La guerre de Cent Ans - Musées de la Région Centre
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La guerre de Cent Ans - Musées de la Région Centre
Musée historique et archéologique de l’Orléanais Dossier pour les enseignants 1 - Contexte historique La guerre de Cent Ans Entre 1337 et 1453, une succession de conflits faits de chevauchées destructrices, de sièges et de quelques grandes batailles entrecoupés de trêves oppose la France et l’Angleterre. Deux raisons à cette tension entre les deux pays : les possessions anglaises (Normandie, Anjou, Aquitaine) convoitées par les Français et qui font du roi d’Angleterre le vassal du roi de France et les prétentions anglaises au trône de France en raison des liens matrimoniaux existants entre les deux dynasties. L’Angleterre profite de l’affaiblissement du pouvoir français (folie de Charles VI) et des dissensions entre les princes de sang qui s’ensuivent (lutte entre Armagnacs, partisans du duc d’Orléans, et Bourguignons) pour reprendre les hostilités. En 1415 à Azincourt la chevalerie française est décimée par l’armée anglaise. La situation s’aggrave en 1420 quand, par le traité de Troyes, Charles VI choisit son gendre, le roi d’Angleterre Henri V, pour successeur aux dépens de son fils Charles. Henri V et Charles VI meurent en 1422. La France est alors coupée en deux : Anglais et Bourguignons se partagent le nord de la Loire, Charles VII et ses partisans occupent le sud. La levée du siège d’Orléans, verrou sur la Loire entre les deux entités, le 8 mai 1429, puis le sacre de Charles VII, le 17 juillet ont un fort impact psychologique sur les deux camps. L’armée de Charles VII reconquiert peu à peu les territoires occupés : Paris, la Normandie, la Guyenne. En 1453, seule Calais est anglaise et le reste jusqu’en 1558. Le conflit intérieur : Armagnacs contre Bourguignons (1405 – 1435) La folie de Charles VI, à partir de 1392 exacerbe les luttes de pouvoir entre les princes de sang au sein du Conseil royal. Les deux principales forces en présence sont le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, oncle du roi, puis son fils Jean sans Peur d’un côté, et Louis d’Orléans, le frère du roi, de l’autre. La situation s’envenime en 1407 quand Jean sans Peur fait assassiner à Paris Louis d’Orléans. C’est alors que se constituent les deux partis : les Bourguignons s’appuient sur les bourgeois et dominent Paris jusqu’en 1413, les Armagnacs, qui tiennent leur nom du beau-père de Charles d’Orléans, le fils de Louis, s’appuient sur la noblesse. Après Azincourt, le duc de Bourgogne reconnaît Henri V comme roi de France. En 1418, le duc de Bourgogne reprend Paris et massacre les partisans des Armagnacs. L’année suivante, le duc de Bourgogne Jean sans Peur tente un rapprochement avec le dauphin Charles mais est assassiné à Montereau par le parti du dauphin. Philippe le Bon devient le nouveau duc de Bourgogne et s’allie aux Anglais pour venger son père. L’assassinat de Jean sans Peur est l’une des raisons du traité de Troyes (21 mai 1420) par lequel Charles VI déshérite son fils au profit de son gendre, Henri V d’Angleterre. Après la levée du siège d’Orléans et le sacre de Charles VII, la reconquête commence. À partir de 1431, le duc de Bourgogne se recentre sur ses États et négocie avec le roi de France. La paix d’Arras met fin au conflit en 1435. 2 - Qui était Jeanne d’Arc ? Jeanne naît à Domremy, village français situé sur la frontière avec l’Empire, probablement le 6 janvier 1412. Son père Jacques d’Arc est laboureur, statut élevé selon les normes médiévales, puisqu’il possède des terres, un train de labour (charrue et animaux de trait), une maison avec un jardin attenant. Il fait parti des notables (armagnacs) de son village dont il en est doyen de 1525 à 1527 et à ce titre participe à la gestion de la communauté et en rend compte au seigneur de Bourlémont qui possède le village. Sa mère, Isabelle Romée, vient du village voisin de Vouthon. De leur union naissent trois garçons, Jacques, Pierre et Jean et deux filles, Catherine et Jeanne. Si Jacques, marié en 1425 et Catherine, qui meurt en couche en 1428, ne jouent aucun rôle dans l’aventure johannique, Jean et Pierre rejoignent leur sœur dans l’armée royale et veillent sur son honorabilité. Après la mort de Jeanne, Jean s’installe à Vaucouleurs, tandis que Pierre vit dans l’Orléanais où sa mère le rejoint en 1440. L’enfance de Jeanne est marquée par la lutte entre Armagnacs et Bourguignons : exactions des routiers (bandes de soldats qui se lient par contrat à un capitaine) et prises des places fortes locales restées fidèles au dauphin par les Bourguignons entre 1425 et 1428 créent une situation d’insécurité. La maison familiale à Domremy Jeanne, appelée communément Jeannette, participe aux activités du village comme les enfants de son âge : garder le troupeau communal, vaquer aux activités agricoles, participer aux fêtes villageoises… Sa mère assure son éducation religieuse et l’initie aux tâches domestiques (tenir une maison, filer, tisser). Elle n’apprend ni à lire ni à écrire, mais n’est pas sans culture : elle écoute les prédicateurs itinérants, les nouvelles colportées, les histoires romanesques lues ou racontées à la veillée : celles des