Fiches réalisées par Arnaud LEONARD

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Fiches réalisées par Arnaud LEONARD
Fiches réalisées par Arnaud LEONARD
(Lycée français de Varsovie, Pologne)
à partir de sources diverses, notamment des excellents « livres du professeur »
des éditions Nathan (dir. Guillaume LE QUINTREC)
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HC – Guerres et paix 1914-1946
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Mosse George Lachmann, De la Grande guerre au totalitarisme, la brutalisation des sociétés européennes, coll. « Pluriel »,
Hachette, 1999 (à partir de la question « Quelles sont les conséquences de l’expérience de la mort massive pendant la Première
Guerre mondiale ? », l’auteur insiste sur l’idée que 1914-1918 est une guerre d’un nouveau type et développe le concept de «
brutalisation » des populations, en particulier en Allemagne).
Audouin-Rouzeau Stéphane, Becker Annette, Igrao Christian, Rousso Henry (dir.), La Violence de guerre 1914-1945, Complexe,
2002 (ouvrage de collaboration – 22 auteurs – qui permet de mettre en relief les violences des champs de bataille, celles faites
contre les populations durant les deux conflits, les traumatismes et les réactions, mettant ainsi en relation violences de guerre et
violences politiques).
14-18, retrouver la guerre, AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, BECKER Annette. Paris : Gallimard, 2000.
Les Monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, BECKER Annette, Paris : Errance, 1988.
War and Remembrance in the XXth Century, SIVAN Emmanuel, WINTER Jay. Cambridge : University Press, 1999.
BRION Patrick, Le Cinéma de guerre, La Martinière, 1996.
Prost Antoine, « Pacifismes de l’entre-deux-guerres », dans Becker Jean-Jacques, Audoin-Rouzeau Stéphane (dir.), Encyclopédie
de la Première Guerre mondiale, Bayard, 2004.
Vaisse Maurice, La Paix au XXe siècle, Belin supérieur, 2004.
BOCK Fabienne, Les sociétés, la guerre et la paix. 1911-1946, Armand Colin, 2003.
DUFOUR Jean-Louis et VAÏSSE Maurice, La guerre au XXe siècle, Hachette, 1993. Propose une typologie selon six critères (cf.
l’Introduction). Particulièrement utile pour caractériser la guerre moderne du XXe siècle (chapitre 1) et préciser la notion de «
guerre totale » (chapitre 2). Tableau récapitulatif des victimes des deux guerres.
Plusieurs manuels conçus pour la préparation aux concours d’enseignement en 2003-2005 fournissent des mises au point sur les
thèmes de ce programme. Celui dirigé par Frédéric Rousseau est riche en informations sur les pacifismes (ROUSSEAU Frédéric
dir., Guerres, paix et sociétés 1911 – 1946, Atlande, 2004, p. 552-573). Ces ouvrages supposent de connaître les débats
historiques auxquels ils renvoient, notamment autour de la question du consentement des populations à la Première Guerre
mondiale (Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Frédéric Rousseau).
Bertrand Maurice, L’ONU, La Découverte, 2003, 128 p., coll. «Repères ».
Lafay Frédérique, L’ONU, PUF, 2003, 128 p., coll. «Que sais-je ?».
Ressources
Itinéraire urbain et travail sur les monuments aux morts (commanditaires, représentations, financements, discours inaugural…).
Sortie pédagogique au Mémorial de Péronne (Somme) sur l’expérience de la guerre, la culture de paix.
www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers
dossier/maintien-paix (Historique de la SDN à l’ONU, liens)
Ouverture pour les élèves
Giroud Franck, Dethore Jean Paul, Louis la Guigne, Glénat, 1985 : une bande dessinée qui aborde la période de l’Entre-deuxguerres et notamment les difficultés de la République de la Weimar, le rôle des pacifistes ouvriers et internationalistes.
Documentation Photographique et diapos :
Audouin-Rouzeau Stéphane, « La guerre au XXe siècle, 1. L’expérience combattante », La Documentation photographique, La
Documentation française, n° 8041, 2005 ; Dumenil Alain, « La guerre au XXe siècle, 2. L’expérience des civils », La
Documentation photographique, La Documentation française, n° 8043, 2005.
Revues :
Les collections de l’Histoire, n° 21 consacré à la Grande Guerre (deux articles sur le pacifisme).
« Le pacifisme à la française (1789-1991) », L’Histoire, n° 144, mai 1991.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Accompagnement 1ère STG :
« Centrée sur la période 1914-1946, cette séquence place l’Europe au coeur de
l’enseignement à travers l’étude des deux guerres mondiales, des totalitarismes,
des efforts pour construire la paix. Elle s’appuie sur les acquis de la classe de
BO 1ère STG « Guerres et paix (1914-1946)
L’EUROPE AU CŒUR DES GRANDS
AFFRONTEMENTS
On présente les événements militaires des
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troisième et limite la part du récit au rappel des grands repères chronologiques et
géographiques. Pour cela, le recours aux cartes est indispensable. En premier lieu,
elles permettent de montrer les principaux changements intervenus dans le
découpage de l’Europe médiane et balkanique et la fixation des frontières entre la
France et l’Allemagne. Trois dates sont pertinentes pour cet exercice : 1914 –
1938 – 1947. Le choix de 1938 permet de décrire la nouvelle Europe née des
traités de paix à la fin de la première guerre mondiale, d’évoquer les
modifications apportées par la guerre soviéto-polonaise et de présenter la
politique d’agression nazie (Anschluss, autonomie de la Slovaquie). L’année
1947 correspond à une stabilisation des frontières européennes jusqu’aux années
1990 (abordées en Terminale). En second lieu, combinées à une chronologie, les
cartes peuvent servir de support à un rappel de quelques événements clés de
chaque conflit (bataille de la Marne, Verdun ; Stalingrad, Midway). Sur la carte
de l’Europe on montre les territoires directement touchés par chaque guerre et on
localise les principaux fronts. On souligne que le centre de gravité se déplace,
d’une guerre à l’autre, de l’ouest (front franco-allemand) vers l’est (front
germano-soviétique). Sur le planisphère on marque la différence entre une
première guerre mondiale encore européo-centrée et une deuxième guerre tout à
fait mondiale avec l’affrontement entre le Japon et les États-Unis dans le
Pacifique.
Cette mise en place des faits et des espaces débouche sur la notion de guerre
totale, en grande partie connue des élèves. On la caractérise par l’extension des
opérations dans la durée et surtout dans l’espace ; par la mobilisation de tous les
moyens, en hommes (pour combattre ou soutenir l’effort de guerre), en argent, en
matériel (économie de guerre) ; par l’acharnement des combats et la volonté
d’anéantir l’adversaire, jusqu’à passer « de l’acceptation de la guerre à
l’acceptation du crime ».
Pour chaque guerre on relève ensuite quelques éléments décisifs de l’histoire
européenne. De la Première Guerre mondiale, on retient surtout l’expérience
d’une violence qui atteint une ampleur et un caractère collectif sans précédent. Se
pose dès lors la question des raisons qui ont conduit les populations à soutenir
très majoritairement l’effort de guerre demandé par la nation. Si certains
historiens insistent sur les mécanismes d’adhésion qui conduisent au «
consentement » des individus, d’autres font valoir que cette apparente adhésion
est aussi le résultat d’un conditionnement ancien et des contraintes exercées par
l’État et la société.
La Seconde Guerre mondiale n’oppose plus seulement des États-nations mais des
projets politiques et des idéologies. Elle déplace et dilue les distinctions
traditionnelles qui permettaient d’opposer le front et l’arrière. La collaboration et
la Résistance, les bombardements et la guerre médiatique, ne connaissent pas de
frontière. Cette guerre marque aussi le franchissement de nouveaux degrés dans
le déchaînement de la violence, le recours aux armes de destruction
(bombardements, arme nucléaire), la planification des massacres jusqu’à la
volonté d’extermination (Juifs, Tziganes). Elle laisse une Europe en ruines où les
pertes militaires et civiles sont presque équivalentes, et cinq fois plus élevées que
pendant la Grande Guerre.
La présentation des génocides implique au préalable de clarifier le vocabulaire et
d’expliquer la distinction opérée progressivement par le droit international entre
crimes contre la paix, crime de guerre, crime contre l’humanité, génocide. La
volonté de fixer des règles pour protéger les civils et limiter le recours à certaines
armes durant les guerres est ancienne et avait donné naissance à un droit
international qualifié à l’époque moderne de droit des gens. À partir du XIXe
siècle, il se traduit en accords internationaux. La première convention de Genève
(1864) et la convention de La Haye (1907) ont, entre autres, tenté de réglementer
les lois et coutumes des guerres sur terre pour empêcher les belligérants de s’en
prendre à des objectifs non- militaires (civils, prisonniers, blessés). Mais la
définition juridique de plusieurs types de crimes s’impose seulement en 1945
avec la création d’un tribunal militaire international installé à Nuremberg. Il
distingue dans ses statuts (article 6) trois chefs d’accusation : crime contre la paix
; crime de guerre ; crime contre l’humanité. Le mot génocide est encore absent de
cette classification mais il s’impose très vite. Utilisé pour la première fois dans un
document officiel en 1945 par le tribunal de Nuremberg, il est défini sur le plan
juridique par l’Assemblée générale de l’ONU en 1946. Il entre définitivement
dans le vocabulaire du droit international en 1948. »
deux guerres essentiellement à l’aide de
cartes.
La Première Guerre mondiale marque
durablement les sociétés par le renforcement
de l’État et par l’expérience de la violence.
On posera la question du consentement des
opinions.
La Seconde Guerre mondiale franchit de
nouveaux seuils dans la violence du fait des
objectifs du nazisme et de l’impérialisme
japonais, de l’implication des civils, des
armes utilisées (bombe atomique).
On oppose les idées-forces des totalitarismes
(Allemagne nazie et URSS stalinienne) et
des démocraties, à travers leurs fondements,
leurs objectifs, leur fonctionnement.
On décrit et on analyse les mécanismes qui
entraînent les génocides de la Première
Guerre mondiale (Arméniens), puis de la
Seconde Guerre mondiale (Juifs, Tziganes).
SUJETS D’ETUDE
La recherche de la paix
Le sujet d’étude s’attache aux efforts
déployés pour construire la paix et aux
difficultés qu’ils rencontrent.
Un sujet d’étude au choix :
- De la SDN à L’ONU
L’échec de la SDN éclaire la mise en place
de l’ONU, son organisation, ses buts, ses
moyens. »
- Pacifisme et pacifistes
On montre la diversité du pacifisme, les
problèmes qu’il rencontre, son influence. »
BO 1ere ST2S : « Guerres et paix (19141946)
L'EUROPE : UN ESPACE MARQUE PAR
DEUX CONFLITS MONDIAUX.
La guerre marque profondément l'Europe du
premier XXe siècle et ses peuples.
On analyse les dimensions géopolitiques des
deux conflits mondiaux, leurs caractères
spécifiques, la violence vécue par les
combattants et les civils.
SUJETS D’ETUDE
On montre la diversité du pacifisme, les
problèmes qu'il rencontre, son influence.
L’Italie, ébranlée par la Première Guerre
mondiale, devient un pays totalitaire.
On étudie la réalité de la vie quotidienne
sous le fascisme.
Auschwitz est un vaste complexe, construit à
partir de 1940. Il constitue un élément de la
politique concentrationnaire nazie et surtout
un instrument majeur de la politique
d'extermination des juifs d'Europe. Il est
devenu un lieu de mémoire. »
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Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Accompagnement 1ère ST2S :
« La question est centrée sur l’Europe et sur les peuples qui y vivent : le
commentaire en exprime clairement le contenu et le déroulement. Elle ne requiert
pas un traitement chronologique détaillé : il est d’autant plus important que les
enseignants fassent exprimer à la classe – de manière positive – les savoirs sur la
période pour en faire des points d’appuis.
Les deux guerres mondiales ont profondément modifié, à l’échelle d’une vie
humaine, l’organisation géopolitique de l’espace européen. Elles ont suscité des
recherches de paix dans lesquelles s’inscrit l’idée européenne. Le projet européen
est né des traumatismes des deux guerres et de cette recherche répétée de paix.
L’étude des cartes permet de retracer la mise en place progressive des frontières
de l’Europe ainsi que la rapidité de leurs modifications. L’existence des empires
centraux et les tensions territoriales qui opposent notamment la France et
l’Allemagne sont rappelées à partir de la carte du continent en 1914. Elle fait
apparaître les nouveaux États nations qui se sont constitués, la montée des
tensions et le jeu des alliances. Il est possible de montrer la disparition des
empires centraux ainsi que les recompositions territoriales en Europe centrale
selon les principes wilsoniens en étudiant la carte de l’Europe dans l’entre-deuxguerres. Les démocraties et les régimes totalitaires qui se sont installés
progressivement sont également localisés. Une carte de l’Europe en 1942 permet
de caractériser le continent à l’heure allemande et de mesurer les implications
territoriales de l’idéologie nazie : Grande Allemagne, espace vital, États
vassaux… Enfin, une approche même succincte de l’expansion soviétique est
utile pour comprendre le projet de construction européenne en introduisant
notamment les antagonismes moteurs de la future guerre froide qui sera traitée en
classe de terminale. Les déplacements de populations
générés par les régimes totalitaires dans l’entre-deux-guerres et les redécoupages
territoriaux après 1945 sont également abordés à partir des cartes. Des exemples
régionaux comme ceux de l’Alsace-Lorraine ou de la Haute-Silésie peuvent
permettre d’apporter une dimension humaine à cette étude en rendant sensible
aux élèves l’intensité et la brutalité des bouleversements vécus par certaines
populations.
Le programme invite à une étude globale des deux conflits dont il importe de
souligner les points communs et les spécificités. L’Europe a été, quoique
inégalement selon le conflit, le théâtre principal des deux guerres mondiales. Le
continent sort détruit et affaibli d’une période où se sont affrontées sur son
territoire, avec une extrême violence, des armées de masse et des idéologies
antagonistes. L’étude des affrontements à l’oeuvre lors de la Première comme de
la Seconde Guerre mondiale s’appuie sur la notion de guerre totale. L’analyse
d’affiches de propagande bien choisies (appel à souscription par exemple) peut
donc être l’occasion de souligner à la fois le rôle des États dans la conduite de la
guerre et la mise en place d’économies de guerre. Elles permettent d’appréhender
la perception de l’ennemi, de décrire l’ampleur de la mobilisation des populations
européennes et coloniales aux fronts comme à l’arrière ainsi que de comprendre
le rôle des médias dans le conditionnement psychologique. Si la Première Guerre
mondiale peut être considérée, avant tout, comme un affrontement de puissances,
aboutissement des nationalismes du XIXe siècle, la seconde met aux prises des
projets politiques radicalement différents : les régimes totalitaires cherchent à
imposer une logique d’exclusion de l’autre alors que les démocraties libérales
défendent un modèle de société reposant sur l’affirmation de l’égalité des droits
et la garantie des libertés individuelles et collectives. Le communisme soviétique
constitue un cas complexe : en dépit de son incarnation politique dans un régime
totalitaire, il se réclame de l’égalité individuelle et des libertés collectives et est
une clef majeure de la défaite allemande en 1945. Ces projets sont d’autant plus
inconciliables que chacun d’eux prétend à l’universalité.
La volonté d’anéantissement de l’ennemi et l’extrême violence qui l’accompagne
doivent être soulignées. Les Européens ont, en effet, payé un lourd tribut à la
guerre. L’analyse comparée du nombre et de la nature des victimes constitue un
moyen de souligner l’entrée des masses dans la guerre et, de fait, le poids
grandissant des civils victimes des conflits. Elle permet de mesurer en partie
l’escalade dans l’échelle de la violence : le nombre des victimes est cinq fois plus
élevé lors de la Seconde Guerre mondiale. Les civils connaissent l’invasion et la
Filmer pour se souvenir
En 1956, Alain Resnais montre dans Nuit et
Brouillard des images d’archives,
principalement des photographies, sur le
texte d’un écrivain, ancien déporté, Jean
Cayrol. Camps de concentration et
d’extermination ne sont pas différenciés : le
film est une réflexion humaniste sur les
drames de la Seconde Guerre mondiale.
Dans Shoah (1985), au contraire, Claude
Lanzman refuse tout document d’archives :
son film est fondé sur la parole des victimes,
des bourreaux et des témoins de
l’extermination des Juifs d’Europe.
L’Histoire nous parvient par la catharsis de
la mémoire, comme dans le cas de l’ancien
coiffeur chargé de raser les victimes avant
leur extermination qui, dans un salon de
coiffure recréé pour le film, revit devant les
spectateurs horrifiés la cruauté de son
trauma. Rithy Panh, en mettant face à face
anciens bourreaux et victimes des Khmers
rouges dans S 21 (2004), se place dans la
même lignée, au moment où les responsables
confrontés à un futur procès plaident le
génocide par ignorance. Seule bande-son, la
Radio des Mille Collines appelant au
meurtre, seules images, des corps entassés,
sont les choix d’Eyal Sivan pour les 13
minutes d’Itsembatsemba, Rwanda, un
génocide plus tard (1996).
La notion de pacifisme est complexe. On
montre comment elle a évolué au cours de la
première partie du XXe siècle, jusqu’à la
Première Guerre mondiale, puis dans l’entredeux guerres, jusqu’à la création de l’ONU.
Comprendre que le pacifisme est une notion
polysémique ; sa lecture est « horizontale »,
c’est-à-dire qu’à une même époque, il
engendre des attitudes diverses, mais sa
lecture est aussi « verticale » : sa
signification subit des modifications au fil du
temps.
Etre capable de citer des acteurs des diverses
expressions du pacifisme, comme Jean
Jaurès.
Retenir des moments clés du pacifisme
comme le pacte Briand-Kellogg du 27 août
1928 ou la conférence de Munich en
septembre 1938.
Problématiques
– Comment la guerre de 1914-1918 marquet-elle l’échec des mouvements pacifistes ?
La réponse à cette problématique devrait
permettre de cerner la diversité des
conceptions et des types d’action du
pacifisme. L’intitulé du sujet d’étude illustre
bien que si le désir de paix est partagé, la
définition de la paix et les attitudes pour la
protéger ne sont pas identiques. Il faudrait en
outre éclairer l’échec des pacifistes
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retraite ainsi que l’occupation. Les bombardements altèrent les distinctions
spatiales entre espace de combat et espace civil. La question de la violence dont
sont victimes combattants et civils introduit aux notions de culture de guerre et de
brutalisation des rapports humains comme à celles de génocide et de crimes
contre l’humanité. Les deux guerres génèrent des crimes contre l’humanité
définis dans l’article 6 des Statuts du tribunal de Nuremberg. L’étude du procès
de Nuremberg pourrait être, à la fois, l’occasion d’expliquer la « logique »
génocidaire en s’appuyant sur les témoignages et également de souligner
l’exigence de justice indispensable à la reconstruction d’une Europe pacifiée. Il
est aussi possible de rappeler aux élèves que si le terme de génocide s’est imposé
pour qualifier la Shoah, il divise encore concernant les Arméniens, sa
reconnaissance constituant, pour certains, un préalable à l’adhésion de la Turquie
au sein de l’Union européenne. Le sujet invite également à poser la question des
liens entre cette violence, nouvelle par son ampleur mais aussi par sa nature, et
l’idéologie comme le fonctionnement des régimes totalitaires. Elle ouvre la
réflexion sur le degré et les modalités d’acceptation de cette violence.
L’oeuvre de Marie Curie, son engagement pour soulager la souffrance des
malades avec la création d’une voiture radiologique, constituent une expérience
humaine dont le récit introduit les questions des traumatismes, des relations avec
l’arrière et de la place des scientifiques dans l’effort de guerre. Les articulations
potentielles avec les autres disciplines sont nombreuses.
Le recours à des extraits d’oeuvres littéraires, cinématographique ou picturales
peut être l’occasion d’un travail mené avec les professeurs de français. Le Grand
Troupeau de Jean Giono ou À l’ouest, rien de nouveau de Erich Maria Remarque
sont des supports intéressants pour approcher l’enfer des combats. Celui-ci peut
aussi être évoqué par la lecture de carnets de poilus ou encore à travers l’analyse
d’extraits de films de fiction. Les deux conflits ont inspiré une très riche
filmographie qui peut-être utilisée en accroche pour aborder l’expérience
combattante (Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, 1958 [1914-1918],
Week end à Zuidcotte d’Henri Verneuil, 1964, Stalingrad de Jean-Jacques
Annaud, 2002 [1939-1945]) ou donner une idée de l’ampleur des moyens
humaines et matériels mobilisés (Le Crépuscule des aigles de John Guillermin,
1966 [1914-1918], Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, 1998 [19391945]). Si ces oeuvres de fiction offrent un point de vue idéologique, elles
peuvent inviter à une réflexion critique sur les raisons et la manière de filmer la
guerre. Celle-ci peut passer par la confrontation des oeuvres (l’ouvrage d’Erich
Maria Remarque, par exemple, a donné lieu à deux adaptations au cinéma : Lewis
Milestone, 1930, Delbert Mann, 1979). Les oeuvres d’Otto Dix offrent également
une entrée possible.
De la SDN à l’ONU
Les trois entrées proposées comme sujets d’étude possibles ont toutes pour
objectif de montrer comment les hommes, notamment en Europe, ont tenté
d’empêcher la guerre et d’instaurer une paix durable. La chronologie du
programme ne doit pas empêcher l’enseignant d’aborder des aspects postérieurs à
1946, par exemple quand il évoque les opérations de maintien de la paix, le
tribunal international de La Haye, les courants pacifistes.
La première entrée met l’accent sur le rôle des États et leur action diplomatique.
L’établissement de la Société des Nations en 1920, puis de l’Organisation des
Nations Unies, vise à substituer l’arbitrage à la guerre. L’échec de la SDN ne doit
pas conduire à sous-estimer l’espoir suscité dans les années 1920 par « l’esprit de
Genève ». Tirant les leçons de cette première expérience, l’ONU se dote d’une
charte (San Francisco, 26 juin 1945) et de moyens qui vont lui permettre, à défaut
d’empêcher les guerres, d’en prévenir certaines, d’en limiter d’autres en menant
des opérations de maintien de la paix, surtout après la fin de la guerre froide.
Pacifisme et pacifistes
Une troisième entrée déplace l’approche du côté du rôle des sociétés et des
opinions publiques. Il s’agit de montrer l’évolution du pacifisme et des formes
d’engagement pacifistes entre 1914 et 1946. L’aspiration à la paix est dominante
en Europe après la Première Guerre mondiale. Elle n’implique pas pour autant
que les populations soient acquises au pacifisme en tant qu’action militante
contre la guerre. Le pacifisme prend lui-même des formes différentes selon les
motivations et les objectifs poursuivis. Les mouvements les plus importants se
réclament d’un pacifisme chrétien, humaniste et socialiste. Ils conduisent certains
lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale,
ainsi que les nouvelles solutions envisagées
durant le conflit lui-même.
– Comment les pacifismes s’expriment-ils
des années 1920 aux lendemains de la
Seconde Guerre mondiale ?
Cette problématique fait appel à des
connaissances factuelles : l’échec des
pacifistes avec la Grande Guerre, les
manifestations du pacifisme parfois poussé à
l’extrême dans l’entre-deux-guerres
(l’appellation est significative !) et l’échec –
une fois de plus – du pacifisme dans la
Seconde Guerre mondiale. La problématique
ne repose pas que sur la principale
mémorisation des événements et débouche
sur une réflexion quant à la nature du
pacifisme et ses différentes approches. Elle
permet de contextualiser une notion qui est
très complexe.
– Quels objectifs et quelles voies différentes
les pacifistes proposent-ils pour défendre la
paix ?
La seconde problématique, sans être
évidemment décontextualisée, amène
cependant vers une réflexion plus
approfondie sur les diverses expressions du
pacifisme. Que recouvre ce mot ? Pourquoi
n’y a-t-il pas une définition et une
manifestation uniques ?
Au cours du XIXe siècle et pendant les
premières années du XXe siècle, les idées de
paix, mais aussi paradoxalement les
nationalismes, prennent de l’ampleur. Le
pacifisme est pourtant présent dans la vie de
chaque État comme sur le plan international.
Ainsi, le premier prix Nobel de la paix est-il
attribué en 1901 au fondateur de la CroixRouge, le Suisse Henri Dunant (1828-1910).
Des conférences internationales (La Haye,
1887 et 1907), montrent les efforts pour créer
une communauté internationale.
Mais les pacifistes sont issus de milieux très
divers : intellectuels, diplomates, hommes
politiques, militants syndicalistes,
féministes… Les mouvements pacifistes
concilient difficilement patriotisme et
pacifisme. Les socialistes ne parviennent pas
à se mettre d’accord sur les moyens
d’empêcher la guerre. En 1914, l’assassinat
du leader socialiste pacifiste français Jean
Jaurès, puis l’entrée en guerre, mettent en
évidence l’impuissance du mouvement
pacifiste. Pourtant celui-ci relève la tête,
pendant le conflit lui-même. Ainsi, dans ses
« quatorze points » de janvier 1918, le
président des États-Unis Woodrow Wilson
énonce-t-il des propositions pour la paix
future, reposant sur une diplomatie lisible,
des accords commerciaux équilibrés et une
réduction raisonnée des armements.
Les traumatismes laissés par la Première
Guerre mondiale, le « plus jamais ça » des
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au refus absolu de toute guerre (objection de conscience, antimilitarisme) ;
d’autres dénoncent la guerre comme recours irrationnel et inhumain sans exclure
qu’elle soit parfois nécessaire ou inévitable. Après l’hécatombe de la Deuxième
Guerre mondiale, un consensus s’établit pour penser que la paix est irréalisable
sans la volonté des peuples de vivre ensemble. Il débouche sur la construction
européenne et la définition de principes et de valeurs partagés universellement
(Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948).
En 1914 se manifeste un pacifisme ouvrier et international qui se poursuit
pendant la Première Guerre mondiale et s’exprime surtout à partir de 1917 dans
le contexte des révolutions en Russie et de la lassitude des combats. Son symbole
reste Jean Jaurès : ces pacifistes sont très souvent des socialistes ou des
syndicalistes révolutionnaires qui prônent l’internationalisme. Leur message – de
même que celui du pape Benoît XV en 1917 – rencontre un faible écho auprès de
populations engagées dans l’effort de guerre. Pourtant après 1918, le pacifisme
devient très populaire en Europe, où l’idée de la « guerre à la guerre » est
défendue par les anciens combattants. Les pacifistes veulent inscrire la paix dans
le droit en s’appuyant sur les règles et les principes énoncés par Wilson en 1917
qui ont conduit à la création de la Société des Nations. L’idée d’une sécurité
collective qui laisse espérer une paix librement consentie entre anciens
belligérants se développe, grâce aux efforts conjoints de l’Allemand Gustav
Stresemann et du Français Aristide Briand. Les deux hommes soutiennent devant
la SDN un projet d’États-Unis d’Europe (5 et 9 septembre 1929), un
mémorandum sur l’union fédérale européenne étant même élaboré en 1930.
L’union économique et le rapprochement des peuples y sont envisagés comme
indispensables au maintien de la paix en Europe. L’analyse de quelques passages
de ce texte peut être l’occasion de présenter les prémices de l’idée européenne.
Les modes de diffusion de l’idée de paix sont aussi pédagogiques et culturels :
commémorations, monuments aux morts, oeuvres d’art, dans les pays vainqueurs
et dans les pays vaincus ; le message pacifiste y est explicite ou implicite (il y a
par exemple très peu de monuments aux morts ouvertement pacifistes en France).
Le pacifisme est le fait d’acteurs multiples : États, gouvernements, associations,
individus.
Il est confronté, dans les années 1930, à la montée des tensions internationales
(Espagne, Allemagne). Ce contexte divise les pacifistes entre ceux qui veulent
éviter la guerre à tout prix (Munichois) et ceux qui s’engagent contre les régimes
totalitaires. La Seconde Guerre mondiale s’accompagne d’un ralliement quasi
général à la guerre. Menée contre les régimes totalitaires, elle est juste pour les
citoyens des démocraties. Assumée comme une croisade pour la liberté et
l’indépendance nationale, elle est résistance. Les pacifistes sont alors parfois ceux
qui s’engagent dans la collaboration (France, Belgique).
