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LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Barcelona 25 i 26 de novembre de 2005 LES CIUTATS MEDDITERRÀNIES DEU ANYS DESPRÉS DE BARCELONA Barcelona 25 i 26 de novembre de 2005 Crèdits Ce rapport a été préparé par Jean-Claude TOURRET, Délégué Général de l’Institut de la Méditerranée de Marseille. Ont également participé à sa rédaction: Daoud AMALE Sandrine BEN KHELIL Rana Haj-IBRAHIM Djamila KOURTA Anne-Victoria LETORT Roger MELKI Angélique PELLEAU Johan PELOPONESE Siouar.SOUHI Sofiane SISSAOUI Avertissement Les résultats, interprétations et conclusions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues de la Mairie de Barcelone. Sommaire PRÉFACE 4 EXECUTIF 7 UN SYSTÈME URBAIN EN MUTATION PROFONDE 15 Une explosion démographique sans précédent 16 Des déséquilibres territoriaux difficiles à compenser 17 Un contexte économique encore peu favorable 19 SITUATION ET POLITIQUES URBAINES DANS LES GRANDS VILLES DE LA MEDITERRANEE 21 ALGER 22 ALEXANDRIE 29 AMMAN 38 BEYROUTH 44 CASABLANCA 54 DAMAS 61 GAZA 67 ISTANBUL 74 TEL-AVIV 80 TUNIS 88 ENJEUX ET RISQUES URBAINS EN MÉDITERRANÉE 98 Des services publics à la peine 99 Des risques réels de déstabilisation sociale 103 DÉCENTRALISATION ET GOUVERNANCE URBAINE 111 La gouvernance urbaine en question 112 La décentralisation : un mouvement encore relatif à poursuivre et à maîtriser 113 Face aux résistances, l’émergence de conditions de succès et de solutions innovantes 115 LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES URBAINES 119 Des besoins financiers considérables 120 Le partenariat public-privé : outil au service du développement urbain 122 LA COOPERATION DECENTRALISEE DES VILLES DANS LA NOUVELLE POLITIQUE DE VOISINAGE 129 La coopération décentralisée des villes en Méditerranée 130 Le nouveau rôle des villes dans la politique de voisinage 136 PRÉFACE RESUME EXECUTIF Le partenariat entre l’Europe et les pays du sud de la Méditerranée, lancée en 1995, à Barcelone, avait pour ambition de créer en Méditerranée une zone de stabilité et de prospérité partagée. Lancé à un moment historique où le monde anticipait la résolution du conflit arabo-israélien, ce processus a connu de nombreuses difficultés, et beaucoup des espoirs qui avaient été placés en lui ne se sont pas matérialisés. Par ailleurs, la perception de la sécurité – un concept central dans le Processus de Barcelone – a radicalement changé depuis le 11 septembre 2001. Pour autant, un certain nombre d’avancées et de succès ne doivent pas être minimisés. Le partenariat a, en particulier, induit dans les pays méditerranéens un programme de réformes économiques qui est sans précédent dans leur histoire. Ces pays ont accompli en dix ans des changements que certains pays européens ont mis des décennies à réaliser. Par ailleurs, l’accrochage à l’Europe qui était visé avec la mise en place d’une zone de libre-échange est attesté par un développement des échanges commerciaux nord-sud également sans précédent. Enfin, de nombreux réseaux euro méditerranéens ont été créés dans tous les domaines et constituent un maillage permettant le transfert de savoirfaire. Pour autant, la croissance espérée n’a pas été au rendez-vous. La libération progressive des échanges, qui était au cœur du volet économique du partenariat, n’a pas dynamisé la production et l’emploi. La croissance moyenne des pays méditerranéens, qui était de 3,5 à 4% par an avant 1995, s’est maintenue, depuis dix ans, à ce même niveau. Au rythme actuel, il faudra plus de 50 ans pour voir le revenu moyen par tête dans ces pays être multiplié par deux. Cette maigre performance n’a pas permis de faire reculer une pauvreté endémique qui touche aussi bien les villes que les campagnes. Par ailleurs, les avancées sur le terrain de la démocratie et des libertés dans le Sud ont été trop lentes comparées aux engagements souscrits par les uns et les autres en novembre 1995. Dix ans plus tard, l’occasion est donnée de dresser un bilan des réussites et des carences du partenariat euro méditerranéen. Il était donc légitime, compte tenu de l’importance croissante du phénomène urbain au sud de la Méditerranée, de porter un éclairage particulier sur la situation des villes et particulièrement des grandes villes au sud du Bassin qui sont au cœur des évolutions lourdes auxquelles les pays sont aujourd’hui confrontées. Les villes concentrent, en effet, dans la complexité de leur seul territoire l’ensemble des difficultés auxquels leur société doit faire face cumulant problèmes économiques, environnementaux et sociaux. L’attrait des grandes villes du Sud leur a imposé un surplus de population dépassant leurs capacités d’expansion spatiale. À la forte croissance urbaine des années 70, nourrie par une inertie démographique endogène, s’est superposée une croissance alimentée principalement par l’exode rural. Ainsi, la population urbaine des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, estimée aujourd’hui à 165 millions d’habitants, devrait croître d’environ 80 millions à l’horizon 2025, faisant de la Méditerranée l’une des zones les plus urbanisées au monde. Les villes méditerranéennes partagent évidemment la plupart des dysfonctionnements de gestion propres à l’urbain dans le monde, mais elles se caractérisent par l’ampleur des problèmes et par le niveau insuffisant de leurs moyens. Nulle part ailleurs l’acuité des maux nés des mutations urbaines n’apparaît plus grande. C’est le cas, en particulier, des services urbains essentiels, dont l’organisation et le bon fonctionnement sont au cœur des préoccupations de tous les responsables urbains, et qui constituent un bon indicateur de leur capacité à répondre aux besoins des populations dont ils ont la charge. C’est donc sur ce domaine des services publics essentiels, c’est-à-dire ceux qui répondent aux besoins vitaux des habitants, et que l’on considère de façon universelle comme nécessaires à la conduite de toute vie digne et décente, que s’est axé ce rapport. Au-delà du diagnostic, l’objectif était d’évaluer les besoins d’investissement qui devraient être consentis pour une mise à niveau des villes du Sud, conformément aux objectifs du Millénaire approuvé par le Conseil Mondial de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) à Pékin en juin 2005. Cette finalité a commandé le choix de centrer l’analyse sur les services à forte intensité capitalistique comme l’eau et l’assainissement, la collecte et le traitement des déchets, les transports publics, le logement social et la lutte contre les risques majeurs. Ce choix est, évidemment, restrictif. Il exclut les services dont l’usage contribue principalement à la performance économique, 7 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE comme la téléphonie cellulaire, les télécommunications ou ceux qui répondent à des besoins facultatifs de consommation comme les services culturels ou touristiques Mais il exclut également d’autres besoins essentiels comme l’accès à la santé ou à l’éducation, qui n’ont pas été retenus ici car relevant, en terme d’investissement, d’une logique d’intervention différente. DES SERVICES PUBLICS ESSENTIELS À LA PEINE Des analyses détaillées ont donc été menées dans dix des grandes villes du Sud, soit une pour chacun des dix pays du partenariat. Elles mettent en évidence à la fois les insuffisances et les carences observées dans la fourniture des services publics essentiels et les réponses apportées au travers des politiques urbaines par les autorités responsables de ces villes pour y faire face. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement représente, aujourd’hui, une priorité. Les ressources en eau sont presque partout insuffisantes, quelquefois dans des proportions dramatiques, et les infrastructures physiques ne sont pas à la mesure des besoins. La gestion du secteur est, souvent, défaillante et les ressources financières destinées au secteur manquent. Un rapport des Nations Unies situe à 30 millions le nombre de personnes qui n’auraient pas accès en permanence à l’eau potable dans la région. Les défaillances observées dans la gestion du secteur de l’eau ont de multiples causes, au premier rang desquelles les politiques tarifaires auxquelles les sociétés gestionnaires ont été astreintes, qui ne permettent de couvrir qu’une fraction de leur coût et qui les a, de facto, placé sous la dépendance de l’Etat. Insuffisamment financés, les opérateurs publics se sont trouvés pris dans une spirale de réduction de la maintenance et des investissements les plus rudimentaires, entraînant une baisse de la qualité de service et une résistance des consommateurs à payer plus cher un service de mauvaise qualité. L’assainissement pose partout un problème au moins aussi grave et urgent que celui de l’accès à l’eau potable. Le niveau de collecte et surtout de traitement des eaux usées domestiques est très faible, voire dans certains cas, inexistant. Les réseau sont le plus souvent en mauvais état. De nombreuses grandes villes n’ont pas de station d’épuration d’eau. Près de 90% des rejets urbains des villes étudiées sont déversés, sans traitement, dans la Méditerranée qui reçoit ainsi 60 000 tonnes de détergent, 100 tonnes de mercure et 12 000 tonnes de phénols par an. À cela s’ajoute une situation 8 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE très peu contrôlée en matière de rejets industriels. Concernant les déchets urbains, l’urbanisation galopante combinée à une forte industrialisation place la plupart des villes étudiées en situation d’urgence : collecte défaillante, amoncellement d’ordures dans les décharges publiques sauvages ou non contrôlées, inexistence de traitement, notamment des déchets spéciaux. On estime aujourd’hui à près de 40 millions de tonnes le volume de déchets urbains générés dans les villes des pays méditerranéens, soit environ 0,7 kg par personne et par jour. Ce volume croît d’environ 3 à 4% par an sous l’effet combiné de la démographie urbaine et de l’évolution des modes de vie. La collecte relève encore dans une très large proportion des services municipaux. Elle est dans ce cas très souvent déficiente. On estime que près du quart des déchets urbains ne sont pas collectés du fait de la mauvaise organisation et du manque de moyens des services concernés. Les déchets ménagers et industriels sont, le plus souvent, déposés dans des décharges non contrôlées, avec les conséquences que l’on connaît sur la contamination des milieux (sol, air, nappes phréatiques, etc). Dans toutes les villes étudiées, on note une nette insuffisance des transports publics du fait de l’étendue des agglomérations, de la médiocre qualité des voiries, des faibles ressources des habitants et des lacunes dans les subventions publiques. Les projets d’aménagement routier intra urbains abondent, par contre, favorisant un usage croissant de la voiture individuelle, symbole d’ascension sociale, au détriment des transports en commun. La crise du logement frappe durement des populations déjà fragilisées par une situation économique précaire. L’offre adaptée aux catégories les plus défavorisées est inexistante ou se raréfie. Le parc existant est souvent vétuste du fait d’un faible entretien et d’une sur-occupation. L’habitat informel (qualifié également de spontané) continue de se développer. Il côtoie des formes d’habitat précaire assimilables à des bidonvilles qui se sont développés depuis plusieurs dizaines d’années en périphérie des centres urbains et où les familles, issues des milieux ruraux, s’entassent dans des logements de fortune. Les raisons de cette situation sont à peu près partout les mêmes et renvoient aux difficultés rencontrées par les Etats pour maîtriser l’utilisation des sols, faire respecter la réglementation, juguler la spéculation immobilière et produire un parc suffisant de logements sociaux. Enfin, les villes méditerranéennes sont particulièrement exposées aux risques naturels, principalement aux inondations et aux séismes. Les villes littorales sont, de surcroît, exposées au risque de pollution maritime. Face à ces risques, les populations défavorisées sont les plus vulnérables, en particulier celles regroupées dans les zones urbaines d’habitat spontané qui sont, en situation de catastrophe, les plus touchées du fait de l’absence d’équipements publics permettant d’y faire face. DES RISQUES RÉELS DE DÉSTABILISATION SOCIALE Les dysfonctionnements dont il vient d’être question sont au coeur des problèmes actuels des villes méditerranéennes. Ils portent en eux des risques réels de déstabilisation sociale. Des franges entières de la population,victimes des défaillances sociales et économiques, sont touchées par une pauvreté extrême qui se manifeste aussi bien sur le plan monétaire que sur le plan des conditions de vie. Par ailleurs, l’insécurité et la violence représentent aussi une menace pour les populations en situation précaire qui deviennent les proies faciles des réseaux intégristes. Pendant longtemps, la pauvreté en Méditerranée n’a pas entraîné de phénomènes d’exclusion sociale similaires à ceux rencontrés dans les pays européens du fait de l’existence de réseaux familiaux de solidarité encore très puissants. Cette situation est en train de changer. Une des conséquences de la brutale urbanisation a été, en effet, de faire éclater les anciens cadres de socialisation et avec eux des systèmes de solidarité qui en avaient jusqu’ici amorti les effets. La pauvreté n’est pas le seul problème affectant les centres urbains. La violence, elle aussi, se répand dans les villes favorisant un climat d’insécurité. Les rares études sur ce sujet, même si elles doivent être interprétées avec prudence du fait de l’imprécision statistique, témoignent d’une montée de la violence urbaine dans la plupart des villes du Sud méditerranéen. Autre principale cause d’insécurité urbaine, l’intégrisme est devenu en l’espace de quelques années un phénomène endémique. Sa progression est un fait préoccupant pour les autorités des villes et des Etats concernés, tout comme pour la communauté internationale, inquiète de l’ampleur prise par ce phénomène. L’action des organisations intégristes dans les domaines où les services publics essentiels sont déficients voire inexistants est l’une des clés expliquant leur infiltration dans les quartiers pauvres des cités. S’appuyant sur le discours religieux, l’islamisme radical séduit des populations appauvries et marginalisées. La pauvreté, l’ignorance et les inégalités sociales font le jeu des fondamentalistes qui mettent en avant les inaptitudes des régimes à résoudre ces problèmes de société. Les mosquées qui, dans bien des pays méditerranéens, fournissent un point de repère social pour les exclus des villes, servent parfois de relais à ces réseaux. Elles sont souvent à l’origine des services sociaux les plus rudimentaires, comme l’enseignement ou encore les soins médicaux. Ces nouvelles solidarités créées par les organisations islamiques viennent ainsi se substituer à l’action carencée, voire inexistante, des Etats et insufflent une forme de lien social là où il n’y en a pas. Des politiques urbaines volontaristes mais largement insuffisantes Face à cette avalanche de problèmes, les gouvernements et les autorités responsables des ville ne sont pas, au cours de ces dix dernière années, restés inactifs. Des politiques urbaines parfois vigoureuses ont été mises en place qui ont, dans certains cas, conduit à des progrès quantitatifs et qualitatifs importants dans la satisfaction des besoins essentiels des populations concernées. Les taux de raccordement à l’eau potable et aux réseaux d’assainissement ont, ainsi, presque partout progressés. Le traitement des eaux usées progresse également, bien que plus lentement. Des solutions innovantes commencent à être mises en œuvre pour développer les ressources hydriques. De nombreux projets sont en cours pour mobiliser de nouvelles ressources : barrages, connexions entre bassins versants, voire le captage de sources d’eau douce sousmarines. Des expériences de production d’eau douce par dessalement de l’eau de mer ou par traitement des eaux saumâtres sont également en cours en Algérie, en Tunisie, en Jordanie, en Isarël et en Egypte. Les techniques de rechargement des nappes phréatiques ont fait leur apparition et commencent à se diffuser. Enfin, les taux de pertes des réseaux, même s’ils restent encore importants du fait de l’état des infrastructures, régressent. Dans le domaine des déchets certains pays ont, également, entamé des politiques volontaristes. Des stratégies globales se mettent en place, incluant une législation plus rigoureuse, concernant en particulier les déchets industriels et dangereux, des plans de réduction de la production de déchets, des objectifs en matière de valorisation et de recyclage et, enfin, l’application du principe pollueur payeur pour recouvrer les coûts de collecte et de traitement des déchets. Quelques projets de reconquête du domaine public au profit des transports en commun ont vu le jour : métro du Caire (une troisième ligne est lancée), métro léger de Tunis, tramway d’Istanbul, projet de métro d’Alger. Mais ces projets ont du mal à s’étendre en raison de leur coût élevé. Les politiques de logement social semblent, par contre, marquer le pas, la plupart des gouvernement s’en remettant au secteur privé. Des succès sont enregistrés, en revanche, dans certains pays, dans la lutte contre l’habitat insalubre qui va souvent de pair avec la reconquête du centre historique. 9 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Mais en dépit des efforts déployés, force est de constater que les problèmes ne régressent que très lentement. Les difficultés sont ici de plusieurs ordres. La culture administrative centralisatrice fait obstacle à la dévolution des compétences aux communes qui, en l’état, reste encore embryonnaire. Même si les villes apparaissent comme le plus haut degré de décentralisation, l’exécutif municipal est souvent placé sous la tutelle des niveaux déconcentrés de l’Etat. Par ailleurs, la complexité des problèmes urbains exige des compétences à la fois organisationnelles et techniques de plus en plus pointues, qui font largement défaut au niveau local. Mais l’élément le plus marquant des difficultés rencontrées reste financier. Les recettes des compagnies de service public ne couvrant même pas les charges courantes d’exploitation, les investissements doivent être financés sur le budget des Etats, déjà largement sollicité par ailleurs. Les investissements publics urbains sont, de fait, très en-deça des besoins. Ils ont, de plus, connu une suite d’accélérations et de freinages en fonction des disponibilités du Trésor Public. Ces fluctuations ont considérablement gêné l’exécution des programmes, l’insuffisance des crédits entraînant des retards importants dans la réalisation des projets. DES BESOINS FINANCIERS CONSIDÉRABLES En rapprochant les éléments recueillis au cours de cette étude d’autres données relatives aux investissements publics dans les pays méditerranéens, on a cherché à dégager les besoins financiers nécessaires à une « mise à niveau » des services publics les plus indispensables à la population dans les villes du Sud. Concernant les résultats à atteindre, on a étendu à l’ensemble des services publics urbains les objectifs pris par la communauté internationale pour l’eau et l’assainissement dans la Déclaration du Millénaire, par laquelle les Nations Unies se sont donné pour objectif à un horizon de quinze ans la réduction de moitié de la proportion de personnes sans accès durable à une eau saine, abordable et en quantité suffisante. On retiendra de ces évaluations le chiffre de 10 milliards d’euros par an soit 100 milliards, à l’horizon 2015, comme ordre de grandeur des investissements nécessaires pour résorber environ 50% des déficits en terme d’infrastructures urbaines dans les villes méditerranéennes. Dans la structure actuelle de financement, l’objectif de porter à 10 milliards d’euros le niveau des investissements urbains conduirait à un quasi doublement de l’effort public supporté 10 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE par les Etats dans le domaine. Or, un tel effort dépasse très largement les possibilités budgétaires des pays concernés. L’objectif visé n’est pas, pour autant, irréalisable, à la condition toutefois que l’ensemble des ressources mobilisables puissent l’être effectivement. La tarification des services publics doit évoluer dans un sens qui traduise mieux la valeur économique du service rendu. Des progrès ont été réalisés dans ce domaine au cours des dernières années. Dans certains pays, le principe de la tarification et les mécanismes de marché sont de mieux en mieux acceptés. Ces succès demandent à être rapidement généralisés. Il faudra également que soient stimulés les investissements privés dans le cadre du partenariat publicprivé sous des formes, et elles existent, qui permettent un accès à ces services à tous à un prix abordable, et particulièrement aux populations les plus défavorisées. Il faut, enfin poursuivre les réformes politiques et institutionnelles qui seules, permettront d’engager des changements durables à la fois dans la gestion des services publics et l’attraction d’investisseurs privés. Un consensus mondial s’est également créé autour de la nécessité de réformes politiques et institutionnelles pour enclencher des changements durables. Les caractéristiques de ces réformes commencent à être comprises et existent d’ores et déjà dans certaines régions. Il s’agit maintenant de généraliser ces succès et de faire de l’exception la règle. Un rôle de plus en plus essentiel de la coopération décentralisée La coopération décentralisée est un outil de plus en plus adapté pour accompagner les mutations urbaines dans les villes méditerranéennes. Considérée comme un modèle alternatif moins formaliste sur le plan institutionnel, moins bureaucratique dans sa gestion et moins coûteux en terme budgétaire que les formes traditionnelles de coopération, elle présente également l’avantage de susciter, par le biais des collectivités locales, l’adhésion des populations. Les difficultés de mobilisation rencontrées dans le passé sont en voie d’être résolues. Face à des sollicitations très diverses, les villes du Nord ont appris à s’organiser. Elles sont à présent plus sélectives dans leurs réponses et se focalisent sur un nombre de domaines plus restreints, en s’appuyant sur des opérateurs professionnels et expérimentés. Elles cherchent également à inscrire la coopération dans des accords-cadres où sont définis les attentes et les engagements de chacune des parties. Pour autant, on peut dire que le partenariat entre villes est loin d’avoir atteint sa pleine potentialité. La démarche, il est vrai, est exigeante en temps et en ressources humaines, complexe au niveau politique et administratif, contraire à la pression de l’engagement financier et risquée au niveau des résultats. Elle garde néanmoins toute sa pertinence dans sa fonction d’apprentissage collectif. Elle reste, en particulier, un terrain privilégié de l’affirmation de l’autonomie des villes qui est, comme on l’a vu, l’une des clefs de leur développement. La gouvernance devrait, pour cette raison, devenir progressivement l’un des thèmes majeurs de la coopération. Il faut souhaiter que le nouvel instrument de voisinage donne un nouvel élan et une nouvelle dimension à la coopération entre les villes du Nord et du Sud de la Méditerranée. C’est, bien entendu, important pour les pays du Sud aujourd’hui confrontés à des évolutions lourdes qui placent les formes urbaines au cœur de leur processus de développement. Mais c’est également important pour les villes européennes et ceci pour au moins trois raisons. La première est qu’elles abritent des populations originaires de ces pays, qu’il leur faut intégrer et qu’il leur faut, par conséquent, mieux connaître et mieux comprendre. La seconde est qu’à l’instar de ce que l’on a connu à l’Est, l’approfondissement des relations entre l’Europe et les pays du Sud de la Méditerranée va générer, aux espaces de contact, un nombre croissant de problèmes résultant de l’imbrication progressive des systèmes économiques, sociaux et politiques, que seule une coopération accrue permettra de surmonter. Mais la troisième, et peutêtre la plus importante, est que la situation des grandes villes de la Méditerranée porte en elle les germes d’une déstabilisation sociale profonde dont les conséquences risquent d’être ressenties par-delà la Méditerranée. C’est là tout l’enjeu d’un plan d’urgence pour les villes des pays du Sud de la Méditerranée que ce rapport appelle de ses vœux. 11 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE UN SYSTÈME URBAIN EN MUTATION PROFONDE UNE EXPLOSION DÉMOGRAPHIQUE SANS PRÉCÉDENT La ville est un fait permanent de l’histoire méditerranéenne. C’est le long des rivages, sur les semis denses et anciens des villes, que se sont développées les activités marchandes, articulées les routes maritimes, et que s’est construit l’espace méditerranéen. Les plus vieilles villes du monde sont nées ici. La plupart d’entre elles furent de grandes villes puissantes et actives qui, à des époques différentes, ont rayonné sur l’ensemble du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient jusqu’à ce que les grands courants commerciaux soient détournés au profit, d’abord des puissances vénitienne et ottomane puis des puissances coloniales européennes. La période ottomane a fait de ces villes de véritables centres de commandement et y a implanté des formes spécialisées d’urbanisme qui, pour certaines d’entre elles, subsistent encore. La colonisation puis, après les indépendances, le formation des Etats-Nations ont renforcé le rôle des villescapitales souvent au détriment d’autres villes, pourtant au départ d’égale importance, et jeté les bases d’une structure urbaine qui s’est hypertrophiée sous l’effet de la pression démographique et de l’exode rural. UN PHÉNOMÈNE RÉCENT ET BRUTAL L’explosion urbaine est un phénomène à la fois récent et brutal. Elle est très différente, dans ses modalités et dans son rythme, des formes de croissance urbaine que l’on a connu en Europe au moment de la période d’industrialisation où les populations quittaient leurs villages, attirées par les emplois industriels qui se créaient dans et autour des villes. A la forte croissance urbaine des années 70, alimentée par une inertie démographique endogène, s’est superposée une croissance alimentée principalement par l’exode rural. La dureté des conditions de vie dans les campagnes s’est, en effet, accentuée, ces dernières années, du fait des mutations économiques récentes et d’un mode d’insertion des pays dans l’économie mondiale qui profite, pour l’essentiel, aux couches les plus favorisées de la population et aux grands centres urbains. L’exode rural prend alors sa source dans une perception largement répandue qui est que la pauvreté est plus supportable dans les villes qu’à la campagne. L’attention particulière portée par les autorités aux grandes villes phares du pays ne pouvait que renforcer ce point de vue. Les prévisions réalisées par le Plan Bleu ne laissent pas présager un ralentissement de ce phénomène. Ainsi, la population urbaine des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée qui est estimée aujourd’hui à 165 millions d’habitants, devrait croître d’environ 4 millions par an, soit une augmentation moyenne annuelle de près de 2,5%. Le taux d’urbanisation dans ces pays passerait de 64% en 2004 à près de 75% en 2025. Au total, à l’horizon de 2025 la population urbaine des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée augmenterait d’environ 80 millions d’habitants. Et bien qu’on ne dispose pas de statistiques précises à ce sujet, on estime généralement que le taux de croissance des grandes métropoles du Sud continuera d’être supérieur à celui des autres villes. Des millions de ruraux doivent alors, dans un laps de temps très court, faire l’apprentissage de la vie citadine dans des conditions souvent précaires. Du coup, la crise des campagnes se transforme en crise des villes et des structures urbaines qui subissent de plus en plus difficilement l’afflux des populations nouvelles. Partout, l’attrait des grandes villes du Sud leur impose un surplus de population dépassant leurs capacités d’expansion spatiale. Nulle part ailleurs l’acuité des problèmes nés des mutations urbaines n’apparaît plus grande : la croissance des besoins en logement, voirie, adductions d’eau et d’énergie, écoles, hôpitaux, et le manque de maîtrise des marchés alimentaires et industriels engendrent spéculation, pénurie, flambée des prix largement liées à la mobilité des concentrations née de la redistribution spatiale des activités. Les villes méditerranéennes partagent évidemment la plupart des dysfonctionnements de gestion propres à l’urbain dans le monde mais elles se caractérisent par l’ampleur des problèmes et par le niveau insuffisant de leurs moyens. La ville y est aujourd’hui synonyme de malvie, d’inconfort, d’insécurité pour les populations qui y vivent. Et dans un situation de forte carence d’emploi, cet exode rural alimente un secteur informel qui représente un élément de survie pour des millions de citadins. 13 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE DES MÉTROPOLES MONDIALES EN FORMATION Du fait de cette croissance, la région méditerranéenne compte parmi les plus urbanisées du globe, après l’Amérique Latine. Et cette croissance tend à se polariser sur un nombre limité de grandes villes qui accèdent ainsi au rang de grande métropole européenne et mondiale. Plus du tiers de la population méditerranéenne vit dans des villes de plus de 1,5 millions d’habitants alors qu’on n’en comptait que 20% au début des années 60. L’hétérogénéité des sources et le faible degré de comparabilité des chiffres de la population vivant dans les zones urbanisées ne permet pas une analyse trop fine du phénomène. Malgré cet écueil, les tendances sont claires et connues : les grandes villes du Sud de la Méditerranée sont sur une trajectoire démographique ascendante et dépassent pour la plupart le million d’habitants. Ainsi, la ville d’Amman compterait plus de 2 millions d’habitants, Istanbul 11 millions (mais les estimations convergent pour 14 à 15 millions), Damas 3 millions, la grande zone urbaine de Tel-Aviv 1,5 millions, Alger 5 millions, Casablanca 4 millions, Alexandrie 4 millions, Beyrouth 1,8 million, Gaza 1,3 million, Tunis 2 millions. A cet accroissement démographique se conjugue un étalement spatial généralisé (le Caire s’étire sur 46 km du nord au sud, et sur 35 km d’est en ouest, Istambul sur près de 100 km), résultant parfois d’extensions illégales, mais également d’une forme dominante d’habitat à l’horizontale. Cet éclatement des villes du Sud se décline certes spatialement, mais également socialement puisqu’on distingue trois formes urbaines hétérogènes, présentes dans des proportions variables: • Les «gated comunities», ou ghettos de villas, où s’établissent les plus fortunés, dans les lieux souvent les plus prestigieux (les collines d’Istanbul par exemple); • L’habitat réglementaire (ou illégal) qui est désormais la forme la plus banale et la plus utilisée. Elle permet une production efficace de l’espace urbain, avec des coûts de viabilisation et d’équipement réduits, tout en procurant au système une meilleure plasticité économique et sociale; • Tout en bas de la hiérarchie urbaine se trouvent les zones d’habitat non intégrées, sur lesquelles pèsent de multiples précarités, et qui prennent des formes variées, dont le bidonville. Ces formes urbaines hétérogènes cohabitent avec des espaces standardisés, conformes aux normes urbaines 14 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE internationales, avec la « ville vitrine ». Toutes les villes importantes de la région méditerranéenne ont ainsi fait l’objet de multiples aménagements et ont acquis la plupart des outils techniques nécessaires : aéroport international modernisé, ports, zones technopolitaines, téléports, palais des congrès et des expositions, quartiers d’affaires, etc. Mais si la mise aux normes logistiques, technologiques et juridiques est obligatoire dans un contexte de mise en concurrence mondiale des territoires, elle ne garantit pas pour autant l’inclusion de la ville qui en est l’objet dans les réseaux et flux mondiaux. La qualité de l’environnement matériel s’améliore, mais atteint rarement un optimal : sans mise à niveau des ressources immatérielles, cette course à la métropolisation est illusoire. Sans compter que cette mise aux normes peut conduire à la requalification de zones entières de l’espace urbain, voire des espaces centraux, dans la logique des centres d’affaires, tandis que les quartiers «illégaux » ou les zones d’habitat spontané ne font pas l’objet d’investissements comparables. Cette traduction spatiale du déclassement de certaines populations est un risque évident de déstabilisation de la région. De nombreuses analyses économiques ont d’ores et déjà démontré la faible capacité régionale à transformer l’augmentation du PIB en un accroissement du bien-être social. Certes, il y a une amélioration globale mais celle-ci n’est pas suffisante et ne répond pas à l’immensité des besoins de la population. DES DÉSÉQUILIBRES TERRITORIAUX DIFFICILES À COMPENSER Les limites de la politique de déconcentration urbaine En réponse aux déséquilibres territoriaux à l’échelle nationale, la plupart des pays de la région méditerranéenne partagent l’objectif d’assurer une plus grande attractivité des villes moyennes sur le territoire. Ainsi, la Tunisie affichait au lendemain de l’indépendance l’objectif d’assurer un encadrement territorial par les villes moyennes, soit indirectement, en accompagnant le développement touristique et industriel, soit directement en développant les fonctions administratives des villes moyennes. Si cette politique a su rendre particulièrement attractives les villes moyennes, mieux équipées que les petites villes et moins coûteuses que les métropoles, ces efforts n’ont cependant pas permis d’enrayer le renforcement du processus de littoralisation et de concentration des activités sur l’espace Nord-Est. Le Maroc, malgré les efforts de décentralisation économique engagés depuis les années 1960 a lui aussi échoué à réduire le poids de Casablanca. La politique de régionalisation économique entreprise depuis 1971 n’a pas empêché l’accroissement des inégalités territoriales : malgré un objectif affiché de promouvoir de nouveaux pôles de développement dans chaque région, les investissements d’infrastructures ont toujours privilégié la région du Centre (Casablanca) et la Région Nord-Ouest (Rabat). Néanmoins, de telles initiatives peuvent porter leurs fruits, mais au prix d’investissements massifs et ciblés. L’Etat algérien est ainsi parvenu à faire d’un gros bourg sans tradition urbaine une ville attractive. Elevé au rang de Wilaya lors du découpage administratif de 1974, Oum El Bouaghi a bénéficié de la masse considérable d’investissements accordé aux Wilayas et à vu en 10 ans la multiplication par 10 du nombre d’actifs et une véritable mutation des structures socioéconomiques. La même expérience est aujourd’hui tentée au sud d’Alger avec la ville nouvelle de Sidi Abdellah. Un système des villes fragmenté La réflexion en terme de système de villes à l’échelle de la région méditerranéenne est encore balbutiante. Il n’y a que très peu d’analyses des formes urbaines, si ce n’est pour souligner leur hétérogénéité. Les déséquilibres sont souvent dus à des contraintes géographiques et climatiques. Certes, des phénomènes régionaux et nationaux de multipolarisation urbaine existent de facto, comme les interdépendances Beyrouth et Damas, le Caire et Alexandrie, Rabat et Casablanca, mais il n’y a pas à proprement parler de « système des villes », dans lequel se développeraient des interdépendances de type socio-économique ou géographique. Le phénomène de globalisation affecte cependant toutes les villes, à des degrés divers, et contribue à composer, décomposer et recomposer l’espace et les territoires, en privilégiant constamment les zones urbaines, même quand celles-ci sont qualifiées de périphériques. La région méditerranéenne ne fait pas exception à la règle, malgré sa faiblesse en terme de connectivité à l’économie globale, qui en fait pour certains analystes, comparativement aux réseaux urbains européens ou asiatiques, un « structural hole ». Et ce malgré les initiatives pour promouvoir une meilleure articulation des villes de la zone, comme l’Organisation des Villes Arabes (Arab Towns Organisation), sous l’égide de la Ligue des Etats Arabes, ou encore le Forum Méditerranéen du Développement de la Banque Mondiale, qui a facilité les discussions sur les thématiques urbaines, y compris les connexions régionales des centres urbains. Or ce système urbain intégré dans l’espace méditerranéen ne pourra voir le jour sans volonté politique forte d’agir sur les fondamentaux structurels (transports, communication, développement des flux de personnes, de capitaux, d’expertise, de services et de marchandises entre les villes). Néanmoins, un tel système ne sera viable que s’il s’insère dans un réseau de villes moyennes renforcé, réseau qui devra lui aussi bénéficier d’une amélioration significative de ses fondamentaux structurels. Le mouvement semble d’ores et déjà amorcé, puisque « l’explosion urbaine » qui caractérise plusieurs pays arabes se traduit non seulement par une croissance spectaculaire des métropoles et des grands centres régionaux, mais aussi par l’évolution rapide de certaines petites et moyennes villes sur ces vingt dernières années. Ce constat de rééquilibage est cependant, dans une perspective de développement urbain polycentrique, à nuancer dans la mesure où les petites et moyennes villes qui bénéficient d’un regain d’activités se situent sur le littoral et, dans leur grande majorité, à proximité des grands pôles urbains. Les villes moyennes bénéficient également des difficultés des métropoles à absorber un flux de main-d’œuvre en augmentation constante, contrairement aux possibilités d’intégration qu’elles offraient aux migrants dans les années 1960. Les petites et moyennes villes bénéficient donc de leur positionnement géographique et de la saturation des grands centres urbains plutôt que d’un potentiel d’attractivité intrinsèque. Malgré ce rééquilibrage et l’émergence de pôles urbains attractifs, le poids des plus grandes villes semble donc amené à se confirmer dans les décennies à venir. Tout laisse supposer aujourd’hui que la suppression des barrières douanières et les délocalisations affecteront inégalement le territoire régional. Sans dispositif de cohésion territoriale, seules les villes offrant déjà le plus d’opportunités, les villes les plus aux normes, seront en mesure de profiter de l’ouverture économique. Il est donc fort probable que le phénomène de concentration ne fera, à partir de là, que s’accentuer. UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE ENCORE PEU FAVORABLE Une performance économique insuffisante au regard des besoins en emploi La situation des villes des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ne peut être déconnectée des difficultés, en particulier économiques, qui prévalent dans la plupart d’entre eux et ce en dépit des efforts déployés par les pays eux mêmes 15 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE et des politiques de coopération et de partenariat mises en place par l’Europe et les autres grands bailleurs de fonds internationaux. Le système d’interdépendance mis en place dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen n’a pas eu, loin s’en faut, les résultats escomptés. La libération progressive des échanges qui était au cœur du volet économique du partenariat n’a pas dynamisé la production et l’emploi. La croissance moyenne des pays méditerranéens, qui était de 3,5 à 4% par an avant 1995, s’est maintenue, depuis dix ans, à ce même niveau. Autrement dit le partenariat n’a pas eu d’impact significatif sur le taux de croissance moyen de ces pays. Compte tenu d’une démographie maîtrisée mais encore active conduisant à un accroissement de 2,3% environ par an de la population, le revenu par tête ne progresse pratiquement pas. Au rythme actuel, il faudrait plus de 50 ans en moyenne pour voir le revenu par tête moyen doubler. Le taux de chômage des pays méditerranéens a crû plus vite que dans toutes les autres régions du monde. Les taux mesurés par les administrations publiques, d’environ 20% en moyenne, traduisent mal la réalité. Certains pays tiennent compte dans leurs statistiques de l’emploi dit « informel » et d’autres non. Les taux d’activité réels qui mesurent la population qui a un emploi rapportée à la population totale en âge de travailler sont parmi les plus faibles du monde. Pour les années à venir, les besoins en emplois nouveaux sont considérables. Compte tenu de leur situation démographique et de celle des marchés de l’emploi, on estime que près de 35 millions d’emplois devront être créés d’ici à 2015 uniquement pour ne pas dégrader la situation actuelle. Modifier le régime de croissance est donc une nécessité pour ne pas voir s’amplifier une situation difficile de l’emploi et se développer une pauvreté qui touche tous les pays méditerranéens. Cette pauvreté surtout présente dans les centres urbains, vulnérabilise une grande partie de la population en la privant d’accès aux services et équipements essentiels de base. A long terme, la croissance reste le déterminant le plus important pour lutter contre la pauvreté. L’enjeu actuel est donc de porter le rythme moyen de croissance aux alentours de 6 à 7% par an. A ce niveau, la substitution du capital au travail qu’expérimentent les économies industrialisées et ouvertes serait possible, la vitalité du système permettant d’absorber les effets de l’ajustement sans que soient nécessaires les interventions pour limiter l’impact sur l’emploi. Des investissements directs étrangers en panne Les investissements directs étrangers sont l’un des facteurs importants qui pourrait doper la croissance. Or, ceux-ci sont 16 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE très largement insuffisants au regard des potentialités et des besoins. Les pays méditerranéens reçoivent en moyenne 8 milliards de dollars d’investissements étrangers soit guère plus que la seule Pologne. L’essentiel s’est porté sur des opérations de privatisation, en particulier dans les télécoms, ou sur le rachat d’entreprises existantes dans le cadre de privatisations. La proportion d’investissements «green-field» immédiatement créatrice de nouveaux emplois est marginale. Il faut dire que même dans les pays les plus dynamiques que sont le Maroc et la Tunisie, ces secteurs (le secteur financier en particulier) sont largement protégés de la concurrence extérieure. Les raisons de ce relatif désintérêt des grands investisseurs mondiaux pour la zone méditerranéenne sont multiples. La principale semble être, toutefois, que ces marchés sont trop fragmentés et leur croissance trop faible au regard d’autres régions plus attractives. Au total, il n’a pas été possible de développer, dans les pays méditerranéens, une vision de long terme et de matérialiser le concept central de la déclaration de Barcelone, « une aire de prospérité partagée », en une stratégie cohérente et opérationnelle. La situation actuelle correspond sans doute à un équilibre justifié compte tenu des distorsions de tous ordres que subissent les agents économiques. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne correspond pas à un optimum d’allocation des ressources, surtout si l’on garde à l’esprit les déséquilibres démographiques évoqués plus haut. Des succès dans le gestion macroéconomique à consolider La gestion macroéconomique constitue, à l’inverse, l’un des progrès les plus marquants des pays méditerranéens. Les engagements de maîtrise des déficits budgétaires, pris auprès du Fonds Monétaire International en particulier, ont été tenus. Et l’engagement de mener une politique fiscale « saine» n’a, en général, pas été prise en défaut sauf au cours des dernières années, suite à des chocs externes et internes importants. Il faut rappeler, à ce sujet, que dans les années 80, les pays méditerranéens étaient confrontés à de graves crises d’endettement extérieur liés à de forts déficits de leur balance des paiements. Il a fallu plus de quinze ans au prix de plans de stabilisation rigoureux pour remédier à cette situation. Le coût en a été, en particulier, une baisse drastique de l’équipement public, que l’on constate en particulier au niveau des villes. Il reste que, dans le contexte de la croissance de la demande d’emplois, de la persistance de poches de pauvreté, de besoins de plus en plus pressants au niveau des services publics les plus essentiels, les budgets de l’Etat sont à nouveau sollicités. Les contraintes budgétaires n’ont pourtant pas entamé l’effort des Etats de la zone en matière d’investissement public, lequel progresse en valeur absolue et relative dans les budgets nationaux. Mais cette politique a consisté en une suite d’accélérations et de freinages en fonction des disponibilités du Trésor Public. Ces fluctuations ont considérablement gêné l’exécution du programme d’investissement public, l’insuffisance des crédits entraînant des retards importants dans la réalisation des projets. 17 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE SITUATION ET POLITIQUES URBAINES DANS LES GRANDS VILLES DE LA MEDITERRANEE Alger PRÉSENTATION DE LA VILLE Capitale du pays auquel elle a donné son nom, Alger est une grande métropole africaine, méditerranéenne et arabe. Construite sur le site d’un ancien comptoir punique, elle a été fondée sous son nom actuel comme port du royaume ziride à la fin du Xème siècle. Capitale ottomane puis coloniale, Alger a pu, face à l’Europe, exploiter sa position médiane sur le littoral du Maghreb central. A la veille de l’occupation française, Alger a été largement rebâtie après le tremblement de terre de 1716. Les marins de la Méditerranée la décrivaient alors comme une ville très peuplée, au commerce florissant. Le millénaire d’El Djazair a été célébré en décembre 1999. Alger rassemble actuellement une population de près de 5 millions habitants. L’étroitesse de l’espace, l’insuffisance de l’infrastructure héritée en matière de voirie, d’adduction d’eau, de logements ont poussé dès 1974 à la déconcentration en deux puis, en 1984, en quatre wilayas des activités métropolitaines en même temps que de l’habitat. Alger est, aujourd’hui, une Wilaya (Préfecture) à elle seule en même temps qu’elle est la capitale de la République Algérienne Démocratique et Populaire. Le budget alloué à la Wilaya d’Alger pour l’année 2005 est de 10,5 milliards de dinars. Le pouvoir législatif est détenu par l’Assemblée Populaire de Wilaya d’Alger (APW) qui comprend 57 conseillers, soit un par commune, élus pour 4 ans au suffrage universel. Le pourvoir exécutif est confié à un wali nommé par le président de la république. Après la dissolution du gouvernorat du grand Alger, en 2000, pour des raisons d’inconstitutionnalité, le wali a retrouvé sa place. Les walis délégués qui dirigent des circonscriptions administratives de 4 à 5 communes sont, en revanche, restés en place. Les 28 arrondissements urbains ont aussi récupéré leur statut de commune avec une gestion autonome et la restitution des taxes locales (taxes professionnelles, bénéfice des sociétés). Les directions de wilayas dans les différents secteurs fonctionnent sous l’autorité de l’APW. La vie quotidienne à Alger est en butte à un stress urbain fait de toutes sortes de pollutions et nuisances, en plus des soucis matériels et des exigences d’une vie quotidienne difficile. La forte densité de population et le brusque changement de mode de vie ont entraîné la transformation de certains quartiers en véritables ghettos : insuffisance du système d’assainissement, mares d’eaux usées, amoncellements de déchets qui dégradent l’environnement. La crise du logement a entraîné une prolifération de l’habitat précaire et des constructions illicites amplifiée, au cours des années 90, par un exode rural justifié par des raisons de sécurité. Un marché immobilier du bidonville a surgi. Face à une surpopulation dépassant largement les normes d’occupation des espaces et des logements, les services urbains de base se sont avérés insuffisants et sous-équipés. L’agglomération algéroise, c’est-à-dire la commune d’Alger-centre et la commune de Sidi M’Hamed, s’est lancée, ces dernières années, dans des actions publiques dans les domaines de la protection de l’environnement et pour un développement urbain équilibré et durable. Ainsi, une nouvelle politique de la ville vient d’être adoptée par le gouvernement en présentant à l’Assemblée Populaire Nationale (APN), en juin 2005, un projet de loi d’orientation de la ville. Un projet qui tend à « établir une politique cohérente sur la ville pour améliorer le cadre de vie du citoyen, réduire l’anarchie urbanistique et maîtriser l’extension de la ville » selon le gouvernement. Il vise aussi, expliquent les membres du gouvernement , à « préserver la cohésion sociale », à promouvoir le rôle des collectivités locales dans la gestion de la ville et à mettre en place des mécanismes permettant la contribution du citoyen à l’entretien du quartier et de la ville. Une loi qui vient répondre aux attentes des citoyens qui, depuis des années, font face à des difficultés quotidiennes dans divers domaines. EAU ET ASSAINISSEMENT La ville d’Alger souffre d’une pénurie chronique en matière d’eau potable. Certains quartiers ont de l’eau de façon continue alors que d’autres ne l’ont qu’un jour sur deux ou sur trois. Un Plan ORSEC, imposé par le déséquilibre entre l’offre et la demande en eau, a été mis en place une première fois en 1994, puis réintroduit en 1997 et à nouveau en 2001. Et le centre de l’agglomération est mieux desservi que les régions périphériques où le robinet ne coule qu’une fois tous les cinq jours et qui subissent des coupures qui durent parfois des semaines. 21 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Cette pénurie d’eau, dont souffre toute la population algérienne, a fait l’objet de plusieurs études et projets visant a améliorer la distribution, mais sans jamais respecter les échéances fixées. Les perturbations en matière d’approvisionnement sont quotidiennes et le jerrycan est devenu la corvée du citadin. Cette situation a poussé la population algéroise à installer des citernes de 1000 à 5000 litres en moyenne, lorsque cela est possible. Après le plan ORSEC de 2002, les premiers vendeurs d’eau ont fait leur apparition dans la banlieue algéroise. Une citerne de 3000 litres est vendue 800 DA. Le réseau en alimentation d’eau à Alger, long de 2 500 kilomètres, est vétuste et loin de pouvoir supporter les charges d’une alimentation quotidienne sans un complet lifting. Ce même réseau avoisine les égouts, dont les plans ne sont pas tous connus des pouvoirs publics et qui doivent être épurés et étanchés pour éviter les infiltrations et partant la transmission de maladies à transmission hydrique. Les fuites d’eau dans les conduites d’adduction et de distribution ont accentué la pénurie. Pour Alger, sur les 650.000 m3 libérés par jour, il est constaté entre 20 à 40% de pertes du fait des fuites et des branchements illicites. La mauvaise gestion de la ressource est aggravée par les insuffisances du service public. En 1997, le gouvernement a procédé à la réorganisation du secteur à la lumière des nouvelles dispositions du code sur l’eau. Les systèmes de production et de distribution d’eau potable ont été placés sous la compétence des communes. Depuis avril 2001, la gestion de l’eau a été confiée à un établissement public à caractère industriel et commercial : l’Algérienne Des Eaux (ADE). L’ADE est chargée de la mise en œuvre de la politique nationale de l’eau potable dans tous les aspects de gestion de la production : transfert, traitement, stockage, adduction, distribution et approvisionnement en eau potable et industrielle. Elle est aussi chargée de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre pour son propre compte et/ou par délégation pour le compte de l’Etat ou des collectivités locales. Elle est également appelée à promouvoir le partenariat en favorisant les contrats de management, d’affermage, de concession et de BOT. Face aux problèmes de mobilisation de ressources hydriques et de distribution d’eau potable accrus d’année en année, les responsables algériens ont opté pour l’établissement d’une stratégie durable, à savoir l’option du dessalement de l’eau de mer pour ne plus dépendre des aléas de la météo. Cette solution est considérée comme moins coûteuse que la construction de grands barrages qui nécessitent le transport de l’eau à travers un réseau important. C’est ainsi qu’un programme pour l’acquisition de petites stations monobloc et de grandes stations de 22 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE dessalement a été lancé pour les villes côtières. La mise en œuvre de cette technologie s’appuie sur des facteurs naturels importants à savoir la proximité de la population du littoral, l’eau de mer ressources inépuisable, la disponibilité de ressource énergétique. Quatorze wilayas côtières et six autres de l’intérieur sont concernées par ce programme. La Wilaya d’Alger est en tête pour la réalisation de ce projet. Après plusieurs mois de négociations, les contrats portant la réalisation de la station du Hamma, quartier situé au centre d’Alger, ont été signés le 25 juin 2005 par l’agence américaine Overseas Private Investment Corporation (OPIC), d’une part, et l’ADE associée à l’Algerian Energy Company (AEC), d’autre part. La société, Hamma Water Desalination, a été créée à cet effet dont sont actionnaires le groupe américain GE Ionics à hauteur de 70% et l’ADE et l’AEC qui détiennent à eux deux 30% des actions. Les travaux préliminaires ont été entamés en avril 2005.. Le montant du projet dépasse les 200 millions de dollars et sera financé selon la formule Build, Own and Operate (BOO), qui prévoit la réalisation et l’exploitation par l’opérateur, et ce sans l’intervention de l’Etat. D’une capacité de 200 000 m3 par jour, cette unité sera réceptionnée dans 24 mois et sera donc opérationnelle le quatrième trimestre 2007. Par ailleurs, le projet pour la réalisation du système de transfert d’eau du barrage de Taksebt vers Alger, Tizi-Ouzou et Boumerdes sera réalisé par le groupe canadien SNCLavalin. D’un montant de 750 millions de dollars canadiens, le projet prévoit la conception et la construction d’une usine de traitement de l’eau d’une capacité de 600 000 m3/ jour et d’une station de pompage. Il est également question de l’exploitation et de l’entretien des installations pendant cinq ans. Trois groupements étaient en course pour ce marché. Une partie de cet investissement a été débloquée par la Banque Européenne de l’Investissement (BEI) et l’Agence Française du Développement (AFD). Selon les délais impartis pour la réalisation du projet, la ville de Tizi-Ouzou sera alimentée à partir de ce barrage dans un an, Draa Ben Khadda dans 18 mois et Alger dans environ 36 mois. C’est l’un des plus gros projets de transfert d’eau de l’Algérie indépendante. Le barrage a été achevé en novembre 2001. Le système de transfert devrait être achevé en 2007. Il a une capacité de remplissage de 175 millions de m3. Le couloir Alger-Boumerdes-Tizi-Ouzou ne devrait plus, après cela, connaître de problèmes d’alimentation en eau potable pendant longtemps et la distribution devrait être assurée régulièrement et sans coupures jusqu’en 2030. Le ministre des Ressources en Eau a indiqué récemment qu’après l’achèvement du programme des transferts, il est probable qu’un système d’interconnexion entre l’ensemble des barrages du pays sera effectué. La priorité des pouvoirs publics est aujourd’hui accordée à la recherche de financements privés pour la réalisation d’infrastructures hydrauliques en faisant appel à des entreprises spécialisées pour leur savoir-faire, pour bénéficier d’un apport de nouvelles technologies et assurer une meilleure gestion du service public. L’accord de « gestion déléguée » d’une durée de cinq ans, signé en juin 2005 entre le ministère des Ressources en Eau et la société française Suez-Environnement en est un exemple. Le projet portera sur la gestion de l’alimentation en eau potable dans la capitale. La société par actions (SPA) qui sera chargée de la gestion des réseaux de l’alimentation en eau potable (AEP) et de l’assainissement à Alger, baptisée Société des Eaux et de l’Assainissement d’Alger (SEAL), regroupant l’Algérienne des Eaux et l’Office National d’Assainissement (ONA), sera mise en place et sera le seul interlocuteur vis-à-vis de Suez. L’ADE et l’ONA seront propriétaires des infrastructures; ils contrôleront l’exécution du cahier des charges et leurs personnels seront à la disposition de Suez. Le conseil d’administration sera présidé par la SPA et la facturation sera également gérée par cette entité. Si elle réussit à Alger, cette expérience sera renouvelée dans les autres grandes villes tel qu’Oran, Constantine et Annaba. Cette société travaillera durant cinq années pour le compte de SEAL et se chargera de réhabiliter le réseau de distribution de l’eau de la capitale, d’assurer un service public continu, de mettre en place un système de gestion cohérent, et de réaliser le transfert technologique et la formation des cadres. Pour ce qui est du coût, aucun montant n’a été annoncé officiellement avancé. Officieusement, il se situerait entre 50 et 60 millions de dollars. Depuis le 1er janvier 2005 une nouvelle tarification de l’eau et de l’assainissement est en vigueur. Le tarif de base, variant d’un minimum de 3,60 DA/m3 à un maximum de 4,50 DA/m3, est passé à un minimum de 5,80 DA/m3 et un maximum de 6,30 DA/m3. Les tarifs varient en effet selon les zones tarifaires territoriales, au nombre de cinq, et les catégories de consommateurs. Le tarif de l’assainissement, qui était jusque-là calculé à hauteur de 20% du montant de la facture de l’eau, a été institué : son prix a été fixé entre 2,10 DA/m3 et 2,35 DA/m3. Sur la facture, la partie eau potable et la partie assainissement seront désormais détaillées. Ce réajustement de la tarification prend uniquement en considération les charges d’exploitation. Il en est de même pour la prochaine augmentation prévue en 2007. A partir de 2009, les investissements seront intégrés dans les factures. Mais même avec ces augmentations, le tarif, de l’ordre de 9 à 12 DA/m3, n’atteindra pas le prix des charges d’exploitation qui est de 25,5 DA. Avec les augmentations prévues, le tarif moyen passera à 15 DA soit environ 60% des charges d’exploitation. Les mêmes tarifs seront appliqués à l’eau dessalée. La nouvelle loi prévoit d’aller progressivement vers des tarifs d’équilibre liés au coût de l’exploitation dans un premier temps. L’Etat payera la différence pour les petits consommateurs. Le ministère des Ressources en Eau espère, avec cette nouvelle tarification, réduire le gaspillage et assurer ainsi une meilleure gestion de la ressource. Le problème de l’acheminement et du traitement des eaux usées se pose également avec acuité dans toutes les régions d’Algérie. Les stations d’épuration réalisées ont des capacités très insuffisantes au regard des besoins. A Alger, un projet de collecteur d’eaux usées reliera Rais Hamidou à Baraki à un grand bassin souterrain d’une capacité de 10 000 m3 pour soulager les conduites en période de crues. D’autre part, le projet d’aménagement de l’oued El Harrach a été réactivé. Les responsables algériens ont également annoncé la fin programmée des rejets en mer des eaux usées d’Alger. Ainsi, il est prévu la réhabilitation des 45 stations d’épuration situées en zone côtière et la réalisation de 62 autres à travers tout le pays pour couvrir les villes de plus de 100.000 habitants. La priorité est donnée au bassin du Chellif dont les 7 barrages sont pollués. Sur les 11 stations en cours de réalisation à travers huit wilayas, trois projets sont inscrits dont la station d’épuration de Beni-Messous à Alger, destinée à l’épuration des eaux usées des agglomérations côtières de la zone ouest de la Wilaya d’Alger. COLLECTE ET GESTION DES DECHETS Maintenir la ville propre relève de l’impossible en Algérie. Plusieurs quartiers de la capitale offrent un décor désolant. Les ordures ménagères, les animaux errants, les gravats font partie de la vie quotidienne des Algérois. Les ruelles sont jonchées d’ordures ménagères. Depuis le séisme de 2003, plusieurs chantiers sont en cours dans la ville d’Alger, produisant des masses