prophétesses venues des frontières, d’une vierge guerrière qui doit sauver le royaume. C’est une jeune fille comme les autres même si, à partir de l’adolescence, ses amies la trouvent très dévote et se moquent parfois d’elle. Ce que tous ignorent, c’est que vers sa treizième année, un été, à midi, alors qu’elle se trouve dans le jardin de son père, elle entend une voix. Jusqu’en 1428, elle garde le secret sur ses voix et son vœu de virginité. Les voix (elle les associe, devant l’insistance de ses juges lors de son procès, à saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite) qui l’exhortent à une vie chrétienne, l’invitent bientôt à se rendre près du dauphin pour l’aider à chasser les Anglais du pays et le faire couronner à Reims. Henri Martin, Jeanne d’Arc entendant les voix, 1884 En 1428, Jeanne révèle sa mission à son cousin Durant Laxart et lui demande de l’aider à rencontrer, à l’insu de ses parents, le représentant du pouvoir royal, Robert de Baudricourt, capitaine de la forteresse de Vaucouleurs. Le premier entretien a lieu en mai 1428, Baudricourt l’éconduit et lui conseille de rentrer chez son père. Au début de l’année 1429, Jeanne, toujours aidée de son cousin, retourne plaider sa cause auprès de Baudricourt. La situation a évolué : depuis octobre 1428, Orléans est assiégée. De plus, Jeanne parle de sa mission et son charisme convainc : elle obtient le soutien d’une partie de la population de Vaucouleurs. Il faut savoir que dans la société médiévale, les voix sont un phénomène admis et que personne ne doute de l’existence des prophètes, ces messagers de Dieu auprès du roi ou du pape. Ils sont généralement originaires des frontières, illettrés et humbles, ce sont souvent des femmes, vierges ou veuves. Baudricourt mène sans aucun doute une enquête de moralité sur Jeanne, peut-être envoie-til un messager à Charles VII. Ce qui est sûr c’est qu’au final, il lui donne les moyens de rejoindre le dauphin. Il lui fournit une escorte composée de deux écuyers, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, chacun accompagné d’un serviteur, d’un homme d’armes, Richard l’archer et d’un messager royal, Colet de Vienne, qui saura les guider en territoire ennemi. C’est probablement lorsqu’elle rend publique sa mission, puis prend des habits d’homme et se coupe les cheveux qu’elle adopte le nom de Jeanne la Pucelle sous lequel elle se présentera désormais. Ce nom renvoie à la fois à une classe d’âge, celui des jeunes filles pubères et non mariées et à son vœu de virginité. La chevauchée dure onze jours à raison de 40 kilomètres par jour, ou plutôt par nuit tant que l’équipage se trouve en territoire ennemi, c’est-à-dire jusqu’à Gien. Elle rencontre le dauphin à Chinon vers le 25 février. Elle lui révèle de vive voix sa mission : lever le siège d’Orléans et le faire sacrer à Reims. Jeanne est conduite à Poitiers où les théologiens restés fidèles au dauphin examinent sa bonne foi et concluent positivement. Son armement est fabriqué à Tours. Elle demande qu’on lui apporte une épée conservée à Sainte-Catherine de Fierbois dont ses voix lui ont indiqué l’emplacement. Le 29 avril 1429, elle rejoint Orléans assiégée. Luc-Olivier Merson, Jeanne d’Arc devant le roi à Chinon, 1895 2 3 - L’épopée johannique La levée du siège d’Orléans À la limite des zones d’influence anglo-bourguignonne et royale, Orléans, capitale d’un duché dont le duc Charles est prisonnier des Anglais depuis la défaite d’Azincourt en 1415, est une grande cité d’importance stratégique. Les remparts sont bien entretenus et le pont sur la Loire a été coupé pour empêcher l’accès à la ville. Les Anglais doivent se résoudre à une guerre longue. Le siège débute le 12 octobre 1428. Fin avril 1429, Jeanne d’Arc rejoint l’armée royale rassemblée à Blois. Le 29 avril, accueillie par Dunois, le bâtard d’Orléans, demi-frère de Charles d’Orléans, Jeanne entre dans Orléans par la porte de Bourgogne, seul accès non contrôlé par les Anglais. Après que l’armée royale a rejoint Orléans le 4 mai, les bastilles anglaises tombent mais reste la plus importante, celle des Tourelles qui sera prise le 7 mai après un longue journée de lutte. Le 8 mai, les deux armées se font face au nord de la ville, l’affrontement n’aura pas lieu, les Anglais se retirent. Jeanne fait une entrée triomphale dans Orléans et rejoint la cathédrale pour entendre la messe car nous sommes dimanche. Jean-Jacques Scherrer, Entrée de Jeanne d’Arc à Orléans, 1887 (musée des Beaux-Arts) L’expédition du sacre Dès le 9 mai 1429, Jeanne et Dunois partent vers Loches où réside Charles VII. Jeanne veut le conduire à Reims le plus rapidement possible, mais le dauphin hésite. Pour elle, le sacre et le couronnement sont les points essentiels de sa mission, le siège d’Orléans a simplement modifié l’ordre des priorités. Jeanne croit fermement à la nécessité du sacre pour asseoir la légitimité contestée de Charles VII, qu’elle appelle dauphin et non roi. Elle partage en cela la croyance populaire, même si, en France, c’est la filiation et non le sacre qui fait le roi. Mais pour rejoindre Reims, il faut traverser des régions occupées par les Bourguignons. Et pour cela mieux vaut assurer ses arrières. L’armée opère une campagne de nettoyage : les villes de Jargeau, Meung, Beaugency sont reprises et les Anglais sont défaits à la bataille de Patay le 18 juin. Le cortège royal, précédé d’une armée forte de plusieurs milliers d’hommes, quitte Gien le 29 juin. Auxerre ouvre ses portes mais Troyes hésite. La garnison anglobourguignonne est importante, les avis sont partagés. Jeanne organise les préparatifs d’un siège (c’est un simulacre car l’expédition du sacre n’a ni vivres, ni matériels de siège), mais cela suffit : le 10 juillet, Charles VII entre dans Troyes, la ville où fut signé le traité le déshéritant. Le 14, l’armée est à Châlons et le 16 à Reims. Le sacre a lieu dès le lendemain, le dimanche 17 juillet. e e Le sacre, faïence de Gien, 2 moitié du 19 siècle La capture En août 1429, Charles VII négocie avec Philippe le Bon une trêve précaire aux termes de laquelle Compiègne doit être livrée au duc. Mais la ville s’y refuse et les Bourguignons en font le siège. Jeanne d’Arc se porte à son secours, avec quelques centaines de combattants, et entre secrètement dans Compiègne. Le 23 mai 1430, elle tente une sortie, mais est capturée et tombe entre les mains de Jean de Luxembourg, dont la bande opère pour le duc. Suivent plusieurs mois de détention, au château de Beaulieu-enVermandois, puis de Beaurevoir, dont elle tente de fuir, se blessant, en sautant par la fenêtre. Charles VII ne fait rien pour la récupérer. Le 14 juillet, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, arrive devant Compiègne avec un ordre du roi d’Angleterre sommant le duc de lui envoyer Jeanne afin de la juger. Le duc obtempère, contre 10 000 écus. Jeanne est livrée aux Anglais, à Arras, fin novembre. À partir de ce moment, son sort est scellé. Il ne suffit pas aux Anglais de tuer Jeanne, mais de démontrer qu’elle est inspirée non de Dieu mais du diable, pour détruire la légitimité de Charles VII au profit d’Henri VI. Il faut donc un procès d’inquisition et une condamnation pour hérésie. Isidore Patrois, Jeanne d’Arc après la journée de Compiègne, 1864 (musée des Beaux-Arts) 3 Le procès et la condamnation Capturée dans le diocèse de Beauvais, son juge légal est l’évêque Cauchon, dont la ville est aux mains des Français. Le procès a donc lieu à Rouen, où il s’est réfugié. Jeanne est gardée au château de Rouen par des geôliers anglais, ce qui est illégal puisque jugée par un tribunal d’Église, elle devrait se trouver en prison ecclésiastique. Le procès débute le 9 janvier 1431. Les questions sont subtiles, posées sans relâche pour la déstabiliser, mais Jeanne, paysanne illettrée, ne se démonte pas. La plupart de ses réponses dénotent un sens de l’humour qui contraste avec la gravité de ses interrogateurs. Lui sont principalement reprochés : son orgueil (ses réponses traduisent sa prétention à mieux s’entendre aux choses de la foi que les lettrés), son indocilité envers l’Église, son indécence (l’habit d’homme est blasphématoire), son audace à attribuer ses fautes aux ordres de Dieu (puisque qu'elle agit d'après ses voix qu’elle prétend venir de Dieu), son entêtement dans ses mensonges et sa croyance en ses visions non validées par l’Église. Le 24 mai, en public, au cimetière de Saint-Ouen, alors que Jeanne reçoit lecture de sa sentence définitive, en vue du bûcher, elle l’interrompt pour se repentir. Jeanne abjure donc. La sentence définitive est commuée en prison à vie et Jeanne accepte enfin de revêtir des vêtements féminins. Tout semble fini, lorsque le 28, les juges trouvent Jeanne dans sa prison en habits d’homme. Elle est relapse, retombée dans ses erreurs ; les juges ne peuvent donc que la déclarer hérétique et la remettre au bras séculier. Le 30 mai, place du Vieux-Marché, Jeanne est remise au bailli de Rouen, un Anglais, qui sans autre forme de procès ni sentence, ce qui est irrégulier, la livre au bourreau. Des documents produits, plusieurs copies certifiées existent encore, ainsi que le texte officiel du procès rédigé après l’exécution. Edmé Gois, Le Supplice de Jeanne d’Arc, 1804 4 - La réhabilitation et la postérité Le 7 novembre 1455, à Notre-Dame de Paris, Isabelle, mère de Jeanne, avec son fils Pierre, expose solennellement sa plainte qui a été reçue par le pape : sa fille, bonne chrétienne, a subi un procès inique qui l’a injustement condamnée jetant l’opprobre sur sa famille. Le procès d’inquisition pour la réhabilitation peut donc commencer. Le 7 juillet 1456, le procès de condamnation est invalidé. Jeanne est réhabilitée. Si Jeanne a connu de son vivant la célébrité d’un mythe due à son charisme et à l’étonnement provoqué par le décalage entre la vie de l’humble paysanne et la mission divine de la guerrière à la tête des armées du roi de France, sa mémoire connaît une relative éclipse sous l’Ancien Régime. e Il faut attendre le 19 siècle pour que le mythe resurgisse : le romantisme contribue à exalter le souvenir de Jeanne qui devient une des plus touchantes héroïnes romantiques. Sous l’influence du mouvement de redécouverte de l’histoire nationale, le mythe s’épanouit avec le patriotisme moderne. Dans son ouvrage Jeanne d’Arc (1841), Jules Michelet opère une transformation radicale du personnage en en faisant une héroïne incarnant le peuple, une « sainte laïque » qui avec ses doutes et