La sortie de guerre engendre une nouvelle vision du pacifisme, complexe elle
aussi : incitation des peuples à vivre ensemble par le partage de valeurs et
d’intérêts communs (comme dans le cadre de la construction européenne),
ambivalence de l’arme nucléaire à la fois dissuasive et destructrice, etc.
L’analyse d’extraits du corpus de textes accompagnant la naissance de l’ONU
permet aux élèves d’en comprendre les objectifs (paix, mais aussi développement
économique, affirmation des principes démocratiques, libre détermination des
peuples). »
LE POIDS DU SOUVENIR, par Annette Becker
La mémoire des conflits naît dès le début des hostilités, se développe dans les
drames vécus et se prolonge après les guerres dans le présent de ceux qui se
remémorent.
Sigmund Freud a évoqué dès 1915, dans Considérations actuelles sur la guerre et
sur la mort, la conséquence à la fois première et ultime du conflit : la mort. Les
hommes d’avant 1914 avaient voulu l’oublier, « l’éliminer de la vie ». La guerre
la ramenait à l’échelle industrielle et c’était insupportable. D’où la sagesse de
Freud qui proposait de réincorporer la mort à la vie : « Supporter la vie reste bien
le premier devoir de tous les vivants. [...] Rappelons-nous le vieil adage : Si vis
pacem, para bellum. Si tu veux maintenir la paix, arme-toi pour la guerre. Il serait
d’actualité de le modifier : Si vis vitam, para mortem. Si tu veux supporter la vie,
organise-toi pour la mort. »
Diversité des victimes
Personne, en 1914, n’est prêt pour l’hécatombe. Or, en 1918, on compte près de
anciens combattants, entraînent la recherche
de la paix par tous les moyens. C’est, par
exemple, la paix réglementée par le droit : le
pacte de la Société des Nations (SDN), en
1919, interdit la guerre d’agression mais non
la guerre elle-même. En revanche, en 1929,
le pacte Briand-Kellogg propose aux États de
renoncer à la guerre. Ce peut aussi être la
recherche de la paix par le désarmement.
L’historien Antoine Prost (Les Anciens
combattants 1914-1940, collection Archives,
Gallimard, Julliard, 1977) montre qu’est vive
chez les anciens combattants l’aspiration à
vivre en paix et qu’ils expriment leur haine
de la guerre. Il évoque le « pacifisme
combattant » contre le patriotisme «
cocardier », mais un pacifisme qui
s’accompagne aussi d’antiparlementarisme.
Selon Prost, cette attitude des anciens
combattants français est un obstacle au
fascisme car il organise les classes moyennes
dans la légalité républicaine. Les
mouvements pacifistes s’expriment par voie
d’affiches, par des manifestations, par les
leçons des instituteurs… Les associations
d’anciens combattants entretiennent la haine
de la guerre dans des défilés spectaculaires.
Les mouvements populaires se mobilisent
pour la paix. Mais les conditions posées par
le traité de Versailles ont exacerbé les
nationalismes en Allemagne et en Italie. En
1938 à Munich, la crainte d’une nouvelle
guerre conduit les démocraties britannique et
française à céder à Hitler. L’absence de
coordination internationale, les enjeux
économiques, politiques et territoriaux
mènent une fois de plus à la guerre. Munich
n’était qu’une illusion.
Au lendemain du conflit, en 1945, les
vainqueurs relancent la paix par le droit. En
1945, ils créent l’ONU (Organisation des
Nations Unies), destinée à garantir la paix et
la sécurité ainsi qu’à réguler la sécurité
internationale.
– Pacifisme motivé par le sentiment de
solidarité entre les classes ouvrières des
différents pays, dans le cas de la gauche
internationaliste, par l’idéal chrétien ou
humaniste. Il s’exprime à la fois par des
prises de position individuelles et par des
initiatives collectives : manifestations, tracts,
pétitions et, après la Première Guerre
mondiale, associations d’anciens
combattants, monuments aux morts, oeuvres
d’art.
– Dans l’entre-deux-guerres, le mouvement
pacifiste, principalement porté par les
anciens combattants, se développe et se
structure dans toute l’Europe. La SDN et le
rapprochement franco-allemand permettent
de faire émerger l’espoir d’une paix durable.
Face au bellicisme de l’Italie et de
l’Allemagne, une majorité des européens
demeure favorable à la paix. Les dirigeants
6
dix millions de morts, et l’on peut prolonger les intuitions de Freud : « Si tu veux
la vie, commémore les morts. » En 1945, le nombre des morts est bien plus
extraordinaire, au moins cinquante millions, et, surtout, ce sont des morts
différents. Dans le premier conflit mondial, on ne comptabilise pratiquement que
des morts militaires, des hommes qui ont porté un uniforme, même si des civils
ont également disparu pendant la guerre, victimes d’atrocités, (1,2 million
d’Arméniens de l’Empire ottoman). La Seconde Guerre mondiale a inversé les
cruelles statistiques : plus de civils que de combattants sont morts, sous les
bombardements, de faim et surtout d’extermination, au point que, en 1943-1944,
le juriste Raphaël Lemkin a inventé le concept de génocide pour nommer
l’innommable, l’extermination des Juifs d’Europe. Adapté de manière
rétrospective, à partir des années 1980, au massacre des Arméniens, le mot
génocide est devenu, d’une certaine façon, un lieu de la mémoire terrible du XXe
siècle, symbole des hypermnésies et des amnésies qui se sont succédé, parfois
pour le même phénomène. Il est difficile aujourd’hui, quand on connaît
l’importance de la mémoire du génocide des Juifs dans le monde contemporain,
de rappeler que, dans les années 1950 et 1960, les victimes directes et les
descendants de ceux qui avaient vécu l’extermination ont largement gardé le
silence, en dehors d’une vaine tentative de témoignage en 1945-1947. Les
difficultés que Primo Levi a rencontrées pour publier Si c’est un homme à son
retour du camp d’Auschwitz sont symptomatiques de ce processus. Seuls
quelques exemplaires en italien ont alors été diffusés. En revanche, depuis la fin
des années 1980, le livre traduit dans des dizaines de langues a été lu par des
millions de lecteurs.
La mémoire de la Grande Guerre ne s’est pas arrêtée en 1939, à la déclaration de
la guerre suivante, mais au contraire s’est poursuivie dans et par-delà le second
conflit mondial. Celle de la Seconde Guerre, de même, se nourrit de son avant,
les années 1914-1939, de son vécu de 1939-1945 et des guerres de décolonisation
qui lui ont succédé. D’où des ensembles de souvenirs et de mémoires compliqués
dans le temps et l’espace. D’où, également, de nombreuses interrogations. Qui se
souvient ? Où se souvient-on ? De quoi se souvient-on ? Peut-on se souvenir de
ce qu’on n’a pas connu, de ce qu’on ne connaît pas ? Quel est le poids du
souvenir sur les individus, sur les groupes auxquels ils appartiennent ? Quel allerretour se fait entre les mémoires officielles, célébrées par les États, et les
mémoires plus diverses des groupes ? Quels choix de mémoire sont effectués,
consciemment ou inconsciemment ? Le trauma dû à la perte et aux divers chocs
reçus est parfois revécu par certains individus sous forme de cauchemars ou de
troubles graves de la vie toujours recommencés ; chez d’autres, l’amnésie
l’emporte. On éprouve alors des difficultés immenses à se rappeler ce que
justement on ne veut pas oublier. Les historiens de la mémoire sont également
amenés à prendre en compte les progrès de la connaissance du cerveau par les
neurobiologistes.
La Première Guerre mondiale, laboratoire ou matrice du siècle
Dans ce domaine comme dans bien d’autres, cette guerre permet de répondre à
une partie des interrogations sur le souvenir. Les représentations de la mort entre
1914 et les années 1920, les pratiques funéraires, l’accompagnement de la mort,
le travail de deuil s’inscrivent au cœur d’une réflexion sur le legs tragique de la
guerre aux sociétés belligérantes. Dès 1915, on votait en France une loi instituant
la notion de « mort pour la France », qui stipulait : « Il semble juste que l’état
civil enregistre à l’honneur du nom de celui qui a donné sa vie pour le Pays un
titre clair et impérissable à la gratitude et au respect de tous les Français ». Dans
la guerre juste par excellence, la guerre du droit et de la civilisation, la loi fonde
la mémoire juste, celle du « droit au souvenir », selon Serge Barcellini. Si les
morts au combat sont désormais identifiables, que dire de ceux qui les pleurent ou
de ceux qui sont morts de faim, de chagrin, des suites de l’invasion ou de
l’occupation de leur région, de façon moins héroïque mais non moins tragique ?
En 1918, Marcel Proust se rappelait les cathédrales de la Picardie visitées avant
guerre : « Je pleure et j’admire plus les soldats que les églises qui ne furent que la
fixation d’un geste héroïque, aujourd’hui à chaque instant recommencé. » Il n’est
pas étonnant que Proust ait si bien exprimé ce qui était le lot de l’immense
majorité des habitants de la France et, au-delà, de l’Europe et du reste du monde.
Après la guerre, on pourrait reconstruire les cathédrales ; mais des morts, que
resterait-il sinon cette injonction duelle infiniment rappelée : ne pas oublier, ne
jamais plus permettre une telle catastrophe ?
Freud décrit bien le « total effondrement quand la mort a frappé un de nos
britannique et français doivent prendre en
compte le poids du pacifisme au sein de leur
opinion publique, dans un contexte de reprise
des tensions internationales.
– En 1914, le pacifisme est balayé par le
réflexe patriotique qui rassemble les
populations derrière des gouvernements
d’Union sacrée, comme en France. Pendant
le conflit, le désir de paix ressurgit au fur et à
mesure que la guerre s’éternise. Mais c’est
après la guerre que le pacifisme,
profondément ancré au sein des populations
européennes, aboutit à des réalisations
concrètes en faveur de la paix et du
désarmement. L’importance de ce courant ne
parvient cependant pas à empêcher la montée
des totalitarismes et le déclenchement d’un
second conflit mondial.
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proches, parent ou époux, frère ou sœur […]. Nous enterrons avec lui nos espoirs,
nos exigences, nos jouissances, nous ne nous laissons pas consoler, et nous nous
refusons à remplacer celui que nous avons perdu. » En 1918, cette notation
concerne l’essentiel des survivants du conflit, anciens du front comme hommes,
femmes et enfants de l’arrière. Les œuvres de Marcel Proust, de Sigmund Freud
et du sociologue Maurice Halbwachs, ces maîtres du deuil, du travail de deuil et
du travail de la mémoire, paraissent de bons guides dans les méandres des essais
de transfiguration privés et publics de la mort de masse. Parce qu’ils ont été écrits
pendant la guerre ou dans les années qui la suivent et la prolongent, ces textes
offrent un cadre intellectuel contemporain à la réflexion. Halbwachs s’interroge
sur les conditions sociales qui permettent de produire des souvenirs. Pour lui,
toute mémoire individuelle cristallise dans un cadre social, et les événements
publics laissent une très grande empreinte sur leurs contemporains, en particulier
ceux qui sont jeunes, en train de forger leur identité d’adultes. On comprend tout
de suite quelles implications tirer et pour les anciens combattants,
majoritairement jeunes en 1918, et pour leurs enfants, nés pendant et surtout juste
après la guerre et élevés dans son souvenir héroïque et/ou tragique. Halbwachs
insiste sur le fait que les mémoires sont individuelles et privées et qu’à la fois, on
peut, contrairement aux rêves, les partager et les définir collectivement. Mais il
sait aussi que la mémoire des individus conserve des traces uniques qui, selon les
cas, se mêlent à des souvenirs communs et collectifs. À moins qu’ils y résistent.
Car travail de deuil et travail de mémoire doivent, pour être bien compris, être
insérés en ces deux niveaux explicatifs et ne jamais être disjoints d’une réflexion
sur leurs pendants inverses : oubli, refoulement. La mémoire et l’oubli sont donc
des choix subtils et complexes, qu’ils soient individuels ou collectifs ; chacun
s’articule dans une continuité du passé ainsi que dans une sélection de ce dernier,
leur interaction construisant une nouvelle continuité. C’est dans ces tensions
multiples qu’ont été vécues les années 1920 et 1930. Car, devant la catastrophe
qu’a été la Première Guerre mondiale, comment continuer à croire, à être, sinon
dans le souvenir de ceux qui ont payé de leur vie ce qu’ils croyaient – pour
l’immense majorité d’entre eux – être le juste combat ?
L’espace et le temps scandent la remémoration
C’est juste après la guerre que se met en place l’essentiel des formes de
commémoration, depuis les monuments aux morts jusqu’aux cérémonies diverses
du souvenir, soit sur les anciens champs de bataille, soit dans les nations et
régions d’origine des combattants. Beaucoup d’entre eux (Britanniques, et plus
encore peuples des Dominions, troupes coloniales, Américains, mais aussi
Allemands) se sont battus et sont morts loin de leur sol. Vainqueurs et vaincus
partagent ainsi une même dualité : les lieux de mémoire sont à la fois érigés sur le
lieu des combats et de la mort, et aussi sur leur territoire, ce lieu d’appartenance
collective et individuelle, nationale et locale, publique et privée, laïque et
religieuse. Des portions du sol français, belge, turc, serbe, etc., ayant avalé les
combattants de toutes origines, sont « nationalisées », désormais réservées à la
remémoration. À l’inverse, ce culte a fait pénétrer la Grande Guerre sur des
territoires épargnés, comme ceux de l’Australie, du Canada, des Antilles ou des
États-Unis. Ainsi, par les commémorations, le front a été transporté à l’arrière.
La chronologie, quant à elle, nous interroge : comment est-on passé du
consentement à la guerre au consentement à la mémoire ? En effet, le temps des
commémorations est précisément celui pendant lequel, le conflit terminé, le
consensus, qui s’était effrité depuis 1916 et surtout 1917 puis reformé dans la
remobilisation de 1918, se brise définitivement. On en vient à réexprimer l’union
sacrée dans la mémoire au moment précis où l’on commence à prendre la mesure
du tragique bilan humain. Le temps du souvenir montre une grande tension entre
l’identité à la guerre et l’identité dans le deuil. Pendant la guerre, des cercles de
souffrances entouraient les individus, les familles, les groupes divers. Désormais,
ce sont des cercles de deuil et de commémoration, ensembles de souffrances
d’après guerre, qui vont elles aussi des individus aux États. Les pratiques de
mémoire locales sont un élément fondamental, souvent fondateur, de la chaîne
qui relie capitales et provinces, champs de bataille et arrières. Ils représentent la
mort et le deuil fichés dans tous les espaces, publics et privés, des anciens
belligérants.
Pour la génération perdue, les différentes collectivités, locales, régionales,
nationales, ont créé un ensemble parfaitement tragique : unité de temps, le 11
novembre ; unité de lieu, le monument aux morts ; unité d’action, la cérémonie
commémorative. À la onzième heure du onzième jour du onzième mois de la
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cinquième année de guerre, les armes se sont tues, laissant le champ aux larmes.
Selon les pays, ce 11 novembre devint ou non jour férié (en 1922 en France) ;
parfois d’autres dates commémoratives furent choisies, non sans polémiques.
Partout, le 11 novembre devint cependant jour de recueillement. Les deux
minutes de silence absolu où tout se fige dans le Royaume-Uni, depuis les
chaînes des entreprises jusqu’aux autobus dans les rues, en sont l’expression la
plus spectaculaire. Dans la plupart des pays se manifeste alors probablement
l’une des rares expressions abouties de « religion civile ». Comme pendant la
guerre elle-même, on doit faire la distinction entre le religieux et le sacré. C’est
ce que disent les vers de Victor Hugo (composés après la révolution de 1830) si
souvent gravés sur les monuments français : « Ceux qui pieusement sont morts
pour la patrie/Ont droit qu’à leur tombeau la foule vienne et prie. »
Banalisation de la guerre ?
Les cimetières militaires, comme les monuments aux morts, les cartes postales,
les jouets, les objets les plus triviaux ou le cinéma, sont aussi au cœur de la
banalisation de la mémoire de la mort de masse et participent de la déréalisation
du drame de la guerre, en disant d’abord la glorification du combat de l’homme
viril qui fait le sacrifice christique de sa personne pour la vie et la résurrection de
sa patrie. Toutes ces représentations aseptisent la mort insupportable, la
banalisent : les héros deviennent parfois au moins autant objets de commerce que
de pèlerinage.
Les conditions du combat, en multipliant les soldats inconnus, avaient imposé de
transformer les lieux d’affrontement en cimetières à la dimension du conflit. Dans
les ossuaires, on regroupa les corps non identifiables (voir p. 14 -17). Les
cimetières militaires et les ossuaires, devenus lieux de pèlerinage, sont un des
lieux de fixation intense de la mémoire de la Grande Guerre, qui se prolonge
jusqu’à aujourd’hui. Pensons aux polémiques qui ont entouré le projet de création
d’un troisième aéroport en Picardie : les cimetières sont vus comme un
patrimoine des régions qui les abritent, gardiennes de la mémoire du conflit après
en avoir été les champs de bataille.
Ce qui reste en 1919 des unions sacrées, c’est cet immense souffle de ferveur né
en 1914, vécu dans l’intensité et le désarroi mêlés à travers les années de guerre,
et que les commémorations nationales réactivent partout dans le respect du
sacrifice et, souvent, dans le sentiment de l’horreur de son inutilité. Au-delà des
cérémonies et des défilés militaires, les différents soldats inconnus inhumés chez
tous les anciens belligérants ont cristallisé les valeurs de sacrifice et de malheur
liées à la guerre. Et, par un retournement qui a probablement séduit les
détracteurs des commémorations officielles, les tombes sont devenues aussi de
hauts lieux de l’expression du pacifisme.
Démobilisations culturelles
Si les commémorations donnèrent une place gigantesque aux combattants, pour
lesquels on peut même parler d’hypermnésie, en revanche d’autres catégories
touchées autrement par la guerre furent exclues de sa mémoire, ou au moins
marginalisées. La mémoire, centrée sur une expérience exclusive – celle des
combattants des tranchées – tendait à rejeter dans l’oubli les douleurs
exceptionnelles et minoritaires, qu’elles fussent de sexe (les femmes), d’âge (les
personnes âgées et les enfants), de statut (les prisonniers) ou bien encore
géographiques (les occupés).
Ainsi les civils occupés des territoires du nord et de l’est de la France et, à plus
forte raison, les déportés civils et les prisonniers de guerre furent-ils oubliés.
Souvent ils le désirèrent eux-mêmes, par culpabilité : parce que, pendant le
conflit, ils s’étaient trouvés placés en quelque sorte en dehors du territoire
national, géographiquement et symboliquement. Car comment commémorer des
victimes qui ne sont pas des héros ? Peut-on parler de « l’incommémorable » qui
s’appelle la faim, le froid, le travail forcé, le viol, les otages, les réquisitions ?
Alors on s’est surtout ingénié à maquiller la mémoire pour rendre supportables
les différences d’avec le reste du pays. En Alsace, les soldats sur les monuments
sont souvent représentés nus : comment reconnaître un Allemand d’un Français,
sans l’uniforme ? Ainsi, la Pietà de Strasbourg tient les corps de ses deux fils sans
vie sur ses genoux ; l’inscription « À nos morts » omet la formule « pour la patrie
». De quelle patrie s’agirait-il, en effet, après plus de quarante ans d’une
occupation qui s’était peu à peu muée en accommodement plus tacite que forcé
pour la majorité des Alsaciens-Mosellans ?
Les mémoires du conflit sont ainsi symptomatiques de la démobilisation
culturelle et de son impossibilité ; elles présentent des différences et des
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ressemblances entre les vainqueurs et les vaincus. Dans le cas allemand,
l’extériorité de la défaite – la population allemande n’a pas senti physiquement la
présence ennemie sur son sol avant l’arrêt des combats – constitue le socle du
refus de toute intériorisation de la catastrophe militaire. Aussi les soldats sont-ils
accueillis en vainqueurs par la population civile comme par les autorités (par
Ebert à Berlin). Au passage des régiments, c’est la fête et non l’abattement qui
l’emporte. Dès lors, la défaite est non seulement incompréhensible, non
seulement refusée, non seulement attribuée à la trahison (le mythe du « coup de
poignard dans le dos ») mais parfois, tout simplement, occultée. Ainsi, dans
certains manuels scolaires de la république de Weimar, les chapitres sur la
Grande Guerre s’arrêtent sur le succès des ultimes offensives allemandes du
printemps 1918. Ce déni de la défaite s’est traduit aussi par le sentiment que la
guerre n’avait pas cessé avec l’armistice : « La guerre contre le peuple allemand
continue. La Première Guerre mondiale ne fut que son sanglant début », déclare
un officier en 1918. Cette guerre continuée explique la cruauté des corps francs
dans la répression du spartakisme, en 1919, et aussi le terrorisme d’extrême droite
sous la république de Weimar. De nombreux vétérans non seulement continuent
la guerre, mais transfèrent sur le front intérieur la brutalité spécifique des
pratiques du front. C’est ce que George Mosse appelle la « brutalisation », cette
réfraction de la violence de la guerre dans l’espace du politique de l’après-guerre
: une mémoire des temps extraordinaires de dureté et de souffrance qui se
prolonge longuement.
Un refus postérieur
Pour les pacifistes, la radicalisation est inverse. Entre 1925 et 1930, alors que la
couverture monumentale est déjà presque achevée, on prend conscience que la
parenthèse de la Grande Guerre ne sera jamais refermée. Un certain nombre
d’écrivains, de témoins, d’analystes, d’artistes (George Grosz, Otto Dix, Georges
Rouault) se livrent alors à un retour sur la guerre. Ces productions artistiques et
littéraires sont si riches, elles ont tellement marqué les contemporains d’alors et
jusqu’à aujourd’hui qu’on les prend quelquefois pour des témoignages du temps
de la guerre alors qu’elles furent rédigées et/ou dessinées bien après. Elles
marquent un tournant dans la mémoire du conflit : on peut désormais montrer la
peur (E. M. Remarque, G. Chevallier), la lâcheté (Céline), l’inutilité de la guerre,
la mutilation volontaire, le suicide (Giono, Dix). De même les anciens
combattants français ou anglais radicalisent bien souvent leur pacifisme de type
politique au cours des années 1930.
C’est un des grands paradoxes de la Grande Guerre : acceptée pendant les années
1914-1918, elle fut refusée après, dans la mémoire. L’agressivité à l’égard de la
guerre est venue prendre exactement la place du consentement au conflit dans une
impression de gâchis intense qui désormais domine la mémoire. Maurice
Genevoix, officier exemplaire pendant le conflit, l’écrit dès 1923 : « On vous a
tous tués, et c’est le plus grand des crimes. Vous avez donné votre vie, et vous
êtes les plus malheureux. Je ne sais que cela, les gestes que nous avons faits,
notre souffrance et notre gaieté, les mots que nous disions, les visages que nous
avions parmi les autres visages, et votre mort. […] Il ne me reste plus que moi, et
l’image de vous que vous m’avez donnée. Presque rien : trois sourires sur une
toute petite photo, un vivant entre deux morts, la main posée sur leur épaule. Ils
clignent des yeux, tous les trois à cause du soleil printanier. Mais, au soleil, sur la
petite photo grise, que reste-t-il ? » (Ceux de Verdun, 1923).
La sacralisation très forte des cérémonies commémoratives locales, autour des
monuments aux morts, ou nationales, autour des soldats inconnus, ont eu partout
un indéniable contenu spirituel. Chacun a pu trouver dans les différents éléments
de la commémoration de quoi nourrir son travail de deuil personnel, à l’Arc de
triomphe ou devant la tombe du cimetière militaire ou paroissial, en y empruntant
une forme de sacré pour trouver la force de continuer après l’épreuve. Le rappel
de la mort prend si bien le pas sur la commémoration de la victoire que des
psychiatres parleraient peut-être d’une « monstration » du deuil au cours de ces
années d’après-guerre. On peut cependant se demander si cela n’a pas eu pour
fonction de cacher la douleur intime. Les commémorations infinies seraient-elles
une façon d’éviter, de refouler dans l’inconscient le drame de la souffrance de la
perte ? Tout simplement pour continuer à vivre ?
De même, mouvements de combattants et de vétérans, pacifismes, pèlerinages
vers les tombes ou tourisme de champ de bataille constituent autant d’aspects
étroitement liés à la prégnance de la mort de masse. Il faut peser toute la
souffrance du deuil pour arriver à comprendre, comme le fait Paul Ricœur
10
s’appuyant sur Halbwachs, « ce phénomène de la mémoire transgénérationnelle
[…]. C’est lui qui assure la transition entre l’histoire apprise et la mémoire
vivante ». Tout en n’oubliant ni la concurrence des mémoires ni celle de l’oubli.
La « mémoire vive » de la Seconde Guerre mondiale
En 1945, amnésies et déformations de mémoire se sont très fortement emparées
du champ des souvenirs, et cela chez tous les anciens belligérants. Par culpabilité
: les Allemands de l’Ouest comprenant plus ou moins lentement leur passé de «
bourreaux » nazis avant de se retrouver réunifiés à ceux de l’Est et de se
redécouvrir aussi victimes des bombardements alliés. Par arrogance nationale :
les Japonais se représentant uniquement en victimes des bombes atomiques et
refoulant totalement leur guerre brutale et cruelle. Tous les cas de figures sont
possibles. La France cumule un passé difficile, celui de la « guerre civile » entre
collaborateurs et résistants, et une tradition républicaine où sont refusés les
drames communautaristes : que faire de la spécificité de la déportation des Juifs
vivant sur le territoire français ? Ce « passé qui ne passe pas » est devenu un
topos de la réflexion sur la mémoire.
La mémoire de la Seconde Guerre mondiale reste d’autant plus vive, au moins
jusque dans les années 1990, que les acteurs sont toujours vivants, voire
décideurs politiques de premier plan, du général de Gaulle à François Mitterrand.
Si toute mort à la guerre, malgré ou à cause de ses aspects d’héroïsme, est
génératrice d’un deuil interminable, comme on l’a vu pour la Grande Guerre, que
dire alors de la guerre totale de 1939-1945, des bombardements qui touchent tous
les civils indistinctement et de la guerre d’extermination contre les Juifs décidée
et mise en œuvre par les nazis qui se sont assurés, en France, de la collaboration
zélée de Vichy ? La France avait subi une défaite accablante en 1940, suivie de
quatre ans d’occupation, avec toutes formes de collaborations et de résistances,
de compromissions et d’accommodements. Des temps de mémoire, depuis 1945,
ont scandé les souvenirs, les oublis. Henry Rousso a appelé justement « le
syndrome de Vichy » ce que le régime de l’État français a laissé comme séquelles
dans les mémoires. Dans les années 1945-1947, le deuil et l’unanimité nationale
se font autour de l’héroïsme des résistants, pendant que disparaissent dans l’oubli,
d’une part, les spécificités de la collaboration et, d’autre part, celles de la
déportation.
