccordés au réseau d’eau progresse
chaque année. Les quantités d’eau potable disponibles sont
également en augmentations tout comme le nombre
d’abonnés qui acquittent régulièrement leur facture d’eau.
Damas s’est également lancée dans un vaste
programme de développement de la ressource.
Un premier projet de rechargement des nappes
phréatiques a été lancé. Ce projet vise à stocker l’eau de
la nappe phréatique lorsque la ressource est abondante
pour la reprendre pendant la période de sécheresse. Le
débit de la source de Fijeh est, en effet, très irrégulier. Il
peut atteindre, en période haute, jusqu’à 28 m3/seconde
pour tomber à 1,5 m3/seconde pendant les années de
sécheresse comme c’est le cas actuellement. On comprend
mieux l’enjeu de ce projet lorsque l’on sait que les besoins
de la ville de Damas sont d’environ 7 m3/seconde. Les
travaux sont conduits par la société« Schlumberger
Technology » en coopération avec le Centre des Affaires
Syro-européen et une société libanaise, Razin.
Ce projet fait partie du plan stratégique national pour
l’environnement qui a été mis en place en 2003couvrant la
période 2003-2015 par le ministère de l’Administration
Locale et de l’Environnement avec l’appui du Programme
de Développement des Nations Unies (PNUD) et de la
Banque Mondiale. Le plan vise à développer la ressource
et à rénover l’ensemble du système de distribution de l’eau
et de traitement des effluents.
Le projet de rechargement des nappes phréatiques
prévu à Damas sera étendu à d’autres régions. Des
réservoirs supplémentaires doivent également être
construits.
A plus long terme, et pour faire face à l’épuisement
progressif des ressources, des investigations on tété lancées
pour approvisionner Damas à partir de source marines d’eau
douce au large du port de Lattaquié. Une étude a été lancée
dont les résultats seront connus au début de 2006. Aucun
financement n’est encore prévu à ce stade.
Pour amener cette eau sur Damas, un projet de
pipeline est également à l’étude qui contournerait le Liban
en passant par la montagne, jusqu’à une altitude de 1000
m avant de descendre par gravité vers Damas. L’étude de
faisabilité durera trois ans et la réalisation au mieux cinq
ans pour un coût évalué à1,7 milliard de dollars. Les
Damascènes devront donc patienter encore une décennie
avant de pouvoir avoir accès à l’eau potable à toute heure
de la journée.
COLLECTE ET TRAITEMENT DES
DÉCHETS
La collecte des déchets domestiques (5 000 tonnes/j au
niveau national) est assurée par les municipalités à hauteur
de 90 % en zone urbaine, et de 65 % en zone rurale. En
revanche moins de 5% de ces déchets sont traités (500
tonnes par jour). On estime qu’en zone urbaine les déchets
domestiques représentent moins d’un kilo par habitant et
par jour.
Les déchets industriels, qui proviennent
essentiellement de l’exploitation du phosphate, ne sont pas
traités. Les déchets hospitaliers ne font l’objet d’une
collecte sélective qu’à Damas (5 tonnes/j) et à Homs (2,5
tonnes/j) où ils sont traités de manière spécifique
(incinération).
La situation à Damas est néanmoins meilleure que
dans le reste du pays. Les statistiques du ministère de
l’Administration Locale et de l’Environnement font état d’une
quantité de déchets produite à Damas de 1100 tonnes par
jour. Mais la collecte, qui relève des services municipaux,
est déficiente. du fait d’un manque de moyens,
principalement en matériel et du manque de civisme des
habitants qui ne respectent pas les horaires du dépôt de
leurs ordures.
Ces déchets sont conduits sur un terrain situé à 35
Km au sud de Damas puis en partie traités par incinération
et compostage. La récupération et le recyclage sont le fait
du secteur informel.
Les déchet générés par les grosses industries et les
abattoirs sont généralement conduits dans des sites
spécialisés. Mais les déchets produits par l’artisanat et la
petit industrie urbaine sont mélangés aux ordures
ménagères.
Le manque de ressources est évident. Aujourd’hui, les
recettes perçues pour financer les infrastructures du secteur
environnemental sont sans commune mesure avec les
67
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
investissements programmés et les coûts d’exploitation de
ces services. A titre d’exemple, la taxe perçue pour
l’enlèvement des ordures à Damas est de 7 $, quelle que
soit la quantité par foyer et par an alors que le coût pour
l’enlèvement de deux tonnes (moyenne par an et par foyer)
est estimé à 44 $. Les autorités subventionnent donc
largement ce type d’activités, la faiblesse du revenu moyen
par ménage rendant, aujourd’hui, impossible le transfert
direct de ces charges sur le consommateur des services.
Différents projets d’investissement témoignent de
l’émergence progressive du secteur privé dans la
problématique des déchets. Symptomatique d’une évolution
des mentalités, ces tentatives d’ouverture de secteurs
traditionnellement publics aux logiques de marché sont
intéressantes à relever même si certaines contraintes
politiques, financières ou techniques empêchent encore la
maturation du processus.
TRANSPORTS PUBLICS
Les transports publics sont assurés à Damas par le
secteur privé. Des microbus généralement bondés et très
polluants transportent les passagers. Le gouvernement a
tenté de mettre fin à ce système pour le remplacer par une
flotte de 600 bus modernes importés. Ce projet n’ayant pas
abouti, on a remis en service de vieux bus datant des années
70 et dont l’utilisation avait été interdite au moment où les
microbus avaient fait leur apparition.
La construction d’un métro a été envisagée et la
compagnie française de conseil BCEOM a été chargée de
réaliser une étude technique et une étude de faisabilité
financière. Mais le coût élevé du projet combiné au temps
nécessaire à la construction du réseau ont fait pencher la
balance en faveur du tramway.
Un projet de tramway a donc été lancé qui devrait
aboutir rapidement. Ce projet a été étudié par la société
malaisienne Amitrans, qui a proposé une solution de type
monorail semblable à celle qui fonctionne dans d’autres
grandes villes comme Kuala Lumpur, Sydney, Las Vegas,
Seattle, ou Singapour. Comparé au train traditionnel, le
monorail a l’avantage de prendre moins de place,
horizontalement et verticalement. La largeur nécessaire
dépend de celle du wagon et non de celle des rails. Le
monorail est également plus silencieux, les systèmes
modernes utilisent des roues en caoutchouc sur un circuit
en béton et sont capables de monter, descendre et tourner
plus vite que les systèmes traditionnels.
68
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Trois lignes sont prévues : une ligne verte de 12 km de
long comprenant 16 stations, allant de Mazzé à Kaboun ;
une ligne rouge reliera Barzeh à Midan sur 11 km et 18
stations ; une ligne bleue de 8 km de long et 12 stations
reliera la place des Abbassides et la place Abdel Rahman
al-Dakhel.
La construction d’une première tranche de 9 km sur
la ligne bleue devrait démarrer en 2005. Les travaux ont été
confié à l’entreprise malaisienne MTrans, l’un des trois
fabricants mondiaux de monorails, en association avec le
japonais Hitachi et le canadien Bombardier. Le coût estimé
des travaux est de 128 millions de dollars, soit 16 millions
par kilomètre. A titre de comparaison, le coût du métro serait
3 à 4 fois plus élevé ce qui explique le choix opéré par le
gouvernement syrien.
Les travaux de génie civil seront financés par l’Etat.
Les autres éléments du projet feront l’objet d’un contrat de
type BOT.
LOGEMENT SOCIAL
La Syrie connaît une crise aggravée du logement qui
touche l’ensemble de la population. L’insuffisance de l’offre
a entraîné une hausse importante des prix qui écarte du
marché toute une partie de la population. C’est ce qui
explique le développement des constructions illégales en
périphérie de la ville dans des quartier non aménagés. On
estime qu’environ 1,3 millions de personnes vivent dans ces
conditions précaires, soit près de 30% de la population de
la ville. La densité dans ces quartiers dépasse 400 habitants
par km2. Leur extension progressive les conduit à envahir
les espaces verts de la ville et des zones réservées jusquelà aux activités agricoles. Certains se rapprochent des
quartiers les plus riches comme à Mazzeh, Dummar,
Kudsaya, Barzeh, Kadam ou le mont de Kassiyoun. Un projet
de la municipalité est en cours d’élaboration pour légaliser
la situation des habitants et leur donner des titres de
propriété. Un projet de construction de logements pour les
personnes les plus démunies a également vu le jour. Mais
l’offre est de 410 logements pour plus de 13 000 candidats
inscrits. Les logements devraient être attribués par tirage
au sort.
Le gouvernement syrien a décidé d’injecter près de 45
milliards de livres syriennes (865 millions de dollars) dans
le marché de l’immobilier à travers un programme destiné
à fournir 50 000 nouveaux appartements, au cours des cinq
prochaines années, à la jeunesse du pays.
En pratique, l’État financera 30 % du coût de ces
nouveaux projets, soit quelque 15 milliards de livres
syriennes, à travers des crédits sans intérêts octroyés par
un fonds public qui est alimenté par les recettes pétrolières
du pays. De plus, l’État offrira les terrains qui serviront à la
construction d’immeubles résidentiels dans toutes les
régions.
Les appartements auront une superficie moyenne
d’environ 70 mètres carrés et ils coûteront 500 000 livres
syriennes en moyenne, soit 9 600 dollars. Le plan de
financement prévoit, pour chaque candidat à la propriété,
un apport initial complété par un crédit à taux bonifié sur
10 ans.
L’augmentation de l’offre de logements permettra
également de contenir les prix de l’immobilier qui ont
augmenté de façon significative depuis le début de l’année,
en particulier à Damas.
VOIRIE
Par ailleurs, 20 millions livres syriennes seront
consacrés, en 2005, à l’amélioration de l’éclairage public,
et 70 millions pour la réalisation de nouveaux espaces verts.
LUTTE CONTRE LES RISQUES
MAJEURS
La Syrie est, comme ses voisins, exposée à plusieurs types
de risques majeurs, et principalement le risque sismique.
Le gouvernement a élaboré, depuis quelques années,
un centre pour la prédiction des séismes. Mais les activités
de lutte contre les risques majeurs sont rares et dispersés.
En juillet 2005, le ministre de l’Administration Locale
et l’ambassadeur de Suisse en Syrie ont signé un accord
pour une coopération portant sur la gestion de crise dans
l’éventualité d’une catastrophe naturelle. L’accord précise
la nature des aides matérielles et humaines que le
gouvernement suisse se propose d’offrir dans une situation
de ce type.
L’état de la voirie est très variable d’un quartier à un
autre. Certains quartiers bénéficient d’un entretien régulier
et d’autres non. Les trottoirs du centre ou à l’abord des
souks sont généralement en mauvais état. L’éclairage
public est défaillant, voire inexistant dans certains quartiers
de la capitale.
Le nombre élevé d’accidents constatés sur la voie
publique est tout autant dû à l’état de la chaussée qu’à
celui des véhicules. Le parc automobile est, en effet,
vétuste et mal entretenu. Il est également très polluant.
De nombreux véhicules ont été importés de Chine, de
Russie et d’Iran et ne répondent pas aux normes en
matière de sécurité et d’environnement. La pollution
automobile est également aggravée par la qualité du
carburant disponible en Syrie qui contient un taux de soufre
élevé.
Un plan de rénovation de la voirie et d’amélioration des
conditions de circulation a été préparé par la municipalité.
Près de 500 millions de livres syriennes étaient prévus en
2005 pour la rénovation des voies existantes dont 40 millions
pour la construction de ponts et 45 millions pour
l’amélioration des deux voies rapides au nord et au sud de
Damas. Près de 200 millions de livres syriennes étaient
également prévus pour la poursuite des travaux de
construction de deux tunnels : l’un à la place des Abbassides
et l’autre à la place des Omeyyades. Mais ces projets n’ont
pas encore vu le jour.
69
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Gaza
PRÉSENTATION
DE LA VILLE
Gaza est une ville côtière située à l’est de la mer
Méditerranée. C’est l’une des villes les plus anciennes au
monde. Les premiers signes d’établissement humain
remontent à 3 000 ans avant J.-C. Sa position stratégique,
aux confluents de trois continents, en a fait un point de
passage obligé pour le commerce mais également les
expéditions militaires.
Les musulmans ont pris possession de la ville en
634. Envahie par les croisés en 1101, elle a été reprise
par Saladin en 1187. La ville a continué de prospérer sous
le régime des Mamelouks. Intégrée à l’empire ottoman
en 1517, elle y est restée jusqu’en 1917 avec l’entrée des
troupes britanniques après une bataille qui a détruit une
partie de la ville. En novembre de la même année, la
déclaration Balfour a donné le signal d’une émigration de
plus en plus importante de juifs fuyant les persécutions
dont ils étaient victimes en Europe vers la Palestine. Le
sort de la ville s’est alors confondu avec celui de ce que
l’on appelle aujourd’hui la bande de Gaza.
La bande de Gaza est avec ses 362 km2 le reliquat
d’un territoire de 2 200 km 2 attribué par le Plan de
Partage décidé par l’ONU en 1947 à la partie méridionale
de l’Etat arabe de Palestine, et qui était constitué d’une
partie du Négev et d’une plaine côtière allant de Jaffa à
la frontière. La guerre israélo-arabe en 1948 a eu comme
conséquence les frontières courantes de la bande de Gaza.
Cette guerre força environ 250 000 Palestiniens à fuir vers
Gaza, augmentant la population d’environ 300%. Cet afflux
énorme de population, combiné avec la perte de
ressources et la rupture du commerce, a créé une
situation socio-économique instable. La situation
économique a continué à s’aggraver en raison des
problèmes économiques et politiques internes de l’Egypte,
qui a administré la bande de Gaza jusqu’en 1967. À partir
de cette date et suite à la guerre des Six Jours, Israël a
occupé la Cisjordanie et la bande de Gaza et a, de ce fait,
commandé les ressources disponibles et l’économie des
secteurs occupés.
Aujourd’hui, Gaza est une zone complètement fermée
et entourée de barbelés. Ses habitants n’ont pas de
nationalité reconnue : tous sont maintenant porteurs d’une
carte magnétique rédigée uniquement en hébreu qui
permet à 20 000 d’entre eux d’aller quotidiennement
travailler en Israël -contre 120 000 avant l’Intifada et
l’immigration massive en provenance de l’ex-URSS. Les
plus âgés ont encore des papiers spéciaux égyptiens,
acceptés dans certains pays arabes, mais qui ne leur
permettent pas d’entrer en Egypte ; ceux qui veulent se
rendre à l’étranger doivent le faire avec des documents
de voyage israéliens qu’ils n’obtiennent que s’ils sont
parfaitement en règle avec l’occupant.
Cette situation a créé une dépendance presque
complète à l’égard de l’économie israélienne, beaucoup
d’habitants de Gaza fonctionnant en tant que travailleurs
non qualifiés en Israël. Le soulèvement, ou Intifada,
commencé en 1987, a duré pendant environ six années.
La guerre du Golfe, en 1990, a aggravé les conditions
économiques. Aujourd’hui, 55% des habitants de la
Cisjordanie et 70% de ceux de la bande de Gaza vivent en
dessous du seuil de pauvreté.
Le retrait d’Israël de la bande de Gaza (voir plus loin)
a permis de libérer environ 40% du territoire qui était dédié
aux colonies et aux infrastructures liées à leur
sécurisation. Il a également permis aux habitants de
circuler librement à l’intérieur de ce territoire.
La ville de Gaza est encore aujourd’hui la plus grande
ville au sein des Territoires Palestiniens. Avec une
superficie de 46 km2 et une population estimée à environ
480 000 habitants, elle est une des zones les plus
densément peuplées au monde. Le taux d’accroissement
démographique frôle les 4%, un des plus hauts au niveau
planétaire. Et les démographes prévoient que la population
de la ville de Gaza continuera d’augmenter rapidement
au cours des prochaines années, non seulement en raison
de sa croissance normale (plus de 50% de la population
a moins de 14 ans), mais également en raison de
nouvelles offres d’emplois offertes par une administration
bourgeonnante et la nouvelle zone portuaire et
industrielle. On estime que la ville de Gaza atteindra
approximativement 600 000 habitants en 2010.
71
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
Historiquement, les gouvernements locaux ont été la
pierre angulaire du gouvernement palestinien et les
fournisseurs principaux de services publicsdans
l’ensemble des territoires. La gestion et la fourniture des
services dits de bases pour les résidents de Gaza fait donc
partie des prérogatives municipales. Ces services
comprennent la gestion de l’eau, l’hygiène, la gestion des
déchets solides, la construction et l’entretien des routes
locales, les bibliothèques, parcs et récréations, abattoirs,
marchés, plan d’occupation des sols, et cadastre. Bien
que disposant de compétences étendues, la municipalité
de Gaza partage certaines d’entre elles avec d’autres
institutions palesti-niennes. Les décisions importantes
sont, en particulier, soumises à une instance
interministérielle.
La situation, déjà très difficile, de la municipalité s’est
fortement dégradée avec l’éclatement de la deuxième
Intifada, en septembre 2000. Les revenus de la
municipalité ont chuté d’environ 30%, ce qui a lourdement
affecté la capacité des services municipaux à assurer la
gestion des services dont ils ont la charge. Dans le même
temps, les besoins en matière de reconstruction et de
réhabilitation ont augmenté dans tous les quartiers de la
ville, et cela aussi bien à cause de la crise de l’économie
palestinienne qu’à cause des destructions pratiquées par
les Israéliens en représailles aux attentats perpétrés sur
leur territoire. En situation d’urgence permanente, la
municipalité de Gaza s’est donc appliquée à trouver des
solutions alternatives pour subvenir aux services
prioritaires pour les résidents. Et ce d’autant que les aides
internationales promises n’arrivent qu’au compte-goutte.
Lors de la conférence de Munich sur la sécurité
internationale, en février 2005, les parties présentes
avaient proposé de débloquer 6 milliards de dollars pour
le développement de Gaza dont 2 milliards pour l’Union
Européenne. Or, seuls quelques dizaines de millions de
dollars ont été, à ce jour, effectivement versés.
Le rapport préparé par Jean Ziegler à la demande
de la Commission des droits de l’homme de l’ONU (voir
extraits plus loin) décrit de façon précise la situation des
populations palestiniennes. Ce rapport, réalisé en 2003,
a été vivement critiqué par le représentant d’Israël aux
Nations Unies qui a demandé son retrait.
72
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Extrait du rapport préparé par Jean Ziegler sur la
situation alimentaire des populations dans les
territoires palestiniens occupés (2003)
Les Territoires Palestiniens sont au bord d’une
catastrophe humanitaire, conséquence de mesures
militaires extrêmement sévères imposées par les forces
militaires israéliennes d’occupation depuis l’éclatement
de la seconde Intifada, en septembre 2000. Les niveaux
de malnutrition chez les Palestiniens se sont
rapidement aggravés depuis l’imposition des mesures
militaires susmentionnées. Une étude financée par
USAID indique que « les territoires palestiniens, et en
particulier la bande de Gaza, sont confrontés à une
claire urgence humanitaire, en termes de malnutrition
aiguë et grave [iii]». La malnutrition grave dont il est
fait état à Gaza équivaut aujourd’hui aux niveaux relevés
dans les pays pauvres subsahariens, ce qui constitue
une situation aberrante, étant donné que la Palestine
avait naguère une économie caractérisée par des
revenus moyens. Plus de 22% des enfants de moins de
cinq ans souffrent aujourd’hui de malnutrition (9,3%
souffrent de malnutrition aiguë et 13,2% de
malnutrition chronique), à comparer à 7,6% en 2000
(1,4% souffraient alors de malnutrition aiguë, et 6,2%
de malnutrition chronique), d’après des relevés du
PCBS [iv]. Près de 15,6% des enfants de moins de cinq
ans souffrent d’anémie aiguë [v], qui aura pour
beaucoup d’entre eux des effets dommageables
permanents sur leur développement futur, physique
et mental. La consommation de nourriture a chuté de
plus de 30% per capita [vi]. Les pénuries alimentaires,
en particulier en matière d’aliments protéiniques, ont
été largement attestées [vii]. Plus de la moitié des
foyers palestiniens ne peuvent plus avoir qu’un seul
repas par jour [viii]. De nombreux Palestiniens avec
lesquels le Rapporteur Spécial a pu converser, ont
indiqué ne survivre qu’en consommant du pain et du
thé. L’économie s’est pratiquement effondrée et le
nombre des gens extrêmement pauvres a triplé. Près
de 60% des Palestiniens vivent aujourd’hui dans une
pauvreté aiguë (75% à Gaza et 50% en Cisjordanie). Le
PNB par habitant a diminué de près de la moitié en
deux ans [ix]. Même lorsque des aliments sont
disponibles, beaucoup de Palestiniens ne sont pas en
mesure d’en acheter pour nourrir leur famille. Plus de
50% des Palestiniens ont été contraints à s’endetter
pour acheter de quoi se nourrir et ils sont nombreux
à vendre tous leurs biens, en désespoir de cause [x].
Plus de la moitié des Palestiniens sont désormais
totalement dépendants de l’aide internationale pour se
nourrir et néanmoins, comme l’ont indiqué nombre
d’organisations caritatives et humanitaires que la
mission a rencontrées, l’entrée et le transport de
denrées alimentaires dans les Territoires Occupés sont
souvent refusés et les camions doivent rebrousser
chemin. L’accès humanitaire est rendu très souvent
difficile, tant pour l’ONU que pour les ONG. Ainsi, en
mai 2003, une délégation de l’UNESCO a été retenue
à Gaza durant cinq jours, les forces d’occupation ne
les laissant pas repartir. Le fait que les Palestiniens ne
reçoivent pas assez de nourriture, qu’il s’agisse d’aides
internationales ou non, se manifeste par l’aggravation
rapide des niveaux de malnutrition évoqués plus haut.
EAU ET ASSAINISSEMENT
Dans les territoires palestiniens, la gestion de l’eau est
spécifiquement sous la responsabilité de la Palestinian
Water Authority (PWA), qui a été créée pour développer les
ressources et le traitement des eaux en Cisjordanie et à
Gaza. Actuellement, les systèmes d’approvisionnement en
eau et les équipements de traitement des eaux résiduelles
dans la bande de Gaza sont contrôlés par des départements
techniques ou spécifiques des municipalités.
La bande de Gaza est de tous les territoires
palestiniens celui qui souffre le plus du manque d’eau.
Cette zone, qui a l’une des plus fortes densités de
population au monde (plus de 3000 habitants/km2), est
entièrement tributaire des pluies (entre 200 et 400 mm/an)
et ne bénéficie d’aucun cours d’eau permanent. Elle
s’approvisionne par les wadis, cours d’eau temporaires
entretenus par les pluies d’hiver et par des forages dans
la nappe phréatique. L’aquifère souterrain offre un volume
d’eau annuel variant entre 50 et 70 millions de m3,
insuffisant pour répondre à une demande de l’ordre de 100
à 110 millions de m3/an.
Ce déficit a été une source de tension très grave entre
Israéliens et Palestiniens. Ceux-ci estimaient que les
premiers diminuaient le potentiel de leur aquifère en
pompant le peu d’eau disponible grâce à des puits situés
le long de la frontière israélienne avec Gaza et à un barrage
sur le wadi de Gaza dont la source est située en Israël. Les
experts ne sont d’ailleurs pas d’accord entre eux pour
déterminer si la nappe de Gaza est une subdivision de
l’aquifère côtier ou si elle ne forme qu’un seul ensemble.
Mais c’est surtout la répartition de l’eau entre la population
palestinienne et les colons israéliens des implantations qui
posait un problème humanitaire et politique avant le retrait
: sur les 110 millions de m3/an, 6000 colons utilisaient 10
millions de m3/an tandis que 1, 1 million d’arabes utilisaient
les 100 millions de m3 /an restants.
Les ressources en eau souterraine de Gaza sont de
plus en plus rares et elles sont polluées par de fortes
concentrations en nitrates et en sel. L’eau douce
souterraine atteint un taux alarmant de 3 à 4% par an en
raison de la sur-utilisation. C’est pourquoi les agriculteurs
sont toujours à la recherche de moyens plus efficaces de
recueillir l’eau de pluie.
La pollution de l’eau à Gaza n’est pas uniquement due
à l’eau de mer et au ruissellement de produits agricoles
dans l’aquifère souterrain, mais elle est aussi due aux eaux
usées brutes. L’aquifère de Gaza, qui fournit 96% de l’eau
consommée dans la bande de Gaza, est de plus en plus
menacée par une mauvaise infrastructure d’élimination
des effluents et des déchets solides. Comme plusieurs
camps de réfugiés et zones résidentielles en bordure des
grandes villes ne sont pas reliés au système central de
pompage, les eaux usées s’écoulent dans les rues. Sans
compter les risques immédiats pour la santé, les eaux
usées brutes gagnent l’aquifère souterrain, polluant l’eau
consommée par l’ensemble de la population.
Le pourcentage de la population reliée aux réseaux
d’égouts est estimé respectivement à 34% et 55% pour la
Cisjordanie et Gaza. Les usines existantes de traitement
des eaux résiduaires sont loin de suffire pour traiter tous
les effluents. De fait, une large proportion des eaux usées
de la ville de Gaza sont directement rejetées dans la mer.
À tel point que la pollution marine a atteint un niveau
alarmant et constitue une menace permanente pour la
santé des riverains. Une bonne partie des produits de la
pêche est, de ce fait, impropre à la consommation.
Par ailleurs, des enquêtes sur le terrain ont révélé
que les communautés palestiniennes sont touchées par
l’évacuation des eaux usées non traitées provenant des
colonies. Déjà en 1993, un rapport de la Banque Mondiale
révélait que « le déversement des eaux usées dans les
vallées est souvent autorisé, même si cela constitue une
menace pour un village [palestinien] environnant ». Il
semble que la situation ne se soit pas améliorée. Les eaux
usées provenant de certaines colonies étaient pompées
vers Israël afin d’être traitées, mais elles étaient parfois
évacuées vers le réseau d’assainissement palestinien. Les
eaux usées des autres colonies étaient collectées et
rejetées, non traitées, vers les vallées voisines.
Sans études sur le terrain, il a été impossible
d’évaluer, de façon irréfutable, l’étendue de cette pratique.
Cependant, les informations disponibles ont montré que,
73
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
dans toutes les circonscriptions palestiniennes, les
colonies rejetaient leurs eaux usées non traitées. De plus,
nombre de ces rejets se produisaient dans la région
d’alimentation de la nappe aquifère orientale partagée,
cela touchait donc à la fois les réserves d’eau des
Israéliens et des Palestiniens.
La situation est un peu meilleure en ce qui concerne
les ressources en eau pour l’agriculture. De mauvaises
pratiques de gestion des ressources en eau avaient, dans
le passé, entraîné une dégradation des terres agricoles.
Mais depuis l’introduction de nouvelles techniques de
récupération de l’eau et d’irrigation par le Programme
des Nations Unies pour le développement (PNUD), dans
le cadre d’un projet financé par l’USAID3 et le Fonds pour
l’environnement mondial (FEM), près de 50 bassins
artificiels de collecte de l’eau de pluie ont été créés dans
la région. Ces bassins de 200 mètres2 recueillent l’eau de
pluie qui tombe sur les toits des serres. Grâce à une
utilisation efficace des ressources en eau, les agriculteurs
peuvent irriguer jusqu’à 10 dunam4 et accroître fortement
leur productivité. Ce projet s’inscrit dans une initiative
plus importante : la remise en état et la préservation des
zones humides de Wadi Gaza. Il s’agit de l’un des plus
grands projets du PNUD dans la région.
COLLECTE ET TRAITEMENT DES
DÉCHETS
La ville de Gaza, comme l’ensemble des communautés de
la bande de Gaza, est confrontée au problème de gestion
de ses déchets. Au cours des 30 dernières années, les
autorités israéliennes qui ont occupé le territoire semblent
ne s’être que très peu souciées de la gestion des déchets
solides, que ce soit au niveau de leur ramassage, de leur
transport, ou de leur évacuation. La pression qu’exerce
la gestion des déchets solides sur l’environnement était
renforcée par la quantité abondante des déchets générés
par les colons israéliens. Les déchets solides des
Israéliens étaient évacués sans restriction vers les terres,
les champs et les routes secondaires palestiniens. Les
Palestiniens n’avaient pas accès à l’information
concernant la composition ou l’évacuation des déchets
solides générés par les colons.
La décharge municipale de Gaza est située au
sud-est de la ville, à environ 6 km des habitations. La
superficie de la décharge est approximativement de 12
hectares. Elle a été divisée en sections distinctes, chaque
74
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
3
Agency for International Development des Etats-Unis.
4
1 dunam = 0,1 hectare.
section étant dédiée à une catégorie particulière de déchets.
Elle reçoit, au total, 650 tonnes de déchets par jour.
Les quantités de déchets solides générés dans les
zones urbaines sont plus élevées que celles qui
proviennent des zones rurales. Le taux de déchets générés
par tête d’habitant est d’environ 0,5 à 1,0 kg par jour.
Suites aux difficultés budgétaires et aux restrictions
de circulation imposées par les Israéliens, le ramassage
des déchets a subi de sévères restrictions. D’une rotation
de véhicules par jour, on est passée a une rotation de
véhicules pour deux ou trois jours. L’impossibilité
d’atteindre la décharge principale a conduit la municipalité
à ouvrir deux sites provisoires à la sortie de la ville qui
posent un sérieux problème de santé publique. Plus de
70 000 tonnes de détritus sont ainsi entassés en zone
urbaine en attente de transfert vers la décharge principale.
Chaque foyer palestinien doit, en principe, acquitter
une taxe pour la collecte et le traitement des ordures
ménagères. Mais les montants récupérés par la
municipalité ne couvrent que 40% des coûts réels. Un
projet a été élaboré visant à améliorer le service de
collecte et de mise en décharge des ordures ménagères
qui nécessite un investissement d’environ 5 millions
d’euros qui devrait être pris en charge par la communauté
internationale.
Par ailleurs, 50 000 tonnes de gravats accumulées
suite aux destructions opérées par l’armée israé-lienne
doivent être collectées et transférées vers un site
spécialisé. S’ajoute à présent l’évacuation des gravats des
colonies démantelées dont le coût est à la charge de
l’Autorité Palestinienne.
LOGEMENT SOCIAL
Le logement est une autre des grandes priorités de la
municipalité de la ville de Gaza.
En 1948, fuyant l’avance des troupes du nouvel État
d’Israël le long de la côte, des dizaines de milliers de
Palestiniens se sont établis sur cette langue de sable. La
première agence de l’ONU leur a fourni à l’époque des
tentes pour une installation censée être provisoire. Plus
de cinquante ans plus tard, leurs descendants y sont
toujours. Les tentes ont simplement été remplacées par
des constructions en dur. Les pères ont transmis à leurs
enfants les clefs des maisons détruites, situées
aujourd’hui en Israël, et la mémoire (quelquefois les
anciens titres de propriété) de leur terre perdue.
Des constructions en dur ont progressivement
remplacé les tentes. Des logements exigus, à la limite de
l’insalubrité, ont succédé à l’habitat précaire Plus de 50%
des familles vivent dans des logements de une ou deux
pièces où cohabitent plusieurs cellules familiales. Sur les
60 000 logements recensés dans la ville de Gaza, 20%
seulement ont plus de trois pièces et le taux d’occupation
est, en moyenne, supérieur à 3 personnes par pièce. Pour
l’ensemble de la bande de Gaza, on estime à environ 59
000 le nombre de nouveaux logements à construire pour
réduire la surpopulation, alors que 71 000 logements
existants ont besoin de rénovation ou d’agrandissement.
Le déficit actuel de logements est encore plus important
si on tient compte du nombre de logements détruits ou
endommagés en raison des hostilités en cours, ainsi que
de ceux qui sont démolis parce que bâtis sans permis de
construire. Depuis le début de la deuxième Intifada,
environ 40 000 logements ont été soit endommagés, soit
détruits. Combler le déficit du logement prendra de
nombreuses années, à moins que le taux récent de
construction de logements, qui est en moyenne inférieur
à 10 000 logements par an, n’augmente considérablement.
Outre les problèmes financiers, la construction de
nouveaux logements se heurte au problème foncier. La
ville de Gaza, jadis bourgade alanguie entre des bouquets
de palmiers, est devenue une vaste agglomération qui
pousse en hauteur par manque d’espace au sol. Des grues
ajoutent sans cesse des étages à des immeubles coiffés
de réservoirs d’eau et d’antennes de télévision. Ce
problème pourrait trouver une solution partielle avec le
projet en cours de construction de logements sur les
terrains occupés jusqu’ici par les colonies israéliennes.