ses faiblesses, sa naïveté et son exemplarité cristallise le sentiment national. Monseigneur Dupanloup, évêque d’Orléans, fait aussi beaucoup pour le développement du culte de Jeanne d’Arc dans les milieux catholiques. Il est à l’origine des procès de béatification et de canonisation dont la proclamation n’est effective que bien après sa mort. À la fin du siècle, après la guerre franco-allemande de 1870, Jeanne devient le symbole de l’espérance et de la revanche. Proclamée vénérable (1894), puis béatifiée (1909) et enfin canonisée (1920), la mémoire de Jeanne a suscité un immense mouvement de ferveur populaire 4 5 - Les artistes et l’image de Jeanne Il n’existe pas de portrait de Jeanne d’Arc. La seule représentation contemporaine est un dessin de Clément de Fauquembergue dans le registre du Parlement de Paris. Le 10 mai 1429, il relate les événements récents et dessine un portrait imaginaire de Jeanne portant son étendard. XVe siècle : l’épopée guerrière L’histoire de Jeanne, outre les documents officiels des procès de condamnation et de réhabilitation (qui ne seront publiés e qu’au 19 siècle), est l’objet de pièces de théâtre, de récits, mais les représentations imagées sont rares. Seules quelques enluminures et une tapisserie sont parvenues jusqu’à nous. La Pucelle d’Orléans devant le château de Loches Tapisserie, Bâle, vers 1490 « Voici la pucelle envoyée par Dieu, arrivant dans le pays du dauphin » dit le phylactère. Longtemps considérée comme représentant l’arrivée de Jeanne à Chinon, cette tapisserie semble plutôt figurer l’arrivée à Loches après la levée du siège d’Orléans. En effet Jeanne et ses compagnons d’armes portent l’armure, elle tient l’étendard confectionné à Tours après avoir convaincu de sa mission le dauphin et les théologiens réunis à Poitiers, enfin, Charles VII l’accueille sur le pont-levis alors que la première rencontre à Chinon a lieu à l’intérieur du château. La couronne sur la tête de Charles pourrait aussi évoquer le couronnement à venir rendu possible par la levée du siège d’Orléans. L’un de ses compagnons est donc probablement Dunois. La scène se déroule sur fond de verdure, évocation de la chevauchée, agrémenté de scènes animalières. Un chien poursuit un lièvre aussi gros que lui ! Le ruisseau auquel s’abreuvent le cerf et la biche, comme l’eau dans les douves qui entourent le château sont brutalement interrompus. Deux raisons peuvent l’expliquer, la première est l’absence de recherche réaliste, particulièrement sensible dans la représentation de l’espace (paysage, château), la seconde est une restauration de la tapisserie à une date inconnue très visible dans le soldat situé derrière les créneaux mais aux pieds du roi, situation totalement incongrue. L’image appartient encore totalement au Moyen Âge : elle raconte une histoire et pour cela utilise des indices permettant d’identifier les personnages et le lieu mais ne se préoccupe par de réalisme tant pour le paysage que pour les figures. Les traits de protagonistes ne sont pas individualisés, l’espace, représenté sans perspective, nie la profondeur. Jeanne entourée de quatre chevaliers est identifiable par son étendard, fabriqué selon les indications de ses voix, sur lequel le Christ en majesté tenant le globe terrestre est flanqué de deux anges en prière, en dessous figure la devise « ihs.maria » et trois fleurs de lys. De nombreux soleils à face humaine souriante parsèment sa monture, entourent sa tête puis montent au-dessus de l’étendard avant de rejoindre Charles VII. Ils relient l’héroïne au dauphin. La couleur rouge de la huque de Jeanne et du surcot du dauphin est un second élément reliant les deux personnages principaux. Cette tapisserie a pu faire partie d’une suite représentant plusieurs épisodes de l’épopée johannique ou figurant des héros et héroïnes. La figuration de Jeanne en guerrière et à cheval va disparaître rapidement au profit d’une Jeanne en robe dont le prototype est le tableau des échevins (voir page 7). Ce premier type réapparaîtra au e 19 siècle. Le modèle de cette composition pourrait être l’enluminure ci-contre ou un modèle commun aux deux œuvres. Jeanne d’Arc vient annoncer à Charles VII la libération d’Orléans e miniature 15 siècle 5 XVIe siècle : l’hommage des Orléanais e e Les représentations de Jeanne et de son épopée sont l’objet de nombreuses illustrations gravées aux 16 et 17 siècles, mais les peintures et sculptures restent rares jusqu’à la Révolution. Le monument du pont des Tourelles (1502) 1 2 3 Le premier monument johannique est érigé à partir de 1502 sur le pont des Tourelles. Au pied d’un crucifix, grandeur nature, la Vierge debout en pleurs est encadrée de Jeanne et de Charles VII représentés agenouillés les mains jointes et armés d’une longue lance. Le seul témoignage de ce monument, détruit par les huguenots avant 1562, est visible sur le Tableau des Échevins, vue de la ville d’Orléans (1). Après les guerres de religion, il est restauré par le fondeur Hector Lescot, mais son aspect a changé : la Vierge assise au pied de la croix regarde, les bras croisés sur sa poitrine, son fils étendu sur ses genoux. e À la fin du 17 siècle, François Quesnel (3) peint une huile sur bois le figurant. En 1739, la croix de bronze