Des mémoires multiples
Alors que les combattants du premier conflit mondial représentaient une
unanimité nationale, en 1939-1945 différents groupes d’acteurs se font en
quelque sorte concurrence. Même si les résistants, par leur héroïsme et leur
patriotisme, peuvent jouer un rôle moral considérable, les divisions entre
gaullistes et communistes compliquent les remémorations. Le discours d’André
Malraux le 19 décembre 1964 lors du transfert des cendres de Jean Moulin au
Panthéon montre cependant le niveau d’émotion généré par la geste résistante,
malgré le cadre particulièrement officiel : « Puissent les commémorations des
deux guerres s’achever par la résurrection du peuple d’ombres que cet homme
anima, qu’il symbolise, et qu’il fait entrer ici comme une humble garde solennelle
autour de son corps de mort. […] Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet
homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier
jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la
France. »
Depuis la fin des années 1960, ce qui avait été enfoui, l’autre visage de la France
en guerre, celle des compromissions et des complicités dans les crimes, revient à
la conscience par le croisement de deux mémoires éveillées, réveillées. La
génération de 1968, sensibilisée aux questions d’éthique et des droits de
l’homme, va se poser des questions sur le crime contre l’humanité au moment où
commence à s’effriter la mémoire unanimiste mise en place autour du général de
Gaulle. Le film Le Chagrin et la Pitié (Marcel Ophuls) sort en 1971. Par ailleurs,
après le procès Eichmann, qui a lieu en 1961 en Israël, puis la guerre des Six
Jours, les Juifs du monde entier et ceux de France en particulier commencent à
retrouver une conscience communautaire de la catastrophe spécifique qui les a
frappés et qu’on appellera d’ailleurs, après la sortie du film de Claude Lanzman «
Shoah », ou « catastrophe » en hébreu (voir Focus). Désormais le souvenir
obsédant est celui de la recherche des responsables et des traces : camps
d’internement en France, camps d’extermination en Pologne. Les procès des
responsables deviennent des lieux d’expression de la parole des témoins et se
resserrent de plus en plus autour de la France de Vichy : Klaus Barbie est un
Allemand nazi, Paul Touvier un collaborateur direct de l’occupant, Maurice
11
Papon un haut fonctionnaire.
Si certains peuvent s’inquiéter de la confusion des rôles entre les magistrats et les
historiens, il est sûr que les procès des années 1980 et 1990 ont été un vecteur
essentiel de retour sur la période de la guerre. Le 16 juillet 1995, en présidant la
cérémonie commémorative du cinquante-troisième anniversaire de la rafle du
Vél’d’hiv’, Jacques Chirac a prononcé un discours, reconnaissant que « la France,
ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Et il ajoutait : « Ces valeurs, celles qui
fondent nos démocraties, sont, ne l’oublions pas non plus, aujourd’hui bafouées
en Europe même, en Bosnie notamment, sous nos yeux, par les adeptes de la
“purification ethnique”. Sachons tirer les leçons de l’Histoire ! N’acceptons pas
d’être les témoins passifs, ou les complices, de l’inacceptable ! »
Ainsi le président de la République disait que le travail d’histoire était nécessaire
pour répondre aux besoins de mémoire et de réparation. Un défi qui demeure
encore bien difficile pour les sociétés contemporaines.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
12
HC – Pétain
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Guy Pedroncini, Pétain, 1856-1918 : le soldat et la gloire, Perrin, 1989
Guy Pedroncini, Pétain, novembre 1918-juin 1940 : la victoire perdue, Perrin, 1995
Marc Ferro, Pétain, Hachette Littérature, Poche, (1987) 1993 (sur Pétain à Vichy)
Henri Amouroux, Pétain avant Vichy, éd. Fayard, 1967
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
PEDRONCINI (Guy) — Pétain. Le soldat et la gloire. 1856-1918. Paris, Perrin,
1989.
Sans l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, le 28 juin 1914, Philippe
Pétain, fils de cultivateur du Pas-de-Calais, aurait pris sa retraite en 1914, à
cinquante-huit ans, comme colonel commandant un régiment d'Arras, et sa
notoriété n'aurait pas franchi le cercle des brevetés de l'École de guerre, où l'on
avait tout de même noté l'originalité novatrice de ses vues.
La Grande Guerre révèle et impose, de Charleroi à Verdun, ce colonel qui a mis
trente-quatre ans pour atteindre son grade et qui, en trente-quatre mois de
combats, devient, en mai 1917, commandant en chef. Après le miracle de Joffre à
la Marne, il y a le miracle de Pétain en 1917. Il trouve une armée épuisée,
révoltée, menacée de surcroît par le retour des divisions allemandes du front
oriental. Par une stratégie originale et globale, il surmonte la triple crise morale,
tactique et stratégique et permet à l'armée française de tenir et de vaincre. 19401944 a conduit des auteurs à minimiser rétroactivement le rôle de Pétain en 19141918, à chercher dans les témoignages de ses pairs ou de ses supérieurs les traces
du pessimisme et du défaitisme qu'on lui reprochera plus tard. Guy Pedroncini,
grand historien des conflits contemporains, s'est attaché, comme nul ne l'avait
fait, à étudier et à dépeindre minutieusement et sans à-priori le comportement, les
idées et les décisions du général Pétain. Il montre par les archives que son rôle est
tout à fait essentiel, non seulement à Verdun, mais dans la victoire finale. Et
celle-ci aurait été plus décisive si l'offensive qu'il avait conçue et préparée pour
acculer l'armée allemande à un nouveau Sedan avait pu être lancée le 14
novembre 1918. Selon Guy Pedroncini, il aurait mieux valu que les décideurs
suprêmes fussent Poincaré, Pétain ou Joffre plutôt que Clemenceau et Foch, et
l'on peut, après le général de Gaulle, regretter une victoire inachevée. Enfin, dans
la perception de l'utilité des premiers avions et des premiers chars, comme dans
leur emploi, Pétain est un pionnier.
Le 8 décembre 1918, il reçoit le bâton de maréchal de France. Il « n'était pas
moins grand soldat » que Foch, estimera Clemenceau. Certainement l'égal des
plus grands, mais assurément le plus secret et le plus indépendant.
Guy Pedroncini, Pétain, novembre 1918-juin 1940 : la victoire perdue, Perrin,
1995
Le 11 novembre 1918, l'armistice de la victoire est signé en dépit des
protestations du général Pétain, qui voudrait poursuivre l'offensive. Le 25 juin
1940, l'armistice de la défaite est accepté par le Maréchal pour limiter les
conséquences de la débâcle. Pourquoi la victoire de 1918 a-t-elle été perdue en
moins de vingt-deux ans ? Pétain, commandant en chef jusqu'en 1931, inspecteur
de la défense aérienne de 1931 à 1934, ministre de la Guerre en 1934, a-t-il une
responsabilité dans l'affaiblissement de l'armée et dans la désastreuse conduite de
13
la guerre en 1939-1940 ? Non, estime Guy Pedroncini, qui traite ici de la période
la moins étudiée de la vie du Maréchal. Il montre les efforts de Pétain pour
conserver une armée forte après la victoire de 1918. Il cite ses interventions
répétées en faveur des chars et de l'aviation : le Maréchal estimait que le sort de la
prochaine guerre dépendrait de la puissance mécanique (en 1918-1919, il propose
7000 chars en arme autonome, en 1932 une force de frappe aérienne). Il souligne
ses réserves quant à la ligne Maginot. Mais les avertissements du Maréchal à
l'égard de la guerre future, ses diagnostics et ses pronostics se heurtent à des
gouvernements éphémères englués dans les difficultés financières, politiques et
industrielles. En dépit de son prestige, il n'eut pas les moyens d'imposer ses vues.
Il les a exposées dans de nombreux discours, largement cités par Guy Pedroncini,
qui témoignent d'une vision claire du présent et des menaces de l'avenir. Plus
encore, il les a défendues dans le secret des délibérations du Conseil supérieur de
la guerre, puis du Conseil permanent de la défense nationale. Occupant une place
importante dans cet ouvrage, celles-ci pourront apparaître ardues au profane, mais
intéressantes au passionné d'histoire militaire. Elles sont nécessaires pour
connaître à la fois les positions du maréchal Pétain et celles des autres grands
chefs. L'auteur évoque naturellement les succès de la guerre du Rif, que Pétain
avait accepté de conduire en 1925-1926, son action comme ministre de la Guerre,
la réussite de son ambassade en Espagne en 1939-1940 d'où il fut rappelé pour
s'engager dans la gestion d'un désastre sans précédent à un âge - 84 ans - qui ne
favorise pas une adaptation à des circonstances aussi tragiques.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
14
HC – Les grandes phases de la Seconde guerre mondiale
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Bédarida François (dir.), La Politique nazie d’extermination, actes des 11-13 décembre 1987, journées d’études organisées par
l’Institut d’histoire du temps présent, Albin Michel, 1989, 336 p.
Hilberg Raul, La Destruction des Juifs d’Europe (2 tomes), Gallimard, 1992, coll. «Folio Histoire», 1098 p.
Wieviorka Annette, Auschwitz, la mémoire d’un lieu, coll. « Pluriel », Hachette, 2005 (l’historienne retrace une histoire des
camps d’Auschwitz et propose une réflexion sur les enjeux mémoriels et la visite du lieu par des élèves).
Forges Jean François, Éduquer contre Auschwitz, Histoire et mémoire, Pocket, 2003 (l’auteur propose une réflexion sur la
manière d’enseigner Auschwitz).
Ressources
« Auschwitz, le cauchemar sans fin », Dossiers et documents du Monde, n° 342, mai 2005.
Ouverture pour les élèves
Levi Primo, Si c’est un homme, Pocket, 1947 (récit autobiographique de l’expérience concentrationnaire de cet écrivain italien
juif déporté à Auschwitz de février 1944 à janvier 1945).
Wieviorka Annette, Auschwitz raconté à ma fille, Le Seuil, 1999.
Des témoignages en ligne d’anciens déportés ou enfants de déportés sur le site de la chaîne TV5 Monde :
www.tv5.org/TV5Site/auschwitz
Site Web du musée d’Auschwitz-Birkenau (des cartes, des plans, une visite virtuelle du camp…) :
www.auschwitz.org.pl/html/eng/start/index.html
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
« Auschwitz, la solution finale », Les Collections de l’Histoire, n° 3, octobre 1998 (articles sur les « mécanismes de
l’extermination », les « spectateurs » et la « mémoire du génocide », incluant des images, des cartes et des plans).
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 1ere : « La Seconde Guerre mondiale
- Les grandes phases
L’analyse des grandes phases, fondées sur
des cartes, se limite à l’essentiel. Elle met en
évidence l’extension géographique et le
caractère global du conflit. »
BO 3e actuel : « Les phases militaires de la
guerre sont analysées à partir de cartes.
Cartes : L’Europe en 1939. La France en
1940. L’Europe et le monde en 1942.
L’Europe et le monde en 1945. »
BO 3e futur : « LA SECONDE GUERRE
MONDIALE, UNE GUERRE
D’ANEANTISSEMENT (1939-1945)
La guerre est un affrontement aux
dimensions planétaires. L’observation de
cartes permet de montrer l’extension du
conflit et d’établir une brève chronologie
mettant en évidence ses temps forts.
C’est une guerre d’anéantissement aux
enjeux idéologiques et nationaux. L’étude
part d’un exemple au choix (la bataille de
15
Stalingrad ; la guerre du Pacifique)
permettant d’étudier la mobilisation de toutes
les forces matérielles et morales des peuples
en guerre.
C’est dans ce cadre que le génocide des Juifs
et des Tziganes est perpétré en Europe.
L’étude des différentes modalités de
l’extermination s’appuie sur des exemples :
l’action des Einsatzgruppen, un exemple de
camp de la mort.
Connaître et utiliser les repères suivants :
- La Seconde Guerre mondiale : 1939-1945
- La libération des camps d’extermination :
1945
- Fin de la Seconde Guerre mondiale en
Europe : 8 mai 1945
- Bombes atomiques sur Hiroshima et
Nagasaki : août 1945
Caractériser les enjeux militaires et
idéologiques de la guerre
Décrire et expliquer le processus de
l’extermination ».
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
III. Auschwitz
Auschwitz est aujourd’hui le symbole de l’extermination des Juifs d’Europe et du
système concentrationnaire nazi. Plus grand complexe construit durant la
Seconde Guerre mondiale par le IIIe Reich, il se compose d’un camp de travail,
d’un camp de concentration (depuis juin 1940) et d’un camp d’extermination où
sont morts plus de un million de Juifs et de Ttsiganes venus de toute l’Europe.
L’étude d’extraits de la conférence de Wannsee (20 janvier 1942) permet de
montrer que cette conférence constitue un tournant dans la politique nazie à
l’égard des juifs : la « solution finale » y est définie et son processus précisé. Il
importe de mentionner les différents sens qui ont été donnés par les nazis au
terme « solution finale » pour aboutir à celui de l’élimination organisée et
systématique des Juifs d’Europe. Comme le rappelle Philippe Burin, la prise de
décision a été progressive et cumulative tandis que le projet changeait d’échelle.
De régional, le génocide devient européen. Dans les mois qui suivent, Himmler
modifie ses plans concernant Auschwitz. Une chronologie simple permet de
montrer dans quel contexte militaire s’inscrivent ses choix (manque de la maind’oeuvre soviétique espérée lié à l’échec de la guerre-éclair en Union soviétique
alors que les besoins de l’industrie allemande sont énormes). Auschwitz se voit
alors attribuer deux fonctions : l’assassinat des personnes considérées comme «
inaptes » et la mise au travail jusqu’à l’exténuation mortelle des autres.
Le complexe devient un instrument majeur de la politique d’extermination des
Juifs d’Europe à partir du printemps 1942 avec la construction du plus grand
centre de mise à mort (Auschwitz II-Birkenau). Il est l’instrument technique du
génocide, « monstrueuse machine à avilir et à tuer » (J.-P. Azéma). À l’aide de
cartes à l’échelle européenne, on peut mettre en évidence les raisons pour
lesquelles le site d’Auschwitz a été choisi (bonne desserte ferroviaire au coeur
d’un réseau européen de voies ferrées, présence de nombreuses communautés
juives en Europe orientale, isolement). L’étude permet de revenir sur la définition
du vocabulaire (camps de concentration, camps d’extermination [ou centres de
mise à mort]). L’analyse des plans, de photographies aériennes montrent
l’étendue du complexe des camps d’Auschwitz et doit s’accompagner d’une
définition du vocabulaire (chambres à gaz, crématoires). À cette occasion,
l’analyse de témoignages de survivants et de bourreaux permet de décrire
l’organisation rationnelle de l’horreur et le fonctionnement de l’univers
concentrationnaire. Le rôle d’Auschwitz dans le génocide doit aussi être mis en
évidence par le rappel du nombre de victimes (nombre des déportés, nombre et
origine des victimes).
En 1947, le site d’Auschwitz-Birkenau devient un musée. Dépendant de l’État
polonais, il est cependant un enjeu mémoriel pluriel (mémoire polonaise – qu’il
Accompagnement 1ère : « Il s’agit d’étudier
la deuxième guerre mondiale, de son
déclenchement à l’arrêt des combats. Tout ne
pouvant être traité avec la même précision, le
programme a opéré des choix. La
présentation des grandes phases de la guerre
peut se faire à partir de cartes et d’une
chronologie évoquant la conquête hitlérienne
en Europe et la conquête japonaise en Asie,
l’extension de 1941, le reflux de l’Axe et la
victoire des Alliés après le tournant de 19421943 ; elle manifeste le caractère mondial du
conflit.
L’étude de la politique nazie d’extermination
des Juifs et des Tziganes constitue un
élément capital pour comprendre la nature
du conflit et son importance dans l’histoire
contemporaine. Elle passe par le rappel de la
distinction qui, au sein de l’univers
concentrationnaire, sépare camps de
concentration et camps d’extermination et
par l’analyse de ce qu’est un génocide. Tous
ces domaines ont fait l’objet de nombreux
travaux scientifiques ; ils exigent d’être
présentés avec une rigueur excluant toute
approximation.
Ces approches permettent de mettre à jour le
caractère de guerre totale du conflit, marqué
par l’implication des populations civiles
autant que des militaires, l’importance des
facteurs idéologiques, économiques et
psychologiques, les phénomènes de
collaboration et de résistance, les
déportations, les massacres programmés
massifs (Pologne, URSS) et la politique
d’extermination. »
16
faut prendre garde de délégitimer –, mémoire juive, mémoire communiste et
résistante). Il devient également un lieu de mémoire, symbole de la politique
génocidaire nazie et des souffrances vécues par les victimes. L’impératif de se
souvenir, présent dès la libération des camps, y est adressé aux jeunes
générations. »
I. UN VASTE COMPLEXE CONCENTRATIONNAIRE
Constitué de trois camps : un camp de concentration principal d’origine
(Auschwitz I) ; le camp de Birkenau (Auschwitz II), presque entièrement
consacré à l’extermination à partir de 1942 ; enfin, le camp de Monowitz
(Auschwitz III) dont les détenus travaillent dans le complexe industriel proche
(usines de la Buna, appartenant à la firme I-G Farben).
II. ÉLIMINATION IMMÉDIATE ET MORT LENTE
Près d’un million de Juifs, raflés et déportés depuis l’Europe occupée, sont
exterminées à Auschwitz. A partir de 1942, les nazis y appliquent la « solution
finale». Le camp se dote d’infrastructures vouées à l’extermination de masse
(chambres à gaz et crématoires). La majorité des déportés sont gazés dès leur
arrivée dans le camp. Les autres meurent à cause des privations, de la dureté du
travail forcé, ou des violences qui leurs sont infligées. À peine un dixième des
Juifs déportés à Auschwitz ont survécu.
III. UN LIEU DE MÉMOIRE
Auschwitz est un lieu de mémoires multiples. Pour les Juifs, bien entendu, qui
représentent la grande majorité des victimes de ce complexe concentrationnaire
nazi. Le camp devient à la fin du XXe siècle le lieu le plus représentatif de la
Shoah. Mais c’est également un lieu de mémoire pour des populations non juives,
qui y ont aussi trouvé la mort : Tsiganes, prisonniers de guerre soviétiques,
Polonais, opposants politiques, etc.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
17
HC – Les Français dans la Seconde guerre mondiale
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Azéma Jean-Pierre, Bédarida François (dir.), La France des années noires (2 tomes), Le Seuil, 2000, coll. «Points Histoire», 580
p., 632 p.
Burrin Philippe, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Le Seuil, 1997, coll. «Points Histoire», 560 p.
Laborie Pierre, L’Opinion française sous Vichy, les Français et la crise d’identité nationale, 1936-1944, Le Seuil, 2001, coll.
«Points Histoire», 406 p.
Peschanski Denis, La France des camps, l’internement, 1938-1946, Gallimard, 2002, coll. «La Suite des temps», 560 p.
Rousso Henry, Les Années noires, vivre sous l’Occupation, Gallimard, 1992, coll. «Découvertes Histoire», 192 p.
ALARY Éric, La Ligne de démarcation (1940-1944), Paris : Perrin, 2003.
VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France, 1939-1947, Paris : Payot, 1995.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Vivre en France sous l'Occupation, VEILLON Dominique, TDC, N° 852 du 15 au 31 mars 2003
La Résistance, Ces Français du refus, BRUNO LEROUX, TDC, N° 750, du 15 au 28 février 1998
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Ecrire l’histoire du quotidien
Il existe un très grand nombre de journaux intimes, de notes, de carnets de guerre
qui constituent un gisement inestimable pour comprendre de l’intérieur ce
quotidien de guerre (par exemple, le journal d’une institutrice qui a consigne ce
qu’a été son existence dans le quartier de Montmartre de 1940 à 1945). Les
rapports des préfets ou ceux de la gendarmerie, ainsi que les comptes rendus de
nombreux fonctionnaires de services de ravitaillement permettent de suivre l’état
d’esprit de la population. Le courrier saisi par la censure offre un autre éclairage.
De même la presse nationale, qui renferme des indications ponctuelles (rations
théoriques mensuelles), ou les magazines féminins, qui soulignent les difficultés
des familles à travers les doléances des lectrices. Les caricatures nombreuses, les
dessins publicitaires (chaussures à semelles de bois, voiture à gazogène) ou les
photographies d’époque ne doivent pas non plus être négligés.
Des figures mythiques, un héroïsme au quotidien, un chef hautement
charismatique : la légende de la Résistance a longtemps été entretenue sans être
soumise à un examen critique rigoureux. Or l’ouverture d’archives porte un
regard nouveau sur sa réalité sociologique : qui sont ces hommes et ces femmes
qui, à différents titres et dans des circonstances très diverses, ont décidé de «
résister » ? Des pionniers de l’an 40 aux conquérants de la Libération, une page
entière de l’histoire des Français est renouvelée depuis les années 1990.
Les travaux des historiens portent un regard nouveau sur le phénomène de la
Résistance en France et vont plus loin que les publications des décennies
précédentes. Ils s’attachent en particulier à cerner les rapports entre la Résistance
et les Français : comment, partis de rien, les clandestins recrutent-ils et
parviennent-ils à former des organisations couvrant tout le territoire ? Quelles
relations ces organisations entretiennent-elles avec la population ? Autant
d’interrogations et de réponses qui dépassent l’opposition simpliste entre une
Résistance ultra-minoritaire et une masse de Français « attentistes » : si la
Résistance organisée n’a guère concerné plus d’un pour cent de la population (les
FPI seront 500 000 à la Libération), elle n’a pu se développer en 1943-44 qu’avec
le concours de communautés villageoises entières et l’appui tacite d’une large
partie de la population.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 1ere : « La France dans la Seconde
Guerre mondiale
L’étude de la France, de l’armistice à la
Libération, permet d’analyser le rôle du
régime de Vichy, les différentes formes de
collaboration, les composantes et l’action de
la Résistance intérieure et de la France
libre. »
BO 1ère STG : « L’année 1940.
Au-delà de l'armistice, le choix entre
acceptation, collaboration et résistance met
en jeu les valeurs qui fondent la
démocratie. »
BO 3e actuel : « Une place particulière est
faite à l’histoire de la France : analyse du
régime de Vichy, rôle de la France libre et de
la Résistance.
Documents : Discours du Maréchal Pétain du
17 juin 1940. Appel du Général de Gaulle du
18 juin. Extraits du statut des juifs (1940).
Témoignages sur la déportation et le
génocide. Témoignages sur la Résistance. »
BO futur 3e : « EFFONDREMENT ET
REFONDATION RÉPUBLICAINE (19401946)
La défaite de 1940 entraîne le renversement
de la IIIe République. Pétain et de Gaulle
illustrent les deux attitudes devant la défaite
militaire. On présente les conditions de
l’armistice et on explique le renversement de
la République.
18
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Le régime de Vichy, autoritaire et antisémite
s’engage dans la voie de la collaboration
avec l’Allemagne nazie. La politique du
régime de Vichy et sa collaboration avec
l’Allemagne nazie sont présentées en
s’appuyant sur quelques exemples de ses
décisions et de ses actes.
En liaison avec la France libre, la Résistance
intérieure lutte contre l’occupant et porte les
valeurs de la République. La Résistance est
abordée à travers l’exemple d’un réseau,
d’un mouvement ou d’un maquis. Une mise
en perspective permet d’expliquer la place de
la France libre, ses liens avec la Résistance
intérieure et le rôle qu’elle a joué dans son
unification.
Connaître et utiliser le repère suivant
- Appel du général de Gaulle : 18 juin 1940
- Régime de Vichy 1940-1944
- Fondation du Conseil National de la
Résistance par J. Moulin : 1943
Raconter la défaite et expliquer ses
conséquences, l’armistice et la fin de la IIIe
République
Décrire
- Quelques aspects de la politique du régime
de Vichy révélateurs de son idéologie
- La vie d’un réseau, d’un mouvement ou
d’un maquis en montrant les valeurs dont se
réclament les hommes et les femmes de la
Résistance. »
Activités, consignes et productions des
élèves :
Accompagnement 1 STG :
« L’année 1940
Dans un contexte de guerre où s’affrontent militairement démocraties et
totalitarismes européens, l’année 1940 marque, pour la France, ébranlée par
l’exode et la défaite, une étape cruciale dans la lutte entre deux modèles
politiques et idéologiques dont les valeurs sont opposées.
Le 16 juin 1940, le maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, est nommé
Président du Conseil après la démission de Paul Reynaud. Il conclut un armistice
avec les Allemands, qui occupent plus de la moitié de la France, et installe son
gouvernement à Vichy. Le 10 juillet, le Parlement accorde les pleins pouvoirs à
Pétain par 569 voix contre 80 et 19 abstentions.
Pétain prend en charge la rédaction d’une nouvelle constitution, « Constitution de
l’État français », qui met fin à la République et instaure, sous la devise « Travail,
Famille, Patrie », un État autoritaire, négation des principes républicains, qui va
conduire une politique réactionnaire, antisémite, marquée par une collaboration
active avec l’Allemagne nazie.
Le 18 juin, à Londres, le général de Gaulle lance, sur les ondes, un appel à la
résistance contre l’Allemagne. Son message sera rediffusé le lendemain et le texte
en sera publié par les journaux encore libres du Sud de la France. Une résistance
s’organise peu à peu, enchevêtrement complexe de destinées, de réseaux et de
motivations diverses mais qui est mobilisée autour des grandes valeurs qui
fondent la démocratie. »
Accompagnement 1ère : « L’étude de la
France dans la deuxième guerre mondiale
relève d’une exigence de rigueur, sans
schématisme. Le pays est anéanti par sa
défaite. Les Français, englués dans les
difficultés de la vie matérielle quotidienne,
tentent de s’accommoder de l’occupation ;
mais cela n’empêche ni un rejet massif de
l’occupant et de la collaboration, ni une
désaffection croissante à l’égard du
gouvernement de Vichy. Ce régime, négation
des principes républicains, attaché aux
apparences de sa souveraineté mais pris dans
l’engrenage de la collaboration d’État et des
surenchères collaborationnistes, se met
volontairement au service des exactions de
l’occupant. À ce choix, s’opposent la
résistance intérieure, minoritaire et diverse,
et le général de Gaulle, avec la France libre,
qui, d’abord isolé, rallie une partie de
l’empire et impose l’image d’une France de
la Libération rassemblée autour de lui et
figurant dans le camp des vainqueurs. »
I. Résister : les Français du refus
LE TEMPS DES PIONNIERS
Au lendemain de la défaite de 1940, le refus de la soumission est le fait de
pionniers. Tel est bien le terme qui caractérise cette poignée de résistants
éparpillés sur tout le territoire, qui doit littéralement inventer ses organisations
comme ses formes d’action. Aucun groupement existant (parti, syndicat, Église)
ne met en effet ses structures au service de ceux qui « veulent faire quelque chose
Les résistants : où et qui ?
La Résistance se développe d’abord dans les
villes, sur les côtes et le long des voies
ferroviaires. La sensibilité du monde rural au
thème vichyste du retour à la terre et à son
cléricalisme n’explique pas le faible
engagement des paysans dans les
ère
19
» pour poursuivre la lutte. Les raisons en sont aujourd’hui bien connues. D’abord,
Hitler choisit de ménager relativement la France, partiellement et bien moins
durement occupée que la Pologne par exemple. Ensuite, Pétain met en œuvre un
programme politique autoritaire quitte à pratiquer une collaboration d’État avec le
vainqueur. Enfin, un contexte exceptionnel permet au même Maréchal
d’anesthésier le patriotisme national au profit de ses objectifs. D’une soudaineté
inimaginable, la défaite a généré le sentiment d’une faillite des élites
républicaines, pleinement intériorisé par celles-ci. Le patriotisme du « vainqueur
de Verdun » est, dans l’été 40, le seul repère collectif qui demeure, et semble le
dernier rempart provisoire contre l’occupant. Dès lors, même si les Français se
désintéressent dès 1941 de la Révolution nationale, la collaboration d’État est
encore interprétée comme un double jeu du Maréchal.
Dans ces premiers temps, refuser d’accepter la défaite est donc une décision
individuelle. D’autant plus difficile qu’elle amène obligatoirement à désobéir au
gouvernement légal, attitude contraire à toute la tradition civique forgée par
l’école républicaine. La lutte clandestine du Parti communiste français est,
comme on sait, dirigée quasi exclusivement contre Vichy jusqu’à la rupture du
pacte germano-soviétique en juin 1941. Seuls certains services de l’armée
d’armistice mènent une action collective contre l’occupant, mais elle est en
contradiction avec d’autres bureaux qui, eux, arrêtent les agents anglais et ceux
qui les aident.