de gravats et de déblais de construction jetés à même sur la voie publique. Les transferts vers les décharges publiques se font généralement durant la nuit. Cette situation est aggravée par l’incivisme de beaucoup de citoyens. Il est rare, par exemple, que les habitants de certains quartiers respectent les horaires prévus pour le dépôt de leurs ordures. Selon les données du ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, la quantité de déchets urbains produits en Algérie s’élève à 8,5 millions de tonnes 23 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE par an soit 0,75 kg par habitant et par jour. Ce ratio atteint 1kg par habitant et par jour à Alger. Les emballages prennent une part de plus en plus grande dans ce volume. Le code communal, promulgué le 7 avril 1990, a confié la gestion de l’ensemble des déchets aux Assemblées Communales Populaires (APC). Ces dernières n’ont toutefois ni les moyens humains ni les moyens matériels de mener à bien cette mission. Une collecte défaillante explique la prolifération des décharges sauvages à proximité des cités d’habitation. Les décharges existantes au niveau de la Wilaya d’Alger (Oued Semar et Ouled Fayet) font l’objet de nombreuses protestations de la part de la population. Tous les déchets collectés à Alger sont entassés sur ces terrains vagues situés respectivement à l’est et à l’ouest de la ville, sans limitation du volume et en dehors de toute norme. Ces deux décharges sont à l’origine de la forte pollution de l’air de la ville d’Alger. Un programme national de gestion des déchets municipaux (PROGDEM) a été mis au point mais sa mise en application suppose la mise en place d’une assistance technique et des moyens financiers importants. Les financements seront assurés par le budget de l’Etat, la fiscalité locale et les bailleurs de fonds. Ce projet a pour ambition de mettre fin aux défaillance des systèmes de collecte, à la multiplication des décharges sauvages et à l’insuffisance et l’inadaptation des systèmes d’élimination. Un projet d’aménagement d’un centre d’enfouissement technique (CET), d’un coût de 400 millions de dinars, est en cours de réalisation à Ouled Fayet. TRANSPORTS PUBLICS A Alger, le secteur des transports urbains est en crise depuis les années 1980. Le problème réside dans les longues distances entre les lieux de résidence et les lieux de travail. Il faut deux heures minimum à un Algérois habitant la banlieue pour arriver à son travail, situé généralement au centre. Les longues queues pour prendre un taxi, moyen de transport coûteux, découragent les usagers qui s’orientent vers les bus surchargés depuis leur point de départ. Dans les bus de l’ETUSA ou du secteur privé, les bousculades ne sont pas rares, un comportement qui trouve son explication dans l’insuffisance et l’irrégularité d’autres moyens de transports. Le parc automobile, qui a connu ces dernières années une croissance annuelle de 8 à 10%, a entraîné une saturation progressive des axes routiers. Dans le cadre de la politique d’ajustement menée dans 24 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE les années 94 à 96, il a été décidé de revoir la politique de ce secteur sur la base des principes suivants: mettre fin aux monopoles et redéfinir le rôle de l’Etat. L’exploitation de taxis collectifs privés a été autorisée pour pallier l’insuffisance de l’offre de l’entreprise publique de bus ETUSA dans l’agglomération algéroise. Des modes d’exploitation plus dynamiques ont été recherchés par les entreprises en charge des transports publics ainsi que des politiques tarifaires adaptées. En effet, le blocage des tarifs des transports publics urbains pendant une très longue période a privé le secteur des ressources nécessaires à son développement. Les difficultés de circulation dans l’agglomération d’Alger imposent une réorganisation des transports en commun avec un plan de circulation et un aménagement de la voirie urbaine qui rendraient possible l’amélioration de la fluidité du trafic. La nouvelle politique du secteur des transports urbains prévoit la mise en place d’une autorité organisatrice des transports pour redéfinir le service et la tarification et mobiliser les financements. L’objectif est de favoriser la gestion d’un système multimodal de transport incluant autobus public et privé, chemin de fer de banlieue, métro et tramway. Bien que la part du rail dans le transport des voyageurs, à travers la Société Nationale du Transport Ferroviaire (SNTF), ne représente que 8% du trafic national, ce mode de transport ne compte pas moins de 30 millions de voyageurs par an, dont 22 millions pour la seule banlieue algéroise, un trafic appelé à doubler à l’horizon 2009 avec l’achèvement du projet d’électrification du réseau de cette banlieue, confié, depuis juin dernier, à l’entreprise française Alstom. Pour la SNTF, qui a accusé un retard certain ces quinze dernières années, à cause, entre autres, des attaques terroristes contre son parc et la suppression de plusieurs lignes, il est question aujourd’hui de reconquérir sa part du marché du transport de voyageurs grâce notamment à la modernisation de ses infrastructures, l’acquisition d’un nouveau matériel roulant de type RER (réseau express régional) et l’adaptation de son service à la demande du marché. Mais en attendant 2009, des efforts sont d’ores et déjà consentis en vue de reconquérir le marché sur les lignes régionales. Quant au transport urbain, il n’est pas attendu que les recettes couvrent les coûts du service, mais elles seront en partie compensées par l’activité principale de l’entreprise qui est le transport de marchandises. Celui-ci représente en effet pas moins de 84% du chiffre d’affaires de la société. Par ailleurs, il faut savoir que certaines voitures du parc de la SNTF datent de 1976 alors qu’en principe leur durée de vie n’excède pas trente ans. Celles-ci sont donc appelées à être progressivement remplacées. Mais le projet le plus important de la SNTF est certainement l’électrification du réseau de la banlieue algéroise. D’un coût global de 88 millions d’euros, il porte essentiellement sur l’électrification des voies sur les lignes Alger-El Harrach sur 10 kilomètres avec trois voies, El Harrach-Thénia sur 43 kilomètres avec deux voies, et El Harrach-El Afroun sur 58 kilomètres avec deux voies. Le mode de traction par locomotive diesel existant sera remplacé par la traction électrique. Et l’idée de relier l’aéroport international d’Alger à une voie ferrée figure parmi les projets phares de l’entreprise. Ayant connu une situation particulière, jalonnée par le désordre et un laisser-aller flagrant, le transport urbain connaîtra prochainement une réorganisation. Une entité de régulation du transport au niveau de la ville d’Alger sera créée dans cette optique. Conçue, semble-t-il, sur le modèle français (RATP), cette nouvelle entité prendra en charge, selon le ministre des Transports, l’organisation du transport dans la Wilaya d’Alger. Si les résultats sont satisfaisants, le dispositif sera étendu à d’autres régions du pays. Avec la réhabilitation de l’ETUSA, la réception du métro d’Alger, la réalisation du tramway et le train de banlieue ainsi que la réhabilitation et la mise en marche des téléphériques, le problème du transport à Alger devrait être résolu. Datant des années 80, le plus vieux chantier de développement des infrastructures de transport en Algérie commence à devenir enfin une réalité : le métro d’Alger. Plus de 20 ans après le début des travaux, le chantier du métro a été réactivé en 2003. Depuis son lancement, excepté pour la période 1982-1985, le projet du métro a été confronté à des difficultés multiples qui se sont traduites par des dérives importantes des délais de réalisation. Un document élaboré par le ministère des Transports explique que les principaux obstacles à ce projet ont été l’inexpérience des entreprises nationales dans la construction d’ouvrages souterrains, le départ des assistants techniques étrangers en 1993, le problème du financement caractérisé par les modalités d’individualisation par lot (la dernière remonte à 1993) au lieu d’une autorisation globale, la lenteur des expropriations des terrains pour cause d’utilité publique, l’approvisionnement irrégulier en matériaux de construction et, enfin, l’interruption de l’usage des explosifs entre 1993 et 1999. Près de 400 millions de dollars ont été pourtant investis sur la période. Les travaux du génie civil, sur le troncon Hai el Dadr-Grande Poste, d’une longueur de 4,1 km, devraient se terminer en juillet 2006. Confronté à des difficultés techniques et financières, ce projet, dont la réalisation a été confiée à la Cosider avec l’assistance technique de partenaires italiens, devrait être achevé en 2008. Par ailleurs, les autorités espèrent mettre en service deux lignes du tramway dans la capitale d’ici 2007. Cette échéance paraît cependant optimiste au vu de l’avancement des travaux en cours . Il est à noter que le schéma de principe qui ressort de l’étude de conception prévoit à long terme un réseau constitué de trois lignes totalisant 56 km de tunnels et 54 stations. La première va de Oued Koriche à Haï El Badr. La deuxième, à partir de la Grande-Poste, monte vers le plateau des Anassers et dessert Bachedjarah, El Harrach et Bab Ezzouar. La troisième part d’Hussein Dey, suit la pénétrante des Anassers et le tracé de la rocade sud jusqu’à Aïn Allah pour desservir le Sud-Ouest. Ce programme a fait l’objet de la signature de deux contrats : un contrat de maîtrise d’œuvre confié au groupement français Systra-SGTE et un contrat de réalisation du génie civil confié à un groupement algéro-allemand Gaama (Dywidag, Cosider et Infrafer) ; il s’ajoute au précédent programme de réalisation qui couvre 3,4 km de tunnels (place Emir Abdelkader-El Hamma), six stations, une plate-forme ferroviaire, un complexe de maintenance (18 ha) et un bâtiment administratif. Ces deux programmes constituent la première étape du tronçon Haï El Badr-Grande Poste, dont la mise en service est prévue pour le début de 2008. LOGEMENT SOCIAL L’Algérie a connu, depuis l’Indépendance, un rythme d’urbanisation particulièrement élevé, avec une croissance annuelle de la population urbaine de l’ordre de 5,4%. Malgré la multiplication des lotissements, dès les années 80, les exigences accrues des couches sociales supérieures et moyennes ont aggravé un déficit déjà chronique en logement. Le déficit en logements est estimé aujourd’hui à 1,5 millions, auquel il faut ajouter 500.000 logements précaires ou insalubres à réhabiliter. L’Algérie, à l’instar des pays qui ont recouvré leur indépendance après une longue période de colonisation, a subi un exode rural important, aggravé par le déplacement des populations qui fuyaient les zones touchées par le terrorisme. Cette situation a favorisé le développement de bidonvilles et l’habitat précaire. Ce dernier n’a pas cessé de se développer et a pris des proportions alarmantes, notamment à la périphérie des grandes villes. Plusieurs familles de cinq à dix personnes se sont retrouvées à partager un appartement de deux pièces. Les programmes de logements sociaux se sont avérés, durant des années, insuffisants pour reloger tous les habitants des quartiers défavorisés. 25 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Les autorités algériennes ont défini une nouvelle politique de l’Habitat reposant largement sur l’initiative du secteur privé. Parallèlement, un programme national de résorption de l’habitat précaire a été lancé pour éliminer progressivement les 600 sites insalubres recensés sur le territoire, qui couvrent 17 000 hectares et abritent 3,5 millions d’habitants. Ce programme, qui porte sur la rénovation des zones d’habitat spontané, la restructuration de quartiers dégradés et la réalisation de lotissements économiques, bénéficie d’un appui important de la Banque Mondiale. Des ressources considérables sur le budget de l’Etat ont été également mobilisées pour satisfaire la demande pressante en matière de logement. Une autre démarche vise à identifier les sites potentiels pouvant accueillir de nouvelles villes et ce, en collaboration avec le département de l’aménagement du territoire. Ces nouvelles villes serviraient à faire face à la forte demande de logements recensée particulièrement dans les grandes métropoles. Aux choix des sites de Sidi Abdellah et de Bouinan, pourrait s’ajouter celui de Menaceur. Par ailleurs, le secteur du logement social a connu une nouvelle impulsion avec une production annuelle de près de 140 000 logements par an. Toutes les formules sont représentées : logements sociaux locatifs, logements sociaux participatifs, logements promotionnels, aides financières à l’habitat rural, afin de fixer les populations rurales dans leurs terres, location-vente, etc. Durant la dernière décennie, l’offre de logements a concerné principalement les couches défavorisées, c’està-dire, les ménages à faibles revenus, alors que les couches moyennes ne pouvaient accéder ni au logement social ni au logement promotionnel du fait de leur coût élevé. C’est pourquoi d’autres formules de logements, comme le logement social participatif et la location-vente, ont été introduites. Ces formules sont actuellement expérimentées dans le cadre du programme de l’Agence Nationale de l’Amélioration et de Développement du Logement (AADL) pour résorber la crise du logement. Mais ce projet a connu des retards importants liés aux mauvaises conditions climatiques, au manque de matériaux de construction, au flottement des effectifs de la main-d’œuvre, ainsi qu’à des problèmes fonciers. Ainsi, sur un total de 55 000 logements au titre des programmes 2001 et 2002, l’AADL n’en a livré pour l’heure que 5000. Suite aux inondations de Bab El Oued et au séisme d’Alger et de Boumerdès, 76 000 logements ont été réparés dans ces deux wilayas. Ces réparations ont permis aux familles sinistrées, logées provisoirement sous des tentes, de réintégrer leurs habitations complètement restaurées. 26 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE De ce fait, pas moins de 180 000 sinistrés ont été relogés en un temps record, grâce à la mobilisation des moyens humains et matériels dont dispose le pays. VOIRIE Les nombreux chantiers, entamés depuis des années dans la ville d’Alger, continuent de bloquer sérieusement le développement ou la rénovation de la voirie qui est encore aujourd’hui dans un état lamentable. Les trottoirs sont souvent inutilisables en raison de leur détérioration. Lorsqu’ils sont praticables, ils sont généralement occupés par les marchandises des petits magasins qui poussent dans les quartiers. Sur les grandes artères, ce sont les vendeurs à la sauvette qui s’installent pour la journée avec, sur leurs tables, toutes sortes de marchandises généralement importées de Chine. L’éclairage public est encore inexistant dans certains quartiers. Un programme de 1500 projets d’équipements publics et de rénovation de la voirie a été lancé en 2003. Mais en 2005, plus d’un millier n’ont toujours pas démarré du fait de querelles entre élus locaux, d’insuffisance de financements et de manque de coordination entre les différentes administrations. LUTTE CONTRE LES RISQUES MAJEURS La ville d’Alger est particulièrement exposée aux risques majeurs naturels et industriels : les inondations de Bab El Oued, le séisme de Boumerdès et l’incendie de la raffinerie de Skikda en ont été les manifestations les plus récentes. Outre les pertes humaines, ces catastrophes entraînent des dommages matériels importants. Elles peuvent également avoir des conséquences écologiques désastreuses. La prévention est évidemment l’axe de travail privilégié. Les communes ont été récemment exhortées à préparer des plans de prévention des risques. Ces plans doivent, en particulier, introduire la notion de risque dans les plans d’occupation des sols (POS). Mais le manque de compétences et d’expérience des communes les conduit à rechercher des coopérations extérieures. La réaction en situation de crise est une autre priorité. Le gouvernement vient de lancer, en coopération avec la Banque Mondiale, un vaste projet de réduction de la vulnérabilité et du risque (inondation, séismes,...) sur la ville d’Alger. Ce projet doit déboucher sur la mise en place de plans d’action pour neuf communes, lesquels comprendront en particulier des plans de circulation et de communication détaillés, permettant de mieux gérer les crises futures éventuelles. 27 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Alexandrie PRÉSENTATION DE LA VILLE Alexandrie a été fondée par Alexandre le Grand en 331 av. J.-C. Elle devint dans l’Antiquité le premier port d’Égypte et la capitale du pays. Elle sera à son époque l’un des plus grands foyers culturels de la Méditerranée, sa fameuse Bibliothèque étant sans conteste l’un des principaux fondements de sa notoriété. En 30 avant J.-C., les Romains se rendirent maîtres de l’Égypte et Octavien fit d’Alexandrie la capitale de la province romaine d’Égypte. Au IVe siècle après J.-C., une série de tremblement de terre et l’élévation du niveau de la mer font disparaître une partie de la ville antique. Jusqu’à la conquête des Arabes en 642 après J.-C. 8 ans après la mort de Mahomet, Alexandrie sera le théâtre de combats sanglants entre païens et chrétiens. Les nouveaux conquérants établiront leur nouvelle capitale à Fustat, qui deviendra Le Caire actuel, Alexandrie devenant un port de transit, situé aux marges du pays. Il faudra attendre 1805 pour que Mohammed Ali, officier turc originaire d’Albanie, et vice-roi pour la Sublime Porte Ottomane (le pouvoir central de l’Empire turc) entreprenne la reconstruction du port. Pendant plus de 150 ans, la ville restera le second port de la Méditerranée. Si Alexandrie a aujourd’hui perdu sa grandeur d’antan, elle est encore le plus grand port de son pays. Alexandrie occupe une place originale dans le pays par rapport aux habitudes des Égyptiens. Leurs capitales étaient construites à l’intérieur du pays et elles tournaient en quelque sorte le dos à la mer : les échanges avec les autres nations de l’Est, lointain ou proche, se faisaient par voie de terre. Alexandrie est un port, le plus grand de la Méditerranée orientale. Ce rappel n’est pas inutile pour apprécier le mode d’existence de la ville. De la mer, la ville reçoit les productions du monde entier, alors que les importations se faisaient auparavant par voie de terre. Mais c’est l’intérieur du pays qui assure son existence, en lui fournissant l’eau pour la boisson et pour tous les autres besoins de la vie (hygiène du corps : importance des bains) et la nourriture. L’eau potable manquant à proximité, on alla la chercher dans le Nil à vingtcinq kilomètres à l’est d’Alexandrie : un canal alimentait les aqueducs qui conduisaient l’eau jusqu’à la ville. Le miracle alexandrin est qu’une telle activité ait pu se développer sur un site qui semblait fort peu se prêter à l’installation d’une ville de cette importance. La ville est, en effet, installée sur une bande de terre de 35 km de long sur 5 km de large, séparant la mer et le lac Mariout, aujourd’hui, en grande partie, asséché. Située à l’ouest du delta, entre le lac Maréotis et l’île de Pharos, elle est rattachée à l’île de Pharos par l’Heptastade, une sorte de digue servant aussi d’aqueduc qui a permis, non seulement l’extension de la ville, mais aussi la création de deux ports maritimes. Le plan de la ville, élaboré par Deinocratès selon une grille géométrique parfaite, avec ses deux perpendiculaires majeures du nord au sud, et l’autre d’est en ouest, marque encore la ville d’aujourd’hui. La rue Nebi Daniel, d’un côté, la rue de Rosette, de l’autre, témoignent de la force de ce schéma et les axes mêmes de l’extension urbaine s’y inscrivent. Aujourd’hui, Alexandrie est une ville cosmopolite de 4,1 millions d’habitants grecs, macédoniens, égyptiens sans parler des innombrables représentants d’autres origines que leurs activités appellent à y faire des séjours temporaires. Les différences entre les populations affectent les genres de vie, les mœurs, les croyances, les religions, le culte des morts, etc. Chaque peuple conserve ce qui lui appartient en propre (organisation de la communauté du point de vue matériel, cultuel et administratif), mais on constate aussi des rapprochements et des échanges. Les rapports avec la classe dominante des Grecs et des Macédoniens évolueront au fil des siècles, plus ou moins vite. Longtemps célébrée comme la capitale du cosmopolitisme, Alexandrie s’est transformée, sous l’ère nassérienne, en une banale cité balnéaire. Mais le souvenir de la grande époque reste présent dans tous les esprits. Au cours des cinquante dernières années, Alexandrie sera submergée par des vagues successives d’exode rural - venues de haute Egypte, de Nubie - qui ont arraché son âme à la cité. Alexandrie est désormais une ville d’habitat informel, et même l’intérieur de ses vieux immeubles d’époque coloniale représente tous les styles : victoriens, italiens, français, grecs ou islamiques. Des années 50 au début des années 70, en dépit de sa décadence, Alexandrie était encore un endroit où l’on construisait des villas de luxe, des chalets et des hôtels prestigieux sur le front de mer. Le cœur de la ville historique, entre la station de tram de Ramla, la place Saad-Zaghloul et les alentours de la place MéhémetAli, n’a été que peu touché, au point qu’on se croirait pris 29 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE dans une faille de l’espace-temps. Il y a cependant une différence de taille : les habitants. Les nouveaux occupants de ce centre-ville n’ont rien à voir avec les hautes fonctions et les rôles sociaux prééminents des anciens propriétaires pour qui la ville avait été conçue. L’Etat tente de ravaler la physionomie de sa ville. Des façades ont été repeintes, des statues et des monuments sont érigés sur les places principales, une entreprise étrangère a été chargée de la collecte des ordures, et les investisseurs locaux ont été fortement incités à financer les travaux de voirie et de réfection des jardins publics. Mais l’événement le plus important qui traduit cette réorientation - sur le plan pratique comme sur le plan symbolique -est la renaissance de la bibliothèque d’Alexandrie, autrefois centre mythique de la culture antique. Cette renaissance, rendue possible par une collaboration internationale et interarabe, débouche sur un joyau architectural qui redonne du souffle au tourisme culturel. Et si le projet de reconstruction du phare d’Alexandrie est, lui aussi, mené à son terme, les architectures hellénistiques et romaines revisitées deviendront une nouvelle composante de l’identité contemporaine de l’Etat égyptien, s’ajoutant à l’habituelle mixture des styles pharaonique et arabo-islamique. ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE Alexandrie est rattachée au gouvernorat du même nom. Le gouverneur relaye le pouvoir central et dispose de pouvoirs étendus. Au gouvernorat sont attachés deux conseils : le conseil populaire et le conseil exécutif. Le conseil populaire local comprend 130 membres. Chaque arrondissement (qism) est représenté par quatre élus en plus d’une femme. Le conseil élit un président et deux vice-présidents. La loi donne le droit au chef du parlement (nommé) d’assister aux réunions du conseil et de prendre part aux délibérations sans avoir le droit de vote. Le gouverneur peut également assister aux réunions du conseil. Les décisions du conseil sont effectives si elles sont conformes aux lois. Toutefois le gouverneur peut rejeter toute décision qui contredit le plan économique et le budget et la renvoyer au conseil avec ses commentaires dans un délai de trente jours. Si le conseil maintient sa position, il la soumet au Haut Conseil des collectivités locales. Les conseils populaires locaux, à l’échelle des districts, sont régis par les mêmes dispositions, chaque qism est représenté par six membres élus. Le conseil exécutif est 30 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE présidé par le gouverneur assisté par les chefs des quartiers, les directeurs des services et des divers départements ainsi que le secrétaire général du gouvernorat. Le Gouverneur est le représentant du chef de l’Etat dans son gouvernorat et le chef de l’exécutif local. Il est le responsable de la mise en œuvre de la politique générale du gouvernement. Il est, pour cela, doté des pouvoirs d’un ministre. Les départements techniques sont présidés par des fonctionnaires affectés par les différents ministères tels que l’éducation nationale, la santé, l’habitat, etc. Le gouvernorat d’Alexandrie a lancé en 2004 une concertation devant conduire à la mise en place d’une stratégie globale, qui serait fondée sur une vision unifiée pour un développement soutenable de la ville. Les principaux objectifs de ce plan sont : • • • • Instaurer un dialogue entre les différents partenaires sociaux de la ville, Mettre en place une réforme administrative législative et institutionnelle , Mettre la culture au cœur du processus de développement, Promouvoir les nouvelles technologies comme des vecteurs de développement. Une structure de concertation a été mise en place dans le but d’identifier les projets prioritaires et les sources potentielles de financement dans les quatre domaines suivants: • • • • Développement économique, Politique urbaine et infrastructure, Environnement et lac Mariout, Culture. Il est également envisagé la création d’une agence municipale de développement chargée de mettre en œuvre les projets et de mobiliser les ressources financières et humaines nécessaires à leur exécution. Dès à présent, une dizaine de projets prioritaires ont été identifiés. Parmi ceuxci figure la réhabilitation du lac Mariout dont il sera question plus loin. EAU ET ASSAINISSEMENT L’Egypte a, comme ses voisins, un problème grave de ressources en eau. Les ressources actuelles viennent principalement du Nil ; elles représentent environ à 900 m3 par personne et par an et se situent donc en dessous du seuil de pauvreté en eau. Et si rien n’est fait pour développer les ressources ou modifier les modes de consommation, le niveau des ressources tombera, en 2017, à 670 m3 par personne et par an. Jusqu’en 1991, la stratégie de développement du pays ne prenait pas en compte les questions d’environnement. La première loi sur l’environnement date de 1994 et a suivi le succès du plan d’ajustement structurel entamé quelques années plus tôt. Un premier plan national de protection de l’environnement a été mis en place en 1992 mais n’a pas eu de véritable impact du fait d’une structure gouvernementale inadaptée et donc incapable d’imposer les infléchissements politiques nécessaires. La création, en 1997, d’un ministère de l’Environnement a permis de mieux coordonner des politiques qui étaient jusque-là gérées par plusieurs ministères. La création, l’année suivante, d’une Agence de l’Environnement (Egyptian Environmental Affairs Agency), dotée de compétences étendues, a marqué une nouvelle étape de cette politique et conduit à une meilleure coordination des actions sur le terrain dans le domaine de l’eau, des déchets, et de la pollution de l’air. Elle a permis, en particulier, une meilleure coordination de l’aide extérieure qui a été, comme on le verra plus loin, particulièrement importante à cette époque. Le ministère de l’Eau et de l’Irrigation vient de mettre au point un plan national pour la gestion des ressources hydrauliques, qui portera sur la période 2005-2017. Ce plan se résume à quatre points essentiels : • • • • développer les ressources en réduisant les pertes et par une meilleure utilisation de l’eau souterraine. assurer une meilleure utilisation des ressources disponibles, viser une meilleure efficacité des institutions en charge de l’eau dans le pays par la décentralisation et un appel, lorsque cela est possible, au secteur privé. consolider des relations avec les pays du bassin du Nil pour développer des projets visant à regagner les eaux évaporées dans les marécages. A titre d’exemple, le projet Gongli, dont profitent l’Egypte et le Soudan, a réussi, dans sa première phase, à fournir 4 milliards de m3 d’eau. Un chiffre qui aurait pu atteindre les 9 milliards de m3 à la fin de la deuxième phase si le projet n’avait dû s’interrompre du fait des circonstances politiques au sud du Soudan. Ce projet d’ensemble a été chiffré à près de 200 milliards de LE. L’approvisionnement en eau des villes comme Alexandrie ou le Caire est, bien évidemment, au cœur de la nouvelle politique. Cette question a eu une place considérable au moment de la construction d’Alexandrie et lors de ses aménagements ultérieurs. L’emplacement de la ville étant dépourvu d’eau douce directement accessible, type source ou rivière, il a fallu apporter l’eau jusqu’à la future Alexandrie. Le creusement du canal (ou khalig), partant de la branche canopique du Nil à Schedia, point d’origine du captage, et courant sur environ vingt-sept kilomètres jusqu’à Alexandrie, témoigne, dès la création de la ville, de la volonté des aménageurs d’assurer un arrivage régulier de l’eau en vue d’un développement croissant des besoins domestiques, artisanaux et agricoles exigeant des quantités d’eau considérables. C’est la preuve que la ville a été pensée, dès le départ, sur un plan d’expansion remarquable. Au début des années 80, la situation de la ville en matière d’eau et d’assainissement avait atteint un seuil critique. La pollution des eaux du Nil en aval du Caire s’était considérablement aggravée du fait des rejets industriels et agricoles. Les eaux usées de la ville étaient rejetées sans traitement dans la mer au travers de 15 collecteurs tout au long de la côte, polluant les plages et tout l’environnement côtier. La vétusté du réseau de distribution était à l’origine de fuites importantes. Les infiltrations des eaux d’égout dans le réseau d’eau potable menaçaient la santé publique. L’aide internationale a alors été sollicitée pour résoudre les problèmes les plus urgents. L’aide américaine a été, de très loin, la plus importante. Depuis 1978, Alexandrie a reçu près de 500 MUS$ de l’USAID, sous forme de dons, qui ont permis, en particulier, de rénover une partie des infrastructures du réseau d’eau potable et d’assainissement (plus de 200 km d’égouts ont été rénovés), et la construction de plusieurs unités de traitement des eaux usées. Treize des quinze collecteurs qui déversaient l’eau usée directement dans la mer sans aucune forme de traitement ont pu être ainsi éliminés. Jusqu’à une période très récente, la production et la distribution d’eau potable, de même que le traitement des eaux usées, était confié à une entité administrative, l’Alexandria Water General Authority (AWGA) relevant à la fois du gouverneur et du ministère de l’Eau et de l’Irrigation. Cette entité ne disposait d’aucune autonomie financière et fonctionnait, pour l’essentiel, grâce à une subvention de l’Etat. En effet, bien que plus de 80% des habitants soient raccordés au réseau, les prix pratiques pour l’eau ne permettaient pas de financer les investissements nécessaires 31 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE à une remise en état de l’ensemble du réseau. Aujourd’hui encore, le prix payé par les usagers couvre moins de 25% du prix de revient, les 75% restants étant supportés par le budget général de l’Etat. Cependant, dans certaines zones, la dégradation des canalisations est telle que les habitants n’osent pas boire une eau qu’ils pensent polluée. Ils s’adressent, alors, pour l’eau potable, à des vendeurs d’eau qui leur fournissent les quantités strictement nécessaires à la consommation familiale mais à des prix environ dix fois plus élevés que l’eau du robinet. Un plan de réhabilitation du système de production, de distribution d’eau potable et de traitement des eaux usées étalé sur 20 ans, a été mis en place en 2000 qui prévoit l’équivalent de près d’un milliard d’euros d’investissements. Élaboré en coopération avec les grandes institutions internationales, il a permis, pour la première fois, de développer une approche intégrée portant sur l’ensemble de la filière et définissant clairement, à la fois les priorités d’action et leur programmation. Toutefois, ce plan s’est heurté à un problème institutionnel dû à la multiplicité des intervenants et à l’absence d’une véritable coordination entre eux. Pour résoudre ce problème et dynamiser le secteur, un décret présidentiel a autorisé la transformatio,n en 2004, de 14 institutions publiques en société. C’est ainsi, qu’Alexandria Water General Authority (AWGA) est devenue Alexandria Water Company (AWCO), qui a le statut de société indépendante et qui bénéficie donc d’une plus grande autonomie et d’une liberté d’action qui n’existait pas avec l’ancienne structure. Elle pourra disposer, en particulier, d’une large autonomie financière qui lui permettra de contracter des prêts et d’investir. La gestion du personnel se rapprochera du secteur privé. Aujourd’hui, AWCO s’est fixé cinq objectifs prioritaires, à savoir : • améliorer l’efficacité et la productivité de la maind’œuvre, • diminuer les pertes et assurer un service client de qualité, • mettre en œuvre les technologies les plus récentes, • rester à l’écoute des tendances du monde de l’industrie de l’eau, • enfin, devenir un acteur de référence des services de l’eau au Moyen-Orient. En parallèle à la création de sociétés des eaux indépendantes, le gouvernement a mis en place une entité de régulation, la Central Authority for the Drinking Water and Sanitation Sector, and Protection of the Consumer, chargée d’établir et de faire respecter des normes de qualité et de 32 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE contrôler le prix de l’eau. Cette entité a été calquée sur le modèle des Utilities Commissions qui régulent les services publics aux Etats-Unis. Le traitement des eaux usées pose également un problème de taille. Environ 800 000 m3/jour sont collectés et traités dans deux stations, l’une à l’est et l’autre à l’ouest de la ville, avec des capacités à peu prés équivalentes. Après un traitement primaire, la station de l’est rejette ses effluents dans le collecteur Al’Quala qui se déverse dans la partie sud du lac Mariout. La station de l’Ouest rejette directement ses effluents dans la partie nord du lac. La capacité des deux unités à été portée à 1,2 million de m3 par an pour tenir compte de l’extension du réseau de collecte des eaux usées qui concerne actuellement près de 70% de la population. La pollution touche également la zone côtière autour d’Alexandrie. La principale source de pollution directe vient de l’égout proche du fort de Qaytbay qui déverse sans traitement 250 000 m3 par jour de rejets industriels et domestiques. Le canal de Mahmoudeya qui se déversait il y a 10 ans dans le port a été bouché mais 9 000 m3 par jour de rejets toxiques continuent de filtrer. Plus loin vers l’ouest, là où se trouvent les plus belles plages, la pollution, essentiellement pétrolière, est due au pipeline Sumed et aux champs pétrolifères d’Al-Alamein. À l’extrémité orientale de la cité, dans la rade d’Aboukir, la station de pompage de Tabia rejette 1,8 million de m3 par jour. Le canal de dérivation du lac Edkou, situé au-dessus de la mer, déverse 3,5 millions de m3 de rejets agricoles, peu toxiques. Sans compter les dizaines d’industries (papier, raffineries, engrais chimiques) qui se débarrassent de leurs eaux usées dans la mer. Les conséquences sont dramatiques. La rade d’Aboukir est biologiquement morte. Il n’y reste que quelques poissons migrants. La côte à l’est est un peu plus propre, surtout à cause du courant qui entraîne la pollution. Depuis la fermeture des principaux égouts, il y a cinq ans, la faune et la flore commencent à s’y reconstituer. Le port oriental, qui contient la plupart des restes antiques dont le fameux palais de Cléopâtre, est hautement pollué. De même que le port occidental où les poissons sont impropres à la consommation. Alexandrie fournissait, il n’y a pas longtemps, 10% des poissons et crevettes consommés en Égypte. Aujourd’hui, ses pêcheurs vont les chercher vers les côtes libyennes. Quant au tourisme, il ne peut que pâtir de l’état des plages. COLLECTE ET TRAITEMENT DES DÉCHETS Depuis les années 30, la collecte des ordures était effectuée, à Alexandrie comme au Caire ou à Giza, par la communauté des Zabbaleen. Plusieurs milliers de familles assuraient une collecte journalière des ordures qui étaient ensuite amenées sur un site en bordure de la ville, triées et pour partie recyclées. Les particuliers, dont les ordures étaient collectées, acquittaient aux représentants de cette communauté une redevance mensuelle de 15 LE. Les déchets organiques nourrissaient des animaux domestiques, et les matériaux récupérés étaient revendus à des industriels. Près de 10% des déchets produits en Egypte étaient collectés et traités de cette façon. L’arrivée de concessionnaires privés a mis un terme partiel à cette activité qui subsiste néanmoins dans certaines zones. Au Caire, la société concessionnaire a passé un accord avec la communauté des Zabbaleen qui est, à présent, intégrée au service. Le principe d’une gestion intégrée des déchets urbains est apparu en Egypte en 1998, après qu’un nuage noir nauséabond ait traversé le ciel du Caire en provenance d’une des plus grandes décharges de la ville. Un programme d’élimination portant, sur 12 millions de m3 de déchets accumulés aux abords des grandes villes a été lancé en catastrophe qui a touché 12 gouvernorats dont celui d’Alexandrie. Ces déchets ont été transportés en zone désertique et, pour partie, enfouis. Le système des Zabbaleen présentant de nombreuses insuffisances (seuls les quartiers qui avaient les moyens de s’offrir ce service étaient couverts), il a été décidé de faire appel au secteur privé. D’importantes remises d’impôts étaient prévues pour les attributaires, en particulier une exemption de taxe sur les matériels et les équipements importés. Alexandrie a été la première ville retenue. Le contrat a été attribué à la société française Onyx qui est donc responsable de la collecte et du traitement des déchets ainsi que du nettoyage des rues. Le contrat, signé en 2001, porte sur une durée de 15 ans. Onyx, depuis son arrivée à Alexandrie, a mis en place 120 000 bacs pour une population de plus de 4 millions d’habitants. C’est 4 fois plus qu’à Paris intra-muros pour une population équivalente. Un dispositif de décharge contrôlée a été mis en place qui est actuellement suffisamment dimensionné et permet la prise en charge, dans des conditions satisfaisantes, des quelque 3000 tonnes de déchets produits chaque jour. Environ 45 millions d’euros ont été investis par la société depuis son arrivée sur l’ensemble de ses activités. Une importante campagne de sensibilisation a été également lancée auprès de la population pour faire évoluer les comportements et associer les citoyens aux mesures de protection et de respect de l’environnement. Le service s’est, depuis, très fortement amélioré : toutes les enquêtes réalisées montrent un niveau élevé de satisfaction de la part de la population. Le succès de cette opération a incité le gouvernement à étendre à d’autres villes la privatisation du service. C’est le cas, à présent, du Caire (trois districts sur quatre), de Giza, de Louxor et d’Assouan. La redevance pour la collecte et le traitement des déchets était, jusqu’en 2004, prélevée sur la facture d’électricité, proportionnellement à cette dernière. Ce dispositif ayant été annulé par la Cour suprême, d’autres formes de contribution sont à l’étude. Alexandrie a également bénéficié de la mise en place du premier site d’enfouissement des déchets industriels et des déchets dangereux. Installé dans la région de Nasseriya, ce projet a été le fruit d’une coopération entre les gouvernements égyptien et finlandais. Dans sa deuxième phase, le projet a accueilli un laboratoire d’analyse des déchets dangereux, une unité de traitement physicochimique et la diffusion d’informations sur les résidus industriels dangereux. Les hôpitaux de la ville sont également équipés d’incinérateurs. LE PROJET DU LAC MARIOUT 1 Le lac Mariout occupe, au sud d’Alexandrie, une surface d’environ 74 km2. Aujourd’hui en grande partie asséché, il a reçu, pendant de nombreuses années, les effluents urbains, industriels et agricoles d’une partie de la région. Cinq collecteurs y déversent annuellement prés de 9 millions de m3 d’effluents dont certains sont traités et d’autres non (voir tableau). Il est, aujourd’hui, une menace pour l’environnement de la ville et, plus loin, de toute la région du delta du Nil. La forte concentration en éléments lourds détruit les réserves organiques et menace les activités de pêche déjà fortement réduites. La forte concentration en pesticides provenant des effluents agricoles provoque la prolifération de roseaux et de plantes d’eau qui couvrent 70% de la surface du lac, réduisant les mouvements d’eau et détruisant l’écosystème. Par ailleurs, la réduction du taux d’oxygénation de l’eau favorise l’accumulation de bactéries anaérobique et la prolifération d’algues rouges toxiques. D’après un rapport réalisé par le professeur Shacker Helmi, conseiller du Gouvernorat d’Alexandrie pour l’environnement. 1 33 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Origine et quantité d’effluents déversés annuellement dans le lac Mariout Paradoxalement, le lac est devenu un élément stratégique du plan de développement urbain d’Alexandrie et, au-delà, de l’ensemble de la région. L’étalement urbain l’a rapproché de la ville dont il devient progressivement une composante. C’est ce qui explique que la dépollution du lac Mariout soit inscrite comme projet prioritaire du plan Collecteur Type d’effluents Volume estimé (millions de m3/an) Omoun Agricoles 6,0 Gharb Al Nubereyya Agricoles 1,5 Al Quala Urbains, industriels et agricoles (partiellement traités) 0,75 Urbains, industriels (traités) 0,35 Urbains, industriels 0,5 Kabbary Autres stratégique du gouvernorat d’Alexandrie. L’objectif qui est visé est de redonner au lac une vocation à la fois agricole (activité de pêche) et touristique. Un partenariat avec le distributeur Carrefour a déjà permis l’installation d’une zone commerciale et de loisirs m1odernes aux abords du lac. Le projet de rféhabilitaion du lac Mariout, conduit en partenariat avec la Banque Mondiale, est porté par un groupe de travail constitué de représentants du ministère de l’Agriculture, du Conseil Supérieur de la Pêche, de l’ASDC (Alexandria of Sanitary Drainage Company), de la branche régionale du Bureau des Affaires Environnementales Egyptiennes et de l’Institut d’Océanographie de l’université d’Alexandrie. Un plan d’action a été mis en place dont la première phase passe par une aide apportée aux industriels pour réduire leurs effluents et se mettre en conformité avec la réglementation. Un budget de 60 millions de dollars a été débloqué à cet effet par la Banque Japonaise de Développement (40 millions) et la Banque Mondiale (20 millions) La seconde phase du plan consiste à traiter à la base les pollutions en retraitant les déversements des drains d’ElQala. Un budget de 35 millions de dollars a été débloqué par la banque mondiale et GEF. Un traitement biologique du lac est également prévu qui coûtera 10 millions de dollars. Un budget de 1 million est aussi débloqué pour l’éradication des algues rouges. L’ensemble du programme, qui devrait s’étaler sur six ans, est estimé à plus de 120 millions de dollars. 34 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Il est également question de détourner les effluents des deux unités de traitement qui actuellement se déversent dans le lac Mariout vers le désert. L’objectif, en arrosant ces terres, est de créer une ceinture verte autour d’Alexandrie. Cette ceinture constituerait également une barrière naturelle contre l’érosion marine qui ne manquera pas d’attaquer la côte lorsque le lac Mariout sera mort. LOGEMENT SOCIAL Alexandrie compte 48 zones recensées d’habitat insalubre d’une surface d’environ 32 km2, représentant 10% de l’espace urbain et 7% de la région. Ces espaces d’habitat dit spontané sont en fait de véritables bidonvilles dans lesquels vivent plus d’un million de personnes, soit 30% de la population de la ville. Les problèmes rencontrés dans ces zones y sont multiples : • Une densité de population qui dépasse les 33 000 personnes par km2, soit plus de trois fois la densité moyenne de la ville, ce qui pose un véritable défi en terme de service public : eau, assainissement, électricité, gaz naturel, • Un manque criant d’infrastructures et de services de base. Certaines zones, comme El Agamy ou Borg El Arab, ne disposent d’aucune infrastructure d’assainissement et les services de santé y sont quasi inexistants. La mortalité infantile atteint le taux effrayant de 25/‰. • Une insuffisance d’équipements scolaires : dans certains quartiers comme celui d’El Amerya, on compte 51 élèves par classe contre 37 en moyenne dans la ville. • Le taux de chômage est deux fois plus élevé que celui observé sur l’ensemble du gouvernorat. • L’analphabétisme dépasse 25%, soit le double de ce qu’il est en moyenne dans le pays. L’éradication progressive de ces bidonvilles est l’un des objectifs inscrits au plan stratégique de la ville. Quelques actions ont été conduites, par exemple dans le quartier d’Abou-Kharouf, avec des résultats tout à fait encourageants qui ont permis de mettre au point une méthode à étendre à d’autres quartiers. L’ÉRADICATION DU BIDONVILLE D’ABOU-KHAROUF Dans ce quartier, les efforts conjugués d’une ONG, d’hommes d’affaires et des collectivités locales coordonnées par le Gouvernorat, ont permis de sortir de la misère les habitants qui, pour certains, y vivaient depuis plus de vingt ans. Jusqu’en 2000, quelque treize mille personnes vivaient là dans la plus grande pauvreté. Le seul mode de transport qui reliait ce quartier au reste de la ville était les calèches. Sur la place centrale, où stationnaient une centaine de fiacres, la moindre discorde entre cochers se transformait en bagarres violentes. Des excréments d’animaux jonchaient le sol et des tonnes d’immondices s’amoncelaient tout le long du sentier. L’odeur fétide des détritus empestait l’air. Il n’existait aucun service de voirie pour assurer le ramassage des ordures. Et les murs délabrés des 286 maisonnettes laissaient transparaître leurs briques rouges. La nuit, l’absence d’éclairage dans la rue principale et ses alentours plongeait ce bidonville dans l’obscurité et l’insécurité la plus totale. Les ruelles étroites et boueuses rendaient l’accès difficile aux services de police quand le terrain se transformait en champs de bataille. Dans ce bidonville, le revenu moyen mensuel d’une famille composée de 5 à 6 personnes ne dépassait pas les 150 LE (30 euros). Des conditions de vie pénibles auxquelles s’ajoutait un taux d’analpha-bétisme dépassant les 50 %, qui laissait une partie de la population dans l’ignorance de ses droits. La population vivait en marge de tout jusqu’au jour où une ONG Rowad al-Biaa (Les Précurseurs de l’environnement) dont la mission est d’améliorer les conditions de vie des populations démunies, a démarré son action, épaulée par une association d’hommes d’affaires, le gouvernorat d’Alexandrie et le support du programme Life de l’ONU. « Jusque-là, aucune organisation n’avait osé s’aventurer dans cette région malgré ses conditions déplorables. Et c’est un exploit que d’avoir osé entamer un tel projet à Abou-Kharouf », confiait le Dr Wafaa Al-Méneissi, directrice du projet et présidente de l’ONG. Elle se souvient que la première fois où le camion de la municipalité avait fait son entrée dans le bidonville, les habitants avaient crié de joie : « Nous avons été longtemps marginalisés. C’est bien la première fois que nous réalisons qu’Abou-Kaharouf fait partie du plan d’Alexandrie », commentait une habitante à Abou-Kharouf. Sur les 50 bidonvilles que compte le gouvernorat d’Alexandrie, le choix d’Abou-Kharouf n’avait pas été fait au hasard, poursuit Al-Méneissi : « Il fallait casser ce grand contraste entre le bidonville et la région d’Al-Montaza située au sud. La première zone vivait encore au XIXe siècle, alors que la deuxième était rentrée en force dans le XXIe siècle ». Une collaboration étroite a été instaurée entre les différents intervenants mais qui ne pouvait être efficace sans l’adhésion de la population. Pour cela, une stratégie de sensibilisation a été mise en œuvre par les responsables de l’ONG, « On a commencé par apprendre aux gens ce qu’était le civisme, pour les contraindre à changer leurs mauvaises habitudes. Corriger le comportement d’un individu, c’est contribuer au développement de son environnement. Et ce changement devait se faire à la base », poursuit Al-Méneissi. Ainsi, pour mieux s’intégrer, l’ONG a recruté 15 volontaires parmi les jeunes étudiants habitant la zone, qui ont commencé par convaincre les mères de famille d’assister aux réunions. Une sensibilisation qui a porté ses fruits, puisque elles y étaient de plus en plus nombreuses. « Lors des réunions, on leur parlait de santé, d’hygiène et de protection de l’environnement. On leur demandait de changer certaines mauvaises habitudes comme ne pas jeter les ordures par la fenêtre ou dans la rue, mais les refermer dans des sacs en plastique avant de les déposer à l’extérieur», poursuit Al-Hussein Mahgoub, coordinateur sur le terrain. Il fallait aussi expliquer à ces personnes les avantages d’un tel changement d’habitude. Avec un langage simple et persuasif, les coordinateurs sont parvenus à faire comprendre aux habitants que les mouches étaient porteuses de maladies et qu’il était « préférable de dépenser 12 LE par mois pour acheter des sacs à ordures que de débourser 100 LE en médicaments.», assure Chéhata, fonctionnaire et habitant de la région. De plus, l’ONG a dû négocier avec la nouvelle entreprise privée, chargée de collecter les ordures, et les chiffonniers traditionnels dont beaucoup habitaient le quartier, surtout après la vague de colère qu’ils avaient manifestée après l’arrivée du concessionnaire privé. Il a été décidé que l’entreprise se chargerait de la collecte des ordures sur l’artère principale et que les chiffonniers œuvreraient dans les rues adjacentes. Pourtant, la plus belle participation des habitants a été de planter des arbres devant leurs maisons. Ils ont même construit des petites palissades avec du matériel de récupération pour protéger leurs espaces verts. Avec un budget qui ne dépassait pas les 100 000 LE (30 000 euros), l’ONG a réussi à faire un travail extraordinaire en un temps record. Abou-Kharouf a changé de visage et même de nom. Baptisée Makka Al-Mokarrama, la zone s’est transformée en quartier à part entière. Les 18 rues qui mènent à la place, devenue artère principale aujourd’hui, ont été goudronnées. Trois lignes d’autobus relient désormais 35 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE le bidonville au centre-ville. Le nombre de calèches, sources de nombreux problèmes autrefois, a été réduit. Seules, une dizaine ont survécu et une station leur a été réservée à la sortie de la zone. Par ailleurs, plus de 500 arbres ont été plantés et 20 poteaux électriques éclairent les rues de Makka Al-Mokarrama. Une entreprise privée de nettoyage assure quotidiennement le ramassage des ordures. Les façades des immeubles qui entourent la place ont été repeints en blanc et le prix de location des appartements a grimpé : le prix d’un petit logement situé sur l’artère principale, estimé à 10 000 LE. il y a quelque temps, est passé aujourd’hui à 100 000 LE. Ce projet a été salué comme meilleur projet de développement au niveau mondial lors du sommet de la terre à Johannesburg en 2002. 36 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE 37 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Amman PRÉSENTATION DE LA VILLE Amman est une ville arabe dont les racines antiques remontent à 8 000 ans avant J.-C., et qui a vu son visage et son nom évoluer au cours des siècles. En 1921, quand l’émir Abdallah l’a choisie pour capitale, elle n’était qu’un petit village circassien de 6 000 habitants. En 1947, elle ne comptait encore que 60 000 habitants. La croissance a été, depuis, exceptionnellement rapide, du fait d’apports brutaux et massifs palestiniens qui sont à l’origine de cet extraordinaire développement. La Jordanie a reçu ainsi plus d’un million et demi de réfugiés palestiniens au cours des deux guerres de 1948 et 1967. Près de 20% d’entre eux vivent encore dans des camps alors que d’autres se sont installés dans les différentes villes du royaume. Un autre événement récent, qui a affecté Amman au début des années 90, a été la deuxième guerre du Golfe, provoquant l’afflux de 300 000 personnes dans Amman, principalement des Jordaniens expatriés qui vivaient dans le Golfe. Capitale, et ville principale de Jordanie, elle compte aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants. Construite en cercles concentriques cernés par 7 collines, elle semble ne jamais vouloir s’arrêter de grandir. La ville continue de s’étendre, débordant sur le désert. Les larges avenues opulentes, les maisons espacées aux toits de tuiles évoquent bien peu l’Orient. ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE Amman et d’autres communes environnantes se sont regroupées, en 1987, sous la bannière d’une intercommunalité, celle du Grand Amman. Cette nouvelle transformation de l’organisation administrative et politique de la capitale jordanienne a donné à la ville un visage différent, plus ambitieux et porteur de projets d’avenir. Parmi les objectifs et les valeurs revendiqués par le « GAM », sont la transparence, la prévention et la protection de l’environnement, la communication et la coopération, prouvant ainsi que la gestion de la municipalité d’Amman commence à intégrer des principes de management publique dans sa vision du service public. En raison de son statut spécial, législations et règlements spéciaux ont été adoptés et régissent maintenant le travail de la municipalité. Le conseil municipal comporte 40 membres dont 20 sont élus au suffrage direct. Les 20 autres membres sont nommés par le gouvernement (premier ministre) pour représenter les établissements publics et les organismes de la société civile. Les membres désignés incluent la société d’éléctricité, l’administration des eaux, la chambre de commerce, etc. Le maire rapporte directement au conseil municipal et au premier ministre, et non au ministre des Affaires Municipales, comme c’est le cas dans toutes les autres municipalités jordaniennes. Un Plan stratégique 2002-2006 est en cours de réalisation qui couvre les différents secteurs de la vie urbaine. Sa réalisation a été cependant fortement retardée du fait de graves insuffisances en terme de gouvernance : manque de clarté de l’organisation municipale et des responsabilités de chaque département, problèmes de compétence des services techniques, rigidité excessive des procédures, manque de coordination entre les différentes agences spécialisées, etc. La faible planification urbaine se conjugue avec une gestion urbaine fonctionnelle déficiente : violations fréquentes de la réglementation en matière de construction, manque de participation des citoyens au processus de planification, niveau de recouvrement des coûts insatisfaisant des services publics marchands (eau, électricité, etc). Face à ces problèmes la municipalité s’est fixée les objectifs suivants : • • • Améliorer les mécanismes de gouvernance urbaine par le développement institutionnel et une fiscalité locale plus efficace ; Mettre en place un plan d’urbanisme cohérent, répondant aux besoins de la population et le faire appliquer : révision des règlements d’urbanisme, refonte et informatisation du cadastre, règlement applicable aux zones squattées ; Adoption d’une évolution des règlements des squatts et des camps de réfugiés partout dans la ville. 39 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE EAU ET ASSAINISSEMENT La Jordanie est l’un des pays les plus « pauvres en eau » du monde, avec une ressource annuelle désormais inférieure à 150 m3/habitant très en dessous du « seuil de pauvreté en eau » généralement estimé à 1 000 m3/habitant. Les réserves renouvelables en eau douce sont estimées à près de 850 millions de m3 par an, consistant principalement en eaux de surface et eaux souterraines. Les possibilités de recourir à des ressources en eau non conventionnelles sont limitées dans un pays où presque toutes les réserves en eaux renouvelables sont exploitées et où la plupart des habitants de la capitale ne reçoivent de l’eau qu’une fois par semaine. Les options pour augmenter l’approvisionnement en eau sont réduites : des quantités supplémentaires d’eaux de pluie peuvent être captées et de l’eau saumâtre peut être pompée des aquifères de grès. La quantité d’eau renouvelable disponible par individu est parmi les plus faibles au monde et continue à décliner. Il est prévu qu’elle passe des 140 m3/personne/an actuels à 90 m3/personne/an en 2025 (estimations du ministère des Ressources en Eau et de l’Irrigation). Ce constat, qualifié par les experts de « situation de stress hydraulique », reflète l’état de pénurie en eau dont souffre le Royaume qui consomme bien plus que ce qu’il reçoit naturellement et doit, pour essayer de satisfaire une demande sans cesse croissante, puiser dans ses réservoirs fossiles et surexploiter les réservoirs renouvelables. Cette situation résulte, d’une part, de la situation géographique et des conditions climatiques semi-arides du pays et, d’autre part, de l’augmentation constante des besoins, du fait d’un taux de croissance relativement élevé de la population (3,3% par an de 1996 à 2004) et du développement économique qui a démarré notamment début 90 avec le retour des Jordaniens Palestiniens installés dans les pays du Golfe et qui semble se poursuivre actuellement malgré les difficultés régionales. La politique de l’eau dans le pays a été, pour cette raison, centrée sur le développement des ressources. Or, le Royaume partage ses principales ressources en eau avec les pays voisins : le Jourdain et le wadi Araba avec Israël, le Yarmouk avec la Syrie et Israël, et l’aquifère de Disi avec l’Arabie Saoudite, ce qui le met dans une position de dépendance et à la merci du contexte géopolitique régional. Néanmoins, les accords de paix avec Israël en 1994 et pour la construction du nouveau « barrage de l’Unité » avec la Syrie, en 2002, ont permis d’obtenir des garanties officielles des droits de la Jordanie principalement sur les eaux du Yarmouk, ce qui a stabilisé favorablement la situation sans vraiment résorber le déficit. 