est remplacée par une croix en bois. Déposé en 1745, le monument est ensuite érigé à l’angle de la rue Royale et de la rue de la Vieille-Poterie (2). En 1792, le Conseil général de la commune décide de réemployer le bronze pour la fabrication de canons : en mémoire de leur origine, l’un d’eux porte le nom de Jeanne d’Arc, alors que les grilles autour du piédestal sont converties en piques. La bannière (1535-1545) Ce tableau à double face a accompagné le corps des échevins pendant les nombreuses processions qui se déroulent dans la ville e e d’Orléans, notamment lors des fêtes du 8 mai, du 16 au 18 siècle. Une face reprend le tableau des échevins agenouillés en prière devant le pont des tourelles, l’autre montre le roi (sous les traits de Louis XII) et Jeanne d’Arc, à la manière de donateurs d’œuvres, agenouillés en prière devant la Vierge et l’Enfant, présentés chacun par les évêques Aignan et Euverte, saints fondateurs et protecteurs de l’Église d’Orléans. Traduction des textes Face des échevins « Contre la fureur de mes ennemis tu as étendu ta main, et ta main droite m’a sauvée. » « Seigneur tu m’as délivrée de la fureur des nations soulevées contre moi. » « Par le seigneur ceci a été fait, et c’est admirable à nos yeux. » « Tu as humilié le superbe, par la force de ton bras, tu as dispersé mon ennemi. » Face de Jeanne d’Arc Jésus-Christ « Je tirerai mon glaive du fourreau et ma main les exterminera. » Saint Euverte (à droite) « Tourne-toi vers nous, Seigneur, Dieu des armées, du ciel viens visiter cette ville. » (psaume) Saint Aignan (à gauche) « Aie pitié Seigneur, de ton peuple, en faveur duquel ton nom a été invoqué. » (livre de l’Ecclésiaste) Le roi « Fait avec moi, Seigneur, signe d’alliance, afin que mes ennemis, qui m’ont haï, te voient et soient confondus. » (psaume) 6 Portrait de Jeanne d’Arc, dit Portrait de l’hôtel de ville, 1581 Peinture anonyme, huile sur toile Présenté depuis 1581 dans la salle de réunion de l’hôtel de ville jusqu’à son entrée dans les collections du musée vers 1857, ce portrait peint, le plus ancien conservé, est à l’origine d’un type iconographique, la jeune fille à l’épée portant une robe et un chapeau orné d’un panache de plumes, qui connaît un large succès pendant trois siècles. Sans doute commandé par les échevins, le tableau porte la date de 1581 et l’inscription en latin de Germain Vaillant de Guélis, chanoine de l’église de Saint-Aignan d’Orléans. « La vierge revient, bienfaisante pour les Français, même sous la forme d’une image muette, elle qu’autrefois la volonté divine et non quelque artifice a envoyée au secours de la patrie. Bon roi Henri, salue ce présage. Que la seconde vierge venue du ciel pour combler tes vœux, rende prospère le début de ton règne. Et qu’ensemble ces deux vierges y rétablissent la justice, afin de ressouder ton siècle à l’antique âge d’or. » Cette annotation fait allusion à Jeanne d’Arc, mais aussi au mariage du roi Henri III avec Louise de Vaudémont-Lorraine en 1575. Jeanne est figurée sous les traits d’une jeune femme en robe de cour, coiffée d’un béret à plumes et porte chaîne en or et collier, comme la Judith peinte par Cranach (1472-1553) dès 1530 (Vienne, Kunsthistorisches Museum). Ces deux héroïnes, au destin parallèle, ont en commun le vêtement, la parure, la coiffure et l’épée brandie. Ce tableau anonyme correspond à une assimilation moderne de l’iconographie de Judith : Jeanne est ainsi un symbole de résistance, une héroïne prête au sacrifice de sa vie pour sauver son peuple et son histoire s’inscrit désormais dans une lignée de femmes fortes. La sculpture en terre cuite, attribuée à Pierre Nicolas Beauvallet (1750-1818), dont le matériau a été endommagé par le feu pendant la Seconde Guerre mondiale, ne fait que reprendre ce type de silhouette. La pièce provient du château de Gaillon (Eure) et est achetée par le roi Louis-Philippe pour les galeries historiques de Versailles. XVIIe siècle : une femme forte Au lendemain des guerres de Religion, Jeanne est à la mode : elle a été mise à contribution par la Ligue et elle sera utilisée jusqu’à la mort de cardinal de Richelieu ; elle est également un symbole important de la « Querelle des femmes », lutte de quelques Françaises contre les progrès du droit romain qui en fait des mineurs perpétuelles. Il paraît alors un ou deux livres par an sur la Pucelle, en particulier des ouvrages de généalogie illustrés de gravures. Son histoire est figurée dans des tapisseries d’Aubusson d’après des cartons de Claude Vignon et Abraham Bosse. On peint des portraits de La Pucelle : celui de Rubens, inspiré de l’iconographie de la bannière, et ceux la faisant figurer dans les galeries de portraits : au château de Beauregard, à l’hôtel Verdelin de Cognac ou encore au palais Cardinal à Paris à la demande du cardinal de Richelieu. Juste d’Egmont (Leyde, 1601 – Anvers, 1674) Dunois secourt la ville d’Orléans avec l’aide de Jeanne d’Arc, 1635-1645 Huile sur bois Philippe de Champaigne et Simon Vouet reçoivent la commande des vingt-cinq tableaux pour la galerie des Hommes illustres du palais Cardinal. Parmi les hommes d’État et les hommes d’Église représentés, Jeanne d’Arc est l’unique femme qui apparaît aux côtés de ces personnages qui sont