APRÈS LE RETRAIT DES COLONS
, QUEL AVENIR POUR
ISRAÉLIENS
GAZA ?5
Alors que l’armée israélienne vient d’évacuer les vingt
et une colonies de la bande de Gaza, l’Autorité
Palestinienne est confrontée à un défi majeur : relancer
l’économie sinistrée dans cette région par près de cinq
années d’Intifada.
Dans le cas contraire, rien ne pourra empêcher que
ce Territoire ne sombre dans le chaos. Consciente de l’enjeu,
la communauté internationale s’est d’ores et déjà engagée
à débloquer quelque trois milliards de dollars d’aide sur les
trois prochaines années. Mais sans le concours d’Israël,
rien ne pourra être sérieusement entrepris.
5
Près de cinq années d’Intifada ont en effet asphyxié
l’économie de cette région qui, à terme, doit devenir le
débouché maritime du futur Etat palestinien. Selon les
derniers chiffres de la Banque Mondiale, plus de 70% de
la population vit ainsi en dessous du seuil de pauvreté
avec moins de deux dollars par jour, une proportion qui
s’élevait à moins de 25% il y a cinq ans. Le chômage dans
ce Territoire frappe en outre près de la moitié de la
population active – contre seulement 15% au début de
l’Intifada – tandis que les jeunes de moins de 18 ans
constituent 60% de la population.
Le départ de la bande de Gaza des quelque 8 000
colons israéliens – certains y résidaient depuis 38 ans –
aura pour premier avantage de permettre enfin une libre
circulation dans cette région. Au plus fort de l’Intifada, et
en raison des nombreux barrages érigés par l’armée
israélienne, les Palestiniens mettaient en effet plusieurs
heures, voire dans certains cas plusieurs jours, pour
traverser du nord au sud cette bande de terre d’à peine
45 kilomètres. Bientôt libres de circuler dans Gaza, les
Palestiniens n’en ont pas moins longtemps craint que ce
Territoire ne devienne une immense prison à ciel ouvert,
coupé notamment de la Cisjordanie qui représente un
marché conséquent et où vit 70% de la population des
Territoires. Mais sous la pression de la communauté
internationale, Etats-Unis en tête –la secrétaire d’Etat
américaine, Condoleezza Rice, est personnellement
intervenue auprès d’Ariel Sharon – les autorités
israéliennes ont donné des gages pour que cette situation
ne se présente pas.
Ainsi la frontière sud de la bande de Gaza – le fameux
couloir Philadelphie, long de quatorze kilomètres – sera,
une fois le retrait terminé, sous le contrôle conjoint des
Egyptiens et des Palestiniens. Et une route sécurisée
reliera rapidement ce Territoire à la Cisjordanie, les trajets
se faisant par convois sous escorte militaire israélienne.
Le départ des colons va, par ailleurs, permettre aux
Palestiniens de reprendre le contrôle de quelque 20% du
territoire de la bande de Gaza qui échappaient totalement
à leur autorité. Longtemps incertain, le sort des
constructions érigées dans ces implantations – maisons,
bâtiments publics mais aussi serres installées sur les
terrains agricoles – a été négocié sous l’égide de James
Wolfensohn, l’émissaire américain pour les Affaires
économiques au Proche-Orient, également envoyé spécial
du Quartette qui parraine la Feuille de route, ce plan de
paix international qui doit, à terme, permettre la création
d’un Etat palestinien.
Ainsi, et même si le coût est élevé – quelque 18
millions de dollars pour le seul déblaiement des gravats
D’après l’article de Mounia Daoudi.
75
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
–, toutes les infrastructures des colonies seront détruites.
Les responsables palestiniens ont en effet manifesté leur
préférence pour cette option. La construction de bâtiments
plus élevés devrait, en plus de la relance de l’emploi dans
le secteur du BTP, permettre de répondre à l’épineux
problème du logement dans la bande de Gaza. Certains
responsables palestiniens ont également émis l’idée que
les gravats des édifices détruits pourraient servir à la
construction d’un port sur la Méditerranée. Un projet,
actuellement en négociation avec Israël, qui pourrait
également être générateur d’emplois dans cette région
si durement frappée par le chômage.
Consciente que seule une relance de l’emploi et du
pouvoir d’achat dans la bande de Gaza empêchera ce
Territoire de plonger dans le chaos, l’Autorité palestinienne
a entrepris d’assouplir sa législation pour encourager les
investissements étrangers. Le ministre de l’Economie,
Mazen Sonnokrot, a ainsi récemment annoncé que son
gouvernement était disposé à accorder 100% de droits de
propriétés à toute entreprise étrangère désireuse de
s’installer à Gaza. Il a également affirmé que toutes les
démarches administratives seraient facilitées dans cette
perspective. Selon lui, plusieurs sociétés américaines,
européennes, canadiennes mais aussi turques ont
récemment pris contact avec l’Autorité palestinienne et
se sont déclarées prêtes à investir dans différents
secteurs. «Nous espérons que ces investissements
pourraient atteindre annuellement entre 1,5 et 2 milliards
de dollars sur une période de trois ans» suivant le retrait
israélien, a notamment déclaré Mazen Sonnokrot.
Le ministre a également annoncé que le programme
de privatisation des entreprises publiques pourrait
commencer dès le début de l’année prochaine. L’Autorité
Palestinienne a en effet décidé, dans le cadre des
réformes économiques qu’elle a entreprises, d’ouvrir au
privé le capital de sociétés comme les compagnies
nationales du Ciment et du Pétrole, l’Aéroport de Gaza ou
encore la Compagnie nationale de textile et de teinturerie.
Elle espère ainsi relancer l’emploi en dynamisant ces
entreprises publiques souvent mal gérées par une
administration corrompue.
Mais tous ces projets ne pourront être viables sans
une coopération effective des autorités israéliennes qui
doivent, estiment de nombreux experts, s’engager à
assurer la libre circulation des marchandises entre les
deux Territoires palestiniens mais aussi avec l’étranger.
«S’il y a une question déterminante pour l’avenir, je dirais
qu’il s’agit des terminaux routiers», a notamment défendu
James Wolfensohn. «Investir à Gaza est impensable
lorsque vous ignorez si les matériaux peuvent y entrer ou
76
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
en sortir. Personne ne prendrait un tel risque», a-t-il
insisté.
L’une des propositions figurant dans les accords
d’Oslo était celle d’un passage «sûr» entre la Bande de
Gaza et les territoires de Judée-Samarie sous contrôle
de l’Autorité palestinienne. L’idée était qu’Israël assurerait
la libre circulation des Arabes palestiniens sur une route
au statut «extraterritorial» traversant le territoire d’Israël
anté-1967. Ce projet, impliquant de nombreux problèmes
logistiques, comme la possibilité d’infiltrations à partir
de la route, n’avait jamais été sérieusement évoqué.
Or, ce sujet revient désormais, puisque l’Autorité
Palestinienne fait de la création de ce corridor une des
conditions pour coordonner avec Israël, le bon
déroulement des opérations de retrait. Mardi dernier, des
représentants de l’Autorité Palestinienne et d’Israël ont
annoncé un accord selon lequel ce passage «sûr» serait
mis en place prochainement. Dans cet accord, les forces
israéliennes escorteraient, dans un premier temps, les
véhicules arabes entre Gaza et la Judée, sur les routes
déjà existantes. Dans une prochaine étape, Israël a
proposé de remplacer l’utilisation des routes israéliennes
par une liaison ferroviaire entre Gaza et le point de
passage de Tarkoumiya, à l’ouest de Hévron. Les
responsables israéliens ont demandé à la Banque
mondiale une aide au financement de ce projet de rail,
estimé à 175 millions de dollars.
La Banque Mondiale préfère, quant à elle, un autre
projet : une voie routière creusée à cinq mètres de
profondeur, en tranchée. Nigel Roberts, le chef de la
représentation de la Banque Mondiale en Judée-Samarie,
a dévoilé ce projet de route de 42 kilomètres de long et
de 40 mètres de large. Une voie ferrée pourrait être
installée ultérieurement entre les deux voies routières.
Le coût d’une telle voie routière construite en tranchée
serait de 130 millions de dollars, plus économique donc
que la solution ferroviaire.
Selon les révélations de Roberts, la nouvelle route
serait à ciel ouvert sur la plupart du tracé, sauf aux
endroits de croisement avec les routes existantes, où la
nouvelle voie serait alors souterraine. Tout au long de la
route, des dispositifs de sécurité seraient mis en place,
empêchant toute atteinte de l’intérieur vers l’extérieur, et
réciproquement.
Selon Roberts, les travaux dureraient 2 à 3 ans. Pour
l’instant, aucun accord sur une solution définitive n’a été
entériné. Alors qu’Israël préfère la solution ferroviaire,
l’Autorité Palestinienne penche plutôt pour la voie routière,
plus économique et plus simple à utiliser.
Pour l’heure, le ministre de la Défense, Shaoul Mofaz,
a ordonné la création d’un corps administratif qui devra
gérer le problème du passage entre Gaza et la JudéeSamarie et coordonner les différents responsables
concernés par le projet. «Après la mise en œuvre du
retrait, les couloirs de passage entre Gaza et la JudéeSamarie seront un élément économique et humanitaire
clés» a en effet déclaré Mofaz.
77
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Istanbul
PRÉSENTATION DE LA
VILLE
Istanbul, est, avec plus de 11 millions d’habitants, l’une des
plus grandes agglomérations d’Europe et du monde. Elle a
été fondée par l’empereur romain Constantin 1er sur le site
de l’ancienne colonie grecque Byzantium et nommée
Constantinople en son honneur (ce n’est que le 28 mars
1930 que le nom d’Istanbul est devenu officiel). La ville devint
la capitale orientale de l’empire romain et plus tard celle de
l’empire byzantin. Après sa chute, en 1453, Constantinople
fut incorporée à l’empire ottoman par Mehmet II le
Conquérant et en devint la nouvelle capitale. Sous Mehmet
II, Constantinople resta la capitale du monde orthodoxe et
deviendra, plus tard, le siège du califat. En 1492,
Constantinople accueillit de nombreux juifs chassés
d’Espagne par Isabelle la Catholique.
O RGANISATION POLITIQUE
ADMINISTRATIVE
ET
De l’agglomération centrale à la mégapole multi
départementale (ou région urbaine), le nom d’«Istanbul» a
aujourd’hui plusieurs résonances. En suivant un ordre de
taille croissante, le terme désigne d’abord une aire urbaine
dense, « coiffée » depuis 1984 par une « Municipalité
Métropolitaine » (M.M.). Il désigne ensuite un département
turc, dont la population est urbanisée à plus de 95% avec
la promotion d’un ancien arrondissement (Yalova, sur la rive
sud du Golfe d’Izmit) au rang de département, et la création
de nouveaux arrondissements (par subdivision d’anciens).
Enfin, « Istanbul » renvoie plus largement à une région
urbanisée qui excède les limites de la M.M. et du
département. Cette région urbanisée d’amples dimensions
(qu’on pourrait aussi appeler le Grand Istanbul), commence
seulement à être prise en compte par certains auteurs turcs,
sous l’appellation de « mégapole eurasienne ». C’est cette
troisième acception qui semble désormais la plus pertinente
et la plus fidèle aux processus d’urbanisation en cours.
À l’échelle du seul département, le représentant de
l’État central est le wali (ou préfet). Il s’appuie sur une série
de services départementaux. Ses compétences principales
concernent la police, l’état civil et le contrôle des
constructions. À un niveau inférieur, celui des trente-huit
arrondissements (ilçe) que compte le département d’Istanbul,
se trouvent les sous-préfectures (kaymakamlik), qui
constituent un simple relais du pouvoir central et de ses
services. Elles octroient notamment les permis de résidence.
À un niveau encore inférieur, les maires de quartier (muhtar)
-même s’ils sont élus par leurs administrés - peuvent être
considérés comme d’ultimes représentants du pouvoir
central.
Les «pouvoirs locaux» sont concentrés entre les mains
de la M.M., dont les pouvoirs, définis en juillet 1984 (par la
loi n°3030) semblent en voie d’élargissement. Mais la M.M.
n’a compétence que sur une partie de l’espace réellement
urbanisé, à savoir les seuls arrondissements centraux du
département d’Istanbul. Elle est dirigée par un « maire
métropolitain », élu au suffrage universel direct pour 5 ans,
et par un conseil municipal métropolitain formé des conseils
municipaux d’arrondissement. Il est à noter que les
compétences de la M.M. ont été récemment redéfinies, en
matière de construction de logements (à caractère
prétendument social), comme en matière de gestion du
patrimoine foncier public.
Créées par une loi de janvier 1984, les municipalités
d’arrondissements ont des compétences dans le domaine
de l’éducation, de la santé, de la police locale et pour l’octroi
des « permis de construction ». En outre, elles sont tenues
d’élaborer les « plans d’application » locaux du plan
d’aménagement général de la M.M., sans pouvoir prendre
d’initiative réelle. Les « municipalités locales » enfin, échelon
intermédiaire entre les mairies de quartier et les
municipalités d’arrondissement, sont davantage sous le
contrôle de la préfecture.
À l’exception de quelques menues taxes, l’essentiel
des moyens dont disposent les pouvoirs locaux procède de
l’État central. À cet égard, la mise en place d’une fiscalité
propre pour ces pouvoirs constitue une des revendications
principales du patronat turc (incarné par l’organisation
patronale dénommée TÜSIAD). Dans cet esprit d’ailleurs,
un projet de réforme des « impôts locaux » qui va dans le
sens d’une plus grande autonomisation financière, est à
l’étude mais tarde à être adopté.
Compte tenu de l’architecture actuelle des pouvoirs,
les conflits de compétence sont multiples. Notamment entre
79
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
le maire métropolitain et le conseil municipal métropolitain,
qui ne sont pas élus de la même manière et entre lesquels
deux types de légitimité s’affrontent. Les conflits sont
également nombreux entre la mairie métropolitaine et les
mairies d’arrondissement, à propos des «plans
d’application», qui doivent être en conformité avec le « plan
d’aménagement urbain» général élaboré à l’échelle de
l’ensemble de l’aire urbaine, ou de la répartition des
ressources financières. Des conflits existent, enfin, entre
les municipalités d’arrondissement et les mairies de
quartier, en fonction de la couleur politique de leurs
représentants.
Un autre obstacle au bon fonctionnement de la gestion
urbaine tient aux modifications incessantes des limites
administratives (c’est-à-dire des aires de compétence de
l’ensemble des acteurs ci-dessus énumérés). De fait, la
forte croissance urbaine, génératrice de pressions
spéculatives et d’ambitions politiques, entraîne de
perpétuelles redéfinitions des limites des quartiers, des
municipalités comme des arrondissements. Aucune
politique suivie ne peut être conduite à ces échelons, dans
ces conditions. Par exemple, les terrains non encore
officiellement urbanisés à la périphérie des arrondissements
d’Istanbul, relèvent de l’administration centrale, et non des
pouvoirs locaux immédiatement concernés. Il en résulte
que les territoires vécus et fonctionnels ne recoupent pas
les divisions administratives, mal intégrées par la population
urbaine, et toujours arbitraires et provisoires.
EAU ET ASSAINISSEMENT
Istanbul, aujourd’hui, s’étend, aujourd’hui, sur les rives du
Bosphore sur une distance de près de 100 km. Ville à cheval
sur deux continents, cette cité baigne dans l’eau et pourtant
l’eau fut et est toujours un problème crucial pour ses
habitants. Le quotidien des habitants d’Istanbul est haché
par de multitudes de coupures d’eau. Coupures qui ont
obligé les habitants à se munir de citernes et de
compresseurs pour faire monter l’eau dans les étages pour
les plus aisés.
Cette rareté de l’eau se manifeste, depuis toujours,
par la floraison, en été, des porteurs d’eau.
L’eau du robinet ne se boit pas car les canalisations
sont trop anciennes et contiennent des métaux lourds
comme le plomb. Depuis les années 90, des stations
services d’eau potable ont poussé à Istanbul comme des
champignons. Et l’on va faire son plein d’eau, flanqué de
80
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
toutes sortes de récipients comme on va faire son plein
d’essence, car l’eau est servie à la pompe à eau.
Le système d’assainissement et de traitement des eaux
usées pose un problème aussi grave que celui de l’eau
potable. Istanbul déverse chaque jour 2 millions de mètres
cubes d’eaux usées. Une grande partie de ces eaux est
emmenée loin d’Istanbul et rejetée dans une zone isolée de
la Mer Noire. Le reste, qui était autrefois déversé dans la
mer de Marmara, est déversé, depuis les années 90, dans
les cours d’eau de la région d’Istanbul. Seul un tiers de ces
eaux est traité avant d’être déversé dans les cours d’eau,
dans les bassins de Tuzla, Ömerli et Ataköy.
Et le déversement irresponsable d’ordures et de
déchets dans la mer et sur les rives du Bosphore transforme
parfois ce site en dépotoir.
Le secteur de l’eau relève de plusieurs organismes
(DSI, Iller Bank, SPO, Direction des Affaires Rurales,
ministère de la Santé, ministère de l’Environnement) ainsi
que des Municipalités. Il en résulte parfois des conflits et
plus généralement une absence de coordination dans la
conception des projets et leur réalisation.
Selon la loi relative au fonctionnement des
Municipalités, la tarification de l’eau urbaine et des eaux
usées est fixée par le Conseil Municipal. Elle se présente
sous forme d’une facture globale qui se ventile pour les 2/3
en eau potable et pour 1/3 en eaux usées. Ce tarif, qui, pour
la plupart des municipalités, ne tient pas compte de
l’inflation, ne permet qu’un retour partiel sur
investissements. Son réajustement est laissé à la
convenance de chaque municipalité (ex : la ville d’Ankara
réajuste tous les mois le tarif de l’eau conformément au
taux d’inflation, la ville d’Istanbul se base sur la variation
du dollar américain). Certaines municipalités collectent
également un montant fixe pour la location des compteurs
et l’entretien des réseaux. Le coût de l’eau potable et des
eaux usées est plus cher pour les industriels. Trois niveaux
de prix d’eaux usées sont appliqués, pour les industriels,
selon qu’il s’agit d’eaux traitées en totalité, prétraitées ou
non traitées. En ce qui concerne les Municipalités
Métropolitaines, le niveau de facturation des eaux usées
découlant d’activités industrielles, au sein du réseau public,
est fonction du niveau de pollution et des conditions in situ.
TRANSPORTS PUBLICS
Depuis le début de l’exode rural (milieu des années 50), et
a fortiori aujourd’hui, les politiques successives qui ont eu
à gérer la vie stambouliote, n’ont jamais été capables de
développer, à long terme, une politique efficace du transport
en commun dans la ville.
Pour se déplacer à Istanbul aujourd’hui, les
Stambouliotes disposent néanmoins d’un choix assez
important de moyens qui sont, par ordre d’importance :
L’autobus. Près de 3 millions et demi de Stambouliotes
en sont les usagers. Le système d’autobus est composé de
deux types de parc : les autobus municipaux fonctionnent,
comme dans les grandes métropoles du monde, par tickets
papier, abonnements mensuels ou billets magnétiques
rechargeables comme les cartes de téléphone. Les autobus
sont vétustes, mais se rendent dans les périphéries
éloignées du centre.
• Les minibus de transports des employés par leurs
sociétés. Les grandes entreprises de la ville, devant
l’inefficacité des transports en commun, organisent
des systèmes de ramassage du personnel par
quartier. À l’image des sociétés de transports
scolaires, les petits autobus loués arborent des
pancartes avec le nom des compagnies. Ce système
de déplacement transporte aujourd’hui plus d’un
million et demi de personnes par jour, mais trouve
ses limites dans son manque de souplesse ; il n’existe
qu’un aller-retour par jour, contraignant les employés
qui en bénéficient, à s’astreindre à des horaires
réguliers.
• Les trains de banlieue. Vétustes mais efficaces, ils
amènent et emportent du centre d’Istanbul vers la
périphérie plus de 100 000 personnes par jour.
• Le métro. Il existe actuellement deux lignes de métro
à Istanbul qui transportent 120 000 personnes. Ces
lignes ne sont pas transcontinentales (rive
européenne - rive asiatique), ni même trans-Corne
d’Or, ce qui explique en partie le chiffre restreint de
passagers transportés.
• Le tramway. La construction du tramway entre
Eminönü et Zeytinburnu s’est avérée être un véritable
succès, et le prolongement de la ligne est prévu pour
l’horizon 2000 vers l’aéroport. 100 000 personnes en
bénéficient quotidiennement. Par ailleurs, depuis 4
ans, on a remis en fonction le vieux tram des années
30 sur la rue commerçante d’Istiklâl Caddesi.
• Le bateau. Utilisé majoritairement pour passer d’une
rive à l’autre de la ville, mais également pour longer
les côtes, le bateau doit se frayer un chemin entre
les centaines d’embarcations et les super pétroliers
qui jonchent le Bosphore. Les transports maritimes
sont inopérants dans des conditions météorologiques
difficiles et de nuit.
• Le dolmus et les minibus. Littéralement « qui ne part
que lorsqu’il est plein », le dolmus n’est rien d’autre
qu’un taxi collectif, qui rejoint les places et quartiers
stratégiques d’Istanbul. Pour un coût relativement
modeste, les dolmus assurent le transport quotidien
de plus de 50 000 personnes. Mais comme les
voitures, bus et minibus, les dolmus sont largement
tributaires des transports routiers et de la circulation
urbaine.
Les autorités municipales d’Istanbul ont décidé, dans
le plan d’aménagement de la ville pour le XXIème siècle, de
privilégier le transport en commun par rail, et ce pour de
multiples raisons:
1 Endiguer le fléau automobile s’avère une tâche
irréalisable dans un laps de temps raisonnable, et le
rail devrait assurer, dans la mesure où il est
souterrain ou en surface sur des espaces réservés,
une rapidité et une ponctualité du déplacement.
2. Le rail, qu’il soit métro ou tramway, devrait faire
diminuer les nuisances sonores des grands axes
routiers de la ville, qui ont été, depuis 10 ans, investis
par des bureaux en remplacement des habitations,
les occupants ayant préféré fuir le bruit infernal des
moteurs et des klaxons urbains.
3. Le développement du réseau ferré devrait contribuer
à abaisser l’indice de pollution, qui est à Istanbul,
l’un des plus élevés du monde. Les causes en sont
multiples : chauffage au charbon, au bois, et manque
de contrôle anti-pollution des véhicules, qui sont,
dans bien des cas, des cheminées roulantes.
4. Une nouvelle ligne de métro sera opérationnelle
entre Levent et Taksim, sur une distance de 8 km,
ce qui devrait désengorger l’avenue qui mène de la
place Taksim à Mecediyeköy, quartier d’affaires et
de bureaux.
81
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
LOGEMENT SOCIAL
Les efforts en matière de logement ont été dépassés par
la croissance urbaine démesurée qu’a vécue Istanbul depuis
le milieu du XXième siècle. Les programmes d’aide au
logement qui ont été mis en place à cette époque étaient
trop sélectifs et entraînaient l’exclusion des groupes sociaux
les plus démunis. Les programmes de politiques publiques
se sont donc surtout reposé sur le secteur privé et le crédit.
Mais le secteur privé n’investit exclusivement que dans des
logements de luxe - plus rentables -et ne se diversifie que
marginalement vers des logements accessibles à une
population plus modeste. Par ailleurs, il n’existe pas, en
Turquie, de système de logements sociaux.
La majorité de la population n’ayant pas non plus accès
au crédit bancaire classique, le gouvernement a mis en
place un organisme financier spécialisé, la Housing
Development Administration qui distribue des prêts à un
taux bonifié. Un million de logements a pu être acquis par
son intermédiaire depuis sa création, en 1984.
Mais l’un des problèmes les plus importants découlant
de l’urbanisation rapide du pays est celui de fournir des
logements adéquats aux migrants des zones rurales. L’exode
rural amène chaque année 500 000 nouveaux habitants vers
la ville. Tous les ans, près de 1000 nouvelles rues sont créées
et des quartiers surgissent d’est en ouest. Du fait de
l’absence de système de logements sociaux en Turquie,
cette population migrante s’est progressivement installée
en périphérie de la ville dans des logements de fortune où
ils s’entassent dans l’espoir de trouver un travail. Ces
bidonvilles ou « gecekondus » sont apparus, au cours des
années 50, avec les premières occupations massives
illégales de terrains publics ou privés à proximité des zones
industrielles. Au départ solutions individuelles en l’absence
de logements accessibles aux ménages aux faibles revenus,
ces invasions ont évolué vers un marché de terrains et de
matériaux de constructions.
Peu à peu, les immeubles en hauteur ont remplacé les
maisons basses, donnant pour un temps un paysage urbain
très hétéroclite. Le souci de valoriser au maximum l’espace
disponible conduit à construire de façon très dense, en
laissant des intervalles très étroits entre les immeubles,
créant parfois des conditions de promiscuité peu en
harmonie avec les principes de l’habitat traditionnel.
Ainsi, les quartiers les plus anciens de gecekondu ont
aujourd’hui évolué vers des ensembles densément
urbanisés totalement intégrés au reste de la ville.
Cependant, ces quartiers bâtis n’ont aucune reconnaissance
administrative et il n’en existe pas de carte officielle. On
estime aujourd’hui qu’entre 2 et 4 millions de Stambouliotes
82
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
vivent en gecekondu. Et leur nombre serait en augmentation
de plus de 10% par an.
La genèse de ces habitations illégales reproduit un
schéma relativement constant. Les migrants sont tout
d’abord logés chez des parents en quartiers périphériques
auto construits ou louent des hébergements en centre-ville.
Plus tard, ils choisissent un site définitif d’auto-construction
lié à la proximité du lieu de travail ou à la présence de
parents ou de personnes de leur communauté d’origine,
mais aussi lié à l’existence d’un «marché immobilier de
l’auto-construction».
Ce marché immobilier plutôt «mafieux» est composé
de personnes servant d’écran à de grandes entreprises,
hommes politiques ou encore businessmen. Ces personnes
choisissent des terrains selon la présence d’infrastructure
routière, la proximité d’un centre-ville, et les vendent sous
forme de lots ruraux (sans aucun droit) en copropriété aux
candidats à l’auto construction. Pour trouver ces candidats,
les « personnes écrans » se servent de leurs réseaux de
compatriotes.
Les migrants se regroupent donc indirectement par
grappes d’origine commune. Ces hommes fondateurs
règlent les conflits entre acquéreurs, et évitent les doubles
ventes pour instaurer un climat de confiance (et pour
s’assurer la venue de nouveaux compatriotes). Ils sont
également intermédiaires entre les acquéreurs et les
autorités et peuvent même se transformer en leaders
politiques pour la légalisation des quartiers.
Une fois légalisée, la valeur des terrains augmente et,
avec le droit de construire, la hauteur des habitats augmente
également (on parle alors d’apartkondus) dans un objectif
de recherche de plus-value. La surface utile d’un gecekondutype est estimée à 25-30 m2, l’habitat est constitué de deux
chambres sans cuisine ni salle de bain (à la manière des
maisons rurales traditionnelles turques, lesquelles ont par
contre une surface utile moyenne de 50-60 m2).
L’accès à ces «bidonvilles» s’établit de la façon suivante:
la route principale se détache des voies desservant
différentes parties du quartier, supportant elles-même des
voies supplémentaires. On peut dire que les voies
«s’organisent» en un système arborescent. À ce système
s’ajoutent les dizaines de chemins de traverse tracés par les
passages et desservant l’intérieur des « îlots ». Une faible
partie de la voirie possède un revêtement. La plupart sont
des routes de terre, poussiéreuses en temps sec, et
boueuses par temps humide. De nombreuses maisons ne
sont pas desservies par de telles voies et ne sont accessibles
qu’à pied.
Cependant, les quartiers sont desservis par quelques
lignes de bus généralement situés du côté des zones
industrielles. Ils sont ainsi reliés au centre-ville d’Istanbul
et aux agglomérations proches. L’éclairage public est
inexistant. Il est essentiellement fourni par les habitants.
Les maisons et immeubles des gecekondus et plus
spécifiquement d’Ayazma ne sont pas desservis en eau
courante. Deux fontaines alimentent le quartier en eau non
potable. En revanche, l’eau potable est distribuée
gratuitement deux fois par mois par les camions citernes
de l’Administration des Eaux et des Canalisations d’Istanbul
(ISKI). L’évacuation eaux usées se fait directement dans la
nature ou par fosses septiques. De nombreux espaces sont
investis de déchets ménagers.
Le manque d’infrastructures et l’état sanitaire de ces
quartiers traduisent un constat alarmant. Paradoxalement,
l’activité commerciale s’y développe très vigoureusement.
Les avenues sont bordées par des rangées continues de
magasins, avec même quelques petites galeries
commerçantes.
L UTTE CONTRE
MAJEURS
LES
RISQUES
Istanbul est situé dans une région d’Europe particulièrement
exposée aux risques sismiques. Le dernier gros
tremblement de terre enregistré à Bucarest, en 1977, avait
fait 1 650 morts et environ 10 000 blessés. En 1963, celui de
Skopje avait fait 1 066 morts et détruit une grande partie de
la ville.
En 1999, deux séismes en Turquie ont fait près de 20
000 morts et coûté au pays un dixième de son produit
intérieur brut. Les scientifiques estiment à 60-70% le risque
qu’Istanbul soit frappé par un tremblement de terre majeur
dans les 30 prochaines années. Avec une population
nettement supérieure à dix millions d’habitants, un tel
événement pourrait être catastrophique, jusqu’à 30% des
quelque 900 000 bâtiments de la ville risquant de s’effondrer
entièrement.
Des dispositions légales très strictes existent en
matière de prévention mais qui ne sont pas appliquées.
En Turquie, l’assurance habitation est obligatoire depuis
1992, mais elle ne s’applique qu’aux nouveaux propriétaires.
Un projet de loi gouvernemental qui visait à rendre les
entrepreneurs responsables de la qualité des constructions
a été rejeté par la Cour Suprême. Par ailleurs, architectes
et ingénieurs peuvent exercer leur profession sans posséder
la moindre notion de construction antisismique.
Des solutions existent pourtant, mais se heurtent à
des problèmes financiers qui ont fait reculer tous les
gouvernements. S’agissant des bâtiments existants et
vulnérables, la meilleure formule consisterait à renforcer
les structures porteuses de manière à les rendre résistantes
aux séismes. Mais, étant donné le coût prohibitif de telles
interventions, il n’y a guère de chances que la totalité des
immeubles d’Istanbul puissent en bénéficier. À défaut, on
pourrait imaginer de consolider au moins les bâtiments
vitaux en cas de catastrophe (écoles et hôpitaux,
notamment). La simple évaluation des besoins dans ce
domaine coûterait environ 3 dollars par mètre carré.
La mise en conformité des immeubles en copropriété
est beaucoup plus compliquée. Il faut, tout d’abord, obtenir
l’accord de la totalité des copropriétaires. Et, même si cette
unanimité est acquise, il est difficile de réunir les
financements et d’assurer le relogement provisoire des
occupants pendant la durée des travaux. La durée de vie
moyenne des constructions en Turquie étant de 50 ans, une
solution plus radicale consisterait à éliminer
systématiquement les habitations non conformes aux
normes une fois ce délai échu.
On observe néanmoins quelques signes encourageants
dans ce domaine. De nouveaux centres de gestion des crises
ont été établis en Turquie. Les nouveaux plans d’Istanbul
signalent des itinéraires de dérivation pour les véhicules
d’urgence, des espaces pouvant accueillir jusqu’à un million
de tentes et même des lieux de sépulture d’urgence. Des
plans de préparation aux catastrophes ont été dressés -,
mais un récent exercice de simulation a effrayé tous les
participants.
83
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Tel-Aviv
PRÉSENTATION DE LA
VILLE
Au début du XXe siècle, Tel-Aviv était une banlieue verte,
satellite de la ville voisine. Elle s’est épanouie rapidement en
une grande ville florissante au rythme des arrivées des vagues
d’immigrants juifs qui fuyaient l’antisémitisme d’Europe,
d’abord de Russie, puis de Pologne et de l’Allemagne nazie.
Dans les années 1930, Tel-Aviv, devenue une grande ville
juive, faisait concurrence à Jérusalem. Alors que cette
dernière symbolisait l’histoire juive dans tout son éclat, TelAviv représentait la promesse d’un avenir de prospérité.
Dans les années 1950, Tel-Aviv rejoignit Jaffa,
l’ancienne ville portuaire située au sud, par laquelle le roi
Salomon importait des cèdres du Liban pour construire le
Temple et d’où le prophète Jonas embarqua pour son
funeste voyage. Aujourd’hui, avec près de 400 000 habitants,
Tel-Aviv Jaffa n’est que le noyau d’une vaste conurbation de
plus de 2,5 millions d’habitants, s’étendant sur 14 km le
long de la côte méditerranéenne de Richon LeZion au sud
à Herzlia et Kfar Saba au nord.