La révolte des « pionniers » les isole donc du reste des Français, sans que leur
faible nombre leur permette de se regrouper avant longtemps. C’est doublement
vrai pour Charles de Gaulle, qui a choisi l’exil londonien. Certes, il est le seul à
opposer une alternative au pouvoir légal, au nom d’une vision de la guerre
mondiale à venir. Mais, toutes proportions gardées, la France libre peine autant à
se développer à l’extérieur que la Résistance en métropole : elle ne rallie qu’une
petite partie de l’Empire et quelques dizaines de milliers de volontaires. Dans
l’Hexagone, l’audience précoce des émissions de la BBC et l’implantation de «
réseaux » de renseignements précieux pour les Anglais sont des succès
indéniables. Cependant la France libre ne peut y envoyer que quelques agents et
se voit privée de tout contact avec les groupes métropolitains avant l’automne
1941. À l’aveuglette, elle tente de mobiliser l’opinion, avec des résultats inégaux
: à la réussite de la campagne des V succède l’échec du « garde-à-vous » national
de cinq minutes en octobre 1941, en hommage aux premiers otages fusillés.
ROMPRE L’ISOLEMENT
Comme pour la France libre, le choix des actions à entreprendre est crucial en
métropole. Encore faut-il déjà rencontrer quelques compatriotes partageant le
même état d’esprit : combien en sont réduits, pour longtemps, à des réactions
individuelles, par nature limitées : lacération d’affiches, diffusion hasardeuse de
tracts... ?
Les premiers rebelles organisés sont souvent des individus au passé militant :
catholiques de gauche, syndicalistes, socialistes. Mais les relations antérieures ne
suffisent pas à élargir les « cercles ». Leur développement tient surtout à leur
capacité à mener des actions jugées « rentables » pour eux-mêmes. Ce n’est pas
un hasard si les premières chaînes de solidarité se constituent dans le Nord et
l’Est pour faire passer en zone libre les prisonniers de guerre en transit vers
l’Allemagne. De même le contact avec « Londres » reste le souci primordial de
bien des résistants : les petits groupes qui collectent des renseignements, formés
de militaires ou de cadres civils, mentent souvent à leurs recrues en leur assurant
qu’ils l’ont déjà.
Si certains cercles arrivent à se raccrocher à un réseau français libre ou anglais, la
plupart, isolés, tâtonnent, essaient de diversifier leurs actions. La plupart de ceux
qui se développent de façon autonome, et qui deviendront les « mouvements »,
expérimentent le puissant pouvoir de recrutement d’un journal clandestin : tout
un chacun peut devenir diffuseur, la prise de risque est perçue comme modérée
et, en recréant des collectivités soudées par le simple souci du patriotisme, le
journal attire les « sympathisants ». A contrario, en zone occupée, le choix de la
lutte armée par le Parti communiste à l’été 1941 paraît irréaliste et l’isole pour
longtemps.
L’ÉMERGENCE DES GRANDS « MOUVEMENTS »
Fin 1941, trois groupes ont réussi en zone Sud, où les risques sont moindres, à
faire paraître régulièrement un journal à plusieurs milliers d’exemplaires sur
plusieurs régions : Combat, Libération-Sud et Franc-Tireur. Leur réussite va faire
prendre un tournant à la Résistance, du fait de phénomènes dont il faut bien saisir
mouvements et réseaux. Les formes d’action
menées par les premiers résistants sont plutôt
à prendre en compte pour comprendre le
caractère urbain de la lutte : le renseignement
(les troupes allemandes sont concentrées en
ville), la propagande (plus facile à fabriquer
et à diffuser anonymement en milieu urbain),
les filières d’évasion.
Les premiers organisateurs sont
généralement issus des classes supérieures :
journalistes, universitaires, militaires de la
haute ou moyenne bourgeoisie. Mais ils
recrutent dans les classes moyennes, toujours
selon une logique fonctionnelle : les
professions permettant de fréquents
déplacements (commerçants, artisans,
employés des postes et des chemins de fer)
sont particulièrement sollicitées.
En 1943, en raison du refus du STO, la
Résistance s’étend sur tout le territoire. Le
monde rural s’engage surtout à la frange de
la Résistance organisée. Il aide
occasionnellement les maquis, selon une
forme d’action qui convient aussi le mieux à
la culture paysanne : l’entraide individuelle.
C’est aussi à cette date que le monde ouvrier
entre massivement en résistance. Visé par les
réquisitions de main-d’œuvre, il est sollicité
par les mouvements pour des actions qui
appartiennent à sa culture politique
(manifestations, grèves) ou qui emploient ses
capacités professionnelles (sabotage dans les
usines), et adopte plus volontiers l’action
violente, plus proche de son horizon culturel.
Si toutes les catégories sociales ont été
représentées dans la Résistance, elles ne l’ont
donc pas été toutes en même temps. Le
brassage social aussi a été relatif, chaque
mouvement ayant une certaine homogénéité
sociale : l’engagement massif des ouvriers,
en particulier, est lié au Front national,
d’obédience communiste.
Les « dissidents » de la France libre
Parmi les 50 000 FFL (Forces françaises
libres), la moitié se sont évadés de métropole
par les côtes ou les Pyrénées, d’où parmi eux
une prédominance de Bretons et de gens du
Sud-Ouest. Les passages les plus nombreux
ont eu lieu durant les périodes où se rodait le
dispositif allemand, au second semestre
1940, et dans les mois suivant l’invasion de
la zone Sud. Les FFL sont souvent jeunes et
célibataires : les trois quarts ont moins de
trente ans, plus d’un quart sont lycéens ou
étudiants. Passer à la « dissidence » est en
effet plus problématique pour ceux qui sont
en charge d’une famille, et doivent de
surcroît les exposer à d’éventuelles
représailles. Les plus âgés, et la plupart des
officiers, ont rallié avec leur unité
l’Angleterre ou l’Empire.
Au début, comme en métropole, la plupart
des volontaires rejettent les élites
républicaines jugées responsables de la
20
la chronologie : les contacts établis avec la France libre, le durcissement de la
collaboration pratiquée par l’État français, le réveil de l’esprit républicain.
L’arrivée d’une manne financière, grâce à deux envoyés de la France libre,
Morandat puis Jean Moulin, offre aux mouvements un potentiel de tirage bien
plus important, qui répond à une « demande » de l’opinion. En effet, la
collaboration entre Vichy et l’occupant s’amplifie : Laval revient en avril, la
Relève, qui prévoit l’échange de prisonniers de guerre contre des travailleurs, est
annoncée en juin, suivie des premières réquisitions de main-d’œuvre pour
l’Allemagne en automne ; les grandes rafles anti-juives sont opérées durant l’été.
Une partie des Français est alors prête à manifester ouvertement son opposition
au régime. Pour preuve, l’importance dans les grandes villes de la zone Sud des
manifestations du 1er mai et surtout du 14 juillet organisées par la Résistance en
liaison avec la BBC. La presse des trois mouvements y a joué un rôle
mobilisateur décisif. Le succès des mouvements, outre qu’il récompense les
efforts d’organisation déployés l’année précédente, réside dans le contenu même
de cette presse : c’est elle qui relie dans une explication cohérente la
collaboration à une autre caractéristique du régime, vécue celle-là par tous les
Français : l’anti-républicanisme.
VICHY, DE GAULLE ET LA PREMIÈRE RÉSISTANCE
La dénonciation de l’anti-républicanisme de Vichy était pourtant minoritaire chez
les premiers résistants. Seuls les rebelles sensibles aux luttes antifascistes
d’avant-guerre s’y ralliaient. La majorité, comme le reste des Français, était trop
choquée par la faillite de la République pour prendre parti contre le nouveau
régime. Les uns s’abstenaient de toute prise de position, ne souhaitant pas mêler
la politique à leur lutte patriotique. D’autres approuvaient les valeurs
réactionnaires de la Révolution nationale. Toutefois, une différence essentielle
séparait ces derniers des « pétainistes » : ils ne croyaient pas à la réussite de ladite
Révolution tant que la France serait occupée.
Or, en 1942, ces « patriotes autoritaires » sont en train d’évoluer vers
l’antivichysme, moins rapidement du reste en zone Nord qu’en zone Sud. En
effet, pour ceux qui, au nord, sont déjà aux prises avec l’occupant, le problème de
Vichy demeure secondaire. En outre, la répression allemande rend nécessaire un
cloisonnement entre les groupes qui ne favorise pas les débats. Au contraire, au
sud, dès le second semestre 1941, chaque nouvelle étape de la collaboration
(création de la Légion des Volontaires français, répression des attentats
communistes) pousse l’ensemble de la presse clandestine vers une critique
radicale du régime. Au même moment, les rencontres à trois entre Libération-Sud
d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, Liberté de François de Menthon et le MLN
de Henri Frenay (ces deux derniers fusionnant dans Combat) favorisent cette
évolution.
Quant au rapport avec le général de Gaulle, le problème est délicat. Jean Moulin
met pas moins de neuf mois à obtenir des trois grands mouvements de zone Sud
qu’ils coordonnent leur action sous l’égide de la France libre. Pour comprendre
ce délai, il faut d’abord rappeler que les chefs de ces mouvements ont créé leur
organisation sans aucune aide. De surcroît, dans les deux zones, très peu de
groupes ont déjà proclamé leur ralliement à de Gaulle : les « patriotes autoritaires
» désapprouvent ses attaques contre le Maréchal, tandis que les antifascistes se
méfient d’un militaire qui se veut le détenteur d’un pouvoir civil. D’où
l’importance des voyages de résistants à Londres : d’abord Pineau (LibérationNord) au printemps 1942, qui ramène la première « déclaration » politique de de
Gaulle à la Résistance, puis d’Astier et Frenay à l’automne. Il faut des contacts
d’homme à homme. L’autre facteur décisif est le changement d’esprit à la base.
Grâce à l’écho donné par la BBC à l’action de la France libre, le « gaullisme » est
né en 1941 en tant que signe de reconnaissance pour tous les Français partisans
de la victoire anglaise.
Ralliés, les mouvements doivent aussi être coordonnés. Une gageure, tant se
révèle si peu homogène cette « micro-société » résistante, aux responsables
inconnus les uns des autres, sans notoriété antérieure, sans autres canaux
d’information sur leurs interlocuteurs que les rumeurs ou certaines de leurs
feuilles clandestines. Ainsi Henri Frenay, malgré son évolution personnelle vers
l’antivichysme, excite-t-il à tort les pires soupçons chez ses partenaires du fait de
sa rencontre avec Pucheu, le ministre de l’Intérieur de Vichy, début 1942. Celuici lui demande de cesser ses attaques contre Pétain en échange de la libération de
certains membres de Combat. Frenay a beau refuser tout accord, six mois vont lui
être nécessaires pour dissiper les soupçons des autres mouvements. En fait, ce
défaite. De Gaulle en est conscient, qui
bannit pendant un an à la BBC la devise «
Liberté, Égalité, Fraternité », au profit de «
Honneur et Patrie ». Républicain lui-même,
s’il condamne les atteintes de Vichy aux
libertés, il n’en rejette pas moins le régime
parlementaire d’avant-guerre. Mais sa
doctrine institutionnelle mettra des années à
prendre forme. Il se contente alors d’affirmer
la continuité juridique entre la IIIe
République et la France libre, et de promettre
de rendre la parole à la Nation. À partir de
l’automne 1941, constatant le rejet croissant
de Vichy en métropole, il affirme
publiquement son attachement aux principes
démocratiques et esquisse même l’idée d’un
nouveau régime économique et social
garantissant la liberté, la dignité et la sécurité
de tous, en partie en écho à la Charte de
l’Atlantique adoptée par Roosevelt et
Churchill.
À la base, les FFL vont former une petite
armée de plus en plus politisée : en mai-juin
1943, ils débaucheront 4 000 soldats de
l’Armée d’Afrique, dirigée par des officiers
pétainistes. La fusion avec celle-ci ne les
empêchera pas de garder leur particularisme
jusqu’à la fin de la guerre.
La Résistance, une affaire de jeunes
L’engagement des jeunes classes d’âge dans
la Résistance organisée est remarquable : en
Ille-et-Vilaine, par exemple, la moitié des
résistants recensés ont moins de trente ans,
alors que cette tranche d’âge représente un
tiers de la population. En zone Nord, les
lycéens et étudiants sont les premiers à réagir
collectivement, en manifestant le 11
novembre 1940 à Paris, et à se livrer à des
actes d’« incivilité » envers l’occupant :
refus de céder le trottoir, huées lors des
actualités allemandes au cinéma, etc. Mais
leur engagement en masse est surtout lié à la
réaction suscitée par le STO en 1943, qui
vise les 21-23 ans, puis à la mobilisation
générale vers les maquis après le 6 juin 1944.
Les statistiques sur le poids des jeunes sont
cependant à nuancer : les aînés qui ont
charge de famille sont sans doute plus
nombreux hors de la résistance organisée,
dans la population sédentaire qui apporte une
aide occasionnelle, non sans risque toutefois
: ainsi des villageois ravitaillant les maquis.
Les jeunes sont particulièrement nombreux
dans l’action violente : réseaux de sabotage,
guérilla urbaine et maquis. Elle correspond
d’abord à leurs possibilités (plus que le «
renseignement », par exemple, pratiqué
plutôt par des hommes d’expérience) et à une
moindre influence de ces traditions
contraires à l’usage de la violence
(christianisme, culture républicaine,
internationalisme). Logiquement, les moins
âgés sont surtout agents de liaison, tel
Mathurin Henrio, le plus jeune compagnon
21
sont les actions menées en commun sur le terrain (manifestations de mai et juillet
1942, intense propagande contre la Relève) qui contribuent le mieux à la
coordination.
1943 : DÉSOBÉISSANCE CIVILE ET MAQUIS
En novembre 1942, le mythe d’une souveraineté de Vichy garantie par le
Maréchal s’effondre avec la perte de l’Afrique, de la zone libre, de la flotte.
Premier effet : de nombreux officiers de l’armée d’armistice dissoute entrent en
dissidence. Mais surtout une désobéissance civile de masse se développe après
l’instauration du Service du travail obligatoire (STO) en février 1943. Elle
implique tous les milieux susceptibles de venir en aide aux réfractaires : médecins
qui les exemptent, fonctionnaires qui leur fournissent de faux papiers, gendarmes
qui les recherchent mollement.
Cependant, ces mutations majeures n’accroissent pas mécaniquement les forces
des mouvements existants. Ainsi l’Organisation de résistance de l’armée (ORA),
formée de militaires devenus clandestins, se rallie au général Giraud soutenu par
les Américains en Afrique du Nord alors qu’il maintient la législation vichyste.
Un « vichysme résistant » persiste donc, au moins jusqu’à la formation, en juin
1943 à Alger, du Comité français de libération nationale (CFLN), coprésidé par
de Gaulle et Giraud. D’autre part, la grande majorité des jeunes réfractaires au
STO (200 000 à l’automne 1943) sont simplement « planqués » : seuls 30 à 40
000 rejoignent les maquis. C’est que l’aide aux réfractaires est en soi un défi pour
les mouvements : elle implique un effort croissant de propagande à destination
des jeunes requis, le passage au stade « industriel » pour des activités comme les
faux papiers.
Quant au maquis, phénomène surgi spontanément, il prend de court les
mouvements eux-mêmes : il faut tisser des liens avec les communautés rurales,
tant pour obtenir des secours matériels (nourriture, habillement) que pour garantir
leur sécurité. Avec les maquis se noue alors une nouvelle relation entre la
Résistance et la population : la « résistance au village ». Elle ne signifie pas
l’entrée massive des paysans dans les organisations clandestines, mais plutôt un
réseau de solidarités autour de celles-ci : ainsi, durant l’hiver 1943, de nombreux
maquisards se feront héberger dans les vallées pour échapper au froid. Autre
enjeu : transformer les maquisards en combattants, armés et entraînés par des
instructeurs compétents. Or l’armement ne peut venir que de l’extérieur, et les
cadres de l’ORA manquent... La question de l’unité, intérieure et extérieure, de la
Résistance s’avère plus que jamais cruciale.
L’UNIFICATION : CRISES ET ACCÉLÉRATION
Le Conseil national de la Résistance est créé, on le sait, en mai 1943. Mais pour
en mesurer la portée, il faut comprendre que les mêmes raisons qui font ressentir
l’union comme urgente exacerbent en même temps les tensions entre ses acteurs.
À partir de 1943, le « temps relatif », celui que vivent les contemporains,
s’accélère : la « base » espère un débarquement allié en France pour l’année
même. Dès lors, les mouvements posent la question de l’armement massif de la
Résistance et de son entraînement à l’action violente en vue de la libération. Cette
perspective les rapproche du PCF, seul jusqu’alors à pratiquer la lutte armée,
mais elle accroît aussi leurs exigences vis-à-vis de la France libre et des
Britanniques. Problème : ces derniers veulent ménager l’essentiel du potentiel
militaire résistant en vue du jour J, et le séparer en même temps des activités de
propagande. En désaccord avec Londres, les mouvements, soucieux de conserver
leur autonomie de décision, contestent donc le monopole de la Délégation
générale en France créée par Moulin, qui concentre entre ses mains toutes les
liaisons avec l’Angleterre (radios, atterrissages, parachutages). En outre, la
renaissance d’un parti socialiste clandestin et des forces syndicales met à l’ordre
du jour l’idée d’un « parlement » clandestin qui révulse les pionniers de la
Résistance : voilà donc le retour des élus de la IIIe République, dont l’absence a
été assourdissante pendant deux ans !
Cependant, l’urgence de la situation accélère le processus d’unité. Début 1943,
tandis que les mouvements de zone Nord se rallient instantanément à de Gaulle,
les trois « grands » de zone Sud fusionnent dans les Mouvements unis de
résistance (MUR). La formule du CNR, rassemblant mouvements, partis et
syndicats, finit par l’emporter, et cela pour plusieurs raisons. L’une est extérieure
: les mouvements sont ulcérés par le soutien « pragmatique » des Alliés à Giraud,
qui a derrière lui l’armée d’Afrique, bien plus puissante que les FFL ; pour les
convaincre que les Français de métropole soutiennent de Gaulle, ils acceptent de
figurer aux côtés d’hommes politiques connus à l’étranger. Par ailleurs, le PCF
de la Libération, fusillé à 14 ans. Mais une
originalité des groupes clandestins est de
modifier parfois les rapports entre
générations, offrant à des étudiants comme
Philippe Viannay, fondateur de Défense de la
France, ou Serge Ravanel, chef national des
Groupes francs, des responsabilités
impensables dans une société « normale » en
temps de paix.
Résistance et déportation
Jugés et détenus en France tant qu’ils
formaient une infime minorité, les résistants
ont été déportés à partir de 1943, la plupart
du temps sans jugement, quand leur nombre
a commencé à refléter les appuis qu’ils
trouvaient au sein de la population. Cette
évolution de la répression apparaît bien dans
la procédure « Nacht und Nebel » au sigle «
NN ». Dès la fin 1941, Hitler ordonne de
juger en Allemagne même certains résistants
d’Europe de l’Ouest dont le châtiment dans
les pays d’origine risquerait de faire des
martyrs : femmes, prêtres, officiers. Leur sort
devra rester ignoré de leurs proches. En
1943, la Gestapo « détourne » cette
procédure judiciaire : parmi tous les
résistants qu’elle expédie désormais dans les
camps, elle affuble du sigle NN ceux qui
doivent être soumis au secret absolu.
L’année suivante, d’ailleurs, les NN encore
en attente de jugement dans les prisons
allemandes seront transférés dans les camps.
Aucun de ces déportés ne se doutait de la
nature de l’univers concentrationnaire,
croyant généralement aller vers des camps de
travail : au même moment, le Reich
n’imposait-il pas le STO en Europe ?
L’entassement dans les wagons, puis les
baraques, la sous-alimentation, le froid, le
travail jusqu’à l’épuisement, tout participait
ici d’un système conscient mis en place pour
exploiter le détenu jusqu’à la mort – mort
parfois accélérée par les « sélections »
qu’opèrent les médecins SS, condamnant les
malades et les plus faibles.
Au total, il y a eu 63 000 déportés politiques
français, dont 6 000 NN de la procédure
judiciaire (sur un nombre total inconnu).
Dispersés en Allemagne, en Pologne, en
Autriche et même en Alsace annexée (camp
du Struthof), dans 15 à 20 « camps de la
mort lente » pourvus de camps annexes et de
Kommandos extérieurs de travail, 37 000
d’entre eux reviendront. Un chiffre qui
démontre par contraste la spécificité du sort
réservé aux déportés « raciaux » : seuls 2 500
des 76 000 Juifs déportés de France ont
survécu.
Le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF,
commandant militaire allemand en France)
installé à l'hôtel Majestic à Paris constitue la
pièce centrale du système d'occupation
allemand. Sa mission est d'assurer la sécurité
22
étant reconnu comme vrai parti résistant, il se révèle nécessaire d’équilibrer le
poids de celui-ci par d’autres formations partisanes.
ANTICIPER LA LIBÉRATION
À partir de l’automne 1943, la perspective du débarquement oriente toutes les
actions des résistants. Ils s’y préparent sans en connaître ni la date ni le lieu, en
proie à une répression préventive impitoyable, au sein d’une population épuisée
par près de quatre années de privations. L’attente du jour J engendre toute une
série de comportements anticipateurs, divergents dans certains domaines,
révélateurs d’une profonde unité dans d’autres.
Car des désaccords persistent sur l’« action immédiate » à entreprendre (faut-il ou
non se livrer à la guérilla avant le jour J ?) et freinent localement l’union de toutes
les forces paramilitaires, officiellement réalisée au sommet. Ils alimentent la
méfiance sur les projets politiques du PCF, principal partisan de l’action
immédiate, dont le poids croît dans la hiérarchie FFI. Enfin, ils posent le
problème des rapports avec la population, que la peur des représailles n’empêche
pas d’adhérer aux actions résistantes, dès lors qu’elles paraissent adaptées au
moment précis. Ainsi sont mieux comprises, pendant l’hiver 1943-44, les
activités tendant à la simple survie des maquis et les raids pour se procurer
alimentation et vêtements, voire de l’argent dans les perceptions. L’action
violente est davantage admise à partir du printemps, dans l’imminence du
débarquement. Des tensions existent donc. Mais elles sont contrebalancées par la
conscience d’une appartenance commune à un « contre-État » clandestin. Celui-ci
propose ses propres valeurs : sa presse clandestine, qui tire alors à deux millions
d’exemplaires, oppose au dernier Vichy fascisant une « IVe République » à
laquelle le programme du CNR fixe comme mission de profondes réformes
économiques et sociales. À la base, chez les jeunes recrues du maquis surtout, un
« patriotisme sentimental », fondé sur la simple envie de se battre, relativise
l’importance des appartenances : la plupart des Francs-Tireurs et Partisans (FTP),
par exemple, ne sont pas communistes, quoique encadrés par le parti.
Cet État clandestin ne se prépare pas seulement à prendre le pouvoir : il l’exerce
parfois déjà, usant d’une symbolique de l’inversion par rapport à Vichy. À
Oyonnax, le 11 novembre 1943, les « bandits » du maquis défilent en une
formation militaire impeccable ; à Cajarc, en mai 1944, on exécute publiquement
des miliciens dont les cours martiales jugent et font exécuter les résistants ; en
Limousin, Guingouin, le « préfet du maquis », réglemente les prix agricoles.
Enfin, cet « État de l’ombre » s’adresse directement aux serviteurs de l’État
français, fonctionnaires, policiers ou magistrats, pour les persuader de se rallier.
Par tous ces actes, la Résistance s’installe ainsi dans une sorte de légitimité
reconnue par la population : des villages qui, jusque dans l’été 1944, redouteront
la venue de maquisards par peur des représailles, se sentiront solidaires d’eux dès
qu’ils seront là.
LA RÉSISTANCE DANS LES LIBÉRATIONS
Le rôle des FFI et des Français en général dans la libération de leur propre
territoire est au cœur du mythe gaullien d’une France tout entière résistante : c’est
peut-être le point le plus sensible, mais aussi un des plus mal étudiés en raison du
caractère original de la lutte résistante.
Du point de vue de l’histoire militaire classique, en effet, on a tendance à opérer
un tri selon l’aide apportée aux armées alliées. Personne ne conteste le rôle
capital des réseaux de renseignement dans la préparation des débarquements de
Normandie et de Provence, ni la contribution essentielle des plans de sabotage
exécutés par la Résistance pour retarder l’arrivée des réserves allemandes. En
revanche, la guérilla des maquis, pendant que les Alliés piétinent en Normandie,
paraît limitée dans son impact immédiat : sans armement lourd, les FFI ne
représentent pas une menace sérieuse sur les arrières allemands ; ils échouent à
tenir les quelques agglomérations libérées par eux le 6 juin (Tulle, Guéret,
Nantua, Annonay) et même les grands maquis fixes conçus comme des « centres
de mobilisation » (Saint-Marcel en Bretagne, le mont Mouchet en Auvergne, le
Vercors). Cette période est surtout utile aux maquis eux-mêmes, qui reçoivent
enfin massivement des armes et peuvent ainsi pratiquer une incessante guérilla
mobile avec un nombre de volontaires toujours croissant.
À partir des percées alliées en Normandie et en Provence, les FFI jouent un rôle
important mais pas essentiel : ils accélèrent les libérations régionales, soit aux
côtés des Alliés (particulièrement en Bretagne et dans les Alpes), soit en leur
absence (dans le Sud-Ouest et le Centre, profitant de la retraite allemande), soit
en précipitant par leur action propre l’intervention des armées régulières
des troupes d'occupation en France mais
aussi et surtout de réunir les conditions d'une
exploitation économique optimale de la
France. La photographie de l'opinion
proposée mensuellement par les « rapports
de situation » du MBF repose sur les
informations rassemblées par divers services
de renseignements. Le regard porté par le
Majestic sur l’opinion publique française est,
au-delà des fluctuations perçues, d’une
grande constance et pourrait se résumer à
trois observations majeures : attentisme,
léthargie et inquiétude pour la survie
quotidienne.
La ligne de démarcation principale en 194041 : une « frontière » humaine, économique,
administrative et politique, inédite dans
l’histoire des guerres du XXe siècle.
Dès l’été 1940, la ligne de démarcation met
les Français dos à dos. En premier lieu, ils ne
savent pas très bien où passe la ligne de
démarcation, dans la mesure où le tracé
fourni par les Allemands est approximatif. À
l’échelon local, les préfets, sous-préfets et
maires attendent que le régime nouveau de
Vichy leur adresse des précisions. En réalité,
il faudra attendre la mise en vente des cartes
précises de l’IGN jusqu’au printemps 1942.
Les Allemands cultivent volontairement le
flou du tracé afin de le modifier à leur guise
et d’imposer en conséquence la loi du
vainqueur. Des millions de Français qui ont
fui pendant l’exode de mai-juin 1940
doivent, entre août et septembre, regagner
leur domicile en zone occupée, selon des
règles de passage très strictes. Pendant cette
période, la ligne est un carrefour où des
centaines de prisonniers évadés et des soldats
français – qui cherchent à se faire
démobiliser – passent d’une zone à l’autre,
ce dans l’illégalité. La SNCF doit aussi
réorganiser ses horaires en fonction des
temps d’arrêt pour le contrôle douanier et
policier allemand dans les gares de
démarcation, comme Vierzon, Chalon-surSaône, Langon, etc.
Les Allemands tentent de restreindre au
minimum les libertés individuelles en
utilisant la ligne de démarcation comme une
frontière. Un Ausweis (laissez-passer), très
difficile à obtenir, est obligatoire pour aller
d’une zone à l’autre, que ce soit à pied, en
voiture ou en train ; il est interdit d’envoyer
du courrier interzones dans un premier
temps, puis les Français ont la possibilité
d’envoyer des cartes avec des mentions
préimprimées à biffer, avant la création de
cartes familiales où un texte « libre » est
possible. Des milliers de retraités de la zone
non occupée ne perçoivent plus leurs
pensions, car les banques sont situées dans
l’autre zone ; les transferts de fonds
interzones sont interdits ou très surveillés ;
de nombreux Français ne peuvent plus
23
(insurrections de Paris et Marseille). Mais ce sont bien sûr les armées alliées qui
livrent les combats stratégiques face à l’ennemi. Nulle part les FFI, en infériorité
matérielle trop manifeste, ne sont en mesure notamment d’empêcher la réussite
globale de la retraite allemande et le rétablissement du front en septembre dans
l’Est du pays. Cependant, comparer les FFI aux armées régulières est biaisé. Ces
deux partenaires ne sont pas égaux : ce sont les Alliés qui ont assigné aux FFI
leur rôle en les lançant le 5 juin dans une guérilla sur tout le territoire sans leur en
avoir donné les moyens et en les armant tardivement et mal. Leur but primordial
était d’abuser les Allemands sur l’importance réelle de l’opération Overlord. Par
ailleurs, les résistants eux-mêmes ont aussi conçu leur rôle comme civique (faire
que les Français participent à leur propre libération) et politique (substituer à
Vichy les représentants du Gouvernement provisoire de la République française).