tous de fermes soutiens à la monarchie. Le Portrait de Jeanne d’Arc, peint par Champaigne, a été conservé à Orléans (musée Jeanne d’Arc) jusqu’à sa destruction pendant la Seconde Guerre mondiale. Chaque portrait était entouré de petites scènes historiques réalisées par Juste d’Egmont et Charles Poërson. Beaucoup de ces panneaux ont aujourd’hui disparus, mais tous ont été gravés dans un ouvrage publié en 1650 par Marc Vulson de la Colombière. Dans la scène Dunois secourt la ville d’Orléans avec l’aide de Jeanne d’Arc, apparaît en vedette le chevalier en armure Jean, bâtard d’Orléans, comte de Dunois, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc qui figure au second plan coiffée de son chapeau à plumes. Rapide et enlevée la composition, témoigne de l’influence de Rubens et du style baroque français. 7 XIXe siècle : une héroïne aux multiples facettes e Alors que Jeanne fut surtout un sujet littéraire jusqu’au 18 siècle (souvent vénérée, mais parfois raillée, par Voltaire e notamment), à partir du 19 siècle, elle devient un sujet d’étude pour les historiens et son iconographie se développe et s’enrichit de nouvelles thématiques. Les recherches des historiens favorisent la redécouverte de l’histoire nationale, développent l’intérêt pour le Moyen Âge et, en particulier, la personnalité de Jeanne d’Arc. La diffusion de ces études constitue autant de sources d’inspiration pour les artistes qui s’approprient les thèmes historiques selon leur sensibilité. L’histoire johannique inspire non seulement les peintres, sculpteurs et graveurs, mais aussi les écrivains, les musiciens et les artisans qui proposent des objets utilitaires ou décoratifs à l’effigie de l’héroïne. e Tout au long du 19 siècle, elle est un personnage historique chargée de sens et de symboles : elle incarne la lutte contre er les Anglais sous Napoléon 1 , la restauration monarchique après 1815, puis, après 1870, le peuple libérant la nation, tandis que les catholiques voient en elle une sainte et s’efforcent d’obtenir sa canonisation. La guerrière Les représentations de Jeanne en armure, à pied ou à cheval, se multiplient sous des formats divers, de la statue monumentale ornant une place publique à la statuette destinée au décor intérieur en passant par les nombreuses figurations pour les établissements religieux. Edmé Gois (Paris, 1765 – Saint-Leu-Taverny, 1836) Il s’agit de la plus ancienne sculpture conservée à Orléans (aujourd’hui quai des Augustins). À l’occasion du rétablissement des fêtes johanniques en 1803, Edmé Gois présente un modèle en plâtre placé sur le Petit Martroi, face à l’église Saint-Pierre-du-Martroi. La figure reprend l’attitude de Bonaparte au pont d’Arcole peint par Antoine-Jean Gros en 1801. Le monument définitif, dont le piédestal est orné de bas-reliefs narratifs, est inauguré en 1804. L’œuvre est un hommage à Jeanne libératrice de la ville et à Bonaparte, nouvel espoir de la nation, mais aussi un manifeste contre les Anglais. Très vite la statue néoclassique se démode. Elle est déplacée à la tête sud du pont en 1855. Épargnée par les bombardements de juin 1940 et cachée pour éviter sa fonte, elle trouve enfin sa place à l’angle de la rue Croix-de-la-Pucelle et de la rue des Tourelles (sans les bas-reliefs déposés au musée), où hommage lui est rendu chaque année lors des fêtes johanniques. Les bas-reliefs exposés dans la salle représentent Charles VII remettant l’épée à Jeanne d’Arc, le combat des Tourelles, le sacre de Charles VII et le supplice de Jeanne d’Arc (illustration page 4) Emmanuel Frémiet (Paris, 1824 – Paris, 1910) L’œuvre exposée est la réduction en bronze du célèbre monument à Jeanne d’Arc élevant son étendard (1873) conçu par Emmanuel Frémiet pour la place des Pyramides à Paris, mais aussi à Lille, Saint-Étienne, Compiègne, etc. Cette commande du gouvernement français, après la défaite de Sedan en 1870, est chargée de signification politique : l’image de Jeanne d’Arc devient alors un symbole d’espérance, puis de revanche. La statue équestre la plus célèbre d’Orléans est La Jeanne d’Arc après la victoire de Foyatier (1793-1863) érigée place du Martroi en 1855. L’héroïne romantique Marie d’Orléans (Palerme, 1813 – Pise, 1829) Jeanne d’Arc pleurant à la vue d’un Anglais blessé, 1834-1835 Plâtre patiné Fille de Louis-Philippe, Marie d’Orléans est l’élève du peintre Ary Scheffer qui lui enseigne le dessin et la sculpture à partir de 1825. Attirée par les thèmes historiques, elle lit La Chronique de Jehanne la Pucelle, source profonde d’émotion et d’inspiration. Elle exécute deux effigies de Jeanne, à cheval et à pied, qui insistent sur le caractère pieux et sensible de l’héroïne et rompent avec l’iconographie traditionnelle du Portrait des échevins d’Orléans. Jeanne d’Arc pleurant à la vue d’un Anglais blessé, scène touchante où la cavalière apparaît pensive et mélancolique, traduit avec sensibilité la compassion de Jeanne. Sa Jeanne en prière présente devant le perron de l’hôtel Groslot est une réplique en bronze de la sculpture en marbre réalisée par la princesse pour les galeries historiques de Versailles en 1837. 