40 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE La Jordanie a bénéficié d’une aide internationale importante. Plus de 600 millions US$ de dons et de prêts ont été consacrés au secteur de l’eau. Et les besoins à l’horizon 2012 sont estimés à près de 5 milliards US$. Amman est en situation de pénurie chronique d’eau. Le réseau de distribution d’eau potable de la capitale dessert une superficie d’environ 660 km2 pour une population d’environ 2 millions d’habitants. En grande partie, le réseau de distribution, notamment au centre, est vieux de plus de 35 ans. Le mauvais entretien des réseaux vétustes nécessite des investissements élevés de simple maintenance. Plus de 50% de l’eau fournie n’est pas comptabilisée du fait des fuites et des branchements illégaux. Alors que la production d’eau potable se situaient au début des années 2000 autour de 89 millions de m3, la quantité consommée facturée n’était que de 46. Le coût d’exploitation de l’eau urbaine, dans un pays ayant un climat semi-aride et des ressources en eau limitées et difficiles à exploiter, est très élevé. Ce coût est généralement assumé par l’Etat et les bailleurs de fonds sous forme d’aides et de prêts. Et cette situation de dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure ne pourra que s’aggraver du fait du coût élevé des investissements nécessaires pour la remise en état du réseau. L’Etat jordanien, pendant de très nombreuses années, a financé le secteur de l’eau par l’endettement. En moyenne, le prix du m3 vendu au citoyen ne dépasse pas 50% de son coût réel. Le prix de revient est de 1 dinar tandis que le prix de vente moyen se situe aux environs de 450 fils (0,45 JD ). La tarification de l’eau potable est progressive. Les tarifs ont été structurés de manière à garantir une consommation minimum nécessaire aux plus pauvres, à un prix subventionné fixé au m3, permettant ainsi de recouvrer ces subventions auprès des usagers dont la consommation est plus élevée, et qui disposent de moyens financiers plus importants. Mais même subventionnée, l’eau reste chère. Une famille moyenne ayant un revenu mensuel de 225 JD consacre plus de 10% de son budget pour avoir accès à une eau potable. Et cette situation est appelée à empirer. De nouvelles hausses sont prévisibles pour permettre, d’une part, de rationaliser l’utilisation de l’eau en limitant au maximum les gaspillages et, d’autre part, de limiter les subventions de l’Etat pour l’entretien des réseaux d’adduction d’eau et de drainage. Dans ce contexte de stress hydrique et de difficultés chroniques dans la fourniture du service, la Banque Mondiale et le FMI ont exigé des réformes, dans le secteur de l’eau, comme préalable au financement de nouveaux projets. En 1999, la Jordanie a entamé un processus de privatisation des eaux d’Amman dont l’objectif est d’assurer une meilleure gestion du service et à un moindre coût. Un contrat de gestion déléguée a été accordé, après une procédure d’appel d’offre, à la société LEMA filiale du groupe français ONDEO (ex-Lyonnaise des Eaux). Financé par la Banque Mondiale, ce contrat est fondé sur un niveau de performances convenu à l’avance, assimilable à une régie intéressée. D’une durée initiale de 4 ans, il a été depuis prolongé à deux reprises jusqu’à 2006. La zone géographique couverte correspond au gouvernorat d’Amman, qui comprend presque 2 millions d’habitants, soit 40% de la population jordanienne. Le nombre d’abonnés en 2004 était de 350 000. La Banque Mondiale a accordé pour ce projet un prêt de 55 millions US$ étalé sur la durée du contrat. L’objectif du prêt était de financer les coûts de gestion des systèmes d’eau potable et d’assainissement mais aussi certains investissements de réhabilitation urgents au niveau des usines de traitement et des réseaux, et certains coûts liés à la restructuration du service. Le contrat a été considéré, alors, comme une référence majeure pour tenter de convaincre les gouvernements dans cette partie du MoyenOrient, de l’intérêt de la gestion déléguée. Cette délégation de service a été accompagnée de la création d’une institution régulatrice, Program Management Unit (PMU), chargée de suivre le contrat avec LEMA et l’utilisation du prêt de multiples donateurs (Banque Européenne d’Investissement, USAID, Italie, KFW, etc) d’un montant de 250 millions US$, destiné à financer un grand projet de réhabilitation du réseau de la ville d’Amman. Cependant, avec le recul, les résultats apparaissent mitigés. Le service s’est certes, amélioré, mais le grand projet de réhabilitation du réseau d’adduction d’eau potable a pris du retard et n’a pas pu précéder ou accompagner les travaux de réparations urgentes qui ont dû être faits. La situation des branchements illégaux ne s’est pas beaucoup améliorée. Ces branchements illégaux sont une pratique répandue dans toutes les couches sociales, spécialement chez les personnes issues des classes aisées, qui bénéficient de l’appui d’un réseau de connaissances haut placées. Malgré un taux de branchement qui avoisine 98%, il existe encore un service d’eau alternatif, assuré par des opérateurs privés. Ce système alternatif se situe largement dans ce qu’on appelle « l’économie informelle ». Les opérateurs privés étaient omniprésents depuis le début de l’extension urbaine de la ville. La mise en place du réseau d’eau potable, depuis les années 1950, n’a pas pu suivre l’urbanisation accélérée de la capitale et les camionsciternes continuent à approvisionner les ménages non branchés au réseau, les quartiers non équipés et les bédouins non sédentarisés. Selon les chiffres officiels de la WAJ, le nombre de camions citernes privés, dans le gouvernorat d’Amman en 2004, serait proche de 1300 dont 290 appartiennent aux sociétés industrielles et aux hôpitaux, tandis que le nombre de ceux appartenant à LEMA ne dépasse pas 26. Le volume des citernes transportées par les camions varie de 4 à 37 m3. Cette eau «informelle» provient de forages « agricoles » environnants. Le prix du m3, payé au propriétaire du forage est de 0,5 JD, est revendu au consommateur 2 JD. Le prix appliqué par les camions-citernes de LEMA (tout compris) est de 1,5 JD pour le m3, moins élevé que le prix des opérateurs privés, mais ces derniers proposent un service immédiat, et selon les usagers, la qualité de l’eau provenant des forages serait supérieure à celle du secteur public. Pour développer les ressources, le ministère de l’Eau et de l’Irrigation prévoit de réaliser plusieurs projets qui consistent à aller chercher l’eau de plus en plus loin. Le premier projet est celui de l’aquifère fossile de Disi, qui va apporter vers Amman l’eau du Sud, à 350 km de la capitale et 800 m plus en profondeur. Le coût du projet, qui prendra la forme d’un BOT pour une durée de 40 ans, est estimé à 600 millions US$ et d’une capacité de 100 millions de m3 par an pendant seulement 50 ans. Le second projet est celui qui vise à stocker l’eau du Yarmouk dans un barrage jordano-syrien, finalement possible après l’accord de paix jordano-israélien. Le coût estimé est de 60 millions de JD. Un troisième projet de développement intégré dans les Southern Ghors est actuellement en cours. Il comprend principalement la construction de trois barrages dont la capacité totale de stockage atteindra 60 millions de m3 d’eau qui, aujourd’hui, se déversent en grande partie dans la Mer Morte. Parmi les autres projets qui viennent compléter ces efforts, on peut citer des projets de nouveaux forages dans le bassin de Amman Zarqa, déjà surexploité, à Alajoune et Alkoridor qui ont assuré en 2001, 21 millions de m3/an supplémentaires, dont 13 millions de m3 pour le gouvernorat d’Amman. Mais aussi des projets coûteux mais durables de dessalement d’eaux saumâtres comme le projet de dessalement des Wadis Zara et Ma’in, qui devrait fournir 35 millions de m3/an d’eau supplémentaires à la municipalité d’Amman. Le coût du projet Ma’in est parmi les plus onéreux : en plus des 120 millions US$ d’investissements (don de l’USAID) pour produire 35 millions de m3/an, s’ajoute le coût du dessalement des eaux saumâtres (± 0,3 USD/ m3) puis leur transport sur 45 km avec une élévation de 1 300 m (0,6 à 0,7 USD/m3). Quant à l’eau provenant de l’aquifère fossile de Disi, du fait des 600 millions US$ d’investissements, on prévoit que le transport de chaque m3coûtera 1.3 US$. 41 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Les coûts totaux pourraient donc atteindre plus de 2 USD pour chaque m3 rendu chez le consommateur. Les eaux usées traitées constituent une autre ressource en Jordanie. Elles sont déjà traitées dans 19 stations. On prévoit que le volume des eaux usées traitées qui sera utilisé pour le seul secteur de l’irrigation devrait atteindre 220 millions de m3/an en 2020. L’appel au secteur privé est également important dans ce domaine. Ainsi, un contrat de 25 ans pour la globalité de l’assainissement du Grand Amman en Jordanie a été attribué au consortium SPC (Samra Plant Consortium) constitué à parts égales de deux partenaires américains : Morganti et Infilco Degrémont Inc., spécialiste de l’usine de traitement d’eau de SUEZ Environnement en Amérique du Nord. De type PPP (PublicPrivate Partnership), ce projet, qui bénéficie d’un important soutien de l’USAID (United States Agency for International Development), représentera un chiffre d’affaires total de 15 millions US$ par an sur une durée de 25 ans. Il concerne la conception et la construction de l’usine de traitement des eaux usées de Khirbet As Samra, l’extension et la mise aux normes de la station de prétraitement de Ain Ghazal, et l’exploitation de l’ensemble ainsi que des stations de pompage du Gouvernorat de Zarqa (nord-est d’Amman). L’usine de Khirbet As Samra va dépolluer les eaux usées des 2,5 millions d’habitants de l’agglomération d’Amman. Avec une capacité de 268 000 m3/j, elle utilisera des solutions techniquement avancées tant pour l’épuration des eaux (boues activées et décantation primaire) que pour le traitement des boues (digestion et compostage). Elle sera pratiquement autonome en énergie. LEMA Co-entreprise créée en 1999 dans le cadre du contrat de gestion des eaux du Grand Amman. Elle est composée à 75% de ONDEO (ex-Lyonnaise des Eaux) et à 25% de Montgomery Watson (Etats-Unis) / Arabtech Jardaneh (Jordanie). Outre la mise à disposition échelonnée sur la durée du contrat de 25 millions US$ pour les travaux urgents de maintenance et de réhabilitation (working capital), la BM rémunère l’opérateur (sous forme de prêt à l’Etat jordanien) selon une partie fixe à concurrence de 8,8 millions US$ (management fee), plus une partie variable qui sera exprimée en pourcentage des bénéfices estimés : 5% du gain en cash encaissé annuellement ou, le cas échéant, pénalités pour non respect des performances (Witholding and Liquidated Damages). 42 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE GESTION ET TRAITEMENT DES DÉCHETS Le volume des déchets produits en Jordanie est comparable à celui d’une nation semi-industrialisée. Des quelque 8 000 tonnes produites par jour, 3 200 proviennent de déchets ménagers et le reste des déchets industriels et agricoles. La collecte et le traitement des déchets sont placés sous l’autorité de la municipalité. Mais la répartition des responsabilités entre la municipalité et le ministère de la Santé et de l’Environnement n’est pas totalement clarifiée. Il est envisagé le renouvellement de la flotte vieillissante des véhicules de collecte grâce à une opération de « lease back », consistant à faire acquérir ces matériels par une société privée qui les louerait ensuite à la municipalité. L’ancienne décharge de Russaifah ne répondant plus aux normes, a été fermée en 2002 et remplacée par le nouveau site mieux adapté de Al Ghabawi-Madonna. Ces déchets étant, pour une large part, organiques, il a été envisagé leur recyclage pour produire du gaz méthane, de l’électricité, du combustible et des engrais par digestion anaérobique. Cette technologie, largement utilisée dans les pays développés, ne libère pas de gaz à effet de serre. La municipalité d’Amman a donc décidé, en juillet 2005, de relancer la production d’électricité à partir de la biomasse sur le site de sa décharge de Ruseifeh. La municipalité avait quasiment abandonné le développement de ce projet lancé en 2000 en BOO avec l’allemand FARMATIC, suite au retrait de ce partenaire après des difficultés financières. Depuis cette date, la société JORDAN BIOGAS, constituée par la municipalité pour exploiter la première phase, faisait fonctionner un bioréacteur de 1 MW (sur les trois prévus à l’origine), installé par FARMATIC sur une partie seulement des 84 puits d’exploitation déjà forés sur le site de la décharge. Suite à un nouvel appel d’offre. financé par le PNUD, la seconde phase du projet, attribuée en avril 2005 par la municipalité au consultant jordanien AQUA TREAT, associé à l’allemand PASSAVANT ROEDIGER, est actuellement en cours d’achèvement. Elle devrait voir la mise en service, dès septembre 2005, de deux turbines supplémentaires DEUTZ, d’une capacité totale de 2 MW, à interconnecter avec le réseau de transmission et de transport de National Electric Power Company (NEPCO). Cependant, la mise en service de cette tranche risque d’être retardée car NEPCO doit encore installer le transformateur qui permettra le raccordement des nouvelles installations de JORDAN BIOGAS à son réseau. Selon les professionnels, le prix de vente de l’électricité obtenu par la municipalité auprès de NEPCO atteindrait 0,040 JOD/kwh (0,056 USD). Avec l’entrée en production du projet, JORDAN BIOGAS s’attend à pouvoir bénéficier de «crédits carbone» en application des mesures dites de « clean development mechanism » (CDM) inclues dans le protocole de Kyoto. TRANSPORTS PUBLICS Les voies de communication les plus importantes sont celles qui relient Amman à la Syrie et la route dite du désert qui mène d’Amman à Aqaba. Une autre route longe la Mer Morte et traverse ensuite le désert de « Wadi Araba » pour gagner Aqaba. Une autre artère relie Bagdad à la route Damas-Amman. De nouvelles routes sont actuellement en construction ou en projet. Les moyens de transport les plus utilisés sont les taxis et les « taxis-services ». Ils desservent un parcours déterminé et peuvent être hélés à n’importe quel endroit de ce parcours et prendre en charge jusqu’à 5 personnes. Un réseau d’autobus et de taxis relie les principales villes. La ligne de chemin de fer entre Amman et la frontière de la Syrie est plutôt employée à des fins touristiques. A noter la construction de deux périphériques, autour d’Amman et Irbid, la troisième ville du pays. Les autorités jordaniennes nourrissent également le désir d’ouvrir au privé le capital de la compagnie d’Etat des transports en commun. Un projet consistant à relier par un train de banlieue les villes d’Amman et de Zarqa est en cours. Les 7 sociétés pré-qualifiées en 2004 dans le cadre de ce projet ont été invitées, en juillet 2005, par le régulateur jordanien des transports, Public Transport Regulatory Commission (PTRC), à visiter le site de la future liaison et à poser des questions sur l’appel d’offre qui sera clos le 15 septembre 2005. Selon les documents remis aux participants, ce projet en BOOT consiste à élargir et à électrifier l’ancienne voie métrique des Chemins de Fer du Hejaz, ainsi qu’à la doubler sur 22,5 km entre Amman et Zarqa (un tronçon supplémentaire de 2,5 km est à construire), avec une concession sur 30 ans. Les participants regrettent que des garanties ne soient pas proposées aux futurs investisseurs. De fait, les hypothèses de trafic sont difficiles à traduire en termes de revenus (la dernière actualisation du trafic passagers remonte à août 2003), tandis que les défaillances ne sont pas non plus couvertes par le gouvernement. Le projet est évalué à quelque 100 millions US$, mais les professionnels l’estiment pour leur part à près de 150 millions US$ au total. LOGEMENT SOCIAL L’habitat informel reste un problème important de l’aire métropolitaine d’Amman : la population concernée a augmenté de 50% entre 1990 et 2003 et représente plus de 36% de la population totale. Ces quartiers sont concentrés au sud et à l’est de la ville. Caractérisés par une forte densité, qui atteint parfois les 600 habitants/ha , ils sont, de plus, implantés sur des sites au relief très accidenté, comme par exemple, Jebel Al Joffeh, Achrafieh, Jebel hussein. La précarité physique de ces quartiers non réglementés, socialement marginalisés, a obligé en 1990 la municipalité d’Amman à aménager et alléger la densité de la population en créant, au sein de ses services, le Département du Développement Urbain (DDU) qui a pris en charge la restauration des sites spontanés non réglementés et la construction des logements pour les ménages à bas revenus. Un rapport récent du Département des Statistiques sur l’accroissement de la démographie en Jordanie, révèle que le royaume aurait besoin de 29.000 nouveaux logements chaque année pour répondre à la demande grandissante. Au cours des années 1990, la Banque Mondiale a financé des projets de réhabilitation et de lotissement de terrains, réalisés par le Département du Développement Urbain, rebaptisé depuis Housing and Urban Development Corporation (HUDC). Les quartiers sélectionnés qui ont fait l’objet de projets de réhabilitation sont tous localisés à l’est et au sud d’Amman. Ils sont caractérisés par la présence de différents types d’habitat (habitat informel et résidentiel) et de populations d’origines différentes (palestinienne, jordanienne, irakienne, égyptienne). Le recensement de 1996 indique que 67% des logements de ces zones ont trois pièces ou moins. Les maisons sont petites et ont un, voire deux étages. Seules les personnes dont les revenus sont plus élevés arrivent à faire construire des structures définitives, de plus d’un étage. Les autres connaissent une densité d’occupation extrême : 6, voire 7 personnes par logement. Les programmes de réhabilitation lancés au début des années 1990, et qui sont toujours en cours, semblent avoir amélioré de façon significative les conditions de vie des habitants. Les toits de tôles se font rares et leurs habitants se rangent parfois dans les classes moyennes, surtout dans les quartiers les plus récents. Il devient même difficile de distinguer les quartiers illégaux des normaux. Mais le développement des quartiers informels est aussi fortement lié à la question des réfugiés palestiniens. La Jordanie a reçu plus d’un million et demi de réfugiés palestiniens pendant les deux guerres de 1948 et 1967. Prés de 20% d’entre eux vivent dans ces camps alors que d’autres 43 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE se sont installés dans les différentes villes du Royaume. Il existe treize camps de réfugiés palestiniens en Jordanie, qui sont construits en marge des principales villes du Royaume. Al Hussein (1952), Al Wehdat (1955) et Al Baqa’a (1968) sont les trois camps majeurs situés en périphérie d’Amman. Les conditions de vie qui y règnent sont catastrophiques. La densité de la population y est très élevée et les infrastructures de base notoirement insuffisantes. L‘approvisionnement en eau potable ou en électricité est un problème quotidien et les libertés y sont restreintes. Soixante ans ont passés depuis que les habitants ont quitté leur territoire en pensant que cette période durerait un mois ou deux, une année ou deux maximum. Ils y sont toujours. Et la perspective d’un hypothétique retour de ces réfugiés vers leur terre d’origine n’a jamais été aussi lointaine. 44 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE 45 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Beyrouth PRÉSENTATION DE LA VILLE Beyrouth, où vivent près de 1,8 millions habitants, est la capitale du Liban. La ville s’est élevée à proximité immédiate des ruines de la cité phénicienne de Beryte, ou Berytos, dont le nom apparaît dès le XVe siècle avant J.-C. et qui lui a transmis son nom. Il s’agit donc là de l’un des plus anciens établissements humains du pourtour méditerranéen. Après son heure de gloire romaine, et d’une certaine manière, sa première expérience de « mondialisation », Beyrouth perdit son panache pour plusieurs siècles. En effet, et jusqu’au début du XIXe siècle, Tripoli et Saïda étaient les deux principales villes côtières du Liban, Beyrouth n’étant qu’une simple petite ville de pêche. Mais les développements politiques internes des années 1800 imposent de nouveau Beyrouth comme ville de compromis entre les différentes communautés du pays. Depuis, ce rôle fédérateur n’a fait que grandir, entraînant une très forte centralisation de l’activité économique et culturelle vers la capitale. Sous le mandat français, la capitale libanaise consolide encore plus ses fonctions centralisatrices et reprend progressivement sa vocation internationale et régionale. D’une simple bretelle de la route de la soie, jusqu’au XIXe siècle, Beyrouth devient, à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, un centre régional et international très actif. Elle est le passage obligé pour les grands groupes internationaux souhaitant prospecter le Moyen-Orient, et plus particulièrement la région du Golfe, dont les revenus externes explosent avec le premier choc pétrolier de 1973. La guerre, qui éclate en 1975 et qui durera jusqu’à fin 1990, raye pratiquement Beyrouth de la carte internationale des affaires. La quasi-totalité de ses hommes d’affaires étrangers, et une grande partie des entrepreneurs nationaux, abandonnent la capitale libanaise pour des espaces plus propices aux affaires. Beyrouth est morcelée entre différentes factions et le pouvoir officiel perd le contrôle de la ville. Cette éclipse durera plus de 15 ans. Et aux moments de l’arrêt des combats, la ville perd la quasitotalité de son dynamisme et son infrastructure de base est d’une totale inefficience. Cependant, aucune autre métropole régionale n’ayant réussi à assurer, à elle seule, la relève de la capitale libanaise, les mouvements d’affaires ont été partagés entre Le Caire, Chypre, Amman, Bahreïn, ou les capitales européennes elles-mêmes. Par ailleurs, cette fonction d’intermédiation qu’assurait Beyrouth avant 1975, est ellemême remise en cause par les bouleversements que connaît le monde dans les années 80 et 90, avec une forte globalisation des échanges, les délocalisations et l’ouverture des marchés internationaux. De leur côté, les pays régionaux ont développé des infrastructures et des capacités d’accueil nettement plus importantes que celles d’une ville usée par la guerre et les conflits internes et régionaux. Beyrouth, même pacifiée, est loin d’être une étape nécessaire pour les courants d’échanges régionaux et encore moins internationaux. Toute l’action de l’Etat libanais se concentre, à présent, sur l’objectif de redonner à Beyrouth le rôle qui était le sien avant le conflit, à savoir celui de principal centre financier, centre d’affaires et centre culturel d’une importance majeure au Moyen-Orient. ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE Le pays est divisé en six grandes préfectures (Mohafazat) et chaque préfecture est subdivisée en arrondissement (Qada). Les municipalités sont, en principe, sous l’étroite tutelle de l’Etat. Mais le contrôle étroit antérieur a été progressivement remplacé par la tutelle administrative exercée successivement et par palier par le qaimacam, le Mohafez et le ministre. La municipalité de Beyrouth fait exception à cette règle. La loi de 1963 sur les municipalités, confirmée par celle de 1977, l’a dotée d’un statut spécial. A titre exceptionnel, c’est le Mohafez (préfet) de Beyrouth qui est administrateur de la ville. Le Mohafez est un fonctionnaire de première catégorie, grade correspondant à celui d’un directeur général dans l’administration centrale. Il est nommé par décret pris en conseil des ministres. Il est hiérarchiquement lié au ministre de l’intérieur. Sa fonction est d’exécuter les délibérations du conseil municipal. 47 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Le ministre des Affaires Municipales lui-même exerce le pouvoir de contrôle sur le conseil de la capitale. Chaque décision votée par le conseil passe donc par un long et lent circuit qui remonte au ministère ou à l’administration publique concernée, et requiert ensuite l’aval du Conseil des ministres puis celui de la Cour des comptes, toujours par le truchement du Mohafez. Les obstacles administratifs et les pièges juridiques sont sans fins, même lorsque les relations entre le Mohafez et le conseil municipal sont bonnes - ce qui n’est pas toujours le cas. En résumé, la ville présente la particularité d’avoir une double autorité de tutelle pour sa gestion. D’une part, un conseil municipal élu, mais qui ne dispose que d’un faible pouvoir décisionnaire, et d’autre part, un Mohafez nommé par le gouvernement et de qui dépend l’essentiel des décisions de gestion de la capitale libanaise. Mais, quand il s’agit de planification et d’exécution de grands projets d’infrastructures pour la capitale, les deux parties sont renvoyées dos à dos, et les programmes et leur mise en œuvre dépendent du Conseil de Développement et de la Reconstruction (CDR). En effet, les autorités libanaises ont confié au CDR l’ensemble de la reconstruction des infrastructures du pays, y compris dans Beyrouth et sa banlieue, qui sont accusées d’avoir eu la part la plus importante des programmes de financement aux dépens des autres régions du pays. Ces allégations paraissent exagérées, les différents projets entrepris par le CDR couvrant l’ensemble du pays. Certes les travaux les plus spectaculaires, notamment au niveau des transports, se sont concentrés autour de la capitale et sa banlieue mais cela est dû au fait que celle-ci regroupe plus de 40 % de la population du pays et plus de 65 % de l’activité nationale. Défigurée par une longue période de combats ayant abouti à la perte de sa centralité urbaine, et à l’effacement de son rôle régional, la capitale libanaise se devait, dans les années 90, et après l’arrêt des combats et de la guerre civile, de penser sa reconstruction sur de nouvelles base. La vision des autorités libanaises étaient quelque peu simpliste dans la mesure où l’on espérait que la cessation des opérations militaires et la réhabilitation de l’infrastructure suffiraient, à elles seules, à redonner à Beyrouth son rôle interne et international d’avant 1975. En fait, à la fin de la guerre, Beyrouth présentait une nouvelle organisation urbaine. D’une ville bien centralisée, et organisée autour de son ancien centre-ville, la capitale libanaise était passée à une ville éclatée en un ensemble de quartiers et de secteurs, plus ou moins développés, fortement désarticulés et qui tournaient autour d’un centre vide. L’année 1992 constitue un tournant dans l’histoire urbaine beyrouthine, avec la décision d’accélérer la reconstruction du 48 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE centre-ville qui devenait une priorité nationale pour les autorités publiques. Bien évidemment, le modèle suivi pour cette opération d’aménagement d’une grande ampleur n’a pas fait l’unanimité et a suscité de nombreuses polémiques sur divers sujets (modernisation/conservation, acteurs de la reconstruction, public/privé, etc). La compagnie libanaise pour le Développement et la Reconstruction du Centre-Ville de Beyrouth, SOLIDERE, est créée en 1994 sur base d’une loi qui réglemente l’établissement de compagnies immobilières ayant pour but la reconstruction des surfaces détruites par la guerre. Le plan de reconstruction couvre une superficie de 1,8 millions de m2 (soit environ 8% de la superficie de la ville). Il prévoit la reconstruction de plus de 5,2 millions de m 2 représentant plus de 17% de la surface bâtie de la capitale libanaise. De plus, et à l’image des phénomènes observés lors de la reconstruction d’une grande partie de l’Europe après la deuxième guerre mondiale, la réhabilitation du centre-ville a ouvert la voie à des modernisations urbaines majeures pour l’ensemble de l’agglomération. En effet, le projet SOLIDERE a induit la relance de nombreux projets d’infrastructure dans l’ensemble de la capitale et de sa banlieue, à la dimension de l’ambition souhaitée à son centre-ville. On notera, en particulier, une totale modernisation de l’aéroport de Beyrouth, une réhabilitation et une extension du port, la construction de grands axes routiers, la réfection des réseaux électriques et de communications, sans oublier les nombreux projets immobiliers et hôteliers lancés dans le sillage de la reconstruction du centre-ville. Par ailleurs, la reconstruction du centre-ville, considérée parmi les plus importants projets de développement urbain contemporain, se devait d’assurer un équilibre entre une mémoire riche et glorieuse, d’une part, et un futur exigeant modernité et équipements performants, d’autre part. Sans oublier bien sûr le rôle fédérateur de ce centre-ville, autour duquel se sont toujours réunis tous les Beyrouthins et tous les Libanais de toutes les couches sociales et de toutes les confessions. En outre, ce nouveau centre-ville devait répondre à la nouvelle vision du gouvernement d’après-guerre qui vise à redonner à la capitale libanaise un rôle central dans la région. Ce projet s’inscrit donc dans l’horizon d’une ville qui se tourne vers l’extérieur et qui espère réacquérir une place économique et financière importante au niveau régional et international. Une certaine controverse semble naître sur le devenir de la ville et plus particulièrement sur son centre. Faut-il en faire un centre d’affaires, comme l’avaient conçu ses planificateurs, ou faut-il confirmer son caractère de centre de loisirs et de commerce, comme l’a transformé la demande effective sur le terrain ? En effet, les ambitions des planificateurs de SOLIDERE étaient de faire du centreville de la capitale libanaise un foyer central des affaires régionales et internationales et de lui redonner son lustre d’antan. La paix régionale entre Palestiniens et Israéliens, qui s’annonçait à l’époque de sa conception, était supposée accélérer le phénomène de reprise. Ce retour des hommes d’affaires régionaux et des entreprises internationales n’a, cependant, toujours pas été amorcé et les surfaces construites destinées aux bureaux trouvent difficilement preneurs. Cette déception est accélérée par la reprise de la violence dans les territoires palestiniens et par le recul des perspectives de paix dans la région. En fait, le centre-ville de Beyrouth a réussi à attirer des activités de commerce, et surtout de loisirs ,nettement plus importantes que celles imaginées par les concepteurs du projet. Aujourd’hui, de jour comme de nuit, la foule des Libanais et des étrangers, surtout les ressortissants arabes des pays du Golfe, envahissent les restaurants et les cafés trottoirs du « down town » qui, par ailleurs, accueille diverses manifestations (conférences, spectacles, expositions, compétitions sportives, et autres happenings). L’attractivité du centre-ville touche surtout les ménages libanais et les touristes arabes et étrangers. Les entreprises internationales et régionales y sont moins sensibles. En fait, il leur faudrait beaucoup plus qu’un espace agréable et convivial pour revenir vers le Liban. Mais cet accent mis sur la reconstruction du centreville a fait, pendant près d’une dizaine d’années, passer au second plan les problèmes qui se sont accumulés dans les autres quartiers et à la périphérie de la ville et où le manque d’infrastructures et de services urbains est patent et appelle une réponse urgente. EAU ET ASSAINISSEMENT d’exploiter l’eau du Hasbani. L’eau, au Liban est donc un paradoxe, elle coule en grande quantité alors que son utilisation pose des préoccupations certaines. La gestion du secteur de l’eau de la ville de Beyrouth est placée sous la responsabilité de l’Office des Eaux du Grand Beyrouth et du Mont Liban, l’un des quatre offices régionaux responsables de la gestion de l’eau potable et des eaux d’assainissement du pays. Le ministère de l’Energie et de l’Eau dont dépend l’office étudie les modalités suivant lesquelles le secteur privé pourrait être appelé à participer à sa gestion. Les investissements de rénovation et de réhabilitation sont, quant à eux, placés sous la responsabilité du Conseil de Développement et de la Reconstruction qui décide des priorités et des programmes, lance les appels d’offres et supervise les travaux. L’accès à l’eau potable à Beyrouth reste très inégalitaire et variable selon les appartenances religieuses et communautaires, et la localisation des populations dans l’agglomération. La consommation moyenne est de 200 litres par personne et par jour (contre 500 litres aux ÉtatsUnis et 300 en France).Une partie de la population est alimentée par des puits individuels qui fournissent parfois des immeubles entiers. Le reste de la population, raccordée au réseau municipal, connaît des difficultés quotidiennes (voir encadré). On estime que 40% seulement des abonnés payent leurs factures. En l’absence de compteurs d’eau, les clients, qu’ils soient particuliers, commerçants ou industriels, acquittent une redevance fixe de 150 euros par an. Cette tarification n’incite évidemment pas à économiser l’eau. Les pertes dans le réseau avoisinent les 40%, du fait du mauvais état des canalisations dont 50 à 70% doivent être remplacés. Les recettes couvrent moins de 70% des dépenses courantes d’exploitation et ne permettent donc pas de dégager les ressources nécessaires à la rénovation du réseau. En conséquence, de nombreux habitants disposent, de citernes ou s’approvisionnent aux fontaines publiques. Eau potable Du fait de sa situation géographique, le Liban est un pays qui regorge de ressources en eau de surface et souterraine. Les richesses en eau du Liban en font un pays très convoité par ses voisins, les Israéliens au Sud et les Syriens au Nord et à l’Est. Si des accords plus ou moins partiaux ont été trouvés avec la Syrie, c’est loin d’être le cas avec Israël. Pour donner un exemple, dans le sud du pays (région de Nabatiye), il est impossible, faute d’accord avec Israël, 49 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE «La vie quotidienne des Beyrouthins révèle des pénibilités certaines. Prenons le cas d’un quartier de Beyrouth, Ber Hassen, construit au début de la guerre civile, dans les années 1970, sur les terrains qui appartenaient à des riches ayant fui le Liban ou Beyrouth. Hassan habitant le quartier depuis toujours, livre le récit précis de sa vie. Les habitants ne disposent que de deux réseaux, l’un concerne l’eau non potable issue d’un puits que nous partageons entre 6 maisons voisines, et l’autre, l’eau potable, que nous allons chercher tous les jours au magasin dans des bidons de 20 litres. Aujourd’hui, nous avons une pompe qui prend de l’eau à quelques mètres de profondeur. Cette eau n’est pas potable, mais nous nous en servons pour tous les usages domestiques (douches, vaisselles, nettoyage de la maison). C’est un très gros avantage. Chacun des 6 propriétaires (dans certaines zones, cela peut être plus ou moins 6) a payé pour le creusement du puits et l’achat de la pompe ; aujourd’hui, nous payons tous 2 dollars par mois pour l’électricité. S’il y a un problème, nous devons repayer pour réparer. L’un des six propriétaires est chargé de récolter l’argent et d’allumer la pompe une fois par jour, et il est payé un peu pour cela. La pompe ne fonctionne donc pas à plein temps seulement entre 10h00 à 12h00. Nous avons tous des citernes sur nos toits et nous les remplissons pendant ces deux heures. Grâce à cela nous avons une réserve d’eau pour toute la journée.» Pourtant, depuis la fin de la guerre, l’aide, n’a pas manquée. On estime à plus de 600 millions de $ le montant des aides reçues par le Liban pour améliorer la situation du secteur de l’eau dans le pays et dans la capitale. Près de 50 millions de dollars ont ainsi été investis sur le réseau d’adduction d’eau de Beyrouth. Les aides reçues du Fonds Koweitien pour le Développement Economique Arabe ont permis de réhabiliter les sources d’eau (Kachkouche et Ain El Delb), de réhabiliter les stations de traitement de l’eau potable de Daychounieh et de Hazmieh. et de rénover une partie du réseau de transmission et de distribution de l’eau potable dans la région du Grand Beyrouth. L’extension de la station de traitement de l’eau potable de Dbayeh a été financée sur le Protocole Financier Libano-Italien. Sa capacité a été portée à 430 000 m3 par jour. Une Commission spéciale a été mise en place pour résoudre l’ensemble des problèmes d’alimentation en eau potable de Beyrouth. À court terme, c’est-à-dire jusqu’en 2008, cette commission a proposé d’alimenter 50 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE artificiellement les puits de Damour, de détourner environ 60 millions de m 3 d’eau de cette même région vers Beyrouth, de poursuivre l’installation de compteurs chez les consommateurs, de rationaliser l’utilisation de l’eau et de promouvoir l’achat d’équipements à faible consommation en eau. À plus long terme, c’est-à-dire d’ici à l’horizon 2011, il est proposé la réalisation d’un projet d’adduction d’eau du fleuve Awali vers Beyrouth. Ce projet permettrait d’acheminer sur la capitale près de 250 000 m3 durant sept mois de l’année. Les études d’avant-projet remontent à 1966. Il est prévu de réaliser ce projet sous forme de concession (BOT). La réalisation est prévue pour 2011. Son coût estimatif est de 170 millions de dollars. Est également envisagée pour l’alimentation en eau de Beyrouth la construction des barrages de Bisri, de Damour et de Nahr Ibrahim. ASSAINISSEMENT Si, comme on le verra plus loin pour les déchets solides, la situation est plus ou moins « sous contrôle », il en va différemment pour les eaux usées. Plus de 45% des résidences du pays ne sont connectées à aucun réseau de collecte d’eaux usées. De nombreux contrats d’études et de travaux, d’une valeur de 382 millions de dollars, ont été conclus au plan national au cours des 15 dernières années dans le secteur de l’assainissement. Le plan du gouvernement met l’accent sur son double engagement : • respecter le traité pour la protection du littoral méditerranéen contre la pollution, • protéger les ressources d’eau et les nappes phréatiques contre la pollution, ce qui nécessite, par conséquent, le traitement des eaux usées. La construction de la première station de prétraitement des eaux d’assainissement dans la banlieue sud a commencé en 1974 mais a dû être interrompue en raison de la guerre. Elle a été finalement mise en service en novembre 1997 et a été intégrée au projet des collecteurs côtiers de la région de Beyrouth. Ce projet a pour but de protéger le littoral qui s’étend entre les cazas du Metn et d’Aley. Les eaux d’assainissement venant des régions du nord de Beyrouth (de Dbayeh à Manara) seront collectées et canalisées vers Dora. Les eaux d’assainissement venant des régions du sud de Beyrouth et de sa banlieue seront canalisées à travers le collecteur Carlton-Ghadir-Naameh vers la station de pré-traitement de Ghadir. Les travaux relatifs à la composante Nord de ce projet sont terminés avec la construction de deux collecteurs : pour les eaux d’assainissement convergeant vers Dora, à partir de Dbayeh et de Manara, pour desservir conjointement des régions comptant 891 000 habitants. Cette composante comprend également la construction de cinq stations de pompage, l’élévation et l’installation de plus de 17 kilomètres de canalisations et de conduits souterrains. Les travaux, commencés en 1997, sont maintenant achevés. Leur coût s’est élevé à 46 millions de dollars. La composante Sud est actuellement dans sa phase finale mais se heurte à des problèmes d’expropriation de terrains. Elle comprend la construction de deux stations de pompage et l’installation de neuf kilomètres de canalisations qui desserviront des régions totalisant 784 000 habitants. Le coût du projet est de 10,5 millions de dollars. Parallèlement à ces projets de traitement des eaux usées, la ville de Beyrouth bénéficie d’un projet national pour l’entretien et le développement des réseaux d’assainissement et des eaux de pluie. Les travaux ont débuté en 1997 et couvrent la maintenance périodique et la réparation des réseaux d’assainissement et des eaux de pluie pour les principales villes, ainsi que le contrôle des inondations et des problèmes qui peuvent résulter du mauvais fonctionnement des réseaux actuels. Les travaux comprennent également le nettoyage des réseaux d’évacuation des eaux pluviales et des réseaux d’assainissement existants, ainsi que l’installation des canalisations et jonctions nécessaires pour améliorer l’efficacité de ces réseaux. Le projet couvre la région du Grand Beyrouth et de ses banlieues Nord et Sud, Tripoli, Zahlé, Jounieh, Saida, Sour et Nabatieh (banlieues comprises). Le projet est exécuté en coordination avec le ministère de l’Intérieur et des Municipalités. Le Liban a signé plusieurs engagements pour la protection de la Mer Méditerranée contre la pollution, y compris la Convention de Barcelone et la Déclaration de Gênes. Ces engagements soulignent la nécessité de traiter les eaux d’assainissement avant leur rejet en mer, pour les villes et agglomérations comprenant plus de 100 000 habitants. Une première vague de travaux pour le traitement des eaux usées avant leur rejet en mer a été lancée en 2002 et terminés en 2005 pour un montant de 16 millions. Un deuxième lot a été lancé en 2003 pour un montant de 11 millions de dollars. COLLECTE ET TRAITEMENT DES DÉCHETS La ville de Beyrouth produit plus de 900 tonnes de déchets par jour. Au lendemain de la guerre, la plupart des équipements et des installations nécessaires à la collecte et au traitement des déchets urbains étaient hors d’usage. La Société finlandaise SUKLEEN a alors obtenu, en 1994, une concession pour la collecte des déchets et de nettoyage des rues de Beyrouth et de certaines régions du MontLiban. Ce contrat a été renouvelé. Suite à la fermeture, en janvier 1997, de la décharge de Bourj Hammoud, le gouvernement libanais a décidé de mettre en oeuvre un plan d’urgence de traitement des déchets solides de la région du Grand Beyrouth. Un premier contrat a été conclu avec la Société Sukomi, en vue d’élargir et d’augmenter la capacité des usines de traitement des déchets solides de Amrousieh et de la Quarantaine, et d’améliorer le système de tri, de compostage et de recouvrement des matériaux recyclables. Ce plan d’urgence a comporté également la construction de décharges contrôlées pour le Grand Beyrouth et ses banlieues. Les décharges contrôlées de Naameh et de Bsalim ont été construites et sont opérationnelles. En 2003, le CDR a été aussi chargé de lancer un appel d’offres international pour le traitement et l’enfouissement des déchets, et de mettre un terme aux contrats avec le concessionnaire SUKOMI selon les modalités indiquées dans les accords, la résiliation des contrats devant avoir lieu après l’opération de prise en charge de la ou des sociétés qui remporteront l’adjudication. Actuellement, le CDR continue à exécuter les travaux liés au plan d’urgence du Grand Beyrouth. En effet, les cellules (1) et (2) de la décharge contrôlée de Naameh couvrant une superficie de 120 000 m2 et ayant une capacité de deux millions de tonnes d’ordures ménagères sont saturées ; une zone supplémentaire de 62.000 m2 a été mise en service en pour former la cellule (3). Elle sert actuellement à enfouir les déchets solides ménagers produits dans la ville de Beyrouth. Par ailleurs, la décharge sauvage de Normandy, située en bordure de mer, et qui s’était développée pendant des années en plein centre-ville en bord de mer, fait partie du projet de reconstruction et de développement de la zone du centre-ville de Beyrouth, dont la charge de réhabilitation a été confiée par le gouvernement libanais à la société Solidere. Le projet consiste à trier et à traiter tous les déchets et à en dégager les matériaux nécessaires pour le remblayage de la zone gagnée sur la mer. Le coût de ce 51 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE projet s’élève à 56,6 millions de dollars. Le CDR a chargé un consultant pour la mission de contrôle technique de cette opération. 80% des travaux ont déjà été accomplis. Le projet devrait être complété fin 2005. La situation des traitements des déchets solides de la ville de Beyrouth et de ses banlieues est aujourd’hui stabilisée, mais elle risque de se dégrader dès les prochains mois si des solutions plus radicales ne sont pas trouvées. Les espaces de traitement et d’enfouissement sont de plus en plus rares et toutes les communes refusent d’accueillir de nouveaux centres pour ces opérations. Une étude a été lancée pour la construction d’un incinérateur. TRANSPORTS PUBLICS En sortie de guerre, l’encombrement des routes de la capitale et de sa banlieue était tel que les économistes plaçaient les difficultés de circulation routière en tête des obstacles au retour à la croissance. Quinze ans après, le phénomène de l’encombrement est largement résorbé malgré les difficultés rencontrées par les autorités pour créer un système efficace de transports en commun, publics ou privés, et pour gérer d’une manière rationnelle la voirie. Les différentes études et enquêtes de conditions de vie des ménages indiquent, en effet, que plus des deux tiers des déplacements interurbains sont effectués par des moyens de locomotion privés et le nombre moyen de voitures par ménage dépasse 1,2. Beyrouth dispose aujourd’hui d’un réseau routier moderne et très dense qui permet à ses habitants le luxe d’utiliser leurs propres véhicules, délaissant des transports en commun, aujourd’hui, en crise. La multiplication des licences octroyées au secteur privé, au milieu des années 90, a, en effet, porté atteinte à la compagnie publique des transports qui accuse des pertes annuelles variant entre 10 et 13 milliards de livres et ce malgré un nombre croissant de passagers, passé d’environ 10 millions en 2001 à 12,7 millions en 2003, et une augmentation conséquente des recettes : 5 milliards de livres en 2001, contre 5,7 en 2002 et 6,3 en 2003. Les licences de transport accordées au cours de la décennie précédente à quelque 20 000 taxis et services, 4 000 vans et 2 000 bus ont, de fait, causé un profond déséquilibre de l’offre et de la demande et une totale désorganisation du marché. Le Conseil des ministres a donc autorisé, en 2005, l’achat par la compagnie nationale des transports publics 52 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE de 250 bus supplémentaires, ce qui revient à doubler son parc de véhicules. Cette initiative est destinée à dynamiser le secteur des transports en commun en poussant l’opérateur public à devenir plus compétitif dans un marché dominé par les entreprises privées. En effet, sur les 250 bus existants, plus de la moitié étaient hors service. Les 250 nouveaux bus représentent donc une chance pour la compagnie nationale de se redresser. Le coût des travaux réalisés dans le secteur des routes et autoroutes, à partir de la capitale et de ses banlieues vers les différentes régions du pays, s’est élevé à un milliard de dollars environ. Un solde d’environ un milliard de dollars du budget prévu dans la loi-programme adoptée en 1993 devrait servir à l’achèvement de ces projets et des projets d’amélioration des services dans le Grand Beyrouth. Le périphérique de Beyrouth et les routes pénétrantes associées doivent permettre de décongestionner les accès à la capitale et de faciliter le transit entre le Nord et le Sud du pays. Les plans détaillés du réseau de routes pénétrantes ont été répartis en trois sections : • • • l’autoroute côtière Nord et les routes pénétrantes Nord, les voies dans les secteurs de Sin el-Fil, Nabaa’, Bourj Hammoud et de Baouchrieh (PN1 et PN2), les routes parallèles à Nahr Beyrouth (PN3). la route Dbayeh - Antélias -Nahr Beyrouth. Les travaux ont été achevés sur la section centrale, le complexe de Hazmieh et la liaison entre Hazmieh et la route de l’Aéroport ainsi que pour les pénétrantes Sud. Des travaux ont été aussi engagés pour la réhabilitation des réseaux de voirie dans les banlieues Nord et Sud de la capitale pour respectivement 62 et 130 millions de dollars environ. Ces travaux s’ajoutent à la réfection du réseau routier interne de la capitale et de sa banlieue immédiate , notamment la réhabilitation des tunnels, l’entretien des ponts et des différents ouvrages et la réfection des chaussées. Au-delà de l’horizon 2030, d’autres développement seront envisageables, en particulier la mise en place d’un transport urbain en site propre (métro léger ou tramway moderne) pour les liaisons entre Beyrouth et les banlieues proches. Une telle ambition est subordonnée à l’instauration d’une autorité unique organisatrice des transports dans l’aire urbaine centrale. Les réflexions initiées par le ministère des Transports ont, depuis plusieurs années, conduit à préconiser la mise en place d’une autorité unique d’organisation des transports dans le Grand Beyrouth. Le Schéma d’aménagement du territoire recommande que cette autorité, absolument nécessaire, soit mise en place à l’échelle de toute l’aire urbaine centrale, depuis Jbail au nord jusqu’à Damour au sud, et depuis Beyrouth à l’ouest jusqu’à Aaley à l’est. Cette autorité devrait être compétente pour toutes les décisions relatives aux transports dans ce périmètre, qu’il s’agisse des investissements publics routiers et des transports collectifs, de la régulation de l’activité des transporteurs, des plans de circulation sur le réseau principal, voire de la signalisation. LOGEMENT SOCIAL Se loger à l’intérieur de Beyrouth reste une opération très onéreuse. Il n’existe, au Liban, aucun dispositif spécifique pour le logement social. Des facilités de financement sont accordées par quelques institutions mixtes ou par des organismes religieux, mais ces opérations sont limitées et concernent uniquement l’acquisition de logements. Le problème s’amplifie du fait de la loi sur les loyers. En fait, les loyers sont régis par deux dispositions officielles : • • la première couvre les loyers à partir de juillet 1992 et libère totalement le bail entre propriétaire et locataire, la seconde est relative aux contrats antérieurs et bloque totalement les loyers. Cette dernière loi a lourdement pesé sur le marché du logement dans les années 70 et 80 et continue d’avoir des effets pervers plus de vingt ans après. En effet, promoteurs et propriétaires continuent de préférer la vente à la location, et les contrats de location continuent d’inclure une forte prime de risque contre le blocage des loyers. Entre 1996 et 2003, le marché de l’immobilier au Liban en général, et à Beyrouth en particulier, a connu une très forte crise avec de larges stocks d’invendus et des prix en baisse. Ce trend s’est totalement transformé à partir de 2004, sous le double effet d’une forte demande générée par un retour à la croissance dans le pays, et par une demande externe induite par la hausse des revenus pétroliers. Par ailleurs, la baisse des taux de change du dollar américain, et partant de la livre libanaise qui y est totalement adossée, a entraîné une hausse des coûts de la construction que les promoteurs n’ont pas manqué de répercuter sur leurs prix de ventes. • Les espaces périurbains, offrent, quant à eux, un double visage : celui des espaces clos et des lotissements fermés où s’établissent les plus fortunés et celui des zones d’habitat non intégrées, sur lesquelles pèsent de multiples précarités, et qui prennent des formes variées, dont le bidonville. L’espace urbain s’est étalé largement au-delà des limites communales. Une double couronne de bidonvilles a alors ceinturé la ville ; elle abritait en 1975, 87% d’étrangers, surtout des Palestiniens. Puis elles ont accueilli les migrants ruraux libanais dans un cadre dépourvu de contraintes institutionnelles. La guerre a en effet balayé toutes les formes extérieures de la présence de l’État, neutralisé ses institutions et muselé les organes de contrôle. Sur le terrain, cela s’est traduit par la multiplication d’espaces bâtis dans l’illégalité la plus totale sinon dans un respect formel et superficiel de la légalité. Les codes de l’urbanisme, les lois sur la construction ont été ignorés ou contournés, comme ceux du foncier. La plupart des camps de la banlieue de Beyrouth : Chatila, Bourj el Barajneh, Jisr el-Bacha et Dbayyé, dépendent administrativement du Mont-Liban. Ils sont situés toutefois aux alentours de la capitale, et feront partie, plus tard, de « la ceinture de misère », de l’agglomération de Beyrouth. Les conditions de vie quotidienne dans ces camps sont extrêmement difficiles : confinement dans des espaces surpeuplés ; délabrement des réseaux électriques, d’eau potable et d’assainissement ; privation des droits civils les plus élémentaires, comme le droit au travail, qui réduit ces familles à une précarité absolue. Les ruelles des camps sont sillonnées de câbles électriques aériens qui tissent de véritables toiles d’araignée. Quand il pleut, cela provoque des arcs électriques et il n’est pas rare qu’il y ait des électrocutions, notamment chez les enfants. Les maisons sont en parpaing et elles sont peu à peu surélevées, ce qui les fait ressembler à la Tour de Pise. Certaines sont hautes de cinq étages ; elles hébergent trois générations de réfugiés. Le camp de Chatila compte à lui seul près de 10 000 habitants. Dans ce dédale, les problèmes d’hygiène et la pauvreté sont partout présents. Dans les rues on peut voir des citernes fournies par le Hezbollah. Mais seules les femmes qui portent le foulard peuvent y accéder. 53 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE A Chatila, les maisons sont d’abord construites sur deux niveaux mais sont par la suite surchargées de trois ou quatre étages supplémentaires. En dessous, les murs, tuyaux et câbles s’efforcent de soutenir le tout, on ne sait comment ; au dessus, des familles nombreuses vivent leur vie immobile. Depuis le bombardement du camp de Sabra en 1982, l’ancien hôpital est sinistré. Dans ce bâtiment de 11 étages habitent pourtant 22 familles. A quelques pas de là, certaines rues sont envahies de boutiques, comme dans un village. C’est un véritable souk. Les magasins sont bien achalandés, des bonimenteurs vantent leurs marchandises. Il est très difficile de savoir comment ces boutiques sont approvisionnées. De même, il existe des rues qui sont entièrement dévolues aux garagistes. L’odeur des huiles de vidange sature le trottoir. Car il y a quelques voitures dans les camps, et pas les moindres ! Dans les rues partout, des photos des “martyrs” et des peintures légitiment la violence. La majorité des habitants de ces camps sont Palestiniens. Ils sont, au total, plus de 360 000 au Liban. Et leur nombre n’a cessé d’augmenter depuis leur arrivée en 1948, en raison d’une croissance démographique très élevée. Ils représentent plus de 10% de la population libanaise et près de 11% du total des réfugiés dans le monde, d’après les statistiques de l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens. Ces Palestiniens vivent dans des conditions de grande précarité. En effet, la législation libanaise leur interdit de participer à la vie politique, économique et sociale du pays. Malgré l’explosion démographique, le gouvernement oppose un veto à l’extension des camps. Le surpeuplement et l’insalubrité rendent la vie dans les camps extrêmement difficile. Et le rappel au droit au retour a maintenu et maintient toujours les réfugiés dans une situation transitoire d’expectative qui fragilise leur présence et pérennise le provisoire. 54 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE 55 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Casablanca PRÉSENTATION DE LA VILLE Casablanca trouve son origine dans la Cité berbère d’Anfa. Envahie et détruite par les Portugais au XVème siècle, le Sultan Sidi Mohamed Ben Abdellah la reconquit au XVIIIème siècle et la rebaptisa “Dar El-beida”, Maison-Blanche ou Casablanca. Dès le début du XIXème siècle, sa vocation commerciale et son ouverture sur l’Atlantique attireront les bureaux de grandes compagnies de navigation. À la fin du XIXème siècle, Casablanca connaîtra une série d’incidents qui amèneront la France à intervenir. Le débarquement français qui visait à rétablir l’ordre se soldera, suite à des affrontements et à des mécanismes de pression, par la signature du Protectorat français en 1912. Tout au long du XXème siècle, Casablanca ne cessera de s’affirmer comme pôle économique. L’avènement de l’Indépendance en 1956 la confortera dans son rôle de ville phare. Sa situation géographique privilégiée, au carrefour des deux riches régions agricoles de la Chaouia et du Gharb, fait d’elle le débouché naturel des phosphates de Khouribga (principales ressources minières du Royaume). Son expansion est, depuis, fulgurante. Première métropole maghrébine, poumon économique du Maroc, Casablanca concentre aujourd’hui près de 12% de la population marocaine. Le dernier recensement chiffre sa population à 3,61 millions d’habitants. Sa densité est aussi la plus forte du pays : 4 100 habitants/km 2. Sa position économique et donc politique reste prédominante. Le taux de croissance de 2,5% enregistré au niveau de la région est le plus fort de tout le pays. ORGANISATION ADMINISTRATIVE ET POLITIQUE L’organisation administrative et politique de la ville s’est adaptée au rythme de son expansion. Dès 1955, la ville de Casablanca était érigée en Préfecture. L’organisation administrative s’adaptera ensuite à l’évolution de la ville et la promulgation de la Charte communale de 1976 conférera de nouveaux pouvoirs aux 2 36 conseils communaux regroupés au sein de la Communauté urbaine de Casablanca. En 1981, les différentes zones de la ville deviendront des préfectures coiffées par la Wilaya de Casablanca. Ce nouveau découpage était politiquement destiné à mieux gérer les besoins de la population après les grèves qui avaient paralysé le pays. Un nouveau schéma directeur d’aménagement urbain sera élaboré en 1984, qui présidera à la réalisation du Grand Casablanca de l’an 2000. En septembre 2003, c’est une nouvelle vision de la gestion du Grand Casablanca qui sera mise en œuvre incluant un nouveau découpage administratif et une nouvelle charte communale. Ce nouveau découpage institue des arrondissements et une commune urbaine de Casablanca. C’est donc le système de l’unicité de la ville qui est maintenant mis en place, visant à supplanter la multiplicité des intervenants locaux. La nouvelle organisation devrait permettre à la ville de Casablanca de faire des économies de fonctionnement qu’elle convertira en projets d’investissements. Sous l’effet de l’exode rural, Casablanca ne cesse pourtant de s’agrandir, souvent de façon anarchique. Au fil des ans, la ville est devenue un véritable monstre rendant de plus en plus difficile la gestion des différents services publics. Les autorités de la ville apportent aujourd’hui un diagnostic lucide de la situation2 : poussée de la périphérie qui a doublé en 10 ans, stagnation du centre métropolitain, décalage entre les documents d’urbanisme et la réalité urbaine, insuffisance d’équipements en infrastructures et superstructures, taux élevé de chômage, exclusion sociale, pollution, insécurité, etc. À ces problèmes de nature complexe s’ajoute une crise de régulation. De là, «la nécessité de rompre avec l’urbanisme rigide, lutter contre la mainmise des spéculateurs mercantiles par la restauration de l’autorité publique sur le développement de la ville». Une démarche stratégique a donc été engagée qui vise à dégager une vision d’ensemble sur l’avenir de la ville et à mettre au point des programmes d’actions intégrant les différentes fonctions urbaines dans un plan cohérent. L’objectif est clair. Il s’agit, dans une ville qui explose sous l’effet de l’exode rural et de la croissance Déclaration de Mr M’Hammed Dryef, Wali du Grand Casablanca 57 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE démographique, d’évoluer vers une gestion prospective et d’une gouvernance par anticipation. « Parce que Casablanca est la vitrine du Maroc d’aujourd’hui et de demain », elle a besoin « d’une politique urbaine ambitieuse et réaliste à la fois qui allie efficacité économique, équité sociale et équilibre écologique », affirme avec force le Wali du Grand Casablanca. Les travaux ont été organisés par pôle de compétence. Au nombre de 7, chaque pôle est présidé par deux gouverneurs. Véritables organes de réflexion et de proposition, ces sept pôles de compétences travaillent en concertation avec les élus et la société civile et sur la base de contrats Etat-Région-Municipalités – dans des domaines aussi variés que l’économie, l’investissement, l’emploi, l’habitat, la voirie et transport, l’eau et l’environnement, les équipements publics et les actions sociales de proximité. Les conséquences financières des propositions qui sont faites sont, en permanence, évaluées. Déjà, des propositions préliminaires ont été formulées, notamment, par les pôles «Eau et Environnement» : projet de réalisation du super collecteur ouest pour protéger Casablanca contre les risques de crues de l’oued Bouskoura, réhabilitation des décharges, mise à niveau des espaces et parcs de Casablanca et «Voirie et Transport» : mise à niveau de voirie. EAU ET ASSAINISSEMENT L’alimentation de Casablanca en eau potable ne se pose pas en termes aussi aigus que dans d’autres grandes du bassin méditerranéen : taux de connexion élevé, distribution d’eau assurée en continu, meilleure qualité. Deux problèmes majeurs ont cependant conduit les autorités à faire appel au privé : le faible niveau de satisfaction des usagers et l’insuffisance du réseau d’assainissement et d’évacuation des eaux pluviales. Destinées à alimenter une population ne dépassant guère le million d’habitants, les canalisations éclataient régulièrement sous la pression de millions de mètres cubes supplémentaires. La gestion de la distribution d’eau, d’électricité et de l’assainissement a été confiée en 1997 à la Lydec (Lyonnaise des Eaux de Casablanca), filiale de Suez Lyonnaise des Eaux, EDF et Aguas de Barcelona. Le marché a été accordé selon une formule de gré à gré incluant une prévision progressive d’augmentation des tarifs, ce qui a été évidemment objet de débat. 