Or, il y a bien eu « levée en masse » à partir du 6 juin : le nombre des FFI passe
de 100 à 500 000 durant l’été, et à partir de l’automne près de 200 000 d’entre
eux continueront le combat, soit sur le front de l’Alsace, soit en gardant les
poches résiduelles de l’Atlantique. D’autre part, partout la Résistance a pris en
mains les rênes de l’administration sans opposition ni luttes internes, sans
l’anarchie ni la guerre civile redoutées par Roosevelt.
L’HÉRITAGE
Entre 1944 et 1946, la plupart des réformes prônées par le programme du CNR
sont appliquées, notamment les nationalisations et la généralisation de la sécurité
sociale. Encore faut-il, avec le recul, relativiser la portée de ces mesures :
certaines d’entre elles, comme le commissariat au Plan, sont dans la continuité de
l’avant-guerre et de Vichy ; d’autres, comme les nationalisations n’ont pas été
vraiment des réformes de structures ; le vote des femmes, lui, n’est qu’un
rattrapage. Quant au renouveau politique espéré, il a abouti à une « IIIe
République bis », au surplus avec les mêmes partis, certes renouvelés dans leurs
élites mais pas dans leurs programmes. Le projet de grand parti réformateur rêvé
par les résistants s’est brisé sur les oppositions classiques entre socialistes et
communistes, et seuls les démocrates-chrétiens s’unissent alors pour constituer
une nouvelle formation, le MRP. Au demeurant, les résistants eux-mêmes ont
rapidement réalisé, parfois avec amertume, le décalage entre le rêve d’une société
nouvelle qu’ils avaient caressé et les réalités de l’après-guerre. Toutefois ce
même recul permet d’apprécier le renouveau proprement inimaginable de la
France de 1944 par rapport au pays balayé en 1940, grâce à l’action de de Gaulle
et des résistants. Sur la scène internationale, la France se retrouve signataire à la
capitulation allemande, puissance occupante en Allemagne et titulaire d’un des
cinq sièges du Conseil de sécurité de l’ONU. De même, si en politique intérieure
l’effondrement de Vichy signe la disparition des courants antiparlementaire et
contre-révolutionnaire dans le paysage politique, la presse clandestine,
certainement la plus chargée de projets politiques de toutes les Résistances
européennes, et la propagande de la France libre ont joué un rôle essentiel dans ce
résultat. Par ailleurs, les luttes de la Résistance ont permis à toute une génération
de « décideurs » de prendre la relève, à des groupes sociaux comme les ouvriers,
au cœur des réformes de la Libération, de faire entendre leur voix, mieux qu’en
1936. Enfin, à un niveau plus profond encore, on peut penser que la mémoire et la
légende résistantes ont infusé dans la société une culture du risque qui contraste
avec les valeurs traditionnelles de prudence et de modération véhiculées par les
radicaux et la droite avant-guerre, et favorisé la modernisation de l’économie et
de la société française durant les Trente Glorieuses.
II. Collaborer
recevoir de chéquiers ou même de l’argent
liquide, car leurs comptes sont bloqués en
zone allemande. Bref, des dizaines de gestes
banals en temps de paix sont entravés et
deviennent quasi impossibles. Seuls les «
frontaliers », qui habitent dans un espace de
10 kilomètres de part et d’autre de la ligne,
peuvent bénéficier de laissez-passer spéciaux
pour aller travailler dans une zone, alors que
leur domicile est situé dans l’autre. Toute
l’économie locale est à réinventer en
s’adaptant aux nouvelles contraintes
territoriales. Souvent, la seule solution pour
voyager d’une France à l’autre est
d’emprunter la voie clandestine.
Dans la zone annexée, les occupants ont
l’intention de « germaniser » la région très
rapidement ; les Alsaciens appelés les «
malgré-nous » sont enrôlés de force dans
l’armée du Reich. Les Lorrains qui refusent
de se laisser faire sont expulsés en zone non
occupée par milliers en novembre 1940. Les
Allemands leur font franchir la ligne de
démarcation sans prévenir le régime de
Vichy.
À partir du printemps 1941, la pénurie
croissante de biens matériels et alimentaires
est autrement plus préoccupante pour les
Français.
L’état sanitaire de la population
Les conséquences sanitaires des pénuries
sont multiples. De 1941 à 1943, on note une
surmortalité chez les personnes âgées ou les
aliénés. La mortalité infantile augmente, la
sous-alimentation des mères entraînant une
mauvaise qualité de leur lait. Manque
d’hygiène et de savon se conjuguent pour
favoriser l’apparition de la gourme et de la
gale chez de nombreux écoliers. Les
hôpitaux et les dispensaires ne disposent pas
d’antiseptiques ou de produits pour enrayer
ces épidémies. Pour pallier les carences
alimentaires et les risques de rachitisme chez
les enfants, l’administration pousse au
développement des cantines scolaires et
distribue des biscuits vitaminés à l’école. En
1945, une enquête dans neuf grandes villes
constate un déficit moyen de 5 kilos pour les
filles et de 6 kilos pour les garçons, déficit
qui se comble à partir de 1947. À Paris, les
filles et les garçons de 13 à 14 ans ont perdu
de 7 à 11 centimètres en taille par rapport à
1935. L’un des rares points positifs est la
baisse significative de la mortalité par
alcoolisme.
III. Vivre sous l’Occupation
Parce qu’elle rompt le quotidien, la guerre brouille les repères habituels des
populations. À ce titre, la période 1939-1945 est révélatrice de ce banal qui
devient extraordinaire.
Dans cette course au mieux-être qui caractérise la société française au XXe
siècle, les années d’Occupation et d’après guerre constituent une mise entre
parenthèses d’un univers familier. Dans l’évocation des souvenirs des témoins
ordinaires, le quotidien revient comme un leitmotiv au détriment d’autres faits.
Le poids du banal, la présence de difficultés de toutes sortes ont perturbé l’ordre
24
des préoccupations et même relégué au second plan des hommes, ainsi que des
événements politiques et militaires décisifs (à l’exception de ceux qui en avaient
été les victimes). L’épopée de l’exode, la défaite de 1940, les restrictions ont
pendant longtemps été largement mémorisées, bien avant les conséquences de
l’armistice conclu avec les Allemands, la signature de la convention, cadre obligé
des relations franco-allemandes, la « Révolution nationale » ou le gouvernement
de Pierre Laval. Que dire du passage de la ligne de démarcation qui n’a cessé
d’alimenter les sagas familiales ou bien encore des multiples péripéties menées çà
et là pour obtenir un simple kilo de pommes de terre ! Phénomène de distorsion
de mémoire, de subjectivité dans l’évocation des faits, il n’en reste pas moins que
la pesanteur du quotidien a existé durant cette période et qu’elle mérite l’attention
de l’historien.
Le traumatisme de 1940 et ses conséquences
Un premier élément se dégage quand on examine la décennie 1939-1949, c’est
cette rupture avec une période de bien-être à laquelle la population avait fini par
s’habituer. On constate un point d’arrêt dans la marche au progrès qui
caractérisait la société de la première moitié du XXe siècle. La France et ses
habitants se trouvent ramenés cent ans en arrière, voire plus en certains cas, d’où
un changement perceptible dans les façons de vivre et de penser.
C’est en juin 1940 que tout commence réellement. Auparavant, la drôle de
guerre, ainsi qualifiée parce que, en apparence, il ne se passait rien, n’a pas
préparé la population à subir le choc de mai-juin 1940. Le réveil est donc brutal.
À cet égard, le traumatisme de 1940 doit être étudié à l’aune du quotidien pour
bien en percevoir les répercussions sur les mentalités. L’exode transforme les
habitants les plus sédentaires en nomades, jetant sur les routes huit à dix millions
de personnes. C’est un phénomène comparable à celui de la Grande Peur en 1789
où se mêlent la contagion, les rumeurs les plus incroyables. La seule vue de
familles du Nord fuyant l’envahisseur en emportant leurs biens les plus précieux
amplifie l’événement auprès de ceux qui voient passer autos bondées, chariots
surchargés, gens harassés. Tout cela fait boule de neige et propulse sur les routes
d’autres tribus familiales. « Ils seront là demain », la phrase se répand comme une
traînée de poudre. La contagion gagne la capitale où les automobiles chic avec
chauffeur se mettent en route les premières, bientôt suivies par des véhicules plus
modestes. Viennent ensuite pêle-mêle des voitures d’enfants, des cyclistes, des
piétons.
En quelques jours, c’en est fini du confort auquel chacun était plus ou moins
habitué. Les repères familiaux craquent, tout se délite. On assiste à une implosion
sociale. Le pays prend une allure différente. Les gestes les plus communs comme
manger, boire et dormir dans un lit deviennent difficiles à assumer dans ce chaos.
Les barrières sociales disparaissent, relayées par une vie communautaire où la
promiscuité, les mélanges sont parfois les garants d’une survie. « Un nivellement
uniforme égalise ces voyageurs de conditions si diverses » explique l’historien
Stanley Hoffman. Les conventions finissent par se relâcher. Préfigurant ce qui
allait suivre, le cadre de vie se rétrécit considérablement à la mesure du village ou
de la ferme où l’on s’est réfugié faute de pouvoir avancer. Dormir sous un toit,
fût-ce une étable, est vu comme une aubaine quand tant de gens doivent se
contenter de fossés. Ce phénomène de panique, on le retrouvera à l’identique
quatre ans plus tard en certaines régions, notamment en Normandie avec le
harcèlement des bombardements, au moment du Débarquement. À Caen, des
familles entières vivent plusieurs semaines terrées dans des grottes, des caves,
s’abritent dans des églises et font revivre les communautés à l’ancienne. À SaintLô, elles s’enfuient dans la campagne, se réfugient à l’ombre des haies. Le
manque d’informations suscite la formation de bobards. Le 17 juin 1940,
l’annonce de l’armistice se transmet par le bouche à oreille bien plus que par la
radio. L’arrêt des combats est ressenti comme un soulagement par une population
exténuée qui voit surtout se terminer son cauchemar.
Peu à peu, on découvre que la défaite et les conditions imposées par les
Allemands s’avèrent redoutables pour la vie de tous les jours et qu’il faut
apprendre à vivre autrement. Le vainqueur occupe les deux tiers du pays. En
application des clauses de l’armistice, le pays est déchiré par une ligne de
démarcation qui conditionne l’existence des Français. Selon que l’on est du bon
côté de la ligne ou non, l’espace de liberté change. Le pays est compartimenté en
plusieurs zones aux frontières difficilement franchissables. Cette nouvelle
géographie entraîne un changement d’échelle dans l’espace et dans le temps qui
retentit sur les manières d’être de chacun. Chaque région vit repliée sur elle25
même et ce cloisonnement perdurera longtemps, les destructions de routes et de
voies ferrées à la Libération accentuant le phénomène. Le pays revêt des allures
d’avant la révolution industrielle, les distances prenant une autre dimension. Des
villes, des villages jadis proches semblent tout à coup éloignés, faute de carburant
ou de voitures. En ville, des moyens de locomotion abandonnés, tel le fiacre, sont
remis à l’honneur, tandis que la bicyclette connaît une vogue sans précédent.
Communiquer et se déplacer sont laissés à l’appréciation du vainqueur qui
institue des règles strictes (système de cartes pré-imprimées, Ausweis). On a
beaucoup de mal à savoir ce qui se passe à cinquante ou cent kilomètres, d’où un
renforcement du repli sur soi. La propagande alimentée par la presse locale
exerce un rôle de premier plan dans lequel la censure joue à plein. Il y a un
rétrécissement du temps. Submergé par les problèmes quotidiens, le Français vit
au jour le jour. Penser à l’avenir lui demande un effort qu’il est parfois incapable
de surmonter. Il s’intéresse aux événements proches de lui, à ce qui touche sa
famille, son village, sa ville, voire son quartier, et ses jalons ne sont pas à la
mesure de l’Histoire avec un grand H. On le constate à travers le courrier où les
allusions à la politique sont quasi absentes.
Le temps des restrictions
La situation nouvelle engendrée par la défaite entraîne la désorganisation de
l’économie sur laquelle pèsent de lourdes contraintes. Le système de zones
provoque des changements. Ainsi les trois quarts de la production de blé, de
sucre, de beurre viennent de la zone nord, dont la zone libre dépend, ce qui
revient à dire que les Allemands sont les maîtres du jeu. En outre, le manque de
main-d’œuvre se fait cruellement sentir en raison du nombre de prisonniers de
guerre (sur près de deux millions, on compte sept cent mille actifs agricoles). S’y
ajoutent le blocus avec l’Angleterre, les prélèvements de tous ordres opérés par le
vainqueur, la France étant devenue le fournisseur attitré du Reich avec en prime
le versement d’une indemnité de 400 millions de francs par jour. On enregistre
une chute de la production qui varie selon les produits et le temps.
Face aux réquisitions allemandes et à la pénurie qui s’ensuit, le gouvernement de
Vichy n’est pas long à réagir. Quand on examine les multiples facettes du
quotidien, on est frappé par l’inflation législative sans précédent qui a touché la
réglementation de la pénurie ! La gestion de la vie courante occupe une place
importante chez ceux qui sont en charge des affaires de l’État1. Jamais la sphère
de la vie privée n’a connu aussi peu de marge de manœuvre qu’à cette époque.
Déjà, diverses mesures avaient été prises dès l’été 1940 pour réglementer la
ration de sucre, la vente de pain frais et la consommation de pâtes, de riz et de
savon. Le 23 septembre 1940, sous la pression des Allemands, l’État intervient de
façon autoritaire pour organiser la distribution des denrées alimentaires. La
population est divisée en catégories en fonction de l’âge et de l’emploi occupé,
qui donnent droit à une carte individuelle d’alimentation. Ainsi l’appartenance
sociale ne suffit plus à les désigner aux yeux de leurs semblables, la date de
naissance s’avérant au moins aussi importante. Des lettres apparaissent : E,
enfants de moins de 3 ans, et J, de 3 à 12 ans2 ; A, adultes de 12 à 70 ans, et T,
adultes effectuant des travaux pénibles ; C, cultivateurs. Ces lettres sont plus
qu’une simple hiérarchie, leur emploi dans un monde où seuls les critères sociaux
(bourgeoisie, aristocratie, employés, ouvriers, ruraux) servent de repères entraîne
un changement spectaculaire des mentalités. On en veut à ceux qui reçoivent des
suppléments. Ainsi, les cheminots, parce qu’ils sont classés en T, l’emportent sur
les employés de bureau, jusqu’alors qualifiés de « cols blancs », auxquels on
refuse tout supplément de nourriture. Le mécontentement ne cesse d’augmenter.
Des lettres anonymes dénoncent les privilégiés ou considérés comme tels, le
voisinage se montrant très actif en ce domaine.
En septembre 1940, la ration de base est la suivante : pain, 350 g par jour ; pâtes,
250 g par mois ; fromage, 50 g par semaine ; matières grasses, 200 g par mois ;
margarine, 200 g par mois ; viande, 300 g par semaine ; sucre, 500 g par mois ;
riz, 50 g par mois. D’après les calculs d’un nutritionniste de l’époque, cela
équivalait à 1 325 calories par jour contre 3 000 avant guerre. Au fil des mois, la
situation ne cesse de se dégrader, le pain devient de plus en plus noir, la ration de
viande diminue, etc. Si les rations de base sont les mêmes en théorie, on vit plus
ou moins bien suivant les régions. À Paris, en 1943, les tickets de rationnement
ne couvrent que la moitié des besoins alimentaires journaliers, soit 1 200 calories.
Certains départements agricoles, comme la Charente, la Vendée et la Vienne, ont
une caractéristique commune, celle d’être relativement privilégiés. Leurs
habitants s’en tirent plutôt bien. À l’inverse, une région comme le Languedoc,
26
voué à la monoculture de la vigne, est défavorisée et manque de tout. Il en est de
même pour la ville de Marseille qui, d’avril à juillet 1942, voit nombre de
familles modestes touchées par une sous-alimentation sérieuse.
Comme autrefois, le quotidien se réduit à l’obsession de la nourriture et
caractérise ce grand bond en arrière que l’on observe. Le « droit au pain » est un
droit au minimum vital en fonction duquel l’opinion réagit. Manquer de pain
devient synonyme de famine ; baisser la ration, c’est remettre en cause aux yeux
de la population l’essence même d’une vie décente, d’où l’importance accordée
aux récoltes de céréales. Les autorités locales administratives et religieuses
lancent des appels à la paysannerie pour qu’elle livre son blé. La propagande
intervient jusqu’à la presse enfantine où la moisson devient l’un des thèmes
privilégiés des histoires pour enfants. La « soudure » (analogie avec la France
d’avant la révolution industrielle) est la période critique, ainsi que l’objet de
préoccupations incessantes.
Autre référence à cette France de l’Ancien Régime, l’importance que revêt la part
de l’alimentation dans les budgets modestes et ouvriers. Comme autrefois, celleci occupe la plus grande partie du budget au point d’éliminer le reste. Elle
entraîne de vives réactions dans les milieux populaires. Ainsi, dans le Midi et
dans la banlieue parisienne, on relève des manifestations orchestrées par des
femmes. Hors du domaine privé qui est traditionnellement le leur, des ménagères
prennent la tête des cortèges de rue et investissent l’espace public pour montrer
leur désaccord avec la politique menée. Elles fustigent les municipalités, se
réunissent devant les mairies et réclament : « du pain pour nos enfants ».
Bientôt d’autres contraintes apparaissent. Dès l’automne 1940, le cuir fait l’objet
d’une sévère réglementation. La France doit prioritairement fournir au Reich six
millions de paires de chaussures à un moment où la production a bien du mal à
atteindre huit à dix millions de paires de chaussures à semelles de cuir. Dans ces
conditions, des bons d’achat sont institués par le gouvernement en janvier 1941 et
il n’est plus possible à la population d’acheter une paire de chaussures sans être
en possession de ces fameux bons. En juillet 1941, les bons sont remplacés par
une carte de chaussures. Jamais on n’aurait pensé descendre aussi bas ! S’agissant
des vêtements, on en arrive à une situation analogue. La loi du 11 février 1941
décide l’octroi à tout consommateur d’une carte comprenant un certain nombre
de points (cent points). Cette carte doit permettre l’acquisition, suivant un barème
strict entre les articles textiles et le nombre de points nécessaires. Une jupe
contenant de la laine équivaut à vingt points, une veste pour femme, à cinquante
points. Mais le gouvernement, tout-puissant en la matière, décide que dans un
premier temps seulement trente points seront honorés. Des cartes de charbon et
de tabac complètent le tout.
À l’image de la pénurie, une véritable culture de guerre apparaît, entraînant des
symboles forts en ville, comme les files d’attente qui s’allongent devant les
boulangeries, boucheries et épiceries. La queue devant les boutiques est
inséparable des restrictions, elle fait partie du paysage de guerre et de la vie de
tous les jours.
Elle possède aussi ses codes particuliers, car, pour se procurer de quoi manger, il
faut savoir attendre des heures entières. Mais la file d’attente, c’est aussi une
nouvelle forme de sociabilité, le lieu où circulent les nouvelles les plus
incroyables, le thermomètre de l’opinion publique. Espace potentiellement
explosif, ce qui s’y dit est révélateur du moment (cherté de la vie, pénuries de
toutes sortes, hostilité ou sympathie à l’égard du gouvernement de Vichy, des
Allemands, distribution de tracts de résistance). « On parle de tout, on entend de
tout dans la queue, c’est le chœur antique » note un observateur. Les gendarmes
ne se font pas faute de multiplier les rapports sur les humeurs, les ragots, les
réactions xénophobes qu’ils relèvent çà et là. Autre symbole révélateur de la
culture de guerre inséparable des restrictions en zone urbaine : le bouche à oreille.
Telle voisine vous fait savoir que tel cordonnier a du cuir d’avant guerre pour
ressemeler des chaussures. Aussitôt, on se précipite à l’adresse indiquée pour être
parmi les heureux élus qui, on l’espère, obtiendront satisfaction. Mais, à l’inverse,
la pénurie peut engendrer une certaine réserve, susciter la clandestinité. On
apprend à se taire, à se méfier même de ses plus proches amis. L’ère du secret se
superpose aux bobards, ce qui rend difficile la communication.
Chez les ruraux, les conditions de vie sont différentes. Ils vivent en «
autoconsommation » et, pour eux, les déficits ne sont pas alimentaires et se
caractérisent par le manque d’engrais, d’essence, de sulfate de cuivre pour la
vigne, de vêtements, en particulier de chaussures. Mais on les jalouse parce qu’ils
27
mangent à leur faim. Leur culture de guerre se situe sur un autre plan qui tient en
ces mots : troc, récupération, silence, la méfiance faisant partie intrinsèque de
leur comportement depuis des générations.
Les juifs sont traités comme des parias
L’existence de la population juive est brisée au fur et à mesure de la prise de
décrets et cumule les difficultés. La première ordonnance allemande mettant en
place le recensement des juifs est prise dès le 27 septembre 1940, le 3 octobre de
la même année, Vichy définit la condition des juifs en s’appuyant non sur la
religion mais sur la « race ». Appartenir à une famille juive modeste ne permet
pas d’améliorer son ordinaire par des achats parallèles ou l’envoi de colis
réguliers. Mais le pire est à venir, avec l’institution du port de l’étoile jaune (mai
1942) qui transforme les juifs en « parias », les rafles, comme celle du Vél’ d’Hiv
(juillet 1942), l’internement dans des camps (Pithiviers, Beaune-la-Rolande,
Drancy). Ceux qui se réfugient en zone libre, éliminés de la scène économique,
ont également des difficultés à se tirer d’affaire. Il en va de même des résistants,
dont la vie clandestine renforce singulièrement la précarité du quotidien.
Ripostes et systèmes d’adaptation
Le fait de ne plus avoir à sa disposition des ustensiles, même les plus courants,
marque une régression au niveau de la civilisation. Casser un verre, une tasse
devient un problème tant les difficultés sont grandes pour renouveler les objets de
base. Chaque geste du quotidien se double d’une démarche pour continuer à
survivre. On finit par s’accommoder à une situation qui se dégrade avec, en
corrélation, l’apparition de nouveaux modes de vie, de nouveaux comportements.
Les Français s’adaptent tant bien que mal.
Pour remédier au manque de produits de base, un vaste système de ripostes se
met en place, qui va de la riposte légale à la riposte illégale. Il y a la mise en
culture d’espaces publics en milieu urbain. À Paris, le jardin des Tuileries se
couvre de champs de pommes de terre. À l’image du retour à la terre prôné par
Vichy, le gouvernement encourage l’exploitation de jardins familiaux qui se
multiplient aux abords des villes. Ces jardins sont réservés aux pères de famille
nombreuses ou répartis entre les ouvriers de certaines entreprises. La Société des
jardins populaires de Roubaix distribue aux familles ouvrières des lopins de terre
ainsi que des semences qui permettent un appoint calorique non négligeable. Les
familles sont ainsi alimentées en légumes frais. Au total, 75 000 hectares sont
ainsi cultivés. Vichy se lance dans une politique d’assistance familiale et sociale.
Ainsi, des bureaux de bienfaisance encadrent étroitement ceux qui ont besoin
d’être secourus avec des « préférences » ou des « priorités » au premier rang
desquelles se trouvent les prisonniers de guerre, les mères de famille ou les
orphelins.
La solidarité familiale joue à plein de même que les attaches à la campagne. On
fait appel aux cousins du Poitou ou à l’oncle de Dordogne qui nourrissent les
leurs par l’intermédiaire de colis familiaux. Certains fermiers acceptent de
répondre à des annonces pour envoyer des colis à des citadins, moyennant une
solide contribution. On estime à plus de un million le nombre de colis expédiés
en 1942 (trois cents colis alimentaires sont envoyés par jour du bourg d’Évron, en
Mayenne, vers Paris cette même année). Ce qui fait la différence entre les
bénéficiaires, ce n’est pas tant le colis que le contenu. Celui-ci est nettement plus
nutritif quand il s’agit de familles riches. À Paris, une étude faite suivant les
arrondissements montre qu’il existe de grosses disparités entre le 16e et le 20e
arrondissement.
En ville, les petits élevages se multiplient. À Paris, on ne compte plus le nombre
de balcons transformés en clapiers. Un système d’échange ancestral très usité se
développe : c’est le troc. Très apprécié du monde rural, il prend des allures de
jamais vu auparavant. Une paire de chaussures de bonne qualité ou un pneu se
révèle la meilleure des introductions pour obtenir un kilo de beurre ou un
morceau de viande. Pour les non-fumeurs, le tabac s’avère une excellente
monnaie d’échange.
Autre pratique très répandue : le marché gris qui consiste pour un fermier à céder
à son entourage à petits prix des produits de la ferme. Il diffère du marché noir
qui repose sur la vente au-dessus de la taxe à n’importe quel prix de produits que
l’on ne trouve ni sur les étals ni dans les boutiques. Chaque fin de semaine voit
des hordes de cyclistes sillonner les fermes à la recherche d’un peu de beurre ou
de viande. Mais il n’y a aucune commune mesure entre les achats effectués pour
les besoins d’une famille et ceux que pratiquent les trafiquants pour alimenter les
restaurants de luxe. L’Église justifie « ces modestes opérations extra-légales qui
28
procurent quelques suppléments jugés essentiels aux familles ». De même, l’État
ferme les yeux, la loi du 15 mars 1942 sur le marché noir précise que « les
infractions qui ont été commises en vue de la satisfaction directe des besoins
personnels ou familiaux sont exemptes de poursuite ».
Le système D fait une entrée remarquée. Le mot lui-même signifie : se
débrouiller envers et contre tout. Il faut apprendre à faire du neuf avec du vieux.
Les magazines féminins offrent des solutions aux mères de famille, qui, faute de
pouvoir renouveler les vêtements, les recyclent. Des patrons leur sont proposés :
comment tailler dans un pardessus pour homme deux manteaux d’enfant ou
modifier un pantalon pour en faire une jupe, etc. Trois ou quatre morceaux de
tissu se transforment en une robe « mille morceaux » qui plaît aux femmes et
dont le succès est grand outre-Atlantique. Pour les coquettes dont les bas n’en
peuvent plus à force d’être reprisés et lâchent, une teinture est vendue dans les
bazars qui permet de dessiner un bas sur la jambe. Illusion garantie !
Des produits de remplacement (ou ersatz) sont mis sur le marché. Ils sont
nombreux en certains domaines, comme dans le textile où des avancées
importantes sont faites avec les fibres artificielles dont la rayonne ou la fibranne.
Non seulement la production augmente, mais encore des recherches sont faites en
laboratoire pour en améliorer la qualité. Les résultats s’avèrent décevants.
Apparaît aussi la saccharine remplaçant le sucre, les légumes déshydratés. Dans
la Mayenne, face au manque d’arachides, les fabricants envisagent d’utiliser les
pépins de raisin et le colza. Devant la pénurie de carburant, on voit se développer
en ville le vélo-taxi, sorte de pousse-pousse tiré par des cyclistes. Des concours
fleurissent, qui récompensent les meilleures trouvailles, les succédanés de café,
d'huile, etc. Les journaux de bricolage connaissent un succès sans précédent,
comme Tout le système D.