8 Les peintres troubadours e Au début du 19 siècle, apparaît un courant pictural à mi-chemin entre la peinture de genre et la peinture d’histoire. Ce « genre anecdotique » ou peinture troubadour, au fini précis, illustre souvent une anecdote, volontiers sentimentale et tirée de l’histoire française, contribuant à exalter un sentiment national. Dans les années 1820, ce courant évolue vers le « genre historique », à la facture plus large, privilégiant des éléments significatifs d’une époque, l’expression des émotions et la « vérité » historique, à rapprocher du développement des sciences historiques au même moment. Dominique-Louis Papety (Marseille, 1815 – Marseille, 1849) Jeanne d’Arc devant Charles VII, vers 1837 Huile sur toile Le tableau constitue une copie réduite pour les galeries historiques de Versailles de l’œuvre de Gillot de Saint-Èvre (1791-1858) présentée au Salon de 1833 et achetée pour le musée du Louvre. Il représente l’interrogatoire que les docteurs de l’Église font subir à Poitiers en février ou mars 1429 à la jeune paysanne qui prétend être désignée par Dieu pour sauver le royaume. La scène, non dépourvue de charme, confronte la jeune femme à l’assemblée élégante et chamarrée des courtisans et des ecclésiastiques, et renouvelle l’épisode en s’écartant de l’imagerie héroïque et de la réalité des faits (la présence du roi n’est pas attestée). La Pucelle en robe, l’épée serrée contre sa poitrine, en levant le doigt vers le ciel suggère la réponse aux examinateurs : « Au livre du seigneur, il y a plus que dans tous les vôtres » Henry Scheffer (La Haye, 1798 – Paris, 1862) Jeanne d’Arc arrivant sur la place de Rouen ; le prêtre qui l’avait trahie se jette à ses pieds et invoque son pardon, 1835 Huile sur toile Henry Scheffer, l’un des peintres préférés de LouisPhilippe et de sa famille, peint cette œuvre pour la galerie personnelle du duc Ferdinand d’Orléans, le frère de Marie d’Orléans. L’œuvre représente le moment où le frère Loyseleur, confesseur de Jeanne lors du procès, mais chargé en fait par l’inquisition de la trahir, sollicite son pardon. Le bûcher est déjà dressé à l’arrière-plan sur la place du Vieux-Marché. La foule est maintenue à distance de la condamnée par les soldats. Les passions suscitées par le procès sont efficacement évoquées par quelques gestes symboliques de part et d’autre de la scène centrale : poings dressés, crucifix tenu fermement pour se protéger de la sorcière. L’intensité dramatique est poussée à son paroxysme dans le traitement de Jeanne, fragile et démunie, priant Dieu. L’esquisse peinte d’Henry Scheffer L’Entrée de Jeanne d’Arc à Orléans le 8 mai 1429 (avant 1843) répond à la commande de Louis-Philippe pour la galerie des Batailles de Versailles. Plutôt qu’une entrée triomphale, l’artiste décrit l’atmosphère solennelle d’une procession religieuse où la cavalière à l’expression exaltée se dresse en armure au milieu de la foule qui se prosterne et l’acclame. Traitant le même sujet, Olivier Merson (1895) montre la cavalière, plus masculine et moins extatique, dans les rues en liesse de la cité. 9 La bergère e Ce n’est qu’à la fin du 19 siècle, après la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace et de la Lorraine que les artistes représentent l’enfance de Jeanne. La jeune bergère solitaire, missionnée par Dieu pour venir au secours du pays est ainsi évoquée par Pierre Lagarde (Paris, 1853 – 1910) dans Jeanne d’Arc entendant ses voix en 1891. L’atmosphère lugubre du crépuscule, les troncs dépouillés et tronqués, la palette assourdie dépeignent un pays abandonné où seuls les moutons broutant paisiblement apportent un peu de sérénité. Les formes évanescentes, auréolées et dont l’une tient une épée pour représenter saint Michel, se profilent derrière Jeanne, immobile, adossée à un arbre, le visage levé et dont le geste suspendu exprime la surprise. Elle dit lors de son procès qu’elle n’est pas une bergère, mais c’est pourtant ainsi que l’appellent ses partisans et ses ennemis. La raison en est symbolique : patriarches et prophètes de l’Ancien Testament sont souvent bergers avant que Dieu ne leur confie la conduite de leur peuple, le Christ lui-même est assimilé au bon pasteur. La référence à la bergère a disparu de la Jeanne d’Arc entendant les voix peinte par Henri Martin (Toulouse, 1860 – La Bastide-du-Vert, 1943) en 1884 (illustration page 2). Jeanne et deux anges démesurés occupent le premier plan ; positionnés sur la diagonale du tableau, ils dynamisent la scène, tandis que l’espace totalement vide derrière Jeanne l’isole du monde extérieur et suggère le secret de la relation qu’elle entretient avec ses voix. Son visage, pris dans le faisceau lumineux émanant de l’ange de dos, exprime l’emprise des voix célestes. Dès 1870, Henri Chapu (Le Mée-sur-Seine, 1833 – Paris, 1891) illustre le thème des voix dans une œuvre en trois dimensions, appelée à connaître un large succès. Au plâtre succède un marbre en 1872, acheté par l’État et aujourd’hui au musée d’Orsay. Assise à même le sol, telle une Vierge d’humilité, Jeanne incarne l’espoir du redressement de la France après la perte de l’Alsace-Lorraine. Sa simplicité, son naturalisme ont contribué à en faire une icône dont le succès se mesure au nombre de réductions éditées en bronze, terre cuite, plâtre, biscuit de porcelaine et aux reproductions gravées pour