58 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE L’objectif posé à Lydec est de généraliser l’adduction en eau potable en termes de qualité et de volume. Un important programme de raccordement d’eau a donc été mis en place. Lydec a, pour cela, engagé sur la période 1997 à 2003 pour plus de 4 milliards de DH de travaux, dont 2,4 milliards en fonds propres et le reste en endettement. La consommation moyenne des Casablancais est de 24 m3 d’eau potable par trimestre (260 litres par jour). Ils règlent moins de 1,3 DH par jour pour une eau potable de qualité et une évacuation après usage. Le mauvais état du réseau entraîne des fuites importantes. Chaque année, des campagnes sont menées pour détecter les fuites et procéder à leur réparation. En 2003, ces efforts ont permis d’économiser 25 millions de mètres cubes d’eau, ce qui correspond à la consommation de 800 000 habitants. La concession des services publics de distribution d’eau et d’électricité de la ville de Casablanca a suscité de vives critiques. Il faut toutefois indiquer que le Maroc n’est pas le seul à avoir vécu de telles protestations. Les concessions ont de tous temps, dans tous les pays du monde, engendré des résistances. Les opposants au transfert au secteur privé estiment que l’initiative présente des dangers quant à la continuité du service. Mais ce n’est pas la seule raison. A Casablanca, les élus qui avaient manifesté leur désapprobation quant à la passation de ce service au privé refusaient son attribution à une société étrangère. Les préoccupations des habitants sont d’une toute autre nature et concernent les augmentations programmées à propos desquelles la population a maintes fois exprimé son mécontentement. L’accord passé prévoit en effet des augmentations régulières des tarifs. Plusieurs sit-in ont été organisés devant diverses agences de la Lydec pour protester contre ces hausses. Sans qu’aucun résultat n’ait été obtenu. Les responsables de la Lydec rétorquent que toutes les mesures étaient prévues dans le calendrier approuvé par le gouvernement marocain lors de la signature du contrat. COLLECTE ET TRAITEMENT DES DÉCHETS Casablanca croulait sous les ordures mal gérées par les communes (27 à cette époque) qui avaient la charge de leur gestion. Près d’un million de tonnes de déchets sont produites annuellement par les ménages casablancais, soit 3 400 t/jour. En mars 2004, la gestion du service a été confiée au privé. Trois sociétés privées étrangères ont été adjudicataires du marché : Sita El-beida, Tecmed et Segedema. La concession porte sur une période de dix ans. Le contrat passé entre Sita El-beida, filiale de Suez, et la Wilaya du Grand Casablanca porte sur quatre volets : la collecte des déchets ménagers, le nettoiement de la voirie publique, le lavage de certaines artères et places publiques, le transport et l’évacuation de résidus de collecte et de nettoiement vers la décharge publique. La société prévoit un plan d’investissement de 8 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros. Environ 1,2 million d’habitants sont concernés. Tecmed, société espagnole, a pris en charge la gestion déléguée des services de nettoiement et de collecte des déchets ménagers de plusieurs arrondissements coiffant des quartiers périphériques ou populaires. La troisième société, Segedema, a également pris en charge des quartiers périphériques à forte densité de population (Ain Chok, BenMsik, Sbata, Sidi Othmane et excommune Lissasfa). La ville (Wilaya et Commune Urbaine) garde toutefois un droit de contrôle et de régulation de l’activité de ces sociétés privées. Si des progrès ont été enregistrés au niveau de la collecte, le traitement des déchets ne répond plus, en revanche, aux besoins croissants de la population de la capitale économique du Royaume. La décharge publique, qui continue à être gérée par les services de la Wilaya, connaît de graves problèmes. La plus importante, celle de Médiouna accueille chaque jour plus de 3 300 tonnes de déchets. Or, aucun aménagement particulier de lutte contre la pollution de l’air et des eaux souterraines n’a été envisagé sur le site. Dans cinq ans, il sera complètement saturé. Les autorités ont déjà identifié un nouveau site se trouvant à proximité de la première décharge d’une superficie de 82 hectares et situé à 10 km de l’agglomération casablancaise. Des études sont en cours pour l’identification et la localisation de nouvelles décharges. LOGEMENT SOCIAL Casablanca, capitale économique du Maroc, est défigurée : 20% de la ville sont des bidonvilles. Plus de 100 000 familles s’entassent dans des logements insalubres où elles vivent dans la plus grande précarité. Si Casablanca a été à l’origine du mot bidonville, ce n’est sans doute pas par hasard. La cartographie qui recense les implantations de ces habitations insalubres dans la métropole montre l’ampleur du développement de ces véritables « villes » dans la ville. Aucun endroit de la région n’échappe à ce phénomène de concentration d’habitats insalubres, même pas les quartiers dits résidentiels. Deux des plus importants bidonvilles sont localisés dans les communes d’Anfa et du Mâarif. Par la taille, les sites d’Aïn Sebaâ et de Sidi Moumen -devenu célèbre malgré lui depuis les attentats meurtriers de 2004 -sont de loin, les plus grands bidonvilles de Casablanca. Chacun d’eux abrite jusqu’à 7 000 ménages, selon les estimations du ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme. La carte des bidonvilles casablancais est complétée par Hay Hassani, Lissasfa, Sidi Maârouf, Ben M’sick-Sidi Othmane, Moulay Rachid, Moulay Youssef, Mediouna, Sidi Bernoussi, Ahl Laghlam. Casablanca n’est pas la seule à être concernée par ce problème. Au Maroc, 25% de la population urbaine vit dans des bidonvilles ou des zones d’occupation informelles (source : Banque Mondiale). Au sens des experts de l’institution, ces zones sont constituées d’aménagements illégaux que les résidents se sont « appropriés », en y construisant des logements en dur. Dans les deux cas, les normes de service pour l’alimentation en eau, l’assainissement et l’infrastructure sociale sont nettement inférieures à la moyenne nationale, malgré de gros efforts réalisés ces dernières années à Casablanca par la Lydec. Un plan d’urgence sur sept ans, baptisé « villes sans bidonvilles », vient d’y être décidé pour éradiquer les bidonvilles et lutter contre l’habitat insalubre. Un budget de 4 milliards de DH (385 millions d’euros) a été prévu pour la seule ville de Casablanca, alimenté par une taxe sur le ciment qui devrait rapporter 600 millions de DH par an. Outre les bidonvilles, les logements clandestins qui se sont développés anarchiquement au moment de l’exode rural sont aussi dans la ligne de mire des autorités. Le programme prévoit le relogement des familles ou la restructuration de logements, c’est-à-dire le remplacement des logements insalubres par une construction aux normes, solution privilégiée puisqu’elle évite d’éloigner les familles de leurs centres d’activité. 59 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Une première tranche a été lancée sur le site de Sidi Bernoussi, de Lahraouine, de Lamkanssa et de Sidi Abderrahman. Sur Sidi Bernoussi, il est prévu le relogement de 2 300 familles, dans un premier temps, grâce à l’aménagement et l’équipement de 1 150 lots de terrain, dont 150 de type R+3, et la restructuration de 3 400 « zriba ». L’assiette foncière est de près de 71 ha. Le projet prévoit également la mise en place de services sociaux, la création d’une cellule de gestion dans laquelle les associations du quartier seront impliquées et la mise sur pied d’un comité d’accompagnement social. Les coûts de relogement sont estimés à 130 000 DH par famille, financés par le Fonds de solidarité à l’habitat (50 000 DH) et les bénéficiaires (80 000 DH). Le coût global de 335 millions de DH est ventilé entre le ministère de tutelle (100 millions DH), la contribution des bénéficiaires (200 millions DH) et les recettes générées par les conventions conclues avec le secteur privé (35 millions DH). Ce projet sera réalisé en quatre tranches qui profiteront respectivement à 402, 918, 390 et 590 familles. Etalé sur une superficie de 172 ha, le projet de restructuration du quartier Lahraouine profitera à 5 350 familles et nécessitera une enveloppe budgétaire évaluée à 53 millions de DH, dont 48 millions seront financés par le Fonds de Solidarité à l’Habitat (FST) et le reste par le Conseil de la région. Cette opération, qui sera réalisée dans un délai de 14 mois, comprend des travaux de voirie et d’assainissement, d’éclairage public et de construction de routes. La première tranche de ce projet, qui profitera à 3 320 ménages, sera achevée en septembre prochain. Concernant la restructuration du quartier Lamkanssa, qui profitera à 5 500 familles, elle sera réalisée dans un délai de 15 mois. D’une superficie de 70 ha, cette opération mobilisera des fonds estimés à 40 millions de DH, dont 35 millions seront financés par le FST et le reste par le Conseil de la région. La première tranche de ce projet sera achevée en novembre prochain et bénéficiera à 3 350 ménages. Quant à l’opération de restructuration du quartier Sidi Abderrahman, elle prévoit des travaux de réfection et d’exécution de tous les réseaux et l’indemnisation des constructions concernées par les travaux d’équipements. Ce projet nécessitera un montant de près de 21 millions de DH, dont 10 millions financés par le Conseil de la ville, 9 par le FST et le reste par les bénéficiaires. Le programme « villes sans bidonvilles » touche également l’habitat social. Les difficultés de logement que connaissent une grande partie de habitants sont aggravées par la relative étroitesse du marché de la location. Alors que le parc 60 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE locatif vide est estimé à 30 000 appartements à Casablanca, le marché de la location est très étroit. La lenteur des tribunaux, qui laissaient « pourrir » les litiges relatifs au non-paiement des loyers, a dissuadé presque tous les propriétaires qui préfèrent laisser vides les appartements plutôt que les louer à d’éventuels mauvais payeurs. Une nouvelle loi a été votée en 2003 destinée à accélérer les formalités en cas de litige et à sévir contre les mauvais payeurs. Mais les traumatismes causés par des décennies de longs procès hantent encore les esprits de nombreux propriétaires. Au centre-ville, les prix du neuf ont flambé et se négocient entre 5 000 et 12 000 DH le m2 selon le standing. Sans aides spécifiques, ces prix sont hors d’atteinte pour la majorité des Casablancais en quête d’un logement. Un programme de 200 000 logements a donc été lancé par le gouvernement de façon à permettre l’accès au logement aux plus défavorisés. Un appartement coûte environ 200 000 DH et les conditions d’octroi des prêts bancaires sont moins exigeantes que pour d’autres catégories d’habitations. Mais les capacités financières de beaucoup de ménages se situant en deçà du minimum requis pour l’acquisition d’un logement (30% des ménages ont un revenu inférieur à 1,5 fois le Salaire Minimal Interprofessionnel Garanti)., pression est donc faite sur les banques pour faciliter l’octroi de crédits. Une autre crainte est également de voir émerger des « ghettos » dans la périphérie casablancaise et aboutir, dans les cinq années à venir, à la naissance de « bombes sociales », à l’instar de ce qui s’est passé dans de nombreux autres pays, notamment occidentaux. POLLUTION DE L’AIR L’air de Casablanca est très pollué. Les principaux polluants gazeux sont les oxydes d’azote (NOx), les oxydes de soufre (SO2), et les matières et particules en suspension (MPS). Annuellement, on enregistre des émissions de près de 6 000 tonnes de NOx, de près de 11 700 tonnes de SO2 et de près de 3 300 tonnes de MPS, générées par les unités industrielles et le parc automobile de la Wilaya. Ces quantités menacent la vie des populations de la Wilaya. Elles peuvent être à l’origine de maladies respiratoires (asthme) voire de cancer. Le Laboratoire Public d’Essais et d’Etudes qui mesure cette pollution et son impact sur la santé des citoyens ainsi que sur l’environnement rend rarement publics les résultats des analyses qu’il effectue régulièrement. Une convention s’étalant sur une période de trois ans a été signée en 2002 entre la Wilaya et le ministère de l’Aménagement du Territoire pour « sauvegarder l’environnement et les ressources naturelles et mettre en œuvre des programmes d’action et de protection contre toutes formes de pollution ». Les résultats concrets de cette convention restent encore timides. La société civile, mène, pour sa part, des opérations ponctuelles destinées à sensibiliser la population aux impératifs de sauvegarde de l’environnement (gaz d’échappement des véhicules, campagne relative à la propreté). Mais le gros du problème reste toujours non résolu. Le parc industriel de Ain Sebaâ (quartier industriel de l’agglomération casablancaise) dégage des taux alarmants de toxiques. Ce quartier (Ain Sebaa), à quelques kilomètres de Mohammedia (partie de la région du Grand Casablanca mais préfecture autonome) où est localisée la raffinerie de la Samir, unique producteur de pétrole au Maroc, constitue un axe de danger permanent pour les riverains. ESPACES VERTS L’un des problèmes majeurs de la ville est le manque criant d’espaces verts. Le plus grand espace date de l’époque du protectorat (Parc de la Ligue Arabe) construit au début du siècle, du temps du Maréchal Lyautey. La superficie allouée aux espaces verts dans la Wilaya de Casablanca est de 1 057 ha. La population compte 3,6 millions habitants, ce qui donne une superficie spécifique d’espaces verts de 3,59 m2/hab. Cette valeur est très loin de la recommandation de l’Organisation Mondiale de la Santé qui est de l’ordre de 10 m2 d’espaces verts par habitant. La Wilaya enregistre, sur ces bases, un déficit d’espaces verts de plus de 2 369 ha. La spéculation foncière rend plus lucrative la construction d’un immeuble plutôt que celle d’un espace vert. Le plus grand parc avait lui-même été menacé de disparition. Ce projet s’était fort heureusement heurté à l’opposition de nombreux élus et de la société civile. La Communauté Urbaine de Casablanca tente d’apporter des solutions à ce problème. La dégradation de l’infrastructure de base dans les jardins et parcs publics, celle des plantations, l’insécurité et les nombreux actes de vandalisme qui y sont commis ont engagé la municipalité à envisager la délégation au privé de la gestion de ces espaces. Un plan d’action s’étalant sur cinq ans a été mis en place. Il découpe la ville en quatre zones d’intervention et la concession à des sociétés privées pour la maintenance et l’entretien des nouveaux espaces y est envisagée. La gestion de certains d’entre eux par des entreprises du secteur privé a déjà commencé. Un appel d’offres a été récemment lancé pour le marché de l’entretien et des plantations. Quatre sociétés privées ont été sélectionnées. Dans un premier temps, elles s’attaqueront aux parcs structurants de la ville notamment le Parc de l’Hermitage, celui de la Ligue Arabe et le Square des Fleurs. Parallèlement à ces initiatives de maintenance des espaces verts, un programme de plantations d’arbres a été lancé. Il entre dans sa deuxième phase de réalisation et prévoit la plantation d’un million d’arbres dans la seule ville de Casablanca. VOIRIE De nouvelles agglomérations résidentielles, véritables villes satellites, se sont développées dans la périphérie de Casablanca et dans toute la région entrainant des besoins grandissant de mobilité. Si le réseau routier dont bénéficie la région du Grand Casablanca est assez dense et lui permet une liaison rapide directe avec les différents pôles du Royaume, le trafic urbain enregistré chaque jour constitue une problématique lourde caractérisée par un manque de fluidité du trafic et une congestion chronique, des accès à la métropole de moins en moins adaptés, une infrastructure urbaine largement dépassée. La taille et la complexité de cette problématique, couplées à l’intérêt national qu’elle représente, ont incité le ministère de l’Equipement et du Transport à s’associer aux intervenants locaux, pour étudier et mettre en œuvre ensemble une solution globale, issue d’une vision intégrée de développement des infrastructures routières urbaines et suburbaines, permettant de répondre aux besoins légitimes des Casablancais et des automobilistes en transit tout en assurant une bonne intégration au réseau national routier et autoroutier. Le réseau routier du Grand Casablanca s’étend sur une longueur de 644 km, répartis entre autoroutes :64 km, routes nationales :103 km, routes régionales :70 km et routes provinciales : 404 km. Le trafic enregistré sur ce réseau est de 30 à 35 000 véhicules par jour sur les routes nationales et de 25 à 30.000 sur les autoroutes. L’analyse globale de la situation, réalisée en partenariat avec le 61 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Département de l’équipement (Direction régionale et Direction des routes et de la circulation routière) et le pôle de compétence mis en place au niveau de la Wilaya, a abouti à la définition d’un programme d’actions précis avec des projets structurants permettant une plus grande mobilité et une fluidité du trafic. Ces projets font l’objet d’une convention de partenariat signée en avril 2005 au siège de la wilaya du Grand Casablanca, entre le ministère de l’Equipement et du Transport, le Conseil de la région, le Conseil de la commune urbaine de Casablanca et leurs autorités de tutelle, et qui fixe précisément les responsabilités et engagements contractuels de chacun des partenaires. Elle porte sur enveloppe globale d’un montant de 720 millions de DH à mobiliser pour le financement de projets comprenant études techniques, dédoublement, renforcement et construction de plusieurs tronçons routiers totalisant une longueur d’environ 80 km, réalisation d’un passage souterrain sous la voie ferrée, achèvement de l’échangeur de Tit Mellil et construction de l’échangeur de Béni Yakhlef. Le financement des projets sera assuré à hauteur de 262 millions de DH par le ministère de l’Equipement et du Transport, soit 36% du montant total, 236 millions de DH par le Conseil de la région, soit 33% du montant total, et 222 millions de DH par le Conseil de la ville, représentant 31% du montant total. L’achèvement des travaux est programmé pour 2008. TRANSPORT PUBLIC Le transport public est un calvaire au quotidien pour les Casablancais. Salariés et étudiants souffrent du déficit de transports. Les différents moyens de transport, mis à la disposition des habitants de la métropole (bus, petits taxis et grands taxis) n’arrivent pas à subvenir aux besoins d’une population en constante croissance. Face au prix de la course en taxi et à l’échec de l’expérience du Bidaoui (RER casablancais reliant la périphérie au centre) essentiellement à cause du coût de ce type de transport, le bus reste le moyen le plus prisé des Casablancais. La Régie Autonome de Transport en Commun de Casablanca (RTCC), principal transporteur public de la ville, ne dispose que de 150 véhicules pour une population avoisinant les quatre millions d’habitants. La société, qui a plus d’un milliard de DH de dettes accumulés à fin 2004, ne dispose 62 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE pas de moyen financiers pour renouveler ce parc et l’entretenir. Les autres opérateurs privés de transport ne disposent pas non plus des moyens suffisants : bus vétustes et polluants, véhicules dans un très mauvais état. Devant cette carence, les autorités ont été conduites à céder une partie du transport au privé espérant ainsi résoudre, ne fût-ce qu’en partie, le problème. C’est ainsi que la société M’dina Bus a été autorisée, début 2005, à mettre en circulation 170 bus dans la ville de Casablanca. Une solution de court terme dans la mesure où il s’agit de bus d’occasion rachetés à la RATP parisienne. Le plan industriel prévoit cependant une montée en puissance de l’offre de 1 200 véhicules dans les 5 ans et une exploitation exclusive à partir de 2009. M’dina Bus s’engage toutefois à conserver le prix du ticket à son niveau actuel. Les prix varient entre 2,4 et 2,5 DH (1 euro équivaut à 10 DH). Sur certaines lignes, le prix du ticket est de 3 DH. D’autres sociétés entreront probablement en service au cours des prochaines années pour répondre aux besoins de la population. LUTTE CONTRE LES RISQUES MAJEURS La construction de logements précaires (essentiellement dans les bidonvilles) et le manque de canalisations dans certaines zones ont été à l’origine d’innombrables inondations à Casablanca. En 2003, les inondations de la ville de Casablanca avaient causé la mort de 36 personnes. En 2002 déjà, les régions avoisinantes de Mohammedia et Berrechid avaient dû déplorer la mort de 63 personnes dans les inondations. La configuration de la ville lui confère, il est vrai, une fragilité particulière. L’urbanisation de la ville de Casablanca, entre la route d’El Jadida et la zone côtière, a complètement obstrué l’oued Bouskoura, entravant ainsi l’écoulement des eaux vers la mer, ce qui expose la ville aux crues de cet oued. Par ailleurs, les rejets des eaux usées et pluviales des centres de Bouskoura, de Médiouna, de Nouacer (situés à proximité du centre urbain) et des complexes industriels en cours de réalisation, qui s’ajouteront aux eaux de crues, aggravent encore la situation. Pour y remédier, un projet de rénovation des infrastructures d’assainissement est en cours dont la réalisation figure dans le cahier des charges de la Lydec. La construction de barrages permettra également de faire face à ces problèmes. Ainsi, 4 barrages à l’amont de Berrechid, dont un est en cours de réalisation (Barrage El Himer) et trois en cours d’étude (Tamedrost, Mazer et Koudiat El Garn), permettront l’écrêtement des crues des oueds Tamedrost, Mazer et El Himer. Il faudra également dévier l’oued Bouskoura. Dans ce dessein, plusieurs variantes de tracés ont été examinées dont la plus avantageuse consiste en la réalisation d’une galerie souterraine de 7 km traversant la ville de Casablanca, pour faire transiter un débit de 65 m3/s, correspondant à la crue de 20 ans, pour un coût estimé à 600 MDH. 63 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Damas PRÉSENTATION DE LA VILLE Citée dans la Bible, Damas est l’une des plus anciennes villes connues et toujours habitées dans le monde. Elle est apparue aux premières années du deuxième millénaire avant J.-C., quand les Araméens ont fondé un Etat ; ils l’ont appelée “Dramasive” (la rose fructifiée). Plus tard, les Chaldéens l’ont occupée et y sont restés jusqu’à l’arrivée des Perses en 538 avant J.-C. Alexandre le Grand l’a occupée en 333 avant J.-C. La période grecque s’est achevée en 64 avant J.-C., avec l’arrivée des Romains. Après 611, Damas est devenue la capitale du premier Etat arabe, celui des Omeyyades. C’est pour elle le début de l’âge d’or. Un siècle durant, elle fut le centre du rayonnement du jeune empire arabo-musulman. Après les Omeyyades, Damas est passée par une succession de périodes d’expansion et de régression sous des dominations successives. La ville fut également assiégée, en vain, par les Croisés, mais fut saccagée par les Mongols en 1401. Elle fit partie de l’Empire ottoman de 1516 à 1918. Suite au Traité de Versailles (1919), elle fut placée, avec la Syrie, sous mandat français en 1920. L’indépendance fût proclamée en 1946 et Damas retrouva alors progressivement un rayonnement national et civilisateur au sein du monde arabe. La ville est située au coeur d’un désert, ses quartiers Est escaladant le flanc du mont Quassioun, premier contrefort du massif de l’Anti-Liban. Située à 60 km à l’ouest de la mer Méditerranée, sa population, qui atteint 4,5 millions d’habitants croît à un rythme d’environ 3% par an. ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE Damas est la capitale de la République Arabe Syrienne et l’une “des 13 “mohafazats” syriennes,. Le pouvoir exécutif de la mohafazat est confié au « mohafez » (ou gouverneur), nommé par le président de la République et qui le représente sur son territoire. Le mohafez prend des décisions concernant l’aménagement du territoire et le développement économique. Il veille également à l’ordre public. Le budget consacré à la « mohafazat » de Damas pour l’année 2005 est de 2,5 milliards de livres syriennes (environ 40 millions d’euro). La tutelle exercée par l’Etat, tant au niveau financier qu’administratif, limite considérablement les possibilités d’action de la municipalité. Ne disposant que de faibles ressources, elle dépend de l’Etat pour la réalisation de ses programmes d’investissement. Au demeurant, les différents ministères et agences de l’Etat disposent de directions locales dans toutes les mohafazat. En règle générale, les projets de la municipalité de Damas sont élaborés en coopération étroite avec les directions compétentes de la Commission de Planification. Les projets sont ensuite examinés par le ministère de l’Administration Locale qui prend la décision. De façon générale, c’est le ministère de l’Administration Locale qui attribue leur budget aux différentes villes. De lui dépendent les gouverneurs des mohafazat ainsi que les maires. Mais dans la pratique, en ce qui concerne les grandes villes, l’ensemble des décisions est pris au niveau de la municipalité. Si le mohafez est en principe responsable de la gestion de l’environnement dans sa mohafazat, il délègue en général ce rôle aux différentes municipalités. Ce sont par conséquent les conseils municipaux qui gèrent les services de collecte des déchets, les implantations de décharges ou les créations d’usine de traitement. Ils sont également responsables de l’application de la réglementation. EAU ET ASSAINISSEMENT La Syrie connaît, en matière d’eau, une situation extrêmement critique. L’essentiel des ressources provient de l’extérieur, principalement de la Turquie (50% environ) et du Liban (20%). L’eau est, pour cette raison, une source permanente de tension entre la Syrie et ses voisins. L’épuisement des nappes phréatiques conduit les habitants à multiplier le nombre de puits dans des conditions anarchiques qui ne permettent pas la reconstitution des nappes en période de pluie. Au plan national, le déficit actuel estimé à 4 milliards de m3 par an, a été aggravé par une 65 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE sécheresse qui a touché l’ensemble des bassins. On comprend dans ces conditions que l’eau soit une préoccupation quotidienne des Damascènes. L’alimentation est coupée plusieurs heures par jour (généralement la nuit de 23h à 5 h du matin) et quelquefois la journée entière. Dans certaines communes environnantes, l’eau potable ne parvient dans les foyers qu’un ou deux jours par semaine. Ce qui a bien évidemment entraîné l’installation de réservoirs sur les toits des immeubles. Aux effets conjugués de la croissance urbaine, de l’augmentation des besoins et d’une sécheresse qui frappe la Syrie depuis trois ans, s’ajoute le mauvais état des infrastructures. Le réseau d’alimentation d’eau à Damas, long de 1750 km, est ancien et mal entretenu. Environ 30% de l’eau est perdue du fait des fuites entraînant une baisse importante du niveau des nappes phréatiques et l’assèchement de nombreux puits. Les prix facturés sont très faibles et adaptés au niveau de vie de la population : le m3 est facturé environ 3 livres syriennes (5 centimes d’euros), l’un des prix les plus bas pratiqués dans les villes arabes. Ces prix ne permettent donc pas de couvrir les frais d’entretien et de rénovation du réseau. On note, malgré cela, un nombre important de branchements illicites. Le manque d’eau n’a pas permis l’installation de fontaines publiques où la population pourrait se ravitailler si ce n’est à l’entrée des mosquées et dans quelques zones particulièrement éloignées. Une partie de la population, généralement issue des quartiers défavorisés qui n’a pas les moyens d’acquérir une citerne, est donc obligée d’acheter l’eau à des marchands ambulants à un prix élevé pour couvrir ses besoins essentiels. C’est la ressource en eau qui pose problème : la capitale a besoin de 750 000 m3 par jour, mais n’en reçoit que 315 000 et ce déficit pourrait s’accroître avec la sécheresse. La rivière Barada qui coule dans la capitale étant quasi à sec, seule sa nappe phréatique offre encore de l’eau aux Damascènes (95 000 m3 par jour). Il faut toutefois chercher l’eau en forant jusqu’à 100 m de profondeur. Le reste provient d’une conduite qui puise l’eau directement à la source du Fijeh (le principal affluent du Barada), à l’ouest de la ville. Cette source offre cette année 220 000 m3 par jour, mais ce chiffre était tombé à 150 000 m3 en 2004. Par ailleurs, le réseau d’eau avoisine celui des égouts, occasionnant des infiltrations et des cas d’empoisonnement. Des travaux récents ont toutefois permis de résoudre ce problème en zone urbaine mais ils subsistent en zone rurale. La Syrie a acheté en 2004 pour 1 700 millions de livres syriennes de médicaments destinés à combattre les 66 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE maladies causées par la pollution de l’eau potable et la mauvaise qualité de l’eau agricole. Le problème de la raréfaction de la ressource risque de s’aggraver au cours des prochaines années. Le fleuve Barada qui est alimenté par cinq affluents : Fijeh, Barada, Ein Tayba, Ouyoun Jarouch, Ouyoun Alalaya voit son débit baisser d’année en année. Le fleuve souffre également de la pollution causée par les artisans installés dans la ville même qui déversent leurs effluents directement dans le fleuve et par les usines installées sur ses abords dans les zones rurales de Damas: Kudsaya, Dummar, Alhama, Dabaghat, IbnAsaker, Sayeda Zeinab, Kaboun et Harasta. Les pollutions les plus importantes sont causées par les ateliers de teinture des usines textiles, dont les résidus sont rejetés sans traitement dans le fleuve. Cette pollution chimique se retrouve dans les plantes irrigués par l’eau du fleuve. Un projet de loi est actuellement en discussion pour obliger les industriels à traiter leurs effluents avant de les rejeter dans la nature. Les activités touristiques, qui se sont développées autour de Zabadani, Dommar, et Kudsaya, produisent également d’importantes quantités de déchets directement jetés dans le fleuve. Pour rendre potable l’eau qui alimente Damas, on est donc obligé d’ajouter d’importantes quantités de chlore qui atteignent couramment les limites supérieures autorisées par la réglementation. Le traitement des eaux usées est un autre problème. De nombreux rapports existent sur le manquecriant de stations d’épuration des eaux domestiques et le mauvais état du réseau des égouts. Lesmoyens financiers pour la rénovation du réseau font défaut. En 2005, 30 millions de livres seulementétaient prévus au budget de l’Etat pour la rénovation des infrastructures d’eau et d’assainissement. Pourtant, dès 1991, une véritable orientation politique en faveur d’une gestion durable dudéveloppement a été prise, avec la création d’un Ministère d’Etat à l’environnement, premier du genredans la région. Le secteur de l’environnement fait, depuis, l’objet d’une planification à l’échelonnational. Un « National Environmental Action Plan » a été mis en place en collaboration avec lePNUD et la Banque Mondiale avec cinq priorités: • la lutte contre la dégradation des sols, • la pollution et l’épuisement des ressources en eau, • la pollution atmosphérique, • la gestion et le traitement des déchets, • la lutte contre les activités industrielles illégales au regard des contraintes environnementales. Les moyens restent toutefois insuffisants. Ainsi, le programme d’investissement pour l’environnement au cours du 8e plan qui s’est achevé en 2004, se montait à 600 millions USD, soit, sur une base annuelle, moins de 1% du PIB, alors que le coût des dégradations environnementales est estimé entre4 et 5% du PIB par an. Les besoins estimés par le « National Environmental Action Plan » (NEAP)pour la période 2005-2010 sont évalués à 2 200 millions USD, soit 375 millions USD par an ou 4 à 5fois le montant actuel des investissements dans le domaine. Les réalisations mises en œuvre à ce jour sont donc très loin de couvrir les besoins. Quelques progrès ont cependant été obtenus. Le nombre d’habitants raccordés au réseau d’eau progresse chaque année. Les quantités d’eau potable disponibles sont également en augmentations tout comme le nombre d’abonnés qui acquittent régulièrement leur facture d’eau. Damas s’est également lancée dans un vaste programme de développement de la ressource. Un premier projet de rechargement des nappes phréatiques a été lancé. Ce projet vise à stocker l’eau de la nappe phréatique lorsque la ressource est abondante pour la reprendre pendant la période de sécheresse. Le débit de la source de Fijeh est, en effet, très irrégulier. Il peut atteindre, en période haute, jusqu’à 28 m3/seconde pour tomber à 1,5 m3/seconde pendant les années de sécheresse comme c’est le cas actuellement. On comprend mieux l’enjeu de ce projet lorsque l’on sait que les besoins de la ville de Damas sont d’environ 7 m3/seconde. Les travaux sont conduits par la société« Schlumberger Technology » en coopération avec le Centre des Affaires Syro-européen et une société libanaise, Razin. Ce projet fait partie du plan stratégique national pour l’environnement qui a été mis en place en 2003couvrant la période 2003-2015 par le ministère de l’Administration Locale et de l’Environnement avec l’appui du Programme de Développement des Nations Unies (PNUD) et de la Banque Mondiale. Le plan vise à développer la ressource et à rénover l’ensemble du système de distribution de l’eau et de traitement des effluents. Le projet de rechargement des nappes phréatiques prévu à Damas sera étendu à d’autres régions. Des réservoirs supplémentaires doivent également être construits. A plus long terme, et pour faire face à l’épuisement progressif des ressources, des investigations on tété lancées pour approvisionner Damas à partir de source marines d’eau douce au large du port de Lattaquié. Une étude a été lancée dont les résultats seront connus au début de 2006. Aucun financement n’est encore prévu à ce stade. Pour amener cette eau sur Damas, un projet de pipeline est également à l’étude qui contournerait le Liban en passant par la montagne, jusqu’à une altitude de 1000 m avant de descendre par gravité vers Damas. L’étude de faisabilité durera trois ans et la réalisation au mieux cinq ans pour un coût évalué à1,7 milliard de dollars. Les Damascènes devront donc patienter encore une décennie avant de pouvoir avoir accès à l’eau potable à toute heure de la journée. COLLECTE ET TRAITEMENT DES DÉCHETS La collecte des déchets domestiques (5 000 tonnes/j au niveau national) est assurée par les municipalités à hauteur de 90 % en zone urbaine, et de 65 % en zone rurale. En revanche moins de 5% de ces déchets sont traités (500 tonnes par jour). On estime qu’en zone urbaine les déchets domestiques représentent moins d’un kilo par habitant et par jour. Les déchets industriels, qui proviennent essentiellement de l’exploitation du phosphate, ne sont pas traités. Les déchets hospitaliers ne font l’objet d’une collecte sélective qu’à Damas (5 tonnes/j) et à Homs (2,5 tonnes/j) où ils sont traités de manière spécifique (incinération). La situation à Damas est néanmoins meilleure que dans le reste du pays. Les statistiques du ministère de l’Administration Locale et de l’Environnement font état d’une quantité de déchets produite à Damas de 1100 tonnes par jour. Mais la collecte, qui relève des services municipaux, est déficiente. du fait d’un manque de moyens, principalement en matériel et du manque de civisme des habitants qui ne respectent pas les horaires du dépôt de leurs ordures. Ces déchets sont conduits sur un terrain situé à 35 Km au sud de Damas puis en partie traités par incinération et compostage. La récupération et le recyclage sont le fait du secteur informel. Les déchet générés par les grosses industries et les abattoirs sont généralement conduits dans des sites spécialisés. Mais les déchets produits par l’artisanat et la petit industrie urbaine sont mélangés aux ordures ménagères. Le manque de ressources est évident. Aujourd’hui, les recettes perçues pour financer les infrastructures du secteur environnemental sont sans commune mesure avec les 67 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE investissements programmés et les coûts d’exploitation de ces services. A titre d’exemple, la taxe perçue pour l’enlèvement des ordures à Damas est de 7 $, quelle que soit la quantité par foyer et par an alors que le coût pour l’enlèvement de deux tonnes (moyenne par an et par foyer) est estimé à 44 $. Les autorités subventionnent donc largement ce type d’activités, la faiblesse du revenu moyen par ménage rendant, aujourd’hui, impossible le transfert direct de ces charges sur le consommateur des services. Différents projets d’investissement témoignent de l’émergence progressive du secteur privé dans la problématique des déchets. Symptomatique d’une évolution des mentalités, ces tentatives d’ouverture de secteurs traditionnellement publics aux logiques de marché sont intéressantes à relever même si certaines contraintes politiques, financières ou techniques empêchent encore la maturation du processus. TRANSPORTS PUBLICS Les transports publics sont assurés à Damas par le secteur privé. Des microbus généralement bondés et très polluants transportent les passagers. Le gouvernement a tenté de mettre fin à ce système pour le remplacer par une flotte de 600 bus modernes importés. Ce projet n’ayant pas abouti, on a remis en service de vieux bus datant des années 70 et dont l’utilisation avait été interdite au moment où les microbus avaient fait leur apparition. La construction d’un métro a été envisagée et la compagnie française de conseil BCEOM a été chargée de réaliser une étude technique et une étude de faisabilité financière. Mais le coût élevé du projet combiné au temps nécessaire à la construction du réseau ont fait pencher la balance en faveur du tramway. Un projet de tramway a donc été lancé qui devrait aboutir rapidement. Ce projet a été étudié par la société malaisienne Amitrans, qui a proposé une solution de type monorail semblable à celle qui fonctionne dans d’autres grandes villes comme Kuala Lumpur, Sydney, Las Vegas, Seattle, ou Singapour. Comparé au train traditionnel, le monorail a l’avantage de prendre moins de place, horizontalement et verticalement. La largeur nécessaire dépend de celle du wagon et non de celle des rails. Le monorail est également plus silencieux, les systèmes modernes utilisent des roues en caoutchouc sur un circuit en béton et sont capables de monter, descendre et tourner plus vite que les systèmes traditionnels. 68 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Trois lignes sont prévues : une ligne verte de 12 km de long comprenant 16 stations, allant de Mazzé à Kaboun ; une ligne rouge reliera Barzeh à Midan sur 11 km et 18 stations ; une ligne bleue de 8 km de long et 12 stations reliera la place des Abbassides et la place Abdel Rahman al-Dakhel. La construction d’une première tranche de 9 km sur la ligne bleue devrait démarrer en 2005. Les travaux ont été confié à l’entreprise malaisienne MTrans, l’un des trois fabricants mondiaux de monorails, en association avec le japonais Hitachi et le canadien Bombardier. Le coût estimé des travaux est de 128 millions de dollars, soit 16 millions par kilomètre. A titre de comparaison, le coût du métro serait 3 à 4 fois plus élevé ce qui explique le choix opéré par le gouvernement syrien. Les travaux de génie civil seront financés par l’Etat. Les autres éléments du projet feront l’objet d’un contrat de type BOT. LOGEMENT SOCIAL La Syrie connaît une crise aggravée du logement qui touche l’ensemble de la population. L’insuffisance de l’offre a entraîné une hausse importante des prix qui écarte du marché toute une partie de la population. C’est ce qui explique le développement des constructions illégales en périphérie de la ville dans des quartier non aménagés. On estime qu’environ 1,3 millions de personnes vivent dans ces conditions précaires, soit près de 30% de la population de la ville. La densité dans ces quartiers dépasse 400 habitants par km2. Leur extension progressive les conduit à envahir les espaces verts de la ville et des zones réservées jusquelà aux activités agricoles. Certains se rapprochent des quartiers les plus riches comme à Mazzeh, Dummar, Kudsaya, Barzeh, Kadam ou le mont de Kassiyoun. Un projet de la municipalité est en cours d’élaboration pour légaliser la situation des habitants et leur donner des titres de propriété. Un projet de construction de logements pour les personnes les plus démunies a également vu le jour. Mais l’offre est de 410 logements pour plus de 13 000 candidats inscrits. Les logements devraient être attribués par tirage au sort. Le gouvernement syrien a décidé d’injecter près de 45 milliards de livres syriennes (865 millions de dollars) dans le marché de l’immobilier à travers un programme destiné à fournir 50 000 nouveaux appartements, au cours des cinq prochaines années, à la jeunesse du pays. En pratique, l’État financera 30 % du coût de ces nouveaux projets, soit quelque 15 milliards de livres syriennes, à travers des crédits sans intérêts octroyés par un fonds public qui est alimenté par les recettes pétrolières du pays. De plus, l’État offrira les terrains qui serviront à la construction d’immeubles résidentiels dans toutes les régions. Les appartements auront une superficie moyenne d’environ 70 mètres carrés et ils coûteront 500 000 livres syriennes en moyenne, soit 9 600 dollars. Le plan de financement prévoit, pour chaque candidat à la propriété, un apport initial complété par un crédit à taux bonifié sur 10 ans. L’augmentation de l’offre de logements permettra également de contenir les prix de l’immobilier qui ont augmenté de façon significative depuis le début de l’année, en particulier à Damas. VOIRIE Par ailleurs, 20 millions livres syriennes seront consacrés, en 2005, à l’amélioration de l’éclairage public, et 70 millions pour la réalisation de nouveaux espaces verts. LUTTE CONTRE LES RISQUES MAJEURS La Syrie est, comme ses voisins, exposée à plusieurs types de risques majeurs, et principalement le risque sismique. Le gouvernement a élaboré, depuis quelques années, un centre pour la prédiction des séismes. Mais les activités de lutte contre les risques majeurs sont rares et dispersés. En juillet 2005, le ministre de l’Administration Locale et l’ambassadeur de Suisse en Syrie ont signé un accord pour une coopération portant sur la gestion de crise dans l’éventualité d’une catastrophe naturelle. L’accord précise la nature des aides matérielles et humaines que le gouvernement suisse se propose d’offrir dans une situation de ce type. L’état de la voirie est très variable d’un quartier à un autre. Certains quartiers bénéficient d’un entretien régulier et d’autres non. Les trottoirs du centre ou à l’abord des souks sont généralement en mauvais état. L’éclairage public est défaillant, voire inexistant dans certains quartiers de la capitale. Le nombre élevé d’accidents constatés sur la voie publique est tout autant dû à l’état de la chaussée qu’à celui des véhicules. Le parc automobile est, en effet, vétuste et mal entretenu. Il est également très polluant. De nombreux véhicules ont été importés de Chine, de Russie et d’Iran et ne répondent pas aux normes en matière de sécurité et d’environnement. La pollution automobile est également aggravée par la qualité du carburant disponible en Syrie qui contient un taux de soufre élevé. Un plan de rénovation de la voirie et d’amélioration des conditions de circulation a été préparé par la municipalité. Près de 500 millions de livres syriennes étaient prévus en 2005 pour la rénovation des voies existantes dont 40 millions pour la construction de ponts et 45 millions pour l’amélioration des deux voies rapides au nord et au sud de Damas. Près de 200 millions de livres syriennes étaient également prévus pour la poursuite des travaux de construction de deux tunnels : l’un à la place des Abbassides et l’autre à la place des Omeyyades. Mais ces projets n’ont pas encore vu le jour. 69 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Gaza PRÉSENTATION DE LA VILLE Gaza est une ville côtière située à l’est de la mer Méditerranée. C’est l’une des villes les plus anciennes au monde. Les premiers signes d’établissement humain remontent à 3 000 ans avant J.-C. Sa position stratégique, aux confluents de trois continents, en a fait un point de passage obligé pour le commerce mais également les expéditions militaires. Les musulmans ont pris possession de la ville en 634. Envahie par les croisés en 1101, elle a été reprise par Saladin en 1187. La ville a continué de prospérer sous le régime des Mamelouks. Intégrée à l’empire ottoman en 1517, elle y est restée jusqu’en 1917 avec l’entrée des troupes britanniques après une bataille qui a détruit une partie de la ville. En novembre de la même année, la déclaration Balfour a donné le signal d’une émigration de plus en plus importante de juifs fuyant les persécutions dont ils étaient victimes en Europe vers la Palestine. Le sort de la ville s’est alors confondu avec celui de ce que l’on appelle aujourd’hui la bande de Gaza. La bande de Gaza est avec ses 362 km2 le reliquat d’un territoire de 2 200 km 2 attribué par le Plan de Partage décidé par l’ONU en 1947 à la partie méridionale de l’Etat arabe de Palestine, et qui était constitué d’une partie du Négev et d’une plaine côtière allant de Jaffa à la frontière. La guerre israélo-arabe en 1948 a eu comme conséquence les frontières courantes de la bande de Gaza. Cette guerre força environ 250 000 Palestiniens à fuir vers Gaza, augmentant la population d’environ 300%. Cet afflux énorme de population, combiné avec la perte de ressources et la rupture du commerce, a créé une situation socio-économique instable. La situation économique a continué à s’aggraver en raison des problèmes économiques et politiques internes de l’Egypte, qui a administré la bande de Gaza jusqu’en 1967. À partir de cette date et suite à la guerre des Six Jours, Israël a occupé la Cisjordanie et la bande de Gaza et a, de ce fait, commandé les ressources disponibles et l’économie des secteurs occupés. Aujourd’hui, Gaza est une zone complètement fermée et entourée de barbelés. Ses habitants n’ont pas de nationalité reconnue : tous sont maintenant porteurs d’une carte magnétique rédigée uniquement en hébreu qui permet à 20 000 d’entre eux d’aller quotidiennement travailler en Israël -contre 120 000 avant l’Intifada et l’immigration massive en provenance de l’ex-URSS. Les plus âgés ont encore des papiers spéciaux égyptiens, acceptés dans certains pays arabes, mais qui ne leur permettent pas d’entrer en Egypte ; ceux qui veulent se rendre à l’étranger doivent le faire avec des documents de voyage israéliens qu’ils n’obtiennent que s’ils sont parfaitement en règle avec l’occupant. Cette situation a créé une dépendance presque complète à l’égard de l’économie israélienne, beaucoup d’habitants de Gaza fonctionnant en tant que travailleurs non qualifiés en Israël. Le soulèvement, ou Intifada, commencé en 1987, a duré pendant environ six années. La guerre du Golfe, en 1990, a aggravé les conditions économiques. Aujourd’hui, 55% des habitants de la Cisjordanie et 70% de ceux de la bande de Gaza vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le retrait d’Israël de la bande de Gaza (voir plus loin) a permis de libérer environ 40% du territoire qui était dédié aux colonies et aux infrastructures liées à leur sécurisation. Il a également permis aux habitants de circuler librement à l’intérieur de ce territoire. La ville de Gaza est encore aujourd’hui la plus grande ville au sein des Territoires Palestiniens. Avec une superficie de 46 km2 et une population estimée à environ 480 000 habitants, elle est une des zones les plus densément peuplées au monde. Le taux d’accroissement démographique frôle les 4%, un des plus hauts au niveau planétaire. Et les démographes prévoient que la population de la ville de Gaza continuera d’augmenter rapidement au cours des prochaines années, non seulement en raison de sa croissance normale (plus de 50% de la population a moins de 14 ans), mais également en raison de nouvelles offres d’emplois offertes par une administration bourgeonnante et la nouvelle zone portuaire et industrielle. On estime que la ville de Gaza atteindra approximativement 600 000 habitants en 2010. 71 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE Historiquement, les gouvernements locaux ont été la pierre angulaire du gouvernement palestinien et les fournisseurs principaux de services publicsdans l’ensemble des territoires. La gestion et la fourniture des services dits de bases pour les résidents de Gaza fait donc partie des prérogatives municipales. Ces services comprennent la gestion de l’eau, l’hygiène, la gestion des déchets solides, la construction et l’entretien des routes locales, les bibliothèques, parcs et récréations, abattoirs, marchés, plan d’occupation des sols, et cadastre. Bien que disposant de compétences étendues, la municipalité de Gaza partage certaines d’entre elles avec d’autres institutions palesti-niennes. Les décisions importantes sont, en particulier, soumises à une instance interministérielle. La situation, déjà très difficile, de la municipalité s’est fortement dégradée avec l’éclatement de la deuxième Intifada, en septembre 2000. Les revenus de la municipalité ont chuté d’environ 30%, ce qui a lourdement affecté la capacité des services municipaux à assurer la gestion des services dont ils ont la charge. Dans le même temps, les besoins en matière de reconstruction et de réhabilitation ont augmenté dans tous les quartiers de la ville, et cela aussi bien à cause de la crise de l’économie palestinienne qu’à cause des destructions pratiquées par les Israéliens en représailles aux attentats perpétrés sur leur territoire. En situation d’urgence permanente, la municipalité de Gaza s’est donc appliquée à trouver des solutions alternatives pour subvenir aux services prioritaires pour les résidents. Et ce d’autant que les aides internationales promises n’arrivent qu’au compte-goutte. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité internationale, en février 2005, les parties présentes avaient proposé de débloquer 6 milliards de dollars pour le développement de Gaza dont 2 milliards pour l’Union Européenne. Or, seuls quelques dizaines de millions de dollars ont été, à ce jour, effectivement versés. Le rapport préparé par Jean Ziegler à la demande de la Commission des droits de l’homme de l’ONU (voir extraits plus loin) décrit de façon précise la situation des populations palestiniennes. Ce rapport, réalisé en 2003, a été vivement critiqué par le représentant d’Israël aux Nations Unies qui a demandé son retrait. 72 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Extrait du rapport préparé par Jean Ziegler sur la situation alimentaire des populations dans les territoires palestiniens occupés (2003) Les Territoires Palestiniens sont au bord d’une catastrophe humanitaire, conséquence de mesures militaires extrêmement sévères imposées par les forces militaires israéliennes d’occupation depuis l’éclatement de la seconde Intifada, en septembre 2000. Les niveaux de malnutrition chez les Palestiniens se sont rapidement aggravés depuis l’imposition des mesures militaires susmentionnées. Une étude financée par USAID indique que « les territoires palestiniens, et en particulier la bande de Gaza, sont confrontés à une claire urgence humanitaire, en termes de malnutrition aiguë et grave [iii]». La malnutrition grave dont il est fait état à Gaza équivaut aujourd’hui aux niveaux relevés dans les pays pauvres subsahariens, ce qui constitue une situation aberrante, étant donné que la Palestine avait naguère une économie caractérisée par des revenus moyens. Plus de 22% des enfants de moins de cinq ans souffrent aujourd’hui de malnutrition (9,3% souffrent de malnutrition aiguë et 13,2% de malnutrition chronique), à comparer à 7,6% en 2000 (1,4% souffraient alors de malnutrition aiguë, et 6,2% de malnutrition chronique), d’après des relevés du PCBS [iv]. Près de 15,6% des enfants de moins de cinq ans souffrent d’anémie aiguë [v], qui aura pour beaucoup d’entre eux des effets dommageables permanents sur leur développement futur, physique et mental. La consommation de nourriture a chuté de plus de 30% per capita [vi]. Les pénuries alimentaires, en particulier en matière d’aliments protéiniques, ont été largement attestées [vii]. Plus de la moitié des foyers palestiniens ne peuvent plus avoir qu’un seul repas par jour [viii]. De nombreux Palestiniens avec lesquels le Rapporteur Spécial a pu converser, ont indiqué ne survivre qu’en consommant du pain et du thé. L’économie s’est pratiquement effondrée et le nombre des gens extrêmement pauvres a triplé. Près de 60% des Palestiniens vivent aujourd’hui dans une pauvreté aiguë (75% à Gaza et 50% en Cisjordanie). Le PNB par habitant a diminué de près de la moitié en deux ans [ix]. Même lorsque des aliments sont disponibles, beaucoup de Palestiniens ne sont pas en mesure d’en acheter pour nourrir leur famille. Plus de 50% des Palestiniens ont été contraints à s’endetter pour acheter de quoi se nourrir et ils sont nombreux à vendre tous leurs biens, en désespoir de cause [x]. Plus de la moitié des Palestiniens sont désormais totalement dépendants de l’aide internationale pour se nourrir et néanmoins, comme l’ont indiqué nombre d’organisations caritatives et humanitaires que la mission a rencontrées, l’entrée et le transport de denrées alimentaires dans les Territoires Occupés sont souvent refusés et les camions doivent rebrousser chemin. L’accès humanitaire est rendu très souvent difficile, tant pour l’ONU que pour les ONG. Ainsi, en mai 2003, une délégation de l’UNESCO a été retenue à Gaza durant cinq jours, les forces d’occupation ne les laissant pas repartir. Le fait que les Palestiniens ne reçoivent pas assez de nourriture, qu’il s’agisse d’aides internationales ou non, se manifeste par l’aggravation rapide des niveaux de malnutrition évoqués plus haut. EAU ET ASSAINISSEMENT Dans les territoires palestiniens, la gestion de l’eau est spécifiquement sous la responsabilité de la Palestinian Water Authority (PWA), qui a été créée pour développer les ressources et le traitement des eaux en Cisjordanie et à Gaza. Actuellement, les systèmes d’approvisionnement en eau et les équipements de traitement des eaux résiduelles dans la bande de Gaza sont contrôlés par des départements techniques ou spécifiques des municipalités. La bande de Gaza est de tous les territoires palestiniens celui qui souffre le plus du manque d’eau. Cette zone, qui a l’une des plus fortes densités de population au monde (plus de 3000 habitants/km2), est entièrement tributaire des pluies (entre 200 et 400 mm/an) et ne bénéficie d’aucun cours d’eau permanent. Elle s’approvisionne par les wadis, cours d’eau temporaires entretenus par les pluies d’hiver et par des forages dans la nappe phréatique. L’aquifère souterrain offre un volume d’eau annuel variant entre 50 et 70 millions de m3, insuffisant pour répondre à une demande de l’ordre de 100 à 110 millions de m3/an. Ce déficit a été une source de tension très grave entre Israéliens et Palestiniens. Ceux-ci estimaient que les premiers diminuaient le potentiel de leur aquifère en pompant le peu d’eau disponible grâce à des puits situés le long de la frontière israélienne avec Gaza et à un barrage sur le wadi de Gaza dont la source est située en Israël. Les experts ne sont d’ailleurs pas d’accord entre eux pour déterminer si la nappe de Gaza est une subdivision de l’aquifère côtier ou si elle ne forme qu’un seul ensemble. Mais c’est surtout la répartition de l’eau entre la population palestinienne et les colons israéliens des implantations qui posait un problème humanitaire et politique avant le retrait : sur les 110 millions de m3/an, 6000 colons utilisaient 10 millions de m3/an tandis que 1, 1 million d’arabes utilisaient les 100 millions de m3 /an restants. Les ressources en eau souterraine de Gaza sont de plus en plus rares et elles sont polluées par de fortes concentrations en nitrates et en sel. L’eau douce souterraine atteint un taux alarmant de 3 à 4% par an en raison de la sur-utilisation. C’est pourquoi les agriculteurs sont toujours à la recherche de moyens plus efficaces de recueillir l’eau de pluie. La pollution de l’eau à Gaza n’est pas uniquement due à l’eau de mer et au ruissellement de produits agricoles dans l’aquifère souterrain, mais elle est aussi due aux eaux usées brutes. L’aquifère de Gaza, qui fournit 96% de l’eau consommée dans la bande de Gaza, est de plus en plus menacée par une mauvaise infrastructure d’élimination des effluents et des déchets solides. Comme plusieurs camps de réfugiés et zones résidentielles en bordure des grandes villes ne sont pas reliés au système central de pompage, les eaux usées s’écoulent dans les rues. Sans compter les risques immédiats pour la santé, les eaux usées brutes gagnent l’aquifère souterrain, polluant l’eau consommée par l’ensemble de la population. Le pourcentage de la population reliée aux réseaux d’égouts est estimé respectivement à 34% et 55% pour la Cisjordanie et Gaza. Les usines existantes de traitement des eaux résiduaires sont loin de suffire pour traiter tous les effluents. De fait, une large proportion des eaux usées de la ville de Gaza sont directement rejetées dans la mer. À tel point que la pollution marine a atteint un niveau alarmant et constitue une menace permanente pour la santé des riverains. Une bonne partie des produits de la pêche est, de ce fait, impropre à la consommation. Par ailleurs, des enquêtes sur le terrain ont révélé que les communautés palestiniennes sont touchées par l’évacuation des eaux usées non traitées provenant des colonies. Déjà en 1993, un rapport de la Banque Mondiale révélait que « le déversement des eaux usées dans les vallées est souvent autorisé, même si cela constitue une menace pour un village [palestinien] environnant ». Il semble que la situation ne se soit pas améliorée. Les eaux usées provenant de certaines colonies étaient pompées vers Israël afin d’être traitées, mais elles étaient parfois évacuées vers le réseau d’assainissement palestinien. Les eaux usées des autres colonies étaient collectées et rejetées, non traitées, vers les vallées voisines. Sans études sur le terrain, il a été impossible d’évaluer, de façon irréfutable, l’étendue de cette pratique. Cependant, les informations disponibles ont montré que, 73 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE dans toutes les circonscriptions palestiniennes, les colonies rejetaient leurs eaux usées non traitées. De plus, nombre de ces rejets se produisaient dans la région d’alimentation de la nappe aquifère orientale partagée, cela touchait donc à la fois les réserves d’eau des Israéliens et des Palestiniens. La situation est un peu meilleure en ce qui concerne les ressources en eau pour l’agriculture. De mauvaises pratiques de gestion des ressources en eau avaient, dans le passé, entraîné une dégradation des terres agricoles. Mais depuis l’introduction de nouvelles techniques de récupération de l’eau et d’irrigation par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), dans le cadre d’un projet financé par l’USAID3 et le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), près de 50 bassins artificiels de collecte de l’eau de pluie ont été créés dans la région. Ces bassins de 200 mètres2 recueillent l’eau de pluie qui tombe sur les toits des serres. Grâce à une utilisation efficace des ressources en eau, les agriculteurs peuvent irriguer jusqu’à 10 dunam4 et accroître fortement leur productivité. Ce projet s’inscrit dans une initiative plus importante : la remise en état et la préservation des zones humides de Wadi Gaza. Il s’agit de l’un des plus grands projets du PNUD dans la région. COLLECTE ET TRAITEMENT DES DÉCHETS La ville de Gaza, comme l’ensemble des communautés de la bande de Gaza, est confrontée au problème de gestion de ses déchets. Au cours des 30 dernières années, les autorités israéliennes qui ont occupé le territoire semblent ne s’être que très peu souciées de la gestion des déchets solides, que ce soit au niveau de leur ramassage, de leur transport, ou de leur évacuation. La pression qu’exerce la gestion des déchets solides sur l’environnement était renforcée par la quantité abondante des déchets générés par les colons israéliens. Les déchets solides des Israéliens étaient évacués sans restriction vers les terres, les champs et les routes secondaires palestiniens. Les Palestiniens n’avaient pas accès à l’information concernant la composition ou l’évacuation des déchets solides générés par les colons. La décharge municipale de Gaza est située au sud-est de la ville, à environ 6 km des habitations. La superficie de la décharge est approximativement de 12 hectares. Elle a été divisée en sections distinctes, chaque 74 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE 3 Agency for International Development des Etats-Unis. 4 1 dunam = 0,1 hectare. section étant dédiée à une catégorie particulière de déchets. Elle reçoit, au total, 650 tonnes de déchets par jour. Les quantités de déchets solides générés dans les zones urbaines sont plus élevées que celles qui proviennent des zones rurales. Le taux de déchets générés par tête d’habitant est d’environ 0,5 à 1,0 kg par jour. Suites aux difficultés budgétaires et aux restrictions de circulation imposées par les Israéliens, le ramassage des déchets a subi de sévères restrictions. D’une rotation de véhicules par jour, on est passée a une rotation de véhicules pour deux ou trois jours. L’impossibilité d’atteindre la décharge principale a conduit la municipalité à ouvrir deux sites provisoires à la sortie de la ville qui posent un sérieux problème de santé publique. Plus de 70 000 tonnes de détritus sont ainsi entassés en zone urbaine en attente de transfert vers la décharge principale. Chaque foyer palestinien doit, en principe, acquitter une taxe pour la collecte et le traitement des ordures ménagères. Mais les montants récupérés par la municipalité ne couvrent que 40% des coûts réels. Un projet a été élaboré visant à améliorer le service de collecte et de mise en décharge des ordures ménagères qui nécessite un investissement d’environ 5 millions d’euros qui devrait être pris en charge par la communauté internationale. Par ailleurs, 50 000 tonnes de gravats accumulées suite aux destructions opérées par l’armée israé-lienne doivent être collectées et transférées vers un site spécialisé. S’ajoute à présent l’évacuation des gravats des colonies démantelées dont le coût est à la charge de l’Autorité Palestinienne. LOGEMENT SOCIAL Le logement est une autre des grandes priorités de la municipalité de la ville de Gaza. En 1948, fuyant l’avance des troupes du nouvel État d’Israël le long de la côte, des dizaines de milliers de Palestiniens se sont établis sur cette langue de sable. La première agence de l’ONU leur a fourni à l’époque des tentes pour une installation censée être provisoire. Plus de cinquante ans plus tard, leurs descendants y sont toujours. Les tentes ont simplement été remplacées par des constructions en dur. Les pères ont transmis à leurs enfants les clefs des maisons détruites, situées aujourd’hui en Israël, et la mémoire (quelquefois les anciens titres de propriété) de leur terre perdue. Des constructions en dur ont progressivement remplacé les tentes. Des logements exigus, à la limite de l’insalubrité, ont succédé à l’habitat précaire Plus de 50% des familles vivent dans des logements de une ou deux pièces où cohabitent plusieurs cellules familiales. Sur les 60 000 logements recensés dans la ville de Gaza, 20% seulement ont plus de trois pièces et le taux d’occupation est, en moyenne, supérieur à 3 personnes par pièce. Pour l’ensemble de la bande de Gaza, on estime à environ 59 000 le nombre de nouveaux logements à construire pour réduire la surpopulation, alors que 71 000 logements existants ont besoin de rénovation ou d’agrandissement. Le déficit actuel de logements est encore plus important si on tient compte du nombre de logements détruits ou endommagés en raison des hostilités en cours, ainsi que de ceux qui sont démolis parce que bâtis sans permis de construire. Depuis le début de la deuxième Intifada, environ 40 000 logements ont été soit endommagés, soit détruits. Combler le déficit du logement prendra de nombreuses années, à moins que le taux récent de construction de logements, qui est en moyenne inférieur à 10 000 logements par an, n’augmente considérablement. Outre les problèmes financiers, la construction de nouveaux logements se heurte au problème foncier. La ville de Gaza, jadis bourgade alanguie entre des bouquets de palmiers, est devenue une vaste agglomération qui pousse en hauteur par manque d’espace au sol. Des grues ajoutent sans cesse des étages à des immeubles coiffés de réservoirs d’eau et d’antennes de télévision. Ce problème pourrait trouver une solution partielle avec le projet en cours de construction de logements sur les terrains occupés jusqu’ici par les colonies israéliennes. APRÈS LE RETRAIT DES COLONS , QUEL AVENIR POUR ISRAÉLIENS GAZA ?5 Alors que l’armée israélienne vient d’évacuer les vingt et une colonies de la bande de Gaza, l’Autorité Palestinienne est confrontée à un défi majeur : relancer l’économie sinistrée dans cette région par près de cinq années d’Intifada. Dans le cas contraire, rien ne pourra empêcher que ce Territoire ne sombre dans le chaos. Consciente de l’enjeu, la communauté internationale s’est d’ores et déjà engagée à débloquer quelque trois milliards de dollars d’aide sur les trois prochaines années. Mais sans le concours d’Israël, rien ne pourra être sérieusement entrepris. 