C’est à Tel-Aviv que se situent l’immense majorité des
ambassades des pays étrangers, Jérusalem n’étant pas
reconnue internationalement comme capitale du pays. La
ville blanche de Tel-Aviv est inscrite au patrimoine mondial
de l’UNESCO.
C’est, aujourd’hui, une ville entreprenante où les tours
commerciales sont de plus en plus nombreuses. La ville
s’enorgueillit également de sa culture : elle possède des
orchestres parmi les meilleurs du monde, des troupes de
danse, un opéra, un théâtre ainsi que des musées et des
galeries d’art. Tel-Aviv attire, pour cette raison, chaque
année des centaines de milliers de touristes, mais elle s’est
dernièrement taillée une réputation pour ses industries de
pointe. Les grandes sociétés de capital-risque et les
infrastructures financières ainsi que les sièges sociaux des
principales entreprises de technologie de pointe sont
localisés principalement dans la région de Tel-Aviv.
Le magazine Newsweek a récemment classé Tel-Aviv
Yafo parmi les dix premières villes aux technologies de pointe
du monde. Newsweek a également cité Tel-Aviv comme
l’une des dix premières villes du monde vers lesquelles les
jeunes émigrent. Le modèle new-yorkais est présent dans
tous les esprits. En particulier ceux qui sont aux commandes
du plan stratégique dont les travaux ont démarré en 2002
et qui vise à faire de Tel-Aviv la « Big Apple » du Moyen-
Orient. À preuve le modèle proposé d’un urbanisme vertical
qui permettrait de dégager une ligne d’horizon faite de
silhouettes de gratte-ciels semblables à celles qui se
dessinent lorsque l’on approche de la grande ville
américaine.
Cette ambition doit être cependant tempérée par les
nombreux problèmes que rencontre la ville dont certains sont
liés à la crise économique que connaît le pays depuis plusieurs
années et d’autres plus spécifiques à la ville elle -même.
ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
La décentralisation en Israël date de 1971, année qui
marque la promulgation de la loi relative au conseil
municipal qui régit les collectivités locales israéliennes et
définit leurs compétences et les modalités d’élections. C’est
à la fin des années 70 que les premières élections locales
se sont déroulées ; elles confèrent un mandat de 5 ans aux
maires et présidents des « local councils » et « regional
councils ». Ces trois entités locales ne représentent qu’un
seul niveau de collectivités locales dont les compétences
sont identiques et portent sur les services publics de
proximité : développement urbain, eau, environnement,
sécurité, éducation.
Tel-Aviv est administrée par un conseil municipal élu
à la proportionnelle et qui élit en son sein un Maire choisi
en fonction des rapports de force politiques qui se dégagent
du processus électif. La ville dispose, en principe de pouvoirs
étendus en particulier sur les services publics urbains. Mais
comme c’est souvent le cas en Israël, ces pouvoirs sont
souvent interprétés de façon restrictive par le gouvernement
central.
Des coopérations existent déjà avec les autres
communes de l’aire métropolitaine en particulier dans le
domaine éducatif ou celui de l’assainissement.
La ville, qui dispose déjà de pouvoirs étendus, souhaite
obtenir une plus grande autonomie dans la gestion
municipale, et en particulier une plus grande autonomie
financière en matière de fiscalité locale, d’endettement ou
85
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
de participation de la ville à des opérations de privatisation
de certains services publics sous forme de BOT6. Elle
souhaite également une plus grande liberté d’action en
matière d’environnement, d’infrastructure et de transport.
À l’inverse, la création d’une entité administrative et
politique englobant l’ensemble des communes de l’aire
métropolitaine de Tel-Aviv ne semble pas être à l’ordre du
jour. La ville souhaite, par contre, le renforcement de la
coopération avec les communes environnantes en matière
économique et environnementale. Elle propose également
d’engager des discussions sur la création d’une autorité
unique en matière de transport (Metropolitan Transport
Authority).
EAU ET ASSAINISSEMENT
Israël est confronté, comme ses voisins, à un problème
crucial de manque d’eau et de détérioration de la qualité
des ressources. Leur utilisation maximale et l’augmentation
prévisible à long terme des besoins ont conduit le
gouvernement central à multiplier les initiatives visant un
accroissement rapide des ressources disponibles.
Les sources d’eau en Israël sont limitées tant par le
climat du pays que par sa géographie et son hydrologie.
D’autres facteurs tels que le faible relief et la rareté des
réservoirs naturels contribuent à accentuer la complexité de
l’approvisionnement en eau. Les deux tiers du potentiel annuel
en eau potable proviennent de trois principaux réservoirs :
• le lac de Tibériade, seule réserve en surface (1/4 des
ressources),
• et les deux principales nappes phréatiques, la nappe
côtière qui s’étend sur 120 kilomètres, du Carmel
jusqu’à la bande de Gaza et la nappe montagneuse
qui se situe à l’est de la plaine côtière
• et s’étend des Monts Carmel au sud de Beersheva
(1/5 des ressources chacune).
Les sources naturelles, spécialement dans le nord du
pays, sont la troisième ressource principale d’eau potable.
Les ressources naturelles sont de 1 750 millions m3
en moyenne par an, auxquels s’ajoute le recyclage des eaux
usées (environ 300 millions m3), et le traitement des eaux
de pluies et saumâtres (environ 150 millions m3). Elle est
juste suffisante pour satisfaire une demande estimée à 2
000 millions de m3. Et la consommation devrait continuer
d’augmenter en raison de l’arrivée massive de nouveaux
immigrants, de la croissance naturelle de la population et
de l’accroissement du niveau de vie.
6 Build-Operate-Transfer.
86
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Les niveaux des eaux de toutes les ressources d’eau
douce du pays sont très souvent bien en dessous des «
lignes rouges ». Ces limites, fixées par le Commissariat à
l’eau, déterminent les niveaux minima en dessous desquels
il existe un risque de forte détérioration. Cependant, la
pluviométrie atypique des hivers 2002 et 2003 a eu un impact
positif sur ces limites. Ainsi, les « lignes rouges » du lac
Kinneret ont été rehaussées de 11 centimètres.
Les nappes phréatiques trop peu renouvelées sont
menacées. La proximité de l’aquifère côtier des zones les
plus peuplées en fait la nappe la plus exploitée mais aussi
la plus polluée. La pollution de l’eau est notamment très
importante dans la région de Dan (zone métropolitaine de
Tel-Aviv), qui se fournit essentiellement dans cette nappe.
Outre le taux de salinité important, les principaux polluants
sont les nitrates, divers micro-organismes, les détergents,
et le chrome. Par ailleurs, les plus grands dangers pour la
nappe intérieure sont l’augmentation de la salinité due à la
surexploitation et l’absence de traitement des déchets.
Sous le contrôle des ministères compétents, la
municipalité de Tel-Aviv est responsable du traitement et
de la distribution de l’eau à l’intérieur de la ville, ainsi que
de l’évacuation et du traitement des eaux usées. La
municipalité peut également recourir à des sociétés privées
pour le traitement de l’eau. La région («district») facilite
simplement la coordination administrative entre les deux
échelons précédents, mais les municipalités se regroupent
de plus en plus en «association de villes» afin de coordonner
leurs efforts.
L’eau de Tel-Aviv provient de la Conduite nationale, qui
puise l’eau potable dans le lac de Tibériade, au lieu dit « Site
Sapir ». L’eau parcourt alors environ 120 kilomètres jusqu’à
Tel-Aviv. La production d’eau potable, sa distribution et le
traitement des eaux usées sont confiés à l’entreprise
nationale Mekorot.
La réforme dans le secteur de l’eau a conduit à une
réorganisation importante de l’entreprise en 2004. Une
nouvelle société holding a été créée : Mekorot Holding,
entièrement contrôlée par l’Etat. Cette holding gère trois
filiales, Mekorot Water Supply en charge du conduit national
d’eau, Mekorot Water Solution qui assure le développement
des projets, notamment le dessalement de l’eau, l’irrigation
et le traitement des eaux polluées, et Mekorot Assets qui
est en charge de la gestion des actifs de l’entreprise.
Mekorot assure 65% de la production et du transport
de l’eau en Israël, le reste l’étant par des collectivités
agricoles et certaines municipalités. Elle a construit la
Conduite Nationale d’Eau, l’un des plus importants projets
d’infrastructure en Israël (130 km de canalisations, tunnels
et réservoirs) qui permet de conduire l’eau du lac de
Tibériade, vers le Centre et le Sud. Sa capacité moyenne est
de400 millions de m3 par an. Mekorot surveille la qualité
de l’eau et traite les eaux usées en dehors des villes.
Malheureusement le manque d’eau affecte l’agriculture
et l’industrie, et trouver des solutions reste une priorité
majeure. De nombreux projets ont été étudiés pour résoudre
le problème. Un projet suggérait par exemple d’importer
de l’eau de Turquie, qui en a en abondance, mais il n’a pas
abouti.
Les solutions qui sont actuellement mises en œuvre
sont le recyclage des eaux usées et la désalinisation de l’eau
de mer.
À Tel-Aviv, la pénurie en eau est particulièrement
ressentie. C’est aussi l’une des régions où la réutilisation
agricole des effluents urbains est la plus pratiquée. Environ
20% des eaux usées de Tel-Aviv et des municipalités voisines
sont infiltrées et rechargent les nappes souterraines. La
réglementation y est très stricte et inspirée du modèle
californien. Ce projet concerne 1,3 million de personnes. La
méthode de recharge des eaux souterraines, développée et
pratiquée avec succès dans le projet est apparentée à un
traitement par infiltration dans le sol qui permet une
purification de l’eau et conduit à un stockage saisonnier et
pluriannuel. Les principaux procédés de purification qui ont
lieu dans le système d’infiltration sont : la filtration lente
sur sable, l’absorption, l’échange d’ions, la dégradation
biologique, la précipitation chimique, la nitrification, la
dénitrification et la désinfection. L’excellente qualité de l’eau
traitée obtenue convient à de nombreux usages tels que
l’irrigation agricole de produits consommés crus, les
utilisations industrielles, ou encore les utilisations
municipales (alimentation des chasses d’eau, arrosage des
pelouses).
Actuellement, 70% du volume total des eaux usagées
produites en Israël (400 millions de m3) sont traités. La
plupart des habitants de Tel-Aviv sont connectés à un réseau
d’assainissement. Mais celui-ci est ancien et demande à
être rénové.
La principale station d’épuration de Tel-Aviv est située
à Shifdan. Mais cette station, qui traite également l’ensemble
des eaux usées de la région de Dan (incluant Tel-Aviv) a,
pendant 20 ans, déversé prés de 15 000 m3 de résidus
organiques et toxiques par jour dans la Méditerranée. Et
ceci en dépit des engagements pris au plan international
(Convention de Barcelone). Cette pratique a été interdite
par le Ministère de l’Environnement fin 2004. L’orientation
actuelle est de mettre en œuvre les techniques de
séparation et de compostage qui sont appliquées dans
d’autres grandes villes israéliennes.
Les contrôles effectués par le ministère de la Santé sur
des plages révèlent régulièrement des quantités quatre fois
plus élevées que la norme permise de bacilles coliformes,
premier polluant organique de l’eau. Et de nombreuses
industries particulièrement polluantes continuent de déverser
leurs déchets chimiques dans la mer.
Le distributeur d’eau israélien Mekorot a prévu
d’investir 600 millions de dollars entre 2003 et 2005. 40%
de cet investissement concernera l’assainissement d’eau
dans l’agglomération de Tel-Aviv. Les 60% restants
concerneront le raccordement de 5 usines de désalinisation
au réseau d’eau, la construction de nouveaux réservoirs et
l’installation de pompes.
En Israël, la politique de gestion de l’eau est conduite
au niveau national, même s’il incombe aux municipalités
d’en assurer la distribution.
Le programme national, initialement prévu pour
surmonter en 10 ans l’insuffisance à venir des ressources,
ainsi que pour renflouer les aquifères surexploités, a été
repensé pour privilégier dans l’immédiat, de grandes unités
de dessalement. Le gouvernement israélien a décidé la mise
en place de2 usines de dessalement d’eau de mer, l’une à
Ashkelon (capacité 120 millions m3) la seconde à Hadera
(capacité 100 millions m3), en faisant appel notamment à
l’investissement privé.
En 2002, Veolia Water et ses 2 partenaires israéliens,
Israël Desalination Engineering et Dankner, ont remporté
le contrat BOT de l’usine de dessalement d’Ashkelon, situé
au sud de Tel-Aviv. Avec une capacité de 320 000 m3 par
jour, cette usine est l’une des références les plus
importantes au monde dans le domaine du dessalement
d’eau de mer par osmose inverse. Le contrat, d’une durée
de 25 ans, porte sur le financement, la construction et
l’exploitation de l’usine. L’usine sera livrée fin 2005 en deux
tranches successives d’une capacité de 50 millions de m3
chacune. L’eau de mer alimentant l’usine sera fournie par
des canalisations posées en fond de mer. Ce sont 1,4 million
d’habitants qui seront desservis.
Le contrat prévoit d’importantes économies d’échelle
grâce à une meilleure maîtrise du coût de production de
l’eau par dessalement, via le process d’osmose inverse
développé par Veolia Water.
L’investissement est d’environ 110 millions d’euros et
l’ensemble représente un chiffre d’affaires de800 millions
d’euros sur 25 ans. L’eau produite, selon les prévisions
établies, coûtera quelque 0,52dollar le mètre3, soit à peine
plus cher que le prix habituel, qui est actuellement d’environ
0,45 dollar le mètre3.
Une fois l’usine achevée, la production couvrira environ
14% des besoins en eau israéliens. Plusieurs appels d’offres
devraient être lancés pour développer des capacités de
87
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
production de dessalement d’eau de mer et de traitement
de l’eau saumâtre encore plus importantes.
D’autres opportunités de développement de la
ressource continueront également d’être exploitées comme
le traitement des eaux polluées des nappes phréatiques, la
réhabilitation des puits pollués, le traitement des effluents
de même que l’assainissement des canalisations et la
centralisation des réseaux d’égouts.
On comprend également que dans la situation politique
que connaît Israël, la question de l’eau rejoigne les questions
de sécurité nationale.
À titre d’exemple Tel-Aviv a connu une grave menace
en 2001 où une pollution à l’ammoniaque d’origine suspecte
a conduit à l’interdiction totale de consommer l’eau sous
quelque forme que ce soit. Cette pollution, dont on ne sait
toujours pas aujourd’hui si elle est d’origine criminelle ou
accidentelle, a été rendue possible par les branchements
illégaux qui sont légions sur l’ensemble du réseau de
distribution. Aujourd’hui des mesures sont prises pour
sécuriser un réseau qui pourrait être une cible potentielle
d’attaque terroriste envers les populations israéliennes.
Cette situation explique donc également les difficultés de
trouver des informations précises sur l’organisation du
système d’approvisionnement en eau de la capitale d’Israël.
C OLLECTE
DÉCHETS
ET TRAITEMENT DES
La production de déchets à Tel-Aviv est l’une des plus
élevées du pays. La moyenne israélienne est de
1.6 kg de déchets par jour et par personne, mais dans
la ville de Savion proche de Tel-Aviv, il est produit près de
4,6 kg par personne et par jour. À Tel-Aviv, même si la
production de déchets est passée de 3,27 Kg a 2,75 Kg, on
est encore bien au-dessus des moyennes nationales.
Jusqu’en 1998, les déchets de Tel-Aviv étaient déposés
dans la déchetterie d’Hiriya à l’est de la ville, dans un espace
ouvert à la confluence de la rivière Shappirimm (vers le sud)
et de la rivière Ayalon (vers le nord). Cette déchetterie a été
utilisée comme dépôt des déchets solides municipaux par
l’agglomération de Tel-Aviv pendant quatre décennies,
jusqu’à former une montagne de déchets industriels et de
déchets de matériaux de constructions.
La montagne s’est élevée dans des proportions
impressionnantes couvrant de nombreux hectares et
atteignant une hauteur de 60 m surplombant ainsi les
paysages agricoles alentours.
88
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
La décharge fut finalement fermée, durant l’année
1998, suite aux années de pression de l’opinion publique, à
cause des oiseaux qui utilisaient l’endroit pour nicher et se
reproduire, et causaient des dangers pour les avions
désireux de se poser à l’aéroport de Ben-Gurion, dont les
pistes se situent dans l’axe de la décharge.
La fermeture de ce site jusqu’alors très exploitée par
l’agglomération de Tel-Aviv a posé un certain nombre de
problèmes dans la gestion du stockage des déchets solides
municipaux.
Aujourd’hui, le site d’Hiriya, l’un des dix sites contrôlés,
n’est plus utilisé que comme station de transfert des
déchets en partance pour Ganey Hadas, dans le sud du pays.
Un projet a été envisagé visant à «exporter» les déchets
domestiques accumulés aux portes de Tel-Aviv en
Cisjordanie (voir encadré).
Le caractère exigu du territoire israélien a conduit le
gouvernement à encourager le recyclage et l’élimination
des décharges qui, même contrôlées, créent de multiples
nuisances pour l’environnement. Plus de 20% des déchets
sont actuellement recyclés. Le gouvernement encourage
également le développement de nouvelles technologies pour
un traitement écologique des déchets.
Le projet ORMA financé par l’UE s’est concentré sur
l’application des principes du parc éco-industriel (EIP - Eco
Industrial Park) dans le contexte des zones rurales à faible
activité industrielle. L’un des principaux aspects du projet
était la gestion des déchets et le cycle des déchets en
général. Le but était de parvenir à une méthode écologique
de gestion des déchets, susceptible en outre de générer des
sous-produits intéressants. Un procédé a été développé qui
repose sur une série d’étapes de séparation et de filtration,
en plus d’utiliser les propriétés de biodégradation de l’eau.
Cette technologie permet de transformer les matériaux de
rebut en matériaux recyclables (le plastique et le verre, par
exemple), en énergie dérivée du biogaz, en gaz naturel et
en engrais.
Projet de transfert des déchets de Tel-Aviv
en Cisjordanie
Un article du quotidien israélien Haaretz, daté d’avril
2005, fait état d’un projet des sociétés israéliennes de
traitement des déchets visant à « exporter » les déchets
domestiques de Tel-Aviv en Cisjordanie. Ces déchets, qui
constituent une montagne aussi « artificielle
qu’inesthétique » aux portes de Tel-Aviv, pourraient servir
à boucher les carrières de pierre creusées par Israël
dans les territoires occupés. Le plan élaboré par des
compagnies privées viserait à déposer les ordures dans
une carrière à proximité de Naplouse.
Toujours d’après ce quotidien, ce projet violerait les
traités internationaux interdisant que la puissance
occupante fasse une quelconque utilisation d’un territoire
occupé, sauf si cette utilisation bénéficie à la population
locale. Les experts en pollution craignent que les déchets
accumulés ne menacent les sources d’eau potable en
Palestine. Haaretz a appris que, bien que le ministre de
l’Environnement n’ait pas encore approuvé le projet de
dépôt, et bien que l’administration civile ait donné l’ordre
de stopper les travaux, les bulldozers étaient toujours
en train de travailler sur le site.
TRANSPORTS PUBLICS
L’un des plus gros problèmes auxquels les habitants de
Tel-Aviv doivent faire face est celui du transport. La forte
concentration des activités au centre de la ville crée des
problèmes permanents de congestion du trafic, avec son
cortège de problèmes liés à la pollution de l’air et du bruit.
Ce problème n’est pas propre à Tel-Aviv et affecte également
les autres grandes villes du pays, dont Jérusalem.
Le gouvernement israélien et les municipalités
concernées se sont lancés dans les projets de transport en
site propre réalisés en BOT. Le type de contrat qui est
proposé aux concessionnaires privés élimine le risque lié à
la demande, l’enchère ne portant pas sur le péage. En fait
l’autorité concédante choisit un plafond de péage.
L’entreprise moins disante, la gagnante de l’enchère, est
celle qui demande la valeur actualisée des péages la plus
faible. Et il est prévu que la concession s’arrête lorsque cette
valeur est atteinte. La durée de la concession s’ajuste donc
à la réalisation des péages.
Le projet tramway de Tel-Aviv, autrement dit Red Line,
est constitué de deux lignes de 22 et 24 km, avec 8 km de
tunnels, dans l’agglomération du grand Tel-Aviv, de Petah
Tikvah à Bat Yam en passant par le quartier des affaires de
Tel-Aviv. Seule la première ligne est actuellement envisagée.
Le projet est évalué à 1,2 MUS$ et les travaux pourraient
débuter en 2006 pour une mise en service programmée en
2009.
Ce projet est d’autant plus attendu par la population
que la pollution de l’air atteint des niveaux très élevés du fait
du développement rapide du trafic automobile. En décembre
2000, le niveau de pollution à Tel-Aviv était tellement élevé
que les instruments de mesure n’ont pas pu enregistrer les
informations. Ce problème n’est pas propre à Tel-Aviv ; il
touche l’ensemble des villes israéliennes. Ainsi, la pollution
de l’air a atteint un tel niveau à Jérusalem qu’il est prévu
qu’en 2010 elle atteindra, si elle n’est pas enrayée, les niveaux
enregistrés actuellement à Mexico.
LOGEMENT SOCIAL
La Ville de Tel-Aviv est une ville moderne, qui attire chaque
jour de nouveaux arrivants. Cette cité enplein développement
est cependant marquée et confrontée à de grandes
disparités spatiales dues auxécarts de niveaux de vie entre
certains habitants.
Dans le nord de la ville, des gratte-ciels somptueux
hébergent les populations aisées alors que les quartiers du
sud abritent les classes moyennes et les bas revenus.
Cependant, s’il n’existe pas vraiment de modèle de
bidonville classique à Tel-Aviv, on observe un phénomène
de squat contestataire dû à la précarisation des emplois et
à la situation économique.
En effet, beaucoup de chômeurs se rassemblent dans
des quartiers riches et montent des campings a fin de protester.
Un camping des chômeurs et des sans-logis s’est
installé en 2002 dans l’un des quartiers les plusriches de
la métropole : sur Kikar Medina (place de l’Etat), rebaptisée
Kikar Halehem (place du pain).Ce campement a tenu un an
avant d’être évacué récemment, en pleine nuit.
Autre exemple de précarité, le cas de Lod située à
quelques kilomètres de Tel-Aviv, qui compte 74 000
habitants, dont un quart sont les descendants des Arabes
demeurés sur place en 1948 lors de la création d’Israël, ou
des Bédouins chassés de leurs terres au sud du pays. Un
mur de béton de 4 m de haut sépare Lod de la ville. Comme
pour les cinq autres villes «mixtes» du pays, l’intention est
de limiter le trafic de drogue, de séparer physiquement les
Arabes des juifs de la ville.
89
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
UN AUTRE MUR CONSTRUIT AU CŒUR DE
LA VILLE MIXTE DE LOD,EN BANLIEUE DE
TEL-AVIV, A FAIT DU QUARTIER ARABE UN
GHETTO
La ville de Lod est l’une des plus pauvres du pays. La
municipalité affiche un déficit de 40 millions d’euros. Un
sondage récent montrait que 60 % des habitants juifs de
la ville se disaient prêts à quitter Lod s’ils en avaient les
moyens. La population juive, composée pour une bonne
part d’immigrants russes et éthiopiens, subit de plein
fouet la crise économique de ces dernières années. Par
ricochet, la population arabe, traditionnellement plus
démunie, se paupérise. Répartis dans cinq quartiers,
dont la « vieille ville », démantibulée dans les années
1970 et 1980 par une politique d’urbanisation sauvage,
les Arabes de Lod ressentent, davantage encore que les
Arabes israéliens des autres villes mixtes, une
discrimination soulignée par toutes les statistiques.
Ce phénomène de ghettoïsation s’est renforcé, il y
a quelques mois, avec le chantier du «mur de Lod» et
s’est accéléré en mai, lorsque sont apparus, à l’entrée
et à la sortie du quartier stigmatisé de Shanir, deux
check-points. Depuis lors, trois policiers installés derrière
une table sous un parasol surveillent 24 heures sur 24
les allées et venues des habitants. Ils contrôlent les
papiers d’identité, exigent des automobilistes les raisons
de leur visite sur place et relèvent le numéro
d’immatriculation du véhicule. On est loin de la
sophistication de la « clôture de sécurité » qui barre le
passage entre Israël et la Cisjordanie, mais l’impression
de quitter un monde pour un autre est la même.
Car Shanir a beau abriter quelque 3 000 citoyens
israéliens, l’endroit s’apparente davantage à une
«réserve» qu’à un véritable quartier. Ici, depuis des
années, les constructions ont poussé en toute illégalité,
faute de terrains disponibles pour les Arabes.
Régulièrement, des destructions sont ordonnées; en
2003, quinze maisons ont été rasées.
Les services municipaux n’y procurent ni ramassage
des ordures ni transports publics. À tous les coins de
rue, des tas d’immondices brûlent à petit feu. Les
habitants ont payé de leurs deniers l’asphalte de la seule
route carrossable du quartier. Un labyrinthe de fils
électriques apporte le courant d’on ne sait où. Des
associations ont dû remuer ciel et terre pour que le
chemin de terre, qui mène à l’unique crèche du quartier,
soit recouvert de cailloux.
Officiellement, le dispositif policier a été mis en
place autour de ce quartier délabré pour lutter contre le
90
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
trafic de drogue, principale source de revenus pour
nombre de jeunes au chômage. «Comme dans tous les
quartiers défavorisés du monde, le trafic de drogue a fait
florès ici», reconnaît Maha Al-Nakib. Pour appuyer ses
dires, la jeune travailleuse sociale montre des flèches
peintes en rouge et en vert sur les murs de Shanir : les
«planques» des trafiquants. «Depuis l’installation des
check-points, les vendeurs se sont installés dans un
autre endroit de la ville, mais les problèmes demeurent.
Ces quartiers ont besoin d’une vraie politique sociale;
au lieu de cela, il leur manque des centres sociaux, des
crèches, des écoles et des places dans l’unique lycée
arabe de la ville». Il y a un an, une école a quand même
été inaugurée dans l’un des quartiers arabes voisins de
Shanir; un poste de police s’est installé dans les locaux
initialement prévus pour la bibliothèque. Sollicité, le maire
(Likoud) de la ville, n’a pas souhaité s’exprimer sur sa
politique.
Aref Mohareb, l’un des trois conseillers municipaux
arabes sur les 19 que compte la ville, regrette, pour sa
part, «l’abandon» dans lequel ses concitoyens arabes
sont tenus. «D’année en année, la discrimination est de
plus en plus patente, car à Lod la population arabe
augmente et les juifs pensent que nous mettons la ville
en danger. D’une manière ou d’une autre, ils
souhaiteraient nous voir partir». Un projet de
«rejudaïsation» de Lod, défendu, notamment, par des
colons de Cisjordanie, prévoit de créer un quartier juif
en plein cœur de la vieille ville, en y amenant 150 familles.
»
LE MONDE – 21 avril 2004
LUTTE CONTRE LES RISQUES MAJEURS
Israël est, comme les Etats voisins, exposé à de nombreux
risques naturels aux premiers rangs desquels le risque de
pollution marine et le risque sismique. Le risque sanitaire
existe également avec, en particulier le risque d’infection
par le virus West Nile, également appelé virus du Nil
occidental qui est une zoonose qui infecte l’homme
accidentellement, essentiellement par piqûre de moustique
infecté.
Ces deux principaux types de risques sont décrits ciaprès. On a illustré les stratégies mises en place au niveau
municipal en prenant l’exemple de la municipalité de Rishon
LeZion qui fait partie de l’aire métropolitaine de Tel-Aviv.
• Traitements par insecticide dans les cas de détection
d’un nombre anormalement élevé de moustiques.
• Campagne invitant le grand public à se protéger
contre les piqûres de moustique et à informer la
municipalité pour le cas où des symptômes
ressemblant à ceux de la maladie surviendraient. Une
«hot line» municipale est dédiée à cet effet.
Le public est également invité à évacuer l’eau des toits
et des abris et à se débarrasser des vieux pneus et autres
récipients pouvant favoriser les concentrations de
moustiques. Un budget de 40 000 euros par an est consacré
à l’information et la sensibilisation du public.
Risque sismique
A la lumière d’événements récents, la municipalité de
Rishon LeZion a décidé de tester le niveau de préparation
de ses services et des services de l’Etat dans l’éventualité
d’un tremblement de terre. La municipalité a également
mis au point un plan de prévention concernant les normes
applicables aux constructions nouvelles et une incitation au
renforcement des structures existantes. Une enquête portant
sur 1 000 bâtiments existants a ainsi été menée. Des
exercices d’alerte ont également été organisés.
Risque sanitaire
Des actions de prévention et de sensibilisation ont été
menées par la municipalité de Rishon LeZion pour
empêcher la propagation de la fièvre occidentale du Nil.
Cette fièvre est provoquée par un virus que l’on trouve sur
les oiseaux et qui est transmis aux humains par des
morsures de moustiques. Pour un nombre restreint de
personnes infectées, particulièrement âgées ou malades
chroniques, la fièvre peut conduire à des complications et
au décès. Il n’existe, à ce jour, aucune vaccination ni aucun
médicament spécifique pour traiter cette maladie.
En 2000, la fièvre a causé 30 décès et 450 personnes
gravement malades ont été recensées. En 2002,seulement
2 décès et 34 cas de maladie ont été enregistrés. La
réduction des décès et des malades est due aux efforts
déployés par le gouvernement et particulièrement par les
autorités locales.
La municipalité de Rishon LeZion déclenche tous les
ans, après la saison des pluies, un plan de
prévention afin de limiter le risque de propagation du virus :
• Élimination de toutes les sources potentielles d’eau
stagnante.
• Surveillance hebdomadaire dans chaque source
d’eau.
91
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Tunis
PRÉSENTATION DE LA
VILLE
Fondée en 698 par Hassen Ibn Nooman, vainqueur des
Byzantins, Tunis s’est substituée à Carthage. Dédaignant le
site de Carthage exposé aux attaques par la mer, la ville fut
fondée sur une colline. Située au fond d’une lagune de faible
profondeur qui interdisait les attaques par la mer, et
protégée à l’Ouest par des falaises difficilement accessibles,
elle représentait un site défensif.
La ville se développa sur le versant Est de la colline et
ne fut instituée capitale que cinq siècles après Kairouan et
Mahdia.
Entourée par des remparts, Tunis a amorcé, à partir
du XIe siècle, son développement au-delà de l’enceinte avec
l’apparition des faubourgs Nord et Sud. Initialement simples
noyaux, ces faubourgs prirent un caractère urbain au XIVe
siècle. Avec l’installation du protectorat en 1881, Tunis, qui
comptait 100 000 habitants fut dédoublée par une ville
européenne organisée selon une trame orthogonale. Cette
nouvelle expansion entraîna, vers les années 1920, un
déplacement des fonctions urbaines de la Médina vers la
ville coloniale. Cette marginalisation de la Médina, conjuguée
à un fort exode rural, entraîna à partir des années 30 sa
«taudification».
Avec le rétablissement, en 1956, d’un Etat souverain,
Tunis récupère, acquière ou développe d’importants pouvoirs
de décision en matière politique, administratif, financière
et économique.
Au cours des vingt dernières années, l’agglomération
de Tunis a connu un infléchissement de sa croissance
urbaine, accompagné paradoxalement d’un étalement
spatial important. La superficie urbanisée, qui atteint les
25 000 hectares, a une amplitude spatiale de 50 kilomètres
du nord au sud, le Grand Tunis est situé dans l’épicentre
d’une région à fort potentiel économique, où l’industrie,
l’agriculture et le tourisme constituent des secteurs
dynamiques.
Outre ces fonctions économiques, le Grand Tunis est
entouré par des villes moyennes qui jouent un rôle important
à l’échelle de la région. Ainsi, à 60 kilomètres au nord et au
sud, les villes de Bizerte, pôle industrialo-portuaire, et celles
de Nabeul-Hammamet, pôles touristiques, sont articulées
à la capitale par des infrastructures autoroutières.
L’amplitude spatiale du Grand Tunis, qui compte
aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants, et une croissance
de 1,9% a été à l’origine d’une nouvelle stratégie
d’organisation visant à faire du Grand Tunis un espace
métropolitain structuré. Le schéma directeur
d’aménagement du Grand Tunis à l’horizon 2016, élaboré
entre 1995 et 2000, a défini les principaux attributs de
l’évolution du Grand Tunis, d’une agglomération à une
métropole. Ce schéma directeur d’aménagement, en
rappelant le rôle des villes dans le cadre de la mondialisation
comme les têtes de ponts de vastes réseaux d’échanges, a
privilégié le renforcement des services, des activités
économiques et des fonctions culturelles en vue de doter
Tunis d’attributs internationaux.
ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE
Le système politico-administratif tunisien est caractérisé
par une forte centralisation et par la prégnance de pratiques
administratives sectorielles.