Une nouvelle société, des difficultés permanentes après 1945
Dans cette vie quotidienne déstabilisée, la morale est souvent mise à mal. Les
fausses cartes de pain sont très répandues et donnent droit à des suppléments que
l'on perçoit sans état d'âme excessif. Les jeunes entre 15 et 20 ans n'hésitent pas à
gagner de l'argent en se livrant à des combines plus ou moins honnêtes. Ils sont
experts dans la vente de fausses cigarettes en 1943 et continueront leurs trafics
avec les GI américains.
Longtemps une image prédominera, celle du paysan cupide qui a profité de la
situation. Même si la réalité est un peu différente, tous les ruraux n'ayant pas eu la
même attitude, on assiste à une reventilation des classes sociales. Durant la
guerre, Léon Werth comparait la classe rurale à une « nouvelle féodalité »
détentrice de pouvoirs, car elle possédait les biens de la terre : le beurre, les œufs,
la viande ; toutes marchandises qui, ayant disparu de la circulation, n'avaient pas
de prix parce qu'elles facilitaient l'existence. Cette domination ne disparaîtra pas
avec l'arrêt des combats. Les fermiers, dont le poids sur la production ne s'arrête
pas avec la fin de la guerre, sont qualifiés d'affameurs par des citadins accablés.
Le tableau que peint Jean Dutourd, dans Au bon beurre, des commerçants et du
marché noir reste longtemps d'actualité. Épiciers, boulangers, bouchers, ceux que
l'on nomme les BOF (beurre, œufs, fromage), copient désormais le style de vie de
la bourgeoisie. On voit certaines femmes franchir les portes de maisons de
couture qui autrefois leur étaient interdites et commander les plus beaux modèles
qu'elles paient avec des liasses de billets de banque. Leur langage et leur
comportement trahissent leurs origines devant des vendeuses ébahies.
Loin de se combler, le fossé entre les catégories sociales se creuse. Salariés,
rentiers et retraités, éprouvés par la baisse de leur pouvoir d'achat, vivent plus mal
que durant la guerre et s'inquiètent devant le coût de la vie. Les beaux jours de la
Libération terminés, une partie du pays, qui avait misé sur le départ des
Allemands pour que sa situation s'améliore, voit ses illusions s'envoler. Le bilan
est lourd : un million de sans-abri, deux millions et demi d'immeubles détruits,
dix mille ponts et plus de 20 000 kilomètres de voies ferrées ont disparu. Les
régions sont isolées les unes des autres. Aussi, le 8 mai 1945 n'entraîne-t-il pas
une explosion de joie comparable à celle de la Libération, d'autant qu'il coïncide
avec le retour de prisonniers de guerre qu'il faut accueillir et vêtir, et que l'on
découvre avec stupéfaction l'horreur des camps de concentration.
La pénurie est omniprésente dans les centres urbains et les cartes d'alimentation
restent encore en service : après avoir été supprimée, la carte de pain est rétablie
en janvier 1946 ; la dernière carte d'alimentation disparaîtra en 1949. La
désillusion s'installe. En 1945, en France, 65 % de la population non fermière ne
recevra que 50 à 70 % de ses besoins vitaux. Des disparités existent entre les
29
consommateurs de l'Orne et d'Ille-et-Vilaine et les familles parisiennes ou
marseillaises. Les premiers disposent de 3 146 calories en moyenne contre 2 285
et 2 427 pour les autres. Dans les grandes villes, il n'est pas question d'accorder
un quart de litre de lait aux J3 qui auraient besoin de calcium. La tuberculose fait
des ravages chez les jeunes et parmi les ouvriers.
Les conditions physiques et morales dues aux restrictions pendant la guerre ont
donc marqué toute une génération. Quelles que soient leurs opinions politiques,
qu'elles aient passé la guerre en zone libre ou en zone occupée, bien des
personnes, dans leurs témoignages écrits ou oraux, évoquent les manques en tout
genre et, en particulier, les difficultés alimentaires. Dans la mémoire collective, la
mémoire de la faim figure au premier plan.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
30
HC – L'Etat français (1940-1944)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
BO futur 3e : « EFFONDREMENT ET REFONDATION RÉPUBLICAINE
(1940-1946)
La défaite de 1940 entraîne le renversement de la IIIe République. Pétain et de
Gaulle illustrent les deux attitudes devant la défaite
militaire. On présente les conditions de l’armistice et on explique le renversement
de la République.
Le régime de Vichy, autoritaire et antisémite s’engage dans la voie de la
collaboration avec l’Allemagne nazie. La politique du régime de Vichy et sa
collaboration avec l’Allemagne nazie sont présentées en s’appuyant sur quelques
exemples de ses décisions et de ses actes.
En liaison avec la France libre, la Résistance intérieure lutte contre l’occupant et
porte les valeurs de la République. La Résistance est abordée à travers l’exemple
d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis. Une mise en perspective permet
d’expliquer la place de la France libre, ses liens avec la Résistance intérieure et le
rôle qu’elle a joué dans son unification.
Connaître et utiliser le repère suivant
- Appel du général de Gaulle : 18 juin 1940
- Régime de Vichy 1940-1944
- Fondation du Conseil National de la Résistance par J. Moulin : 1943
Raconter la défaite et expliquer ses conséquences, l’armistice et la fin de la IIIe
République
Décrire
- Quelques aspects de la politique du régime de Vichy révélateurs de son
idéologie
- La vie d’un réseau, d’un mouvement ou d’un maquis en montrant les valeurs
dont se réclament les hommes et les femmes de la
Résistance. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 3e actuel : « Une place particulière est
faite à l’histoire de la France : analyse du
régime de Vichy, rôle de la France libre et de
la Résistance.
Documents : Discours du Maréchal Pétain du
17 juin 1940. Appel du Général de Gaulle du
18 juin. Extraits du statut des juifs (1940).
Témoignages sur la déportation et le
génocide. Témoignages sur la Résistance. »
Activités, consignes et productions des
élèves :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
31
HC – Jean Moulin et le Conseil National de la Résistance
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Préfet de l’Eure-et-Loir en 1939 lors de l’invasion allemande, Jean Moulin,
adversaire résolu de l’Allemagne nazie, incarne l’unité de la Résistance française.
À travers le portrait de cet homme hors du commun, on brosse une brève histoire
de cette période.
Comment la vie et l’action de Jean Moulin expriment-elles un attachement sans
faille aux idéaux républicains ?
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
Michel Henri, Jean Moulin, coll. « Pluriel », Hachette, 1993 (1re édition, 1971).
Azéma Jean-Pierre, Jean Moulin, le politique, le rebelle, le résistant, coll. « Tempus », Perrin, 2003 (plus récent et évoquant
largement la problématique de la mémoire).
Ressources
Moulin Jean, Premier Combat, Éditions de Minuit, (1983) 2001. Seul livre écrit par Jean Moulin. L’édition de 1983 comporte, en
appendice, des documents intéressants : discours prononcé par le préfet Moulin pour le 150e anniversaire de la Révolution, lettres
de protestation adressées aux autorités allemandes, lettre de révocation, etc.
www.v1.paris.fr/musees/memorial/annales_musees/comunique_presse/com_moulin.htm#moulin
site du musée Jean Moulin dans le XVe arrondissement de Paris, dont le service éducatif propose un questionnaire qui peut
accompagner la visite du musée, ou, s’y l’on vit dans un lieu éloigné de la capitale, être complété à l’aide de pages web qui
comportent des documents originaux intéressants :
www.v1.paris.fr/musees/Memorial/expositions/expo_moulin2003.htm
L’excellent site sur l’histoire et la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en Rhône Alpes réalisé par des membres de
l’association des clionautes lyonnais : www.memoire-net.org/
Le discours de Malraux au Panthéon sur le site de l’INA :
www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&from=fulltext&full=malraux&datedif_annee1=1964&
num_notice=1&total_notices=13
Ouverture pour les élèves
Une nouvelle de Daenincks Didier, Les Chiens et les Lions, dans le recueil Cités perdues, Verdier, 2005.
Sur l’arrestation de Caluire, le film de Claude Berri, Lucie Aubrac, d’après les mémoires de cette grande résistante intitulées Ils
partiront dans l’ivresse, également accessibles pour des élèves.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Plusieurs articles dans L’Histoire dont Joutard Philippe et Lecuir Jean, « Jean Moulin au Panthéon », n° 242.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Problématiques
– Quelle part Jean Moulin prend-il aux débuts de la Résistance ?
En 1940, comme un certain nombre de Français isolés, Moulin veut « faire
quelque chose ». Après son limogeage, il cherche des contacts et décide de se
rendre à Londres pour rencontrer le général de Gaulle qu’il ne connaît pas. Il se
présente en ambassadeur spontané des mouvements de la résistance intérieure.
Moulin est donc, en 1940-1941, un résistant parmi d’autres, au demeurant peu
nombreux.
BO 1ère ST2S : « Combattre pour la
République : Jean Moulin.
La figure de Jean Moulin a valeur
exemplaire. Elle permet de mieux
comprendre les motivations de ceux qui
défendirent la République au moment où
celle-ci était menacée de l’extérieur et de
l’intérieur, et la nature de leur combat. »
– Pourquoi Jean Moulin incarne-t-il la résistance française ?
L’entrevue entre de Gaulle et Moulin d’octobre 1941 est décisive. Jean Moulin
devient l’ambassadeur officiel de la France libre auprès des mouvements de la
résistance intérieure. C’est son rôle dans la création du CNR et sa résistance à la
torture qui en font le symbole de la résistance unifiée.
BO futur 3e : « EFFONDREMENT ET
REFONDATION RÉPUBLICAINE (19401946)
En liaison avec la France libre, la Résistance
intérieure lutte contre l’occupant et porte les
valeurs de la République. La Résistance est
abordée à travers l’exemple d’un réseau,
d’un mouvement ou d’un maquis. Une mise
en perspective permet d’expliquer la place de
32
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Accompagnement 1ère ST2S : « Ce sujet n’appelle pas un traitement biographique
linéaire (de l’enfance à la mort sous la torture) mais plutôt une réflexion sur l’acte
de résistance et ses liens avec le combat républicain grâce et à travers la rencontre
avec un homme, ses choix, ses actes, sa formation, son destin. Si, pour
appréhender le parcours qui conduit ce jeune fonctionnaire de la République qui a
mené sa carrière avec maestria à devenir l’artisan d’une résistance unifiée, il est
nécessaire d’évoquer des éléments du contexte historique, de la guerre d’Espagne
au caractère antirépublicain du régime de Vichy en passant par la victoire du
Blitzkrieg, l’approche doit donc rigoureusement rester centrée sur Moulin.
Haut fonctionnaire, Jean Moulin n’est pas d’abord un « combattant de l’ombre »,
comme l’a fait remarquer Henri Michel dans une biographie. Mais il est l’un de
ceux qui se maintiennent à leur poste en pleine débâcle, afin de ne point « faillir à
son devoir », c’est-à-dire secourir les réfugiés, maintenir une autorité française
face à l’avancée des troupes allemandes, comme il l’affirme lui-même dans son
seul ouvrage autobiographique, Premier Combat, publié en 1947 par les soins de
sa soeur (l’étude de passages de ce livre constituerait une entrée efficace dans le
sujet d’étude). Il est aussi l’un des tout premiers à opposer directement une
résistance à l’occupant en refusant de signer des documents accusant injustement
des tirailleurs sénégalais d’avoir violé et massacré des femmes et des enfants. Ce
refus, au nom de son attachement à l’armée de la République et des valeurs
qu’elle incarne, lui vaut de subir des tortures physiques et morales durant de
longues heures. Cette expérience n’entame pas la force de ses convictions. Ces
dernières sont celles d’un homme qui a fait des choix politiques importants dès
les années 1930 (en intégrant le cabinet du radical Pierre Cot et en s’engageant
auprès de son ministre, en faveur de la République espagnole) : il réagit à des
circonstances dramatiques en combattant pour la défense des valeurs d’une
culture républicaine dont il est pétri. La perspective d’être à nouveau torturé
conduit le préfet d’Eure-et-Loir à tenter de se suicider car il pense qu’il ne pourra
plus s’opposer à ce qui est exigé de lui. C’est cependant le même homme qui,
rétabli et demeurant à Chartres jusqu’à sa révocation par Vichy en novembre
1940, multiplie les protestations auprès des autorités allemandes contre les
exactions des troupes d’occupation et qui, quelques mois plus tard, prend le
risque de rejoindre les Forces françaises libres à Londres puis celui d’être
parachuté dans le sud de la France pour unifier les réseaux du « peuple de
l’ombre ».
Il serait intéressant d’engager une réflexion sur la place de Jean Moulin dans la
mémoire nationale : pourquoi la (Ve) République en a-t-elle fait un héros
national, « panthéonisé » en 1964 ? Le panégyrique prononcé par Malraux lors de
la véritable liturgie républicaine organisée à cette occasion, et que les archives de
l’INA permettent d’entendre, est à ce titre un document de première importance
qui constituerait, lui aussi, une entrée efficace dans ce thème. La référence à Jean
Moulin dans les combats républicains ultérieurs peut aussi être montrée à partir
d’exemples comme celui de l’existence d’un « Club Jean-Moulin » animé
notamment par Daniel Cordier et qui était décidé à lutter contre un éventuel coup
d’État des militaires d’Algérie, y compris les armes à la main, pendant l’été 1958.
Serviteur de l’État, Jean Moulin a l’étoffe d’un homme d’État. Comme le dira
Malraux, il était capable de parler « le même langage à des instituteurs radicaux
ou réactionnaires », d’avoir la « rigueur […] pour exiger d’accueillir dans le
combat commun tel rescapé de la cagoule ». Il a donc su endosser une fonction
unificatrice à porter au crédit de ses convictions républicaines. »
A. UN SERVITEUR DE LA RÉPUBLIQUE
la France libre, ses liens avec la Résistance
intérieure et le rôle qu’elle a joué dans son
unification.
Connaître et utiliser le repère suivant
- Fondation du Conseil National de la
Résistance par J. Moulin : 1943
Décrire la vie d’un réseau, d’un mouvement
ou d’un maquis en montrant les valeurs dont
se réclament les hommes et les femmes de la
Résistance. »
Activités, consignes et productions des
élèves :
La réunion de Caluire
Elle est organisée dans l’urgence suite à
l’arrestation du général Delestraint, chef de
l’Armée secrète. Cette arrestation est
extrêmement préoccupante pour la résistance
et risque de la désorganiser. Il faut donc
réunir les principales composantes de la
résistance pour prendre des mesures
provisoires en attendant que de Gaulle
nomme un remplaçant à la tête de l’AS. Le
21 juin 1943 à Caluire sont arrêtés, en plus
de Jean Moulin, des responsables de grands
mouvements de résistance dans l’ex-zone
sud par le lieutenant SS Klaus Barbie, qui
dirige le service de renseignements et de la
répression contre la résistance à Lyon. La
résistance en zone sud peut être alors
définitivement démantelée si ces personnes
parlent sous la torture.
Cette affaire de Caluire a longtemps « pollué
» la mémoire de la Résistance pour reprendre
les mots de Jean-Pierre Azéma. Aujourd’hui,
les historiens replacent l’arrestation de Jean
Moulin dans le contexte des affrontements
politiques de la Résistance en mai-juin 1943.
En effet, la crise est alors ouverte entre Jean
Moulin et certains responsables de Combat
qui contestent les directives de Londres ainsi
que l’autorité du général de Gaulle. D’autre
part, Caluire fait suite à une longue suite de
succès allemands en matière d’arrestation et
de démantèlement de réseaux résistants. En
l’état des sources actuelles, tout porte à
croire que René Hardy fut bien celui qui
mena Klaus Barbie à Jean Moulin. En effet,
membre important de Combat, Hardy est
arrêté le 7 juin par les nazis, interrogé par
Barbie et relâché le 10 juin ; mais il cache
son arrestation à ses compagnons. Alors qu’il
n’est pas convoqué à la réunion de Caluire, il
y est tout de même envoyé à la demande de
Aubry (présent lui aussi à la réunion en tant
que représentant de Combat). Arrêté en
même temps que tous les autres participants,
il parvient à fuir. Interrogé en 1948 par les
services secrets américains, Klaus Barbie
affirme que Hardy lui a fourni la date et le
lieu de la réunion de Caluire, mais
l’authenticité de ces pièces d’accusation a été
contestée en 1950. Dès lors, soit l’on admet
que Hardy a trahi soit l’on considère que, filé
par des hommes de Barbie après avoir été
33
Jean Moulin fut d’abord un grand serviteur de l’État, un homme de dossiers,
capable de gérer des situations délicates. Jean Moulin fit carrière au sein de
l’administration préfectorale d’abord comme chef de cabinet du préfet de Savoie.
Les qualités de Jean Moulin furent vite reconnues puisqu’il devient sous-préfet en
1925 à l’âge de
26 ans (le plus jeune sous-préfet de France) et préfet en 1937 à l’âge de 38 ans (le
plus jeune préfet de France). Sous le Front populaire, il est chef de cabinet dans
un ministère, celui de l’Air, aux côtés du ministre radical Pierre Cot. Ce dernier
avait été sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1932 (Jean Moulin était
alors chef-adjoint de son cabinet), ministre de l’air dans le gouvernement
Daladier en 1933. Les expériences politico-administratives de Jean Moulin auprès
de Pierre Cot renforcent ses convictions républicaines et son attachement à la
défense de l’État. Il est chargé notamment en 19361937 de faire livrer dans le plus grand secret des avions français aux républicains
espagnols pendant la guerre civile.
Alors que la France est en pleine
débâcle militaire, que les civils du Nord et de l’Est de la France fuient devant
l’invasion allemande, il appelle au calme et au sang-froid, fait face à l’exode,
tente de donner confiance à la population, exprime sa confiance en la victoire. On
sait que durant plusieurs semaines le préfet de Chartres s’est démené pour
organiser les secours d’urgence.
Le 17 juin, c’est en grand uniforme de préfet qu’il reçoit sur le perron de la
préfecture d’Eure-et-Loir les autorités militaires allemandes dont les troupes
viennent de pénétrer dans Chartres. Il est l’une des seules autorités de la ville à ne
pas avoir fui devant l’ennemi. Il refuse de signer un document incriminant des
troupes françaises coloniales (sénégalaises) de massacres de civils. Jean Moulin
est guidé dans ses actions par son patriotisme, son attachement viscéral à l’État
républicain et à l’honneur de l’armée française : il n’envisage pas que la France
puisse être défaite et ne peut accepter qu’un document que lui impose l’ennemi
salisse l’armée de la République. Jean Moulin refuse de signer le papier qui
accuserait à tort les tirailleurs et cautionnerait le racisme des nazis. Cet acte
spontané marque son refus de se soumettre. Après une séance de tabassage,
Moulin tente de se suicider car il craint de ne pouvoir supporter d’autres épisodes
semblables. La tentative de suicide de Jean Moulin échoue, mais il garde de cet
acte une grande cicatrice le long de sa gorge. Il tente de la cacher le
plus souvent par une large écharpe qu’il enroule autour de son cou. Hospitalisé, il
reste isolé et n’entend pas l’appel du général de Gaulle, pas plus que la majorité
des Français. Néanmoins, Moulin restera en poste à Chartres jusqu’au moment où
Vichy limogera les préfets républicains car ils sont restés attachés au « régime
ancien », c’est-à-dire à la République que le nouveau pouvoir a abolie.
B. L’UNIFICATEUR DE LA RÉSISTANCE
Entre son limogeage et son départ pour Londres, Moulin a pris contact avec les
premiers mouvements de résistance qui s’organisent dans la zone non occupée où
il réside. Comme beaucoup de résistants de la première heure, il est d’abord isolé
et cherche des contacts au cours de l’année 1941 avant de décider de se rendre à
Londres pour informer de Gaulle des besoins de la Résistance intérieure. Jean
Moulin, avant de quitter Chartres en novembre 1940, avait pris soin de se faire
établir des faux papiers au nom de Joseph Mercier, professeur (pour plus de
sûreté, les initiales sont les mêmes que les siennes).
C’est sous ce nom qu’il se rend à Londres en octobre 1941. Il se présente à de
Gaulle comme l’ambassadeur spontané de ces mouvements et attire son attention
sur leurs besoins et leur dévouement à la cause de la libération. Les contacts étant
alors quasi inexistants entre l’intérieur et l’extérieur, de Gaulle doutait en effet de
la capacité des mouvements de la Résistance intérieure – nés en dehors de son
appel – à organiser des actions sur le territoire français. Ceux-ci se méfiaient de
cet officier issu d’un milieu conservateur. Moulin pense que des liens doivent être
établis : il a en mémoire l’isolement des républicains espagnols et leur défaite lors
de la guerre civile et veut éviter l’isolement de la résistance intérieure.
C’est de janvier 1942 à juin 1943 que le rôle de Moulin devient déterminant : il
contribue au renforcement de la Résistance intérieure et l’unifie sous l’autorité du
général de Gaulle. L’année 1943 constitue un tournant pour la Résistance car la
lutte armée se développe sur le territoire national, tandis que Jean Moulin réussit
à unifier la résistance intérieure sous l’autorité du général de Gaulle. La création
du « conseil de la résistance » (il ne s’appellera Conseil national de la Résistance
qu’après la disparition de son fondateur) marque l’apogée de l’action de Moulin
relâché, il a été le «conducteur involontaire»
du policier allemand vers la réunion de
Caluire.
A la demande du général de Gaulle, alors
président de la République, cette dernière
rend hommage à Jean Moulin en 1964 en
transférant ses centres au Panthéon. Cette
ancienne église en plein coeur de Paris est
depuis 1 885 définitivement consacrée au
culte des grands hommes de la France («Aux
grands hommes, la patrie reconnaissante »).
Lors de la cérémonie du 19 décembre,
retransmise en direct à la télévision, André
Malraux, ministre de la Culture, dans un
vibrant discours, un éloge funèbre, fait de
Jean Moulin le symbole, la figure
emblématique du combat héroïque de la
Résistance toute entière, une Résistance où
hommes et femmes firent preuve d’un
courage extraordinaire et de sacrifice, au
combat, face à la torture (Jean Moulin n’a
pas parlé malgré les souffrances qui lui ont
été infligées) ou dans les camps de
concentration. André Malraux rattache le
combat de Jean Moulin aux valeurs à la fois
incarnées par la Révolution française à
travers Carnot (la défense de la patrie
menacée) et par la République à travers
Victor Hugo (le peuple) et Jean Jaurès (la
justice sociale). Il insère donc le héros de la
Résistance dans une glorieuse lignée qui fait
de Jean Moulin l’héritier et le continuateur
d’une longue histoire de la République.
Cette photographie est toujours associée
à Jean Moulin, héros de la Résistance
certainement pour trois raisons.
D’un part, elle sollicite les représentations
que l’on a de la Résistance : celle de l’agent
de l’ombre, du résistant clandestin cherchant
à se fondre dans la masse, portant un
manteau sombre et un chapeau mou dont il
peut éventuellement baisser le bord afin de
masquer son regard tout en inclinant la tête ;
Moulin est contre un mur et c’est bien
souvent adossés à un mur qu’étaient fusillés
les résistants.
D’autre part, l’écharpe autour du cou évoque
(à tort) la cicatrice que portait Moulin après
sa tentative de suicide en 1940 et qu’il cache
par un morceau de tissu.
Enfin, il y a dans le regard de cet l’homme,
comme perdu dans ses pensées, quelque
chose de romantique ; inévitablement, on
projette sur ce beau visage encore jeune,
l’image, comme l’a si bien dit Malraux, de «
sa pauvre face informe du dernier jour », les
traces des souffrances endurées après des
heures et des heures d’un interrogatoire
d’une rare violence.
À cette photographie, la plus connue du
grand public, correspond une légende.
Pendant longtemps, elle a été datée
postérieurement à la tentative de suicide du
34
et de l’évolution de De Gaulle qui admet désormais le dialogue avec les partis
politiques et s’est engagé à restaurer la République. Le CNR se donne pour tâche
d’une part de préparer la Libération en luttant contre l’occupant, d’autre part et
surtout de préparer la France de l’après-guerre en élaborant un programme de
réformes politiques, économiques et sociales.
C. UN HÉROS ET UN MARTYR DE LA RÉSISTANCE FRANÇAISE
Comme tous les résistants, Moulin courait de gros risques ; après son arrestation à
Lyon, il est torturé, mais ne parle pas. La Résistance unifiée s’efforcera, après sa
mort, de préparer à la fois la libération du territoire et le rétablissement de la
République. Ce travail est effectué sous la présidence du successeur de Moulin,
Georges Bidault. On a pu dire qu’avant la fondation du CNR, il y avait des
résistants et qu’après, il y avait une Résistance. Cela ne signifie pas pour autant
que tous les conflits internes étaient apaisés.
En 1964, le président de la République Charles de Gaulle décide qu’un grand
résistant sera inhumé au Panthéon et deviendra la figure nationale de la
Résistance. Plusieurs personnalités répondent aux critères définis par le
gouvernement ; c’est Jean Moulin qui est finalement choisi, alors que la plupart
des Français ignorent encore les raisons de ce choix. Le secrétaire de Moulin,
Daniel Cordier, intitulera d’ailleurs la biographie monumentale qu’il lui
consacrera en 1989 L’Inconnu du Panthéon. C’est son rôle d’unificateur et son
courage sous la torture qui amènent, en 1964, le général de Gaulle, alors président
de la République, à décider le transfert de ses cendres au Panthéon. Il y représente
l’unité de la Résistance autour des valeurs républicaines : le patriotisme,
l’attachement à la démocratie et au service de l’État.
André Malraux décrit toutes les figures de la Résistance, hommes et femmes, qui
ont subi la torture, la déportation, l’exécution. Jean Moulin en est l’image
symbolique. Le discours fait référence aux valeurs républicaines : le patriotisme
avec les soldats de l’an II, l’idéal de justice sociale avec Victor Hugo et Jean
Jaurès, grandes figures du XIXe siècle. Pour Malraux, Moulin incarne donc la
continuité républicaine.
La mémoire de la Résistance se perpétue au Panthéon et à travers les monuments
érigés en l’honneur de Moulin. Le monument photographié se trouve à Caluire,
dans l’agglomération lyonnaise, où Moulin a été arrêté. D’autres monuments ont
été érigés ; des rues, des établissements scolaires, portent le nom du préfet
résistant. En 1981, quelques jours après son élection, François Mitterrand s’est
rendu au Panthéon pour une cérémonie républicaine : en déposant une rose sur la
tombe de Moulin, il affirmait la continuité de l’hommage à la Résistance.
17 juin 1940 pour expliquer l’écharpe, qui
dissimulerait alors la cicatrice. En réalité,
nous sommes en octobre 1939, et Jean
Moulin rend visite à sa mère et à sa soeur à
Montpellier. Il déjeune avec son ami
d’enfance Marcel Bernard, photographe
amateur, qui lui propose de faire quelques
clichés. Il fait froid ce jour là à Montpellier,
un bon mistral souffle sur la ville. Jean
Moulin met alors son pardessus, son feutre et
enroule une écharpe autour du cou. Et le
préfet de Chartres, en compagnie de son ami,
entame une promenade en ville. Arrivés près
de l’esplanade du Peyrou, Marcel Bernard
sort son appareil, mais estime que la lumière
n’est pas bonne. Il propose de descendre,
après le château d’eau, près des arches de
l’aqueduc, les Arceaux. C’est le dos contre
l’une des arches que Jean Moulin pose…,
sans le savoir pour l’éternité.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
En 1940, la résistance est embryonnaire : de Gaulle refuse l’armistice et appelle à
la poursuite du combat depuis Londres ; en France, quelques sabotages ont lieu,
quelques feuilles clandestines sont distribuées. Jean Moulin, préfet d’Eure-etLoir, s’oppose dès le 17 juin aux autorités d’occupation. Toutes ces initiatives
sont isolées et spontanées. C’est après son limogeage par le gouvernement de
Vichy, en novembre 1940, que Moulin commence à prendre contact avec les
organismes de résistance qui se sont mis en place dans la zone non occupée. Un
an plus tard, il se rend à Londres.