5 Près de cinq années d’Intifada ont en effet asphyxié l’économie de cette région qui, à terme, doit devenir le débouché maritime du futur Etat palestinien. Selon les derniers chiffres de la Banque Mondiale, plus de 70% de la population vit ainsi en dessous du seuil de pauvreté avec moins de deux dollars par jour, une proportion qui s’élevait à moins de 25% il y a cinq ans. Le chômage dans ce Territoire frappe en outre près de la moitié de la population active – contre seulement 15% au début de l’Intifada – tandis que les jeunes de moins de 18 ans constituent 60% de la population. Le départ de la bande de Gaza des quelque 8 000 colons israéliens – certains y résidaient depuis 38 ans – aura pour premier avantage de permettre enfin une libre circulation dans cette région. Au plus fort de l’Intifada, et en raison des nombreux barrages érigés par l’armée israélienne, les Palestiniens mettaient en effet plusieurs heures, voire dans certains cas plusieurs jours, pour traverser du nord au sud cette bande de terre d’à peine 45 kilomètres. Bientôt libres de circuler dans Gaza, les Palestiniens n’en ont pas moins longtemps craint que ce Territoire ne devienne une immense prison à ciel ouvert, coupé notamment de la Cisjordanie qui représente un marché conséquent et où vit 70% de la population des Territoires. Mais sous la pression de la communauté internationale, Etats-Unis en tête –la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, est personnellement intervenue auprès d’Ariel Sharon – les autorités israéliennes ont donné des gages pour que cette situation ne se présente pas. Ainsi la frontière sud de la bande de Gaza – le fameux couloir Philadelphie, long de quatorze kilomètres – sera, une fois le retrait terminé, sous le contrôle conjoint des Egyptiens et des Palestiniens. Et une route sécurisée reliera rapidement ce Territoire à la Cisjordanie, les trajets se faisant par convois sous escorte militaire israélienne. Le départ des colons va, par ailleurs, permettre aux Palestiniens de reprendre le contrôle de quelque 20% du territoire de la bande de Gaza qui échappaient totalement à leur autorité. Longtemps incertain, le sort des constructions érigées dans ces implantations – maisons, bâtiments publics mais aussi serres installées sur les terrains agricoles – a été négocié sous l’égide de James Wolfensohn, l’émissaire américain pour les Affaires économiques au Proche-Orient, également envoyé spécial du Quartette qui parraine la Feuille de route, ce plan de paix international qui doit, à terme, permettre la création d’un Etat palestinien. Ainsi, et même si le coût est élevé – quelque 18 millions de dollars pour le seul déblaiement des gravats D’après l’article de Mounia Daoudi. 75 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE –, toutes les infrastructures des colonies seront détruites. Les responsables palestiniens ont en effet manifesté leur préférence pour cette option. La construction de bâtiments plus élevés devrait, en plus de la relance de l’emploi dans le secteur du BTP, permettre de répondre à l’épineux problème du logement dans la bande de Gaza. Certains responsables palestiniens ont également émis l’idée que les gravats des édifices détruits pourraient servir à la construction d’un port sur la Méditerranée. Un projet, actuellement en négociation avec Israël, qui pourrait également être générateur d’emplois dans cette région si durement frappée par le chômage. Consciente que seule une relance de l’emploi et du pouvoir d’achat dans la bande de Gaza empêchera ce Territoire de plonger dans le chaos, l’Autorité palestinienne a entrepris d’assouplir sa législation pour encourager les investissements étrangers. Le ministre de l’Economie, Mazen Sonnokrot, a ainsi récemment annoncé que son gouvernement était disposé à accorder 100% de droits de propriétés à toute entreprise étrangère désireuse de s’installer à Gaza. Il a également affirmé que toutes les démarches administratives seraient facilitées dans cette perspective. Selon lui, plusieurs sociétés américaines, européennes, canadiennes mais aussi turques ont récemment pris contact avec l’Autorité palestinienne et se sont déclarées prêtes à investir dans différents secteurs. «Nous espérons que ces investissements pourraient atteindre annuellement entre 1,5 et 2 milliards de dollars sur une période de trois ans» suivant le retrait israélien, a notamment déclaré Mazen Sonnokrot. Le ministre a également annoncé que le programme de privatisation des entreprises publiques pourrait commencer dès le début de l’année prochaine. L’Autorité Palestinienne a en effet décidé, dans le cadre des réformes économiques qu’elle a entreprises, d’ouvrir au privé le capital de sociétés comme les compagnies nationales du Ciment et du Pétrole, l’Aéroport de Gaza ou encore la Compagnie nationale de textile et de teinturerie. Elle espère ainsi relancer l’emploi en dynamisant ces entreprises publiques souvent mal gérées par une administration corrompue. Mais tous ces projets ne pourront être viables sans une coopération effective des autorités israéliennes qui doivent, estiment de nombreux experts, s’engager à assurer la libre circulation des marchandises entre les deux Territoires palestiniens mais aussi avec l’étranger. «S’il y a une question déterminante pour l’avenir, je dirais qu’il s’agit des terminaux routiers», a notamment défendu James Wolfensohn. «Investir à Gaza est impensable lorsque vous ignorez si les matériaux peuvent y entrer ou 76 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE en sortir. Personne ne prendrait un tel risque», a-t-il insisté. L’une des propositions figurant dans les accords d’Oslo était celle d’un passage «sûr» entre la Bande de Gaza et les territoires de Judée-Samarie sous contrôle de l’Autorité palestinienne. L’idée était qu’Israël assurerait la libre circulation des Arabes palestiniens sur une route au statut «extraterritorial» traversant le territoire d’Israël anté-1967. Ce projet, impliquant de nombreux problèmes logistiques, comme la possibilité d’infiltrations à partir de la route, n’avait jamais été sérieusement évoqué. Or, ce sujet revient désormais, puisque l’Autorité Palestinienne fait de la création de ce corridor une des conditions pour coordonner avec Israël, le bon déroulement des opérations de retrait. Mardi dernier, des représentants de l’Autorité Palestinienne et d’Israël ont annoncé un accord selon lequel ce passage «sûr» serait mis en place prochainement. Dans cet accord, les forces israéliennes escorteraient, dans un premier temps, les véhicules arabes entre Gaza et la Judée, sur les routes déjà existantes. Dans une prochaine étape, Israël a proposé de remplacer l’utilisation des routes israéliennes par une liaison ferroviaire entre Gaza et le point de passage de Tarkoumiya, à l’ouest de Hévron. Les responsables israéliens ont demandé à la Banque mondiale une aide au financement de ce projet de rail, estimé à 175 millions de dollars. La Banque Mondiale préfère, quant à elle, un autre projet : une voie routière creusée à cinq mètres de profondeur, en tranchée. Nigel Roberts, le chef de la représentation de la Banque Mondiale en Judée-Samarie, a dévoilé ce projet de route de 42 kilomètres de long et de 40 mètres de large. Une voie ferrée pourrait être installée ultérieurement entre les deux voies routières. Le coût d’une telle voie routière construite en tranchée serait de 130 millions de dollars, plus économique donc que la solution ferroviaire. Selon les révélations de Roberts, la nouvelle route serait à ciel ouvert sur la plupart du tracé, sauf aux endroits de croisement avec les routes existantes, où la nouvelle voie serait alors souterraine. Tout au long de la route, des dispositifs de sécurité seraient mis en place, empêchant toute atteinte de l’intérieur vers l’extérieur, et réciproquement. Selon Roberts, les travaux dureraient 2 à 3 ans. Pour l’instant, aucun accord sur une solution définitive n’a été entériné. Alors qu’Israël préfère la solution ferroviaire, l’Autorité Palestinienne penche plutôt pour la voie routière, plus économique et plus simple à utiliser. Pour l’heure, le ministre de la Défense, Shaoul Mofaz, a ordonné la création d’un corps administratif qui devra gérer le problème du passage entre Gaza et la JudéeSamarie et coordonner les différents responsables concernés par le projet. «Après la mise en œuvre du retrait, les couloirs de passage entre Gaza et la JudéeSamarie seront un élément économique et humanitaire clés» a en effet déclaré Mofaz. 77 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Istanbul PRÉSENTATION DE LA VILLE Istanbul, est, avec plus de 11 millions d’habitants, l’une des plus grandes agglomérations d’Europe et du monde. Elle a été fondée par l’empereur romain Constantin 1er sur le site de l’ancienne colonie grecque Byzantium et nommée Constantinople en son honneur (ce n’est que le 28 mars 1930 que le nom d’Istanbul est devenu officiel). La ville devint la capitale orientale de l’empire romain et plus tard celle de l’empire byzantin. Après sa chute, en 1453, Constantinople fut incorporée à l’empire ottoman par Mehmet II le Conquérant et en devint la nouvelle capitale. Sous Mehmet II, Constantinople resta la capitale du monde orthodoxe et deviendra, plus tard, le siège du califat. En 1492, Constantinople accueillit de nombreux juifs chassés d’Espagne par Isabelle la Catholique. O RGANISATION POLITIQUE ADMINISTRATIVE ET De l’agglomération centrale à la mégapole multi départementale (ou région urbaine), le nom d’«Istanbul» a aujourd’hui plusieurs résonances. En suivant un ordre de taille croissante, le terme désigne d’abord une aire urbaine dense, « coiffée » depuis 1984 par une « Municipalité Métropolitaine » (M.M.). Il désigne ensuite un département turc, dont la population est urbanisée à plus de 95% avec la promotion d’un ancien arrondissement (Yalova, sur la rive sud du Golfe d’Izmit) au rang de département, et la création de nouveaux arrondissements (par subdivision d’anciens). Enfin, « Istanbul » renvoie plus largement à une région urbanisée qui excède les limites de la M.M. et du département. Cette région urbanisée d’amples dimensions (qu’on pourrait aussi appeler le Grand Istanbul), commence seulement à être prise en compte par certains auteurs turcs, sous l’appellation de « mégapole eurasienne ». C’est cette troisième acception qui semble désormais la plus pertinente et la plus fidèle aux processus d’urbanisation en cours. À l’échelle du seul département, le représentant de l’État central est le wali (ou préfet). Il s’appuie sur une série de services départementaux. Ses compétences principales concernent la police, l’état civil et le contrôle des constructions. À un niveau inférieur, celui des trente-huit arrondissements (ilçe) que compte le département d’Istanbul, se trouvent les sous-préfectures (kaymakamlik), qui constituent un simple relais du pouvoir central et de ses services. Elles octroient notamment les permis de résidence. À un niveau encore inférieur, les maires de quartier (muhtar) -même s’ils sont élus par leurs administrés - peuvent être considérés comme d’ultimes représentants du pouvoir central. Les «pouvoirs locaux» sont concentrés entre les mains de la M.M., dont les pouvoirs, définis en juillet 1984 (par la loi n°3030) semblent en voie d’élargissement. Mais la M.M. n’a compétence que sur une partie de l’espace réellement urbanisé, à savoir les seuls arrondissements centraux du département d’Istanbul. Elle est dirigée par un « maire métropolitain », élu au suffrage universel direct pour 5 ans, et par un conseil municipal métropolitain formé des conseils municipaux d’arrondissement. Il est à noter que les compétences de la M.M. ont été récemment redéfinies, en matière de construction de logements (à caractère prétendument social), comme en matière de gestion du patrimoine foncier public. Créées par une loi de janvier 1984, les municipalités d’arrondissements ont des compétences dans le domaine de l’éducation, de la santé, de la police locale et pour l’octroi des « permis de construction ». En outre, elles sont tenues d’élaborer les « plans d’application » locaux du plan d’aménagement général de la M.M., sans pouvoir prendre d’initiative réelle. Les « municipalités locales » enfin, échelon intermédiaire entre les mairies de quartier et les municipalités d’arrondissement, sont davantage sous le contrôle de la préfecture. À l’exception de quelques menues taxes, l’essentiel des moyens dont disposent les pouvoirs locaux procède de l’État central. À cet égard, la mise en place d’une fiscalité propre pour ces pouvoirs constitue une des revendications principales du patronat turc (incarné par l’organisation patronale dénommée TÜSIAD). Dans cet esprit d’ailleurs, un projet de réforme des « impôts locaux » qui va dans le sens d’une plus grande autonomisation financière, est à l’étude mais tarde à être adopté. Compte tenu de l’architecture actuelle des pouvoirs, les conflits de compétence sont multiples. Notamment entre 79 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE le maire métropolitain et le conseil municipal métropolitain, qui ne sont pas élus de la même manière et entre lesquels deux types de légitimité s’affrontent. Les conflits sont également nombreux entre la mairie métropolitaine et les mairies d’arrondissement, à propos des «plans d’application», qui doivent être en conformité avec le « plan d’aménagement urbain» général élaboré à l’échelle de l’ensemble de l’aire urbaine, ou de la répartition des ressources financières. Des conflits existent, enfin, entre les municipalités d’arrondissement et les mairies de quartier, en fonction de la couleur politique de leurs représentants. Un autre obstacle au bon fonctionnement de la gestion urbaine tient aux modifications incessantes des limites administratives (c’est-à-dire des aires de compétence de l’ensemble des acteurs ci-dessus énumérés). De fait, la forte croissance urbaine, génératrice de pressions spéculatives et d’ambitions politiques, entraîne de perpétuelles redéfinitions des limites des quartiers, des municipalités comme des arrondissements. Aucune politique suivie ne peut être conduite à ces échelons, dans ces conditions. Par exemple, les terrains non encore officiellement urbanisés à la périphérie des arrondissements d’Istanbul, relèvent de l’administration centrale, et non des pouvoirs locaux immédiatement concernés. Il en résulte que les territoires vécus et fonctionnels ne recoupent pas les divisions administratives, mal intégrées par la population urbaine, et toujours arbitraires et provisoires. EAU ET ASSAINISSEMENT Istanbul, aujourd’hui, s’étend, aujourd’hui, sur les rives du Bosphore sur une distance de près de 100 km. Ville à cheval sur deux continents, cette cité baigne dans l’eau et pourtant l’eau fut et est toujours un problème crucial pour ses habitants. Le quotidien des habitants d’Istanbul est haché par de multitudes de coupures d’eau. Coupures qui ont obligé les habitants à se munir de citernes et de compresseurs pour faire monter l’eau dans les étages pour les plus aisés. Cette rareté de l’eau se manifeste, depuis toujours, par la floraison, en été, des porteurs d’eau. L’eau du robinet ne se boit pas car les canalisations sont trop anciennes et contiennent des métaux lourds comme le plomb. Depuis les années 90, des stations services d’eau potable ont poussé à Istanbul comme des champignons. Et l’on va faire son plein d’eau, flanqué de 80 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE toutes sortes de récipients comme on va faire son plein d’essence, car l’eau est servie à la pompe à eau. Le système d’assainissement et de traitement des eaux usées pose un problème aussi grave que celui de l’eau potable. Istanbul déverse chaque jour 2 millions de mètres cubes d’eaux usées. Une grande partie de ces eaux est emmenée loin d’Istanbul et rejetée dans une zone isolée de la Mer Noire. Le reste, qui était autrefois déversé dans la mer de Marmara, est déversé, depuis les années 90, dans les cours d’eau de la région d’Istanbul. Seul un tiers de ces eaux est traité avant d’être déversé dans les cours d’eau, dans les bassins de Tuzla, Ömerli et Ataköy. Et le déversement irresponsable d’ordures et de déchets dans la mer et sur les rives du Bosphore transforme parfois ce site en dépotoir. Le secteur de l’eau relève de plusieurs organismes (DSI, Iller Bank, SPO, Direction des Affaires Rurales, ministère de la Santé, ministère de l’Environnement) ainsi que des Municipalités. Il en résulte parfois des conflits et plus généralement une absence de coordination dans la conception des projets et leur réalisation. Selon la loi relative au fonctionnement des Municipalités, la tarification de l’eau urbaine et des eaux usées est fixée par le Conseil Municipal. Elle se présente sous forme d’une facture globale qui se ventile pour les 2/3 en eau potable et pour 1/3 en eaux usées. Ce tarif, qui, pour la plupart des municipalités, ne tient pas compte de l’inflation, ne permet qu’un retour partiel sur investissements. Son réajustement est laissé à la convenance de chaque municipalité (ex : la ville d’Ankara réajuste tous les mois le tarif de l’eau conformément au taux d’inflation, la ville d’Istanbul se base sur la variation du dollar américain). Certaines municipalités collectent également un montant fixe pour la location des compteurs et l’entretien des réseaux. Le coût de l’eau potable et des eaux usées est plus cher pour les industriels. Trois niveaux de prix d’eaux usées sont appliqués, pour les industriels, selon qu’il s’agit d’eaux traitées en totalité, prétraitées ou non traitées. En ce qui concerne les Municipalités Métropolitaines, le niveau de facturation des eaux usées découlant d’activités industrielles, au sein du réseau public, est fonction du niveau de pollution et des conditions in situ. TRANSPORTS PUBLICS Depuis le début de l’exode rural (milieu des années 50), et a fortiori aujourd’hui, les politiques successives qui ont eu à gérer la vie stambouliote, n’ont jamais été capables de développer, à long terme, une politique efficace du transport en commun dans la ville. Pour se déplacer à Istanbul aujourd’hui, les Stambouliotes disposent néanmoins d’un choix assez important de moyens qui sont, par ordre d’importance : L’autobus. Près de 3 millions et demi de Stambouliotes en sont les usagers. Le système d’autobus est composé de deux types de parc : les autobus municipaux fonctionnent, comme dans les grandes métropoles du monde, par tickets papier, abonnements mensuels ou billets magnétiques rechargeables comme les cartes de téléphone. Les autobus sont vétustes, mais se rendent dans les périphéries éloignées du centre. • Les minibus de transports des employés par leurs sociétés. Les grandes entreprises de la ville, devant l’inefficacité des transports en commun, organisent des systèmes de ramassage du personnel par quartier. À l’image des sociétés de transports scolaires, les petits autobus loués arborent des pancartes avec le nom des compagnies. Ce système de déplacement transporte aujourd’hui plus d’un million et demi de personnes par jour, mais trouve ses limites dans son manque de souplesse ; il n’existe qu’un aller-retour par jour, contraignant les employés qui en bénéficient, à s’astreindre à des horaires réguliers. • Les trains de banlieue. Vétustes mais efficaces, ils amènent et emportent du centre d’Istanbul vers la périphérie plus de 100 000 personnes par jour. • Le métro. Il existe actuellement deux lignes de métro à Istanbul qui transportent 120 000 personnes. Ces lignes ne sont pas transcontinentales (rive européenne - rive asiatique), ni même trans-Corne d’Or, ce qui explique en partie le chiffre restreint de passagers transportés. • Le tramway. La construction du tramway entre Eminönü et Zeytinburnu s’est avérée être un véritable succès, et le prolongement de la ligne est prévu pour l’horizon 2000 vers l’aéroport. 100 000 personnes en bénéficient quotidiennement. Par ailleurs, depuis 4 ans, on a remis en fonction le vieux tram des années 30 sur la rue commerçante d’Istiklâl Caddesi. • Le bateau. Utilisé majoritairement pour passer d’une rive à l’autre de la ville, mais également pour longer les côtes, le bateau doit se frayer un chemin entre les centaines d’embarcations et les super pétroliers qui jonchent le Bosphore. Les transports maritimes sont inopérants dans des conditions météorologiques difficiles et de nuit. • Le dolmus et les minibus. Littéralement « qui ne part que lorsqu’il est plein », le dolmus n’est rien d’autre qu’un taxi collectif, qui rejoint les places et quartiers stratégiques d’Istanbul. Pour un coût relativement modeste, les dolmus assurent le transport quotidien de plus de 50 000 personnes. Mais comme les voitures, bus et minibus, les dolmus sont largement tributaires des transports routiers et de la circulation urbaine. Les autorités municipales d’Istanbul ont décidé, dans le plan d’aménagement de la ville pour le XXIème siècle, de privilégier le transport en commun par rail, et ce pour de multiples raisons: 1 Endiguer le fléau automobile s’avère une tâche irréalisable dans un laps de temps raisonnable, et le rail devrait assurer, dans la mesure où il est souterrain ou en surface sur des espaces réservés, une rapidité et une ponctualité du déplacement. 2. Le rail, qu’il soit métro ou tramway, devrait faire diminuer les nuisances sonores des grands axes routiers de la ville, qui ont été, depuis 10 ans, investis par des bureaux en remplacement des habitations, les occupants ayant préféré fuir le bruit infernal des moteurs et des klaxons urbains. 3. Le développement du réseau ferré devrait contribuer à abaisser l’indice de pollution, qui est à Istanbul, l’un des plus élevés du monde. Les causes en sont multiples : chauffage au charbon, au bois, et manque de contrôle anti-pollution des véhicules, qui sont, dans bien des cas, des cheminées roulantes. 4. Une nouvelle ligne de métro sera opérationnelle entre Levent et Taksim, sur une distance de 8 km, ce qui devrait désengorger l’avenue qui mène de la place Taksim à Mecediyeköy, quartier d’affaires et de bureaux. 81 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE LOGEMENT SOCIAL Les efforts en matière de logement ont été dépassés par la croissance urbaine démesurée qu’a vécue Istanbul depuis le milieu du XXième siècle. Les programmes d’aide au logement qui ont été mis en place à cette époque étaient trop sélectifs et entraînaient l’exclusion des groupes sociaux les plus démunis. Les programmes de politiques publiques se sont donc surtout reposé sur le secteur privé et le crédit. Mais le secteur privé n’investit exclusivement que dans des logements de luxe - plus rentables -et ne se diversifie que marginalement vers des logements accessibles à une population plus modeste. Par ailleurs, il n’existe pas, en Turquie, de système de logements sociaux. La majorité de la population n’ayant pas non plus accès au crédit bancaire classique, le gouvernement a mis en place un organisme financier spécialisé, la Housing Development Administration qui distribue des prêts à un taux bonifié. Un million de logements a pu être acquis par son intermédiaire depuis sa création, en 1984. Mais l’un des problèmes les plus importants découlant de l’urbanisation rapide du pays est celui de fournir des logements adéquats aux migrants des zones rurales. L’exode rural amène chaque année 500 000 nouveaux habitants vers la ville. Tous les ans, près de 1000 nouvelles rues sont créées et des quartiers surgissent d’est en ouest. Du fait de l’absence de système de logements sociaux en Turquie, cette population migrante s’est progressivement installée en périphérie de la ville dans des logements de fortune où ils s’entassent dans l’espoir de trouver un travail. Ces bidonvilles ou « gecekondus » sont apparus, au cours des années 50, avec les premières occupations massives illégales de terrains publics ou privés à proximité des zones industrielles. Au départ solutions individuelles en l’absence de logements accessibles aux ménages aux faibles revenus, ces invasions ont évolué vers un marché de terrains et de matériaux de constructions. Peu à peu, les immeubles en hauteur ont remplacé les maisons basses, donnant pour un temps un paysage urbain très hétéroclite. Le souci de valoriser au maximum l’espace disponible conduit à construire de façon très dense, en laissant des intervalles très étroits entre les immeubles, créant parfois des conditions de promiscuité peu en harmonie avec les principes de l’habitat traditionnel. Ainsi, les quartiers les plus anciens de gecekondu ont aujourd’hui évolué vers des ensembles densément urbanisés totalement intégrés au reste de la ville. Cependant, ces quartiers bâtis n’ont aucune reconnaissance administrative et il n’en existe pas de carte officielle. On estime aujourd’hui qu’entre 2 et 4 millions de Stambouliotes 82 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE vivent en gecekondu. Et leur nombre serait en augmentation de plus de 10% par an. La genèse de ces habitations illégales reproduit un schéma relativement constant. Les migrants sont tout d’abord logés chez des parents en quartiers périphériques auto construits ou louent des hébergements en centre-ville. Plus tard, ils choisissent un site définitif d’auto-construction lié à la proximité du lieu de travail ou à la présence de parents ou de personnes de leur communauté d’origine, mais aussi lié à l’existence d’un «marché immobilier de l’auto-construction». Ce marché immobilier plutôt «mafieux» est composé de personnes servant d’écran à de grandes entreprises, hommes politiques ou encore businessmen. Ces personnes choisissent des terrains selon la présence d’infrastructure routière, la proximité d’un centre-ville, et les vendent sous forme de lots ruraux (sans aucun droit) en copropriété aux candidats à l’auto construction. Pour trouver ces candidats, les « personnes écrans » se servent de leurs réseaux de compatriotes. Les migrants se regroupent donc indirectement par grappes d’origine commune. Ces hommes fondateurs règlent les conflits entre acquéreurs, et évitent les doubles ventes pour instaurer un climat de confiance (et pour s’assurer la venue de nouveaux compatriotes). Ils sont également intermédiaires entre les acquéreurs et les autorités et peuvent même se transformer en leaders politiques pour la légalisation des quartiers. Une fois légalisée, la valeur des terrains augmente et, avec le droit de construire, la hauteur des habitats augmente également (on parle alors d’apartkondus) dans un objectif de recherche de plus-value. La surface utile d’un gecekondutype est estimée à 25-30 m2, l’habitat est constitué de deux chambres sans cuisine ni salle de bain (à la manière des maisons rurales traditionnelles turques, lesquelles ont par contre une surface utile moyenne de 50-60 m2). L’accès à ces «bidonvilles» s’établit de la façon suivante: la route principale se détache des voies desservant différentes parties du quartier, supportant elles-même des voies supplémentaires. On peut dire que les voies «s’organisent» en un système arborescent. À ce système s’ajoutent les dizaines de chemins de traverse tracés par les passages et desservant l’intérieur des « îlots ». Une faible partie de la voirie possède un revêtement. La plupart sont des routes de terre, poussiéreuses en temps sec, et boueuses par temps humide. De nombreuses maisons ne sont pas desservies par de telles voies et ne sont accessibles qu’à pied. Cependant, les quartiers sont desservis par quelques lignes de bus généralement situés du côté des zones industrielles. Ils sont ainsi reliés au centre-ville d’Istanbul et aux agglomérations proches. L’éclairage public est inexistant. Il est essentiellement fourni par les habitants. Les maisons et immeubles des gecekondus et plus spécifiquement d’Ayazma ne sont pas desservis en eau courante. Deux fontaines alimentent le quartier en eau non potable. En revanche, l’eau potable est distribuée gratuitement deux fois par mois par les camions citernes de l’Administration des Eaux et des Canalisations d’Istanbul (ISKI). L’évacuation eaux usées se fait directement dans la nature ou par fosses septiques. De nombreux espaces sont investis de déchets ménagers. Le manque d’infrastructures et l’état sanitaire de ces quartiers traduisent un constat alarmant. Paradoxalement, l’activité commerciale s’y développe très vigoureusement. Les avenues sont bordées par des rangées continues de magasins, avec même quelques petites galeries commerçantes. L UTTE CONTRE MAJEURS LES RISQUES Istanbul est situé dans une région d’Europe particulièrement exposée aux risques sismiques. Le dernier gros tremblement de terre enregistré à Bucarest, en 1977, avait fait 1 650 morts et environ 10 000 blessés. En 1963, celui de Skopje avait fait 1 066 morts et détruit une grande partie de la ville. En 1999, deux séismes en Turquie ont fait près de 20 000 morts et coûté au pays un dixième de son produit intérieur brut. Les scientifiques estiment à 60-70% le risque qu’Istanbul soit frappé par un tremblement de terre majeur dans les 30 prochaines années. Avec une population nettement supérieure à dix millions d’habitants, un tel événement pourrait être catastrophique, jusqu’à 30% des quelque 900 000 bâtiments de la ville risquant de s’effondrer entièrement. Des dispositions légales très strictes existent en matière de prévention mais qui ne sont pas appliquées. En Turquie, l’assurance habitation est obligatoire depuis 1992, mais elle ne s’applique qu’aux nouveaux propriétaires. Un projet de loi gouvernemental qui visait à rendre les entrepreneurs responsables de la qualité des constructions a été rejeté par la Cour Suprême. Par ailleurs, architectes et ingénieurs peuvent exercer leur profession sans posséder la moindre notion de construction antisismique. Des solutions existent pourtant, mais se heurtent à des problèmes financiers qui ont fait reculer tous les gouvernements. S’agissant des bâtiments existants et vulnérables, la meilleure formule consisterait à renforcer les structures porteuses de manière à les rendre résistantes aux séismes. Mais, étant donné le coût prohibitif de telles interventions, il n’y a guère de chances que la totalité des immeubles d’Istanbul puissent en bénéficier. À défaut, on pourrait imaginer de consolider au moins les bâtiments vitaux en cas de catastrophe (écoles et hôpitaux, notamment). La simple évaluation des besoins dans ce domaine coûterait environ 3 dollars par mètre carré. La mise en conformité des immeubles en copropriété est beaucoup plus compliquée. Il faut, tout d’abord, obtenir l’accord de la totalité des copropriétaires. Et, même si cette unanimité est acquise, il est difficile de réunir les financements et d’assurer le relogement provisoire des occupants pendant la durée des travaux. La durée de vie moyenne des constructions en Turquie étant de 50 ans, une solution plus radicale consisterait à éliminer systématiquement les habitations non conformes aux normes une fois ce délai échu. On observe néanmoins quelques signes encourageants dans ce domaine. De nouveaux centres de gestion des crises ont été établis en Turquie. Les nouveaux plans d’Istanbul signalent des itinéraires de dérivation pour les véhicules d’urgence, des espaces pouvant accueillir jusqu’à un million de tentes et même des lieux de sépulture d’urgence. Des plans de préparation aux catastrophes ont été dressés -, mais un récent exercice de simulation a effrayé tous les participants. 83 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Tel-Aviv PRÉSENTATION DE LA VILLE Au début du XXe siècle, Tel-Aviv était une banlieue verte, satellite de la ville voisine. Elle s’est épanouie rapidement en une grande ville florissante au rythme des arrivées des vagues d’immigrants juifs qui fuyaient l’antisémitisme d’Europe, d’abord de Russie, puis de Pologne et de l’Allemagne nazie. Dans les années 1930, Tel-Aviv, devenue une grande ville juive, faisait concurrence à Jérusalem. Alors que cette dernière symbolisait l’histoire juive dans tout son éclat, TelAviv représentait la promesse d’un avenir de prospérité. Dans les années 1950, Tel-Aviv rejoignit Jaffa, l’ancienne ville portuaire située au sud, par laquelle le roi Salomon importait des cèdres du Liban pour construire le Temple et d’où le prophète Jonas embarqua pour son funeste voyage. Aujourd’hui, avec près de 400 000 habitants, Tel-Aviv Jaffa n’est que le noyau d’une vaste conurbation de plus de 2,5 millions d’habitants, s’étendant sur 14 km le long de la côte méditerranéenne de Richon LeZion au sud à Herzlia et Kfar Saba au nord. C’est à Tel-Aviv que se situent l’immense majorité des ambassades des pays étrangers, Jérusalem n’étant pas reconnue internationalement comme capitale du pays. La ville blanche de Tel-Aviv est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est, aujourd’hui, une ville entreprenante où les tours commerciales sont de plus en plus nombreuses. La ville s’enorgueillit également de sa culture : elle possède des orchestres parmi les meilleurs du monde, des troupes de danse, un opéra, un théâtre ainsi que des musées et des galeries d’art. Tel-Aviv attire, pour cette raison, chaque année des centaines de milliers de touristes, mais elle s’est dernièrement taillée une réputation pour ses industries de pointe. Les grandes sociétés de capital-risque et les infrastructures financières ainsi que les sièges sociaux des principales entreprises de technologie de pointe sont localisés principalement dans la région de Tel-Aviv. Le magazine Newsweek a récemment classé Tel-Aviv Yafo parmi les dix premières villes aux technologies de pointe du monde. Newsweek a également cité Tel-Aviv comme l’une des dix premières villes du monde vers lesquelles les jeunes émigrent. Le modèle new-yorkais est présent dans tous les esprits. En particulier ceux qui sont aux commandes du plan stratégique dont les travaux ont démarré en 2002 et qui vise à faire de Tel-Aviv la « Big Apple » du Moyen- Orient. À preuve le modèle proposé d’un urbanisme vertical qui permettrait de dégager une ligne d’horizon faite de silhouettes de gratte-ciels semblables à celles qui se dessinent lorsque l’on approche de la grande ville américaine. Cette ambition doit être cependant tempérée par les nombreux problèmes que rencontre la ville dont certains sont liés à la crise économique que connaît le pays depuis plusieurs années et d’autres plus spécifiques à la ville elle -même. ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE La décentralisation en Israël date de 1971, année qui marque la promulgation de la loi relative au conseil municipal qui régit les collectivités locales israéliennes et définit leurs compétences et les modalités d’élections. C’est à la fin des années 70 que les premières élections locales se sont déroulées ; elles confèrent un mandat de 5 ans aux maires et présidents des « local councils » et « regional councils ». Ces trois entités locales ne représentent qu’un seul niveau de collectivités locales dont les compétences sont identiques et portent sur les services publics de proximité : développement urbain, eau, environnement, sécurité, éducation. Tel-Aviv est administrée par un conseil municipal élu à la proportionnelle et qui élit en son sein un Maire choisi en fonction des rapports de force politiques qui se dégagent du processus électif. La ville dispose, en principe de pouvoirs étendus en particulier sur les services publics urbains. Mais comme c’est souvent le cas en Israël, ces pouvoirs sont souvent interprétés de façon restrictive par le gouvernement central. Des coopérations existent déjà avec les autres communes de l’aire métropolitaine en particulier dans le domaine éducatif ou celui de l’assainissement. La ville, qui dispose déjà de pouvoirs étendus, souhaite obtenir une plus grande autonomie dans la gestion municipale, et en particulier une plus grande autonomie financière en matière de fiscalité locale, d’endettement ou 85 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE de participation de la ville à des opérations de privatisation de certains services publics sous forme de BOT6. Elle souhaite également une plus grande liberté d’action en matière d’environnement, d’infrastructure et de transport. À l’inverse, la création d’une entité administrative et politique englobant l’ensemble des communes de l’aire métropolitaine de Tel-Aviv ne semble pas être à l’ordre du jour. La ville souhaite, par contre, le renforcement de la coopération avec les communes environnantes en matière économique et environnementale. Elle propose également d’engager des discussions sur la création d’une autorité unique en matière de transport (Metropolitan Transport Authority). EAU ET ASSAINISSEMENT Israël est confronté, comme ses voisins, à un problème crucial de manque d’eau et de détérioration de la qualité des ressources. Leur utilisation maximale et l’augmentation prévisible à long terme des besoins ont conduit le gouvernement central à multiplier les initiatives visant un accroissement rapide des ressources disponibles. Les sources d’eau en Israël sont limitées tant par le climat du pays que par sa géographie et son hydrologie. D’autres facteurs tels que le faible relief et la rareté des réservoirs naturels contribuent à accentuer la complexité de l’approvisionnement en eau. Les deux tiers du potentiel annuel en eau potable proviennent de trois principaux réservoirs : • le lac de Tibériade, seule réserve en surface (1/4 des ressources), • et les deux principales nappes phréatiques, la nappe côtière qui s’étend sur 120 kilomètres, du Carmel jusqu’à la bande de Gaza et la nappe montagneuse qui se situe à l’est de la plaine côtière • et s’étend des Monts Carmel au sud de Beersheva (1/5 des ressources chacune). Les sources naturelles, spécialement dans le nord du pays, sont la troisième ressource principale d’eau potable. Les ressources naturelles sont de 1 750 millions m3 en moyenne par an, auxquels s’ajoute le recyclage des eaux usées (environ 300 millions m3), et le traitement des eaux de pluies et saumâtres (environ 150 millions m3). Elle est juste suffisante pour satisfaire une demande estimée à 2 000 millions de m3. Et la consommation devrait continuer d’augmenter en raison de l’arrivée massive de nouveaux immigrants, de la croissance naturelle de la population et de l’accroissement du niveau de vie. 6 Build-Operate-Transfer. 86 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Les niveaux des eaux de toutes les ressources d’eau douce du pays sont très souvent bien en dessous des « lignes rouges ». Ces limites, fixées par le Commissariat à l’eau, déterminent les niveaux minima en dessous desquels il existe un risque de forte détérioration. Cependant, la pluviométrie atypique des hivers 2002 et 2003 a eu un impact positif sur ces limites. Ainsi, les « lignes rouges » du lac Kinneret ont été rehaussées de 11 centimètres. Les nappes phréatiques trop peu renouvelées sont menacées. La proximité de l’aquifère côtier des zones les plus peuplées en fait la nappe la plus exploitée mais aussi la plus polluée. La pollution de l’eau est notamment très importante dans la région de Dan (zone métropolitaine de Tel-Aviv), qui se fournit essentiellement dans cette nappe. Outre le taux de salinité important, les principaux polluants sont les nitrates, divers micro-organismes, les détergents, et le chrome. Par ailleurs, les plus grands dangers pour la nappe intérieure sont l’augmentation de la salinité due à la surexploitation et l’absence de traitement des déchets. Sous le contrôle des ministères compétents, la municipalité de Tel-Aviv est responsable du traitement et de la distribution de l’eau à l’intérieur de la ville, ainsi que de l’évacuation et du traitement des eaux usées. La municipalité peut également recourir à des sociétés privées pour le traitement de l’eau. La région («district») facilite simplement la coordination administrative entre les deux échelons précédents, mais les municipalités se regroupent de plus en plus en «association de villes» afin de coordonner leurs efforts. L’eau de Tel-Aviv provient de la Conduite nationale, qui puise l’eau potable dans le lac de Tibériade, au lieu dit « Site Sapir ». L’eau parcourt alors environ 120 kilomètres jusqu’à Tel-Aviv. La production d’eau potable, sa distribution et le traitement des eaux usées sont confiés à l’entreprise nationale Mekorot. La réforme dans le secteur de l’eau a conduit à une réorganisation importante de l’entreprise en 2004. Une nouvelle société holding a été créée : Mekorot Holding, entièrement contrôlée par l’Etat. Cette holding gère trois filiales, Mekorot Water Supply en charge du conduit national d’eau, Mekorot Water Solution qui assure le développement des projets, notamment le dessalement de l’eau, l’irrigation et le traitement des eaux polluées, et Mekorot Assets qui est en charge de la gestion des actifs de l’entreprise. Mekorot assure 65% de la production et du transport de l’eau en Israël, le reste l’étant par des collectivités agricoles et certaines municipalités. Elle a construit la Conduite Nationale d’Eau, l’un des plus importants projets d’infrastructure en Israël (130 km de canalisations, tunnels et réservoirs) qui permet de conduire l’eau du lac de Tibériade, vers le Centre et le Sud. Sa capacité moyenne est de400 millions de m3 par an. Mekorot surveille la qualité de l’eau et traite les eaux usées en dehors des villes. Malheureusement le manque d’eau affecte l’agriculture et l’industrie, et trouver des solutions reste une priorité majeure. De nombreux projets ont été étudiés pour résoudre le problème. Un projet suggérait par exemple d’importer de l’eau de Turquie, qui en a en abondance, mais il n’a pas abouti. Les solutions qui sont actuellement mises en œuvre sont le recyclage des eaux usées et la désalinisation de l’eau de mer. À Tel-Aviv, la pénurie en eau est particulièrement ressentie. C’est aussi l’une des régions où la réutilisation agricole des effluents urbains est la plus pratiquée. Environ 20% des eaux usées de Tel-Aviv et des municipalités voisines sont infiltrées et rechargent les nappes souterraines. La réglementation y est très stricte et inspirée du modèle californien. Ce projet concerne 1,3 million de personnes. La méthode de recharge des eaux souterraines, développée et pratiquée avec succès dans le projet est apparentée à un traitement par infiltration dans le sol qui permet une purification de l’eau et conduit à un stockage saisonnier et pluriannuel. Les principaux procédés de purification qui ont lieu dans le système d’infiltration sont : la filtration lente sur sable, l’absorption, l’échange d’ions, la dégradation biologique, la précipitation chimique, la nitrification, la dénitrification et la désinfection. L’excellente qualité de l’eau traitée obtenue convient à de nombreux usages tels que l’irrigation agricole de produits consommés crus, les utilisations industrielles, ou encore les utilisations municipales (alimentation des chasses d’eau, arrosage des pelouses). Actuellement, 70% du volume total des eaux usagées produites en Israël (400 millions de m3) sont traités. La plupart des habitants de Tel-Aviv sont connectés à un réseau d’assainissement. Mais celui-ci est ancien et demande à être rénové. La principale station d’épuration de Tel-Aviv est située à Shifdan. Mais cette station, qui traite également l’ensemble des eaux usées de la région de Dan (incluant Tel-Aviv) a, pendant 20 ans, déversé prés de 15 000 m3 de résidus organiques et toxiques par jour dans la Méditerranée. Et ceci en dépit des engagements pris au plan international (Convention de Barcelone). Cette pratique a été interdite par le Ministère de l’Environnement fin 2004. L’orientation actuelle est de mettre en œuvre les techniques de séparation et de compostage qui sont appliquées dans d’autres grandes villes israéliennes. Les contrôles effectués par le ministère de la Santé sur des plages révèlent régulièrement des quantités quatre fois plus élevées que la norme permise de bacilles coliformes, premier polluant organique de l’eau. Et de nombreuses industries particulièrement polluantes continuent de déverser leurs déchets chimiques dans la mer. Le distributeur d’eau israélien Mekorot a prévu d’investir 600 millions de dollars entre 2003 et 2005. 40% de cet investissement concernera l’assainissement d’eau dans l’agglomération de Tel-Aviv. Les 60% restants concerneront le raccordement de 5 usines de désalinisation au réseau d’eau, la construction de nouveaux réservoirs et l’installation de pompes. En Israël, la politique de gestion de l’eau est conduite au niveau national, même s’il incombe aux municipalités d’en assurer la distribution. Le programme national, initialement prévu pour surmonter en 10 ans l’insuffisance à venir des ressources, ainsi que pour renflouer les aquifères surexploités, a été repensé pour privilégier dans l’immédiat, de grandes unités de dessalement. Le gouvernement israélien a décidé la mise en place de2 usines de dessalement d’eau de mer, l’une à Ashkelon (capacité 120 millions m3) la seconde à Hadera (capacité 100 millions m3), en faisant appel notamment à l’investissement privé. En 2002, Veolia Water et ses 2 partenaires israéliens, Israël Desalination Engineering et Dankner, ont remporté le contrat BOT de l’usine de dessalement d’Ashkelon, situé au sud de Tel-Aviv. Avec une capacité de 320 000 m3 par jour, cette usine est l’une des références les plus importantes au monde dans le domaine du dessalement d’eau de mer par osmose inverse. Le contrat, d’une durée de 25 ans, porte sur le financement, la construction et l’exploitation de l’usine. L’usine sera livrée fin 2005 en deux tranches successives d’une capacité de 50 millions de m3 chacune. L’eau de mer alimentant l’usine sera fournie par des canalisations posées en fond de mer. Ce sont 1,4 million d’habitants qui seront desservis. Le contrat prévoit d’importantes économies d’échelle grâce à une meilleure maîtrise du coût de production de l’eau par dessalement, via le process d’osmose inverse développé par Veolia Water. L’investissement est d’environ 110 millions d’euros et l’ensemble représente un chiffre d’affaires de800 millions d’euros sur 25 ans. L’eau produite, selon les prévisions établies, coûtera quelque 0,52dollar le mètre3, soit à peine plus cher que le prix habituel, qui est actuellement d’environ 0,45 dollar le mètre3. Une fois l’usine achevée, la production couvrira environ 14% des besoins en eau israéliens. Plusieurs appels d’offres devraient être lancés pour développer des capacités de 87 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE production de dessalement d’eau de mer et de traitement de l’eau saumâtre encore plus importantes. D’autres opportunités de développement de la ressource continueront également d’être exploitées comme le traitement des eaux polluées des nappes phréatiques, la réhabilitation des puits pollués, le traitement des effluents de même que l’assainissement des canalisations et la centralisation des réseaux d’égouts. On comprend également que dans la situation politique que connaît Israël, la question de l’eau rejoigne les questions de sécurité nationale. À titre d’exemple Tel-Aviv a connu une grave menace en 2001 où une pollution à l’ammoniaque d’origine suspecte a conduit à l’interdiction totale de consommer l’eau sous quelque forme que ce soit. Cette pollution, dont on ne sait toujours pas aujourd’hui si elle est d’origine criminelle ou accidentelle, a été rendue possible par les branchements illégaux qui sont légions sur l’ensemble du réseau de distribution. Aujourd’hui des mesures sont prises pour sécuriser un réseau qui pourrait être une cible potentielle d’attaque terroriste envers les populations israéliennes. Cette situation explique donc également les difficultés de trouver des informations précises sur l’organisation du système d’approvisionnement en eau de la capitale d’Israël. C OLLECTE DÉCHETS ET TRAITEMENT DES La production de déchets à Tel-Aviv est l’une des plus élevées du pays. La moyenne israélienne est de 1.6 kg de déchets par jour et par personne, mais dans la ville de Savion proche de Tel-Aviv, il est produit près de 4,6 kg par personne et par jour. À Tel-Aviv, même si la production de déchets est passée de 3,27 Kg a 2,75 Kg, on est encore bien au-dessus des moyennes nationales. Jusqu’en 1998, les déchets de Tel-Aviv étaient déposés dans la déchetterie d’Hiriya à l’est de la ville, dans un espace ouvert à la confluence de la rivière Shappirimm (vers le sud) et de la rivière Ayalon (vers le nord). Cette déchetterie a été utilisée comme dépôt des déchets solides municipaux par l’agglomération de Tel-Aviv pendant quatre décennies, jusqu’à former une montagne de déchets industriels et de déchets de matériaux de constructions. La montagne s’est élevée dans des proportions impressionnantes couvrant de nombreux hectares et atteignant une hauteur de 60 m surplombant ainsi les paysages agricoles alentours. 88 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE La décharge fut finalement fermée, durant l’année 1998, suite aux années de pression de l’opinion publique, à cause des oiseaux qui utilisaient l’endroit pour nicher et se reproduire, et causaient des dangers pour les avions désireux de se poser à l’aéroport de Ben-Gurion, dont les pistes se situent dans l’axe de la décharge. La fermeture de ce site jusqu’alors très exploitée par l’agglomération de Tel-Aviv a posé un certain nombre de problèmes dans la gestion du stockage des déchets solides municipaux. Aujourd’hui, le site d’Hiriya, l’un des dix sites contrôlés, n’est plus utilisé que comme station de transfert des déchets en partance pour Ganey Hadas, dans le sud du pays. Un projet a été envisagé visant à «exporter» les déchets domestiques accumulés aux portes de Tel-Aviv en Cisjordanie (voir encadré). Le caractère exigu du territoire israélien a conduit le gouvernement à encourager le recyclage et l’élimination des décharges qui, même contrôlées, créent de multiples nuisances pour l’environnement. Plus de 20% des déchets sont actuellement recyclés. Le gouvernement encourage également le développement de nouvelles technologies pour un traitement écologique des déchets. Le projet ORMA financé par l’UE s’est concentré sur l’application des principes du parc éco-industriel (EIP - Eco Industrial Park) dans le contexte des zones rurales à faible activité industrielle. L’un des principaux aspects du projet était la gestion des déchets et le cycle des déchets en général. Le but était de parvenir à une méthode écologique de gestion des déchets, susceptible en outre de générer des sous-produits intéressants. Un procédé a été développé qui repose sur une série d’étapes de séparation et de filtration, en plus d’utiliser les propriétés de biodégradation de l’eau. Cette technologie permet de transformer les matériaux de rebut en matériaux recyclables (le plastique et le verre, par exemple), en énergie dérivée du biogaz, en gaz naturel et en engrais. Projet de transfert des déchets de Tel-Aviv en Cisjordanie Un article du quotidien israélien Haaretz, daté d’avril 2005, fait état d’un projet des sociétés israéliennes de traitement des déchets visant à « exporter » les déchets domestiques de Tel-Aviv en Cisjordanie. Ces déchets, qui constituent une montagne aussi « artificielle qu’inesthétique » aux portes de Tel-Aviv, pourraient servir à boucher les carrières de pierre creusées par Israël dans les territoires occupés. Le plan élaboré par des compagnies privées viserait à déposer les ordures dans une carrière à proximité de Naplouse. Toujours d’après ce quotidien, ce projet violerait les traités internationaux interdisant que la puissance occupante fasse une quelconque utilisation d’un territoire occupé, sauf si cette utilisation bénéficie à la population locale. Les experts en pollution craignent que les déchets accumulés ne menacent les sources d’eau potable en Palestine. Haaretz a appris que, bien que le ministre de l’Environnement n’ait pas encore approuvé le projet de dépôt, et bien que l’administration civile ait donné l’ordre de stopper les travaux, les bulldozers étaient toujours en train de travailler sur le site. TRANSPORTS PUBLICS L’un des plus gros problèmes auxquels les habitants de Tel-Aviv doivent faire face est celui du transport. La forte concentration des activités au centre de la ville crée des problèmes permanents de congestion du trafic, avec son cortège de problèmes liés à la pollution de l’air et du bruit. Ce problème n’est pas propre à Tel-Aviv et affecte également les autres grandes villes du pays, dont Jérusalem. Le gouvernement israélien et les municipalités concernées se sont lancés dans les projets de transport en site propre réalisés en BOT. Le type de contrat qui est proposé aux concessionnaires privés élimine le risque lié à la demande, l’enchère ne portant pas sur le péage. En fait l’autorité concédante choisit un plafond de péage. L’entreprise moins disante, la gagnante de l’enchère, est celle qui demande la valeur actualisée des péages la plus faible. Et il est prévu que la concession s’arrête lorsque cette valeur est atteinte. La durée de la concession s’ajuste donc à la réalisation des péages. Le projet tramway de Tel-Aviv, autrement dit Red Line, est constitué de deux lignes de 22 et 24 km, avec 8 km de tunnels, dans l’agglomération du grand Tel-Aviv, de Petah Tikvah à Bat Yam en passant par le quartier des affaires de Tel-Aviv. Seule la première ligne est actuellement envisagée. Le projet est évalué à 1,2 MUS$ et les travaux pourraient débuter en 2006 pour une mise en service programmée en 2009. Ce projet est d’autant plus attendu par la population que la pollution de l’air atteint des niveaux très élevés du fait du développement rapide du trafic automobile. En décembre 2000, le niveau de pollution à Tel-Aviv était tellement élevé que les instruments de mesure n’ont pas pu enregistrer les informations. Ce problème n’est pas propre à Tel-Aviv ; il touche l’ensemble des villes israéliennes. Ainsi, la pollution de l’air a atteint un tel niveau à Jérusalem qu’il est prévu qu’en 2010 elle atteindra, si elle n’est pas enrayée, les niveaux enregistrés actuellement à Mexico. LOGEMENT SOCIAL La Ville de Tel-Aviv est une ville moderne, qui attire chaque jour de nouveaux arrivants. Cette cité enplein développement est cependant marquée et confrontée à de grandes disparités spatiales dues auxécarts de niveaux de vie entre certains habitants. Dans le nord de la ville, des gratte-ciels somptueux hébergent les populations aisées alors que les quartiers du sud abritent les classes moyennes et les bas revenus. Cependant, s’il n’existe pas vraiment de modèle de bidonville classique à Tel-Aviv, on observe un phénomène de squat contestataire dû à la précarisation des emplois et à la situation économique. En effet, beaucoup de chômeurs se rassemblent dans des quartiers riches et montent des campings a fin de protester. Un camping des chômeurs et des sans-logis s’est installé en 2002 dans l’un des quartiers les plusriches de la métropole : sur Kikar Medina (place de l’Etat), rebaptisée Kikar Halehem (place du pain).Ce campement a tenu un an avant d’être évacué récemment, en pleine nuit. Autre exemple de précarité, le cas de Lod située à quelques kilomètres de Tel-Aviv, qui compte 74 000 habitants, dont un quart sont les descendants des Arabes demeurés sur place en 1948 lors de la création d’Israël, ou des Bédouins chassés de leurs terres au sud du pays. Un mur de béton de 4 m de haut sépare Lod de la ville. Comme pour les cinq autres villes «mixtes» du pays, l’intention est de limiter le trafic de drogue, de séparer physiquement les Arabes des juifs de la ville. 