Le territoire tunisien est découpé en 24 gouvernorats
et chaque gouvernorat est découpé en plusieurs délégations.
Ce système de découpage couvre la totalité du territoire. Le
Grand Tunis couvre les gouvernorats de Tunis, de l’Ariana,
de Ben Arous et de Manouba. Les gouverneurs sont
nommés par le président de la République.
Aux côtés de l’exécutif, représenté par le Gouverneur,
le Conseil Régional élabore le plan régional de
développement, arrête le budget de fonctionnement et
d’investissement du gouvernorat et veille à la gestion du
patrimoine de la collectivité publique. Le gouverneur est
responsable de l’exécution des décisions du Conseil
Régional.
Les conseils locaux de développement sont des
organes consultatifs à la disposition du Conseil Régional.
Ils sont composés des présidents des municipalités et de
représentants de l’administration.
Enfin, les conseils municipaux établissent le projet de
plan d’aménagement urbain, votent le budget et fixent les
actions à entreprendre en vue du développement de la
collectivité, conformément au plan de développement
93
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
élaboré au niveau régional. Leurs marges de manœuvre
sont très limitées. Les conseillers sont élus au scrutin de
liste. Le conseil municipal de la ville de Tunis se compose
de 60 membres dont 20 assistants élus par le conseil après
sa prise de fonctions.
Les maires sont élus parmi les conseillers municipaux
à l’exception du Maire de Tunis qui est désigné par décret
parmi les membres du Conseil municipal. Le Maire est, en
particulier, responsable du fonctionnement des services
publics municipaux.
Ainsi, les communes sont placées, pour la plupart
d’entre elles, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et
des Gouverneurs. Le faible rôle joué par les communes est
illustré par leurs dépenses totales qui ne représentent que
4 à 5% des dépenses de l’Etat. Ainsi, la réalisation
d’équipements socio-collectifs ou d’infrastructures est du
ressort des établissements publics centraux dépendant de
l’Etat.
STRATÉGIE URBAINE
En 1956, Tunis représentait une ville de 560 000 habitants,
structurée autour de quatre types de tissus urbains :
• La Médina, transformée en un quartier taudifié
• La ville européenne devenue le centre directionnel
• Les gourbivilles concentrés aux abords immédiats
de l’espace central
• Les cités de recasement situées dans l’espace
périurbain.
Au cours des 40 dernières années, les effets conjugués
des politiques urbaines, notamment la politique du logement
et l’amélioration du niveau de vie et des modes de
consommation de la population, se sont traduits par une
redistribution de la population qui a entraîné un
dépeuplement du centre, et l’installation de la population
dans les zones périphériques. Cette évolution marque, du
point de vue spatial, le passage de Tunis du caractère de
ville à celui d’une agglomération.
Les besoins d’extension ont nécessité la mise en œuvre
de vastes programmes urbains sous forme de nouveaux
lotissements dont certains occupent de vastes superficies.
C’est le cas des Berges du Lac Nord de Tunis dont le projet
s’étale sur 1 300 ha dont 500 ha ont été gagnés sur la mer
et dont les travaux ont commencé au début des années
1980, avec la participation de capitaux saoudiens. Le site et
la nature du sol ont fait que la zone fut réservée aux couches
94
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
aisées. Les Berges Nord du Lac sont devenues, en l’espace
d’une vingtaine d’années, un pôle central important abritant
les activités les plus modernes et rivalisant avec le noyau
central ancien attirant les marques internationales de
couture, de parfumerie et de mode (Benetton, Chevignon,
Celio, J. Dessange, Chicco, Infinitif,…) et les représentations
internationales avec les ambassades de plusieurs pays.
La réussite du projet des Berges Nord a poussé les
autorités à l’aménagement des berges Sud du Lac de Tunis,
considéré comme le projet du XXIe siècle, et qui mobilise
plus de 150 millions de dinars (MD), avec dans sa première
tranche, la Cité Sportive du 7 novembre qui englobe un parc
de 1 000 logements et a déjà accueilli les Jeux
Méditerranéens de Tunis en septembre 2001. Une dizaine
d’années est programmée pour pouvoir mener à bien ce
projet ambitieux avec toutefois un standing moindre que
celui des Berges Nord du Lac.
Outre ces deux projets, il faut signaler l’ensemble
résidentiel d’EL Mourouj qui occupe tout le sud-ouest de la
ville, sous forme de lotissements de l’Agence Foncière de
l’Habitat (AFH), et destiné essentiellement aux couches
moyennes sous forme de 6 quartiers (Mourouj I à VI)
organisés autour de noyaux de centralités et présentant une
occupation résidentielle pavillonnaire, jumelée et en hauteur
à la fois. Cette zone d’El Mourouj constitue, de nos jours,
l’un des grands ensembles résidentiels de la capitale quant
à l’extension spatiale et la densité de la population.
Deux autres projets plus récents complètent une
restructuration urbaine qui vise à faire de Tunis le moteur
d’une région métropolitaine, englobant les villes et les zones
situées jusqu’à 60 kilomètres de la capitale. Il s’agit, d’une
part, du projet d’aménagement de la zone de la petite Sicile
et, d’autre part, du pont Radés la Goulette, décrits ci-après.
La Petite Sicile
Le Pont Radés la Goulette
Le projet d’aménagement de la zone de la petite Sicile
s’inscrit dans le cadre de développement de Tunis-Sud,
avec le port de plaisance el le lac-Sud, et où il est
question de créer un pôle commercial tertiaire et
résidentiel de haut standing autour du port de Tunis et
sur la presqu’île de Madagascar, devrait être à même
d’étendre les activités du centre-ville au pôle sud. La
petite Sicile se trouve depuis longtemps enclavée : au
sud, la colline de sidi Belhassen et la voie ferrée du GP1
représentent des barrières physiques qui empêchent
l’extension urbanistique. A l’est, le port de Tunis et la Z4
constituent une barrière qui piègent ce quartier, tandis
qu’à l’ouest, cette zone se trouve obstruée par la gare
des trains de marchandise et la voie ferrée.
La construction du métro et le tracé des rails de
l’avenu Farhat-Hached ont parachevé l’étranglement de
ce quartier. Par ailleurs, de l’urbanisation spontanée de
ce quartier résulte une morphologie sans âme et sans
signe distinctifs.
Avec l’exploitation de ce quartier, la ville de Tunis
connaîtra, sans doute la troisième étape importante de
sa construction. Une Ville fut fondée au XVIIIe siècle par
les Hafsides, une deuxième étape, «à savoir la
construction en 1860 de la ville européenne, et
aujourd’hui c’est la troisième étape qui répond à des
impératifs stratégiques utilitaires, mais aussi à son souci
qui tend à ancrer davantage la ville dans le troisième
millénaire et réconcilier Tunis avec la mer».
En effet, la situation de ce quartier, exige un
réaménagement lourd. Le nouveau quartier de la petite
Sicile sera, par ailleurs, appelé à assurer un rôle de
courroie de transmission entre la partie nord et la partie
sud du Grand Tunis.
Bien que la surface de la petite Sicile ne couvre
réellement que 43 hectares, le projet concernera près
de 80 hectares grâce à des réserves foncières
importantes qui sont propriété de l’Etat, de la
municipalité, de la SNCF, de la SNDP et de la STB.
Il s’agit de l’ouvrage de franchissement du canal de
navigation la Goulette, le bras de mer qui, de tout temps,
a constitué une entrave au développement économique
entre les deux banlieues. C’est l’un des plus importants
projets d’infrastructures que connaît Tunis.
La construction du pont Radés la Goulette, un
nouveau fleuron urbanistique qui donnera une touche de
modernité à la ville de Tunis. Beaucoup plus qu’un simple
axe structurant qui reliera les rives nord et sud du « lac
» de Tunis, ce projet est un complexe d’ouvrages et de
routes d’une portée de 14,5 km, appelé non seulement
à faciliter les communications entre les banlieues nord
et sud, mais ce sera aussi le vecteur d’une synergie qui
induira incontestablement une nouvelle dynamique
économique, sociale et culturelle.
Dès l’année 2007, une liaison directe sera établie, rapide
et permanente entre Radés et la Goulette. L’expérience du
bac a prouvé les limites de ce moyen de transport. En effet
la desserte n’est assurée que de 5h 45 à 21h 45 et les deux
bacs mis en service sur cette ligne ne transporte que 5 000
véhicules par jour, et ceux qui dépassent les 3,5 tonnes ne
peuvent embarquer. Les bus et les camions sont ainsi
astreints à faire un détour de 35 km.
Ce pont est donc appelé à soulager les accès sud
de la capitale, en l’occurrence la Z4, la pénétrante sud,
le GP1, le viaduc de l’avenue de la République ainsi que
la liaison Nord- Sud.
Le projet comprend la construction de 2 000 mètres
d’ouvrages d’art, y compris le pont principal d’une longueur
de 260 m et 12,65 km de routes. Le tracé routier prend donc
son origine à la MC33, au niveau de la cité Ennour à Radés,
passe par la berges du lac Sud, à l’ouest du port de Radés,
traverse le canal de navigation de Tunis, enjambe la ligne
du métro Tunis -La Marssa, se poursuit derrière la centrale
de la STEG de la Goulette, emprunte la digue du lac du nord
et s’arrête au niveau de la foire du Kram, assurant ainsi la
liaison avec la voie express La Marssa - Gammarth.
Ce pont permettra également d’assurer la liaison
rapide entre deux ports de commerce des plus
importants, à savoir le port de la Goulette et celui de
Radés, et de favoriser ainsi l’exploitation des ces deux
pôles économiques. Le projet prévoit donc un pont d’une
longueur 260 m, de 23,5 m de largeur, constitué de deux
voies de 3,5 m chacune, d’une bande d’arrêt d’urgence
de 2 m par sens et d’un terre-plein central de 2,5 m, pour
abriter deux tours qui vont culminer à 43 m au-dessus
de niveau de la mer. Le pont permettra de dégager une
emprise navigable de 70 m pour permettre le passage
95
LES VILLES
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BARCELONE
des bateaux sous le tablier plafonné à 20 m. Le port de
Tunis, destiné à une fonction axée sur la plaisance,
n’accueillera plus les grands navires.
EAU ET ASSAINISSEMENT
La Tunisie est un pays aride à semi-aride sur les trois quarts
de son territoire. Elle se caractérise par la rareté de ses
ressources en eau et par une variabilité accentuée du climat
dans l’espace et dans le temps. L’eau est un facteur
essentiel pour le développement du secteur agricole,
industriel et touristique et vital pour l’alimentation en eau
potable. Le maintien de la croissance économique reste
tributaire du facteur eau, qui est cependant un facteur
limitant et limité.
Eau potable
La région du Grand-Tunis est alimentée principalement à
partir du canal des Eaux du Nord, du barrage de Kasseb et
Beni Mtir et de deux retenues d’eau, à Mornaguia et Ghedir
El Golla. Ces retenues constituent une réserve de 50 jours
environ de consommation et assurent un appoint en cas de
défaillance des adductions principales. Elles permettent
également de réguler le taux de salinité de l’eau qui alimente
le Grand-Tunis.
Un programme de modernisation des conduites
d’adduction et des réseaux de distribution d’eau est en
cours. Ce programme inclut également l’instauration de
systèmes de détection et de contrôle de fuites. Le taux de
pertes est ainsi passé de 30% en 1990 à moins de 20%
actuellement alors que, dans le même temps, le volume
d’eau distribué est passé de 180 à près de 300 millions de
m3.
Le programme de réduction des pertes sur le réseau
a été complété par une action auprès des usagers pour les
aider à réduire leur consommation d’eau par des actions
telles que l’amélioration des accessoires sanitaires
(robinetterie, chasses d’eau), la sensibilisation des gros
consommateurs (hôteliers, administration, usines, etc) ainsi
que la mise en place d’une tarification progressive en
fonction du volume consommé. Ces actions portant sur la
maîtrise de la demande ont porté leur fruit. On a, en effet,
constaté quelques années après, qu’une bonne partie des
gros consommateurs (> 150 m3/trimestre) avait réduit leur
consommation et quelquefois dans des proportions très
importantes.
96
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BARCELONE
Assainissement urbain
Le service public d’assainissement était géré par la ville
jusqu’en 1974, date à laquelle a été créé l’Office National
de l’Assainissement (ONAS) chargé de gérer le secteur de
l’assainissement hydrique au niveau national sur la base
d’une prise en charge progressive des villes. Cette
modification du cadre institutionnel est intervenue suite à
des défaillances constatées antérieurement, dues à la
multiplicité du nombre d’intervenants et à un manque de
clarification des responsabilités entre les différents
intervenants. Cette réforme a permis une simplification de
la chaîne des responsabilités depuis la propreté et la
salubrité des quartiers jusqu’au devenir ultime des eaux
traitées. Le système y a, depuis, gagné en efficacité.
Une nouvelle évolution du cadre institutionnel est en
cours avec l’implication progressive du secteur privé dans
les activités d’exploitation. En 1999 a été décidée l’entrée
d’un opérateur privé dans les activités d’exploitation du
réseau, jusque-là assurées exclusivement par l’ONAS. Cette
première expérience pilote concernait la zone d’El Menzah
qui fait partie de la ville de Tunis. Elle portait sur l’exploitation
d’un réseau d’environ 180 km. Les évaluations ont été
positives tant au niveau de la qualité de service qu’au niveau
de l’efficacité économique. Cette expérience devrait donc
être progressivement étendue.
Le service d’assainissement affiche aujourd’hui un taux
de desserte satisfaisant. Le taux de raccordement au réseau
pour la ville de Tunis est de 96% environ.
La partie centrale de la ville de Tunis est dotée d’un
réseau unitaire muni de déversoirs d’orage vers le canal de
ceinture en bordure du lac Nord. Les nouveaux quartiers et
la périphérie sont dotés d’un réseau séparatif.
Le Grand-Tunis est doté d’un système d’épuration
comportant quatre stations : Cherguia, Choutrana, Côtière
Nord et Sud Miliane. Deux nouvelles stations de traitement,
la première à Sidi Jedidi et la deuxième à Ghedir El Golla,
viendront renforcer la capacité de traitement dans la région
pour la porter de 3,4m_/s à 6,8 m_/s, sécurisant cette région
jusqu’à l’échéance 2030.
L’un des problèmes chroniques qui continue à affecter
l’environnement urbain est la maîtrise des écoulements par
temps sec dans les oueds. C’est notamment le cas pour
l’oued du bassin versant et qui se déverse dans sebkh
Sijoumi.
La basse ville de Tunis demeure, en effet, fragile visà-vis des inondations en raison de la topographie de la ville
qui favorise la convergence des écoulements vers la zone
basse. Avant les années 80, la ville était fréquemment
inondée durant l’année car la situation était aggravée par
l’insuffisance de capacité des ouvrages d’évacuation et de
pompage. Des travaux importants ont été réalisés sur
plusieurs années pour redimensionner l’infrastructure
primaire, accroître la capacité de pompage et évacuer les
eaux excédentaires en cas d’orage vers le canal de ceinture
en bordure du Lac Nord. Le système mis en place doit
continuer à faire l’objet d’une surveillance constante et d’une
attention particulière au niveau des plans directeurs
d’assainissement, en vue de le préserver et de le mettre à
jour en cas de besoin.
Réutilisation des eaux usées et traitées
Avec la réalisation des stations d’épuration dans les diverses
régions du pays, le volume des eaux épurées rejetées devient
de plus en plus important. Ces eaux constituent actuellement
des ressources non négligeables pour la création des
périmètres irrigués. Les rejets des eaux usées des stations
d’épuration dépassent 140 millions de m3/an et pourront
atteindre 200 millions de m3/an en 2010. Cette eau de
«seconde main» est toujours disponible indépendamment
des saisons. Le recyclage de ces importantes quantités d’eau
pour l’agriculture (culture fourragère et certaines cultures
fruitières) est actuellement expérimentée.
COLLECTE ET TRAITEMENT DES
DÉCHETS
La ville de Tunis produit quelque 600 tonnes de déchets par
jour. La municipalité assure elle-même le service de collecte
et de nettoiement de la voirie. Les déchets collectés sont
acheminés vers la décharge contrôlée de Djebel Chekir,
mise en place et gérée par l’ANPE.
La Direction de la propreté a un effectif de plus de 2
000 personnes, soit environ le tiers de l’effectif municipal.
Elle dispose d’un parc de matériel important et en bon état.
La ville a initié une expérience de participation du
secteur privé dans le service de collecte au niveau de
l’arrondissement d’El Omrane pour une population de 47
000 habitants produisant environ 5% de la quantité totale
de déchets municipaux. La délégation au privé est
également envisagée pour un deuxième arrondissement (El
Menzah), abritant une population de 50 000 habitants qui
produit 20 000 tonnes de déchets. L’opération, pour laquelle
un appel d’offres a été élaboré, n’a pas encore été
concrétisée.
Outre son implication dans le service de collecte, le
secteur privé intervient également dans l’exploitation de la
décharge de Djebel Chekir, moyennant un contrat de service
de 5 ans.
L’élimination des déchets solides s’inscrit dans le cadre
du projet national de gestion des déchets solides
(PRONAGDES).
Le système d’élimination des déchets pour le Grand
Tunis comprend une infrastructure de base, constituée par
une décharge contrôlée située à Djebel Chekir et trois
centres de transfert situés à Raoued, Djedaida et Ben Arous.
L’unité de traitement de Djebel Chekir est conçue pour
les déchets ménagers et assimilés. Elle couvre une
superficie de 47 ha sur une réserve foncière totale de 123
ha et sa capacité est de 2 000 tonnes par jour soit environ
700 000 tonnes/an. La création de ce centre a permis de
réduire le nombre des installations d’enfouissement à une
seule et de fermer les décharges existantes de Henchir el
Yahoudia et de Raoued. Parmi les autres performances
environnementales du nouveau centre, on peut notamment
citer :
• Le contrôle systématique à l’entrée
• Le dégazage
• La fermeture progressive des casiers remplis et leur
transformation en espaces verts.
Malgré ses performances environnementales, le
nouveau système d’élimination a des impacts négatifs liés
aux effets induits sur la propreté de la voirie du transit des
déchets vers la décharge. D’autres impacts liés aux
émissions sont également ressentis mais non évalués à ce
jour. La ville de Tunis paie environ 1,1 MDT par an pour la
mise en décharge et a participé au financement de
l’investissement à concurrence de 5 MDT.
Outre le projet de la décharge contrôlée, deux projets
nationaux intéressent la ville de Tunis et sont présentés ciaprès. Il s’agit du projet de collecte par apport volontaire et
du projet de collecte sélective dans la zone d’El Khadra.
Dans le cadre de la gestion du système Eco-lef, une
expérience de collecte par apport volontaire (de type
déchetterie) est en cours par l’Agence Nationale de
Protection de l’Environnement (ANPE) depuis 1998 dans le
Grand Tunis. Les matériaux concernés sont les déchets
d’emballages de plastiques Le lieu de dépôt des déchets
collectés est le centre de tri. En outre, 150 conteneurs de 4
m3 ont été installés à la disposition du public au sein du
Grand-Tunis.
L’ANPE fait appel à des sociétés privées pour la mise
à disposition et l’exploitation de conteneurs mis à la
disposition des habitants. Les contrats sont passés pour
une durée de trois ans. Les prestations de l’entreprise
portent sur l’enlèvement, le nettoyage, la vidange et le
97
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BARCELONE
contrôle. L’optimisation de la localisation peut se faire à
l’initiative de l’opérateur privé ou le l’ANPE. L’enlèvement
est prévu tous les 20 jours (soit 1,5 par mois) et la
rémunération est forfaitaire.
Le projet de collecte sélective a été également mis en
place dans le cadre du PRONAGDES et dessert environ 30
000 habitants. Il comporte les principales composantes
suivantes:
• tri à la source des déchets ménagers et collecte
séparée des déchets organiques, recyclables et
toxiques
• création d’un centre de tri des déchets recyclables,
avec récupération quotidienne d’environ 2 tonnes de
déchets recyclables
• valorisation par compostage des déchets organiques
collectés.
Les résultats obtenus sont encourageants tant au
niveau de l’amélioration de l’hygiène dans les rues que de
la participation de la population au tri à la source qui a été
de l’ordre de 70%. Le taux de valorisation des déchets
organiques est de 80%, tandis que 66% des déchets
recyclables sont valorisés ou récupérés par le recycleur.
Cependant, les insuffisances au niveau du cadre
institutionnel et notamment la clarification des
responsabilités entre les principaux intervenants et la
municipalité, n’ont pas permis de pérenniser les acquis du
projet. Le projet a, néanmoins, été repris selon les
caractéristiques suivantes :
• Les déchets recyclables seront collectés dans des
sachets transparents de couleur bleu ciel et non plus
dans des poubelles ; une solution qui est jugée plus
commode pour le citoyen.
• La collecte sera assurée 7 jours sur 7 pour éviter le
risque de contamination de la poubelle verte.
• Des conteneurs métalliques de 770 l, fabriqués
localement, seront affectés avec des couvercles verts
et bleus, plus faciles à ouvrir que les précédents.
Les premiers constats montrent que les résultats sont
meilleurs dans la partie résidentielle du projet que dans la
partie populaire.
TRANSPORTS PUBLICS
Les transport publics urbains de l’agglomération de Tunis
sont assurés principalement par deux sociétés publiques :
La STT, issue de la fusion de la Société du Métro Léger
de Tunis (SMLT) et de la Société Nationale de Transport
98
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BARCELONE
(SNT), qui gère :
• un réseau bus de 180 lignes urbaines et suburbaines,
dont la majorité sont de type radial reliant le centreville à la périphérie et s’étendant sur une longueur
d’environ 5 300 km ;
• un réseau de tramway de 5 lignes desservant la
périphérie proche du centre (1ère et 2ème couronnes)
et totalisant 90 km (sur une infrastructure de 35 km
en double voie), ainsi qu’une ligne de chemin de fer
électrifiée d’environ 20 km de long et desservant la
banlieue Est de Tunis (ligne TGM) ;
La SNCFT, qui exploite une ligne de chemin de fer
desservant la banlieue Sud de Tunis (Radès-Hammam LifBorj Cédria) d’une longueur de 23 km.
De l’ensemble des déplacements en transports
collectifs dans l’agglomération de Tunis, le réseau d’autobus
détient la part la plus importante (65% du trafic total), suivi
par le tramway (22%), les lignes ferroviaires de banlieue
(6% chacune) et les autobus des opérateurs privés (1%).
Après avoir progressé fortement au cours de la période
1990-2000, qui a vu la mise en place du réseau de tramway,
l’offre de transports collectifs est devenue globalement
insuffisante pour satisfaire la demande telle que l’atteste
la saturation des lignes bus et même de certaines lignes
de tramway. La voirie urbaine, dont les capacités restent
limitées, connaît une congestion croissante du fait d’une
progression très rapide, au cours des dix dernières années,
du parc automobile, favorisée par la baisse des prix des
voitures particulières et la montée en puissance des classes
moyennes.
Face à cette dégradation, les autorités tunisiennes ont
préparé un projet ambitieux de développement des
transports collectifs dont les objectifs sont de freiner la
dégradation de ce mode de transport et d’améliorer la
fonctionnalité de l’agglomération à travers la desserte par
un réseau de transports multimodal hiérarchisé et intégré.
Ce projet d’un réseau intégré et hiérarchisé de transports
collectifs comporte plusieurs composantes:
• Construction d’un réseau ferré régional « RFR » à
grande capacité (4 lignes, totalisant 70 km) pour la
desserte de la 3ème couronne et pour « désaturer »
les lignes bus et les lignes de tramway existantes
• Création de 3 nouvelles lignes de tramway complétant
les lignes existantes et portant la longueur totale du
réseau tramway à près de 80 km
• Mise en place de lignes armatures bus sur sites
protégés complémentaires au réseau ferré et au
réseau tramway (30 km de couloirs protégés à
aménager)
• Développement de l’intermodalité en restructurant
les pôles d’échanges centraux existants et en créant
une quinzaine de nouveaux pôles en périphérie pour
les correspondances entre le réseau ferré régional
et les lignes bus
• Création d’une dizaine de parcs périphériques de
dissuasion d’une capacité de 6 000 places environ.
Le projet actuellement le plus avancé est celui de
l’extension du métro léger qui bénéficiera d’un financement
de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), à hauteur
de 45 millions d’euros, sous la forme d’un prêt accordé à
la STT. Il s’agira de la première opération de la BEI avec la
Société des transports de Tunis (STT).
L’opération envisagée permettra de financer une
extension de 5 kilomètres vers l’ouest (quartier de La
Manouba) du réseau public de métro léger existant dans le
Grand-Tunis, ainsi que le matériel roulant supplémentaire
et les améliorations de capacité nécessaires au
fonctionnement du réseau ainsi étendu. Un autre volet du
projet concerne le remplacement et le renforcement des
voies et du matériel d’alimentation électrique, arrivés en
fin de vie, du chemin de fer TGM (Tunis – La Goulette – La
Marsa) qui dessert les faubourgs de la côte septentrionale
de Tunis. Cet investissement fait suite au prêt de 30 millions
d’euros, dont le contrat a été signé en décembre 2000, et
qui portait sur la construction, dans la capitale tunisienne,
d’une nouvelle ligne de métro léger desservant la partie
méridionale de l’agglomération (quartier de El Mourouj).
Le projet aura pour effet d’agrandir la zone desservie
par les transports publics sur rail dans le Grand Tunis qui,
avec ses 2 millions d’habitants, regroupe quelque 20% de
la population du pays. Ces investissements, qui devraient
être achevés en 2007, amélioreront la qualité et
l’accessibilité des transports publics pour la majorité des
habitants qui ne possèdent pas de voiture et contribueront
à freiner la croissance des déplacements effectués en
voiture. Le projet contribuera à préserver l’attrait des
transports en commun et, partant, à rehausser de manière
générale la qualité de la vie dans la capitale.
LOGEMENT SOCIAL
Le marché du logement a été longtemps caractérisé par
une inadéquation entre une offre orientée vers le standing
et une demande pressante surtout populaire. Pour rattraper
ce retard, le IXe Plan qui s’achève en 2006 a prévu la
construction de 230 000 logements. Les résultats à mi-2005
montrent que cette prévision sera globalement tenue. Mais
la grande majorité des réalisations a été accomplie par le
secteur privé et s’adresse donc prioritairement aux classes
moyennes. Moins de 10% des constructions relèvent du
secteur « social ». Ces faibles résultats relatifs constatés
en matière de logement social doivent être, toutefois,
relativisés dans la mesure où on a constaté sur cette
période, un effort important en faveur de la réhabilitation
des logements anciens et dégradés. L’action de l’Etat dans
ce domaine s’est concrétisée avec la mise en place d’un
Programme National de Réhabilitation des Quartiers
Populaires (PNRQP) mis en place au début des années 90
et dont la réalisation a été confiée à l’Agence de réhabilitation
et de rénovation urbaine (ARRU).
Les 1ère et 2ème phases du programme de
réhabilitation concernait 459 quartiers réparties à travers
tout le pays. Environ un million d’habitants ont bénéficié
des interventions du programme. La troisième phase en
cours mobilise une enveloppe de 72 millions de dinars et
vise la réhabilitation de 200 quartiers hébergeant près d’un
demi million d’habitants. Le programme est financé selon
le schéma suivant :
• 0% sur subvention de l’État,
• 15 à 20 % sur prêt de la Caisse des Prêts et de
Soutien aux Collectivité Locales (CPSCL),
• 10 à 15 % autofinancés par la collectivité.
Ce programme s’est traduit, sur Tunis, par deux
opérations importantes. La première concerne la Medina
qui s’est progressivement taudifiée, donnant naissance au
phénomène des «oukalas». La seconde concerne la
réhabilitation progressive des zones d’habitat spontané en
zone périurbaine, résultat de l’exclusion de vastes couches
de la population des circuits officiels de financement.
LES «OUKALAS» DE LA MEDINA
DE TUNIS
Les «oukalas» représentent l’expression même d’un habitat
insalubre suite à une occupation irrationnelle de l’espace
résidentiel de la Médina de Tunis depuis un siècle environ.
A la fin du XIXe siècle, l’implantation d’une ville moderne
(ville européenne) aux portes de la ville traditionnelle va
accélérer la dégradation de cette dernière qui, non
seulement perd les activités essentielles d’une ville, mais
va servir de parc d’accueil pour une population rurale à la
recherche d’un emploi et d’un logement à prix modéré.
Cette fonction de parc social va s’accentuer au
lendemain de l’indépendance lorsque les occupants de la
99
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Médina vont s’installer dans les nouveaux quartiers
résidentiels de la ville neuve, abandonnant leurs demeures
d’origine qui seront louées à la pièce au besoin. Ce mode
d’occupation a pris le nom d’« oukalas » par analogie aux
« oukalas » traditionnelles qui étaient des auberges
réservées aux personnes de passage dans la Médina.
Compte tenu de l’état de délabrement dans lequel se
trouvaient ce quartier, un programme d’envergure a été mis
en place pour faire face à l’urgence et reloger l’ensemble
des occupants. Des enquêtes ont donc été lancées sur
l’ensemble de périmètre traditionnel (Médina et Faubourgs)
qui ont conduit à classer les «oukalas» en deux catégories
: celles qui devaient être évacuées d’urgence et qui devaient
être démolies et celles nécessitant des travaux de remise
en état.
Pour les oukalas présentant un danger imminent pour
leurs habitants, il a été décidé leur évacuation d’urgence et
leur relogement, la démolition et la reconstruction de
nouveaux logements sur les terrains ainsi libérés.
Pour les oukalas qui ne présentent pas de danger dans
l’immédiat, une réhabilitation a été prévue plus ou moins
lourde selon l’état du bâtiment. La réalisation de projet
d’assainissement des oukalas a ensuite été entreprise en
quatre tranches successives.
Près de 200 familles ont été relogées sur place dans
des bâtiments réhabilités. Pour les familles expulsées, deux
types de relogements ont été proposés, adaptés à leur
niveau de ressources. Les ménages éligibles au Fond de
Promotion du Logement Social, c’est-à-dire les salariés
permanents gagnant moins de deux fois le SMIG se sont
vus proposer des logements à l’achat assortis d’un crédit
à très faible taux. Les ménages plus modestes ont bénéficié
d’une dotation du Programme National de Résorption des
Logements Rudimentaires pour l’achat de petits logements.
Des logements en location ont été offerts aux personnes
âgées.
Les opérations de relogement ont été accompagnées
d’actions sociales au profit de familles nécessiteuses après
leurs installations et ce sous forme de dons et prêts. Par
ailleurs, et pour le besoins du suivi de l’opération, un comité
de quartier a été mis en place avec des représentants de la
municipalité.
L’ensemble des immeubles privés voués à la démolition
ont fait l’objet d’un décret d’expropriation. Pour les
propriétaires désireux de reprendre leurs terrains une fois
libérés, une participation aux frais de libération du sol a été
appliquée. Le financement des acquisitions a été assuré
par le Trésor au titre d’une avance remboursable à la
municipalité.
Les terrains ainsi récupérés ont été soit mis à la
100
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
disposition des anciens propriétaires à la condition qu’ils y
construisent des logements selon un cahier des charges
précis, soit vendus aux enchères publiques à des promoteurs
privés lorsqu’il s’agissait de terrains nécessitant des
aménagements d’ensemble tels que réfection des réseaux
et réalisations d’équipements.
L’ÉRADICATION DES TAUDIS EN
PÉRIPHÉRIE DES VILLES
La Tunisie et la ville de Tunis, en particulier, ont fait la
démonstration des possibilités offertes pour réduire l’habitat
insalubre et notamment l’habitat spontané aux abords des
villes, conséquence de l’exode rural. Le développement de
l’auto-construction en périphérie de la ville, résultat de
l’exclusion de vastes couches de la population des circuits
officiels de financement, a été d’abord bannie, puis
réhabilitée et enfin, récupérée dans un vaste programme
de réhabilitation.
La démarche utilisée a consisté, dans un premier
temps, à suivre de prés l’installation foncière spontanée et
à veiller à ce que les propriétaires fonciers vendent leurs
lots de façon essentiellement structurée. Puis, quand la
densité d’habitat était suffisante, le maire légalisait la
situation. Ensuite la société d’eau et d’électricité proposait
des branchements sociaux à très bas prix. On était encore
à ce moment dans un quartier insalubre, sans circulation,
avec de la boue, des déchets qui s’entassaient… Mais une
fois achevée cette première étape de régularisation foncière
et de raccordement à l’eau et à l’électricité, les mairies
programmaient l’assainissement et la voirie. Dès lors, les
déchets s’évacuaient, les quartiers se décongestionnaient,
la circulation pouvait se faire ; l’effet a été immédiat :
l’habitat s’est amélioré, des boutiques se sont ouvertes au
rez-de-chaussée et des étages sont apparus aux maisons.