Jean Moulin incarne la Résistance française car son action a permis l’unification
de la résistance extérieure et des mouvements et partis politiques de la résistance
intérieure, sous l’égide du général de Gaulle : il est le premier président du CNR.
Son arrestation et sa mort symbolisent les risques encourus par les résistants dans
la France occupée.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
35
HC – Les femmes et la Seconde guerre mondiale
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Cf primaire
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Christine Bard, Les femmes dans la société française au 20° siècle, Armand Colin, 2001.
Françoise Thébaud (dir.), Résistances et libérations. France 1940-1945, Clio, Histoire, Femmes et Sociétés N° 1, 1995.
Dominique Veillon, La Mode sous l’Occupation, Payot, 1990 ; “ La vie quotidienne des femmes ”, in JP Azéma et F Bédarida
(ed), Vichy et les Français, Fayard, 1992, pages 629-639
Francine Muel Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Seuil, 1996.
Union des femmes françaises, Les femmes dans la résistance, Éditions du Rocher, 1977.
Fabrice Virgili, les tontes des femmes accusées de collaboration en France, 1943-1946, EHESS, décembre 1999.
Yannick Rippa. Les femmes, actrices de l'Histoire, Sedes, 1999.
Debilly Isabelle, Martinaud Claude, Madeleine Roux, Aux urnes Citoyennes, CRDP de Marseille, mars1995.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
"Les femmes dans la Résistance en France", actes du colloque international de Berlin tenu en octobre 2001
« Les Résistantes dans l'historiographie et la mémoire collective », actes de la journée d'étude organisée sur l'initiative du
G.R.F.M Groupe de Recherche Femmes-Méditerranée à Aix en Provence en décembre 2000.
Claire Andrieu “ Les résistantes. Perspectives de recherche ”, le Mouvement social, n° 180, juillet-décembre 1997, pages 69-96
Rolande Trempé et Marie-France Brive, “1943-1993 : L’Histoire sans parité. Où sont passées les résistantes dans l’histoire
nationale?”, Parité-Infos, n°2, juin 1993.
Marie France Brive “ L’image des femmes à la Libération ”, in La libération dans le midi de la France, Eché éditions, 1986, pages
389399
Fabrice Virgili,“Les tontes de la Libération en France”, les Cahiers de l’IHTP, n°31
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Histoire des femmes dans la Seconde Guerre mondiale, histoire de la “ sexuation
des politiques ”
Le poids de la guerre et des années noires a été souligné par Françoise Thébaud
dès l’introduction générale du cinquième volume de L’Histoire des femmes
consacré au XXe siècle ; la guerre est aussi le sujet du premier numéro de la
revue Clio, Histoire, femmes et sociétés. Des avancées ont été faites en France
dans trois domaines : la politique nataliste de Vichy, la place des femmes dans la
Résistance, les violences de guerre et le genre sous l’Occupation et à la
Libération.
Dans chacun des domaines évoqués, le point de vue peut être soit les politiques,
avec l’étude de “la sexuation des politiques de guerre”, c’est à dire comment les
gouvernants, les partis et les groupes utilisaient la symbolique de la division
sexuelle, soit “une histoire d’en bas ”- la vie des hommes et des femmes
ordinaires - soit les actions hors de l’ordinaire dans la Résistance (et dans la
collaboration) de femmes et d’hommes qui ne sont qu’une infime minorité. Ces
nouvelles approches posent des questions épistémologiques sur l’usage des
discours et des représentations et sur le rapport entre sources écrites et sources
orales.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Il ne s'agit pas de faire un cours sur les
femmes dans la Résistance mais d'identifier
dans le cadre d'un cours portant sur les
Français dans la Résistance les acteurs de la
Résistance contre l'occupant allemand, la
nature et la portée de leurs actions menées
individuellement ou collectivement et de
montrer dans le cadre d'une approche
comparative comment la répartition sexuée
des tâches peut être révélatrice des schémas
de représentations sociales de l'époque.
Pour aborder ce thème, une étude de cas à
partir d'archives locales sur la Résistance
intérieure dans une grande ville méridionale
et dans ses environs est proposée aux élèves.
Ces dernières années, les recherches des
historiens ont apporté un nouvel éclairage sur
la Résistance dans le sud de la France jusque
là sous estimée. Une Résistance surtout
urbaine dans un premier temps dont l'essor à
partir de 1943, n'aurait pas été possible sans
des bases solides préalables : les
mouvements Combat, Libération étant en
place avant l'Occupation. Cette étude de cas
privilégie la période se situant entre
36
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. Vichy, l’Occupation et la Résistance
Les travaux les plus récents portent sur l’examen des tensions entre les
représentations mentales et les réalités vécues, et également sur la déconstruction
de la catégorie “femmes” qui n’ont pas eu toutes la même expérience au cours
des années noires (différences sociales, géographiques - vie à la campagne ou à la
ville, dans la zone occupée ou dans la zone non occupée - , de nationalité
française ou étrangère) et sur les différentes formes du consentement, du refus,
ou, plus majoritairement, de l’accommodation aux difficultés du temps.
Le terrain – largement exploré, et depuis longtemps – est celui des
transformations dans la vie des femmes ordinaires : travail, rationnement,
nationalisation de la fonction maternelle peuvent caractériser les éléments
nouveaux dans cette histoire des temps de guerre, où l’importance démesurée
prise par les choses banales, mais vitales, instaure une véritable dictature mentale
et physique du quotidien. La prise en considération des civils et pas seulement
des militaires (officiels ou clandestins) dans l’histoire générale de la guerre donne
de la force à cet angle d’approche.
Du point de vue de la sexuation des politiques, l’ouvrage de Francine Muel
Dreyfus a posé la question classique de la rupture ou de la continuité, celle du
régime de Vichy avec la IIIe République. L’auteur s’appuie sur la profusion des
discours pétainistes à propos des femmes et de la famille qui dessinent une nature
féminine éternelle faite de renoncement, d’oubli de soi et de soumission. Le point
de vue peut être discuté du point de vue de sa méthodologie (les discours cités, de
nature très différentes, manquent de contextualisation et de chronologie) et de sa
conclusion qui privilégie la notion de rupture avec le régime précédent. Il reste
aussi à démontrer si et comment, pour les femmes et les filles, l’intériorisation du
modèle proposé s’est effectuée. Cette sociogenèse des représentations sociales ne
se préoccupe guère des vecteurs de leur diffusion et de leurs possibles effets.
Cependant en soulignant combien le régime de Vichy fut une période de
régression politique et sociale, de retour aux principes d’avant 1789 - tout en
étant lié aux enjeux nouveaux du bio-pouvoir et de l’amélioration de la “race” -,
Francine Muel Dreyfus a mis l’accent sur la nature même du régime de Vichy,
mais la propagande et le consensus nataliste chez les élites de l’entre-deuxguerres sont sous-estimés.
Vichy et les femmes
Parmi les facteurs de la défaite de 1940, la Révolution nationale du maréchal
Pétain compte explicitement l’esprit de « jouissance », la coquetterie,
l’individualisme des femmes, leur égalitarisme (désir d’instruction, de travail
hors du foyer…) qui les ont dénaturées, les ont éloignées de leur mission et qui
ont affaibli la nation. On attend d’elles une rédemption par la soumission au
nouveau pouvoir, le sacrifice aux intérêts supérieurs de la famille. Les mœurs des
femmes de prisonniers sont surveillées… La loi doit retenir la femme au foyer.
Les procédures de divorce sont rendues plus difficiles, la Fête des Mères, créée
en 1926, réactivée, la natalité est exaltée, l’avortement encore plus sévèrement
réprimé (une condamnation à mort). Par la loi du 11 octobre 1940, l’État français
tente d’imposer une sévère limitation du travail des femmes : l’embauche des
femmes mariées dans les services publics est interdite et la limitation de leur
travail dans les entreprises privées encouragée. La politique familiale suit :
l’allocation de salaire unique prolonge l’allocation de mère au foyer des années
1938-39. Ces mesures rencontrent l’approbation d’un éventail assez large
d’associations et ne présente pas de totale rupture dans ses principes avec la IIIe
République. Mais les principes du Maréchal Pétain se heurtent aux nécessités de
novembre 1942, date à laquelle la zone Sud
est occupée, et décembre1943. A cette date,
la Résistance change d'échelle passant, selon
Jean-Marie Guyon, de petits groupes plus ou
moins bien structurés à une Résistance de
"masse" capable de mobiliser des milliers de
personnes lors de manifestations ou de
grèves. Les documents choisis mettent en
avant une Résistance "vue d'en bas", urbaine,
armée et civile.
Activités, consignes et productions des
élèves :
UNE COMBATTANTE DE L’OMBRE :
LUCIE AUBRAC
Ils partiront dans l’ivresse paraît en 1984,
plus de quarante ans après les faits qu’il
rapporte. L’ouvrage se présente comme un
journal, écrit au jour le jour. C’est d’abord un
livre de souvenirs. Ceux d’une vie de jeune
épouse, de mère, de professeure, de
résistante dont les circonstances ont fait un
parcours atypique. En tant que document, il
présente les limites de tout ensemble de
souvenirs personnels.
Au début de la Seconde guerre mondiale,
Lucie Bernard se marie à un jeune ingénieur
juif, Raymond Samuel. Ensemble, ils
participent à la création et à l’organisation
d’un des premiers réseaux de résistance,
Libération-Sud. Elle écrit pour Libération,
diffuse le journal clandestin, sert d’agent de
liaison, puis participe, à partir de 1943 aux
actions plus dures qui permettent l’évasion
des résistants emprisonnés par Vichy ou par
les Allemands. L’arrestation de Raymond,
devenu l’un des chefs de l’Armée secrète,
aux côtés de Jean Moulin lors de l’entrevue
de Caluire, marque l’un des tournants de la
vie du couple. Raymond, dont la véritable
identité est inconnue des Allemands, est aux
mains du chef de la Gestapo à Lyon, Klaus
Barbie. Lucie réussit à le faire échapper au
terme d’une action particulièrement
audacieuse — celle-ci sert de toile fond au
film que consacre Claude Berri à Lucie
Aubrac (1997). Au début de l’année 1944, la
Résistance évacue le couple en Angleterre.
Devenue déléguée à l’Assemblée
consultative d’Alger, elle sera, au lendemain
de la guerre, la première Française
parlementaire. Dans ce même temps, elle
conçoit avec Raymond, ses deux enfants...
La Résistance, une affaire d’hommes ? Sans
doute ! Surtout si on affecte de ne la
considérer que sous l’angle exclusivement
militaire et guerrier. Mais voilà, Lucie
Aubrac se préoccupe d’abord du quotidien,
assure la garde de son bébé, fait la queue
pour obtenir les denrées désormais
rationnées et continue sa vie professionnelle.
La Résistance s’inscrit dans cette vie, sans
que les actions d’éclat ne puissent être
dissociées des joies et des peurs les plus
banales de la vie d’une femme. Et quand elle
imagine la ruse qui lui permet de faire évader
37
la réalité : la loi sur le travail des femmes doit être suspendue en 1942, par besoin
de main d’œuvre.
Les Résistantes : un rôle essentiel, un rôle mal reconnu
Des figures mythiques, des martyrs, un petit nombre de chefs, c'est une vision
épique de la Résistance qui a longtemps été proposée.
Rompant avec le discours commémoratif, les historiens orientent, depuis le
milieu des années 1970, leurs recherches vers une histoire plus globale de la
Résistance afin de saisir cette réalité sociale, politique, humaine dans toute sa
profondeur et sa complexité. Une série de colloques entre 1993-1996 autour du
thème «La Résistance et les Français» ont permis de faire le point sur le
renouvellement de la recherche. Les historiens se sont interrogés en particulier
sur le processus complexe des relations de la Résistance avec la société française,
la Résistance touchant les conduites individuelles ou collectives mais influe aussi
sur le fonctionnement du corps social dans son ensemble.
Ce regard nouveau sur la réalité sociologique de la Résistance a permis de
dépasser l'image d'une Résistance organisée, unitaire et combattante et d'aller audelà du clivage entre quelques héros et la masse des anonymes. Cette nouvelle
approche repose sur une redéfinition du concept de Résistance qui ne se limite
plus aux faits de guerre mais s'étend également aux actes civils.
Ce nouveau cadre de recherche a permis notamment de sortir de l'oubli les
femmes en historicisant leur participation à la Résistance et en prenant en
compte la différence sexuelle.
Depuis une quinzaine d’années l’histoire de la Résistance s’est considérablement
renouvelée : dépassement des mythes, pluralité des approches, mise à jour de
géographies et de chronologies multiples, et rapports entre la Résistance et la
société, tels sont les chemins récemment explorés.
Un constat s’impose : la Résistance n’est pas seulement une affaire d’hommes,
même si la participation des femmes à la résistance a été un phénomène
longtemps occulté à l’exception de quelques figures élevées au rang d’héroïnes
ou de martyrs (Lucie Aubrac, Danielle Casanova, Bertie Albrecht, MarieMadeleine Fourcade..). C’est une association politique, l’Union des femmes
françaises - et non les historiens/nes - qui a organisé en 1975 le premier colloque
sur Les femmes dans la Résistance . Les études quantitatives fondées sur la
reconnaissance officielle et les décorations soulignent la sous-représentation
féminine. La transgression et la rupture qui définissent l’acte de résister se sont
arrêtées, dans leur reconnaissance, au seuil du foyer. Pourtant la quotidienneté de
la Résistance est faite de la participation active des femmes et d’abord dans leurs
tâches ordinaires et familières d’entretien, de nourriture et de soins. Dans son
ultime phase, celle de la lutte armée, la Résistance a donné une place encore plus
grande aux hommes. Il n’y a pas eu de reformulation des rôles respectifs des
hommes et des femmes, pas de modèle alternatif - le programme du CNR (1944)
ne contient aucune indication sur la place des femmes dans sa préfiguration d’une
France nouvelle- alors que la période de la guerre, par les situations
exceptionnelles qu’elle engendre, est un temps de remise en cause des identités
de genre. A la Libération, c’est la fonction maternelle qui est valorisée dans la
reconstruction de la nation. Les femmes accusées de relations avec les Allemands
- quelle que soit la nature de ces relations -sont assimilées à des prostituées. Ces
représentations sont à l’origine des violences de guerre sexuées.
Le rôle des femmes dans la Résistance est donc le plus souvent un prolongement
des activités traditionnelles qui leur sont dévolues dans la sphère privée : nourrir,
soigner. Une division sexuelle des tâches pesante qui est un frein à l'exercice de
responsabilités par les femmes, missions traditionnellement confiées aux
hommes. Une seule femme est recensée comme responsable de maquis, deux
comme chefs de réseau. Cette codification sexuée peut occulter également le rôle
exact que les femmes ont pu jouer. Ainsi d'après des témoignages, Berthie
Albrecht aurait été bien plus qu'une simple "collaboratrice" et a sans doute eu une
influence politique auprès d'Henri Frenay au sein du mouvement Combat. Une
invisibilité pourtant dont les femmes ont pu tirer parti dans la vie clandestine
notamment en tant qu'agent de liaison.
L'étude des manifestations de ménagères contre les pénuries entre 1940 et 1944
mené par Jean-Marie Guillon soulignent la participation de ces femmes au foyer à
ces mouvements qui par certains traits rappellent les émeutes de subsistance
spontanées d'Ancien Régime, mais présentent aussi des aspects plus "modernes"
pour l'époque, ces manifestations étant organisées ou revendiquées par le Parti
son mari, c’est en se servant de sa condition
de femme enceinte. Pendant longtemps, la
Résistance féminine s’est résumé à quelques
figures exemplaires : Berty Albrecht ou
Danielle Casanova. Celles-ci ne s’étaientelles pas conduites comme des hommes !
Lucie Aubrac est une autre figure
emblématique, celle de ces combattantes «
ordinaires » que l’historiographie redécouvre
aujourd’hui.
Engagées dans des actions au nom des
mêmes valeurs que leurs père, frères ou
époux, elles n’en ont pas moins agi en
s’inscrivant dans les rôles sexuels que la
société attribuait alors aux hommes et aux
femmes. La Résistance y trouvait largement
son compte. Cependant à tout moment —
l’extrait choisi ci-dessous en témoigne — ces
mêmes combattantes « ordinaires »
pouvaient être renvoyées à l’inégalité «
ordinaire » des femmes de ce temps.
38
Communiste. Ces manifestations, qui se prolongent au lendemain de la Seconde
Guerre Mondiale, font que les femmes qui y sont impliquées ne se perçoivent pas
forcément, ni ne sont forcément perçues comme des Résistantes. Pourtant ce sont
bien là des actes de transgression collectifs révélateurs du basculement de
l'opinion de Vichy vers la Résistance.
L’approche classiquement guerrière de la Résistance a mis en valeur quelques
héroïnes emblématiques telles Bertie Albrecht ou Danielle Casanova mais a laissé
« dans l’ombre » les femmes ordinaires essentielles dans la logistique
(ravitaillement, liaison, convoyage, secrétariat, diffusion de propagande…). Leur
choix relève parfois d’une expression familiale (G. de Gaulle, Laure Moulin,
Lucie Aubrac…) ou d’une appartenance à un parti (communiste par exemple),
mais toujours d’une conviction personnelle. Dans ces rôles spécifiques,
indispensables et dangereux, elles risquaient leur vie, elles ont été réprimées,
exécutées et déportées, mais, discrètes dès la fin de la guerre, elles ont moins que
les hommes fait valoir leurs droits au titre de Combattant volontaire de la
Résistance ; 6 (pour 1024 hommes) ont eu droit au titre de Compagnon de la
Libération.
II. Violences de guerre et différence des sexes :
La question des “ cultures de guerre ” héritées de la violence a été récemment
posée par l’historiographie dans le cadre d’une comparaison entre les deux
guerres mondiales.
Les camps
En matière d’extermination, les femmes ont payé leur tribut sans discrimination
et rencontrèrent à leur retour la même difficulté que les hommes à « en parler ». «
Nous avons cherché à parler, mais nul n’a voulu entendre». Peut-être, par
exemple, peut-on mettre en parallèle l’écriture « lazaréenne » de Primo Levi et
celle de Charlotte Delbo.
Les tondues : un « carnaval moche » ? une reconstruction de la masculinité ?
La Libération, en revanche sait sanctionner la collaboration horizontale et mettre
en scène la punition de la trahison symbolique que représentaient les liens avec
l’occupant. Le corps des femmes appartient à la nation, il doit être désinfecté,
purifié et déféminisé par cette « cérémonie » ritualisée et humiliante, véritable
défoulement collectif qui participe de la « reconstruction de la masculinité » de la
Libération.
“Collaboration horizontale”, “collaboration intime”, ”collaboration sentimentale“,
les termes varient pour désigner l’objet du délit sanctionné par la répression
sexuée des temps de guerre.
Fabrice Virgili dans La France virile (2000) a montré qu’il s’agit d’un
phénomène de masse dans la quasi totalité des départements même s’il n’y a pas
eu d’appel national, pas de texte officiel, pas de politique publique déclarée des
tontes. On trouve cependant dans des journaux clandestins de la Résistance des
appels précoces à la flétrissure, tel celui publié en 1942 dans Défense de la
France ou encore en janvier 1944 dans celui de Femmes françaises, journal des
femmes communistes.
Cette violence a été exercée essentiellement contre des femmes (quelques cas
d’hommes tondus ont été recensés, assimilés ainsi au sexe féminin, forme de
double dégradation). La justice sexuée est mise en oeuvre par la résistance locale
et assumée par le voisinage. La population est moins complice et plus mal à l’aise
qu’on ne l’a parfois montré. Pour les femmes tondues, l’humiliation publique se
pérennise dans le local et marque les mémoires. Elle se prolonge donc dans le
futur.
Ces femmes ont été condamnées pour avoir disposé d’elles-mêmes et de leur
corps ; mais le corps des femmes est considéré comme symbole du corps de la
nation. La question des violences et des cultures de guerre ouvre donc des
perspectives nouvelles sur la période de l’Occupation et la Libération. Les
conclusions nous invitent à approfondir la question du genre attribué à la nation
et des variations historiques des identités de genre, leurs permanences ancrées
dans des traits culturels de longue durée, comme les changements introduits par
l’événement dans une conjoncture spécifique.
III. Identités de genre sous l’Occupation et à la Libération
Marie France Brive avait en 1986 attiré l’attention sur la question du masculin et
du féminin pendant et après la guerre. L’approche de la revue Modern and
39
contemporary France inclut les relations de genre, la construction de la
masculinité et de la féminité et la structuration des rôles masculins et féminins
des hommes et des femmes. Le recours aux sources littéraires et filmiques
contribue à approfondir l’analyse historique des représentations. La
dégénérescence est qualifiée de “féminine” et le salut des fascistes de “masculin”.
Le discours fasciste de Je suis partout insiste sur la reconstruction de la
masculinité dans un discours réactionnaire de la modernité et dans une nouvelle
définition de la citoyenneté.
Dans la même perspective théorique, Luc Capdevila a étudié la construction du
mythe du guerrier et de l’éternel masculin après la guerre. Il souligne que, à la
Libération - y compris dans les discours du général de Gaulle - l’association entre
virilité et redressement national était constante. La virilité avait été émoussée par
le déclin national perceptible dès les années 1930 et accentué par la défaite. La
Libération est donc un moment de reconstruction de l’identité masculine dans
l’épanouissement d’une culture guerrière et dans la mise en scène de la différence
sexuelle. Cette hégémonie du masculin est prégnante dans toutes les
représentations figurées de l’époque : affiches, films, photographies. A la
Libération l’identité masculine se reconstruit sous la figure du travailleur, du
guerrier et du père nourricier et l’identité féminine sous celle de la mère.
Par une ordonnance du 21 avril 1944, le général de Gaulle donne aux femmes les
mêmes droits civiques qu‘aux hommes. Le droit de vote est acquis parce que le
retard de la France par rapport aux pays alliés est trop important ? Parce qu’elles
ont participé à la Résistance ? Parce que le général de Gaulle pense que le vote
féminin lui sera favorable ? …
L’histoire de l’obtention du suffrage par les femmes en 1944 est relativement
récente mais bien établie, même si son interprétation varie selon les auteurs. Elle
n’a intégré l’histoire généraliste que sous la forme d’un droit accordé par le
général de Gaulle et pour services rendus à la Résistance. C’est l’article 17 de
l’ordonnance du 21 avril 1944, sur l’organisation des pouvoirs publics à la
Libération qui accorde - après des débats houleux à l’Assemblée consultative
d’Alger et un vote finalement majoritaire - le droit de vote et l’éligibilité pour les
femmes dans les mêmes conditions que les hommes. Pour Pierre Rosanvallon, il
s’agit de l’aboutissement d’un long processus qui conduit la femme à devenir un
sujet politique juridiquement autonome. Ce point de vue ne correspond guère aux
opinions des contemporains exprimées lors des élections d’après-guerre.
Associations, partis et Églises encadrent les premiers votes des femmes. Une
véritable pédagogie du suffrage leur est appliquée, accompagnée d’une injonction
au civisme. Le père ou le mari sont les intermédiaires culturels de cette
socialisation civique. L’opinion publique, la presse et même les politologues
considèrent que les femmes ne relèvent pas de l’universel-citoyen, mais ont des
caractéristiques identitaires spécifiques. La référence aux compétences et à la
nature spécifiques de l’électorat féminin est généralisée, y compris chez une
féministe comme Louise Weiss. On attend des femmes une régénération de la vie
politique et une contribution par leurs qualités propres à “l’ordre nouveau” de
l’après-Libération.
A la Libération les discours sur “la femme nouvelle” mettent en avant la
citoyenne et la représentante4. Une trentaine d’élues à l’assemblée nationale, une
sous-secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports pendant six mois en 1946, une
ministre (la première à porter ce titre) Germaine Poinso-Chapuis - désignée
comme titulaire du ministère de la santé en 1947, tels sont les fruits de la
Libération en matière de représentation des femmes dans la vie politique. Mais
très vite leur (faible) nombre décroît et la participation s’étiole jusqu’à la Ve
République - la “République des mâles” selon l’expression de Mariette Sineau dans laquelle être femme politique relève d’un destin d’exception.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Rappeler que leur participation à la Résistance justifie l’obtention du droit de vote
en 1945.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
40
HC – Le projet Manhattan : la science en débat
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Cohen Samy, La Bombe atomique, stratégie de l’épouvante, coll. « Découvertes », Gallimard, 1995.
Ressources
La lettre d’Albert Einstein au président Roosevelt, le 2 août 1939.
Albert Camus, éditorial de Combat, 8 août 1945, dans lequel il dénonce l’utilisation de la bombe atomique.
Ces textes sont accessibles sur le site : http://hypo.ge.ch/www/cliotexte//html/bombe.atomique.html
Une pièce de Heinar Kippardt, En cause : J. Robert Oppenheimer, L’Arche, 1967.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Il s’agit de voir que la guerre est un contexte favorable aux bonds scientifiques et
technologiques, mais qu’elle agit en retour sur la structure et les objectifs mêmes
de la recherche.
Problématiques
– Par quels moyens les États-Unis parviennent-ils à produire une bombe
atomique ?
Il s’agit de comprendre que les États-Unis partent de très loin lorsqu’ils se lancent
dans le projet Manhattan, mais qu’ils mettent en place une mobilisation
exceptionnelle des budgets et des moyens scientifiques.
– Comment la décision d’utiliser la bombe est-elle prise et quels sont les effets
des deux explosions ?
La bombe atomique est utilisée à deux reprises contre le Japon. Pourquoi Truman
décide-t-il de s’en servir ? Quels sont ses effets matériels et humains ? Quelles
sont les conséquences politiques ?
– En quoi le projet Manhattan a-t-il initié de nouveaux enjeux politiques autour
de la recherche fondamentale ?
La guerre sort la science de la spéculation abstraite et exige des applications
concrètes immédiates et efficaces (armes, transports, transmissions…). Aprèsguerre, les moyens déployés ont produit de tels effets que l’organisation et la
finalité de la science sont transformées.
Recherche sur des personnalités impliquées de près ou de loin dans le projet
Manhattan : Einstein, Oppenheimer, Szilard, Fermi.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Accompagnement 1ère ST2S :
« Le projet Manhattan (1942) est le nom de code du programme de recherche
mené au cours de la Seconde Guerre mondiale qui a permis aux États-Unis de
réaliser la première bombe atomique de l’histoire. Il est le point d’aboutissement
des recherches en physique nucléaire conduites depuis la fin du XIXe siècle. En
cela, la physique nucléaire, à la différence des autres sciences, suit un parcours «
exemplaire » : les découvertes y ont précédé les applications, alors que ces
dernières ont parfois précédé la connaissance par les scientifiques des conditions
précises de leur efficacité.
C’est un programme d’envergure, très coûteux, mobilisant de très nombreux
scientifiques américains et européens qui, à cette occasion, collaborent de façon
intense. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, la fuite vers les États-Unis de
scientifiques, notamment de confession juive, est décisive pour la mise en oeuvre
Les recherches sur la radioactivité
aboutissent dans les années 1930 à
l’hypothèse de la possibilité d’une réaction
en chaîne. Le contexte international conduit
les milieux scientifiques à envisager une
application militaire pour cette découverte.
La communauté scientifique européenne,
massivement exilée aux États-Unis, se met
au service du « projet Manhattan », car elle
craint que l’Allemagne nazie produise la
bombe atomique. La rencontre de cette
richesse scientifique avec la puissance
financière et industrielle des États-Unis
BO 1ere ST2S : « On présente le projet
Manhattan. On montre à cette occasion que
l’utilisation de la science et de l’innovation
technique soulève également la question de
la responsabilité des scientifiques. »
41
du projet Manhattan. Le projet utilise aussi une masse de connaissances issues
des sciences et des techniques industrielles (métallurgie, génie chimique). Son
objectif est d’aboutir à la conception, à la production et à l’explosion de trois
bombes atomiques selon des étapes clairement établies. La science est placée
sous la tutelle militaire ; de ce fait la règle du secret s’impose. La réalisation, en
un temps record, du projet Manhattan démontre les possibilités qu’offre un
programme de recherche coordonné par l’État (en l’occurrence américain, assisté
du Canada et du Royaume-Uni). À cette occasion naît un nouveau modèle de
recherche qui combine recherche fondamentale et recherche appliquée, recherche
militaire et recherche civile, le tout soutenu par des financements publics.