l’édition. Les objets e De très nombreux objets de la vie courante à l’effigie de Jeanne sont édités au 19 siècle, rappelant l’extraordinaire personnalité de Jeanne d’Arc et témoignant de l’appropriation populaire du mythe. Un certains nombre sont présentés dans la salle d’exposition : une bouteille en verre moulé, un moutardier en verre et son support en argent, une sonnette en bronze d’après le monument érigé par Marie d’Orléans, une râpe à tabac en ivoire reproduisant le Portrait des échevins d’Orléans, une statuette de Jeanne d’Arc en ivoire sous forme de triptyque à deux volets articulés qui découvrent les épisodes de son entrée à Orléans, une poire à poudre en bois de cerf représentant une fois encore la Pucelle avec son chapeau à plumes… Il faut aussi ajouter à cet ensemble l’importante production d’objets en céramique, encrier en faïence attribué à Ulysse Besnard (actif à Blois entre 1862 et 1886), les séries d’assiettes à dessert provenant de la fabrique de Gien qui décrivent les principaux épisodes de la vie de Jeanne d’Arc ainsi que la paire de bras de lumière figurant Jeanne et le Dunois attribués à la fabrique orléanaise Labrut. Tout un inventaire à la Prévert. Leurs propriétaires en les acquérant ont souhaité manifester leur dévotion à Jeanne. Ce mouvement ne fait qu’amplifier e au début du 20 siècle avec la béatification et la canonisation, comme en témoigne le développement du marché des souvenirs johanniques en France, à Paris, Reims, Rouen, Vaucouleurs et Orléans avec la maison Marcel Marron. 10 XXe siècle : Jeanne, figure mystique et intemporelle Antoine Bourdelle (Montauban, 1861 – Paris, 1929) Jeanne d’Arc au sacre, 1910 Bronze Lors de son procès, comme on lui reproche d’avoir placé son étendard trop près du roi pendant le sacre, elle rétorque à ses juges : « Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur ». Cette image de Jeanne à l’étendard est inlassablement déclinée par les artistes. Émile Bourdelle nous livre ainsi une Jeanne hiératique, le regard levée vers le ciel, fièrement dressée, l’étendard fermement tenu en main. Le statisme de la figure est adouci par l’enroulement de l’étendard dans son dos. La rectitude de l’attitude de Jeanne saisie au moment où elle semble communiquer avec le monde céleste n’est pas sans rappeler la Jeanne d’Arc au sacre du roi Charles VII de JeanAuguste-Dominique Ingres (1780-1867). Comme lui, Bourdelle trace une auréole autour de la tête de Jeanne, utilisant ici l’étendard comme support. L’œuvre date de 1909, l’année de la béatification de Jeanne. Maurice Denis (Granville, 1870 – Paris, 1943) Jeanne d’Arc pendant le sacre de Charles VII, 1909 En cette même année 1909, Maurice Denis peint plusieurs esquisses représentant Jeanne d’Arc pendant le sacre de Charles VII à la demande de son ami Gabriel Thomas, directeur du musée Grévin, qui souhaite faire réaliser un tableau de cire. La place accordée à l’architecture gothique, aux étendards et à la lumière – qui dessine des mosaïques murales en traversant les vitraux – rompt avec les images antérieures qui mettent l’accent sur les acteurs du sacre, non sur le lieu. Ici, Jeanne est le seul personnage individualisé avec la figure du roi, même si dans la seconde version, seule la couleur bleue de son manteau permet de situer celui-ci à droite de l’image. Les autres personnages ne sont que des entités : les musiciens, les pairs ecclésiastiques, la cour. Jeanne occupe la place centrale et concentre l’attention. Et l’étendard éclatant de blancheur semble illustrer directement la réplique de Jeanne à ses juges. L’importance accordée aux musiciens peut également surprendre : au premier plan, ils servent certes de repoussoir et à ce titre construisent l’espace, encadrent Jeanne et la mettent en valeur dans la seconde esquisse, mais ils apportent aussi une note sonore. Maurice Denis associe ainsi à la vision solennelle de l’événement une ambiance festive transcendée par la lumière et la musique. Cette représentation de la royauté française restaurée à Reims participe des convictions catholiques profondes de l’artiste, futur créateur des ateliers d’art sacré. Edgard Maxence (Nantes, 1871 – La Bernerie-en-Retz, 1954) Le Départ de Vaucouleurs , 1944 Huile sur carton Le Départ de Vaucouleurs est centré sur Jeanne dont le regard fixe et la main tenant fermement les rênes montrent toute la détermination. La disposition des membres de l’escorte la met en valeur, creuse l’espace et guide le regard vers la foule qui assiste à la scène à l’arrière-plan. Si le cadrage serré crée un effet de proximité, le regard intériorisé et l’auréole la placent dans une dimension intemporelle et mystique. Roger Toulouse (Orléans, 1918 – 1994) Jeanne à l’étendard, 1972 Acier martelé, patine Roger Toulouse réalise une Jeanne d’Arc à l’étendard à l’aide de son langage des triangles. Comme en peinture, mais avec la difficulté supplémentaire du travail du métal, Roger Toulouse découpe et assemble des formes géométriques acérées, adoucies de courbes et de contre-courbes, pour composer le portrait de l’héroïne. La figure de la Pucelle émerge à peine de ce cliquetis métallique de pointes, de dards et de triangles dressés, comme pour rappeler le formidable combat livré à Orléans. 11