Ce qui au départ était insalubre -en voie de « bidonvillisation
»- à fini par devenir un quartier résidentiel populaire. Il y a
là une démonstration de transformation urbaine, possible
avec une programmation, certes assez lourde, mais qui fait
ses preuves.
101
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
ENJEUX ET RISQUES URBAINS EN
MÉDITERRANÉE
DES SERVICES PUBLICS
À LA PEINE
Les analyses qui précédent montrent clairement l’étendue
des difficultés rencontrées par les responsables des grandes
villes méditerranéennes dans l’organisation et le bon
fonctionnement des services publics essentiels pour les
populations concernées et en particulier les populations les
plus défavorisées. Ces difficultés sont de plusieurs ordres
: insuffisance de moyens financiers, modes de gouvernance
inadaptés, compétences municipales insuffisantes. Elles
sont détaillées ci-après par grand domaine.
L’eau potable et l’assainissement
L’accès à l’eau potable et à l’assainissement représente
aujourd’hui, comme on a pu le voir, une priorité. Les
ressources en eau sont presque partout insuffisantes,
quelquefois dans des proportions dramatiques, et les
infrastructures physiques ne sont pas à la mesure des
besoins. La gestion du secteur est, souvent, défaillante et
les ressources financières destinées au secteur manquent.
Un rapport des Nations Unies7 situe à 30 millions le nombre
de personnes qui n’auraient pas accès en permanence à
l’eau potable dans la région. La majorité concerne les
populations périurbaines et rurales en Turquie, en Algérie,
au Maroc et en Syrie.
Sur la base des consommations actuelles, les pays
méditerranéens se retrouveront prochainement en dessous
du «seuil de pauvreté en eau» du fait d’une croissance
démographique qui augmente la consommation de
ressources déjà rares. La part annuelle en eau de chaque
habitant chuterait de 1500 m3 actuellement à moins de 750
m3 en 2030. La totalité des ressources hydrauliques des
pays arabes ne dépasse pas 150 milliards de m3, dont 60%
proviennent de l’extérieur.
Ce problème est particulièrement aigu au ProcheOrient qui connaît plus qu’ailleurs un déficit hydrique
important. La situation la plus dramatique se trouve, comme
on l’a vu, dans les Territoires Palestiniens. A Gaza, on peut
considérer que depuis décembre 1999, il n’y a pratiquement
plus d’eau potable. La nappe est épuisée et on a recours,
depuis, à l’eau saumâtre. On comprend dans ces conditions
que la question de l’eau soit au cœur du conflit du MoyenOrient. Les négociations les plus ardues, palestinoisraéliennes, et les volets syrien et libanais du processus
de paix, sont liées aux problèmes de l’eau. Un récent rapport
7
des Nations-Unies indique que 57 % de la consommation
d’Israël en eau provient de l’extérieur de ses frontières de
1948 : 35 % de la Cisjordanie et des affluents du Jourdain,
et 22 % du plateau du Golan.
Pour développer la ressource, des expériences de
production d’eau douce sont en cours par dessalement de l’eau
de mer ou des eaux saumâtres en Algérie, en Tunisie, en
Jordanie, en Isarël et en Egypte ; mais en dépit d’une réduction
régulière de son coût, le développement de cette technologie
reste limité par le niveau requis des investissements.
Les infrastructures concernant la distribution d’eau
potable et l’assainissement sont, quant à elles, très
insuffisantes et ne suivent pas l’accroissement de la
population de la plupart des villes.
Les défaillances observées dans la gestion du secteur
de l’eau ont de multiples causes au premier rang desquelles
les politiques tarifaires auxquelles les sociétés gestionnaires
ont été astreintes, qui ne permettent de couvrir qu’une
fraction de leur coût et qui les a, de facto, placé sous la
dépendance de l’Etat. Insuffisamment financés, les
opérateurs publics se sont trouvés pris dans une spirale de
réduction de la maintenance et des investissements les plus
rudimentaires entraînant une baisse de la qualité de service
et une résistance des consommateurs à payer plus cher un
service de mauvaise qualité.
Par ailleurs, les habitudes prises dans des situations
de monopole non-contesté » peuvent expliquer la dégradation
de la qualité du service rendu. Le peu d’attention porté à la
gestion de la clientèle, le maintien d’un personnel
surdimensionné, des délais d’intervention importants ou de
faibles taux de recouvrement des factures ont pu conduire à
la fois à restreindre les capacités financières des compagnies
publiques et à défavoriser certains types d’usagers.
L’assainissement pose partout un problème au moins
aussi grave et urgent que celui de l’accès à l’eau potable.
Le niveau de collecte et surtout de traitement des eaux
usées domestiques est très faible, voire dans certains cas,
inexistant. Comme on l’a vu plus haut, de nombreuses
grandes villes n’ont pas de station d’épuration d’eau. Près
de 90% des rejets urbains des villes étudiées sont déversés,
sans traitement, dans la Méditerranée qui reçoit ainsi 60
000 tonnes de détergent, 100 tonnes de mercure et 12 000
tonnes de phénols par an.
UN-SD Millenieum Indicators OMS-Unicef – 2003.
103
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
À cela s’ajoute une situation très peu contrôlée en
matière de rejets industriels. Les entreprises qui sont
souvent situées en milieu urbain ou périurbain, sont peu
sensibles aux contraintes environnementales et peu
encadrées par une réglementation abondante mais
insuffisamment appliquée, et déversent leurs effluents
polluants parfois dans les réseaux d’assainissement mais
aussi dans des évacuations souterraines, dans des réseaux
d’eau pluviale ou directement dans le milieu, en particulier
dans les cours d’eau.
La situation des infrastructures en matière d’eau et
d’assainissement n’est pas sans conséquences sur la santé
des populations. On sait, en effet, que l’accès à une eau
propre et à des services d’assainissement, améliore de façon
notable la santé publique, tout comme l’amélioration des
techniques d’évacuation et de traitement des eaux usées.
Lorsqu’ils sont de mauvaise qualité, l’eau et les services
d’assainissement figurent parmi les premières causes de
maladies telles que la diarrhée, les vers intestinaux, la cécité
liée au trachome et la bilharziose.
Au regard de ces problèmes, de nombreux
gouvernements ont pris ces dernières années une décision
courageuse en faisant appel au secteur privé pour investir
et gérer tout en conservant le rôle d’organisateur et de
régulateur des services. Bien conçu, le partenariat publicprivé permet d’apporter des réponses appropriées aux
besoins des habitants sur des services publics essentiels.
Et ce d’autant que les besoins financiers pour la rénovation
des infrastructures existantes sont considérables. Mais la
mise en place de partenariats public-privé en Méditerranée
se heurte également, ces dernières années, à un manque
d’enthousiasme des opérateurs privés. On constate ainsi,
comme on le verra plus loin, une tendance nette de ces
derniers de passer de la concession à des contrats moins
risqués sans investissement substantiel tels que l’affermage
et les contrats de gestion intéressés ou des contrats de
services en tentant de renégocier les contrats en cours ou
arrivant à terme.
La collecte et le traitement des déchets
Concernant les déchets urbains, l’urbanisation galopante
combinée à une forte industrialisation place la plupart des
villes étudiées en situation d’urgence : collecte défaillante,
amoncellement d’ordures dans les décharges publiques
sauvages ou non contrôlées, inexistence de traitement,
notamment des déchets spéciaux. On estime aujourd’hui à
près de 40 millions de tonnes le volume de déchets urbains
générés dans les villes des pays méditerranéens, soit
environ 0,7 kg par personne et par jour. Ce volume croît
d’environ 3 à 4% par an sous l’effet combiné de la
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démographie urbaine et de l’évolution des modes de vie.
La collecte relève encore dans une très large proportion
des services municipaux. Elle est dans ce cas très souvent
déficiente. On estime que près du quart des déchets urbains
ne sont pas collectés du fait de la mauvaise organisation et
du manque de moyens des services concernés.
Les déchets ménagers et industriels sont, le plus
souvent, déposés dans des décharges non contrôlées, avec
les conséquences que l’on connaît sur la contamination des
milieux (sol, air, nappes phréatiques, etc).
La récupération et le recyclage est le fait
principalement du secteur informel. Près de 60 000
personnes vivent de cette activité dans la seule ville du Caire.
Dans la plupart des villes, des réseaux de récupération sont
organisés selon un schéma pyramidal avec plusieurs
niveaux d’activité : des récupérateurs à la base, des « petits
» intermédiaires, des intermédiaires grossistes, et enfin, au
sommet, diverses industries qui rachètent les produits.
L’importance sociale de cette activité a conduit les
opérateurs privés, auxquels ont été confiés la gestion du
service, à négocier des accords avec ce secteur informel
afin de ne pas mettre en difficulté des franges entières de
la population pour lesquelles la récupération constituait
une activité de survie.
La principale difficulté rencontrée dans ce domaine
est que, contrairement à une idée reçue, le coût de la
collecte et du traitement des déchets dans les pays
méditerranéens n’est pas sensiblement inférieur à celui
observé dans les pays développés. Une part importante des
coûts est liée à des investissements en biens importés dont
les prix de revient sont équivalents à ce qu’ils sont dans les
pays développés. Par ailleurs, les écarts de salaires sont
partiellement compensés par une faible productivité. Enfin,
les coûts de collecte sont élevés du fait d’un manque de
civisme et de sensibilisation des populations concernées.
Pour toutes ces raisons, la collecte et le traitement des
déchets représentent une part importante (20 à 40%) du
budget des municipalités et les taxes payées par les
particuliers sont proportionnellement plus élevées que dans
les pays européens. Le financement est généralement assuré
par une taxe municipale mais qui ne couvre qu’une faible partie
des coûts. Dans certains pays, comme l’Egypte et la Jordanie,
les coûts liés aux déchets sont inclus dans les factures
d’électricité.
Les besoins d’investissements sont partout élevés. Ils
sont estimés à 250 euros par tonne pour la collecte et le
transfert et 65 euros pour la mise en place de décharges
contrôlées. Ces investissements sont généralement réalisés
par transfert du budget national vers les communes. Dans
quelques pays, dont le Maroc et la Tunisie, les municipalités
ont accès à un Fonds Municipal leur permettant d’emprunter
les montants nécessaires pour réaliser ces investissements.
Face à cette situation, certains pays ont entamé des
politiques volontaristes pour résoudre ce problème. Des
stratégies globales se mettent en place incluant une
législation plus rigoureuse, concernant en particulier les
déchets industriels et dangereux, des plans de réduction
de la production de déchets, des objectifs en matière de
valorisation et de recyclage et, enfin, l’application du principe
pollueur payeur pour recouvrer les coûts de collecte et de
traitement des déchets.
Compte tenu de la relative inefficacité des services
municipaux dans ce domaine, l’appel au secteur privé est
de plus en plus fréquent et a conduit, partout où il est en
place, à des progrès visibles en terme d’efficacité
économique et environnementale. C’est le cas de l’Egypte,
du Liban, du Maroc ou de la Syrie.
La valorisation par compostage a démarré dans
plusieurs pays dont l’Egypte, le Liban, la Syrie, et le Maroc.
Quelques incinérateurs ont été installés mais leur extension
n’et guère envisageable comte tenu des coût élevés
d’investissement et d’exploitation. Certains pays mettent en
place des décharges contrôlées. On en comptait une vingtaine
en 2004 dans toute la région. D’autres sont en préparation.
Certains pays, comme la Tunisie ou l’Algérie, ont
également tenté d’institutionnaliser le recyclage et de
responsabiliser les industriels de l’emballage avec un succès
tout relatif.
Mais la sensibilisation reste le point faible de toutes
ces politiques. Les meilleurs progrès sont observés dans
les villes où la gestion des déchets est confiée à des sociétés
privées qui utilisent ce moyen dans le but de réduire le coût
de la collecte.
Globalement et en dépit des progrès constatés, le
chantier reste donc immense. Comme pour l’eau, la question
des déchets pose à la fois le problème de gouvernance et
celui du financement, en particulier des investissements
nécessaires pour une mise à niveau du service.
La coopération internationale trouve ici également un
point d’application particulièrement efficace. Le programme
METAP, initié en 1999, a déjà permis d’importants progrès,
s’agissant en particulier du développement des compétences
et des capacités institutionnelles et de l’harmonisation des
législations nationales. On notera également que les
coopérations entre villes et collectivités publiques dans ce
domaine sont de plus en plus nombreuses.
Les transports publics
Dans toutes les villes étudiées, on note une nette
insuffisance des transports publics du fait de l’étendue des
agglomérations, de la médiocre qualité des voiries, des
faibles ressources des habitants et des lacunes dans les
subventions publiques. En dépit d’un faible taux relatif de
motorisation, les encombrements sont le lot quotidien des
habitants. Les parcs de véhicules ne cessent de s’accroître.
La possession d’un véhicule particulier est un signe de
promotion sociale souvent chèrement acquis ce qui ne
facilite pas le développement des transports en commun.
Les projets d’aménagement routier intra-urbains abondent
pour satisfaire une demande orientée vers les déplacements
individuels et résorber une saturation des réseaux urbain
et périurbain qui ne cesse de s’accroître. Ces
investissements lourds dont les autorités expliquent qu’ils
participent au processus de métropolisation, prennent alors
le pas sur les infrastructures de transport collectif.
Plus graves sont les atteintes à l’environnement du fait
de la pollution automobile due à un parc souvent ancien et
mal entretenu et qui ne bénéficie par des derniers
développements techniques en matière de contrôle des
émissions. Considérés jusque-là comme les fléaux de pays
riches, ces phénomènes atteignent les grandes villes du
Sud avec des capacités de réponse réduites.
Quelques projets de reconquête du domaine public au
profit des transports en commun ont vu le jour: métro du
Caire (une troisième ligne est lancée), métro léger de Tunis,
tramway d’Istanbul, projet de métro d’Alger. Mais ces projets
ont du mal à s’étendre en raison de leur coût élevé Un projet
de métro est en débat à Casablanca depuis une vingtaine
d’années.
Le logement social
La crise de l’habitat urbain n’épargne aucune des villes des
pays du sud et de l’est de la Méditerranée. Cette crise
urbaine s’exprime dans une croissance trop rapide qui les
rend incontrôlables. Le paysage urbain des villes s’est
complètement déstructuré à la faveur de la multiplication
de périphéries urbaines composées de bidonvilles et
d’habitat précaire.
La part des constructions non réglementées représente
40 à 60%, de la production annuelle de nouveaux logements.
Plus de 50% de la population d’Istanbul serait concernée
par cet habitat urbain illégal et la part des constructions
spontanées serait de 40 à 50% des nouveaux logements au
Maroc. Ces constructions réalisées sans autorisation
officielle s’effectuent sur des terrains le plus souvent
légalement acquis mais situés en zone non-constructibles
ou pour lesquels les règlements d’urbanisme existants,
notamment la taille minimale de constructibilité, ne sont
pas respectés. Ces terrains de petite taille sont l’objet d’une
véritable spéculation immobilière.
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Il s’agit le plus souvent de constructions en dur,
évolutives, parfois à plusieurs niveaux, ce qui aggrave les
risques et rend impossible toute planification à long terme
des services publics essentiels qui ne peuvent, pour cette
raison, s’adapter au rythme de génération de nouveaux
quartiers et de nouveaux habitants : transports publics
absents, congestion des axes urbains, insuffisance marquée
du traitement des eaux usées, des réseaux d’adduction et
d’assainissement de l’eau, absence de dessertes électriques
officielles.
Ces constructions construites illégalement côtoient
les formes d’habitat précaire assimilables à des bidonvilles
qui se sont développés depuis plusieurs dizaines d’années
en périphérie des centres urbains et où les familles, issues
des milieux ruraux, s’entassent dans des logements de
fortune. Les raisons de cette situation sont à peu près
partout les mêmes et renvoient aux difficultés rencontrées
par les Etats pour maîtriser l’utilisation des sols, faire
respecter la réglementation, juguler la spéculation
immobilière et produire un parc suffisant de logements
sociaux.
Le problème est mondial et les grandes organisations
internationales ont toutes développées des stratégies et des
programmes qui sont mis à la disposition des pays
concernés et visent à l’amélioration des conditions de vie
des populations urbaines pauvres. L’expérience du réseau
Cities Alliance de la Banque Mondiale : Cities without Slum
(Villes sans taudis) en est une illustration. Cette initiative
associe les actions de la population et l’attraction
d’investissements privés. Elle concerne des améliorations
physiques, sociales, économiques, organisationnelles et
environnementales prises en charge de manière collective
par les citoyens, les groupes communautaires ainsi que les
autorités locales pour garantir des améliorations durables
dans la qualité de vie des individus. Chaque pays doit, à
partir de là développer des solutions adaptées au contexte
qui lui est propre. L’implication des populations concernées
est, dans tous les cas observés, une condition majeure de
succès des opérations qui sont menées. La mise en place
de modèles reproductibles dont les résultats sont
rapidement évaluables facilite également l’accès au
financement. Un tel modèle, modeste mais relativement
reproductible, a été appliqué dans la durée -sur les quarante
dernières années -à l’élimination des bidonvilles en Tunisie
(voir encadré ci-dessous).
Le Maroc, on l’a vu plus haut, met actuellement en
œuvre un programme d’éradication de ses bidonvilles par
une série d’action de réhabilitation et de requalification des
quartiers concernés et de relogement des habitants. Ce
programme s’étalera sur 5 ans.
106
LES VILLES
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On constate également que la rénovation des quartiers
insalubres a eu non seulement une forte influence sur la
qualité de la vie des populations urbaines pauvres, mais
qu’elle a enclenché une véritable dynamique urbaine. Dans
de nombreux cas de réhabilitation réussis, on constate que
l’investissement dans les biens publics locaux à travers la
réhabilitation urbaine génère un investissement privé de la
part des résidents, lequel à son tour a un impact sur
l’investissement privé externe réalisé dans la zone.
L’éradication des taudis - L’expérience de
la Tunisie
La démarche utilisée par la Tunisie pour éradiquer les
taudis a consisté à organiser les villes en suivant de près
l’installation foncière spontanée. L’administration veille
à ce que les propriétaires fonciers vendent leurs lots de
façon essentiellement structurée. Puis, quand la densité
d’habitat est suffisante, le maire légalise la situation.
Ensuite la société d’eau et d’électricité propose des
branchements sociaux à très bas prix. On est encore à ce
moment dans un quartier insalubre, sans circulation, avec
de la boue, des déchets qui s’entassent... Mais une fois
achevée cette première étape de régularisation foncière
et de raccordement à l’eau et l’électricité, les mairies
programment l’assainissement et la voirie. Dès lors, les
déchets s’évacuent, les quartiers se décongestionnent,
la circulation peut se faire ; on en voit l’effet immédiat :
l’habitat s’améliore, les boutiques s’ouvrent au rez-dechaussée et les étages apparaissent aux maisons. Ce qui
au départ était insalubre -en voie de « bidonvillisation »finit par devenir un quartier résidentiel populaire. Il y là
une démonstration de transformation urbaine, possible
avec une programmation, certes assez lourde, mais qui
fait ses preuves.
Alain Henry -La Jaune et la Rouge - Mégapoles et
environnement-2005.
Les risques naturels et industriels urbains
Les villes méditerranéennes sont particulièrement exposées
aux risques naturels, principalement aux inondations et aux
séismes. S’ajoutent à ces risques naturels des risques
industriels causés par la présence aux abords de ces villes,
et quelquefois même en leur sein, d’activités humaines
polluantes. Le risque d’incendie se manifeste dans les
massifs forestiers aux abords des villes. Pour les villes
côtières, existe, enfin, un risque de pollution marine qui
pourrait être causé par des accidents de navire transportant
du pétrole ou des matières dangereuses. Les pays du Sud
et de l’Est de la Méditerranée ont plus de 21 000 km de côtes
qui bordent l’une des routes maritimes les plus fréquentées
au monde. On estime que les rejets des navires représentent
l’équivalent de 17 Exxon Valdez rejetés dans la Méditerranée.
Face à ces risques, les populations défavorisées sont
généralement les plus vulnérables en particulier celles
regroupées dans les zones urbaines d’habitat spontané qui
sont les plus touchées du fait de l’absence d’équipements
publics permettant d’y faire face.
Ces risques sont, pour la plupart, connus et ont fait
l’objet d’investigations scientifiques poussées. Les mesures
de préventions sont également largement identifiées qu’il
s’agisse d’équipements publics (évacuation des eaux usées
par exemple), de normes applicables aux constructions
nouvelles ou de sensibilisation du public aux situations
d’urgence. Or sur ces différents plans, on peut dire que les
efforts déployés dans les villes méditerranéennes sont encore
faibles et dans certains cas inexistants. Le plus souvent, des
plans existent, souvent mis en place suite à une catastrophe
: codes de construction parasismiques, recensement des
zones inondables, modification des plans d’occupation des
sols, demande faite aux communes de préparer des plans
de prévention des risques, réglementation plus contraignante
pour les industries polluantes. Leur application reste
néanmoins problématique du fait de la complexité de mise
en œuvre de mesures souvent coercitives impliquant une
étroite coordination entre des administrations ou des
collectivités dont les priorités sont ailleurs. Les compétences
font aussi cruellement défaut aux échelons les plus
décentralisés des administrations publiques, c’est-à-dire là
où elle sont les plus nécessaires.
DES RISQUES RÉELS DE
DÉSTABILISATION SOCIALE
La question des conditions de vie et des risques sociaux est
au cœur des problèmes actuels des grandes villes
méditerranéennes. Ces dysfonctionnements ont entraîné un
développement de phénomènes sociaux urbains affectant les
populations les plus fragiles. Ces populations, victimes des
défaillances sociales et économiques mais également urbaines
sont touchées par une pauvreté extrême qui se manifeste
aussi bien sur le plan monétaire que sur le plan des conditions
de vie. Par ailleurs, l’insécurité et la violence représentent
aussi une menace pour les populations en situation précaire
qui deviennent les proies faciles des réseaux intégristes.
Pauvreté urbaine et exclusion sociale
La combinaison d’une urbanisation accélérée, d’une
infrastructure négligée et d’un financement urbain déficient
pendant plusieurs années ont accru la pauvreté des
populations de cette zone géographique. La pauvreté en
Méditerranée n’atteint pas, cependant, les niveaux
alarmants d’autres régions du monde. L’extrême pauvreté
définie comme la part de la population vivant avec moins
d’un dollar par jour, ne dépasse pas en moyenne 3% alors
qu’elle est de 15% en Asie. Mais ce taux augmente fortement
dès qu’on passe le seuil de 2 dollars par jour. Près de 45%
des Egyptiens sont concernés, soit un taux comparable à
celui de l’Asie.
De fait, sur le plan des conditions de vie, ces pays sont
marqués par de très grandes inégalités sociales. Au Maroc,
selon une estimation de la Banque Mondiale, 6 millions de
personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour et 12
millions sont « économiquement vulnérables » tandis que
les 20% les plus riches s’octroient 55,4% des revenus du
pays. En Egypte, un tiers de la population vit sous le seuil
de pauvreté, soit 32 millions d’Egyptiens sur 64 millions.
Parmi ces 32 millions, 6 sont, selon un rapport publié en
2002 par le Bureau International du Travail (BIT) considérés
comme «très pauvres». Les auteurs de ce rapport
soulignent également la progression de la pauvreté dans
les régions urbaines égyptiennes qui est passée de 39% en
1990 à 48% en 1999. Parmi les pays du bassin
méditerranéen, l’Egypte et le Maroc affichent les indices de
pauvreté humaine les plus élevés, suivis de très près par
l’Algérie, la Tunisie et la Syrie. À eux six, ces pays forment
un ensemble homogène.
Ces pays ont également en commun d’avoir connu un
phénomène de migration des populations des zones rurales
vers les villes. Pour ces ruraux, l’exode est la réponse à
l’impasse et aux privations. Mais trop souvent, ces
populations viennent rejoindre les rangs des pauvres des
villes, et peser sur des équipements collectifs déjà fragiles.
Ainsi, les inégalités sociales présentes sur l’ensemble du
territoire se retrouvent à plus petite échelle dans les centres
urbains. Au sein des villes méditerranéennes et plus encore
au sein des métropoles, les clivages socio-économiques
entre les riches et les pauvres ne cessent de se creuser.
Dans les villes, les populations démunies font face à
de plus nombreux risques que les citadins moyens en
matière de santé. La mortalité infantile est ainsi plus
importante dans les quartiers moins développés que dans
les autres. De plus, l’analphabétisme touche durement ces
groupes socialement défavorisés. L’accès aux services
sociaux comme l’éducation est aussi inéquitable : le taux
de scolarisation des enfants issus des quartiers difficiles
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atteint un pourcentage guère plus élevé qu’en milieu rural.
À cela vient s’ajouter l’instabilité de l’emploi qui, chez les
plus démunis, est corrélée à une faible couverture sociale:
au Maroc, en milieu urbain, 1% seulement du quintile le
plus défavorisé est assuré contre 38,4% pour le quintile le
plus riche. Les conditions de vie des populations pauvres
en milieu urbain sont toutefois peu comparables à ce
qu’elles sont en milieu rural compte tenu de l’extrême
pauvreté qui caractérise ce milieu.
Par ailleurs, malgré l’urgence de la situation, les
systèmes de production ne réussissent pas à réduire les
inégalités sociales qui tendent, au contraire, à s’aggraver.
Une étude effectuée pour la mise en œuvre de l’initiative
20/208 au Maroc a révélé que la part des dépenses publiques
allouées aux services sociaux de base se situait en moyenne
à 17% au cours de la décennie 90, en dépit d’une politique
sociale renforcée, ce qui demeure relativement peu et
s’avère par conséquent insuffisant pour réduire les écarts
existants entre les groupes sociaux. Au Liban, la situation
est plus critique puisque les dépenses moyennes consacrées
à ces services représentent seulement 8% des
déboursements gouvernementaux.
Une désagrégation des formes traditionnelles
de sociabilité
Pendant longtemps, la pauvreté en Méditerranée n’a pas
entraîné de phénomènes d’exclusion sociale similaires à
ceux rencontrés dans les pays européens du fait de
l’existence de réseaux familiaux de solidarité encore très
puissants. Cette solidarité s’exprimait également par les
rapatriements des travailleurs étrangers qui, dans certains
pays, sont, pour les familles, une source essentielle de
revenus. Cette situation est en train de changer. Une des
conséquences de la brutale urbanisation a été, en effet, de
faire éclater les anciens cadres de socialisation.
La famille élargie, lieu jusque-là de toutes les
solidarités, se disloque et la cellule nucléaire conjugale a
tendance à se généraliser même si son autonomisation est
fortement freinée par une crise du logement qui sévit
partout. L’évolution des femmes dans les sociétés urbaines,
très largement documentée par ailleurs, est, à cet égard
symptomatique. Mais cette modernisation liée à la
scolarisation et à l’urbanisation ne se traduit que rarement
dans la mise en œuvre de rapports sociaux nouveaux au
niveau de la famille, de la mixité de la vie quotidienne ou du
voisinage. Ce décalage se retrouve à tous les niveaux de la
modernisation et produit un phénomène de « bricolage »
et d’anomie généralisée. Se crée progressivement dans les
grandes villes arabes une société plus instruite et pour une
part d’entre elles, plus riche mais extrêmement fluide où
la débrouillardise voisine avec le militantisme, l’absentéisme
avec le volontariat, l’individualisme effréné avec le
dévouement à la collectivité.
Le secteur informel comme moyen de survie
Face à une situation aussi incertaine, le secteur informel
offre une échappatoire. L’importance de l’ «économie
souterraine» dans ces pays est effectivement notable
puisque, à l’heure actuelle, 40 à 60 % des actifs urbains
vivraient des activités relevant de ce secteur. Les activités
informelles concernent environ 45% des actifs urbains en
Tunisie, environ 40% au Maroc et en Algérie, plus de 60%
dans de grandes villes comme le Caire ou Alexandrie. En
Syrie, à peine un tiers de la population urbaine active est
formellement salariée. Dans un contexte de pauvreté
généralisée et de chômage croissant, les populations
exclues se tournent vers l’informel pour survivre. Pour ces
citadins en situation d’exclusion, «le secteur des activités
informelles joue un rôle irremplaçable d’intégrateur
urbain»9.
Malgré les difficultés d’évaluation de ce phénomène,
celui-ci échappant aux statistiques officielles, il est certain
que de plus en plus de personnes survivent grâce à ce
secteur même s’il ne leur procure généralement que des
revenus minimes, très irréguliers et des emplois précaires.
En dépit de ses inconvénients (travail intensif, marché non
réglementé, etc), l’économie informelle répond aux urgences
de la société et offre une solution, aussi discutable soit-elle,
aux défaillances de l’autorité publique. Il est aussi une voie
pour absorber l’impact des chocs externes sur le marché
du travail particulièrement importants en période de
mutation tendancielle de l’emploi public. Ce mécanisme a
souvent, pour cette raison, été considéré comme moins
négatif qu’il n’y paraît car il permet une certaine flexibilité.
Cette «économie de survie» est même aujourd’hui
officiellement encouragée par de nombreux gouvernements
dans le cadre du développement durable et comme soupape
de sécurité face aux lacunes de l’emploi. C’est le cas par
exemple à Amman où la municipalité soutient elle-même
le commerce informel alimentaire par des politiques d’appui
visant à garantir l’approvisionnement et la distribution
alimentaire de la ville.
Cependant, il reflète comme il entraîne une
paupérisation croissante de la population et celle de l’Etat.
Il finit également par transformer les économies où il
constitue une part importante de l’activité en économies à
deux vitesses. Enfin, le secteur informel n’ayant pas accès
au financement, il ne participe pas au processus
d’accumulation qui est la seule réponse des pays concernés
en terme de développement.
8 Cette Initiative 20/20, présentée lors du Sommet Mondial du Développement Social de Copenhague en 1995, appelle, d’une part, les pays en développement à accroître la part de leur
budget national affecté aux services sociaux de base en la faisant passer de 13% en moyenne à 20%, d’autre part, les pays industrialisés à faire passer de 7% à 20% la part de l’aide
affectée aux mêmes fins.
9Les Métropoles du Sud - J.-F. Troin . L’auteur a également créé en 1977 le centre URBAMA, laboratoire associé au CNRS et spécialisé dans l’étude de l’urbanisation du monde arabe à
l’Université de Tours.
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Violence et insécurité urbaines
La pauvreté, problème majeur des villes du Sud, n’est
souvent pas le seul problème affectant les centres urbains.
La violence, elle aussi, se répand dans les villes favorisant
un climat d’insécurité.
La violence urbaine fait aujourd’hui partie des
problèmes incontournables des villes méditerranéennes.
Elle est devenue la première source d’insécurité dans les
centres urbains et l’une des principales causes de migration
comme ce fût le cas pour l’Algérie.
Pauvreté et violence urbaine
La violence urbaine est un phénomène complexe, aux causes
multiples. Cependant, même s’il n’existe pas de preuves
empiriques à ce sujet, beaucoup s’accordent pour dire que la
pauvreté et l’exclusion sociale constituent dans la plupart des
cas des causes directes de la violence en milieu urbain. Dans
son rapport annuel 2002, le Programme des Nations Unies
pour le Développement (PNUD) a établi une corrélation positive
entre pauvreté et insécurité, suggérant qu’il fallait lutter contre
la pauvreté urbaine pour enrayer la violence urbaine. Pour M.
Abdelkader, auteur d’un article sur «la recrudescence des
actes de banditisme en 2003. Alger, Constantine, Batna et
Oran en tête» dans le Quotidien d’Oran, il ne fait nul doute que
« la majorité des comportements violents traduit une
délinquance d’exclusion liée à la précarité et à la
marginalisation.» En effet, cette violence apparaît souvent liée
à l’extension de la pauvreté, à la crise urbaine et aux difficultés
d’insertion des jeunes sur le marché du travail, ce qui crée
un climat social tendu et instable. Le manque d’argent pour
les besoins essentiels et le manque d’éducation et de
perspectives d’emploi contribuent pour beaucoup à une vie
de crime, de trafic de drogue et de prostitution. Ainsi, si
l’exclusion sociale fabrique des délinquants et des criminels,
les populations marginalisées en sont aussi les premières
victimes. Les chiffres fournis par les auteurs du rapport «The
Mediterranean Limes»10. même s’ils sont à considérer avec
précaution puisqu’ils concernent le crime en général et non
spécifiquement la violence urbaine, témoignent d’une montée
de la violence dans les villes du Sud méditerranéen. En
Jordanie, le nombre d’actes criminels est passé de 626 pour
100 000 habitants en 1988 à 1255 en 1999. Le rapport fait
également état d’une augmentation de la violence en Egypte
durant la décennie1990, en particulier pour les crimes relevant
de la corruption, du viol, de la fraude et du vol à la sauvette.