89 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE UN AUTRE MUR CONSTRUIT AU CŒUR DE LA VILLE MIXTE DE LOD,EN BANLIEUE DE TEL-AVIV, A FAIT DU QUARTIER ARABE UN GHETTO La ville de Lod est l’une des plus pauvres du pays. La municipalité affiche un déficit de 40 millions d’euros. Un sondage récent montrait que 60 % des habitants juifs de la ville se disaient prêts à quitter Lod s’ils en avaient les moyens. La population juive, composée pour une bonne part d’immigrants russes et éthiopiens, subit de plein fouet la crise économique de ces dernières années. Par ricochet, la population arabe, traditionnellement plus démunie, se paupérise. Répartis dans cinq quartiers, dont la « vieille ville », démantibulée dans les années 1970 et 1980 par une politique d’urbanisation sauvage, les Arabes de Lod ressentent, davantage encore que les Arabes israéliens des autres villes mixtes, une discrimination soulignée par toutes les statistiques. Ce phénomène de ghettoïsation s’est renforcé, il y a quelques mois, avec le chantier du «mur de Lod» et s’est accéléré en mai, lorsque sont apparus, à l’entrée et à la sortie du quartier stigmatisé de Shanir, deux check-points. Depuis lors, trois policiers installés derrière une table sous un parasol surveillent 24 heures sur 24 les allées et venues des habitants. Ils contrôlent les papiers d’identité, exigent des automobilistes les raisons de leur visite sur place et relèvent le numéro d’immatriculation du véhicule. On est loin de la sophistication de la « clôture de sécurité » qui barre le passage entre Israël et la Cisjordanie, mais l’impression de quitter un monde pour un autre est la même. Car Shanir a beau abriter quelque 3 000 citoyens israéliens, l’endroit s’apparente davantage à une «réserve» qu’à un véritable quartier. Ici, depuis des années, les constructions ont poussé en toute illégalité, faute de terrains disponibles pour les Arabes. Régulièrement, des destructions sont ordonnées; en 2003, quinze maisons ont été rasées. Les services municipaux n’y procurent ni ramassage des ordures ni transports publics. À tous les coins de rue, des tas d’immondices brûlent à petit feu. Les habitants ont payé de leurs deniers l’asphalte de la seule route carrossable du quartier. Un labyrinthe de fils électriques apporte le courant d’on ne sait où. Des associations ont dû remuer ciel et terre pour que le chemin de terre, qui mène à l’unique crèche du quartier, soit recouvert de cailloux. Officiellement, le dispositif policier a été mis en place autour de ce quartier délabré pour lutter contre le 90 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE trafic de drogue, principale source de revenus pour nombre de jeunes au chômage. «Comme dans tous les quartiers défavorisés du monde, le trafic de drogue a fait florès ici», reconnaît Maha Al-Nakib. Pour appuyer ses dires, la jeune travailleuse sociale montre des flèches peintes en rouge et en vert sur les murs de Shanir : les «planques» des trafiquants. «Depuis l’installation des check-points, les vendeurs se sont installés dans un autre endroit de la ville, mais les problèmes demeurent. Ces quartiers ont besoin d’une vraie politique sociale; au lieu de cela, il leur manque des centres sociaux, des crèches, des écoles et des places dans l’unique lycée arabe de la ville». Il y a un an, une école a quand même été inaugurée dans l’un des quartiers arabes voisins de Shanir; un poste de police s’est installé dans les locaux initialement prévus pour la bibliothèque. Sollicité, le maire (Likoud) de la ville, n’a pas souhaité s’exprimer sur sa politique. Aref Mohareb, l’un des trois conseillers municipaux arabes sur les 19 que compte la ville, regrette, pour sa part, «l’abandon» dans lequel ses concitoyens arabes sont tenus. «D’année en année, la discrimination est de plus en plus patente, car à Lod la population arabe augmente et les juifs pensent que nous mettons la ville en danger. D’une manière ou d’une autre, ils souhaiteraient nous voir partir». Un projet de «rejudaïsation» de Lod, défendu, notamment, par des colons de Cisjordanie, prévoit de créer un quartier juif en plein cœur de la vieille ville, en y amenant 150 familles. » LE MONDE – 21 avril 2004 LUTTE CONTRE LES RISQUES MAJEURS Israël est, comme les Etats voisins, exposé à de nombreux risques naturels aux premiers rangs desquels le risque de pollution marine et le risque sismique. Le risque sanitaire existe également avec, en particulier le risque d’infection par le virus West Nile, également appelé virus du Nil occidental qui est une zoonose qui infecte l’homme accidentellement, essentiellement par piqûre de moustique infecté. Ces deux principaux types de risques sont décrits ciaprès. On a illustré les stratégies mises en place au niveau municipal en prenant l’exemple de la municipalité de Rishon LeZion qui fait partie de l’aire métropolitaine de Tel-Aviv. • Traitements par insecticide dans les cas de détection d’un nombre anormalement élevé de moustiques. • Campagne invitant le grand public à se protéger contre les piqûres de moustique et à informer la municipalité pour le cas où des symptômes ressemblant à ceux de la maladie surviendraient. Une «hot line» municipale est dédiée à cet effet. Le public est également invité à évacuer l’eau des toits et des abris et à se débarrasser des vieux pneus et autres récipients pouvant favoriser les concentrations de moustiques. Un budget de 40 000 euros par an est consacré à l’information et la sensibilisation du public. Risque sismique A la lumière d’événements récents, la municipalité de Rishon LeZion a décidé de tester le niveau de préparation de ses services et des services de l’Etat dans l’éventualité d’un tremblement de terre. La municipalité a également mis au point un plan de prévention concernant les normes applicables aux constructions nouvelles et une incitation au renforcement des structures existantes. Une enquête portant sur 1 000 bâtiments existants a ainsi été menée. Des exercices d’alerte ont également été organisés. Risque sanitaire Des actions de prévention et de sensibilisation ont été menées par la municipalité de Rishon LeZion pour empêcher la propagation de la fièvre occidentale du Nil. Cette fièvre est provoquée par un virus que l’on trouve sur les oiseaux et qui est transmis aux humains par des morsures de moustiques. Pour un nombre restreint de personnes infectées, particulièrement âgées ou malades chroniques, la fièvre peut conduire à des complications et au décès. Il n’existe, à ce jour, aucune vaccination ni aucun médicament spécifique pour traiter cette maladie. En 2000, la fièvre a causé 30 décès et 450 personnes gravement malades ont été recensées. En 2002,seulement 2 décès et 34 cas de maladie ont été enregistrés. La réduction des décès et des malades est due aux efforts déployés par le gouvernement et particulièrement par les autorités locales. La municipalité de Rishon LeZion déclenche tous les ans, après la saison des pluies, un plan de prévention afin de limiter le risque de propagation du virus : • Élimination de toutes les sources potentielles d’eau stagnante. • Surveillance hebdomadaire dans chaque source d’eau. 91 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Tunis PRÉSENTATION DE LA VILLE Fondée en 698 par Hassen Ibn Nooman, vainqueur des Byzantins, Tunis s’est substituée à Carthage. Dédaignant le site de Carthage exposé aux attaques par la mer, la ville fut fondée sur une colline. Située au fond d’une lagune de faible profondeur qui interdisait les attaques par la mer, et protégée à l’Ouest par des falaises difficilement accessibles, elle représentait un site défensif. La ville se développa sur le versant Est de la colline et ne fut instituée capitale que cinq siècles après Kairouan et Mahdia. Entourée par des remparts, Tunis a amorcé, à partir du XIe siècle, son développement au-delà de l’enceinte avec l’apparition des faubourgs Nord et Sud. Initialement simples noyaux, ces faubourgs prirent un caractère urbain au XIVe siècle. Avec l’installation du protectorat en 1881, Tunis, qui comptait 100 000 habitants fut dédoublée par une ville européenne organisée selon une trame orthogonale. Cette nouvelle expansion entraîna, vers les années 1920, un déplacement des fonctions urbaines de la Médina vers la ville coloniale. Cette marginalisation de la Médina, conjuguée à un fort exode rural, entraîna à partir des années 30 sa «taudification». Avec le rétablissement, en 1956, d’un Etat souverain, Tunis récupère, acquière ou développe d’importants pouvoirs de décision en matière politique, administratif, financière et économique. Au cours des vingt dernières années, l’agglomération de Tunis a connu un infléchissement de sa croissance urbaine, accompagné paradoxalement d’un étalement spatial important. La superficie urbanisée, qui atteint les 25 000 hectares, a une amplitude spatiale de 50 kilomètres du nord au sud, le Grand Tunis est situé dans l’épicentre d’une région à fort potentiel économique, où l’industrie, l’agriculture et le tourisme constituent des secteurs dynamiques. Outre ces fonctions économiques, le Grand Tunis est entouré par des villes moyennes qui jouent un rôle important à l’échelle de la région. Ainsi, à 60 kilomètres au nord et au sud, les villes de Bizerte, pôle industrialo-portuaire, et celles de Nabeul-Hammamet, pôles touristiques, sont articulées à la capitale par des infrastructures autoroutières. L’amplitude spatiale du Grand Tunis, qui compte aujourd’hui plus de 2 millions d’habitants, et une croissance de 1,9% a été à l’origine d’une nouvelle stratégie d’organisation visant à faire du Grand Tunis un espace métropolitain structuré. Le schéma directeur d’aménagement du Grand Tunis à l’horizon 2016, élaboré entre 1995 et 2000, a défini les principaux attributs de l’évolution du Grand Tunis, d’une agglomération à une métropole. Ce schéma directeur d’aménagement, en rappelant le rôle des villes dans le cadre de la mondialisation comme les têtes de ponts de vastes réseaux d’échanges, a privilégié le renforcement des services, des activités économiques et des fonctions culturelles en vue de doter Tunis d’attributs internationaux. ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE Le système politico-administratif tunisien est caractérisé par une forte centralisation et par la prégnance de pratiques administratives sectorielles. Le territoire tunisien est découpé en 24 gouvernorats et chaque gouvernorat est découpé en plusieurs délégations. Ce système de découpage couvre la totalité du territoire. Le Grand Tunis couvre les gouvernorats de Tunis, de l’Ariana, de Ben Arous et de Manouba. Les gouverneurs sont nommés par le président de la République. Aux côtés de l’exécutif, représenté par le Gouverneur, le Conseil Régional élabore le plan régional de développement, arrête le budget de fonctionnement et d’investissement du gouvernorat et veille à la gestion du patrimoine de la collectivité publique. Le gouverneur est responsable de l’exécution des décisions du Conseil Régional. Les conseils locaux de développement sont des organes consultatifs à la disposition du Conseil Régional. Ils sont composés des présidents des municipalités et de représentants de l’administration. Enfin, les conseils municipaux établissent le projet de plan d’aménagement urbain, votent le budget et fixent les actions à entreprendre en vue du développement de la collectivité, conformément au plan de développement 93 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE élaboré au niveau régional. Leurs marges de manœuvre sont très limitées. Les conseillers sont élus au scrutin de liste. Le conseil municipal de la ville de Tunis se compose de 60 membres dont 20 assistants élus par le conseil après sa prise de fonctions. Les maires sont élus parmi les conseillers municipaux à l’exception du Maire de Tunis qui est désigné par décret parmi les membres du Conseil municipal. Le Maire est, en particulier, responsable du fonctionnement des services publics municipaux. Ainsi, les communes sont placées, pour la plupart d’entre elles, sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et des Gouverneurs. Le faible rôle joué par les communes est illustré par leurs dépenses totales qui ne représentent que 4 à 5% des dépenses de l’Etat. Ainsi, la réalisation d’équipements socio-collectifs ou d’infrastructures est du ressort des établissements publics centraux dépendant de l’Etat. STRATÉGIE URBAINE En 1956, Tunis représentait une ville de 560 000 habitants, structurée autour de quatre types de tissus urbains : • La Médina, transformée en un quartier taudifié • La ville européenne devenue le centre directionnel • Les gourbivilles concentrés aux abords immédiats de l’espace central • Les cités de recasement situées dans l’espace périurbain. Au cours des 40 dernières années, les effets conjugués des politiques urbaines, notamment la politique du logement et l’amélioration du niveau de vie et des modes de consommation de la population, se sont traduits par une redistribution de la population qui a entraîné un dépeuplement du centre, et l’installation de la population dans les zones périphériques. Cette évolution marque, du point de vue spatial, le passage de Tunis du caractère de ville à celui d’une agglomération. Les besoins d’extension ont nécessité la mise en œuvre de vastes programmes urbains sous forme de nouveaux lotissements dont certains occupent de vastes superficies. C’est le cas des Berges du Lac Nord de Tunis dont le projet s’étale sur 1 300 ha dont 500 ha ont été gagnés sur la mer et dont les travaux ont commencé au début des années 1980, avec la participation de capitaux saoudiens. Le site et la nature du sol ont fait que la zone fut réservée aux couches 94 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE aisées. Les Berges Nord du Lac sont devenues, en l’espace d’une vingtaine d’années, un pôle central important abritant les activités les plus modernes et rivalisant avec le noyau central ancien attirant les marques internationales de couture, de parfumerie et de mode (Benetton, Chevignon, Celio, J. Dessange, Chicco, Infinitif,…) et les représentations internationales avec les ambassades de plusieurs pays. La réussite du projet des Berges Nord a poussé les autorités à l’aménagement des berges Sud du Lac de Tunis, considéré comme le projet du XXIe siècle, et qui mobilise plus de 150 millions de dinars (MD), avec dans sa première tranche, la Cité Sportive du 7 novembre qui englobe un parc de 1 000 logements et a déjà accueilli les Jeux Méditerranéens de Tunis en septembre 2001. Une dizaine d’années est programmée pour pouvoir mener à bien ce projet ambitieux avec toutefois un standing moindre que celui des Berges Nord du Lac. Outre ces deux projets, il faut signaler l’ensemble résidentiel d’EL Mourouj qui occupe tout le sud-ouest de la ville, sous forme de lotissements de l’Agence Foncière de l’Habitat (AFH), et destiné essentiellement aux couches moyennes sous forme de 6 quartiers (Mourouj I à VI) organisés autour de noyaux de centralités et présentant une occupation résidentielle pavillonnaire, jumelée et en hauteur à la fois. Cette zone d’El Mourouj constitue, de nos jours, l’un des grands ensembles résidentiels de la capitale quant à l’extension spatiale et la densité de la population. Deux autres projets plus récents complètent une restructuration urbaine qui vise à faire de Tunis le moteur d’une région métropolitaine, englobant les villes et les zones situées jusqu’à 60 kilomètres de la capitale. Il s’agit, d’une part, du projet d’aménagement de la zone de la petite Sicile et, d’autre part, du pont Radés la Goulette, décrits ci-après. La Petite Sicile Le Pont Radés la Goulette Le projet d’aménagement de la zone de la petite Sicile s’inscrit dans le cadre de développement de Tunis-Sud, avec le port de plaisance el le lac-Sud, et où il est question de créer un pôle commercial tertiaire et résidentiel de haut standing autour du port de Tunis et sur la presqu’île de Madagascar, devrait être à même d’étendre les activités du centre-ville au pôle sud. La petite Sicile se trouve depuis longtemps enclavée : au sud, la colline de sidi Belhassen et la voie ferrée du GP1 représentent des barrières physiques qui empêchent l’extension urbanistique. A l’est, le port de Tunis et la Z4 constituent une barrière qui piègent ce quartier, tandis qu’à l’ouest, cette zone se trouve obstruée par la gare des trains de marchandise et la voie ferrée. La construction du métro et le tracé des rails de l’avenu Farhat-Hached ont parachevé l’étranglement de ce quartier. Par ailleurs, de l’urbanisation spontanée de ce quartier résulte une morphologie sans âme et sans signe distinctifs. Avec l’exploitation de ce quartier, la ville de Tunis connaîtra, sans doute la troisième étape importante de sa construction. Une Ville fut fondée au XVIIIe siècle par les Hafsides, une deuxième étape, «à savoir la construction en 1860 de la ville européenne, et aujourd’hui c’est la troisième étape qui répond à des impératifs stratégiques utilitaires, mais aussi à son souci qui tend à ancrer davantage la ville dans le troisième millénaire et réconcilier Tunis avec la mer». En effet, la situation de ce quartier, exige un réaménagement lourd. Le nouveau quartier de la petite Sicile sera, par ailleurs, appelé à assurer un rôle de courroie de transmission entre la partie nord et la partie sud du Grand Tunis. Bien que la surface de la petite Sicile ne couvre réellement que 43 hectares, le projet concernera près de 80 hectares grâce à des réserves foncières importantes qui sont propriété de l’Etat, de la municipalité, de la SNCF, de la SNDP et de la STB. Il s’agit de l’ouvrage de franchissement du canal de navigation la Goulette, le bras de mer qui, de tout temps, a constitué une entrave au développement économique entre les deux banlieues. C’est l’un des plus importants projets d’infrastructures que connaît Tunis. La construction du pont Radés la Goulette, un nouveau fleuron urbanistique qui donnera une touche de modernité à la ville de Tunis. Beaucoup plus qu’un simple axe structurant qui reliera les rives nord et sud du « lac » de Tunis, ce projet est un complexe d’ouvrages et de routes d’une portée de 14,5 km, appelé non seulement à faciliter les communications entre les banlieues nord et sud, mais ce sera aussi le vecteur d’une synergie qui induira incontestablement une nouvelle dynamique économique, sociale et culturelle. Dès l’année 2007, une liaison directe sera établie, rapide et permanente entre Radés et la Goulette. L’expérience du bac a prouvé les limites de ce moyen de transport. En effet la desserte n’est assurée que de 5h 45 à 21h 45 et les deux bacs mis en service sur cette ligne ne transporte que 5 000 véhicules par jour, et ceux qui dépassent les 3,5 tonnes ne peuvent embarquer. Les bus et les camions sont ainsi astreints à faire un détour de 35 km. Ce pont est donc appelé à soulager les accès sud de la capitale, en l’occurrence la Z4, la pénétrante sud, le GP1, le viaduc de l’avenue de la République ainsi que la liaison Nord- Sud. Le projet comprend la construction de 2 000 mètres d’ouvrages d’art, y compris le pont principal d’une longueur de 260 m et 12,65 km de routes. Le tracé routier prend donc son origine à la MC33, au niveau de la cité Ennour à Radés, passe par la berges du lac Sud, à l’ouest du port de Radés, traverse le canal de navigation de Tunis, enjambe la ligne du métro Tunis -La Marssa, se poursuit derrière la centrale de la STEG de la Goulette, emprunte la digue du lac du nord et s’arrête au niveau de la foire du Kram, assurant ainsi la liaison avec la voie express La Marssa - Gammarth. Ce pont permettra également d’assurer la liaison rapide entre deux ports de commerce des plus importants, à savoir le port de la Goulette et celui de Radés, et de favoriser ainsi l’exploitation des ces deux pôles économiques. Le projet prévoit donc un pont d’une longueur 260 m, de 23,5 m de largeur, constitué de deux voies de 3,5 m chacune, d’une bande d’arrêt d’urgence de 2 m par sens et d’un terre-plein central de 2,5 m, pour abriter deux tours qui vont culminer à 43 m au-dessus de niveau de la mer. Le pont permettra de dégager une emprise navigable de 70 m pour permettre le passage 95 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE des bateaux sous le tablier plafonné à 20 m. Le port de Tunis, destiné à une fonction axée sur la plaisance, n’accueillera plus les grands navires. EAU ET ASSAINISSEMENT La Tunisie est un pays aride à semi-aride sur les trois quarts de son territoire. Elle se caractérise par la rareté de ses ressources en eau et par une variabilité accentuée du climat dans l’espace et dans le temps. L’eau est un facteur essentiel pour le développement du secteur agricole, industriel et touristique et vital pour l’alimentation en eau potable. Le maintien de la croissance économique reste tributaire du facteur eau, qui est cependant un facteur limitant et limité. Eau potable La région du Grand-Tunis est alimentée principalement à partir du canal des Eaux du Nord, du barrage de Kasseb et Beni Mtir et de deux retenues d’eau, à Mornaguia et Ghedir El Golla. Ces retenues constituent une réserve de 50 jours environ de consommation et assurent un appoint en cas de défaillance des adductions principales. Elles permettent également de réguler le taux de salinité de l’eau qui alimente le Grand-Tunis. Un programme de modernisation des conduites d’adduction et des réseaux de distribution d’eau est en cours. Ce programme inclut également l’instauration de systèmes de détection et de contrôle de fuites. Le taux de pertes est ainsi passé de 30% en 1990 à moins de 20% actuellement alors que, dans le même temps, le volume d’eau distribué est passé de 180 à près de 300 millions de m3. Le programme de réduction des pertes sur le réseau a été complété par une action auprès des usagers pour les aider à réduire leur consommation d’eau par des actions telles que l’amélioration des accessoires sanitaires (robinetterie, chasses d’eau), la sensibilisation des gros consommateurs (hôteliers, administration, usines, etc) ainsi que la mise en place d’une tarification progressive en fonction du volume consommé. Ces actions portant sur la maîtrise de la demande ont porté leur fruit. On a, en effet, constaté quelques années après, qu’une bonne partie des gros consommateurs (> 150 m3/trimestre) avait réduit leur consommation et quelquefois dans des proportions très importantes. 96 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Assainissement urbain Le service public d’assainissement était géré par la ville jusqu’en 1974, date à laquelle a été créé l’Office National de l’Assainissement (ONAS) chargé de gérer le secteur de l’assainissement hydrique au niveau national sur la base d’une prise en charge progressive des villes. Cette modification du cadre institutionnel est intervenue suite à des défaillances constatées antérieurement, dues à la multiplicité du nombre d’intervenants et à un manque de clarification des responsabilités entre les différents intervenants. Cette réforme a permis une simplification de la chaîne des responsabilités depuis la propreté et la salubrité des quartiers jusqu’au devenir ultime des eaux traitées. Le système y a, depuis, gagné en efficacité. Une nouvelle évolution du cadre institutionnel est en cours avec l’implication progressive du secteur privé dans les activités d’exploitation. En 1999 a été décidée l’entrée d’un opérateur privé dans les activités d’exploitation du réseau, jusque-là assurées exclusivement par l’ONAS. Cette première expérience pilote concernait la zone d’El Menzah qui fait partie de la ville de Tunis. Elle portait sur l’exploitation d’un réseau d’environ 180 km. Les évaluations ont été positives tant au niveau de la qualité de service qu’au niveau de l’efficacité économique. Cette expérience devrait donc être progressivement étendue. Le service d’assainissement affiche aujourd’hui un taux de desserte satisfaisant. Le taux de raccordement au réseau pour la ville de Tunis est de 96% environ. La partie centrale de la ville de Tunis est dotée d’un réseau unitaire muni de déversoirs d’orage vers le canal de ceinture en bordure du lac Nord. Les nouveaux quartiers et la périphérie sont dotés d’un réseau séparatif. Le Grand-Tunis est doté d’un système d’épuration comportant quatre stations : Cherguia, Choutrana, Côtière Nord et Sud Miliane. Deux nouvelles stations de traitement, la première à Sidi Jedidi et la deuxième à Ghedir El Golla, viendront renforcer la capacité de traitement dans la région pour la porter de 3,4m_/s à 6,8 m_/s, sécurisant cette région jusqu’à l’échéance 2030. L’un des problèmes chroniques qui continue à affecter l’environnement urbain est la maîtrise des écoulements par temps sec dans les oueds. C’est notamment le cas pour l’oued du bassin versant et qui se déverse dans sebkh Sijoumi. La basse ville de Tunis demeure, en effet, fragile visà-vis des inondations en raison de la topographie de la ville qui favorise la convergence des écoulements vers la zone basse. Avant les années 80, la ville était fréquemment inondée durant l’année car la situation était aggravée par l’insuffisance de capacité des ouvrages d’évacuation et de pompage. Des travaux importants ont été réalisés sur plusieurs années pour redimensionner l’infrastructure primaire, accroître la capacité de pompage et évacuer les eaux excédentaires en cas d’orage vers le canal de ceinture en bordure du Lac Nord. Le système mis en place doit continuer à faire l’objet d’une surveillance constante et d’une attention particulière au niveau des plans directeurs d’assainissement, en vue de le préserver et de le mettre à jour en cas de besoin. Réutilisation des eaux usées et traitées Avec la réalisation des stations d’épuration dans les diverses régions du pays, le volume des eaux épurées rejetées devient de plus en plus important. Ces eaux constituent actuellement des ressources non négligeables pour la création des périmètres irrigués. Les rejets des eaux usées des stations d’épuration dépassent 140 millions de m3/an et pourront atteindre 200 millions de m3/an en 2010. Cette eau de «seconde main» est toujours disponible indépendamment des saisons. Le recyclage de ces importantes quantités d’eau pour l’agriculture (culture fourragère et certaines cultures fruitières) est actuellement expérimentée. COLLECTE ET TRAITEMENT DES DÉCHETS La ville de Tunis produit quelque 600 tonnes de déchets par jour. La municipalité assure elle-même le service de collecte et de nettoiement de la voirie. Les déchets collectés sont acheminés vers la décharge contrôlée de Djebel Chekir, mise en place et gérée par l’ANPE. La Direction de la propreté a un effectif de plus de 2 000 personnes, soit environ le tiers de l’effectif municipal. Elle dispose d’un parc de matériel important et en bon état. La ville a initié une expérience de participation du secteur privé dans le service de collecte au niveau de l’arrondissement d’El Omrane pour une population de 47 000 habitants produisant environ 5% de la quantité totale de déchets municipaux. La délégation au privé est également envisagée pour un deuxième arrondissement (El Menzah), abritant une population de 50 000 habitants qui produit 20 000 tonnes de déchets. L’opération, pour laquelle un appel d’offres a été élaboré, n’a pas encore été concrétisée. Outre son implication dans le service de collecte, le secteur privé intervient également dans l’exploitation de la décharge de Djebel Chekir, moyennant un contrat de service de 5 ans. L’élimination des déchets solides s’inscrit dans le cadre du projet national de gestion des déchets solides (PRONAGDES). Le système d’élimination des déchets pour le Grand Tunis comprend une infrastructure de base, constituée par une décharge contrôlée située à Djebel Chekir et trois centres de transfert situés à Raoued, Djedaida et Ben Arous. L’unité de traitement de Djebel Chekir est conçue pour les déchets ménagers et assimilés. Elle couvre une superficie de 47 ha sur une réserve foncière totale de 123 ha et sa capacité est de 2 000 tonnes par jour soit environ 700 000 tonnes/an. La création de ce centre a permis de réduire le nombre des installations d’enfouissement à une seule et de fermer les décharges existantes de Henchir el Yahoudia et de Raoued. Parmi les autres performances environnementales du nouveau centre, on peut notamment citer : • Le contrôle systématique à l’entrée • Le dégazage • La fermeture progressive des casiers remplis et leur transformation en espaces verts. Malgré ses performances environnementales, le nouveau système d’élimination a des impacts négatifs liés aux effets induits sur la propreté de la voirie du transit des déchets vers la décharge. D’autres impacts liés aux émissions sont également ressentis mais non évalués à ce jour. La ville de Tunis paie environ 1,1 MDT par an pour la mise en décharge et a participé au financement de l’investissement à concurrence de 5 MDT. Outre le projet de la décharge contrôlée, deux projets nationaux intéressent la ville de Tunis et sont présentés ciaprès. Il s’agit du projet de collecte par apport volontaire et du projet de collecte sélective dans la zone d’El Khadra. Dans le cadre de la gestion du système Eco-lef, une expérience de collecte par apport volontaire (de type déchetterie) est en cours par l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement (ANPE) depuis 1998 dans le Grand Tunis. Les matériaux concernés sont les déchets d’emballages de plastiques Le lieu de dépôt des déchets collectés est le centre de tri. En outre, 150 conteneurs de 4 m3 ont été installés à la disposition du public au sein du Grand-Tunis. L’ANPE fait appel à des sociétés privées pour la mise à disposition et l’exploitation de conteneurs mis à la disposition des habitants. Les contrats sont passés pour une durée de trois ans. Les prestations de l’entreprise portent sur l’enlèvement, le nettoyage, la vidange et le 97 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE contrôle. L’optimisation de la localisation peut se faire à l’initiative de l’opérateur privé ou le l’ANPE. L’enlèvement est prévu tous les 20 jours (soit 1,5 par mois) et la rémunération est forfaitaire. Le projet de collecte sélective a été également mis en place dans le cadre du PRONAGDES et dessert environ 30 000 habitants. Il comporte les principales composantes suivantes: • tri à la source des déchets ménagers et collecte séparée des déchets organiques, recyclables et toxiques • création d’un centre de tri des déchets recyclables, avec récupération quotidienne d’environ 2 tonnes de déchets recyclables • valorisation par compostage des déchets organiques collectés. Les résultats obtenus sont encourageants tant au niveau de l’amélioration de l’hygiène dans les rues que de la participation de la population au tri à la source qui a été de l’ordre de 70%. Le taux de valorisation des déchets organiques est de 80%, tandis que 66% des déchets recyclables sont valorisés ou récupérés par le recycleur. Cependant, les insuffisances au niveau du cadre institutionnel et notamment la clarification des responsabilités entre les principaux intervenants et la municipalité, n’ont pas permis de pérenniser les acquis du projet. Le projet a, néanmoins, été repris selon les caractéristiques suivantes : • Les déchets recyclables seront collectés dans des sachets transparents de couleur bleu ciel et non plus dans des poubelles ; une solution qui est jugée plus commode pour le citoyen. • La collecte sera assurée 7 jours sur 7 pour éviter le risque de contamination de la poubelle verte. • Des conteneurs métalliques de 770 l, fabriqués localement, seront affectés avec des couvercles verts et bleus, plus faciles à ouvrir que les précédents. Les premiers constats montrent que les résultats sont meilleurs dans la partie résidentielle du projet que dans la partie populaire. TRANSPORTS PUBLICS Les transport publics urbains de l’agglomération de Tunis sont assurés principalement par deux sociétés publiques : La STT, issue de la fusion de la Société du Métro Léger de Tunis (SMLT) et de la Société Nationale de Transport 98 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE (SNT), qui gère : • un réseau bus de 180 lignes urbaines et suburbaines, dont la majorité sont de type radial reliant le centreville à la périphérie et s’étendant sur une longueur d’environ 5 300 km ; • un réseau de tramway de 5 lignes desservant la périphérie proche du centre (1ère et 2ème couronnes) et totalisant 90 km (sur une infrastructure de 35 km en double voie), ainsi qu’une ligne de chemin de fer électrifiée d’environ 20 km de long et desservant la banlieue Est de Tunis (ligne TGM) ; La SNCFT, qui exploite une ligne de chemin de fer desservant la banlieue Sud de Tunis (Radès-Hammam LifBorj Cédria) d’une longueur de 23 km. De l’ensemble des déplacements en transports collectifs dans l’agglomération de Tunis, le réseau d’autobus détient la part la plus importante (65% du trafic total), suivi par le tramway (22%), les lignes ferroviaires de banlieue (6% chacune) et les autobus des opérateurs privés (1%). Après avoir progressé fortement au cours de la période 1990-2000, qui a vu la mise en place du réseau de tramway, l’offre de transports collectifs est devenue globalement insuffisante pour satisfaire la demande telle que l’atteste la saturation des lignes bus et même de certaines lignes de tramway. La voirie urbaine, dont les capacités restent limitées, connaît une congestion croissante du fait d’une progression très rapide, au cours des dix dernières années, du parc automobile, favorisée par la baisse des prix des voitures particulières et la montée en puissance des classes moyennes. Face à cette dégradation, les autorités tunisiennes ont préparé un projet ambitieux de développement des transports collectifs dont les objectifs sont de freiner la dégradation de ce mode de transport et d’améliorer la fonctionnalité de l’agglomération à travers la desserte par un réseau de transports multimodal hiérarchisé et intégré. Ce projet d’un réseau intégré et hiérarchisé de transports collectifs comporte plusieurs composantes: • Construction d’un réseau ferré régional « RFR » à grande capacité (4 lignes, totalisant 70 km) pour la desserte de la 3ème couronne et pour « désaturer » les lignes bus et les lignes de tramway existantes • Création de 3 nouvelles lignes de tramway complétant les lignes existantes et portant la longueur totale du réseau tramway à près de 80 km • Mise en place de lignes armatures bus sur sites protégés complémentaires au réseau ferré et au réseau tramway (30 km de couloirs protégés à aménager) • Développement de l’intermodalité en restructurant les pôles d’échanges centraux existants et en créant une quinzaine de nouveaux pôles en périphérie pour les correspondances entre le réseau ferré régional et les lignes bus • Création d’une dizaine de parcs périphériques de dissuasion d’une capacité de 6 000 places environ. Le projet actuellement le plus avancé est celui de l’extension du métro léger qui bénéficiera d’un financement de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), à hauteur de 45 millions d’euros, sous la forme d’un prêt accordé à la STT. Il s’agira de la première opération de la BEI avec la Société des transports de Tunis (STT). L’opération envisagée permettra de financer une extension de 5 kilomètres vers l’ouest (quartier de La Manouba) du réseau public de métro léger existant dans le Grand-Tunis, ainsi que le matériel roulant supplémentaire et les améliorations de capacité nécessaires au fonctionnement du réseau ainsi étendu. Un autre volet du projet concerne le remplacement et le renforcement des voies et du matériel d’alimentation électrique, arrivés en fin de vie, du chemin de fer TGM (Tunis – La Goulette – La Marsa) qui dessert les faubourgs de la côte septentrionale de Tunis. Cet investissement fait suite au prêt de 30 millions d’euros, dont le contrat a été signé en décembre 2000, et qui portait sur la construction, dans la capitale tunisienne, d’une nouvelle ligne de métro léger desservant la partie méridionale de l’agglomération (quartier de El Mourouj). Le projet aura pour effet d’agrandir la zone desservie par les transports publics sur rail dans le Grand Tunis qui, avec ses 2 millions d’habitants, regroupe quelque 20% de la population du pays. Ces investissements, qui devraient être achevés en 2007, amélioreront la qualité et l’accessibilité des transports publics pour la majorité des habitants qui ne possèdent pas de voiture et contribueront à freiner la croissance des déplacements effectués en voiture. Le projet contribuera à préserver l’attrait des transports en commun et, partant, à rehausser de manière générale la qualité de la vie dans la capitale. LOGEMENT SOCIAL Le marché du logement a été longtemps caractérisé par une inadéquation entre une offre orientée vers le standing et une demande pressante surtout populaire. Pour rattraper ce retard, le IXe Plan qui s’achève en 2006 a prévu la construction de 230 000 logements. Les résultats à mi-2005 montrent que cette prévision sera globalement tenue. Mais la grande majorité des réalisations a été accomplie par le secteur privé et s’adresse donc prioritairement aux classes moyennes. Moins de 10% des constructions relèvent du secteur « social ». Ces faibles résultats relatifs constatés en matière de logement social doivent être, toutefois, relativisés dans la mesure où on a constaté sur cette période, un effort important en faveur de la réhabilitation des logements anciens et dégradés. L’action de l’Etat dans ce domaine s’est concrétisée avec la mise en place d’un Programme National de Réhabilitation des Quartiers Populaires (PNRQP) mis en place au début des années 90 et dont la réalisation a été confiée à l’Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine (ARRU). Les 1ère et 2ème phases du programme de réhabilitation concernait 459 quartiers réparties à travers tout le pays. Environ un million d’habitants ont bénéficié des interventions du programme. La troisième phase en cours mobilise une enveloppe de 72 millions de dinars et vise la réhabilitation de 200 quartiers hébergeant près d’un demi million d’habitants. Le programme est financé selon le schéma suivant : • 0% sur subvention de l’État, • 15 à 20 % sur prêt de la Caisse des Prêts et de Soutien aux Collectivité Locales (CPSCL), • 10 à 15 % autofinancés par la collectivité. Ce programme s’est traduit, sur Tunis, par deux opérations importantes. La première concerne la Medina qui s’est progressivement taudifiée, donnant naissance au phénomène des «oukalas». La seconde concerne la réhabilitation progressive des zones d’habitat spontané en zone périurbaine, résultat de l’exclusion de vastes couches de la population des circuits officiels de financement. LES «OUKALAS» DE LA MEDINA DE TUNIS Les «oukalas» représentent l’expression même d’un habitat insalubre suite à une occupation irrationnelle de l’espace résidentiel de la Médina de Tunis depuis un siècle environ. A la fin du XIXe siècle, l’implantation d’une ville moderne (ville européenne) aux portes de la ville traditionnelle va accélérer la dégradation de cette dernière qui, non seulement perd les activités essentielles d’une ville, mais va servir de parc d’accueil pour une population rurale à la recherche d’un emploi et d’un logement à prix modéré. Cette fonction de parc social va s’accentuer au lendemain de l’indépendance lorsque les occupants de la 99 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Médina vont s’installer dans les nouveaux quartiers résidentiels de la ville neuve, abandonnant leurs demeures d’origine qui seront louées à la pièce au besoin. Ce mode d’occupation a pris le nom d’« oukalas » par analogie aux « oukalas » traditionnelles qui étaient des auberges réservées aux personnes de passage dans la Médina. Compte tenu de l’état de délabrement dans lequel se trouvaient ce quartier, un programme d’envergure a été mis en place pour faire face à l’urgence et reloger l’ensemble des occupants. Des enquêtes ont donc été lancées sur l’ensemble de périmètre traditionnel (Médina et Faubourgs) qui ont conduit à classer les «oukalas» en deux catégories : celles qui devaient être évacuées d’urgence et qui devaient être démolies et celles nécessitant des travaux de remise en état. Pour les oukalas présentant un danger imminent pour leurs habitants, il a été décidé leur évacuation d’urgence et leur relogement, la démolition et la reconstruction de nouveaux logements sur les terrains ainsi libérés. Pour les oukalas qui ne présentent pas de danger dans l’immédiat, une réhabilitation a été prévue plus ou moins lourde selon l’état du bâtiment. La réalisation de projet d’assainissement des oukalas a ensuite été entreprise en quatre tranches successives. Près de 200 familles ont été relogées sur place dans des bâtiments réhabilités. Pour les familles expulsées, deux types de relogements ont été proposés, adaptés à leur niveau de ressources. Les ménages éligibles au Fond de Promotion du Logement Social, c’est-à-dire les salariés permanents gagnant moins de deux fois le SMIG se sont vus proposer des logements à l’achat assortis d’un crédit à très faible taux. Les ménages plus modestes ont bénéficié d’une dotation du Programme National de Résorption des Logements Rudimentaires pour l’achat de petits logements. Des logements en location ont été offerts aux personnes âgées. Les opérations de relogement ont été accompagnées d’actions sociales au profit de familles nécessiteuses après leurs installations et ce sous forme de dons et prêts. Par ailleurs, et pour le besoins du suivi de l’opération, un comité de quartier a été mis en place avec des représentants de la municipalité. L’ensemble des immeubles privés voués à la démolition ont fait l’objet d’un décret d’expropriation. Pour les propriétaires désireux de reprendre leurs terrains une fois libérés, une participation aux frais de libération du sol a été appliquée. Le financement des acquisitions a été assuré par le Trésor au titre d’une avance remboursable à la municipalité. Les terrains ainsi récupérés ont été soit mis à la 100 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE disposition des anciens propriétaires à la condition qu’ils y construisent des logements selon un cahier des charges précis, soit vendus aux enchères publiques à des promoteurs privés lorsqu’il s’agissait de terrains nécessitant des aménagements d’ensemble tels que réfection des réseaux et réalisations d’équipements. L’ÉRADICATION DES TAUDIS EN PÉRIPHÉRIE DES VILLES La Tunisie et la ville de Tunis, en particulier, ont fait la démonstration des possibilités offertes pour réduire l’habitat insalubre et notamment l’habitat spontané aux abords des villes, conséquence de l’exode rural. Le développement de l’auto-construction en périphérie de la ville, résultat de l’exclusion de vastes couches de la population des circuits officiels de financement, a été d’abord bannie, puis réhabilitée et enfin, récupérée dans un vaste programme de réhabilitation. La démarche utilisée a consisté, dans un premier temps, à suivre de prés l’installation foncière spontanée et à veiller à ce que les propriétaires fonciers vendent leurs lots de façon essentiellement structurée. Puis, quand la densité d’habitat était suffisante, le maire légalisait la situation. Ensuite la société d’eau et d’électricité proposait des branchements sociaux à très bas prix. On était encore à ce moment dans un quartier insalubre, sans circulation, avec de la boue, des déchets qui s’entassaient… Mais une fois achevée cette première étape de régularisation foncière et de raccordement à l’eau et à l’électricité, les mairies programmaient l’assainissement et la voirie. Dès lors, les déchets s’évacuaient, les quartiers se décongestionnaient, la circulation pouvait se faire ; l’effet a été immédiat : l’habitat s’est amélioré, des boutiques se sont ouvertes au rez-de-chaussée et des étages sont apparus aux maisons. Ce qui au départ était insalubre -en voie de « bidonvillisation »- à fini par devenir un quartier résidentiel populaire. Il y a là une démonstration de transformation urbaine, possible avec une programmation, certes assez lourde, mais qui fait ses preuves. 101 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE ENJEUX ET RISQUES URBAINS EN MÉDITERRANÉE DES SERVICES PUBLICS À LA PEINE Les analyses qui précédent montrent clairement l’étendue des difficultés rencontrées par les responsables des grandes villes méditerranéennes dans l’organisation et le bon fonctionnement des services publics essentiels pour les populations concernées et en particulier les populations les plus défavorisées. Ces difficultés sont de plusieurs ordres : insuffisance de moyens financiers, modes de gouvernance inadaptés, compétences municipales insuffisantes. Elles sont détaillées ci-après par grand domaine. L’eau potable et l’assainissement L’accès à l’eau potable et à l’assainissement représente aujourd’hui, comme on a pu le voir, une priorité. Les ressources en eau sont presque partout insuffisantes, quelquefois dans des proportions dramatiques, et les infrastructures physiques ne sont pas à la mesure des besoins. La gestion du secteur est, souvent, défaillante et les ressources financières destinées au secteur manquent. Un rapport des Nations Unies7 situe à 30 millions le nombre de personnes qui n’auraient pas accès en permanence à l’eau potable dans la région. La majorité concerne les populations périurbaines et rurales en Turquie, en Algérie, au Maroc et en Syrie. Sur la base des consommations actuelles, les pays méditerranéens se retrouveront prochainement en dessous du «seuil de pauvreté en eau» du fait d’une croissance démographique qui augmente la consommation de ressources déjà rares. La part annuelle en eau de chaque habitant chuterait de 1500 m3 actuellement à moins de 750 m3 en 2030. La totalité des ressources hydrauliques des pays arabes ne dépasse pas 150 milliards de m3, dont 60% proviennent de l’extérieur. Ce problème est particulièrement aigu au ProcheOrient qui connaît plus qu’ailleurs un déficit hydrique important. La situation la plus dramatique se trouve, comme on l’a vu, dans les Territoires Palestiniens. A Gaza, on peut considérer que depuis décembre 1999, il n’y a pratiquement plus d’eau potable. La nappe est épuisée et on a recours, depuis, à l’eau saumâtre. On comprend dans ces conditions que la question de l’eau soit au cœur du conflit du MoyenOrient. Les négociations les plus ardues, palestinoisraéliennes, et les volets syrien et libanais du processus de paix, sont liées aux problèmes de l’eau. Un récent rapport 7 des Nations-Unies indique que 57 % de la consommation d’Israël en eau provient de l’extérieur de ses frontières de 1948 : 35 % de la Cisjordanie et des affluents du Jourdain, et 22 % du plateau du Golan. Pour développer la ressource, des expériences de production d’eau douce sont en cours par dessalement de l’eau de mer ou des eaux saumâtres en Algérie, en Tunisie, en Jordanie, en Isarël et en Egypte ; mais en dépit d’une réduction régulière de son coût, le développement de cette technologie reste limité par le niveau requis des investissements. Les infrastructures concernant la distribution d’eau potable et l’assainissement sont, quant à elles, très insuffisantes et ne suivent pas l’accroissement de la population de la plupart des villes. Les défaillances observées dans la gestion du secteur de l’eau ont de multiples causes au premier rang desquelles les politiques tarifaires auxquelles les sociétés gestionnaires ont été astreintes, qui ne permettent de couvrir qu’une fraction de leur coût et qui les a, de facto, placé sous la dépendance de l’Etat. Insuffisamment financés, les opérateurs publics se sont trouvés pris dans une spirale de réduction de la maintenance et des investissements les plus rudimentaires entraînant une baisse de la qualité de service et une résistance des consommateurs à payer plus cher un service de mauvaise qualité. Par ailleurs, les habitudes prises dans des situations de monopole non-contesté » peuvent expliquer la dégradation de la qualité du service rendu. Le peu d’attention porté à la gestion de la clientèle, le maintien d’un personnel surdimensionné, des délais d’intervention importants ou de faibles taux de recouvrement des factures ont pu conduire à la fois à restreindre les capacités financières des compagnies publiques et à défavoriser certains types d’usagers. L’assainissement pose partout un problème au moins aussi grave et urgent que celui de l’accès à l’eau potable. Le niveau de collecte et surtout de traitement des eaux usées domestiques est très faible, voire dans certains cas, inexistant. Comme on l’a vu plus haut, de nombreuses grandes villes n’ont pas de station d’épuration d’eau. Près de 90% des rejets urbains des villes étudiées sont déversés, sans traitement, dans la Méditerranée qui reçoit ainsi 60 000 tonnes de détergent, 100 tonnes de mercure et 12 000 tonnes de phénols par an. UN-SD Millenieum Indicators OMS-Unicef – 2003. 103 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE À cela s’ajoute une situation très peu contrôlée en matière de rejets industriels. Les entreprises qui sont souvent situées en milieu urbain ou périurbain, sont peu sensibles aux contraintes environnementales et peu encadrées par une réglementation abondante mais insuffisamment appliquée, et déversent leurs effluents polluants parfois dans les réseaux d’assainissement mais aussi dans des évacuations souterraines, dans des réseaux d’eau pluviale ou directement dans le milieu, en particulier dans les cours d’eau. La situation des infrastructures en matière d’eau et d’assainissement n’est pas sans conséquences sur la santé des populations. On sait, en effet, que l’accès à une eau propre et à des services d’assainissement, améliore de façon notable la santé publique, tout comme l’amélioration des techniques d’évacuation et de traitement des eaux usées. Lorsqu’ils sont de mauvaise qualité, l’eau et les services d’assainissement figurent parmi les premières causes de maladies telles que la diarrhée, les vers intestinaux, la cécité liée au trachome et la bilharziose. Au regard de ces problèmes, de nombreux gouvernements ont pris ces dernières années une décision courageuse en faisant appel au secteur privé pour investir et gérer tout en conservant le rôle d’organisateur et de régulateur des services. Bien conçu, le partenariat publicprivé permet d’apporter des réponses appropriées aux besoins des habitants sur des services publics essentiels. Et ce d’autant que les besoins financiers pour la rénovation des infrastructures existantes sont considérables. Mais la mise en place de partenariats public-privé en Méditerranée se heurte également, ces dernières années, à un manque d’enthousiasme des opérateurs privés. On constate ainsi, comme on le verra plus loin, une tendance nette de ces derniers de passer de la concession à des contrats moins risqués sans investissement substantiel tels que l’affermage et les contrats de gestion intéressés ou des contrats de services en tentant de renégocier les contrats en cours ou arrivant à terme. La collecte et le traitement des déchets Concernant les déchets urbains, l’urbanisation galopante combinée à une forte industrialisation place la plupart des villes étudiées en situation d’urgence : collecte défaillante, amoncellement d’ordures dans les décharges publiques sauvages ou non contrôlées, inexistence de traitement, notamment des déchets spéciaux. On estime aujourd’hui à près de 40 millions de tonnes le volume de déchets urbains générés dans les villes des pays méditerranéens, soit environ 0,7 kg par personne et par jour. Ce volume croît d’environ 3 à 4% par an sous l’effet combiné de la 104 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE démographie urbaine et de l’évolution des modes de vie. La collecte relève encore dans une très large proportion des services municipaux. Elle est dans ce cas très souvent déficiente. On estime que près du quart des déchets urbains ne sont pas collectés du fait de la mauvaise organisation et du manque de moyens des services concernés. Les déchets ménagers et industriels sont, le plus souvent, déposés dans des décharges non contrôlées, avec les conséquences que l’on connaît sur la contamination des milieux (sol, air, nappes phréatiques, etc). La récupération et le recyclage est le fait principalement du secteur informel. Près de 60 000 personnes vivent de cette activité dans la seule ville du Caire. Dans la plupart des villes, des réseaux de récupération sont organisés selon un schéma pyramidal avec plusieurs niveaux d’activité : des récupérateurs à la base, des « petits » intermédiaires, des intermédiaires grossistes, et enfin, au sommet, diverses industries qui rachètent les produits. L’importance sociale de cette activité a conduit les opérateurs privés, auxquels ont été confiés la gestion du service, à négocier des accords avec ce secteur informel afin de ne pas mettre en difficulté des franges entières de la population pour lesquelles la récupération constituait une activité de survie. La principale difficulté rencontrée dans ce domaine est que, contrairement à une idée reçue, le coût de la collecte et du traitement des déchets dans les pays méditerranéens n’est pas sensiblement inférieur à celui observé dans les pays développés. Une part importante des coûts est liée à des investissements en biens importés dont les prix de revient sont équivalents à ce qu’ils sont dans les pays développés. Par ailleurs, les écarts de salaires sont partiellement compensés par une faible productivité. Enfin, les coûts de collecte sont élevés du fait d’un manque de civisme et de sensibilisation des populations concernées. Pour toutes ces raisons, la collecte et le traitement des déchets représentent une part importante (20 à 40%) du budget des municipalités et les taxes payées par les particuliers sont proportionnellement plus élevées que dans les pays européens. Le financement est généralement assuré par une taxe municipale mais qui ne couvre qu’une faible partie des coûts. Dans certains pays, comme l’Egypte et la Jordanie, les coûts liés aux déchets sont inclus dans les factures d’électricité. Les besoins d’investissements sont partout élevés. Ils sont estimés à 250 euros par tonne pour la collecte et le transfert et 65 euros pour la mise en place de décharges contrôlées. Ces investissements sont généralement réalisés par transfert du budget national vers les communes. Dans quelques pays, dont le Maroc et la Tunisie, les municipalités ont accès à un Fonds Municipal leur permettant d’emprunter les montants nécessaires pour réaliser ces investissements. Face à cette situation, certains pays ont entamé des politiques volontaristes pour résoudre ce problème. Des stratégies globales se mettent en place incluant une législation plus rigoureuse, concernant en particulier les déchets industriels et dangereux, des plans de réduction de la production de déchets, des objectifs en matière de valorisation et de recyclage et, enfin, l’application du principe pollueur payeur pour recouvrer les coûts de collecte et de traitement des déchets. Compte tenu de la relative inefficacité des services municipaux dans ce domaine, l’appel au secteur privé est de plus en plus fréquent et a conduit, partout où il est en place, à des progrès visibles en terme d’efficacité économique et environnementale. C’est le cas de l’Egypte, du Liban, du Maroc ou de la Syrie. La valorisation par compostage a démarré dans plusieurs pays dont l’Egypte, le Liban, la Syrie, et le Maroc. Quelques incinérateurs ont été installés mais leur extension n’et guère envisageable comte tenu des coût élevés d’investissement et d’exploitation. Certains pays mettent en place des décharges contrôlées. On en comptait une vingtaine en 2004 dans toute la région. D’autres sont en préparation. Certains pays, comme la Tunisie ou l’Algérie, ont également tenté d’institutionnaliser le recyclage et de responsabiliser les industriels de l’emballage avec un succès tout relatif. Mais la sensibilisation reste le point faible de toutes ces politiques. Les meilleurs progrès sont observés dans les villes où la gestion des déchets est confiée à des sociétés privées qui utilisent ce moyen dans le but de réduire le coût de la collecte. Globalement et en dépit des progrès constatés, le chantier reste donc immense. Comme pour l’eau, la question des déchets pose à la fois le problème de gouvernance et celui du financement, en particulier des investissements nécessaires pour une mise à niveau du service. La coopération internationale trouve ici également un point d’application particulièrement efficace. Le programme METAP, initié en 1999, a déjà permis d’importants progrès, s’agissant en particulier du développement des compétences et des capacités institutionnelles et de l’harmonisation des législations nationales. On notera également que les coopérations entre villes et collectivités publiques dans ce domaine sont de plus en plus nombreuses. Les transports publics Dans toutes les villes étudiées, on note une nette insuffisance des transports publics du fait de l’étendue des agglomérations, de la médiocre qualité des voiries, des faibles ressources des habitants et des lacunes dans les subventions publiques. En dépit d’un faible taux relatif de motorisation, les encombrements sont le lot quotidien des habitants. Les parcs de véhicules ne cessent de s’accroître. La possession d’un véhicule particulier est un signe de promotion sociale souvent chèrement acquis ce qui ne facilite pas le développement des transports en commun. Les projets d’aménagement routier intra-urbains abondent pour satisfaire une demande orientée vers les déplacements individuels et résorber une saturation des réseaux urbain et périurbain qui ne cesse de s’accroître. Ces investissements lourds dont les autorités expliquent qu’ils participent au processus de métropolisation, prennent alors le pas sur les infrastructures de transport collectif. Plus graves sont les atteintes à l’environnement du fait de la pollution automobile due à un parc souvent ancien et mal entretenu et qui ne bénéficie par des derniers développements techniques en matière de contrôle des émissions. Considérés jusque-là comme les fléaux de pays riches, ces phénomènes atteignent les grandes villes du Sud avec des capacités de réponse réduites. Quelques projets de reconquête du domaine public au profit des transports en commun ont vu le jour: métro du Caire (une troisième ligne est lancée), métro léger de Tunis, tramway d’Istanbul, projet de métro d’Alger. Mais ces projets ont du mal à s’étendre en raison de leur coût élevé Un projet de métro est en débat à Casablanca depuis une vingtaine d’années. Le logement social La crise de l’habitat urbain n’épargne aucune des villes des pays du sud et de l’est de la Méditerranée. Cette crise urbaine s’exprime dans une croissance trop rapide qui les rend incontrôlables. Le paysage urbain des villes s’est complètement déstructuré à la faveur de la multiplication de périphéries urbaines composées de bidonvilles et d’habitat précaire. La part des constructions non réglementées représente 40 à 60%, de la production annuelle de nouveaux logements. Plus de 50% de la population d’Istanbul serait concernée par cet habitat urbain illégal et la part des constructions spontanées serait de 40 à 50% des nouveaux logements au Maroc. Ces constructions réalisées sans autorisation officielle s’effectuent sur des terrains le plus souvent légalement acquis mais situés en zone non-constructibles ou pour lesquels les règlements d’urbanisme existants, notamment la taille minimale de constructibilité, ne sont pas respectés. Ces terrains de petite taille sont l’objet d’une véritable spéculation immobilière. 