Les manifestations de la violence urbaine
Les enfants et les femmes sont ceux qui ont le plus à souffrir
de ce contexte économique et social difficile. La pauvreté
infantile a en effet atteint de graves proportions dans
plusieurs pays méditerranéens. En Israël, selon le rapport
annuel du Conseil national de l’enfance, environ 40 % des
petits Israéliens vivaient sous le seuil de pauvreté en 2002.
Au Maroc, à l’instar des autres pays maghrébins, la
prostitution se développe touchant davantage les mères
célibataires, les veuves et les femmes divorcées.
Autre violence symbolique dont on parle moins : la
proximité des populations riches et pauvres qui se côtoient,
mais s’ignorent. «Les marchés en Algérie sont une
illustration de cette violence symbolique: les riches viennent
s’y approvisionner et se faire voir, les moins riches viennent
acheter en calculant, les pauvres déambulent en espérant
rencontrer des âmes généreuses pour leur donner quelques
pièces»11. On retrouve cette fracture sociale à Amman,
entre Amman-Ouest et Amman-Est : les deux parties
d’Amman fonctionnent chacune comme deux villes qui
s’ignorent et vivent selon des modes de vie divergents avec,
d’un côté les quartiers résidentiels, et de l’autre les quartiers
pauvres, souvent illégaux et dépourvus d’équipements
collectifs.
Exacerbée par les disparités sociales, cette violence
peut également prendre la forme d’émeutes à la faveur de
mesures impopulaires. C’est ainsi que de Casablanca à
Alger, de Tunis au Caire, depuis une dizaine d’années au
moins, les «émeutes du pain» participent de plain-pied à
la régulation des crises liées à l’augmentation du prix des
produits de première nécessité. La ville, lieu de contestation
par excellence, donne libre cours à toutes sortes de
manifestations de mécontentement parfois durement
réprimées par les services de l’ordre. En Jordanie, les
émeutes populaires contre la hausse du prix du pain,
survenues en1996 dans la ville de Karak, ont nécessité
l’intervention de l’armée. En Algérie, en 2002, la pénurie en
eau a également provoqué des émeutes à Abadla et
Tlemcen, au sud et à l’ouest d’Alger, obligeant les autorités
à prendre des mesures d’urgence pour améliorer
l’alimentation en eau de la région. Selon le schéma habituel,
les manifestants se sont attaqués aux lieux de pouvoir,
notamment à la mairie et à la sous-préfecture et ont barré
les accès au centre ville avec des pneus enflammés et des
troncs d’arbre. Parfois, les minorités et les mouvements
indépendantistes profitent de l’agitation ambiante pour se
greffer à ces mouvements de contestation.
Les effets de la violence sur la société et sur
l’espace
À cette dérive sécuritaire s’ajoute une «ghettoïsation» des
riches. La construction dans bien des cas devient elle aussi
une réponse à l’insécurité. Se sentant menacés, les riches
se barricadent dans leurs villas». Les constructions ont
10 «The Mediterranean Limes
11 Lahouari Addi, Le Concept de sécurité à l’épreuve de l’ordre international nouveau: le cas de l’Algérie. Le Quotidien d’Oran, 26 mai 2004.
109
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
changé, les villas sont de véritables bunkers, des grosses
bâtisses de deux, voire quatre étages, des barreaux aux
fenêtres, des portes blindées», témoigne une habitante
d’Alger. Ainsi, les manifestations de l’insécurité entraînent
des réactions d’enfermement, la création de ghettos gardés
par des services et des milices spéciales. C’est le cas
notamment à Beyrouth où l’insécurité a enclenché un
processus de migration qui a abouti à la construction de
banlieues structurées et organisées, quadrillées par des
institutions idéologiques, éducatives et sanitaires
miliciennes. Pourtant, loin d’être une solution adaptée à la
violence et à l’insécurité, ce repli entraîne une aggravation
de la violence en diminuant les possibilités de dialogue. Ce
qui n’empêche pas les entrepreneurs de construire toujours
plus de « lotissements fermés» en Méditerranée.
La dérive intégriste et ses conséquences
Autre principale cause d’insécurité urbaine, l’intégrisme
constitue également une menace pour les habitants des
villes méditerranéennes. Il est devenu en l’espace de
quelques années un phénomène endémique affectant les
villes méditerranéennes. Certaines villes telles qu’Alger,
Casablanca ou encore Le Caire sont toutefois plus
concernées que d’autres. Mais, d’une façon générale, la
progression de l’intégrisme aujourd’hui dans la région
méditerranéenne est un fait préoccupant pour les autorités
des villes concernées tout comme pour la communauté
internationale, inquiète de l’ampleur prise par ce phénomène.
Un phénomène mal connu
S’il est souvent fait état du lien entre pauvreté et terrorisme,
paradoxalement, les études sur le sujet sont quasi inexistantes.
Pourtant, la menace intégriste vis-à-vis des populations
fragilisées existe bel et bien. Les banlieues remplies de jeunes
sans instruction, sans véritable emploi, sans espoir,
fournissent aux réseaux terroristes de nombreuses recrues.
Pour Luis Martinez, chercheur au Centre d’Etudes et de
Recherches Internationales de Paris, «les dynamiques de la
contestation armée ne s’expliquent que très marginalement
par des arguments d’ordre théologique, voire idéologique. À
la base, la contestation des banlieues et le rejet de la légitimité
du pouvoir rendent mentalement possible le passage à la
violence: le groupe islamiste armé (GIA) et l’AIS (l’aile militaire
du FIS) représentent en 1994 des forces d’opposition légitimes
pour une grande partie des jeunes des banlieues
populaires».12 Pauvreté et terrorisme entretiennent donc
des relations étroites même si la causalité entre ces deux
concepts n’est pas permanente.
À ce propos, un rapport controversé du Council on
Foreign Relations13, daté de 2002, a développé l’argument
selon lequel l’absence de perspectives économiques et la
pauvreté seraient les causes du fondamentalisme et, par
extension, du terrorisme. Ce point de vue n’est cependant
pas partagé par tous. Les facteurs économiques et sociaux
ne sauraient expliquer à eux seuls le fondamentalisme. La
complexité de la question empêche les conclusions hâtives.
Comme le rappelle Daniel Pipes14, spécialiste des questions
relatives à l’Islam et au Moyen-Orient, «de nombreux cadres
des mouvements islamiques ont un niveau de formation
très important». Le terrorisme n’est pas exclusivement
l’apanage des classes socialement défavorisées. Grâce à
l’influence qu’il exerce sur un vaste ensemble d’étudiants,
de diplômés et d’intellectuels désœuvrés, l’islamisme
parvient à s’étendre et à contrôler la propagation des idées
dans les quartiers pauvres et les bidonvilles.
Il existe donc bien un risque pour les populations des
quartiers pauvres mais un risque non systématique. Le
ministre marocain de l’enseignement supérieur, Kahlid
Rashit, a d’ailleurs admis que les bidonvilles de Sidi Moumen
à Casablanca se caractérisaient par leur insécurité et
déclaré que le gouvernement avait découvert plusieurs
mosquées à proximité de ces banlieues où étaient recrutés
et formés des jeunes radicaux. Selma Belaala, chercheuse
à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et auteur d’un article
sur le terrorisme marocain, a mis en évidence l’implantation
des organisations djihadistes dans les banlieues marocaines
en rappelant que celle-ci était due en grande partie aux
conditions de vie dans ces bidonvilles laissés à l’abandon.
Mais s’il faut éviter la généralisation, il est néanmoins
certain que l’enfermement social et l’exclusion, facilitent le
basculement dans l’intégrisme.
Un environnement urbain favorable à
l’intégrisme
S’appuyant sur le discours religieux, l’islamisme séduit des
populations appauvries et marginalisées. Les propositions
de lutte contre la pauvreté et l’indigence contenues dans
les recommandations islamiques peuvent en effet constituer
pour une frange de la population désintégrée un argument
massif pour recourir à l’action armée. La pauvreté,
l’ignorance et les inégalités sociales font le jeu des
fondamentalistes qui mettent en avant les inaptitudes des
régimes à solutionner ces problèmes de société. Le Parti
pour la Justice et le Développement , parti islamiste
marocain, met d’ailleurs un point d’honneur à souligner
l’incapacité des principaux courants politiques à empêcher
la mobilisation des plus démunis dans la lutte radicale.
Les mosquées qui, dans bien des pays méditerranéens,
fournissent un point de repère social pour les exclus des
villes, servent parfois de relais à ces réseaux. Dans ces pays,
12 Contribution de Luiz Martinez « L’environnement de la violence : djihad dans la banlieue d’Alger » à l’ouvrage de Rémy Leveau, L’Algérie dans la guerre, 1995.
13 Le Council on Foreign Relations est une organisation indépendante et nationale basée à New York qui met à la disposition des étudiants, des journalistes et de tout citoyen intéressé,
des informations sur le monde et notamment sur la politique étrangère des Etats-Unis.
14 Daniel Pipes est le directeur du Forum du Moyen-Orient et l’un des membres de l’Institut Américain pour la Paix, dépendant du président des Etats-Unis.
110
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
souffrant pour la plupart d’un déficit social, les mosquées
jouent en effet un rôle majeur. Elles sont souvent à l’origine
des services sociaux les plus rudimentaires comme
l’enseignement ou encore les soins médicaux. C’est
notamment la raison pour laquelle la croissance des villes
algériennes est allée de pair avec une augmentation
considérable du nombre de mosquées à vocation
humanitaire.
Malheureusement, ces espaces relais sont quelquefois
court-circuités par les réseaux intégristes qui utilisent ces
mosquées comme centres de propagande à l’attention des
populations déracinées. Ces populations exclues
socialement le sont aussi spatialement, ce qui facilite le
travail des réseaux intégristes. «Les bidonvilles posent un
vrai problème de sécurité. La police n’y pénètre pas aussi
aisément qu’ailleurs, il lui est plus difficile d’y localiser les
habitants, et plus facile aux délinquants d’y trouver refuge»,
confiait à un journal local un fonctionnaire de la police
marocaine.
Les groupes islamistes armés marocains, comme AsSirat Al Moustaqeem (le Droit chemin), se sont ainsi
essentiellement basés dans les bidonvilles de Casablanca.
L’actualité, par le biais des attentats perpétrés à Casablanca
en 2003, a montré que ces bidonvilles, d’où étaient issus les
kamikazes, « constituaient une menace pour la cohésion et
l’équilibre du tissu social, et une source d’exclusion, de
déviation et d’extrémisme » comme l’a souligné le roi du
Maroc dans son discours à la Nation du 11 octobre 2002.
De plus, une enquête ouverte après les attentats est venue
confirmer que la majorité des groupes takfiristes15 étaient
issus des bidonvilles de Casablanca, de Meknès, de Fès et
de Tanger, ainsi que des faubourgs déstructurés des villes
marocaines. « La formation des groupuscules takfiristes
s’est donc effectuée dans le cadre d’une déliquescence de
l’appareil policier, celui-ci abandonnant brutalement les
quartiers sensibles de la banlieue à la délinquance, devenue
le terreau de recrutement et de reconversion des milices
fondamentalistes.»16
Dans d’autres pays, comme au Liban, les groupes
intégristes ont également profité de l’enfermement social
et spatial d’une frange de la population pour s’implanter.
Ainsi, l’ancrage salafiste17 dans les camps palestiniens du
Liban est en grande partie le résultat des réseaux associatifs
et éducatifs tissés dans les camps par La Jama’a alIslamiyya (les Frères musulmans libanais). Les salafistes,
en s’immiscant dans le quotidien des populations, dans les
prêches du vendredi, dans certaines écoles, dans la façon
de s’habiller des personnes, sont parvenus à la dissolution
des mécanismes traditionnels de solidarité en créant de
nouvelles solidarités.
Une prise en charge de l’action sociale par les
organisations intégristes
L’action des organisations intégristes dans le secteur social
est l’une des clés expliquant leur infiltration dans les
quartiers pauvres des cités. Nombreuses sont en effet les
villes du bassin méditerranéen qui ont à souffrir d’une
insuffisance de services sociaux. Les besoins considérables
des populations en matière de logement, de soins de santé,
de produits alimentaires ne sont que partiellement satisfaits.
Profitant de ces pénuries, les organisations intégristes
mettent en place une véritable «stratégie de la bienfaisance».
Au Maroc, par exemple, ainsi que le rapporte Mike
Davis18 dans son livre Planet of Slums: «Des organisations
caritatives comme «Justice et bien-être» fondée par Cheik
Yacine, sont devenus de vrais gouvernements de taudis:
organisant des cours du soir, fournissant l’assistance
judiciaire aux victimes des abus de l’Etat, achetant des
médicaments pour les malades, subventionnant des
pèlerinages et payant des enterrements». À ce titre, l’ancien
Premier Ministre marocain Abderrahmane Youssoufi, se
confiant au journaliste du Monde diplomatique, Ignacio
Ramonet, a déclaré: «Nous (la Gauche marocaine), nous
sommes coupés du peuple. Nous avons besoin de
reconquérir les quartiers populaires. Les islamistes ont
séduit notre électorat naturel. Ils leur promettent le paradis
sur terre».19 Selon Nadia Yacine, porte-parole et fille du
fondateur du mouvement islamiste «Justice et bien-être»
cité plus haut, le succès rencontré par ces mouvements
s’explique de la façon suivante : « Confrontés à la
négligence de l’Etat et confrontés à la brutalité de la vie
quotidienne, les gens découvrent, grâce à nous, la
solidarité, l’entraide, la fraternité. Ils comprennent que
l’Islam est humanisme».20
Cette prise en charge des services sociaux par les
organisations islamistes se retrouve dans d’autres villes du
bassin méditerranéen. Ainsi, dans les bidonvilles de Gaza,
le Hamas et les autres partis islamistes progressent d’autant
plus vite que leur réseau social pallie la gabegie et la
corruption présentes sur le territoire. Dans la banlieue sud
de Beyrouth, le Hizb’Allah, organisation militaire et terroriste
pour certains et parti politique pour d’autres, contrôle le
système éducatif (offrant notamment aux jeunes des
bourses d’études en Iran), administre les services
municipaux (collecte des poubelles, asphaltage des routes,
etc) et gère aussi des services sociaux, des pharmacies, des
cliniques et des banques islamiques qui prêtent sans intérêt.
Ces nouvelles solidarités créées par les organisations
islamiques viennent ainsi se substituer à l’action carencée,
voire inexistante, des Etats et insufflent une forme de lien
social là où il n’y en a pas.
15 Le”takfir” est l’une des principales idéologies de la violence dans le monde musulman, notamment depuis le début des années 1990.
16 Selma Belaala , Fabrique de violence: Misère et djihad au Maroc, Le Monde diplomatique, nov 2004.
17 La « Salafiya » est un courant islamiste réactionnaire et ultra-radical qui prône un retour à l’islam des origines et dont le premier pôle d’implantation est le Maghreb.
18 Mike Davis analyse dans son livre le phénomène de “bidonvillisation “ à travers le monde.
111
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
DÉCENTRALISATION ET
GOUVERNANCE URBAINE
LA GOUVERNANCE
URBAINE EN QUESTION
Une évolution irréversible
Des conditionnalités lourdes
La notion de gouvernance urbaine se réfère à « un ensemble
d’institutions, de mécanismes et de processus au travers
desquels les citoyens peuvent articuler leurs intérêts et
leurs besoins, résoudre les conflits et exercer leurs droits
et devoirs à l’échelon de la vie locale.21 Les ingrédients
d’une « bonne gouvernance » sont multiples et largement
connus : participation des citoyens, partenariat actif entre
les différentes parties prenantes à la vie locale, mise en
capacité des acteurs aux différents niveaux de la société,
transparence et responsabilisation. L’objectif visé est celui
d’une plus grande efficacité des services publics, avec une
attention particulière aux plus démunis. La décentralisation
en est, pour cette raison, l’un des moteurs essentiels.
Or, pendant longtemps, la centralisation du pouvoir et
du système de décision a été une caractéristique que
partageait l’ensemble des pays méditerranéens. Tous les pays,
même les plus décentralisés, ont , en effet, vécu, à un moment
ou à un autre de leur histoire, sous le joug d’une opinion selon
laquelle un pouvoir central fort et tentaculaire était le meilleur
garant de l’unité de la nation contre toute revendication locale.
Cette centralisation a permis des progrès considérables dans
une phase initiale de développement à un moment où il fallait
agir vite et sur de nombreux fronts : éducation, santé,
logement, infrastructures de base. Les traces de cet état de
fait sont encore visibles tant dans le découpage même du
territoire que dans les compétences et l’autonomie concédées
aux différents niveaux de gouvernement. Mais au fil du temps,
cette efficacité s’est émoussée sous l’effet de la pression
démographique, de l’urbanisation rapide et de la complexité
croissante des services publics modernes. Un mouvement
progressif de dévolution de compétences vers les villes a donc
été amorcé et qui, bien qu’encore incomplet, apparaît de plus
en plus comme irréversible.
Le traitement des questions urbaines à un échelon
plus pertinent et plus proche de la population, sans niveau
intermédiaire, est l’aspect positif du mouvement
décentralisateur qui est en cours. Avec lui, c’est le rôle des
élus et des exécutifs des gouvernements locaux qui a été
affirmé. En ce sens, elle est devenue une tendance lourde
des sociétés méditerranéennes. Elle est synonyme de
progrès démocratique et social et fait des villes le principal
étalon de mesure de la cohésion des sociétés.
Toutefois cette évolution ne pourra se pousuivre qu’à deux
conditions :
• La démocratisation est là indispensable : si les
gouvernements locaux ne sont pas élus par
l’ensemble de leurs administrés, ceux-ci ne disposent
pas des moyens de sanctionner les choix et les
politiques locales.
• La plus importante de ces deux conditions est
l’amélioration de l’efficacité de la gestion publique,
qui dépend cruellement : (i) des possibilités
financières et du degré d’autonomie dont disposent
les gouvernements locaux pour programmer leurs
investissements, (ii) du niveau de formation et des
capacités techniques des élus et des fonctionnaires
locaux, (iii) des possibilités réglementaires qu’ont les
gouvernements locaux d’adapter leurs services
publics à la réalité historique, géographique et sociale
de leur territoire.
Cette voie est, pour ces deux raisons, plus difficile qu’il
n’y paraît dans la mesure où ce processus de
décentralisation appelle une réforme simultanée de
l’ensemble des structures, des institutions et de la
conception même de l’Etat
Aujourd’hui, les villes de la Méditerranée se trouvent
donc dans une période transitoire de recomposition dans
laquelle deux logiques se font concurrence : la logique
traditionnelle qui puise ses racines dans l’organisation
étatique héritée du passé et qui s’exprime à travers une
administration puissante, et une logique plus moderne dont
les fondements se trouvent dans la séparation des pouvoirs,
la transparence et le respect des lois. Cette dualité marque
la situation actuelle des systèmes politiques et la marche
des Etats, au point que le système de gouvernance, comme
les structures politiques, nécessitent en permanence une
double lecture.
C’est dire que la problématique de la gouvernance est
au carrefour de l’ensemble des réformes à conduire pour
faire évoluer les pays et, qu’au-delà des aspects techniques,
elle dépend largement de l’évolution du cadre institutionnel
et politique.
21 Définition de l’UNDP.
113
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
LA DÉCENTRALISATION : UN
MOUVEMENT ENCORE RELATIF À
POURSUIVRE ET À MAÎTRISER
En Méditerranée comme ailleurs, la ville a, de tout temps,
été considérée comme l’unité administrative de base de
l’organisation de l’Etat. Mais jusqu’à une période récente,
l’Etat central était responsable des principaux services
publics rendus à la population. Une évolution historique
s’est opérée à partir des années 80 qui a conduit à transférer
aux communes une partie de ces prérogatives. Ce transfert
de pouvoirs s’est accompagné de nouvelles missions
confiées aux collectivités locales qui embrassent des
domaines d’activités étendus : distribution de l’eau potable,
assainissement, collecte et traitement des déchets, voirie,
transports publics, habitat social, santé, protection de
l’environnement, etc. Des dévolutions importantes ont été,
en particulier, accordées aux grandes villes où les
problèmes étaient les plus urgents. Mais dans la pratique,
ce mouvement s’est heurté à des difficultés qui en ont limité
la portée. La réalité des compétences communales en
matière de gestion repose, en effet, grandement sur leurs
ressources humaines et financières. Or, dans toutes les
villes méditerranéennes, l’écart entre besoins et ressources
reste important. En particulier face à l’ampleur des
investissements requis, les ressources autonomes des villes
sont loin d’être suffisantes.
Une culture administrative centralisatrice
Lorsque les pouvoirs publics ont décidé de revoir le système
administratif, ils se sont rapidement trouvés face à une
administration centrale très puissante et extrêmement
active, qui influait de différentes manières, non seulement
sur la conduite des affaires mais aussi sur les collectivités
et sur la vie des populations. Cette forte culture
administrative, centralisatrice, a été confortée par l’absence
de niveaux décentralisés intermédiaires entre le niveau
central et le niveau communal. Les Provinces, Wilayas,
Gouvernorats, Muhafazates sont d’abord des niveaux de
déconcentration. Hormis le cas d’Israël, la seule véritable
tentative de création d’un niveau intermédiaire décentralisé
est marocaine. Une collectivité locale régionale, dotée de
la personnalité et de l’autonomie financière a été instaurée
en 1997. Et cette tentative reste limitée du fait des très
faibles ressources financières concédées aux régions et du
pouvoir que conserve le Gouverneur du chef-lieu de la
région. Celui-ci exécute les décisions du Conseil régional,
est investi du rôle d’ordonnateur du budget régional, et les
présidents élus des conseils ne disposent que d’un visa sur
les décisions du représentant nommé par l’Etat.
114
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Même si les villes apparaissent comme le plus haut
degré de décentralisation, l’exécutif municipal est souvent
placé sous la tutelle des niveaux déconcentrés de l’Etat
(Wallis, gouverneurs, etc), c’est-à-dire indirectement sous
le contrôle de l’Etat central. Si les modèles de
décentralisation se rapprochent de ceux rencontrés en
Europe, les types de contrôles auxquels sont soumises les
collectivités diffèrent plus radicalement : peu d’entités
autonomes de contrôle et une tutelle de l’Etat central.
Une autre faiblesse de la structuration politique et
administrative territoriale des pays méditerranéens est la
faible représentativité des niveaux intermédiaires entre l’Etat
et les organisations communales (Régions, Provinces). Cette
situation, sans grande conséquence pour les grandes
agglomérations métropolitaines, constitue un véritable
handicap à l’autonomie des villes moyennes et des petites
communes qui, en l’absence de structures de regroupement,
se retrouvent entièrement sous la coupe de l’Etat. L’exemple
méditerranéen montre ainsi que le centralisme
s’accommode mieux d’une administration locale que de
l’existence de niveaux intermédiaires décentralisés.
Un empilement des pouvoirs de décision
Le mouvement de décentralisation se heurte également à
la confusion institutionnelle créée par la superposition de
différents niveaux de pouvoir sans véritable souci de
rationalisation.
La gestion du secteur public est, en effet, aujourd’hui
caractérisée par l’éparpillement des centres de décision
qui engendre une confusion des responsabilités. Même si
la participation des différents niveaux de pouvoir sur les
questions urbaines est réelle (ex: Capacity 21 au Liban), des
obstacles à la décentralisation sont apparus. En effet,
lorsque des prérogatives attribuées aux municipalités sont
trop importantes par rapport à leurs capacités financières
et techniques, une inadéquation et un blocage voient le jour.
De nombreux échelons interviennent lors de la mise en
œuvre d’une décision qui la ralentissent et l’affaiblissent,
le niveau ultime ne sachant souvent vers qui se tourner pour
obtenir des explications ou établir un recours.
En outre, lorsque la décentralisation des compétences
dites traditionnelles des Communes ne s’est pas
accompagnée des pouvoirs financiers correspondants, l’Etat,
à travers les Offices Nationaux et/ou les Etablissements
Publics, a conservé toutes ses prérogatives en matière de
gestion. La décentralisation y a perdu de sa visibilité et de
sa crédibilité politique. La carte des compétences, et donc
des responsabilités, est ainsi devenue incompréhensible
pour le citoyen qui persiste à penser que la nation toute
entière ne s’est pas donnée les moyens d’une meilleure
correspondance entre les besoins exprimés par la
population et l’offre publique de services marchands.
créées par l’Etat central sont toujours sous la tutelle
exclusive d’un ministère.
Des compétences urbaines encore insuffisantes
Le manque d’autonomie financière : la marque
du gouvernement central sur les autorités
locales
Au-delà des capacités individuelles, la gouvernance urbaine
suppose donc une capacité d’organisation ainsi qu’une
définition des besoins essentiels des populations urbaines
avant de les traduire en actions au niveau politique et de les
satisfaire. Ainsi, la gouvernance urbaine nécessite des
compétences à la fois techniques et organisationnelles. Elle
a pour ambition de concilier le travail entre plusieurs niveaux
et plusieurs types d’acteurs publics et privés (compétences
multi niveaux) : d’une part, le niveau étatique ainsi que le
niveau décentralisé, l’Etat et les établissements publics (les
chambres de commerce et d’industrie) ; d’autre part, l’Etat
et la société civile (citoyens, ONG, experts,...) ; enfin, l’Etat
et le secteur privé.
Les compétences dont il est question ici sont des
compétences rares, qui se construisent au fil de l’expérience,
qu’elles soient individuelles ou organisationnelles. Elles
sont de plus en plus largement représentées au sein des
Ministères régaliens ou des Ministères Techniques qui
disposent d’un personnel d’encadrement de mieux en mieux
rompu à l’exercice des responsabilités et à la prise de
décision dans des environnements de plus en plus
complexes. Ces responsables ont également développé,
grâce à des accords de coopération externes et des contacts
de plus en plus fréquents avec les groupes industriels
mondiaux, de véritables capacités de négociations et de
mise en œuvre de grands projets nécessitant une ingénierie
financière et technique élaborée. Mais ces compétences,
on l’a dit, sont rares et concentrées aux échelons les plus
élevés de l’Etat et des administrations publiques. Elle
percolent difficilement jusqu’aux collectivités territoriales
dont les personnels politique et technique se retrouvent
souvent dépassés par des responsabilités auxquelles ils
n’étaient pas préparés. Et ce, d’autant que les textes
réglementaires ne fixent pas clairement les tâches dévolues
aux collectivités locales.
Une autre évolution importante a été que le
mouvement tardif de décentralisation a été suivi, quelques
années plus tard, d’un mouvement d’ouverture de certains
services marchands au secteur privé (depuis la simple
délégation jusqu’à la privatisation pure et simple) qui n’a
pas laissé le temps de construire des collectivités efficaces
et de les habituer à régler les problèmes soulevés par la
mise en œuvre de ces services. Le processus de
décentralisation relativement récent n’a donc pas toujours,
pour cette raison, été conduit à son terme. Et aujourd’hui
encore, en Méditerranée, certaines entreprises nationales
Mais l’élément le plus marquant des difficultés rencontrées
dans la dévolution des responsabilités aux communes reste
financier. Pour pouvoir être autonomes, les collectivités
locales ont, en effet, besoin de ressources financières
suffisantes.
Leurs deux principales ressources en dehors de
l’emprunt, proviennent de la fiscalité et des dotations de
l’Etat. Une réelle autonomie financière supposerait que les
collectivités locales puissent disposer du pouvoir de fixer le
volume de leurs recettes par la fiscalité. Or, les dotations
de l’Etat tendent à se substituer progressivement à cette
fiscalité, rognant au fur et à mesure leurs marges de
manœuvre. Par exemple, les dotations de l’Etat au Maroc
représentent 68% du total des revenus des provinces et
préfectures, et 15% des revenus des communautés et
municipalités urbaines. La décentralisation n’a pas trouvé
les ressources fiscales nécessaires à son application. Bien
que certains Etats aient déployé des efforts pour doter les
collectivités locales de ressources fiscales consistantes,
cette fiscalité est loin de répondre aux besoins. Le degré de
décentralisation effective est faible. Le gouvernement local
est limité dans ses capacités à fixer le niveau de la fiscalité
locale pour financer les services publics.
Dans aucun des pays méditerranéens un
gouvernement local ne peut emprunter des fonds, à
l’exception de la Tunisie et du Maroc. Mais même dans ces
deux pays, le ministre de l’Intérieur exerce un contrôle sur
le budget annuel et peut refuser l’emprunt. Par ailleurs, de
lourdes contraintes pèsent sur les autorités locales lors de
la réalisation du budget et la détermination des dépenses.
Elles réduisent considérablement leur autonomie. Par
exemple, en Egypte, l’estimation des dépenses est faite par
chaque ministère concerné et est ensuite donnée pour
approbation au conseil populaire
Si l’on devait résumer la situation concernant la
répartition des compétences en matière de services urbains
marchands en Méditerranée il faudrait donc souligner que
les autorités communales disposent au mieux de
compétences en matière de gestion, alors que l’Etat central
conserve, au moins, ses prérogatives en matière de
planification et d’orientation générale des services publics.
115
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
FACE AUX RÉSISTANCES,
L’ÉMERGENCE DE CONDITIONS DE
SUCCÈS ET DE SOLUTIONS
INNOVANTES
Une notion qui s’enracine lentement
Les résistances à un transfert accru de compétences vers
les villes sont, on l’a vu, encore très nombreuses. Nombre
de pays européens ont, au demeurant, connu ou connaissent
encore des difficultés similaires. Le volontarisme et
l’engagement formel des Etats est, ici, moins en cause que
la lourdeur des habitudes et des pratiques acquises mais
aussi la complexité même d’un processus qui est lourd de
conditionnalités. La décentralisation est un processus de
long terme pour lequel une stratégie doit être mise en place
et des priorités clairement définies.
Le PNUD qui a fait de la gouvernance locale une de ses
priorités d’action dans les pays méditerranéens met en avant
quatre priorités d’action dans le long cheminement
institutionnel vers une gouvernance locale réussie qui sont :
• Le transfert de ressources et la fiscalité locale,
• Le développement des compétences (capacity
building),
• Une participation active et structurées des citoyens
aux décisions,
• La mise en place de projets expérimentaux
permettant de démontrer le bien-fondé et l’efficacité
de la décentralisation.
Sur tous ces points, les réformes en cours dans
l’ensemble des pays gagnent en légitimité en opérant une
focalisation sur des problèmes de terrain et sur les obstacles
procéduriers qui s’opposent à la mise en place de services
publics plus efficaces. C’est ce qui explique que la
décentralisation bénéficie d’un statut de plus en plus
privilégié dans l’agenda politique des différents
gouvernements. Elle est inscrite dans la constitution de
certains pays, dans des termes, certes, plus ou moins
explicite, mais qui ne permettent pas de douter de l’intention
du législateur. La constitution marocaine, par exemple, prend
soin de ne pas se référer au principe de l’autonomie locale
ou du libre exercice du pouvoir par les collectivités locales,
préférant mettre l’accent sur la notion de gestion
démocratique des affaires locales.
Au-delà, la décentralisation est vécue comme un
facteur essentiel d’apprentissage de la vie politique et de
la participation citoyenne aux affaires publiques. C’est donc
une fonction de grande importance quand on connaît les
difficultés de toutes sortes qui retardent l’ouverture du
champ politique national central. C’est ce qui explique que
les forces sociales se soient, en priorité, investies sur le
116
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
plan local. C’est ce qui explique également que la
gouvernance urbaine soit progressivement devenu le thème
central des coopérations qui se nouent avec leurs
partenaires au Nord du bassin directement ou à travers des
organisations multilatérales. Le programme GOLD (voir
encadré) en est une parfaite illustration.
LE PROGRAMME GOLD
Le programme GOLD Maghreb, initiative de partenariats
pour la Gouvernance Locale et le Développement dans
le Maghreb, se propose d’offrir aux administrations
locales un cadre de référence et des instruments
opérationnels pour encourager et faciliter l’établissement
des partenariats internationaux, afin de contribuer plus
efficacement à un développement local durable,
équitable, pacifique et démocratique.
GOLD Maghreb vise à soutenir les élus locaux, la
société civile et le secteur privé maghrébin dans leur
effort de promotion du processus de décentralisation et
de développement participatif et intégré au niveau des
régions administratives du Maroc, de l’Algérie, de la
Tunisie et de la Lybie.
Il a pour principal objectif d’appuyer le processus
de développement local participatif à travers une
meilleure utilisation des ressources de la coopération
internationale, de la coopération décentralisée et de la
coopération Sud-Sud. GOLD intervient en matière de
gouvernance locale, de développement économique local
et de prévention de l’exclusion sociale. Il vise également
à promouvoir les cultures méditerranéennes, la
connaissance et le respect réciproque et à favoriser les
échanges culturels.
Le groupe de travail au sein des régions GOLD
(Gouvernorats, Wilayas, Shabiyat) élabore les Documents
de Marketing du Territoire (DMT) à travers une assistance
technique. Les acteurs de la coopération décentralisée
peuvent participer à ces activités en fournissant une aide
ou en contribuant à des formations d’exécutifs locaux.
Vers une participation accrue des citoyens aux
décisions
La gouvernance urbaine n’est pas qu’une affaire de volonté
politique. Elle est également affaire de méthode. Le seul
fait de parler de démocratie participative, de partenariat,
de projet intégré ou de développement durable, ne suffit pas
si on ne dispose pas des outils permettant d’engager des
transformations pratiques en termes de méthode de travail,
de processus d’élaboration des politiques et d’organisation
des services, qui vont permettre de les pratiquer. La
participation citoyenne au processus de décision est un de
ces outils les plus importants. Des expériences innovantes
et probantes ont été et sont mises en œuvre au niveau des
municipalités dans la plupart des pays de la région.
Ainsi, en Tunisie, le rôle des associations de quartier
ne cesse de se développer. Elles jouent, à présent, un rôle
de plus en plus actif auprès des municipalités en particulier
pour faire remonter les demandes voire les récriminations
des habitants sur les sujets les plus divers.
En Egypte, le désengagement en cours de l’Etat ouvre
un champ d’action de plus en plus important à la vie
associative et aux ONG qui vont, dans certains cas, jusqu’à
se substituer aux collectivités locales défaillantes, gérant
directement certains services urbains tels que le ramassage
d’ordures et l’aménagement d’espaces verts. Une tentative
pionnière de ce type a été menée dans le cadre du
programme LIFE soutenu par le PNUD.
Le renouvellement de la participation des habitants
peut être perçu comme le résultat des effets conjugués du
processus de démocratisation, de décentralisation et de la
pression que la demande sociale exerce sur l’Etat. Ainsi,
l’«advocacy planning»22 s’appuie sur le principe de
l’aménagement urbain participatif. Il propose de mettre les
compétences des experts au service des catégories sociales
les plus défavorisées de manière à les associer au processus
de planification, afin de contrebalancer la répartition inégale
des pouvoirs dans la société. La participation des citoyens
se présente comme un moyen de pallier les insuffisances
bureaucratiques de l’appareil administratif. Deux villages,
Batra et El Kelh, situés respectivement dans les
gouvernorats de Gharbéya et d’Assouan, ont été sélectionnés
pour la mise en œuvre d’un projet pilote d’aménagement
participatif.
En Algérie, un projet de « Promotion de la
décentralisation et de la gouvernance locale » est en cours
avec pour objectif d’améliorer l’accès aux services publics
des franges les plus défavorisées de la population. Des
formes de « planification participative » sont également
mises en oeuvre pour des opérations de réhabilitation. C’est,
par exemple, le cas du «grand ensemble » d’habitat collectif
à l’est d’Alger.
Des expérience similaires sont également conduites
dans d’autres pays avec la même finalité qui est de faire
remonter vers les décisionnaires des informations qui
permettent de mieux prendre en compte les priorités et
d’assurer une plus grande efficacité dans l’allocation des
ressources.
22 Expérience venue des Etats-Unis développée dans les quartiers spontanés ou dans le monde rural.
117
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
LE FINANCEMENT DES
INFRASTRUCTURES URBAINES
DES BESOINS FINAN-
CIERS CONSIDÉRABLES
En rapprochant les éléments recueillis au cours de cette
étude d’autres données relatives aux investissements
publics dans les pays méditerranéens, on a cherché à
dégager les besoins financiers nécessaires à une «mise à
niveau» des services publics les plus indispensables à la
population dans les villes du Sud.
Les données statistiques font ici cruellement défaut.
Les investissements publics actuels des pays
méditerranéens ne sont appréhendés que de façon globale,
sans possibilité de pouvoir isoler les investissements dédiés
à l’amélioration du cadre urbain. Et du fait de leur forte
imbrication dans les comptes de l’Etat, les comptes des
collectivités territoriales ne permettent pas de se faire une
idée précise des investissements actuellement prévus ou
réalisés dans les domaines tels que l’eau, les déchets, la
voirie, les transports publics ou l’habitat.
Par ailleurs, les projets d’infrastructure annoncés par
les villes sont difficiles à interpréter sur le plan budgétaire,
du fait de leur imprécision quant aux dates de réalisation,
et sur leur structure de financement.
En l’absence d’un système organisé d’information sur
les besoins et les projets d’infrastructure ville par ville, on
a donc choisi de procéder à une évaluation normative par
grand domaine (eau, déchets, transports publics…) sur la
base de ratios d’investissements tirés de l’expérience des
grands opérateurs et gestionnaires de services urbains. Les
résultats qui s’en déduisent sont évidemment imprécis dans
la mesure où ils ne tiennent pas compte de la diversité des
problèmes rencontrés et d’un état des lieux qui peut varier
dans des proportions importantes d’une ville à une autre.
Ils n’en fournissent pas moins un ordre de grandeur des
financements nécessaires pour atteindre un objectif
déterminé et des écarts à combler entre les besoins
financiers ainsi estimés et les ressources disponibles.
Cette approche a été, au demeurant, abondamment
utilisée pour évaluer les besoins d’investissement
nécessaires pour la mise des infrastructures des pays
nouveaux entrants dans l’Union Européenne23.
Concernant les objectifs à atteindre, on a étendu à
l’ensemble des services publics urbains les objectifs pris
par la communauté internationale pour l’eau et
l’assainissement dans la Déclaration du Millénaire par
laquelle les Nations Unies se sont donné pour objectif à un
horizon de quinze ans la réduction de moitié de la proportion
de personnes sans accès durable à une eau saine, abordable
et en quantité suffisante. Compte tenu de la population
urbaine actuelle (165 millions) et des prévisions
d’accroissement annuels (environ 4 millions), on a pris
comme objectif les investissements qui seraient nécessaires
pour couvrir une population de 8 millions de personnes par
an soit 80 millions à un horizon de 10 ans (environ le tiers
de la population urbaine prévue à cet horizon). Les résultats
de ces évaluations sont consignés dans le tableau ci-après.
Investissements annuels dans les services
publics urbains essentiels dans les pays
méditerranéens (estimation)
Domaines
Eau et assainissement
Collecte et traitement
des déchets
Transports publics
Logement social
Voirie
Total
Investissements annuels
(milliards d’euros)
6 à 7,0
0,6
1,3 à 1,5
1,3 à 1,5
0,8
10 à 11,4
On retiendra donc le chiffre de 10 milliards d’euros par an
soit 100 milliards à l’horizon 2015 comme ordre de grandeur
des investissements nécessaires pour résorber environ 50%
des déficits en terme d’infrastructures urbaines dans les
villes méditerranéennes.
Face à ces besoins, les ressources sont, en théorie,
très diverses. Elles peuvent venir des usagers eux-mêmes
qui par les contributions qu’ils acquittent soit directement
soit sous forme de taxe locale, peuvent contribuer au cashflow des sociétés gestionnaires et donc à leurs
investissements. Les opérateurs privés peuvent avoir, dans
le cadre des concessions qui leur sont accordées, des
obligations de rénovation ou de création d’infrastructures
23 On se référera,en particulier, aux travaux du Ministère de l’Environnement Danois qui à la demande de la Commission Européenne, a calculé les besoins d’investissement nécessaires
pour une mise à niveau réglementaire des infrastructures urbaines des dix pays qui ont rejoint l’Europe en 2004.
119
LES VILLES
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DIX ANS APRES
BARCELONE
nouvelles. Les banques locales peuvent proposer des prêts
aux opérateurs dans le cadre de leur programme
d’investissement. L’aide internationale, enfin, apporte
traditionnellement son concours à ce type d’investissements
sous forme de prêt ou de don.
Mais pour être clair, l’essentiel des investissements
est aujourd’hui réalisé par les Etats eux-mêmes à partir de
leurs ressources propres ou de prêts accordés par les
institutions financières multilatérales. En effet, les recettes
des usagers couvrent à peine, dans le meilleur des cas, les
coûts de fonctionnement et ne contribuent donc que très
exceptionnellement aux investissements. Les aides sous
forme de dons ne représentent qu’une faible part des
investissements publics urbains réalisés. Quant au
partenariat public privé, s’il a permis d’améliorer de façon
très significative la qualité de la gestion et le niveau du
service, il n’a pas, à quelques exceptions prés, contribué
de façon significative aux efforts d’investissements en
infrastructures nouvelles.
Dans la structure actuelle de financement, l’objectif de
porter à 10 milliards d’euros le niveau des investissements
urbains conduirait à un quasi doublement de l’effort public
supporté par les Etats dans le domaine. Or, un tel effort
dépasse très largement leurs possibilités budgétaires. Les
déficits publics et le niveau d’endettement des Etats ne leur
accorde, en effet, que de très faibles marges de manœuvre
financières.
L’objectif visé n’est pas, pour autant irréalisable à la
condition toutefois que l’ensemble des ressources
mobilisables puissent l’être effectivement.
La tarification des services publics doit évoluer dans
un sens qui traduise mieux la valeur économique du service
rendu. Des progrès ont été réalisés dans ce domaine au
cours des dernières années. Dans certains pays, le principe
de la tarification et les mécanismes de marché sont de
mieux en mieux acceptés. Ces succès demandent à être
rapidement généralisés.
Il faudra également que soient stimulés les
investissements privés dans le cadre du partenariat publicprivé sous des formes, et elles existent, qui permettent un
accès à ces services à tous à un prix abordable et
particulièrement aux populations les plus défavorisées.
Il faut, enfin poursuivre les réformes politiques et
institutionnelles qui seules, permettront d’engager des
changements durables à la fois dans la gestion des services
publics et l’attraction d’investisseurs privés.
120
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
LE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ :
OUTIL AU SERVICE DU
DÉVELOPPEMENT URBAIN
Le développement urbain et la maîtrise à la fois de la
croissance démographique et de la construction
d’infrastructures sont au cœur des préoccupations des
pouvoirs publics nationaux et locaux. Le partenariat entre
le secteur public et le secteur privé, encore peu mis en avant
dans les pays méditerranéens s’avère être une formule
efficace mais difficile à mettre en œuvre.
Une implication croissante des opérateurs privé dans
le financement des infrastructures urbaines
L’explosion des besoins en matière de service public
marchand et les limites de la capacité de financement des
Etats ont conduit à la mise en place de formes
d’organisations nouvelles à partir d’une implication accrue
du secteur privé. Ce qu’il est convenu d’appeler le
partenariat public-privé recouvre en fait une grande diversité
de situations. Les coopérations mises en œuvre visent, le
plus souvent, à assurer le financement, la construction, la
rénovation, la gestion ou l’entretien d’une infrastructure ou
la fourniture d’un service. Les domaines couverts sont
principalement les télécommunications, la production et la
distribution de l’électricité, la gestion des déchets urbains,
la distribution d’eau, les transports publics urbains la
distribution d’eau potable et le traitement des eaux usées.
Bien conçu, le partenariat public-privé permet d’apporter
des réponses appropriées aux besoins des habitants sur des
services publics essentiels. Cependant, si ce partenariat
dessine un nouveau cadre général, il n’existe pas de modèle
unique reproductible mais des solutions adaptées à des
situations locales et à des problèmes particuliers. Les défis
à relever sont néanmoins nombreux : concilier investissements
et rentabilité avec l’accès aux services pour les plus démunis,
assurer l’implication d’un opérateur privé souvent étranger
dans un environnement dont il devra faire l’apprentissage,
créer les conditions d’une régulation efficace, satisfaire aux
exigences d’un développement durable.
Des avantages réels difficiles à mobiliser
Le premier avantage est, bien évidemment financier puisque
l’objectif d’un PPP est de faire financer l’investissement
public par le secteur privé et d’améliorer la qualité du
service. Il permet donc, en premier lieu, de diminuer la
charge budgétaire d’un Etat. Par ailleurs, la discipline
financière à laquelle doivent s’astreindre les investisseurs
pour s’assurer de la rentabilité de leurs placements dans
un projet en PPP garantit également, de leur part, un suivi
minutieux de la préparation et de la réalisation du projet.
Il ne faudrait pas penser, pour autant, que les PPP
puissent se substituer majoritairement aux investissements
publics, concernant en particulier les investissements
urbains. Tous secteurs confondus, on constate que les PPP
n’ont représenté, au cours des vingt dernières années
qu’environ 22% des investissements en infrastructure. Plus
de deux tiers ont été financés sur fonds publics et le reste,
soit environ 10%, par l’aide internationale. La part des fonds
publics dans le financement des infrastructures urbaines
dépasse vraisemblablement les trois quarts des
investissements totaux dans ce domaine.
Autre avantage de taille, les modalités contractuelles
du PPP sont centrées sur les résultats à atteindre plutôt
que sur les moyens et les méthodes de travail. On s’assure
ainsi, en principe, de l’atteinte des résultats à un prix et
dans les délais convenus au moment de la signature de
l’entente de partenariat. Si pour diverses raisons, le service
s’avère inadéquat ou de qualité inférieure, la rémunération
du partenaire privé s’en trouvera réduite et agira en tant
que moyen pour assurer le service de la qualité prévue au
contrat.
Enfin, dans l’éventail des formes de gestion déléguée,
certaines peuvent être également un levier efficace de
décentralisation et de responsabilisation des collectivités
locales. Elles présentent en effet l’avantage d’être peu
consommatrices de compétences, de ressources humaines
et financières. Elles apparaissent également comme un
instrument accompagnant parfaitement les spécificités de
la décentralisation en Méditerranée à la condition toutefois
qu’elles respectent le principe du PPP.
Des risques multiples à maîtriser
Les risques associés à ces projets dans les pays en
développement en général sont de plusieurs natures.
Le risque tarifaire est l’un des principaux risques
auxquels sont confrontés les opérateurs privés et
concessionnaires de service public dans les pays
méditerranéens. Les projets d’investissement, que ce soit
dans le domaine de l’eau, de l’assainissement ou celui des
déchets, supposent des investissements initiaux importants
dans les premières années, qui ne sont rentabilisés que sur
une très longue durée grâce à une augmentation régulière
et prolongée des recettes. Les contrats de concession que
ce soit sur l’eau, l’assainissement ou les déchets, sont des
contrats portant sur des périodes longues, durant lesquelles
de nombreuses évolutions peuvent se produire, notamment
dans la politique nationale, pouvant influer fortement sur
les prix du service même lorsque celui-ci est régulé.
S’ajoute au risque tarifaire un risque de change. En
effet, les recettes générées se présentent dans la monnaie
locale alors que les prêts qui couvrent les investissements
nécessaires appellent souvent un remboursement en
monnaie étrangère. Or, les risques de change dans la région
sont élevés. En pratique, au cours des dix dernières années,
certaines des grandes concessions et des partenariats privés
ont souffert de dévaluations brutales ou progressives
intervenus dans les pays hôtes. Les risques de change ne
sont plus contractuellement maîtrisables en cas de brusque
chute du cours des devises et dans ce cas, les tarifs prévus
ne peuvent pas être pratiqués et les paiements des clients
deviennent aléatoires.
Enfin, le risque contractuel reste très important, en
particulier, dans la zone méditerranéenne et ce pour trois
raisons principales.
La première est qu’il s’agit comme on l’a dit de contrats
portant sur des périodes longues durant lesquelles des
évolutions importantes peuvent intervenir dans la politique
nationale ou dans les normes imposées au service.
La deuxième tient à l’introduction des grands opérateurs
privés dans des pays dont ils n’ont pas l’expérience et sur
des domaines pour lesquels l’information initiale (la carte et
l’état du réseau par exemple) est souvent déficiente.
La troisième est la tendance à la dérégulation de
certains secteurs : l’apparition de régulateurs supposés
indépendants, les projets de privatisations de certaines
autorités autrefois délégantes, sont autant de facteurs qui
peuvent concourir à l’insécurité des PPP ou à un certain
manque de visibilité.
Pour une régulation efficace et équitable
La garantie d’une gestion équitable et efficace des villes et
de leurs services urbains passe par des conditions formelles
à remplir24 Un équilibre entre les intérêts des institutions
publiques et les intérêts privés est nécessaire. En outre, une
fois cette articulation établie, des exigences de transparence
et de rationalité économique doivent être assurées. C’est le
rôle généralement dévolu à l’organisme régulateur.
La capacité publique de régulation des partenariats
public-privé doit être considérée avec attention. L’exemple
marocain est de ce point de vue révélateur. Le Maroc s’est
engagé récemment mais rapidement dans l’octroi de
concessions aux acteurs privés (80% du secteur de la
distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement urbain
est géré en concession). La multiplicité des contrats et des
modes d’octroi des concessions ne garantit pas
nécessairement la transparence des procédures. Un texte
peut alors chercher à consacrer des principes clairs en
matière de délégation de gestion : transparence,
généralisation du recours aux appels d’offres, égalité de
traitement des soumissionnaires, obligation de publicité.
24 « Services urbains et développement durable », Rapport de synthèse, C. DEFEUILLEY et D. LORRAIN, ISTED, IGD, Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement.
121
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
L’organisation institutionnelle de contrôle et de
régulation des partenariats doit relever de la responsabilité
publique et ne peut être conçue sans un rôle explicite et
transparent des collectivités locales concernées. Celles-ci
doivent également en assumer la pleine responsabilité
auprès des populations. Il est important d’optimiser les
avantages comparatifs respectifs des secteurs privé et
public.
L’accès aux services des populations les plus
défavorisées
Dans la plupart des villes méditerranéennes, une partie non
négligeable de la population n’est pas en mesure de payer
à leur vrai prix les services auxquels ils souhaitent avoir
accès ni, a fortiori, de financer les investissements
nécessaires à l’extension ou à la rénovation des réseaux.
Ce problème n’est pas spécifique aux pays méditerranéens.
Selon le World Resources Institute, les agglomérations des
pays en voie de développement comptent entre 25 et 50%
d’habitants à bas revenus n’ayant pas accès aux services
urbains de base.
Dans un contexte de gestion privée où l’opérateur doit
être en mesure de rentabiliser son investissement, il n’est
pas possible, en principe, de délivrer le service gratuitement
sans courir le risque de mettre en péril l’équilibre financier
du contrat. Mais il n’est pas, à l’inverse, envisageable de
laisser les populations les plus défavorisées sans accès aux
réseaux.
Des solutions existent dont certaines sont mises en
application dans certaines grandes villes du bassin
méditerranéen. La péréquation tarifaire est aujourd’hui le
moyen le plus utilisé qui permet de ne faire supporter aux
populations à bas revenus qu’une partie du coût du service,
la différence étant à la charge des autres clients. La
péréquation s’applique également aux investissements
d’extension ou de rénovation du réseau. Mais péréquation
ne veut pas dire que le service soit délivré gratuitement aux
usagers les plus modestes. D’autres solutions existent
également (voir tableau ci dessous) dont la mise en œuvre
dépend du contexte local. Elle exige par ailleurs une vigilance
particulière de l’autorité de régulation.
Une certaine dose d’intermédiation sociale est
également nécessaire aussi pour recouvrer les coûts. Tous
les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour reconnaître
que le fait que les gens payent pour l’eau -même très peu
-a de nombreuses vertus : au-delà d’une contribution au
recouvrement des coûts, il aide chacun à prendre conscience
que l’eau payante ne doit pas être gaspillée. L’argument est
même utilisé par les fontainiers pour discipliner les queues
aux bornes-fontaines. Quel que soit l’état de pauvreté, une
122
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
participation financière minimum des personnes concernées
est souhaitable.
On constate, en effet, que les personnes pauvres non
desservies en eau, achètent souvent cette eau à des
vendeurs itinérants ou à des voisins, souvent à des prix
plusieurs fois plus élevés que le prix acquitté par les
personnes raccordées. Mais il s’agit souvent de faibles
quantités d’eau ; une fois raccordés, les ménages pauvres
pourraient donc, avec un budget moindre, être raccordés
moyennant une réduction de prix. Il faut également
reconnaître que, dans certains contextes, la capacité à payer
l’eau reste un objectif éloigné, les subventions étant
inévitables, du moins à court terme.
Les exploitations privées ont, pour la plupart,
accomplies de réels progrès en matière d’efficacité et
lorsque les collectivités imposent le raccordement des
populations les plus défavorisées, cette condition est, en
général, respectée.
Tarif
X
Péréquation
Tranche
X
sociale
Modalités de
paiement
Participation
main- d’œuvre
Subventions
Branchements
sociaux
Fonds de travaux
Micro-prêts
X
Prépaiement
Tontines
Branchement
compteur
Infrastructure
Travaux
sur
terrains
privés
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Source : Suez - Lyonnaise des Eaux
Des résultats encore modestes en Méditerranée
Dans tous les pays méditerranéens, malgré certains exemples
encourageants, le partenariat public-privé ne couvre qu’une
partie très limitée des besoins en infrastructure urbaine.
Au Maroc, pays qui a inauguré le premier projet en
«Build, Operate, Transfer» (BOT : formule anglo-saxonne
pour PPP), de nouveaux projets d’électricité, de distribution
de l’eau potable et l’assainissement à Casablanca sont en
cours. La gestion et l’entretien de certains parcs publics fait
également l’objet de concessions au privé.
La Tunisie utilise cette technique pour des électriques
et pour les aéroports.
Après avoir été longtemps réticente à ce type de
contrat, l’Algérie a fait appel au financement privé, pour la
construction de la première usine de dessalement de l’eau
de mer et, plus récemment, la gestion de l’eau et de
l’assainissement sur la ville d’Alger.
L’Egypte a d’ores et déjà financé divers projets
électriques sous forme de PPP, mais également un terminal
conteneur et un aéroport, et a délégué au secteur privé le
service de collecte et de transport des déchets domestiques
du Caire et d’Alexandrie.
Au Liban, des projets dans les télécommunications et
dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement, des
parkings et de la santé ont vu le jour ou sont en cours de
négociation.
En Israël, de nombreux projets notamment d’autoroutes,
d’électricité, et de désalinisation ont vu le jour, financés en
PPP. Une concession est en cours d’attribution pour la gestion
du tramway de Tel-Aviv.
La Jordanie s’est largement ouverte à différentes
techniques de PPP dans le domaine des télécommunications,
dans la gestion des eaux (Amman) et le traitement des eaux
usées.
Des pays comme la Turquie, la Jordanie, Israël et le
Maroc sont ceux qui ont fait le plus particulièrement appel
au financement et à des opérateurs privés. D’autres pays,
comme l’Egypte, qui avaient cru trouver dans cette technique
un remède miracle pour le financement de leurs
infrastructures, après quelques succès mais également des
échecs, ont dû faire machine arrière et procèdent à présent
à une sélection plus rigoureuse des projets éligibles pour
ce type de financement.
Les statistiques de la Banque Mondiale montrent, au
demeurant, que les projets de partenariat public-privé sur
les infrastructures dans les pays méditerranéens sont, en
valeur relative et absolue, très inférieurs à ce qu’ils sont
dans les autres grandes zones géographiques. Cumulés
sur la période 1990 à2002, ils se montaient à 26 $MM contre
près de 400 $MM en Amérique Latine et 200 $MM en Asie.
Rapportés à la population, ces investissements
représentaient 80$ par habitant en Méditerranée contre
prés de 700$ en Amérique Latine.
Plusieurs facteurs expliquent cette faiblesse du
partenariat public-privé en Méditerranée.
Le premier concerne la stratégie des Etats euxmêmes. La décision de confier tout ou partie de la gestion
d’un service public relève, au premier chef, d’une décision
politique. Or, les gouvernements de nombreux pays
méditerranéens sont encore réticents à concéder, même
contre garanties, la gestion de certains services publics
considérés comme politiquement sensibles à des
entreprises privées. La concession à une entreprise souvent
étrangère d’une fonction considérée jusque-là, à tort ou à
raison, comme régalienne, représente un risque politique
qui freine l’engagement d’un certain nombre d’Etats.
S’ajoutent à cela la méfiance de l’administration à l’égard
du secteur privé basée sur une forte notion du bien et du
service public héritée du droit civil et administratif, et les
réticences des locaux à investir aux côtés de partenaires
étrangers ou locaux.
Des opérateurs privés de plus en plus
sélectifs
Mais la mise en place de partenariat public-privé en
Méditerranée se heurte également, ces dernières années,
à un manque d’enthousiasme des opérateurs privés et ce
pour plusieurs raisons.
Les entreprises et les grands groupes en particulier,
sont de plus en plus confrontés à un surendettement,
résultant des vagues de croissance externe à la fin des
années 1990, et doivent satisfaire les analystes financiers
et leur actionnariat par une plus forte rentabilité à moindre
risque. Ils ont alors tendance à se détacher des secteurs
traditionnellement peu rentables pour se consacrer à
d’autres activités jugées plus rémunératrices. Les
statistiques de la Banque Mondiale montrent que les
investisseurs étrangers privilégient, pour cette raison, des
secteurs comme les télécommunications ou l’énergie qui
offrent des perspectives meilleures de rentabilité car moins
soumises à des aléas tarifaires.
Le secteur de l’eau est, à l’inverse, celui qui est le
moins attractif aux yeux des grands investisseurs
internationaux. Selon les statistiques de la Banque Mondiale,
le secteur de l’eau et de l’assainissement ne représente,
dans le monde, que 5% des investissements privés en
infrastructure. En Méditerranée, le montant cumulé des
investissements privés dans ce domaine représentaient 1,3
$MM contre 10,8 $MM sur les télécommunications, 8,4 $MM
dans le secteur électrique, 3,9 $MM dans le gaz naturel et
1,2 $MM dans les infrastructures portuaires.
Les raisons en sont simples. Tout d’abord, le secteur
de l’eau et de l’assainissement est, en terme financier, l’un
des secteurs les plus capitalistiques qui soit. Le ratio de chiffre
d’affaires rapporté au capital investi y est plus élevé que pour
l’industrie pétrolière ou celle des télécommunications. Par
ailleurs, la rentabilité n’y est acquise qu’au bout de temps
très long impliquant des aléas tarifaires et de taux de change
importants. Les mêmes aléas se retrouvent au niveau de la
gestion des déchets ou celle des transports publics urbains.
Au total, les statistiques de la Banque Mondiale montrent
que les investissements dans l’eau, l’assainissement ou les
déchets ont un taux de rentabilité de 1,5 à 2 fois plus faible
que dans les télécommunications ou l’énergie.25
123
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Des risques pays encore très présent
Au-delà des risques propres aux modalités de gestion de
ces contrats, le partenariat public-privé s’apparente à un
investissement direct étranger et est donc soumis aux
mêmes appréciations de risque de la part des investisseurs
privés que les autres types d’investissement. Le risque pays
est général et n’est pas spécifique à un secteur déterminé
mais il représente un critère dont les investisseurs tiennent
compte avant tout engagement.
Or, il est un fait, comme on l’a vu plus haut, que
l’investissement direct étranger (IDE) dans les pays du Sud
et de l’Est de la Méditerranée est structurellement faible et
n’a que très peu augmenté ces dernières années. Une
enquête récente26 montre que les investisseurs étrangers
sont partagés sur les perspectives offertes dans les pays
méditerranéens. Un petit nombre exclut a priori la région,
pour des raisons géopolitiques, ou à cause de l’insuffisance
de la clientèle domestique qu’elle représente. Les images
par pays sont également contrastées.
En outre, la vision de l’environnement socio-politique
dans la région méditerranéenne a une influence certaine
sur les investissements étrangers et sur la conclusion de
partenariats avec les entités publiques.27 Ainsi, l’intégrisme
et l’islamisme font peur à une partie des investisseurs,
même si une majorité a conscience de la grande stabilité
politique de la plupart des régimes de la région.
Des propositions pour une relance des PPP
en Méditerranée
La question de savoir comment rendre plus attractifs les
investissements en infrastructures urbaines est ici complexe
et a déjà fait l’objet de nombreux débats dans le monde des
grands opérateurs privés.
La couverture du risque politique au sens élargi
correspond à une demande pressante des opérateurs privés.
Le risque n’est pas limité aux spoliations par nationalisation
ou confiscation brutale, qui sont couvertes mais ne sont
généralement plus d’actualité dans le monde, mais
concerne plutôt des mesures rampantes telles que les
changements de législation (environnement, dérégulation,
introduction de régulateurs) et surtout les contestations
tarifaires qui n’étaient pas traditionnellement considérées
comme des risques politiques mais comme des risques
commerciaux bien que la politique tarifaire soit guidée par
les Etats.
Associé au risque tarifaire, le risque de change qui était
limité en Méditerranée du fait d’une relative stabilité des
monnaies s’est fortement accru avec les crises financières
qu’ont connu certains pays (Turquie et Egypte, en particulier)
et une tendance généralisée des gouvernements en place
à ajuster progressivement leur taux de change pour
maintenir une compétitivité érodée par la levée en masse
des économies asiatiques sur des productions concurrentes
(le textile en particulier). Diverses méthodes de réduction
du risque ont été expérimentées avec notamment la création
de réserves pour faire face aux effets d’une dévaluation ou
la mise en place de programmes nationaux visant à garantir
le futur taux de change. Mais elles sont généralement
longues à mettre en place et limitées en termes d’échelle.
Pour sa part, le Panel mondial sur le financement des
infrastructures de l’eau, qui s’est réuni en 2003, a, dans son
rapport, proposé la mise en place d’une facilité de trésorerie
en cas de dévaluation, pour réduire les conséquences des
variations du taux de change dans les projets de l’eau au
niveau non souverain. Selon ses promoteurs, cette facilité
serait «mise en place par une organisation publique
internationale (Institution Financière Multilatérale ou Agence
de Crédit Export) bénéficiant d’un excellent degré de
solvabilité, et capable de supporter une responsabilité
financière du jour de la dévaluation jusqu’à la fin de la
période de remboursement des prêts qu’elle pourra être
conduite à consentir».28
À plus court terme, les opérateurs privés ont alors
tendance à rechercher des financements locaux. Mais ceuxci, en dépit d’une épargne parfois excédentaire, sont
rarement disponibles dans les pays du pourtour
méditerranéen. Le problème de la mobilisation d’une
épargne interne de long terme pour des projets
d’infrastructure urbaine n’a pas trouvé jusqu’à présent de
solution satisfaisante. On peut, à ce propos saluer l’initiative
marocaine d’introduction en bourse d’une partie du capital
de la Lydec qui, depuis 1997, est concessionnaire d’un contrat
de gestion déléguée portant sur la distribution d’eau potable,
le service de l’assainissement et la distribution électrique
de l’agglomération de Casablanca (4 millions de clients).
Les procédures de mise en concurrence pour
l’attribution des contrats sont, enfin, l’objet de critiques de
la part des opérateurs privés et demandent à être
améliorées. Le manque d’expérience des autorités qui ont
la responsabilité de l’élaboration des appels d’offre les
conduit quelquefois à proposer aux opérateurs des modèles
économiques d’exploitation peu efficaces alors que d’autres
solutions, exclues a priori, permettraient d’offrir un meilleur
service à un moindre coût. Par ailleurs, le manque de
transparence sur les critères de sélection et leur
interprétation sont souvent cités comme des domaines où
des progrès restent à faire.
25 Chiffres cités par C. Briceno-Garmendia & al. In Infrastructure Services in Developing countries – World Bank Policy Research Working Paper – Dec. 2004.
26
27 « Image de la région MEDA pour les investisseurs », ANIMA -P. Perez, B.de Saint-Laurent, Réseau Anima, N°4, janvier 2005.
28 Rapport du Panel mondial sur le financement des infrastructures de l’eau – Michel Camdessus – 2003.
124
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Des partenariats encouragés par les
organisations multilatérales et les bailleurs
de fonds internationaux
L’orientation actuelle des organisations multilatérales
et des grands bailleurs de fonds internationaux les conduit
naturellement à favoriser le développement de partenariats
public-privé en particulier dans les services urbains. La
création en 2002 par la Banque Européenne d’Investissement
(BEI) d’une Facilité euro-méditerranéenne d’investissement
et de partenariat (FEMIP), a constitué une évolution majeure,
dans la coopération financière de l’Union et des pays
méditerranéens. La priorité de la FEMIP étant le
développement du secteur privé, elle a naturellement
cherché à favoriser et à accompagner le partenariat publicprivé dans tous les grands projets d’infrastructure urbaine
auxquels elle a été associée (voir annexe 1).
La BEI et d’autres organismes financiers travaillent
aujourd’hui au développement d’instruments susceptibles
d’enrayer le repli des PPP en Méditerranée et développent
en association avec MIGA et la Banque Mondiale, des
garanties partielles des risques englobant les risques
contractuels divers et notamment les risques tarifaires.