105 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Il s’agit le plus souvent de constructions en dur, évolutives, parfois à plusieurs niveaux, ce qui aggrave les risques et rend impossible toute planification à long terme des services publics essentiels qui ne peuvent, pour cette raison, s’adapter au rythme de génération de nouveaux quartiers et de nouveaux habitants : transports publics absents, congestion des axes urbains, insuffisance marquée du traitement des eaux usées, des réseaux d’adduction et d’assainissement de l’eau, absence de dessertes électriques officielles. Ces constructions construites illégalement côtoient les formes d’habitat précaire assimilables à des bidonvilles qui se sont développés depuis plusieurs dizaines d’années en périphérie des centres urbains et où les familles, issues des milieux ruraux, s’entassent dans des logements de fortune. Les raisons de cette situation sont à peu près partout les mêmes et renvoient aux difficultés rencontrées par les Etats pour maîtriser l’utilisation des sols, faire respecter la réglementation, juguler la spéculation immobilière et produire un parc suffisant de logements sociaux. Le problème est mondial et les grandes organisations internationales ont toutes développées des stratégies et des programmes qui sont mis à la disposition des pays concernés et visent à l’amélioration des conditions de vie des populations urbaines pauvres. L’expérience du réseau Cities Alliance de la Banque Mondiale : Cities without Slum (Villes sans taudis) en est une illustration. Cette initiative associe les actions de la population et l’attraction d’investissements privés. Elle concerne des améliorations physiques, sociales, économiques, organisationnelles et environnementales prises en charge de manière collective par les citoyens, les groupes communautaires ainsi que les autorités locales pour garantir des améliorations durables dans la qualité de vie des individus. Chaque pays doit, à partir de là développer des solutions adaptées au contexte qui lui est propre. L’implication des populations concernées est, dans tous les cas observés, une condition majeure de succès des opérations qui sont menées. La mise en place de modèles reproductibles dont les résultats sont rapidement évaluables facilite également l’accès au financement. Un tel modèle, modeste mais relativement reproductible, a été appliqué dans la durée -sur les quarante dernières années -à l’élimination des bidonvilles en Tunisie (voir encadré ci-dessous). Le Maroc, on l’a vu plus haut, met actuellement en œuvre un programme d’éradication de ses bidonvilles par une série d’action de réhabilitation et de requalification des quartiers concernés et de relogement des habitants. Ce programme s’étalera sur 5 ans. 106 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE On constate également que la rénovation des quartiers insalubres a eu non seulement une forte influence sur la qualité de la vie des populations urbaines pauvres, mais qu’elle a enclenché une véritable dynamique urbaine. Dans de nombreux cas de réhabilitation réussis, on constate que l’investissement dans les biens publics locaux à travers la réhabilitation urbaine génère un investissement privé de la part des résidents, lequel à son tour a un impact sur l’investissement privé externe réalisé dans la zone. L’éradication des taudis - L’expérience de la Tunisie La démarche utilisée par la Tunisie pour éradiquer les taudis a consisté à organiser les villes en suivant de près l’installation foncière spontanée. L’administration veille à ce que les propriétaires fonciers vendent leurs lots de façon essentiellement structurée. Puis, quand la densité d’habitat est suffisante, le maire légalise la situation. Ensuite la société d’eau et d’électricité propose des branchements sociaux à très bas prix. On est encore à ce moment dans un quartier insalubre, sans circulation, avec de la boue, des déchets qui s’entassent... Mais une fois achevée cette première étape de régularisation foncière et de raccordement à l’eau et l’électricité, les mairies programment l’assainissement et la voirie. Dès lors, les déchets s’évacuent, les quartiers se décongestionnent, la circulation peut se faire ; on en voit l’effet immédiat : l’habitat s’améliore, les boutiques s’ouvrent au rez-dechaussée et les étages apparaissent aux maisons. Ce qui au départ était insalubre -en voie de « bidonvillisation »finit par devenir un quartier résidentiel populaire. Il y là une démonstration de transformation urbaine, possible avec une programmation, certes assez lourde, mais qui fait ses preuves. Alain Henry -La Jaune et la Rouge - Mégapoles et environnement-2005. Les risques naturels et industriels urbains Les villes méditerranéennes sont particulièrement exposées aux risques naturels, principalement aux inondations et aux séismes. S’ajoutent à ces risques naturels des risques industriels causés par la présence aux abords de ces villes, et quelquefois même en leur sein, d’activités humaines polluantes. Le risque d’incendie se manifeste dans les massifs forestiers aux abords des villes. Pour les villes côtières, existe, enfin, un risque de pollution marine qui pourrait être causé par des accidents de navire transportant du pétrole ou des matières dangereuses. Les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont plus de 21 000 km de côtes qui bordent l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. On estime que les rejets des navires représentent l’équivalent de 17 Exxon Valdez rejetés dans la Méditerranée. Face à ces risques, les populations défavorisées sont généralement les plus vulnérables en particulier celles regroupées dans les zones urbaines d’habitat spontané qui sont les plus touchées du fait de l’absence d’équipements publics permettant d’y faire face. Ces risques sont, pour la plupart, connus et ont fait l’objet d’investigations scientifiques poussées. Les mesures de préventions sont également largement identifiées qu’il s’agisse d’équipements publics (évacuation des eaux usées par exemple), de normes applicables aux constructions nouvelles ou de sensibilisation du public aux situations d’urgence. Or sur ces différents plans, on peut dire que les efforts déployés dans les villes méditerranéennes sont encore faibles et dans certains cas inexistants. Le plus souvent, des plans existent, souvent mis en place suite à une catastrophe : codes de construction parasismiques, recensement des zones inondables, modification des plans d’occupation des sols, demande faite aux communes de préparer des plans de prévention des risques, réglementation plus contraignante pour les industries polluantes. Leur application reste néanmoins problématique du fait de la complexité de mise en œuvre de mesures souvent coercitives impliquant une étroite coordination entre des administrations ou des collectivités dont les priorités sont ailleurs. Les compétences font aussi cruellement défaut aux échelons les plus décentralisés des administrations publiques, c’est-à-dire là où elle sont les plus nécessaires. DES RISQUES RÉELS DE DÉSTABILISATION SOCIALE La question des conditions de vie et des risques sociaux est au cœur des problèmes actuels des grandes villes méditerranéennes. Ces dysfonctionnements ont entraîné un développement de phénomènes sociaux urbains affectant les populations les plus fragiles. Ces populations, victimes des défaillances sociales et économiques mais également urbaines sont touchées par une pauvreté extrême qui se manifeste aussi bien sur le plan monétaire que sur le plan des conditions de vie. Par ailleurs, l’insécurité et la violence représentent aussi une menace pour les populations en situation précaire qui deviennent les proies faciles des réseaux intégristes. Pauvreté urbaine et exclusion sociale La combinaison d’une urbanisation accélérée, d’une infrastructure négligée et d’un financement urbain déficient pendant plusieurs années ont accru la pauvreté des populations de cette zone géographique. La pauvreté en Méditerranée n’atteint pas, cependant, les niveaux alarmants d’autres régions du monde. L’extrême pauvreté définie comme la part de la population vivant avec moins d’un dollar par jour, ne dépasse pas en moyenne 3% alors qu’elle est de 15% en Asie. Mais ce taux augmente fortement dès qu’on passe le seuil de 2 dollars par jour. Près de 45% des Egyptiens sont concernés, soit un taux comparable à celui de l’Asie. De fait, sur le plan des conditions de vie, ces pays sont marqués par de très grandes inégalités sociales. Au Maroc, selon une estimation de la Banque Mondiale, 6 millions de personnes vivent avec moins de 1 dollar par jour et 12 millions sont « économiquement vulnérables » tandis que les 20% les plus riches s’octroient 55,4% des revenus du pays. En Egypte, un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit 32 millions d’Egyptiens sur 64 millions. Parmi ces 32 millions, 6 sont, selon un rapport publié en 2002 par le Bureau International du Travail (BIT) considérés comme «très pauvres». Les auteurs de ce rapport soulignent également la progression de la pauvreté dans les régions urbaines égyptiennes qui est passée de 39% en 1990 à 48% en 1999. Parmi les pays du bassin méditerranéen, l’Egypte et le Maroc affichent les indices de pauvreté humaine les plus élevés, suivis de très près par l’Algérie, la Tunisie et la Syrie. À eux six, ces pays forment un ensemble homogène. Ces pays ont également en commun d’avoir connu un phénomène de migration des populations des zones rurales vers les villes. Pour ces ruraux, l’exode est la réponse à l’impasse et aux privations. Mais trop souvent, ces populations viennent rejoindre les rangs des pauvres des villes, et peser sur des équipements collectifs déjà fragiles. Ainsi, les inégalités sociales présentes sur l’ensemble du territoire se retrouvent à plus petite échelle dans les centres urbains. Au sein des villes méditerranéennes et plus encore au sein des métropoles, les clivages socio-économiques entre les riches et les pauvres ne cessent de se creuser. Dans les villes, les populations démunies font face à de plus nombreux risques que les citadins moyens en matière de santé. La mortalité infantile est ainsi plus importante dans les quartiers moins développés que dans les autres. De plus, l’analphabétisme touche durement ces groupes socialement défavorisés. L’accès aux services sociaux comme l’éducation est aussi inéquitable : le taux de scolarisation des enfants issus des quartiers difficiles 107 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE atteint un pourcentage guère plus élevé qu’en milieu rural. À cela vient s’ajouter l’instabilité de l’emploi qui, chez les plus démunis, est corrélée à une faible couverture sociale: au Maroc, en milieu urbain, 1% seulement du quintile le plus défavorisé est assuré contre 38,4% pour le quintile le plus riche. Les conditions de vie des populations pauvres en milieu urbain sont toutefois peu comparables à ce qu’elles sont en milieu rural compte tenu de l’extrême pauvreté qui caractérise ce milieu. Par ailleurs, malgré l’urgence de la situation, les systèmes de production ne réussissent pas à réduire les inégalités sociales qui tendent, au contraire, à s’aggraver. Une étude effectuée pour la mise en œuvre de l’initiative 20/208 au Maroc a révélé que la part des dépenses publiques allouées aux services sociaux de base se situait en moyenne à 17% au cours de la décennie 90, en dépit d’une politique sociale renforcée, ce qui demeure relativement peu et s’avère par conséquent insuffisant pour réduire les écarts existants entre les groupes sociaux. Au Liban, la situation est plus critique puisque les dépenses moyennes consacrées à ces services représentent seulement 8% des déboursements gouvernementaux. Une désagrégation des formes traditionnelles de sociabilité Pendant longtemps, la pauvreté en Méditerranée n’a pas entraîné de phénomènes d’exclusion sociale similaires à ceux rencontrés dans les pays européens du fait de l’existence de réseaux familiaux de solidarité encore très puissants. Cette solidarité s’exprimait également par les rapatriements des travailleurs étrangers qui, dans certains pays, sont, pour les familles, une source essentielle de revenus. Cette situation est en train de changer. Une des conséquences de la brutale urbanisation a été, en effet, de faire éclater les anciens cadres de socialisation. La famille élargie, lieu jusque-là de toutes les solidarités, se disloque et la cellule nucléaire conjugale a tendance à se généraliser même si son autonomisation est fortement freinée par une crise du logement qui sévit partout. L’évolution des femmes dans les sociétés urbaines, très largement documentée par ailleurs, est, à cet égard symptomatique. Mais cette modernisation liée à la scolarisation et à l’urbanisation ne se traduit que rarement dans la mise en œuvre de rapports sociaux nouveaux au niveau de la famille, de la mixité de la vie quotidienne ou du voisinage. Ce décalage se retrouve à tous les niveaux de la modernisation et produit un phénomène de « bricolage » et d’anomie généralisée. Se crée progressivement dans les grandes villes arabes une société plus instruite et pour une part d’entre elles, plus riche mais extrêmement fluide où la débrouillardise voisine avec le militantisme, l’absentéisme avec le volontariat, l’individualisme effréné avec le dévouement à la collectivité. Le secteur informel comme moyen de survie Face à une situation aussi incertaine, le secteur informel offre une échappatoire. L’importance de l’ «économie souterraine» dans ces pays est effectivement notable puisque, à l’heure actuelle, 40 à 60 % des actifs urbains vivraient des activités relevant de ce secteur. Les activités informelles concernent environ 45% des actifs urbains en Tunisie, environ 40% au Maroc et en Algérie, plus de 60% dans de grandes villes comme le Caire ou Alexandrie. En Syrie, à peine un tiers de la population urbaine active est formellement salariée. Dans un contexte de pauvreté généralisée et de chômage croissant, les populations exclues se tournent vers l’informel pour survivre. Pour ces citadins en situation d’exclusion, «le secteur des activités informelles joue un rôle irremplaçable d’intégrateur urbain»9. Malgré les difficultés d’évaluation de ce phénomène, celui-ci échappant aux statistiques officielles, il est certain que de plus en plus de personnes survivent grâce à ce secteur même s’il ne leur procure généralement que des revenus minimes, très irréguliers et des emplois précaires. En dépit de ses inconvénients (travail intensif, marché non réglementé, etc), l’économie informelle répond aux urgences de la société et offre une solution, aussi discutable soit-elle, aux défaillances de l’autorité publique. Il est aussi une voie pour absorber l’impact des chocs externes sur le marché du travail particulièrement importants en période de mutation tendancielle de l’emploi public. Ce mécanisme a souvent, pour cette raison, été considéré comme moins négatif qu’il n’y paraît car il permet une certaine flexibilité. Cette «économie de survie» est même aujourd’hui officiellement encouragée par de nombreux gouvernements dans le cadre du développement durable et comme soupape de sécurité face aux lacunes de l’emploi. C’est le cas par exemple à Amman où la municipalité soutient elle-même le commerce informel alimentaire par des politiques d’appui visant à garantir l’approvisionnement et la distribution alimentaire de la ville. Cependant, il reflète comme il entraîne une paupérisation croissante de la population et celle de l’Etat. Il finit également par transformer les économies où il constitue une part importante de l’activité en économies à deux vitesses. Enfin, le secteur informel n’ayant pas accès au financement, il ne participe pas au processus d’accumulation qui est la seule réponse des pays concernés en terme de développement. 8 Cette Initiative 20/20, présentée lors du Sommet Mondial du Développement Social de Copenhague en 1995, appelle, d’une part, les pays en développement à accroître la part de leur budget national affecté aux services sociaux de base en la faisant passer de 13% en moyenne à 20%, d’autre part, les pays industrialisés à faire passer de 7% à 20% la part de l’aide affectée aux mêmes fins. 9Les Métropoles du Sud - J.-F. Troin . L’auteur a également créé en 1977 le centre URBAMA, laboratoire associé au CNRS et spécialisé dans l’étude de l’urbanisation du monde arabe à l’Université de Tours. 108 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Violence et insécurité urbaines La pauvreté, problème majeur des villes du Sud, n’est souvent pas le seul problème affectant les centres urbains. La violence, elle aussi, se répand dans les villes favorisant un climat d’insécurité. La violence urbaine fait aujourd’hui partie des problèmes incontournables des villes méditerranéennes. Elle est devenue la première source d’insécurité dans les centres urbains et l’une des principales causes de migration comme ce fût le cas pour l’Algérie. Pauvreté et violence urbaine La violence urbaine est un phénomène complexe, aux causes multiples. Cependant, même s’il n’existe pas de preuves empiriques à ce sujet, beaucoup s’accordent pour dire que la pauvreté et l’exclusion sociale constituent dans la plupart des cas des causes directes de la violence en milieu urbain. Dans son rapport annuel 2002, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a établi une corrélation positive entre pauvreté et insécurité, suggérant qu’il fallait lutter contre la pauvreté urbaine pour enrayer la violence urbaine. Pour M. Abdelkader, auteur d’un article sur «la recrudescence des actes de banditisme en 2003. Alger, Constantine, Batna et Oran en tête» dans le Quotidien d’Oran, il ne fait nul doute que « la majorité des comportements violents traduit une délinquance d’exclusion liée à la précarité et à la marginalisation.» En effet, cette violence apparaît souvent liée à l’extension de la pauvreté, à la crise urbaine et aux difficultés d’insertion des jeunes sur le marché du travail, ce qui crée un climat social tendu et instable. Le manque d’argent pour les besoins essentiels et le manque d’éducation et de perspectives d’emploi contribuent pour beaucoup à une vie de crime, de trafic de drogue et de prostitution. Ainsi, si l’exclusion sociale fabrique des délinquants et des criminels, les populations marginalisées en sont aussi les premières victimes. Les chiffres fournis par les auteurs du rapport «The Mediterranean Limes»10. même s’ils sont à considérer avec précaution puisqu’ils concernent le crime en général et non spécifiquement la violence urbaine, témoignent d’une montée de la violence dans les villes du Sud méditerranéen. En Jordanie, le nombre d’actes criminels est passé de 626 pour 100 000 habitants en 1988 à 1255 en 1999. Le rapport fait également état d’une augmentation de la violence en Egypte durant la décennie1990, en particulier pour les crimes relevant de la corruption, du viol, de la fraude et du vol à la sauvette. Les manifestations de la violence urbaine Les enfants et les femmes sont ceux qui ont le plus à souffrir de ce contexte économique et social difficile. La pauvreté infantile a en effet atteint de graves proportions dans plusieurs pays méditerranéens. En Israël, selon le rapport annuel du Conseil national de l’enfance, environ 40 % des petits Israéliens vivaient sous le seuil de pauvreté en 2002. Au Maroc, à l’instar des autres pays maghrébins, la prostitution se développe touchant davantage les mères célibataires, les veuves et les femmes divorcées. Autre violence symbolique dont on parle moins : la proximité des populations riches et pauvres qui se côtoient, mais s’ignorent. «Les marchés en Algérie sont une illustration de cette violence symbolique: les riches viennent s’y approvisionner et se faire voir, les moins riches viennent acheter en calculant, les pauvres déambulent en espérant rencontrer des âmes généreuses pour leur donner quelques pièces»11. On retrouve cette fracture sociale à Amman, entre Amman-Ouest et Amman-Est : les deux parties d’Amman fonctionnent chacune comme deux villes qui s’ignorent et vivent selon des modes de vie divergents avec, d’un côté les quartiers résidentiels, et de l’autre les quartiers pauvres, souvent illégaux et dépourvus d’équipements collectifs. Exacerbée par les disparités sociales, cette violence peut également prendre la forme d’émeutes à la faveur de mesures impopulaires. C’est ainsi que de Casablanca à Alger, de Tunis au Caire, depuis une dizaine d’années au moins, les «émeutes du pain» participent de plain-pied à la régulation des crises liées à l’augmentation du prix des produits de première nécessité. La ville, lieu de contestation par excellence, donne libre cours à toutes sortes de manifestations de mécontentement parfois durement réprimées par les services de l’ordre. En Jordanie, les émeutes populaires contre la hausse du prix du pain, survenues en1996 dans la ville de Karak, ont nécessité l’intervention de l’armée. En Algérie, en 2002, la pénurie en eau a également provoqué des émeutes à Abadla et Tlemcen, au sud et à l’ouest d’Alger, obligeant les autorités à prendre des mesures d’urgence pour améliorer l’alimentation en eau de la région. Selon le schéma habituel, les manifestants se sont attaqués aux lieux de pouvoir, notamment à la mairie et à la sous-préfecture et ont barré les accès au centre ville avec des pneus enflammés et des troncs d’arbre. Parfois, les minorités et les mouvements indépendantistes profitent de l’agitation ambiante pour se greffer à ces mouvements de contestation. Les effets de la violence sur la société et sur l’espace À cette dérive sécuritaire s’ajoute une «ghettoïsation» des riches. La construction dans bien des cas devient elle aussi une réponse à l’insécurité. Se sentant menacés, les riches se barricadent dans leurs villas». Les constructions ont 10 «The Mediterranean Limes 11 Lahouari Addi, Le Concept de sécurité à l’épreuve de l’ordre international nouveau: le cas de l’Algérie. Le Quotidien d’Oran, 26 mai 2004. 109 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE changé, les villas sont de véritables bunkers, des grosses bâtisses de deux, voire quatre étages, des barreaux aux fenêtres, des portes blindées», témoigne une habitante d’Alger. Ainsi, les manifestations de l’insécurité entraînent des réactions d’enfermement, la création de ghettos gardés par des services et des milices spéciales. C’est le cas notamment à Beyrouth où l’insécurité a enclenché un processus de migration qui a abouti à la construction de banlieues structurées et organisées, quadrillées par des institutions idéologiques, éducatives et sanitaires miliciennes. Pourtant, loin d’être une solution adaptée à la violence et à l’insécurité, ce repli entraîne une aggravation de la violence en diminuant les possibilités de dialogue. Ce qui n’empêche pas les entrepreneurs de construire toujours plus de « lotissements fermés» en Méditerranée. La dérive intégriste et ses conséquences Autre principale cause d’insécurité urbaine, l’intégrisme constitue également une menace pour les habitants des villes méditerranéennes. Il est devenu en l’espace de quelques années un phénomène endémique affectant les villes méditerranéennes. Certaines villes telles qu’Alger, Casablanca ou encore Le Caire sont toutefois plus concernées que d’autres. Mais, d’une façon générale, la progression de l’intégrisme aujourd’hui dans la région méditerranéenne est un fait préoccupant pour les autorités des villes concernées tout comme pour la communauté internationale, inquiète de l’ampleur prise par ce phénomène. Un phénomène mal connu S’il est souvent fait état du lien entre pauvreté et terrorisme, paradoxalement, les études sur le sujet sont quasi inexistantes. Pourtant, la menace intégriste vis-à-vis des populations fragilisées existe bel et bien. Les banlieues remplies de jeunes sans instruction, sans véritable emploi, sans espoir, fournissent aux réseaux terroristes de nombreuses recrues. Pour Luis Martinez, chercheur au Centre d’Etudes et de Recherches Internationales de Paris, «les dynamiques de la contestation armée ne s’expliquent que très marginalement par des arguments d’ordre théologique, voire idéologique. À la base, la contestation des banlieues et le rejet de la légitimité du pouvoir rendent mentalement possible le passage à la violence: le groupe islamiste armé (GIA) et l’AIS (l’aile militaire du FIS) représentent en 1994 des forces d’opposition légitimes pour une grande partie des jeunes des banlieues populaires».12 Pauvreté et terrorisme entretiennent donc des relations étroites même si la causalité entre ces deux concepts n’est pas permanente. À ce propos, un rapport controversé du Council on Foreign Relations13, daté de 2002, a développé l’argument selon lequel l’absence de perspectives économiques et la pauvreté seraient les causes du fondamentalisme et, par extension, du terrorisme. Ce point de vue n’est cependant pas partagé par tous. Les facteurs économiques et sociaux ne sauraient expliquer à eux seuls le fondamentalisme. La complexité de la question empêche les conclusions hâtives. Comme le rappelle Daniel Pipes14, spécialiste des questions relatives à l’Islam et au Moyen-Orient, «de nombreux cadres des mouvements islamiques ont un niveau de formation très important». Le terrorisme n’est pas exclusivement l’apanage des classes socialement défavorisées. Grâce à l’influence qu’il exerce sur un vaste ensemble d’étudiants, de diplômés et d’intellectuels désœuvrés, l’islamisme parvient à s’étendre et à contrôler la propagation des idées dans les quartiers pauvres et les bidonvilles. Il existe donc bien un risque pour les populations des quartiers pauvres mais un risque non systématique. Le ministre marocain de l’enseignement supérieur, Kahlid Rashit, a d’ailleurs admis que les bidonvilles de Sidi Moumen à Casablanca se caractérisaient par leur insécurité et déclaré que le gouvernement avait découvert plusieurs mosquées à proximité de ces banlieues où étaient recrutés et formés des jeunes radicaux. Selma Belaala, chercheuse à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et auteur d’un article sur le terrorisme marocain, a mis en évidence l’implantation des organisations djihadistes dans les banlieues marocaines en rappelant que celle-ci était due en grande partie aux conditions de vie dans ces bidonvilles laissés à l’abandon. Mais s’il faut éviter la généralisation, il est néanmoins certain que l’enfermement social et l’exclusion, facilitent le basculement dans l’intégrisme. Un environnement urbain favorable à l’intégrisme S’appuyant sur le discours religieux, l’islamisme séduit des populations appauvries et marginalisées. Les propositions de lutte contre la pauvreté et l’indigence contenues dans les recommandations islamiques peuvent en effet constituer pour une frange de la population désintégrée un argument massif pour recourir à l’action armée. La pauvreté, l’ignorance et les inégalités sociales font le jeu des fondamentalistes qui mettent en avant les inaptitudes des régimes à solutionner ces problèmes de société. Le Parti pour la Justice et le Développement , parti islamiste marocain, met d’ailleurs un point d’honneur à souligner l’incapacité des principaux courants politiques à empêcher la mobilisation des plus démunis dans la lutte radicale. Les mosquées qui, dans bien des pays méditerranéens, fournissent un point de repère social pour les exclus des villes, servent parfois de relais à ces réseaux. Dans ces pays, 12 Contribution de Luiz Martinez « L’environnement de la violence : djihad dans la banlieue d’Alger » à l’ouvrage de Rémy Leveau, L’Algérie dans la guerre, 1995. 13 Le Council on Foreign Relations est une organisation indépendante et nationale basée à New York qui met à la disposition des étudiants, des journalistes et de tout citoyen intéressé, des informations sur le monde et notamment sur la politique étrangère des Etats-Unis. 14 Daniel Pipes est le directeur du Forum du Moyen-Orient et l’un des membres de l’Institut Américain pour la Paix, dépendant du président des Etats-Unis. 110 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE souffrant pour la plupart d’un déficit social, les mosquées jouent en effet un rôle majeur. Elles sont souvent à l’origine des services sociaux les plus rudimentaires comme l’enseignement ou encore les soins médicaux. C’est notamment la raison pour laquelle la croissance des villes algériennes est allée de pair avec une augmentation considérable du nombre de mosquées à vocation humanitaire. Malheureusement, ces espaces relais sont quelquefois court-circuités par les réseaux intégristes qui utilisent ces mosquées comme centres de propagande à l’attention des populations déracinées. Ces populations exclues socialement le sont aussi spatialement, ce qui facilite le travail des réseaux intégristes. «Les bidonvilles posent un vrai problème de sécurité. La police n’y pénètre pas aussi aisément qu’ailleurs, il lui est plus difficile d’y localiser les habitants, et plus facile aux délinquants d’y trouver refuge», confiait à un journal local un fonctionnaire de la police marocaine. Les groupes islamistes armés marocains, comme AsSirat Al Moustaqeem (le Droit chemin), se sont ainsi essentiellement basés dans les bidonvilles de Casablanca. L’actualité, par le biais des attentats perpétrés à Casablanca en 2003, a montré que ces bidonvilles, d’où étaient issus les kamikazes, « constituaient une menace pour la cohésion et l’équilibre du tissu social, et une source d’exclusion, de déviation et d’extrémisme » comme l’a souligné le roi du Maroc dans son discours à la Nation du 11 octobre 2002. De plus, une enquête ouverte après les attentats est venue confirmer que la majorité des groupes takfiristes15 étaient issus des bidonvilles de Casablanca, de Meknès, de Fès et de Tanger, ainsi que des faubourgs déstructurés des villes marocaines. « La formation des groupuscules takfiristes s’est donc effectuée dans le cadre d’une déliquescence de l’appareil policier, celui-ci abandonnant brutalement les quartiers sensibles de la banlieue à la délinquance, devenue le terreau de recrutement et de reconversion des milices fondamentalistes.»16 Dans d’autres pays, comme au Liban, les groupes intégristes ont également profité de l’enfermement social et spatial d’une frange de la population pour s’implanter. Ainsi, l’ancrage salafiste17 dans les camps palestiniens du Liban est en grande partie le résultat des réseaux associatifs et éducatifs tissés dans les camps par La Jama’a alIslamiyya (les Frères musulmans libanais). Les salafistes, en s’immiscant dans le quotidien des populations, dans les prêches du vendredi, dans certaines écoles, dans la façon de s’habiller des personnes, sont parvenus à la dissolution des mécanismes traditionnels de solidarité en créant de nouvelles solidarités. Une prise en charge de l’action sociale par les organisations intégristes L’action des organisations intégristes dans le secteur social est l’une des clés expliquant leur infiltration dans les quartiers pauvres des cités. Nombreuses sont en effet les villes du bassin méditerranéen qui ont à souffrir d’une insuffisance de services sociaux. Les besoins considérables des populations en matière de logement, de soins de santé, de produits alimentaires ne sont que partiellement satisfaits. Profitant de ces pénuries, les organisations intégristes mettent en place une véritable «stratégie de la bienfaisance». Au Maroc, par exemple, ainsi que le rapporte Mike Davis18 dans son livre Planet of Slums: «Des organisations caritatives comme «Justice et bien-être» fondée par Cheik Yacine, sont devenus de vrais gouvernements de taudis: organisant des cours du soir, fournissant l’assistance judiciaire aux victimes des abus de l’Etat, achetant des médicaments pour les malades, subventionnant des pèlerinages et payant des enterrements». À ce titre, l’ancien Premier Ministre marocain Abderrahmane Youssoufi, se confiant au journaliste du Monde diplomatique, Ignacio Ramonet, a déclaré: «Nous (la Gauche marocaine), nous sommes coupés du peuple. Nous avons besoin de reconquérir les quartiers populaires. Les islamistes ont séduit notre électorat naturel. Ils leur promettent le paradis sur terre».19 Selon Nadia Yacine, porte-parole et fille du fondateur du mouvement islamiste «Justice et bien-être» cité plus haut, le succès rencontré par ces mouvements s’explique de la façon suivante : « Confrontés à la négligence de l’Etat et confrontés à la brutalité de la vie quotidienne, les gens découvrent, grâce à nous, la solidarité, l’entraide, la fraternité. Ils comprennent que l’Islam est humanisme».20 Cette prise en charge des services sociaux par les organisations islamistes se retrouve dans d’autres villes du bassin méditerranéen. Ainsi, dans les bidonvilles de Gaza, le Hamas et les autres partis islamistes progressent d’autant plus vite que leur réseau social pallie la gabegie et la corruption présentes sur le territoire. Dans la banlieue sud de Beyrouth, le Hizb’Allah, organisation militaire et terroriste pour certains et parti politique pour d’autres, contrôle le système éducatif (offrant notamment aux jeunes des bourses d’études en Iran), administre les services municipaux (collecte des poubelles, asphaltage des routes, etc) et gère aussi des services sociaux, des pharmacies, des cliniques et des banques islamiques qui prêtent sans intérêt. Ces nouvelles solidarités créées par les organisations islamiques viennent ainsi se substituer à l’action carencée, voire inexistante, des Etats et insufflent une forme de lien social là où il n’y en a pas. 15 Le”takfir” est l’une des principales idéologies de la violence dans le monde musulman, notamment depuis le début des années 1990. 16 Selma Belaala , Fabrique de violence: Misère et djihad au Maroc, Le Monde diplomatique, nov 2004. 17 La « Salafiya » est un courant islamiste réactionnaire et ultra-radical qui prône un retour à l’islam des origines et dont le premier pôle d’implantation est le Maghreb. 18 Mike Davis analyse dans son livre le phénomène de “bidonvillisation “ à travers le monde. 111 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE DÉCENTRALISATION ET GOUVERNANCE URBAINE LA GOUVERNANCE URBAINE EN QUESTION Une évolution irréversible Des conditionnalités lourdes La notion de gouvernance urbaine se réfère à « un ensemble d’institutions, de mécanismes et de processus au travers desquels les citoyens peuvent articuler leurs intérêts et leurs besoins, résoudre les conflits et exercer leurs droits et devoirs à l’échelon de la vie locale.21 Les ingrédients d’une « bonne gouvernance » sont multiples et largement connus : participation des citoyens, partenariat actif entre les différentes parties prenantes à la vie locale, mise en capacité des acteurs aux différents niveaux de la société, transparence et responsabilisation. L’objectif visé est celui d’une plus grande efficacité des services publics, avec une attention particulière aux plus démunis. La décentralisation en est, pour cette raison, l’un des moteurs essentiels. Or, pendant longtemps, la centralisation du pouvoir et du système de décision a été une caractéristique que partageait l’ensemble des pays méditerranéens. Tous les pays, même les plus décentralisés, ont , en effet, vécu, à un moment ou à un autre de leur histoire, sous le joug d’une opinion selon laquelle un pouvoir central fort et tentaculaire était le meilleur garant de l’unité de la nation contre toute revendication locale. Cette centralisation a permis des progrès considérables dans une phase initiale de développement à un moment où il fallait agir vite et sur de nombreux fronts : éducation, santé, logement, infrastructures de base. Les traces de cet état de fait sont encore visibles tant dans le découpage même du territoire que dans les compétences et l’autonomie concédées aux différents niveaux de gouvernement. Mais au fil du temps, cette efficacité s’est émoussée sous l’effet de la pression démographique, de l’urbanisation rapide et de la complexité croissante des services publics modernes. Un mouvement progressif de dévolution de compétences vers les villes a donc été amorcé et qui, bien qu’encore incomplet, apparaît de plus en plus comme irréversible. Le traitement des questions urbaines à un échelon plus pertinent et plus proche de la population, sans niveau intermédiaire, est l’aspect positif du mouvement décentralisateur qui est en cours. Avec lui, c’est le rôle des élus et des exécutifs des gouvernements locaux qui a été affirmé. En ce sens, elle est devenue une tendance lourde des sociétés méditerranéennes. Elle est synonyme de progrès démocratique et social et fait des villes le principal étalon de mesure de la cohésion des sociétés. Toutefois cette évolution ne pourra se pousuivre qu’à deux conditions : • La démocratisation est là indispensable : si les gouvernements locaux ne sont pas élus par l’ensemble de leurs administrés, ceux-ci ne disposent pas des moyens de sanctionner les choix et les politiques locales. • La plus importante de ces deux conditions est l’amélioration de l’efficacité de la gestion publique, qui dépend cruellement : (i) des possibilités financières et du degré d’autonomie dont disposent les gouvernements locaux pour programmer leurs investissements, (ii) du niveau de formation et des capacités techniques des élus et des fonctionnaires locaux, (iii) des possibilités réglementaires qu’ont les gouvernements locaux d’adapter leurs services publics à la réalité historique, géographique et sociale de leur territoire. Cette voie est, pour ces deux raisons, plus difficile qu’il n’y paraît dans la mesure où ce processus de décentralisation appelle une réforme simultanée de l’ensemble des structures, des institutions et de la conception même de l’Etat Aujourd’hui, les villes de la Méditerranée se trouvent donc dans une période transitoire de recomposition dans laquelle deux logiques se font concurrence : la logique traditionnelle qui puise ses racines dans l’organisation étatique héritée du passé et qui s’exprime à travers une administration puissante, et une logique plus moderne dont les fondements se trouvent dans la séparation des pouvoirs, la transparence et le respect des lois. Cette dualité marque la situation actuelle des systèmes politiques et la marche des Etats, au point que le système de gouvernance, comme les structures politiques, nécessitent en permanence une double lecture. C’est dire que la problématique de la gouvernance est au carrefour de l’ensemble des réformes à conduire pour faire évoluer les pays et, qu’au-delà des aspects techniques, elle dépend largement de l’évolution du cadre institutionnel et politique. 21 Définition de l’UNDP. 113 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE LA DÉCENTRALISATION : UN MOUVEMENT ENCORE RELATIF À POURSUIVRE ET À MAÎTRISER En Méditerranée comme ailleurs, la ville a, de tout temps, été considérée comme l’unité administrative de base de l’organisation de l’Etat. Mais jusqu’à une période récente, l’Etat central était responsable des principaux services publics rendus à la population. Une évolution historique s’est opérée à partir des années 80 qui a conduit à transférer aux communes une partie de ces prérogatives. Ce transfert de pouvoirs s’est accompagné de nouvelles missions confiées aux collectivités locales qui embrassent des domaines d’activités étendus : distribution de l’eau potable, assainissement, collecte et traitement des déchets, voirie, transports publics, habitat social, santé, protection de l’environnement, etc. Des dévolutions importantes ont été, en particulier, accordées aux grandes villes où les problèmes étaient les plus urgents. Mais dans la pratique, ce mouvement s’est heurté à des difficultés qui en ont limité la portée. La réalité des compétences communales en matière de gestion repose, en effet, grandement sur leurs ressources humaines et financières. Or, dans toutes les villes méditerranéennes, l’écart entre besoins et ressources reste important. En particulier face à l’ampleur des investissements requis, les ressources autonomes des villes sont loin d’être suffisantes. Une culture administrative centralisatrice Lorsque les pouvoirs publics ont décidé de revoir le système administratif, ils se sont rapidement trouvés face à une administration centrale très puissante et extrêmement active, qui influait de différentes manières, non seulement sur la conduite des affaires mais aussi sur les collectivités et sur la vie des populations. Cette forte culture administrative, centralisatrice, a été confortée par l’absence de niveaux décentralisés intermédiaires entre le niveau central et le niveau communal. Les Provinces, Wilayas, Gouvernorats, Muhafazates sont d’abord des niveaux de déconcentration. Hormis le cas d’Israël, la seule véritable tentative de création d’un niveau intermédiaire décentralisé est marocaine. Une collectivité locale régionale, dotée de la personnalité et de l’autonomie financière a été instaurée en 1997. Et cette tentative reste limitée du fait des très faibles ressources financières concédées aux régions et du pouvoir que conserve le Gouverneur du chef-lieu de la région. Celui-ci exécute les décisions du Conseil régional, est investi du rôle d’ordonnateur du budget régional, et les présidents élus des conseils ne disposent que d’un visa sur les décisions du représentant nommé par l’Etat. 114 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Même si les villes apparaissent comme le plus haut degré de décentralisation, l’exécutif municipal est souvent placé sous la tutelle des niveaux déconcentrés de l’Etat (Wallis, gouverneurs, etc), c’est-à-dire indirectement sous le contrôle de l’Etat central. Si les modèles de décentralisation se rapprochent de ceux rencontrés en Europe, les types de contrôles auxquels sont soumises les collectivités diffèrent plus radicalement : peu d’entités autonomes de contrôle et une tutelle de l’Etat central. Une autre faiblesse de la structuration politique et administrative territoriale des pays méditerranéens est la faible représentativité des niveaux intermédiaires entre l’Etat et les organisations communales (Régions, Provinces). Cette situation, sans grande conséquence pour les grandes agglomérations métropolitaines, constitue un véritable handicap à l’autonomie des villes moyennes et des petites communes qui, en l’absence de structures de regroupement, se retrouvent entièrement sous la coupe de l’Etat. L’exemple méditerranéen montre ainsi que le centralisme s’accommode mieux d’une administration locale que de l’existence de niveaux intermédiaires décentralisés. Un empilement des pouvoirs de décision Le mouvement de décentralisation se heurte également à la confusion institutionnelle créée par la superposition de différents niveaux de pouvoir sans véritable souci de rationalisation. La gestion du secteur public est, en effet, aujourd’hui caractérisée par l’éparpillement des centres de décision qui engendre une confusion des responsabilités. Même si la participation des différents niveaux de pouvoir sur les questions urbaines est réelle (ex: Capacity 21 au Liban), des obstacles à la décentralisation sont apparus. En effet, lorsque des prérogatives attribuées aux municipalités sont trop importantes par rapport à leurs capacités financières et techniques, une inadéquation et un blocage voient le jour. De nombreux échelons interviennent lors de la mise en œuvre d’une décision qui la ralentissent et l’affaiblissent, le niveau ultime ne sachant souvent vers qui se tourner pour obtenir des explications ou établir un recours. En outre, lorsque la décentralisation des compétences dites traditionnelles des Communes ne s’est pas accompagnée des pouvoirs financiers correspondants, l’Etat, à travers les Offices Nationaux et/ou les Etablissements Publics, a conservé toutes ses prérogatives en matière de gestion. La décentralisation y a perdu de sa visibilité et de sa crédibilité politique. La carte des compétences, et donc des responsabilités, est ainsi devenue incompréhensible pour le citoyen qui persiste à penser que la nation toute entière ne s’est pas donnée les moyens d’une meilleure correspondance entre les besoins exprimés par la population et l’offre publique de services marchands. créées par l’Etat central sont toujours sous la tutelle exclusive d’un ministère. Des compétences urbaines encore insuffisantes Le manque d’autonomie financière : la marque du gouvernement central sur les autorités locales Au-delà des capacités individuelles, la gouvernance urbaine suppose donc une capacité d’organisation ainsi qu’une définition des besoins essentiels des populations urbaines avant de les traduire en actions au niveau politique et de les satisfaire. Ainsi, la gouvernance urbaine nécessite des compétences à la fois techniques et organisationnelles. Elle a pour ambition de concilier le travail entre plusieurs niveaux et plusieurs types d’acteurs publics et privés (compétences multi niveaux) : d’une part, le niveau étatique ainsi que le niveau décentralisé, l’Etat et les établissements publics (les chambres de commerce et d’industrie) ; d’autre part, l’Etat et la société civile (citoyens, ONG, experts,...) ; enfin, l’Etat et le secteur privé. Les compétences dont il est question ici sont des compétences rares, qui se construisent au fil de l’expérience, qu’elles soient individuelles ou organisationnelles. Elles sont de plus en plus largement représentées au sein des Ministères régaliens ou des Ministères Techniques qui disposent d’un personnel d’encadrement de mieux en mieux rompu à l’exercice des responsabilités et à la prise de décision dans des environnements de plus en plus complexes. Ces responsables ont également développé, grâce à des accords de coopération externes et des contacts de plus en plus fréquents avec les groupes industriels mondiaux, de véritables capacités de négociations et de mise en œuvre de grands projets nécessitant une ingénierie financière et technique élaborée. Mais ces compétences, on l’a dit, sont rares et concentrées aux échelons les plus élevés de l’Etat et des administrations publiques. Elle percolent difficilement jusqu’aux collectivités territoriales dont les personnels politique et technique se retrouvent souvent dépassés par des responsabilités auxquelles ils n’étaient pas préparés. Et ce, d’autant que les textes réglementaires ne fixent pas clairement les tâches dévolues aux collectivités locales. Une autre évolution importante a été que le mouvement tardif de décentralisation a été suivi, quelques années plus tard, d’un mouvement d’ouverture de certains services marchands au secteur privé (depuis la simple délégation jusqu’à la privatisation pure et simple) qui n’a pas laissé le temps de construire des collectivités efficaces et de les habituer à régler les problèmes soulevés par la mise en œuvre de ces services. Le processus de décentralisation relativement récent n’a donc pas toujours, pour cette raison, été conduit à son terme. Et aujourd’hui encore, en Méditerranée, certaines entreprises nationales Mais l’élément le plus marquant des difficultés rencontrées dans la dévolution des responsabilités aux communes reste financier. Pour pouvoir être autonomes, les collectivités locales ont, en effet, besoin de ressources financières suffisantes. Leurs deux principales ressources en dehors de l’emprunt, proviennent de la fiscalité et des dotations de l’Etat. Une réelle autonomie financière supposerait que les collectivités locales puissent disposer du pouvoir de fixer le volume de leurs recettes par la fiscalité. Or, les dotations de l’Etat tendent à se substituer progressivement à cette fiscalité, rognant au fur et à mesure leurs marges de manœuvre. Par exemple, les dotations de l’Etat au Maroc représentent 68% du total des revenus des provinces et préfectures, et 15% des revenus des communautés et municipalités urbaines. La décentralisation n’a pas trouvé les ressources fiscales nécessaires à son application. Bien que certains Etats aient déployé des efforts pour doter les collectivités locales de ressources fiscales consistantes, cette fiscalité est loin de répondre aux besoins. Le degré de décentralisation effective est faible. Le gouvernement local est limité dans ses capacités à fixer le niveau de la fiscalité locale pour financer les services publics. Dans aucun des pays méditerranéens un gouvernement local ne peut emprunter des fonds, à l’exception de la Tunisie et du Maroc. Mais même dans ces deux pays, le ministre de l’Intérieur exerce un contrôle sur le budget annuel et peut refuser l’emprunt. Par ailleurs, de lourdes contraintes pèsent sur les autorités locales lors de la réalisation du budget et la détermination des dépenses. Elles réduisent considérablement leur autonomie. Par exemple, en Egypte, l’estimation des dépenses est faite par chaque ministère concerné et est ensuite donnée pour approbation au conseil populaire Si l’on devait résumer la situation concernant la répartition des compétences en matière de services urbains marchands en Méditerranée il faudrait donc souligner que les autorités communales disposent au mieux de compétences en matière de gestion, alors que l’Etat central conserve, au moins, ses prérogatives en matière de planification et d’orientation générale des services publics. 115 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE FACE AUX RÉSISTANCES, L’ÉMERGENCE DE CONDITIONS DE SUCCÈS ET DE SOLUTIONS INNOVANTES Une notion qui s’enracine lentement Les résistances à un transfert accru de compétences vers les villes sont, on l’a vu, encore très nombreuses. Nombre de pays européens ont, au demeurant, connu ou connaissent encore des difficultés similaires. Le volontarisme et l’engagement formel des Etats est, ici, moins en cause que la lourdeur des habitudes et des pratiques acquises mais aussi la complexité même d’un processus qui est lourd de conditionnalités. La décentralisation est un processus de long terme pour lequel une stratégie doit être mise en place et des priorités clairement définies. Le PNUD qui a fait de la gouvernance locale une de ses priorités d’action dans les pays méditerranéens met en avant quatre priorités d’action dans le long cheminement institutionnel vers une gouvernance locale réussie qui sont : • Le transfert de ressources et la fiscalité locale, • Le développement des compétences (capacity building), • Une participation active et structurées des citoyens aux décisions, • La mise en place de projets expérimentaux permettant de démontrer le bien-fondé et l’efficacité de la décentralisation. Sur tous ces points, les réformes en cours dans l’ensemble des pays gagnent en légitimité en opérant une focalisation sur des problèmes de terrain et sur les obstacles procéduriers qui s’opposent à la mise en place de services publics plus efficaces. C’est ce qui explique que la décentralisation bénéficie d’un statut de plus en plus privilégié dans l’agenda politique des différents gouvernements. Elle est inscrite dans la constitution de certains pays, dans des termes, certes, plus ou moins explicite, mais qui ne permettent pas de douter de l’intention du législateur. La constitution marocaine, par exemple, prend soin de ne pas se référer au principe de l’autonomie locale ou du libre exercice du pouvoir par les collectivités locales, préférant mettre l’accent sur la notion de gestion démocratique des affaires locales. Au-delà, la décentralisation est vécue comme un facteur essentiel d’apprentissage de la vie politique et de la participation citoyenne aux affaires publiques. C’est donc une fonction de grande importance quand on connaît les difficultés de toutes sortes qui retardent l’ouverture du champ politique national central. C’est ce qui explique que les forces sociales se soient, en priorité, investies sur le 116 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE plan local. C’est ce qui explique également que la gouvernance urbaine soit progressivement devenu le thème central des coopérations qui se nouent avec leurs partenaires au Nord du bassin directement ou à travers des organisations multilatérales. Le programme GOLD (voir encadré) en est une parfaite illustration. LE PROGRAMME GOLD Le programme GOLD Maghreb, initiative de partenariats pour la Gouvernance Locale et le Développement dans le Maghreb, se propose d’offrir aux administrations locales un cadre de référence et des instruments opérationnels pour encourager et faciliter l’établissement des partenariats internationaux, afin de contribuer plus efficacement à un développement local durable, équitable, pacifique et démocratique. GOLD Maghreb vise à soutenir les élus locaux, la société civile et le secteur privé maghrébin dans leur effort de promotion du processus de décentralisation et de développement participatif et intégré au niveau des régions administratives du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Lybie. Il a pour principal objectif d’appuyer le processus de développement local participatif à travers une meilleure utilisation des ressources de la coopération internationale, de la coopération décentralisée et de la coopération Sud-Sud. GOLD intervient en matière de gouvernance locale, de développement économique local et de prévention de l’exclusion sociale. Il vise également à promouvoir les cultures méditerranéennes, la connaissance et le respect réciproque et à favoriser les échanges culturels. Le groupe de travail au sein des régions GOLD (Gouvernorats, Wilayas, Shabiyat) élabore les Documents de Marketing du Territoire (DMT) à travers une assistance technique. Les acteurs de la coopération décentralisée peuvent participer à ces activités en fournissant une aide ou en contribuant à des formations d’exécutifs locaux. Vers une participation accrue des citoyens aux décisions La gouvernance urbaine n’est pas qu’une affaire de volonté politique. Elle est également affaire de méthode. Le seul fait de parler de démocratie participative, de partenariat, de projet intégré ou de développement durable, ne suffit pas si on ne dispose pas des outils permettant d’engager des transformations pratiques en termes de méthode de travail, de processus d’élaboration des politiques et d’organisation des services, qui vont permettre de les pratiquer. La participation citoyenne au processus de décision est un de ces outils les plus importants. Des expériences innovantes et probantes ont été et sont mises en œuvre au niveau des municipalités dans la plupart des pays de la région. Ainsi, en Tunisie, le rôle des associations de quartier ne cesse de se développer. Elles jouent, à présent, un rôle de plus en plus actif auprès des municipalités en particulier pour faire remonter les demandes voire les récriminations des habitants sur les sujets les plus divers. En Egypte, le désengagement en cours de l’Etat ouvre un champ d’action de plus en plus important à la vie associative et aux ONG qui vont, dans certains cas, jusqu’à se substituer aux collectivités locales défaillantes, gérant directement certains services urbains tels que le ramassage d’ordures et l’aménagement d’espaces verts. Une tentative pionnière de ce type a été menée dans le cadre du programme LIFE soutenu par le PNUD. Le renouvellement de la participation des habitants peut être perçu comme le résultat des effets conjugués du processus de démocratisation, de décentralisation et de la pression que la demande sociale exerce sur l’Etat. Ainsi, l’«advocacy planning»22 s’appuie sur le principe de l’aménagement urbain participatif. Il propose de mettre les compétences des experts au service des catégories sociales les plus défavorisées de manière à les associer au processus de planification, afin de contrebalancer la répartition inégale des pouvoirs dans la société. La participation des citoyens se présente comme un moyen de pallier les insuffisances bureaucratiques de l’appareil administratif. Deux villages, Batra et El Kelh, situés respectivement dans les gouvernorats de Gharbéya et d’Assouan, ont été sélectionnés pour la mise en œuvre d’un projet pilote d’aménagement participatif. En Algérie, un projet de « Promotion de la décentralisation et de la gouvernance locale » est en cours avec pour objectif d’améliorer l’accès aux services publics des franges les plus défavorisées de la population. Des formes de « planification participative » sont également mises en oeuvre pour des opérations de réhabilitation. C’est, par exemple, le cas du «grand ensemble » d’habitat collectif à l’est d’Alger. Des expérience similaires sont également conduites dans d’autres pays avec la même finalité qui est de faire remonter vers les décisionnaires des informations qui permettent de mieux prendre en compte les priorités et d’assurer une plus grande efficacité dans l’allocation des ressources. 22 Expérience venue des Etats-Unis développée dans les quartiers spontanés ou dans le monde rural. 117 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES URBAINES DES BESOINS FINAN- CIERS CONSIDÉRABLES En rapprochant les éléments recueillis au cours de cette étude d’autres données relatives aux investissements publics dans les pays méditerranéens, on a cherché à dégager les besoins financiers nécessaires à une «mise à niveau» des services publics les plus indispensables à la population dans les villes du Sud. Les données statistiques font ici cruellement défaut. Les investissements publics actuels des pays méditerranéens ne sont appréhendés que de façon globale, sans possibilité de pouvoir isoler les investissements dédiés à l’amélioration du cadre urbain. Et du fait de leur forte imbrication dans les comptes de l’Etat, les comptes des collectivités territoriales ne permettent pas de se faire une idée précise des investissements actuellement prévus ou réalisés dans les domaines tels que l’eau, les déchets, la voirie, les transports publics ou l’habitat. Par ailleurs, les projets d’infrastructure annoncés par les villes sont difficiles à interpréter sur le plan budgétaire, du fait de leur imprécision quant aux dates de réalisation, et sur leur structure de financement. En l’absence d’un système organisé d’information sur les besoins et les projets d’infrastructure ville par ville, on a donc choisi de procéder à une évaluation normative par grand domaine (eau, déchets, transports publics…) sur la base de ratios d’investissements tirés de l’expérience des grands opérateurs et gestionnaires de services urbains. Les résultats qui s’en déduisent sont évidemment imprécis dans la mesure où ils ne tiennent pas compte de la diversité des problèmes rencontrés et d’un état des lieux qui peut varier dans des proportions importantes d’une ville à une autre. Ils n’en fournissent pas moins un ordre de grandeur des financements nécessaires pour atteindre un objectif déterminé et des écarts à combler entre les besoins financiers ainsi estimés et les ressources disponibles. Cette approche a été, au demeurant, abondamment utilisée pour évaluer les besoins d’investissement nécessaires pour la mise des infrastructures des pays nouveaux entrants dans l’Union Européenne23. Concernant les objectifs à atteindre, on a étendu à l’ensemble des services publics urbains les objectifs pris par la communauté internationale pour l’eau et l’assainissement dans la Déclaration du Millénaire par laquelle les Nations Unies se sont donné pour objectif à un horizon de quinze ans la réduction de moitié de la proportion de personnes sans accès durable à une eau saine, abordable et en quantité suffisante. Compte tenu de la population urbaine actuelle (165 millions) et des prévisions d’accroissement annuels (environ 4 millions), on a pris comme objectif les investissements qui seraient nécessaires pour couvrir une population de 8 millions de personnes par an soit 80 millions à un horizon de 10 ans (environ le tiers de la population urbaine prévue à cet horizon). Les résultats de ces évaluations sont consignés dans le tableau ci-après. Investissements annuels dans les services publics urbains essentiels dans les pays méditerranéens (estimation) Domaines Eau et assainissement Collecte et traitement des déchets Transports publics Logement social Voirie Total Investissements annuels (milliards d’euros) 6 à 7,0 0,6 1,3 à 1,5 1,3 à 1,5 0,8 10 à 11,4 On retiendra donc le chiffre de 10 milliards d’euros par an soit 100 milliards à l’horizon 2015 comme ordre de grandeur des investissements nécessaires pour résorber environ 50% des déficits en terme d’infrastructures urbaines dans les villes méditerranéennes. Face à ces besoins, les ressources sont, en théorie, très diverses. Elles peuvent venir des usagers eux-mêmes qui par les contributions qu’ils acquittent soit directement soit sous forme de taxe locale, peuvent contribuer au cashflow des sociétés gestionnaires et donc à leurs investissements. Les opérateurs privés peuvent avoir, dans le cadre des concessions qui leur sont accordées, des obligations de rénovation ou de création d’infrastructures 23 On se référera,en particulier, aux travaux du Ministère de l’Environnement Danois qui à la demande de la Commission Européenne, a calculé les besoins d’investissement nécessaires pour une mise à niveau réglementaire des infrastructures urbaines des dix pays qui ont rejoint l’Europe en 2004. 