Mais à ce jour, le travail accompli par la BERD29 pour la
promotion et la mise en œuvre des PPP pour les 27 pays de
l’Est qui sont de sa compétence, n’a malheureusement pas
d’équivalent en Méditerranée.30
On peut également citer, en complément d’autres
facilités, le partenariat public-privé pour l’environnement
urbain du Programme des Nations-Unies pour le
Développement (Public-private partnership in urban
environment ou PPPUE). Il s’agit là d’un programme multipartenaires que les pays en développement peuvent utiliser
pour soutenir leurs efforts dans la définition et la promotion
des partenariats public-privé afin de réduire la pauvreté au
niveau local. Le PPPUE inclut à la fois l’assistance technique
et le financement des activités menées dans le cadre des
PPP et la gestion de projets, la capacité de construire et de
mise en réseau pour soutenir ces efforts, dans des
domaines tels que : l’eau potable, l’assainissement, les
services d’énergie durable, la gestion des ordures
ménagères et les équipements municipaux dits centraux.
29 Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement.
30 Bruno de Cazalet – Avocat associé-Gide Loyrette Nouel.
125
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
LA COOPERATION DECENTRALISEE
DES VILLES DANS LA NOUVELLE
POLITIQUE DE VOISINAGE
LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE DES VILLES EN
MÉDITERRANÉE
La coopération décentralisée, instrument pour
un partenariat pluraliste
La coopération décentralisée est considérée comme un
modèle alternatif moins formaliste sur le plan institutionnel,
moins bureaucratique dans sa gestion et moins coûteux en
terme budgétaire que les formes traditionnelles de
coopération. Comparée aux initiatives étatiques, elle
présente l’avantage de susciter, par le biais des collectivités
locales, l’adhésion des populations.
Elle est le fait d’une ou plusieurs collectivités
territoriales, régions, départements, communes et leurs
groupements et une ou plusieurs autorités locales
étrangères qui se lient, sous forme conventionnelle, dans
un intérêt commun. La coopération décentralisée se
caractérise non seulement par la large gamme d’acteurs
ou de familles d’acteurs mais également par les liens de
concertation et de complémentarité entre ces acteurs. Les
actions de coopération peuvent prendre des formes diverses
(jumelages, programmes ou projets de développement,
assistance technique, action humanitaire ou gestion
commune de biens, de service). Elles peuvent intervenir
entre collectivités ou autorités territoriales de toutes zones
géographiques et de tous profils économiques ou sociaux.
Les raisons incitant les collectivités à agir en coopération
sont variables et souvent plurielles. Elles peuvent être
d’ordre économique, politique, historique, mais les idéesforce derrière l’engagement des collectivités territoriales
sont toujours celles d’ouverture sur le monde, de solidarité
et d’intérêt réciproque.
La coopération décentralisée est donc une approche
différente et complémentaire des modes traditionnels de
coopération. Elle est, pour cette raison, conduite à jouer un
rôle grandissant dans la mobilisation de la société civile, le
développement local et l’évolution démocratique des
sociétés au Nord comme au Sud.
Les stratégies post-indépendance ont conféré aux Etats
un rôle directeur dans le développement. Mais au cours des
années 80, d’importantes réformes ont été introduites
(ajustement structurel, démocratisation, décentralisation,
etc) en vue de redéfinir le rôle de l’Etat et d’accroître la
participation d’autres acteurs comme la société civile, le
secteur privé, ou les collectivités locales. De cette contrainte,
un nouveau paradigme de coopération a émergé, prônant
le développement participatif. Ainsi, la « coopération
décentralisée » apparaît dans les accords de Lomé (1989),
ALA (1992) et les programmes MED (1992-1993), comme
une réponse de l’UE aux changements intervenus dans les
modes d’action des Etats.
Du jumelage à l’institution de la coopération
décentralisée
Dans un premier temps, la coopération a été le fait des
communes, animées par la volonté de développer des liens
d’amitié avec les populations des communes allemandes
puis, pendant la guerre froide, avec celles des communes
des pays d’Europe de l’Est. Les jumelages se sont d’abord
développés en Europe ; ils constituaient alors principalement
des cadres d’échanges culturels. Dans les années 1970, les
jumelages ont changé de nature lorsque des communes se
sont engagées dans des actions concrètes de solidarité avec
en particulier des localités des pays sahéliens. Les «
jumelages-coopération » se sont développés avec l’appui
de la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (aujourd’hui
Fédération Mondiale des Cités Unies).
L’action de l’UE dans le partenariat euroméditerranéen
La coopération décentralisée a occupé une place à part
entière au sein du partenariat euro-méditerranéen mis en
place par l’UE au début des années 1990 et plus encore,
depuis la déclaration de Barcelone de 1995 où, pour la
première fois, les Etats concernés ont admis le bien-fondé
de la coopération entre collectivités territoriales du bassin
méditerranéen. Le texte de la déclaration de Barcelone fait,
en effet, expressément référence à l’implication des autorités
régionales et locales dans le partenariat euroméditerranéen.
Les premiers programmes de soutien à la coopération
décentralisée lancés par l’Union Européenne ont été les
programmes MED lancés en 1992 après la guerre du Golfe.
Mis en place par la Commission européenne dans le cadre
de sa « Politique Méditerranéenne Rénovée », ces
programmes répondaient à la volonté de la Communauté
de développer une coopération multilatérale avec et entre
les pays tiers méditerranéens. Leur objectif était de renforcer
la coopération politique et économique avec le Sud de la
Méditerranée afin de contrebalancer l’appui donné aux pays
127
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
d’Europe centrale et orientale. Ils comprenaient, en fonction
des partenaires, cinq programmes différents: Med URBS
(collectivités territoriales), Med CAMPUS (universités), Med
INVEST (entreprises), Med AVICENNE (centres de recherche)
et Med MEDIA (professionnels des média). Quoique
représentant un aspect relativement mineur de la
coopération euro-méditerranéenne par rapport au
programme MEDA, les programmes MED ont montré une
certaine efficacité en permettant, par l’injection d’un soutien
financier de 67 millions d’ECU, la création de plus de 470
réseaux regroupant environ 2000 partenaires de la société
civile.
Fin 1995, la Commission européenne a pris la décision
de suspendre temporairement ces programmes suite à des
erreurs de gestion et des présomptions de fraude révélées
par un audit de la Cour des Comptes européenne et en vue
d’améliorer les mécanismes et systèmes de gestion de leur
mise en œuvre. La Commission a, par la suite, procédé à
une évaluation approfondie de ces programmes tant sur le
plan technique que financier. Des déceptions se sont
également exprimées sur les réalisations concrètes et les
suites données aux études.
La Commission a alors mis en place des nouvelles
dispositions de gestion et de contrôle, suivant notamment
en cela les recommandations du Parlement européen. Après
une interruption de trois ans, ces programmes ont donc été
relancés en avril 1998. La relance a porté sur les
programmes MED URBS, MED CAMPUS et MED MEDIA.
Mais malgré les tentatives de la Commission pour proposer
des nouveaux outils de gestion, ces programmes ont été
définitivement abandonnés en 2000. Une timide relance est
intervenue en 2004 avec la mise en place, en 2005, du
programme Med’Act.
Les questions urbaines dans le « mainstream
» du partenariat euro-méditerranéen
Les questions urbaines n’ont été jusqu’ici traitées que de
façon très marginale dans le volet économique et financier
du partenariat euro-méditerranéen. Rappelons ici que ce
volet avait pour objectif premier l’instauration progressive
d’une zone de libre-échange entre l’Europe et les pays
partenaires du Sud et de l’Est de la Méditerranée. La
coopération économique et financière, financée par le
protocole MEDA, devait accompagner ce mouvement avec
pour priorités la poursuite des réformes structurelles et la
dynamisation du secteur privé.
Mais cette coopération, basée sur des accords entre
l’UE et les Etats partenaires, a été peu ciblée sur la
dimension urbaine, comme en témoigne la faible part
dévolue aux projets d’aménagement urbain sur la période
128
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
1995-2002, avec deux projets seulement : la rénovation des
quartiers de Balat et Fener à Istanbul (7 millions d’euros)
et la résorption de quartiers insalubres Tanger (7 millions
d’euros). En revanche, parmi les volets sectoriels de
l’instrument MEDA, plusieurs projets ont bénéficié aux villes
: distribution d’eau et assainissement (214 millions d’euros
d’engagements), énergie et environnement urbain (1,9
millions d’euros).
A l’inverse, la Banque Européenne d’Investissements
(BEI) s’est, au travers du FEMIP, plus largement investie
dans le domaine des infrastructures urbaines mais sous
forme de prêts. Une liste des principaux projets relevant
strictement du domaine urbain ayant fait l’objet d’un prêt
de la BEI est indiquée en annexe.
Le programme Interreg III
Le seul programme structuré permettant des financer des
coopérations entre collectivités territoriales des deux rives
ne relève pas du partenariat euro-méditerranéen mais de
la politique de cohésion interne à l’Union.
Le programme Interreg est un programme d’initiative
communautaire (PIC) qui vise à neutraliser pour partie les
frontières en Europe en favorisant les coopérations
transnationales au niveau des Etats, des autres collectivités
publiques et du secteur privé. Ce programme a été doté,
pour la période 2002 à 2007, d’un budget d’environ 5
milliards d’euros pour l’ensemble de l’Europe , dont environ
450 millions d’euros pour la zone «Méditerranée
Occidentale» (MEDOCC) comprenant le Sud de la France et
les régions de la façade méditerranéenne d’Espagne et
d’Italie.
Un autre volet baptisé ARCHIMED couvre l’Est de la
Méditerranée (Grèce, Chypre, Malte et régions orientales
de l’Italie).
Ce programme qui est principalement dédié au
financement de projets de coopération entre des collectivités
européennes est également ouvert aux collectivités du sud.
Leur rôle reste néanmoins limité. Mais la fenêtre qui a été
ouverte a permis de vérifier la pertinence de la démarche
et l’intérêt de plus en plus marqué des collectivités des deux
rives de changer l’échelle de leur coopération en lui donnant
la dimension multilatérale qui reste la véritable valeur
ajoutée de l’Union Européenne.
Le rapprochement MEDA-Interreg, longtemps souhaité
par les acteurs de la coopération méditerranéenne, n’a pas
pu se réaliser en début de programmation du fait des
modalités différentes de fonctionnement des deux
programmes. Ainsi, Interreg met en place des programmes
pluriannuels à gestion décentralisée au niveau des régions
ou des Etats-membres. MEDA, de son côté, fonctionne sur
la base de programmes indicatifs annuels négociés au
niveau des Etats. Ces difficultés sont toutefois en passe
d’être surmontées. Ainsi, en 2005 déjà, Interreg et MEDA
sont coordonnés dans le volet de la coopération
transfrontalière concernant en particulier les programmes
Espagne-Maroc et Gibraltar-Maroc.
Cette coopération vient d’être étendue au volet
transnational, les programmes Méditerranée Occidentale
et Archimed, avec la mise en place d’un volet expérimental
couvrant la période 2005-2007. Le financement MEDA de
4,5 millions d’euros prévu pour le volet MEDOCC financera
ainsi la participation de collectivités des pays du Maghreb
à des projets déjà programmés dans le cadre d’Interreg. Ce
rapprochement ne fait donc que préfigurer le futur
programme de voisinage dont il sera question plus loin.
Le projet Med’Act
Une autre initiative, plus modeste mais à forte valeur
symbolique, mérite d’être signalée qui a été engagée par
les villes membres de la commission Euromed des Eurocités
qui ont souhaité prendre une part active à la relance du
partenariat euro-méditerranéen.
Depuis sa création, en novembre 2000, à Bordeaux,
cette commission qui réunit une cinquantaine de villes euroméditerranéennes, s’est attachée à promouvoir de nouvelles
pistes de coopération euro-méditerranéenne. Le projet pilote
Med’Act (Mediterranean Europe Development Action of Cities
and Towns) est l’aboutissement d’un ensemble d’initiatives
en faveur du renforcement des liens entre l’Europe et les
pays MEDA dans l’esprit du «Processus de Barcelone» né
en 1995, dont l’objectif est de contribuer à faire de la
Méditerranée un espace de paix, de stabilité et de prospérité.
Au sein du réseau EUROCITIES qui regroupe 108
métropoles européennes dans 24 pays, la Commission
EUROMED, qui rassemble les Maires de plusieurs villes
d’Europe et des pays MEDA, a demandé à la Commission
européenne d’initier un programme de coopération
décentralisé pour relancer le partenariat entre l’Europe et
la Méditerranée: c’est ainsi qu’est né le projet pilote Med’Act
qui s’articule autour de deux objectifs:
• Promouvoir l’engagement des collectivités locales
dans le partenariat euro-méditerranéen et établir à
long terme les bases d’un programme de coopération
décentralisée.
• Créer un espace de dialogue, d’échanges et de
coopération entre les villes sur deux axes
principaux : culture urbaine et développement urbain
durable.
Deux thèmes du pacte Euromed, l’environnement et la
culture, ont été sélectionnés par les membres de la
commission Euromed, lors d’une rencontre à Salé, en octobre
2002.
Une coopération décentralisée dispersée et mal
évaluée
Hormis les développements récents dont il vient d’être
question, la coopération décentralisée a reposé, depuis
l’arrêt des programmes MED, presque exclusivement sur
les actions menées au coup par coup par un certain nombre
de villes européennes en réponses aux demandes exprimées
par leurs partenaires du Sud. Ces demandes étaient à la
fois nombreuses et extrêmement diverses. Les villes
européennes y ont répondu généralement avec plus ou
moins de pertinence par l’intermédiaire d’experts envoyés
sur place ou par une aide logistique à distance. La visibilité
du message s’en est trouvée diluée du fait de cette diversité
et a alimenté, dans les publics concernés tant au Nord qu’au
Sud, une certaine confusion.
Au niveau des contenus, le processus s’est traduit le
plus souvent par un échange de connaissances intense,
mais il est resté essentiellement au niveau empirique et
théorique. En ce sens, il est possible d’affirmer que le
pragmatisme et le manque de sensibilité pratique ont
longtemps fait véritablement défaut au processus.
Des progrès importants ont été cependant réalisés au
cours des dernières années. Face à des demandes très
diverses, les villes du Nord ont appris à s’organiser.
Elles sont à présent plus sélectives dans leurs
réponses et se focalisent sur un nombre de domaines plus
restreints en s’appuyant sur des opérateurs professionnels
et expérimentés. Elles cherchent également à inscrire la
coopération dans des accords-cadres où sont définis les
attentes et les engagements de chacune des parties.
De nombreuses coopérations avec les pays
méditerranéens émergent également des réseaux de villes
(voir encadrés). Le domaine de l’eau est, de ce point de vue,
exemplaire. Des réseaux anciens existent entre
professionnels et acteurs de l’eau, qui ont permis de
nombreux échanges d’expériences et contribué à accélérer
un certain nombre d’évolutions et de réformes dont on peut
voir aujourd’hui des résultats concrets. Une évolution
similaire se fait jour dans le domaine des déchets et celui
des transports publics. L’expérience menée autour de la
Banque Mondiale par les villes membres de la Charte
d’Alliance (Barcelone, Marseille, Gênes et Lyon) aujourd’hui
étendu à d’autres villes comme Bordeaux et Séville, en est
un autre exemple.
Pour autant, on peut dire que le partenariat entre villes
est loin d’avoir atteint sa pleine potentialité, La démarche,
il est vrai est exigeante en temps et en ressources humaines,
complexe au niveau politique et administratif, contraire à la
129
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
pression de l’engagement financier et risquée au niveau des
résultats. Elle garde néanmoins toute sa pertinence dans
sa fonction d’apprentissage collectif. Elle reste, en
particulier, un terrain privilégié de l’affirmation de
l’autonomie des villes qui est, comme on l’a vu, une des clefs
de leur développement. La gouvernance devrait, pour cette
raison, devenir progressivement l’un des thèmes majeurs
de la coopération.
LES GRANDS RÉSEAUX DE
VILLES MÉDITERRANNÉENES
L’Association Internationale Villes et Ports (1988) est un
réseau international de décideurs, techniciens et experts
du développement. Cette structure permanente
d’échanges, d’informations et de contacts a pour objectif
de faire aboutir dans les meilleures conditions les projets
des villes, des ports et de leurs partenaires institutionnels
et économiques.
Elle regroupe 170 membres sur cinq continents dont
Barcelone (partenaire: Universidad de Barcelona) et
Gênes (partenaire: Universita di Genova).
En créant Cités et Gouvernements Locaux Unis
(2004), les maires et les élus locaux ont tenu les
engagements pris lors de la « Conférence Mondiale sur
les Établissements Humains » d’Istanbul, en 1996. Ils
donnent ainsi naissance à un porte-parole unique des
villes, pour apporter des réponses concrètes aux défis
de la globalisation et de la croissance urbaine.
CGLU, dont le siège est à Barcelone, est issue de la
décision des principales organisations de gouvernements
locaux - FMCU, IULA et Metropolis -de réunir leurs
réseaux mondiaux de villes et d’associations nationales
de pouvoirs locaux au sein d’une organisation unique.
Elle est devenue aussi la plus grande organisation
de villes et de gouvernements locaux dans le monde,
forte de membres issus de plus de 100 pays. Plus de 1000
villes dans 95 pays sont des membres directs de Cités
et Gouvernements Locaux Unis. La France, l’Italie, le
Maroc et le Sénégal sont les pays dont les membres
directs sont les plus nombreux.
Cités Unies France (1975) fédère, au niveau national,
les collectivités territoriales engagées dans la coopération
internationale. Elle est issue de la Fédération mondiale
des Villes Jumelées (créée en 1957), devenue Fédération
Mondiale des Cités Unies dans les années 80. Aujourd’hui
130
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
Cités Unies France est une association nationale
partenaire de la Fédération mondiale où elle représente
les collectivités territoriales françaises adhérentes.
L’association compte aujourd’hui près de 500 collectivités
territoriales françaises adhérentes, de toutes tailles, de
tous niveaux et de toutes tendances politiques. Au-delà,
à travers 21 groupes-pays et 4 groupes thématiques,
Cités Unies France anime un réseau d’environ 2 000
collectivités locales. Grâce à ces structures de travail et
de réflexion, ces collectivités échangent leurs expériences
et élaborent des programmes d’action communs.
L’objectif premier du pôle Méditerranée de Cités Unies
France est l’animation de la coopération décentralisée
française avec les pays suivants : l’Algérie, Israël, le Liban,
le Maroc, la Tunisie et les territoires palestiniens.
Eurocités (1986) est un réseau qui regroupe les grandes
métropoles non-capitales européennes. Il a pour mission
essentielle de favoriser la coopération entre les villes
dans le domaine de la gestion urbaine. Il regroupe 121
villes européennes. Eurocités possède différents groupes
de travail dont le groupe Euromed composé de membres
européens et non-européens et actuellement présidé
par la ville de Turin. C’est ce groupe qui a initié le projet
MED’ACT évoqué ci-dessus.
Medcités est un réseau des villes côtières
méditerranéennes, créé à Barcelone en novembre 1991
à l’initiative du Programme d’assistance technique
environnementale méditerranéen (METAP). Le METAP a
été mis en place en 1990 par la Banque Mondiale, la
Banque Européenne d’Investissement, la Commission
européenne et le PNUD (Programme des Nations Unies
pour le Développement). La création de Medcités était
une conséquence de l’objectif du METAP de renforcer les
actions décentralisées comprenant une assistance
technique comme meilleur moyen de promouvoir la
connaissance des problèmes environnementaux urbains,
et de faire de ces actions un véhicule donnant le pouvoir
aux municipalités des pays en voie de développement en
ce qui concerne la gestion des thèmes d’environnement
urbain.
Le réseau comprenait à l’origine une ville de chaque
pays, avec une préférence pour des villes autres que les
capitales. Les membres fondateurs sont Barcelone,
Marseille, Monaco, Brindisi (Italie), Tirana (Albanie),
Dubrovnik (Croatie), Thessalonique (Grèce), Izmir
(Turquie), Latakié (Syrie), Limassol (Chypre), Al-Mina
(Liban), Haïfa (Israël), Alexandrie, Benghazi (Libye),
Sousse (Tunisie), Gozo (Malte) et Tanger (Maroc).
Un accord a été obtenu par la suite pour étendre le
réseau, éventuellement, à deux villes par pays et inclure
la Jordanie, et les membres comprennent maintenant
Rome, Tétouan (Maroc), Sfax (Tunisie), Tripoli (Liban),
Ashdod (Israël), Larnaka (Chypre), Alep (Syrie), Zarqa
(Jordanie), Silifke (Turquie) et Koper (Slovénie). La ville
de Brindisi a plus tard quitté le réseau et elle doit être
remplacée par Palerme (en cours).
L’Organisation des Villes du Patrimoine Mondial a
pour mission de promouvoir la mise en œuvre de la
Convention du patrimoine mondial et de la Charte
internationale pour la sauvegarde de la ville du
patrimoine mondial. L’OVPM réunit 198 villes ayant sur
leur territoire un site habité inscrit au titre de lieu culturel
sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO dont
Alger, Le Caire, Essaouira, Fès, Marrakech, El Jadida,
Meknès, Tétouan (Maroc), Tunis, Kairouan, Monastir,
Sousse (Tunisie), Tel Aviv, Acre (Israël), Lyon, Paris,…
• 3: promouvoir la gouvernance politique globale et
contribuer à la sécurité stratégique et civile .
Pour assumer ces responsabilités, la communication
«Construire notre avenir commun – Défis politiques et
moyens budgétaires de l’Union élargie - 2007-2013», adoptée
le 10 février 2004, fixe un objectif ambitieux, à savoir que
l’Europe fasse mieux entendre sa voix, aidée par des
instruments plus efficaces. Cette refonte de la politique
extérieure de l’Union Européenne a conduit à restructurer
celleci autour de trois grandes politiques :
• La politique de pré adhésion, qui s’adresse aux pays
candidats (Turquie et Croatie) ainsi qu’aux pays
candidats potentiels (Balkans occidetaux).
• La politique européenne de voisinage (PEV), qui
s’adresse aux pays visés par la politique européenne
de voisinage, c’est-à-dire aux pays du Sud et de l’Est
de la Méditerranée (pays MEDA), aux NEI31
La Charte d’alliance Barcelone - Gênes - Lyon Marseille, signée le 9 juillet 1998 à Barcelone, a pour
objectifs :
d’établir des systèmes d’échanges d’informations
et d’expériences en matière de gestion de la ville,
de coordonner leurs efforts en ce qui concerne les
relations internationales, particulièrement en faveur de
la subsidiarité en Europe, du rééquilibrage vers le Sud
de l’Union Européenne et du développement de la
coopération euro-méditerranéenne, de travailler
ensemble sur des initiatives permettant de structurer la
coopération entre les villes de la Méditerranée que ce
soit au travers de la «Conférence des Villes de la
Méditerranée» ou d’initiatives concrètes de coopération
développées par le «Sommet des Villes de la
Méditerranée», le réseau «Medcités», le réseau
télématique Inter-com, ou autres.
occidentaux et aux pays du Caucase du Sud. Cet
instrument soutiendra également le partenariat
stratégique avec la Russie.
• La politique de coopération au développement et de
coopération économique avec les autres pays. Cette
politique s’adresse plus particulièrement à tous les
pays, territoires et régions qui ne peuvent prétendre
à une aide au titre de l’instrument d’aide de pré
adhésion ou de l’instrument européen de voisinage
et de partenariat.
La PEV dont il est question ici est, en fait, un signal fort
adressé aux pays qui n’ont pas vocation à rejoindre l’Union
Européenne mais auxquels il est proposé un partenariat
privilégié de façon à faciliter leurs relations avec les pays de
l’Union Européenne. Il leur est en particulier offert de
participer à diverses activités de l’UE dans le cadre d’une
coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle
renforcée. Cette politique s’adresse à la Russie, la Biélorussie,
la Moldavie, à tous les pays du Sud et de l’Est de la
Méditerranée, à l’Azerbaïdjan et à la Géorgie. Elle englobe,
pour les pays méditerranéens, le programme actuel de
partenariat Euromed et les différents instruments financiers
qui lui sont associés, en particulier le protocole MEDA.
LE NOUVEAU RÔLE DES VILLES
DANS LA POLITIQUE DE VOISINAGE
Suite à son l’élargissement en 2004 à dix nouveaux
membres, l’Union Européenne s’est vue confier des
responsabilités encore plus importantes dans le domaine
des actions extérieures, Ces responsabilités sont orientées
vers trois grands objectifs :
• 1: assurer la stabilité, la sécurité et la prospérité chez
ses voisins
• 2: œuvrer activement au développement durable au
niveau international;
Les relations avec les pays méditerranéens
vont évoluer sur plusieurs plans.
Le premier est programmatique. Un ensemble de priorités
seront définies avec chacun d’eux couvrant un certain
nombre de domaines-clés qui requièrent une action
spécifique : dialogue politique et réformes, commerce et
mesures préparant les partenaires à une participation
progressive au marché intérieur, justice et affaires
intérieures, énergie, transports, société de l’information,
30 Nouveaux Etats Indépendants
131
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
environnement, recherche et innovation, politique sociale
et relations entre les communautés. A l’inverse du
partenariat qui offrait un modèle uniforme de coopération,
la PEV sera donc basée sur des objectifs différenciés en
fonction de la volonté ou des possibilités offertes dans
chaque pays d’avancer sur le terrain des réformes.
Le second concerne la méthode retenue où il est
envisagé de s’inspirer de l’expérience européenne en matière
de convergence et d’adapter la politique de cohésion mise
en place par l’Union depuis plus d’une vingtaine d’années
à l’égard des pays et des régions les moins avancés. Il est
en particulier prévu de s’inspirer, dans les programmes
d’assistance, de la politique européenne des fonds
structurels et donner ainsi une plus grande attention à la
politique des territoires.
Le troisième enfin concerne les formes mêmes du
partenariat puisqu’il est prévu de donner un rôle plus
important que par le passé à la coopération entre collectivités
des deux rives. Une convergence est en train ainsi de s’établir
entre les programmes de coopération externes de l’Union
et les programmes internes de cohésion au travers de la
future programmation des fonds structurels. L’instrument
européen de voisinage et de partenariat (IEVP) qui est associé
à cette politique est un instrument complet destiné à
remplacer MEDA et les dix autres règlements qui encadrent
aujourd’hui la politique européenne en Méditerranée.
132
LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
méthode des fonds structurels, ouvre la voie à de nombreux
approfondissements de la relation entre autorités locales
des deux rives.
Le volet transfrontalier de la politique
européenne de voisinage
La nouvelle structure proposée pour les instruments
financiers, qui devrait devenir opérationnelle dans le cadre
des nouvelles perspectives financières 2007-2013, prévoit
quatre types d’interventions dont deux déjà mises en œuvre
dans le règlement MEDA et deux autres nouvelles. Les
programmes nationaux et régionaux seront poursuivis et
représenteront l’essentiel de l’effort consenti. La novation
réside dans la mise en place de programmes thématiques
et surtout, pour ce qui concerne la coopération décentralisée,
un volet transfrontalier. Pour la Méditerranée, sont éligibles
à ce volet transfrontalier toutes les unités territoriales de
niveau NUTS III ou équivalent, situées le long de routes
maritimes importantes, et toutes les unités territoriales
côtières de niveau NUTS II ou équivalent, situées en bordure
du bassin méditerranéen. Plus important encore, il est prévu
que le volet de coopération transfrontalière de l’IEVP
fonctionne en cofinancement du volet de coopération
transnationale et transfrontalière prévu à l’objectif III des
nouveaux fonds structurels (voir plus loin).
Un rôle spécifique dévolu aux autorités locales
La future politique de cohésion : relance de
la coopération territoriale européenne
Mais la grande novation de cette politique est que le rôle
des autorités locales est, pour la première fois depuis 1995
officiellement reconnu, comme l’attestent les conclusions
de la 7ème Conférence euro-méditerranéenne des ministres
des Affaires Etrangères, tenue à Luxembourg en mai 2005,
qui précisent que: «Prenant en compte la nécessité de
rapprocher le partenariat des préoccupations des citoyens
et l’importance croissante des villes et régions dans les pays
partenaires Euromed, les ministres ont rappelé qu’une
association plus étroite des autorités locales et régionales
au partenariat euro-méditerranéen est nécessaire, afin de
recenser leurs défis communs et d’échanger les expériences
et les meilleures pratiques.»
Cette politique présente une avancée de grande
ampleur et une grande nouveauté dans le sens où elle
s’inspire de la convergence prônée par la politique de
cohésion. Elle prend acte du fait que l’approche purement
économique ne suffit plus à gérer les interactions entre les
enjeux économiques, sociaux et humains ni la proximité
avec les citoyens et la société civile. La dimension territoriale
devient, pour cette raison, une composante essentielle du
partenariat. Et la nouvelle instrumentation, inspirée de la
En parallèle avec la refonte de la politique extérieure
européenne, une nouvelle politique de cohésion va se mettre
en place à partir de 2007. Cette politique installe, pour la
première fois, un volet « coopération » dans son «
mainstream » alors que celui relevait jusqu’alors de projets
d’initiative communautaire.
Calquée sur le même fonctionnement qu’Interreg et
inspirée de cette initiative, la coopération transfrontalière,
transrégionale et interrégionale prévue par l’Objectif III «
Coopération territoriale » vise une intégration équilibrée et
harmonieuse du territoire de l’Union Européenne.
La coopération transfrontalière devrait, selon les
propositions de la Commission, couvrir les régions situées
le long des frontières terrestres internes et de certaines
frontières terrestres externes, ainsi que certaines régions
situées le long de frontières maritimes. Ce dispositif
contribuera, en outre, comme on le verra plus loin, aux volets
transfrontaliers du futur Instrument Européen de Voisinage
qui se substituera progressivement au programme MEDA.
La Commission adoptera, lors de l’entrée en vigueur du
règlement, la liste des régions transfrontalières éligibles
ainsi que celle des zones de coopération transnationale.
Les montants dédiés à ces deux volets dépendront,
dans une large mesure, du budget communautaire qui sera
adopté pour la période 2007-2012.
Une convergence des instruments pour une
coopération décentralisée rénovée
conséquences risquent d’être ressenties par-delà la
Méditerranée. C’est là tout l’enjeu d’un plan d’urgence pour
les villes des pays du Sud de la Méditerranée que ce rapport
appelle de ses vœux.
Une convergence est prévue entre les deux instruments :
IEVP destiné au voisinage et Fonds structurels comme
indiquée dans le schéma ci-après. C’est donc au croisement
de ces deux instruments que se situe la perspective
longtemps attendu d’une relance de la coopération
décentralisée.
Depuis son lancement en 1995 et en dépit des
difficultés rencontrées, les villes ont toujours manifesté leur
volonté de soutenir et de promouvoir le partenariat euroméditerranéen. Elles n’ont eu de cesse de demander à être
associées à la préparation et à la mise en œuvre des
politiques. Ce rapport a montré à quel point la question
urbaine était une question centrale dans le processus
complexe de transition auquel les pays du Sud sont
aujourd’hui confrontés. Les villes, rappelons-le, regroupent
sur leur territoire la grande majorité des populations au
Nord comme au Sud de la Méditerranée. Elles sont
également confrontées aux mêmes défis techniques:
maîtrise de l’urbanisme, maîtrise de l’environnement, qualité
des services publics, mais aussi politiques: sécurité,
démocratie locale, participation des citoyens. Autant de
domaines dans lesquels la coopération et les échanges
d’expériences ont déjà montré toute leur potentialité.
Il faut souhaiter que le nouvel instrument de voisinage
donne un nouvel élan et une nouvelle dimension à la
coopération entre les villes du Nord et du Sud de la
Méditerranée. C’est, bien entendu, important pour les pays
du Sud qui sont aujourd’hui confrontés à des évolutions
lourdes qui placent les formes urbaines au cœur de leur
processus de développement.
Mais c’est également important pour les villes
européennes et ceci pour au moins trois raisons. La première
est qu’elles abritent des populations originaires de ces pays,
qu’il leur faut intégrer et qu’il leur faut, par conséquent,
mieux connaître et mieux comprendre. La seconde est qu’à
l’instar de ce que l’on a connu à l’Est, l’approfondissement
des relations entre l’Europe et les pays du Sud de la
Méditerranée va générer, aux espaces de contact, un nombre
croissant de problèmes résultant de l’imbrication progressive
des systèmes économiques, sociaux et politiques que seule
une coopération accrue permettra de surmonter. Mais la
troisième, et peut-être la plus importante, est que la situation
des grandes villes de la Méditerranée porte en elle les
germes d’une déstabilisation sociale profonde dont les
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LES VILLES
MEDITERRANÉENNES
DIX ANS APRES
BARCELONE
BARCELONA
CONFÉRENCE DES
VILLES EUROMÉDITERRANÉENNES
CONFERÈNCIA DE
CIUTATS EUROMEDITERRÀNIES

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