119 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE nouvelles. Les banques locales peuvent proposer des prêts aux opérateurs dans le cadre de leur programme d’investissement. L’aide internationale, enfin, apporte traditionnellement son concours à ce type d’investissements sous forme de prêt ou de don. Mais pour être clair, l’essentiel des investissements est aujourd’hui réalisé par les Etats eux-mêmes à partir de leurs ressources propres ou de prêts accordés par les institutions financières multilatérales. En effet, les recettes des usagers couvrent à peine, dans le meilleur des cas, les coûts de fonctionnement et ne contribuent donc que très exceptionnellement aux investissements. Les aides sous forme de dons ne représentent qu’une faible part des investissements publics urbains réalisés. Quant au partenariat public privé, s’il a permis d’améliorer de façon très significative la qualité de la gestion et le niveau du service, il n’a pas, à quelques exceptions prés, contribué de façon significative aux efforts d’investissements en infrastructures nouvelles. Dans la structure actuelle de financement, l’objectif de porter à 10 milliards d’euros le niveau des investissements urbains conduirait à un quasi doublement de l’effort public supporté par les Etats dans le domaine. Or, un tel effort dépasse très largement leurs possibilités budgétaires. Les déficits publics et le niveau d’endettement des Etats ne leur accorde, en effet, que de très faibles marges de manœuvre financières. L’objectif visé n’est pas, pour autant irréalisable à la condition toutefois que l’ensemble des ressources mobilisables puissent l’être effectivement. La tarification des services publics doit évoluer dans un sens qui traduise mieux la valeur économique du service rendu. Des progrès ont été réalisés dans ce domaine au cours des dernières années. Dans certains pays, le principe de la tarification et les mécanismes de marché sont de mieux en mieux acceptés. Ces succès demandent à être rapidement généralisés. Il faudra également que soient stimulés les investissements privés dans le cadre du partenariat publicprivé sous des formes, et elles existent, qui permettent un accès à ces services à tous à un prix abordable et particulièrement aux populations les plus défavorisées. Il faut, enfin poursuivre les réformes politiques et institutionnelles qui seules, permettront d’engager des changements durables à la fois dans la gestion des services publics et l’attraction d’investisseurs privés. 120 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE LE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ : OUTIL AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT URBAIN Le développement urbain et la maîtrise à la fois de la croissance démographique et de la construction d’infrastructures sont au cœur des préoccupations des pouvoirs publics nationaux et locaux. Le partenariat entre le secteur public et le secteur privé, encore peu mis en avant dans les pays méditerranéens s’avère être une formule efficace mais difficile à mettre en œuvre. Une implication croissante des opérateurs privé dans le financement des infrastructures urbaines L’explosion des besoins en matière de service public marchand et les limites de la capacité de financement des Etats ont conduit à la mise en place de formes d’organisations nouvelles à partir d’une implication accrue du secteur privé. Ce qu’il est convenu d’appeler le partenariat public-privé recouvre en fait une grande diversité de situations. Les coopérations mises en œuvre visent, le plus souvent, à assurer le financement, la construction, la rénovation, la gestion ou l’entretien d’une infrastructure ou la fourniture d’un service. Les domaines couverts sont principalement les télécommunications, la production et la distribution de l’électricité, la gestion des déchets urbains, la distribution d’eau, les transports publics urbains la distribution d’eau potable et le traitement des eaux usées. Bien conçu, le partenariat public-privé permet d’apporter des réponses appropriées aux besoins des habitants sur des services publics essentiels. Cependant, si ce partenariat dessine un nouveau cadre général, il n’existe pas de modèle unique reproductible mais des solutions adaptées à des situations locales et à des problèmes particuliers. Les défis à relever sont néanmoins nombreux : concilier investissements et rentabilité avec l’accès aux services pour les plus démunis, assurer l’implication d’un opérateur privé souvent étranger dans un environnement dont il devra faire l’apprentissage, créer les conditions d’une régulation efficace, satisfaire aux exigences d’un développement durable. Des avantages réels difficiles à mobiliser Le premier avantage est, bien évidemment financier puisque l’objectif d’un PPP est de faire financer l’investissement public par le secteur privé et d’améliorer la qualité du service. Il permet donc, en premier lieu, de diminuer la charge budgétaire d’un Etat. Par ailleurs, la discipline financière à laquelle doivent s’astreindre les investisseurs pour s’assurer de la rentabilité de leurs placements dans un projet en PPP garantit également, de leur part, un suivi minutieux de la préparation et de la réalisation du projet. Il ne faudrait pas penser, pour autant, que les PPP puissent se substituer majoritairement aux investissements publics, concernant en particulier les investissements urbains. Tous secteurs confondus, on constate que les PPP n’ont représenté, au cours des vingt dernières années qu’environ 22% des investissements en infrastructure. Plus de deux tiers ont été financés sur fonds publics et le reste, soit environ 10%, par l’aide internationale. La part des fonds publics dans le financement des infrastructures urbaines dépasse vraisemblablement les trois quarts des investissements totaux dans ce domaine. Autre avantage de taille, les modalités contractuelles du PPP sont centrées sur les résultats à atteindre plutôt que sur les moyens et les méthodes de travail. On s’assure ainsi, en principe, de l’atteinte des résultats à un prix et dans les délais convenus au moment de la signature de l’entente de partenariat. Si pour diverses raisons, le service s’avère inadéquat ou de qualité inférieure, la rémunération du partenaire privé s’en trouvera réduite et agira en tant que moyen pour assurer le service de la qualité prévue au contrat. Enfin, dans l’éventail des formes de gestion déléguée, certaines peuvent être également un levier efficace de décentralisation et de responsabilisation des collectivités locales. Elles présentent en effet l’avantage d’être peu consommatrices de compétences, de ressources humaines et financières. Elles apparaissent également comme un instrument accompagnant parfaitement les spécificités de la décentralisation en Méditerranée à la condition toutefois qu’elles respectent le principe du PPP. Des risques multiples à maîtriser Les risques associés à ces projets dans les pays en développement en général sont de plusieurs natures. Le risque tarifaire est l’un des principaux risques auxquels sont confrontés les opérateurs privés et concessionnaires de service public dans les pays méditerranéens. Les projets d’investissement, que ce soit dans le domaine de l’eau, de l’assainissement ou celui des déchets, supposent des investissements initiaux importants dans les premières années, qui ne sont rentabilisés que sur une très longue durée grâce à une augmentation régulière et prolongée des recettes. Les contrats de concession que ce soit sur l’eau, l’assainissement ou les déchets, sont des contrats portant sur des périodes longues, durant lesquelles de nombreuses évolutions peuvent se produire, notamment dans la politique nationale, pouvant influer fortement sur les prix du service même lorsque celui-ci est régulé. S’ajoute au risque tarifaire un risque de change. En effet, les recettes générées se présentent dans la monnaie locale alors que les prêts qui couvrent les investissements nécessaires appellent souvent un remboursement en monnaie étrangère. Or, les risques de change dans la région sont élevés. En pratique, au cours des dix dernières années, certaines des grandes concessions et des partenariats privés ont souffert de dévaluations brutales ou progressives intervenus dans les pays hôtes. Les risques de change ne sont plus contractuellement maîtrisables en cas de brusque chute du cours des devises et dans ce cas, les tarifs prévus ne peuvent pas être pratiqués et les paiements des clients deviennent aléatoires. Enfin, le risque contractuel reste très important, en particulier, dans la zone méditerranéenne et ce pour trois raisons principales. La première est qu’il s’agit comme on l’a dit de contrats portant sur des périodes longues durant lesquelles des évolutions importantes peuvent intervenir dans la politique nationale ou dans les normes imposées au service. La deuxième tient à l’introduction des grands opérateurs privés dans des pays dont ils n’ont pas l’expérience et sur des domaines pour lesquels l’information initiale (la carte et l’état du réseau par exemple) est souvent déficiente. La troisième est la tendance à la dérégulation de certains secteurs : l’apparition de régulateurs supposés indépendants, les projets de privatisations de certaines autorités autrefois délégantes, sont autant de facteurs qui peuvent concourir à l’insécurité des PPP ou à un certain manque de visibilité. Pour une régulation efficace et équitable La garantie d’une gestion équitable et efficace des villes et de leurs services urbains passe par des conditions formelles à remplir24 Un équilibre entre les intérêts des institutions publiques et les intérêts privés est nécessaire. En outre, une fois cette articulation établie, des exigences de transparence et de rationalité économique doivent être assurées. C’est le rôle généralement dévolu à l’organisme régulateur. La capacité publique de régulation des partenariats public-privé doit être considérée avec attention. L’exemple marocain est de ce point de vue révélateur. Le Maroc s’est engagé récemment mais rapidement dans l’octroi de concessions aux acteurs privés (80% du secteur de la distribution d’eau, d’électricité et d’assainissement urbain est géré en concession). La multiplicité des contrats et des modes d’octroi des concessions ne garantit pas nécessairement la transparence des procédures. Un texte peut alors chercher à consacrer des principes clairs en matière de délégation de gestion : transparence, généralisation du recours aux appels d’offres, égalité de traitement des soumissionnaires, obligation de publicité. 24 « Services urbains et développement durable », Rapport de synthèse, C. DEFEUILLEY et D. LORRAIN, ISTED, IGD, Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement. 121 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE L’organisation institutionnelle de contrôle et de régulation des partenariats doit relever de la responsabilité publique et ne peut être conçue sans un rôle explicite et transparent des collectivités locales concernées. Celles-ci doivent également en assumer la pleine responsabilité auprès des populations. Il est important d’optimiser les avantages comparatifs respectifs des secteurs privé et public. L’accès aux services des populations les plus défavorisées Dans la plupart des villes méditerranéennes, une partie non négligeable de la population n’est pas en mesure de payer à leur vrai prix les services auxquels ils souhaitent avoir accès ni, a fortiori, de financer les investissements nécessaires à l’extension ou à la rénovation des réseaux. Ce problème n’est pas spécifique aux pays méditerranéens. Selon le World Resources Institute, les agglomérations des pays en voie de développement comptent entre 25 et 50% d’habitants à bas revenus n’ayant pas accès aux services urbains de base. Dans un contexte de gestion privée où l’opérateur doit être en mesure de rentabiliser son investissement, il n’est pas possible, en principe, de délivrer le service gratuitement sans courir le risque de mettre en péril l’équilibre financier du contrat. Mais il n’est pas, à l’inverse, envisageable de laisser les populations les plus défavorisées sans accès aux réseaux. Des solutions existent dont certaines sont mises en application dans certaines grandes villes du bassin méditerranéen. La péréquation tarifaire est aujourd’hui le moyen le plus utilisé qui permet de ne faire supporter aux populations à bas revenus qu’une partie du coût du service, la différence étant à la charge des autres clients. La péréquation s’applique également aux investissements d’extension ou de rénovation du réseau. Mais péréquation ne veut pas dire que le service soit délivré gratuitement aux usagers les plus modestes. D’autres solutions existent également (voir tableau ci dessous) dont la mise en œuvre dépend du contexte local. Elle exige par ailleurs une vigilance particulière de l’autorité de régulation. Une certaine dose d’intermédiation sociale est également nécessaire aussi pour recouvrer les coûts. Tous les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour reconnaître que le fait que les gens payent pour l’eau -même très peu -a de nombreuses vertus : au-delà d’une contribution au recouvrement des coûts, il aide chacun à prendre conscience que l’eau payante ne doit pas être gaspillée. L’argument est même utilisé par les fontainiers pour discipliner les queues aux bornes-fontaines. Quel que soit l’état de pauvreté, une 122 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE participation financière minimum des personnes concernées est souhaitable. On constate, en effet, que les personnes pauvres non desservies en eau, achètent souvent cette eau à des vendeurs itinérants ou à des voisins, souvent à des prix plusieurs fois plus élevés que le prix acquitté par les personnes raccordées. Mais il s’agit souvent de faibles quantités d’eau ; une fois raccordés, les ménages pauvres pourraient donc, avec un budget moindre, être raccordés moyennant une réduction de prix. Il faut également reconnaître que, dans certains contextes, la capacité à payer l’eau reste un objectif éloigné, les subventions étant inévitables, du moins à court terme. Les exploitations privées ont, pour la plupart, accomplies de réels progrès en matière d’efficacité et lorsque les collectivités imposent le raccordement des populations les plus défavorisées, cette condition est, en général, respectée. Tarif X Péréquation Tranche X sociale Modalités de paiement Participation main- d’œuvre Subventions Branchements sociaux Fonds de travaux Micro-prêts X Prépaiement Tontines Branchement compteur Infrastructure Travaux sur terrains privés X X X X X X X X X X X X X X Source : Suez - Lyonnaise des Eaux Des résultats encore modestes en Méditerranée Dans tous les pays méditerranéens, malgré certains exemples encourageants, le partenariat public-privé ne couvre qu’une partie très limitée des besoins en infrastructure urbaine. Au Maroc, pays qui a inauguré le premier projet en «Build, Operate, Transfer» (BOT : formule anglo-saxonne pour PPP), de nouveaux projets d’électricité, de distribution de l’eau potable et l’assainissement à Casablanca sont en cours. La gestion et l’entretien de certains parcs publics fait également l’objet de concessions au privé. La Tunisie utilise cette technique pour des électriques et pour les aéroports. Après avoir été longtemps réticente à ce type de contrat, l’Algérie a fait appel au financement privé, pour la construction de la première usine de dessalement de l’eau de mer et, plus récemment, la gestion de l’eau et de l’assainissement sur la ville d’Alger. L’Egypte a d’ores et déjà financé divers projets électriques sous forme de PPP, mais également un terminal conteneur et un aéroport, et a délégué au secteur privé le service de collecte et de transport des déchets domestiques du Caire et d’Alexandrie. Au Liban, des projets dans les télécommunications et dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement, des parkings et de la santé ont vu le jour ou sont en cours de négociation. En Israël, de nombreux projets notamment d’autoroutes, d’électricité, et de désalinisation ont vu le jour, financés en PPP. Une concession est en cours d’attribution pour la gestion du tramway de Tel-Aviv. La Jordanie s’est largement ouverte à différentes techniques de PPP dans le domaine des télécommunications, dans la gestion des eaux (Amman) et le traitement des eaux usées. Des pays comme la Turquie, la Jordanie, Israël et le Maroc sont ceux qui ont fait le plus particulièrement appel au financement et à des opérateurs privés. D’autres pays, comme l’Egypte, qui avaient cru trouver dans cette technique un remède miracle pour le financement de leurs infrastructures, après quelques succès mais également des échecs, ont dû faire machine arrière et procèdent à présent à une sélection plus rigoureuse des projets éligibles pour ce type de financement. Les statistiques de la Banque Mondiale montrent, au demeurant, que les projets de partenariat public-privé sur les infrastructures dans les pays méditerranéens sont, en valeur relative et absolue, très inférieurs à ce qu’ils sont dans les autres grandes zones géographiques. Cumulés sur la période 1990 à2002, ils se montaient à 26 $MM contre près de 400 $MM en Amérique Latine et 200 $MM en Asie. Rapportés à la population, ces investissements représentaient 80$ par habitant en Méditerranée contre prés de 700$ en Amérique Latine. Plusieurs facteurs expliquent cette faiblesse du partenariat public-privé en Méditerranée. Le premier concerne la stratégie des Etats euxmêmes. La décision de confier tout ou partie de la gestion d’un service public relève, au premier chef, d’une décision politique. Or, les gouvernements de nombreux pays méditerranéens sont encore réticents à concéder, même contre garanties, la gestion de certains services publics considérés comme politiquement sensibles à des entreprises privées. La concession à une entreprise souvent étrangère d’une fonction considérée jusque-là, à tort ou à raison, comme régalienne, représente un risque politique qui freine l’engagement d’un certain nombre d’Etats. S’ajoutent à cela la méfiance de l’administration à l’égard du secteur privé basée sur une forte notion du bien et du service public héritée du droit civil et administratif, et les réticences des locaux à investir aux côtés de partenaires étrangers ou locaux. Des opérateurs privés de plus en plus sélectifs Mais la mise en place de partenariat public-privé en Méditerranée se heurte également, ces dernières années, à un manque d’enthousiasme des opérateurs privés et ce pour plusieurs raisons. Les entreprises et les grands groupes en particulier, sont de plus en plus confrontés à un surendettement, résultant des vagues de croissance externe à la fin des années 1990, et doivent satisfaire les analystes financiers et leur actionnariat par une plus forte rentabilité à moindre risque. Ils ont alors tendance à se détacher des secteurs traditionnellement peu rentables pour se consacrer à d’autres activités jugées plus rémunératrices. Les statistiques de la Banque Mondiale montrent que les investisseurs étrangers privilégient, pour cette raison, des secteurs comme les télécommunications ou l’énergie qui offrent des perspectives meilleures de rentabilité car moins soumises à des aléas tarifaires. Le secteur de l’eau est, à l’inverse, celui qui est le moins attractif aux yeux des grands investisseurs internationaux. Selon les statistiques de la Banque Mondiale, le secteur de l’eau et de l’assainissement ne représente, dans le monde, que 5% des investissements privés en infrastructure. En Méditerranée, le montant cumulé des investissements privés dans ce domaine représentaient 1,3 $MM contre 10,8 $MM sur les télécommunications, 8,4 $MM dans le secteur électrique, 3,9 $MM dans le gaz naturel et 1,2 $MM dans les infrastructures portuaires. Les raisons en sont simples. Tout d’abord, le secteur de l’eau et de l’assainissement est, en terme financier, l’un des secteurs les plus capitalistiques qui soit. Le ratio de chiffre d’affaires rapporté au capital investi y est plus élevé que pour l’industrie pétrolière ou celle des télécommunications. Par ailleurs, la rentabilité n’y est acquise qu’au bout de temps très long impliquant des aléas tarifaires et de taux de change importants. Les mêmes aléas se retrouvent au niveau de la gestion des déchets ou celle des transports publics urbains. Au total, les statistiques de la Banque Mondiale montrent que les investissements dans l’eau, l’assainissement ou les déchets ont un taux de rentabilité de 1,5 à 2 fois plus faible que dans les télécommunications ou l’énergie.25 123 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Des risques pays encore très présent Au-delà des risques propres aux modalités de gestion de ces contrats, le partenariat public-privé s’apparente à un investissement direct étranger et est donc soumis aux mêmes appréciations de risque de la part des investisseurs privés que les autres types d’investissement. Le risque pays est général et n’est pas spécifique à un secteur déterminé mais il représente un critère dont les investisseurs tiennent compte avant tout engagement. Or, il est un fait, comme on l’a vu plus haut, que l’investissement direct étranger (IDE) dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée est structurellement faible et n’a que très peu augmenté ces dernières années. Une enquête récente26 montre que les investisseurs étrangers sont partagés sur les perspectives offertes dans les pays méditerranéens. Un petit nombre exclut a priori la région, pour des raisons géopolitiques, ou à cause de l’insuffisance de la clientèle domestique qu’elle représente. Les images par pays sont également contrastées. En outre, la vision de l’environnement socio-politique dans la région méditerranéenne a une influence certaine sur les investissements étrangers et sur la conclusion de partenariats avec les entités publiques.27 Ainsi, l’intégrisme et l’islamisme font peur à une partie des investisseurs, même si une majorité a conscience de la grande stabilité politique de la plupart des régimes de la région. Des propositions pour une relance des PPP en Méditerranée La question de savoir comment rendre plus attractifs les investissements en infrastructures urbaines est ici complexe et a déjà fait l’objet de nombreux débats dans le monde des grands opérateurs privés. La couverture du risque politique au sens élargi correspond à une demande pressante des opérateurs privés. Le risque n’est pas limité aux spoliations par nationalisation ou confiscation brutale, qui sont couvertes mais ne sont généralement plus d’actualité dans le monde, mais concerne plutôt des mesures rampantes telles que les changements de législation (environnement, dérégulation, introduction de régulateurs) et surtout les contestations tarifaires qui n’étaient pas traditionnellement considérées comme des risques politiques mais comme des risques commerciaux bien que la politique tarifaire soit guidée par les Etats. Associé au risque tarifaire, le risque de change qui était limité en Méditerranée du fait d’une relative stabilité des monnaies s’est fortement accru avec les crises financières qu’ont connu certains pays (Turquie et Egypte, en particulier) et une tendance généralisée des gouvernements en place à ajuster progressivement leur taux de change pour maintenir une compétitivité érodée par la levée en masse des économies asiatiques sur des productions concurrentes (le textile en particulier). Diverses méthodes de réduction du risque ont été expérimentées avec notamment la création de réserves pour faire face aux effets d’une dévaluation ou la mise en place de programmes nationaux visant à garantir le futur taux de change. Mais elles sont généralement longues à mettre en place et limitées en termes d’échelle. Pour sa part, le Panel mondial sur le financement des infrastructures de l’eau, qui s’est réuni en 2003, a, dans son rapport, proposé la mise en place d’une facilité de trésorerie en cas de dévaluation, pour réduire les conséquences des variations du taux de change dans les projets de l’eau au niveau non souverain. Selon ses promoteurs, cette facilité serait «mise en place par une organisation publique internationale (Institution Financière Multilatérale ou Agence de Crédit Export) bénéficiant d’un excellent degré de solvabilité, et capable de supporter une responsabilité financière du jour de la dévaluation jusqu’à la fin de la période de remboursement des prêts qu’elle pourra être conduite à consentir».28 À plus court terme, les opérateurs privés ont alors tendance à rechercher des financements locaux. Mais ceuxci, en dépit d’une épargne parfois excédentaire, sont rarement disponibles dans les pays du pourtour méditerranéen. Le problème de la mobilisation d’une épargne interne de long terme pour des projets d’infrastructure urbaine n’a pas trouvé jusqu’à présent de solution satisfaisante. On peut, à ce propos saluer l’initiative marocaine d’introduction en bourse d’une partie du capital de la Lydec qui, depuis 1997, est concessionnaire d’un contrat de gestion déléguée portant sur la distribution d’eau potable, le service de l’assainissement et la distribution électrique de l’agglomération de Casablanca (4 millions de clients). Les procédures de mise en concurrence pour l’attribution des contrats sont, enfin, l’objet de critiques de la part des opérateurs privés et demandent à être améliorées. Le manque d’expérience des autorités qui ont la responsabilité de l’élaboration des appels d’offre les conduit quelquefois à proposer aux opérateurs des modèles économiques d’exploitation peu efficaces alors que d’autres solutions, exclues a priori, permettraient d’offrir un meilleur service à un moindre coût. Par ailleurs, le manque de transparence sur les critères de sélection et leur interprétation sont souvent cités comme des domaines où des progrès restent à faire. 25 Chiffres cités par C. Briceno-Garmendia & al. In Infrastructure Services in Developing countries – World Bank Policy Research Working Paper – Dec. 2004. 26 27 « Image de la région MEDA pour les investisseurs », ANIMA -P. Perez, B.de Saint-Laurent, Réseau Anima, N°4, janvier 2005. 28 Rapport du Panel mondial sur le financement des infrastructures de l’eau – Michel Camdessus – 2003. 124 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Des partenariats encouragés par les organisations multilatérales et les bailleurs de fonds internationaux L’orientation actuelle des organisations multilatérales et des grands bailleurs de fonds internationaux les conduit naturellement à favoriser le développement de partenariats public-privé en particulier dans les services urbains. La création en 2002 par la Banque Européenne d’Investissement (BEI) d’une Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat (FEMIP), a constitué une évolution majeure, dans la coopération financière de l’Union et des pays méditerranéens. La priorité de la FEMIP étant le développement du secteur privé, elle a naturellement cherché à favoriser et à accompagner le partenariat publicprivé dans tous les grands projets d’infrastructure urbaine auxquels elle a été associée (voir annexe 1). La BEI et d’autres organismes financiers travaillent aujourd’hui au développement d’instruments susceptibles d’enrayer le repli des PPP en Méditerranée et développent en association avec MIGA et la Banque Mondiale, des garanties partielles des risques englobant les risques contractuels divers et notamment les risques tarifaires. Mais à ce jour, le travail accompli par la BERD29 pour la promotion et la mise en œuvre des PPP pour les 27 pays de l’Est qui sont de sa compétence, n’a malheureusement pas d’équivalent en Méditerranée.30 On peut également citer, en complément d’autres facilités, le partenariat public-privé pour l’environnement urbain du Programme des Nations-Unies pour le Développement (Public-private partnership in urban environment ou PPPUE). Il s’agit là d’un programme multipartenaires que les pays en développement peuvent utiliser pour soutenir leurs efforts dans la définition et la promotion des partenariats public-privé afin de réduire la pauvreté au niveau local. Le PPPUE inclut à la fois l’assistance technique et le financement des activités menées dans le cadre des PPP et la gestion de projets, la capacité de construire et de mise en réseau pour soutenir ces efforts, dans des domaines tels que : l’eau potable, l’assainissement, les services d’énergie durable, la gestion des ordures ménagères et les équipements municipaux dits centraux. 29 Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement. 30 Bruno de Cazalet – Avocat associé-Gide Loyrette Nouel. 125 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE LA COOPERATION DECENTRALISEE DES VILLES DANS LA NOUVELLE POLITIQUE DE VOISINAGE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE DES VILLES EN MÉDITERRANÉE La coopération décentralisée, instrument pour un partenariat pluraliste La coopération décentralisée est considérée comme un modèle alternatif moins formaliste sur le plan institutionnel, moins bureaucratique dans sa gestion et moins coûteux en terme budgétaire que les formes traditionnelles de coopération. Comparée aux initiatives étatiques, elle présente l’avantage de susciter, par le biais des collectivités locales, l’adhésion des populations. Elle est le fait d’une ou plusieurs collectivités territoriales, régions, départements, communes et leurs groupements et une ou plusieurs autorités locales étrangères qui se lient, sous forme conventionnelle, dans un intérêt commun. La coopération décentralisée se caractérise non seulement par la large gamme d’acteurs ou de familles d’acteurs mais également par les liens de concertation et de complémentarité entre ces acteurs. Les actions de coopération peuvent prendre des formes diverses (jumelages, programmes ou projets de développement, assistance technique, action humanitaire ou gestion commune de biens, de service). Elles peuvent intervenir entre collectivités ou autorités territoriales de toutes zones géographiques et de tous profils économiques ou sociaux. Les raisons incitant les collectivités à agir en coopération sont variables et souvent plurielles. Elles peuvent être d’ordre économique, politique, historique, mais les idéesforce derrière l’engagement des collectivités territoriales sont toujours celles d’ouverture sur le monde, de solidarité et d’intérêt réciproque. La coopération décentralisée est donc une approche différente et complémentaire des modes traditionnels de coopération. Elle est, pour cette raison, conduite à jouer un rôle grandissant dans la mobilisation de la société civile, le développement local et l’évolution démocratique des sociétés au Nord comme au Sud. Les stratégies post-indépendance ont conféré aux Etats un rôle directeur dans le développement. Mais au cours des années 80, d’importantes réformes ont été introduites (ajustement structurel, démocratisation, décentralisation, etc) en vue de redéfinir le rôle de l’Etat et d’accroître la participation d’autres acteurs comme la société civile, le secteur privé, ou les collectivités locales. De cette contrainte, un nouveau paradigme de coopération a émergé, prônant le développement participatif. Ainsi, la « coopération décentralisée » apparaît dans les accords de Lomé (1989), ALA (1992) et les programmes MED (1992-1993), comme une réponse de l’UE aux changements intervenus dans les modes d’action des Etats. Du jumelage à l’institution de la coopération décentralisée Dans un premier temps, la coopération a été le fait des communes, animées par la volonté de développer des liens d’amitié avec les populations des communes allemandes puis, pendant la guerre froide, avec celles des communes des pays d’Europe de l’Est. Les jumelages se sont d’abord développés en Europe ; ils constituaient alors principalement des cadres d’échanges culturels. Dans les années 1970, les jumelages ont changé de nature lorsque des communes se sont engagées dans des actions concrètes de solidarité avec en particulier des localités des pays sahéliens. Les « jumelages-coopération » se sont développés avec l’appui de la Fédération Mondiale des Villes Jumelées (aujourd’hui Fédération Mondiale des Cités Unies). L’action de l’UE dans le partenariat euroméditerranéen La coopération décentralisée a occupé une place à part entière au sein du partenariat euro-méditerranéen mis en place par l’UE au début des années 1990 et plus encore, depuis la déclaration de Barcelone de 1995 où, pour la première fois, les Etats concernés ont admis le bien-fondé de la coopération entre collectivités territoriales du bassin méditerranéen. Le texte de la déclaration de Barcelone fait, en effet, expressément référence à l’implication des autorités régionales et locales dans le partenariat euroméditerranéen. Les premiers programmes de soutien à la coopération décentralisée lancés par l’Union Européenne ont été les programmes MED lancés en 1992 après la guerre du Golfe. Mis en place par la Commission européenne dans le cadre de sa « Politique Méditerranéenne Rénovée », ces programmes répondaient à la volonté de la Communauté de développer une coopération multilatérale avec et entre les pays tiers méditerranéens. Leur objectif était de renforcer la coopération politique et économique avec le Sud de la Méditerranée afin de contrebalancer l’appui donné aux pays 127 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE d’Europe centrale et orientale. Ils comprenaient, en fonction des partenaires, cinq programmes différents: Med URBS (collectivités territoriales), Med CAMPUS (universités), Med INVEST (entreprises), Med AVICENNE (centres de recherche) et Med MEDIA (professionnels des média). Quoique représentant un aspect relativement mineur de la coopération euro-méditerranéenne par rapport au programme MEDA, les programmes MED ont montré une certaine efficacité en permettant, par l’injection d’un soutien financier de 67 millions d’ECU, la création de plus de 470 réseaux regroupant environ 2000 partenaires de la société civile. Fin 1995, la Commission européenne a pris la décision de suspendre temporairement ces programmes suite à des erreurs de gestion et des présomptions de fraude révélées par un audit de la Cour des Comptes européenne et en vue d’améliorer les mécanismes et systèmes de gestion de leur mise en œuvre. La Commission a, par la suite, procédé à une évaluation approfondie de ces programmes tant sur le plan technique que financier. Des déceptions se sont également exprimées sur les réalisations concrètes et les suites données aux études. La Commission a alors mis en place des nouvelles dispositions de gestion et de contrôle, suivant notamment en cela les recommandations du Parlement européen. Après une interruption de trois ans, ces programmes ont donc été relancés en avril 1998. La relance a porté sur les programmes MED URBS, MED CAMPUS et MED MEDIA. Mais malgré les tentatives de la Commission pour proposer des nouveaux outils de gestion, ces programmes ont été définitivement abandonnés en 2000. Une timide relance est intervenue en 2004 avec la mise en place, en 2005, du programme Med’Act. Les questions urbaines dans le « mainstream » du partenariat euro-méditerranéen Les questions urbaines n’ont été jusqu’ici traitées que de façon très marginale dans le volet économique et financier du partenariat euro-méditerranéen. Rappelons ici que ce volet avait pour objectif premier l’instauration progressive d’une zone de libre-échange entre l’Europe et les pays partenaires du Sud et de l’Est de la Méditerranée. La coopération économique et financière, financée par le protocole MEDA, devait accompagner ce mouvement avec pour priorités la poursuite des réformes structurelles et la dynamisation du secteur privé. Mais cette coopération, basée sur des accords entre l’UE et les Etats partenaires, a été peu ciblée sur la dimension urbaine, comme en témoigne la faible part dévolue aux projets d’aménagement urbain sur la période 128 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE 1995-2002, avec deux projets seulement : la rénovation des quartiers de Balat et Fener à Istanbul (7 millions d’euros) et la résorption de quartiers insalubres Tanger (7 millions d’euros). En revanche, parmi les volets sectoriels de l’instrument MEDA, plusieurs projets ont bénéficié aux villes : distribution d’eau et assainissement (214 millions d’euros d’engagements), énergie et environnement urbain (1,9 millions d’euros). A l’inverse, la Banque Européenne d’Investissements (BEI) s’est, au travers du FEMIP, plus largement investie dans le domaine des infrastructures urbaines mais sous forme de prêts. Une liste des principaux projets relevant strictement du domaine urbain ayant fait l’objet d’un prêt de la BEI est indiquée en annexe. Le programme Interreg III Le seul programme structuré permettant des financer des coopérations entre collectivités territoriales des deux rives ne relève pas du partenariat euro-méditerranéen mais de la politique de cohésion interne à l’Union. Le programme Interreg est un programme d’initiative communautaire (PIC) qui vise à neutraliser pour partie les frontières en Europe en favorisant les coopérations transnationales au niveau des Etats, des autres collectivités publiques et du secteur privé. Ce programme a été doté, pour la période 2002 à 2007, d’un budget d’environ 5 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Europe , dont environ 450 millions d’euros pour la zone «Méditerranée Occidentale» (MEDOCC) comprenant le Sud de la France et les régions de la façade méditerranéenne d’Espagne et d’Italie. Un autre volet baptisé ARCHIMED couvre l’Est de la Méditerranée (Grèce, Chypre, Malte et régions orientales de l’Italie). Ce programme qui est principalement dédié au financement de projets de coopération entre des collectivités européennes est également ouvert aux collectivités du sud. Leur rôle reste néanmoins limité. Mais la fenêtre qui a été ouverte a permis de vérifier la pertinence de la démarche et l’intérêt de plus en plus marqué des collectivités des deux rives de changer l’échelle de leur coopération en lui donnant la dimension multilatérale qui reste la véritable valeur ajoutée de l’Union Européenne. Le rapprochement MEDA-Interreg, longtemps souhaité par les acteurs de la coopération méditerranéenne, n’a pas pu se réaliser en début de programmation du fait des modalités différentes de fonctionnement des deux programmes. Ainsi, Interreg met en place des programmes pluriannuels à gestion décentralisée au niveau des régions ou des Etats-membres. MEDA, de son côté, fonctionne sur la base de programmes indicatifs annuels négociés au niveau des Etats. Ces difficultés sont toutefois en passe d’être surmontées. Ainsi, en 2005 déjà, Interreg et MEDA sont coordonnés dans le volet de la coopération transfrontalière concernant en particulier les programmes Espagne-Maroc et Gibraltar-Maroc. Cette coopération vient d’être étendue au volet transnational, les programmes Méditerranée Occidentale et Archimed, avec la mise en place d’un volet expérimental couvrant la période 2005-2007. Le financement MEDA de 4,5 millions d’euros prévu pour le volet MEDOCC financera ainsi la participation de collectivités des pays du Maghreb à des projets déjà programmés dans le cadre d’Interreg. Ce rapprochement ne fait donc que préfigurer le futur programme de voisinage dont il sera question plus loin. Le projet Med’Act Une autre initiative, plus modeste mais à forte valeur symbolique, mérite d’être signalée qui a été engagée par les villes membres de la commission Euromed des Eurocités qui ont souhaité prendre une part active à la relance du partenariat euro-méditerranéen. Depuis sa création, en novembre 2000, à Bordeaux, cette commission qui réunit une cinquantaine de villes euroméditerranéennes, s’est attachée à promouvoir de nouvelles pistes de coopération euro-méditerranéenne. Le projet pilote Med’Act (Mediterranean Europe Development Action of Cities and Towns) est l’aboutissement d’un ensemble d’initiatives en faveur du renforcement des liens entre l’Europe et les pays MEDA dans l’esprit du «Processus de Barcelone» né en 1995, dont l’objectif est de contribuer à faire de la Méditerranée un espace de paix, de stabilité et de prospérité. Au sein du réseau EUROCITIES qui regroupe 108 métropoles européennes dans 24 pays, la Commission EUROMED, qui rassemble les Maires de plusieurs villes d’Europe et des pays MEDA, a demandé à la Commission européenne d’initier un programme de coopération décentralisé pour relancer le partenariat entre l’Europe et la Méditerranée: c’est ainsi qu’est né le projet pilote Med’Act qui s’articule autour de deux objectifs: • Promouvoir l’engagement des collectivités locales dans le partenariat euro-méditerranéen et établir à long terme les bases d’un programme de coopération décentralisée. • Créer un espace de dialogue, d’échanges et de coopération entre les villes sur deux axes principaux : culture urbaine et développement urbain durable. Deux thèmes du pacte Euromed, l’environnement et la culture, ont été sélectionnés par les membres de la commission Euromed, lors d’une rencontre à Salé, en octobre 2002. Une coopération décentralisée dispersée et mal évaluée Hormis les développements récents dont il vient d’être question, la coopération décentralisée a reposé, depuis l’arrêt des programmes MED, presque exclusivement sur les actions menées au coup par coup par un certain nombre de villes européennes en réponses aux demandes exprimées par leurs partenaires du Sud. Ces demandes étaient à la fois nombreuses et extrêmement diverses. Les villes européennes y ont répondu généralement avec plus ou moins de pertinence par l’intermédiaire d’experts envoyés sur place ou par une aide logistique à distance. La visibilité du message s’en est trouvée diluée du fait de cette diversité et a alimenté, dans les publics concernés tant au Nord qu’au Sud, une certaine confusion. Au niveau des contenus, le processus s’est traduit le plus souvent par un échange de connaissances intense, mais il est resté essentiellement au niveau empirique et théorique. En ce sens, il est possible d’affirmer que le pragmatisme et le manque de sensibilité pratique ont longtemps fait véritablement défaut au processus. Des progrès importants ont été cependant réalisés au cours des dernières années. Face à des demandes très diverses, les villes du Nord ont appris à s’organiser. Elles sont à présent plus sélectives dans leurs réponses et se focalisent sur un nombre de domaines plus restreints en s’appuyant sur des opérateurs professionnels et expérimentés. Elles cherchent également à inscrire la coopération dans des accords-cadres où sont définis les attentes et les engagements de chacune des parties. De nombreuses coopérations avec les pays méditerranéens émergent également des réseaux de villes (voir encadrés). Le domaine de l’eau est, de ce point de vue, exemplaire. Des réseaux anciens existent entre professionnels et acteurs de l’eau, qui ont permis de nombreux échanges d’expériences et contribué à accélérer un certain nombre d’évolutions et de réformes dont on peut voir aujourd’hui des résultats concrets. Une évolution similaire se fait jour dans le domaine des déchets et celui des transports publics. L’expérience menée autour de la Banque Mondiale par les villes membres de la Charte d’Alliance (Barcelone, Marseille, Gênes et Lyon) aujourd’hui étendu à d’autres villes comme Bordeaux et Séville, en est un autre exemple. Pour autant, on peut dire que le partenariat entre villes est loin d’avoir atteint sa pleine potentialité, La démarche, il est vrai est exigeante en temps et en ressources humaines, complexe au niveau politique et administratif, contraire à la 129 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE pression de l’engagement financier et risquée au niveau des résultats. Elle garde néanmoins toute sa pertinence dans sa fonction d’apprentissage collectif. Elle reste, en particulier, un terrain privilégié de l’affirmation de l’autonomie des villes qui est, comme on l’a vu, une des clefs de leur développement. La gouvernance devrait, pour cette raison, devenir progressivement l’un des thèmes majeurs de la coopération. LES GRANDS RÉSEAUX DE VILLES MÉDITERRANNÉENES L’Association Internationale Villes et Ports (1988) est un réseau international de décideurs, techniciens et experts du développement. Cette structure permanente d’échanges, d’informations et de contacts a pour objectif de faire aboutir dans les meilleures conditions les projets des villes, des ports et de leurs partenaires institutionnels et économiques. Elle regroupe 170 membres sur cinq continents dont Barcelone (partenaire: Universidad de Barcelona) et Gênes (partenaire: Universita di Genova). En créant Cités et Gouvernements Locaux Unis (2004), les maires et les élus locaux ont tenu les engagements pris lors de la « Conférence Mondiale sur les Établissements Humains » d’Istanbul, en 1996. Ils donnent ainsi naissance à un porte-parole unique des villes, pour apporter des réponses concrètes aux défis de la globalisation et de la croissance urbaine. CGLU, dont le siège est à Barcelone, est issue de la décision des principales organisations de gouvernements locaux - FMCU, IULA et Metropolis -de réunir leurs réseaux mondiaux de villes et d’associations nationales de pouvoirs locaux au sein d’une organisation unique. Elle est devenue aussi la plus grande organisation de villes et de gouvernements locaux dans le monde, forte de membres issus de plus de 100 pays. Plus de 1000 villes dans 95 pays sont des membres directs de Cités et Gouvernements Locaux Unis. La France, l’Italie, le Maroc et le Sénégal sont les pays dont les membres directs sont les plus nombreux. Cités Unies France (1975) fédère, au niveau national, les collectivités territoriales engagées dans la coopération internationale. Elle est issue de la Fédération mondiale des Villes Jumelées (créée en 1957), devenue Fédération Mondiale des Cités Unies dans les années 80. Aujourd’hui 130 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE Cités Unies France est une association nationale partenaire de la Fédération mondiale où elle représente les collectivités territoriales françaises adhérentes. L’association compte aujourd’hui près de 500 collectivités territoriales françaises adhérentes, de toutes tailles, de tous niveaux et de toutes tendances politiques. Au-delà, à travers 21 groupes-pays et 4 groupes thématiques, Cités Unies France anime un réseau d’environ 2 000 collectivités locales. Grâce à ces structures de travail et de réflexion, ces collectivités échangent leurs expériences et élaborent des programmes d’action communs. L’objectif premier du pôle Méditerranée de Cités Unies France est l’animation de la coopération décentralisée française avec les pays suivants : l’Algérie, Israël, le Liban, le Maroc, la Tunisie et les territoires palestiniens. Eurocités (1986) est un réseau qui regroupe les grandes métropoles non-capitales européennes. Il a pour mission essentielle de favoriser la coopération entre les villes dans le domaine de la gestion urbaine. Il regroupe 121 villes européennes. Eurocités possède différents groupes de travail dont le groupe Euromed composé de membres européens et non-européens et actuellement présidé par la ville de Turin. C’est ce groupe qui a initié le projet MED’ACT évoqué ci-dessus. Medcités est un réseau des villes côtières méditerranéennes, créé à Barcelone en novembre 1991 à l’initiative du Programme d’assistance technique environnementale méditerranéen (METAP). Le METAP a été mis en place en 1990 par la Banque Mondiale, la Banque Européenne d’Investissement, la Commission européenne et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). La création de Medcités était une conséquence de l’objectif du METAP de renforcer les actions décentralisées comprenant une assistance technique comme meilleur moyen de promouvoir la connaissance des problèmes environnementaux urbains, et de faire de ces actions un véhicule donnant le pouvoir aux municipalités des pays en voie de développement en ce qui concerne la gestion des thèmes d’environnement urbain. Le réseau comprenait à l’origine une ville de chaque pays, avec une préférence pour des villes autres que les capitales. Les membres fondateurs sont Barcelone, Marseille, Monaco, Brindisi (Italie), Tirana (Albanie), Dubrovnik (Croatie), Thessalonique (Grèce), Izmir (Turquie), Latakié (Syrie), Limassol (Chypre), Al-Mina (Liban), Haïfa (Israël), Alexandrie, Benghazi (Libye), Sousse (Tunisie), Gozo (Malte) et Tanger (Maroc). Un accord a été obtenu par la suite pour étendre le réseau, éventuellement, à deux villes par pays et inclure la Jordanie, et les membres comprennent maintenant Rome, Tétouan (Maroc), Sfax (Tunisie), Tripoli (Liban), Ashdod (Israël), Larnaka (Chypre), Alep (Syrie), Zarqa (Jordanie), Silifke (Turquie) et Koper (Slovénie). La ville de Brindisi a plus tard quitté le réseau et elle doit être remplacée par Palerme (en cours). L’Organisation des Villes du Patrimoine Mondial a pour mission de promouvoir la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial et de la Charte internationale pour la sauvegarde de la ville du patrimoine mondial. L’OVPM réunit 198 villes ayant sur leur territoire un site habité inscrit au titre de lieu culturel sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO dont Alger, Le Caire, Essaouira, Fès, Marrakech, El Jadida, Meknès, Tétouan (Maroc), Tunis, Kairouan, Monastir, Sousse (Tunisie), Tel Aviv, Acre (Israël), Lyon, Paris,… • 3: promouvoir la gouvernance politique globale et contribuer à la sécurité stratégique et civile . Pour assumer ces responsabilités, la communication «Construire notre avenir commun – Défis politiques et moyens budgétaires de l’Union élargie - 2007-2013», adoptée le 10 février 2004, fixe un objectif ambitieux, à savoir que l’Europe fasse mieux entendre sa voix, aidée par des instruments plus efficaces. Cette refonte de la politique extérieure de l’Union Européenne a conduit à restructurer celleci autour de trois grandes politiques : • La politique de pré adhésion, qui s’adresse aux pays candidats (Turquie et Croatie) ainsi qu’aux pays candidats potentiels (Balkans occidetaux). • La politique européenne de voisinage (PEV), qui s’adresse aux pays visés par la politique européenne de voisinage, c’est-à-dire aux pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (pays MEDA), aux NEI31 La Charte d’alliance Barcelone - Gênes - Lyon Marseille, signée le 9 juillet 1998 à Barcelone, a pour objectifs : d’établir des systèmes d’échanges d’informations et d’expériences en matière de gestion de la ville, de coordonner leurs efforts en ce qui concerne les relations internationales, particulièrement en faveur de la subsidiarité en Europe, du rééquilibrage vers le Sud de l’Union Européenne et du développement de la coopération euro-méditerranéenne, de travailler ensemble sur des initiatives permettant de structurer la coopération entre les villes de la Méditerranée que ce soit au travers de la «Conférence des Villes de la Méditerranée» ou d’initiatives concrètes de coopération développées par le «Sommet des Villes de la Méditerranée», le réseau «Medcités», le réseau télématique Inter-com, ou autres. occidentaux et aux pays du Caucase du Sud. Cet instrument soutiendra également le partenariat stratégique avec la Russie. • La politique de coopération au développement et de coopération économique avec les autres pays. Cette politique s’adresse plus particulièrement à tous les pays, territoires et régions qui ne peuvent prétendre à une aide au titre de l’instrument d’aide de pré adhésion ou de l’instrument européen de voisinage et de partenariat. La PEV dont il est question ici est, en fait, un signal fort adressé aux pays qui n’ont pas vocation à rejoindre l’Union Européenne mais auxquels il est proposé un partenariat privilégié de façon à faciliter leurs relations avec les pays de l’Union Européenne. Il leur est en particulier offert de participer à diverses activités de l’UE dans le cadre d’une coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle renforcée. Cette politique s’adresse à la Russie, la Biélorussie, la Moldavie, à tous les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, à l’Azerbaïdjan et à la Géorgie. Elle englobe, pour les pays méditerranéens, le programme actuel de partenariat Euromed et les différents instruments financiers qui lui sont associés, en particulier le protocole MEDA. LE NOUVEAU RÔLE DES VILLES DANS LA POLITIQUE DE VOISINAGE Suite à son l’élargissement en 2004 à dix nouveaux membres, l’Union Européenne s’est vue confier des responsabilités encore plus importantes dans le domaine des actions extérieures, Ces responsabilités sont orientées vers trois grands objectifs : • 1: assurer la stabilité, la sécurité et la prospérité chez ses voisins • 2: œuvrer activement au développement durable au niveau international; Les relations avec les pays méditerranéens vont évoluer sur plusieurs plans. Le premier est programmatique. Un ensemble de priorités seront définies avec chacun d’eux couvrant un certain nombre de domaines-clés qui requièrent une action spécifique : dialogue politique et réformes, commerce et mesures préparant les partenaires à une participation progressive au marché intérieur, justice et affaires intérieures, énergie, transports, société de l’information, 30 Nouveaux Etats Indépendants 131 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE environnement, recherche et innovation, politique sociale et relations entre les communautés. A l’inverse du partenariat qui offrait un modèle uniforme de coopération, la PEV sera donc basée sur des objectifs différenciés en fonction de la volonté ou des possibilités offertes dans chaque pays d’avancer sur le terrain des réformes. Le second concerne la méthode retenue où il est envisagé de s’inspirer de l’expérience européenne en matière de convergence et d’adapter la politique de cohésion mise en place par l’Union depuis plus d’une vingtaine d’années à l’égard des pays et des régions les moins avancés. Il est en particulier prévu de s’inspirer, dans les programmes d’assistance, de la politique européenne des fonds structurels et donner ainsi une plus grande attention à la politique des territoires. Le troisième enfin concerne les formes mêmes du partenariat puisqu’il est prévu de donner un rôle plus important que par le passé à la coopération entre collectivités des deux rives. Une convergence est en train ainsi de s’établir entre les programmes de coopération externes de l’Union et les programmes internes de cohésion au travers de la future programmation des fonds structurels. L’instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) qui est associé à cette politique est un instrument complet destiné à remplacer MEDA et les dix autres règlements qui encadrent aujourd’hui la politique européenne en Méditerranée. 132 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE méthode des fonds structurels, ouvre la voie à de nombreux approfondissements de la relation entre autorités locales des deux rives. Le volet transfrontalier de la politique européenne de voisinage La nouvelle structure proposée pour les instruments financiers, qui devrait devenir opérationnelle dans le cadre des nouvelles perspectives financières 2007-2013, prévoit quatre types d’interventions dont deux déjà mises en œuvre dans le règlement MEDA et deux autres nouvelles. Les programmes nationaux et régionaux seront poursuivis et représenteront l’essentiel de l’effort consenti. La novation réside dans la mise en place de programmes thématiques et surtout, pour ce qui concerne la coopération décentralisée, un volet transfrontalier. Pour la Méditerranée, sont éligibles à ce volet transfrontalier toutes les unités territoriales de niveau NUTS III ou équivalent, situées le long de routes maritimes importantes, et toutes les unités territoriales côtières de niveau NUTS II ou équivalent, situées en bordure du bassin méditerranéen. Plus important encore, il est prévu que le volet de coopération transfrontalière de l’IEVP fonctionne en cofinancement du volet de coopération transnationale et transfrontalière prévu à l’objectif III des nouveaux fonds structurels (voir plus loin). Un rôle spécifique dévolu aux autorités locales La future politique de cohésion : relance de la coopération territoriale européenne Mais la grande novation de cette politique est que le rôle des autorités locales est, pour la première fois depuis 1995 officiellement reconnu, comme l’attestent les conclusions de la 7ème Conférence euro-méditerranéenne des ministres des Affaires Etrangères, tenue à Luxembourg en mai 2005, qui précisent que: «Prenant en compte la nécessité de rapprocher le partenariat des préoccupations des citoyens et l’importance croissante des villes et régions dans les pays partenaires Euromed, les ministres ont rappelé qu’une association plus étroite des autorités locales et régionales au partenariat euro-méditerranéen est nécessaire, afin de recenser leurs défis communs et d’échanger les expériences et les meilleures pratiques.» Cette politique présente une avancée de grande ampleur et une grande nouveauté dans le sens où elle s’inspire de la convergence prônée par la politique de cohésion. Elle prend acte du fait que l’approche purement économique ne suffit plus à gérer les interactions entre les enjeux économiques, sociaux et humains ni la proximité avec les citoyens et la société civile. La dimension territoriale devient, pour cette raison, une composante essentielle du partenariat. Et la nouvelle instrumentation, inspirée de la En parallèle avec la refonte de la politique extérieure européenne, une nouvelle politique de cohésion va se mettre en place à partir de 2007. Cette politique installe, pour la première fois, un volet « coopération » dans son « mainstream » alors que celui relevait jusqu’alors de projets d’initiative communautaire. Calquée sur le même fonctionnement qu’Interreg et inspirée de cette initiative, la coopération transfrontalière, transrégionale et interrégionale prévue par l’Objectif III « Coopération territoriale » vise une intégration équilibrée et harmonieuse du territoire de l’Union Européenne. La coopération transfrontalière devrait, selon les propositions de la Commission, couvrir les régions situées le long des frontières terrestres internes et de certaines frontières terrestres externes, ainsi que certaines régions situées le long de frontières maritimes. Ce dispositif contribuera, en outre, comme on le verra plus loin, aux volets transfrontaliers du futur Instrument Européen de Voisinage qui se substituera progressivement au programme MEDA. La Commission adoptera, lors de l’entrée en vigueur du règlement, la liste des régions transfrontalières éligibles ainsi que celle des zones de coopération transnationale. Les montants dédiés à ces deux volets dépendront, dans une large mesure, du budget communautaire qui sera adopté pour la période 2007-2012. Une convergence des instruments pour une coopération décentralisée rénovée conséquences risquent d’être ressenties par-delà la Méditerranée. C’est là tout l’enjeu d’un plan d’urgence pour les villes des pays du Sud de la Méditerranée que ce rapport appelle de ses vœux. Une convergence est prévue entre les deux instruments : IEVP destiné au voisinage et Fonds structurels comme indiquée dans le schéma ci-après. C’est donc au croisement de ces deux instruments que se situe la perspective longtemps attendu d’une relance de la coopération décentralisée. Depuis son lancement en 1995 et en dépit des difficultés rencontrées, les villes ont toujours manifesté leur volonté de soutenir et de promouvoir le partenariat euroméditerranéen. Elles n’ont eu de cesse de demander à être associées à la préparation et à la mise en œuvre des politiques. Ce rapport a montré à quel point la question urbaine était une question centrale dans le processus complexe de transition auquel les pays du Sud sont aujourd’hui confrontés. Les villes, rappelons-le, regroupent sur leur territoire la grande majorité des populations au Nord comme au Sud de la Méditerranée. Elles sont également confrontées aux mêmes défis techniques: maîtrise de l’urbanisme, maîtrise de l’environnement, qualité des services publics, mais aussi politiques: sécurité, démocratie locale, participation des citoyens. Autant de domaines dans lesquels la coopération et les échanges d’expériences ont déjà montré toute leur potentialité. Il faut souhaiter que le nouvel instrument de voisinage donne un nouvel élan et une nouvelle dimension à la coopération entre les villes du Nord et du Sud de la Méditerranée. C’est, bien entendu, important pour les pays du Sud qui sont aujourd’hui confrontés à des évolutions lourdes qui placent les formes urbaines au cœur de leur processus de développement. Mais c’est également important pour les villes européennes et ceci pour au moins trois raisons. La première est qu’elles abritent des populations originaires de ces pays, qu’il leur faut intégrer et qu’il leur faut, par conséquent, mieux connaître et mieux comprendre. La seconde est qu’à l’instar de ce que l’on a connu à l’Est, l’approfondissement des relations entre l’Europe et les pays du Sud de la Méditerranée va générer, aux espaces de contact, un nombre croissant de problèmes résultant de l’imbrication progressive des systèmes économiques, sociaux et politiques que seule une coopération accrue permettra de surmonter. Mais la troisième, et peut-être la plus importante, est que la situation des grandes villes de la Méditerranée porte en elle les germes d’une déstabilisation sociale profonde dont les 133 LES VILLES MEDITERRANÉENNES DIX ANS APRES BARCELONE BARCELONA CONFÉRENCE DES VILLES EUROMÉDITERRANÉENNES CONFERÈNCIA DE CIUTATS EUROMEDITERRÀNIES