Dès le début du projet, des interrogations éthiques naissent dans le milieu
scientifique. Elles sont vite balayées par les nécessités de la guerre totale. Des
savants hostiles en temps de paix au développement du nucléaire à des fins
militaires modifient leur prise de position (cf. la lettre Einstein-Szilard-Wigner à
Roosevelt, août 1939). Mais avant son achèvement, ce programme suscite à
nouveau des interrogations. Faut-il avoir recours à cette arme de destruction
massive alors que l’Allemagne a capitulé au printemps 1945 et que la victoire
paraît proche ? Au cours de l’été 1945, les savants confrontés à la mort de 200
000 Japonais prennent conscience de leur responsabilité. Des scientifiques
américains dont Oppenheimer, un des chefs du projet Manhattan, font pression
pour obtenir une autorité civile de régulation et réclament un contrôle
international des armes nucléaires (1946, loi Mac-Mahon). L’opinion publique
revendique une place dans les débats qui se développent autour de l’usage de la
technologie nucléaire. Les politiques et les militaires ne peuvent plus décider
seuls. »
– Les progrès de la recherche sur la fission nucléaire combinés à la menace d’une
Allemagne nazie dotée de l’arme atomique persuadent des scientifiques de
renommée internationale que les États-Unis doivent se lancer dans la course à la
fabrication de la bombe. Dès 1939, des physiciens comme Léo Szilard et Albert
Einstein tentent de convaincre le Président Roosevelt de lancer un programme de
grande envergure. L’entrée en guerre des Etats-Unis entraîne en 1942 le
lancement du projet Manhattan, gigantesque programme scientifique, militaire et
industriel, auquel sont associés des savants de toutes nationalités travaillant sous
la direction du physicien Robert Oppenheimer dans la ville-laboratoire de Los
Alamos.
– En 1945, le projet aboutit : les États-Unis possèdent la bombe. Mais les savants
se divisent sur la question de son utilisation. Certains souhaitent une
démonstration scientifique destinée à convaincre le Japon de capituler. D’autres
sont favorables au bombardement d’une ville japonaise, pour hâter la fin du
conflit.
– Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, la communauté
scientifique est partagée face aux projets de perfectionnement des armes
atomiques dans un contexte de guerre froide où un conflit entre les États-Unis et
l’URSS n’est pas à exclure. Certains scientifiques servent leur gouvernement et
travaillent à la mise au point d’armes de plus en plus puissantes. D’autres refusent
de travailler sur la bombe à hydrogène ou prennent position pour une interdiction
des armes atomiques.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
aboutit au plus spectaculaire programme
scientifique de tous les temps.
À l’été 1945, la guerre est terminée en
Europe et se poursuit contre le Japon, réduit
à son archipel et à quelques territoires
asiatiques quasi isolés par la domination
aérienne et navale des États-Unis. C’est le
moment où le projet Manhattan touche au
but et où trois bombes atomiques sont
produites. Malgré plusieurs signaux envoyés
par Tokyo via des ambassades neutres quant
à la volonté du Japon de sortir du conflit,
Truman décide d’utiliser la bombe. Il s’agit
d’épargner des vies américaines en abrégeant
la guerre, d’imposer une capitulation sans
condition, mais également de marquer
l’emprise américaine sur l’Asie contre
d’éventuelles visées soviétiques. Les deux
explosions rasent les villes et tuent des
dizaines de milliers d’habitants, mais elles
contaminent également pour de longues
années la population locale soumises aux
effets de la radioactivité.
Les explosions sur Hiroshima et Nagasaki
montrent à l’évidence qu’une grande
puissance est un pays capable d’utiliser la
science à des fins militaires. Dès ce moment,
la recherche fondamentale est dirigée par les
États : budgets, personnels, objectifs, tout
concourt à l’efficacité militaire. Dans ces
conditions, les résultats les plus innovants et
les plus spectaculaires ne sont plus issus de
la science théorique ou de la pratique
expérimentale menée dans de modestes
laboratoires universitaires.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
42
HC – De 1945 à 1949, la naissance d'un nouvel ordre mondial
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
COURTOIS Stéphane et WIEVIORKA Annette (dir.) , L’État du monde en 1945, Paris, Éditions La Découverte, 1994.
D. Colard, Les Relations internationales de 1945 à nos jours, Armand Colin, Paris, 1999.
VAÏSSE Maurice, Les Relations internationales depuis 1945, Paris, coll. « Cursus », Armand Colin, Paris, 2002, 8e édition.
Soutou Jean-Marie, La guerre de cinquante ans. Les relations Est-Ouest 1943-1990, Fayard, 2001.
J.-P. Azéma, F. Bédarida (dir.), 1938-1946. Les années de tourmente. De Munich à Prague. Dictionnaire critique, Flammarion,
1995
MASSON Philippe, Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale, 2 tomes, Paris, Éditions Larousse, (1979) 1992.
NOUSCHI Marc, Bilan de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Éditions du Seuil, 1996.
SENARCLENS (de) Pierre, Yalta, Paris, Éditions PUF, collection « QSJ », 1990.
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Sur Nuremberg :
Le site le plus fourni et pertinent est celui du projet «Avalon» de l’université de Yale : www.yale.edu/lawweb/avalon/imt/imt.htm
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
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A. Kaspi, « Controverse : fallait-il bombarder Hiroshima ? », L’Histoire, n° 32, mars 1981.
La Déclaration universelle des droits de l'homme, TDC, N° 763, du 1er au 15 novembre 1998
Nuremberg et après, TDC, 1991.
L’ONU, entre espoirs et déboires, TDC, 1994.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
Accompagnement Tle :
« Introduction : le monde en 1945
L’introduction dresse un tableau du monde à l’issue des combats. Il inclut
Socle : Ajout dans les repères
1948 : la Déclaration universelle des droits
de l’homme
43
l’évaluation du coût global du conflit, l’analyse du planisphère géopolitique – qui
révèle la nouvelle hiérarchie des États et l’émergence d’une bipolarisation –, le
projet et les premiers pas de l’Organisation des Nations unies, qui vise à éviter le
retour des engrenages des années 1930 et incarne l’espoir d’un monde meilleur. »
1945 se trouve à la croisée des chemins du siècle : le monde européen y jette ses
derniers feux et le monde bipolaire s’y construit. L’intérêt historique de ce bilan,
ce qui le rend dynamique, est de montrer ce double mouvement à travers la
dernière année de la guerre. D’une part, la perte de prestige des vieilles
puissances européennes. Et, d’autre part, la montée en puissance des deux
Grands. La vieille SDN, sise à Genève, laisse place à la jeune ONU, installée à
New York.
L’historiographie récente s’est nourrie de travaux sur « les sorties de guerre »,
que ce soient celle de 1918 ou celle de 1945, de transition entre la guerre et la
paix. L’attention s’est ainsi portée sur les dynamiques démobilisatrices
(notamment le problème de la démobilisation culturelle en fonction des
expériences de guerre ou du vécu des violences), sur les phénomènes d’épuration
légale ou spontanée mais toujours inachevée, sur les processus de reconstruction
aussi bien au plan matériel, économique, politique que culturel, ou même
psychologique avec la constitution de mémoires spécifiques et évolutives. Pour le
second conflit mondial, il reste important d’insister sur la victoire de
l’antifascisme, tout en signalant l’émergence d’un monde bipolaire. Attention
cependant à ne pas sombrer dans la téléologie :Yalta n’est pas « le partage du
monde », la guerre froide ne commence vraiment que vers 1947.
Le Moyen-Orient n’est pas un espace géographique clairement identifié et
délimité, mais il est devenu un objet d’étude historique de plus en plus autonome.
Une abondante bibliographie est maintenant consacrée à cet espace dans son
ensemble. L’historiographie actuelle est marquée par les débats au sein du monde
universitaire israélien sur la naissance de l’État d’Israël. De « nouveaux historiens
», qui forment un groupe disparate malgré cette appellation générique, ont remis
en cause, depuis la fin des années 1980, les mythes fondateurs de la naissance
d’Israël qui constitue encore dans le pays une vulgate scolaire assénée dès le plus
jeune âge : le slogan sioniste «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre»,
repris depuis cinquante ans comme une évidence dans la société israélienne, est
amplement remis en question. Les nouveaux historiens, comme Ilan Pappé et
Benny Morris, ont mis à jour dans les archives israéliennes les preuves d’une
politique d’expulsion des Palestiniens par les milices sionistes et l’armée du jeune
État d’Israël, rejoignant ainsi, en les modérant toutefois, les conclusions des
historiens palestiniens comme Elias Sanbar. Cette polémique sur les origines
d’Israël et sur son attitude à l’égard des Palestiniens a débordé des cénacles
universitaires pour agiter la société israélienne, comme en témoignent les
nombreux articles polémiques du Jérusalem Post et de Haaretz. Le réalisateur
Amos Gitaï en a même fait l’objet d’un téléfilm, «The House» qui relate le destin
d’une demeure palestinienne. Plus personne en Israël n’ignore aujourd’hui le nom
de Deir Yassine, village palestinien dont la population a été massacrée le 9 avril
1948 par des milices sionistes profitant de la passivité des troupes régulières
juives.
BO 1ère STG « Guerres et paix (1914-1946)
SUJETS D’ETUDE
- Les grands procès après la Seconde Guerre
mondiale
On s’intéresse aux procès qui suivent la fin
de la Seconde Guerre mondiale en France, en
Allemagne (Nuremberg), au Japon
(Tokyo). »
Accompagnement 1ère ST2S :
« Les grands procès après la Seconde Guerre
mondiale
La seconde entrée incite à réfléchir à la
délicate question des « sorties de guerre » :
comment passer de l’arrêt des hostilités à une
paix fondée sur l’adhésion des peuples ? Il
apparaît que le travail de deuil ne peut être
conduit sans satisfaire à l’exigence de
justice. Celle-ci passe par l’organisation de
procès qui impliquent de définir les crimes
avant de condamner les coupables. Le
tribunal militaire international de Nuremberg
(20 novembre 1945 – 1er octobre 1946)
constitue une innovation décisive pour
l’élaboration d’un droit pénal international
avec la définition des crimes et le recours à
des documents, notamment des images, afin
de mettre en accusation le système nazi. Il
sert en partie de modèle au tribunal qui siège
à Tokyo du 3 mai 1946 au 12 novembre
1948 : seuls les crimes contre la paix commis
par les généraux et hommes politiques
japonais sont concernés. L’Assemblée
générale des Nations Unies a confirmé le 11
décembre 1946 «les principes de droit
international reconnus par le Statut du
tribunal de Nuremberg et par le jugement de
celui-ci » et leur a donné une valeur
permanente (Résolution 95(1), Assemblée
générale, Nations Unies). »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Le choix d’un programme commençant à la fin de la Seconde Guerre mondiale
engage à voir le bilan de la guerre comme une matrice des conflits idéologiques
(dans le cadre de la guerre froide et de la décolonisation) et des logiques
économiques de plus en plus mondiales. Cette guerre totale constitue une rupture
pour le monde : les moyens de destruction mis en oeuvre pendant le conflit n’ont
jamais été aussi importants, un affrontement idéologique a déchiré le monde, le
rôle des États a été remis en question et, matériellement, la victoire des Alliés se
fait au prix de pertes lourdes. Dresser un tableau du monde à l’issue des combats,
c’est donc à la fois évaluer le coût global du conflit mais aussi comprendre la
nouvelle donne géopolitique qui surgit de la guerre et qui révèle la nouvelle
hiérarchie des États (l’émergence d’une bipolarisation) et enfin voir les stratégies
d’apaisement – sinon de paix – qui se mettent en place au sortir de la guerre. Pour
autant, il faut éviter de faire du déterminisme en faisant de la guerre froide
L’expression « Année zéro » évoque-t-elle la
« table rase », dont on peut réactiver la
notion grâce à des expressions comme «
Allemagne, année zéro » (titre du célèbre
film de Rossellini) ou «Ground Zero » (raser
jusqu’au niveau du sol, expression qui
définissait l’objectif des bombardements
stratégiques, par exemple sur Dresde ou
Hiroshima), une totale rupture, une complète
abolition du passé ? Ou active-t-elle une
référence à « l’an I » des calendriers qui, par
leur numérotation même, annihilent le
moment zéro et, de ce fait, insistent plus sur
44
naissante la continuité logique de l’année 1945.
I. Le coût du conflit
Les victimes de la Shoah
Tableau tiré de la thèse de Raoul Hilberg, soutenue en 1952, publiée en 1961 et
traduite en français seulement en 1988. L’auteur, Juif autrichien réfugié aux
États-Unis en 1940 à l’âge de 14 ans, est engagé volontaire dans l’armée
américaine. Il entre à Munich en avril 1945 avec la 45e division d’infanterie US.
Il récupère alors des caisses d’archives abandonnées par les nazis : sa vocation
d’historien est née. Dans sa thèse, il s’appuie uniquement sur les données
administratives, à la différence d’autres historiens (comme Claude Lanzmann
dans Shoah) qui s’appuient sur des témoignages oraux. Hilberg insiste sur
l’efficacité de la machine à isoler et à détruire, reposant sur l’administration,
l’armée, l’économie et le parti nazi.
On ne connaît pas le nombre exact des victimes, mais des estimations ont été
établies à partir des archives allemandes (très bien tenues) et des sources par
pays. Certaines données sont très fiables (France, Belgique, Italie), d’autres sont
plus incertaines (Pologne, Roumanie, URSS), du fait, en particulier, des
modifications de frontières. C’est à l’Est (la « Shoah par balles ») et dans les
Balkans que la Shoah a été la plus meurtrière. À l’inverse, certains États ont
œuvré plus ou moins activement pour sauver leur population juive. En août 1943,
les autorités danoises ont ainsi organisé le passage clandestin en Suède de la
presque totalité des Juifs danois. En Italie, la politique d’extermination fut
tardive, menée en grande partie dans la partie de l’Italie occupée par les troupes
allemandes à partir de 1943. De tous les pays soumis à l’Axe ou alliés de
l’Allemagne, seule la Bulgarie refusa d’exterminer les Juifs : seuls 4 221 Juifs de
Thrace furent déportés, tandis que les Juifs bulgares furent protégés par le
gouvernement et la population. Le tribunal de Nuremberg a accrédité le chiffre de
six millions de morts juifs du fait de la Shoah.
«Gravez ces mots dans votre coeur »
L’oeuvre de Primo Levi offre à l’historien un puissant appui dans la difficile
tâche qui consiste à étudier et à faire étudier le génocide perpétré pendant la
Seconde Guerre mondiale. Ses deux ouvrages, Si c’est un homme (1947) et Les
naufragés et les rescapés: quarante ans après Auschwitz (Gallimard, 1989), ne
sont pas uniquement de formidables témoignages. Ils constituent également un
appel à étudier et à enseigner l’histoire de la Shoah en confrontant le devoir de
vérité et le devoir de mémoire, ainsi que le souligne Jean Dujardin :
« La Shoah, l’événement est encore là, présent dans toute son horreur, indicible et
inimaginable. Les questions qu’il pose à la conscience humaine sont redoutables.
Non en elles-mêmes – il est normal, en effet, de se demander qui a fait cela,
comment cela a été possible et pourquoi on l’a fait –, mais parce que chacune de
ces questions ouvre un abîme d’interrogations sous nos pas. On voudrait se taire.
Mais l’historien, quels que soient ses sentiments, ne peut se contenter d’une telle
attitude. Il doit savoir, chercher à comprendre, expliquer. Cependant, il peut
partager en tant qu’homme le sentiment de Primo Levi : « Peut-être que ce qui
s’est passé ne peut pas être compris, dans la mesure où comprendre est presque
justifier… Si comprendre la haine est impossible, la connaître est nécessaire
parce que ce qui est arrivé peut recommencer, les consciences peuvent à nouveau
être déviées et obscurcies… la nôtre aussi. » […] Par l’ampleur des questions
soulevées, la Shoah est un fait dévastateur pour la civilisation et pour la
conscience humaine. On peut, et on doit étudier l’événement comme un fait
circonscrit dans l’histoire, et ne pas céder à la mise en garde du témoin Elie
Wiesel : « On ne peut expliquer Auschwitz, parce que l’Holocauste transcende
l’histoire», ni à celle du théologien protestant Karl Barth : «Expliquer le mal,
c’est effacer le scandale ; c’est d’une certaine façon l’accepter comme naturel,
comme inévitable ; expliquer le mal, c’est au fond le nier ». Malgré la prudence
qu’il convient d’observer à l’égard de toute idée de leçon en histoire, il n’est pas
interdit de voir dans cet événement, du fait de sa nature et de son ampleur, un
avertissement pour toutes les sociétés tentées par une dérive totalitaire. Il faut
«mettre l’humanité en face de la réalité nue», disait le résistant français Pierre
Kaan ; mais on doit aussi écouter Primo Levi, lorsqu’il écrit dans Les naufragés
et les rescapés : «Les vérités qui dérangent rencontrent un chemin difficile
la volonté de regarder vers l’avenir, depuis
un moment particulier, dont la valeur de
référence suppose l’entretien d’une mémoire
?
L’expression « année zéro », née dans les
zones occidentales de l’Allemagne occupée
d’après-guerre, « die Stunde Null » comme
le disent les Allemands (littéralement,
l’heure zéro), semble porter en elle la notion
de rupture totale, d’abolition du passé et de
départ sur des bases nouvelles. De fait, la
durée, l’étendue et l’intensité de la Seconde
Guerre mondiale enfin terminée peut
laisser aux contemporains cette impression
de nouveau départ. Cependant, à l’instar du
film de Roberto Rosselini, Germania anno
zero, le legs du passé proche fait partie de
leur quotidien : à la reconstruction répond
l’ampleur des destructions et la misère de la
vie dans les ruines, au renouveau de la
démocratie répond le sentiment de
culpabilité, etc. Entre renaissance et
construction de la mémoire, l’expression «
année zéro » insiste sur la volonté de
regarder vers l’avenir, sans pour autant
que l’imaginaire collectif ne puisse
s’affranchir d’un passé proche et douloureux
qui sera par la suite régulièrement convoqué.
Cette expression relève donc d’un mythe.
La découverte de l’horreur
Les camps ont été libérés par l’Armée rouge
(Auschwitz, Bergen-Belsen), par les
Américains (Dachau), par les détenus euxmêmes. Les Américains ont forcé les
populations civiles allemandes à visiter
les camps, le général Patton oblige les
habitants de Weimar à visiter Buchenwald, le
général Eisenhower fait visiter les camps à
ses troupes. De nombreuses photographies
sont prises et font la une des revues du
monde entier déjà libéré ; des caméras
russes, anglaises, et américaines rendent
compte de l’horreur des camps dans les
reportages qu’ils tournent au fur et à mesure
de leur découverte. Les Britanniques
enregistrent, avec l’aide d’Hitchcock et
Bernstein, un documentaire sur la découverte
des camps (The Memory of the
Camps - La Mémoire meurtrie) qui ne sortira
pas en salle et ne sera pas montré avant les
années 1990.
Seule dans Berlin est un récit qui permet de
suivre le quotidien des Allemands et surtout
des Allemandes (et les violences auxquelles
ils sont soumis) pendant la libération de la
ville par l’Armée rouge.
Hiroshima
Chaque année depuis 1945, les survivants et
leur famille viennent se recueillir sur les
ruines de ces deux villes. Le « Dôme »,
centre de promotion de l’industrie
d’Hiroshima, très proche de l’hypocentre, est
45
». Jean Dujardin, « Shoah », in Jean-Pierre Azéma, 1938-1946. Les années de
tourmente. Dictionnaire critique, Flammarion, 1995, pp. 1047-1059.
Les Grands à Yalta
Que s’est-il réellement passé à Yalta ? Certainement pas le «partage du monde »,
et encore moins le tracé du futur rideau de fer. Les accords signés à Yalta sont
clairs pour l’Asie (il s’agit d’amener les Soviétiques à entrer en guerre contre le
Japon) et pour la future ONU (Staline accepte la procédure de vote au Conseil de
sécurité voulue par Roosevelt). On s’entend aussi sur la situation en Europe
jusqu’à la paix, et c’est bien là que la démilitarisation et la division en quatre
zones d’occupation de l’Allemagne est décidée. Mais ces accords sont vagues
pour ce qui concerne le devenir de l’Europe après la victoire. On s’en tient à de
bonnes intentions dans une déclaration sur l’Europe libérée qui évoque
explicitement la tenue d’élections libres, mais pas leurs modalités : les trois
grands promettent d’aider « les peuples des États européens libérés ou les anciens
satellites de l’Axe (…) à constituer des gouvernements qui s’engageraient à
établir le plus vite possible, par des élections libres, des gouvernements
correspondant à la volonté des peuples ». Mais ce sont les rapports de force de la
fin du conflit et les politiques menées au début de la guerre froide qui décident
véritablement du « partage du monde ».
II. La bipolarisation
L’année 1945 marque l’avènement d’un nouvel ordre international sur les plans
politique et économique.
Politiquement, elle confirme la prédominance des États-Unis sur la scène
internationale ; elle installe et valide la puissance militaire et idéologique de
l’URSS ; elle consacre le déclin de l’Europe et préfigure l’accélération de la
volonté d’indépendance des peuples colonisés. Un nouvel ordre se met en place,
visible, bipolaire, comme le montre le télégramme de Churchill à Truman dès le
12 mai 1945.
Économiquement, la pax americana se met en place entre 1944 (Bretton Woods)
et 1947 (accords du GATT). Cette prééminence double des États-Unis était en
quelque sorte annoncée dès 1942 par le vice-président Wallace confessant avoir «
failli à notre tâche après la Première Guerre mondiale » mais espérant en tirer les
leçons afin de « mettre à profit notre expérience pour bâtir un monde qui,
politiquement, économiquement, et (…) moralement, sera solide. »
II. Les stratégies d’apaisement
L’ONU
Les concepteurs de l’ONU, à commencer par les Américains qui en sont les
principaux maîtres d’oeuvre, ont voulu la doter des moyens qui avaient fait défaut
à la SDN pour accomplir sa mission. Les attributions du Conseil de sécurité
visent à rendre plus crédibles les sanctions décrétées à l’encontre d’États
agresseurs. Signe des temps : l’ONU n’est pas installée en pays neutre, comme la
SDN (à Genève), mais à New York, dont l’immeuble de verre inauguré en 1951
apparaît comme le symbole de la transparence désormais recherchée dans les
relations internationales. Contrairement enfin à la SDN, l’ONU rassemble tous
les États indépendants en 1945, sauf les vaincus (l’Italie y entre en 1955, le Japon
en 1956 ; les deux Allemagne devront d’abord se reconnaître mutuellement pour
y être admises, en 1973). L’ONU est donc d’emblée une organisation universelle,
mieux à même que la SDN de représenter la communauté internationale dans son
ensemble.
Toutefois, l’efficacité de l’ONU repose sur le maintien de l’entente entre les
vainqueurs de la guerre et sur le bon vouloir des membres permanents du Conseil
de sécurité à appliquer les résolutions votées par l’Assemblée générale. Or, dès
1945, la violation par Staline de la « déclaration sur l’Europe libérée », adoptée
lors de la conférence Yalta, compromet la poursuite de la coopération entre les
Alliés de la guerre. La France, la Grande-Bretagne et la Chine (où la guerre civile
bat son plein), sont elles-mêmes trop affaiblies pour peser face aux deux Grands
au sein du Conseil de sécurité. Par ailleurs, l’ONU n’a pas la capacité d’intervenir
dans les conflits qui commencent à poindre entre les métropoles et leurs colonies,
la France et la Grande-Bretagne étant elles-mêmes de grandes puissances
coloniales. Au lendemain de la guerre, l’ONU récupère seulement la tutelle sur
les mandats confiés par la SDN aux Français et aux Britanniques : c’est à ce titre
que la Grande-Bretagne, incapable de surmonter les affrontements entre juifs et
un des seuls bâtiments à avoir résisté au
souffle. Il a été renommé Mémorial de la
paix d’Hiroshima. Il fait partie des
monuments de l’Unesco depuis 1996. Le
film d’Alain Resnais, Hiroshima mon amour,
en 1959, sur des dialogues de Marguerite
Duras pose les questions de la mémoire et de
l’oubli, à la fois sur le plan collectif et
individuel. Resnais, dans son poème d’amour
et de mort, évoque la première bombe
atomique lancée sur la ville et appelle à la
réconciliation des peuples.
Combat est un journal clandestin lié à la
Résistance pendant l’Occupation allemande.
Camus y entre dès 1942. Le 24 août 1944
paraît le premier numéro diffusé librement.
Combat devient quotidien à la Libération.
Essayiste et romancier célèbre depuis Le
Mythe de Sisyphe (1942) et L’Étranger
(1942), Camus en est le principal
éditorialiste depuis septembre 1943. Sous la
houlette de Camus jusqu’en 1947, ce titre
connaît dans l’après-guerre sa période la plus
prestigieuse attirant des collaborateurs tels
que Gide, Malraux ou Aron autour de son
idéal de journalisme critique, proche de la
gauche non communiste, n’hésitant pas à
exposer des points de vue contradictoires. Sa
diffusion est, à cette époque, tout à fait
importante pour un journal d’opinion
puisqu’il tire à 250 000 exemplaires environ.
Dès la nouvelle de l’explosion de la bombe
atomique sur Hiroshima, les journaux se sont
généralement félicités de l’impact qu’elle ne
manquerait pas d’avoir sur le gouvernement
japonais. Un des rares à s’inquiéter des
conséquences de la bombe est Albert Camus.
Dans cet éditorial du 8 août 1945, Camus
adopte une prise de position hostile à
l’emploi de l’arme atomique. Il est alors à
contre-courant de l’opinion publique de
l’époque. Camus, qui sort d’une période de
résistance active, exprime son adhésion à un
socialisme démocratique et critique les
régimes totalitaires. La date de son article est
remarquable puisqu’elle se situe dans le
contexte immédiat de l’explosion
d’Hiroshima, avant même que la deuxième
bombe atomique n’ait explosé à Nagasaki.
La recherche d’une capitulation rapide des
Japonais est le but de cette explosion. Camus
en reconnaît l’importance (« Qu’on nous
entende bien… »), mais il insiste sur
la dimension éthique du choix d’une telle
arme et s’en prend surtout à l’enthousiasme «
indécent » qui accompagne l’événement.
Les pays vainqueurs n’ont guère retenu les
principes évoqués par Camus pour assurer la
paix. L’ONU n’est pas devenue « une
véritable société internationale, où les
grandes puissances n’auront pas de droits
supérieurs aux petites et aux moyennes
nations ». Elle a été paralysée au cours de la
guerre froide et le monde a été
46
Arabes, s’en remet à l’ONU en 1947 pour établir un plan de partage de la
Palestine, ce dernier étant toutefois resté lettre morte.
Nuremberg et Tokyo
Le procès de Nuremberg a beaucoup été critiqué par ceux qui y ont vu un procès
des vainqueurs. Certains ont regretté que les accusés n’aient été jugés que par les
quatre grands États vainqueurs de la guerre, et non par les autres signataires de la
déclaration des Nations unies de 1942 ou par les États neutres. L’historien Joseph
Rovan, ancien déporté à Dachau, a estimé qu’il aurait été plus utile de juger et de
condamner les accusés devant un tribunal allemand et selon les lois allemandes
en vigueur avant 1933. On a pu également dénoncer la partialité d’un procès qui
exonérait l’URSS des crimes qu’elle avait elle-même commis : le protocole secret
annexé au pacte germano-soviétique constituait bien un crime contre la paix et les
massacres de Katyn, un crime de guerre caractérisé. Après l’échec des
Soviétiques pour en imputer la responsabilité aux accusés, le procès de
Nuremberg fit silence sur les auteurs réels de ces exécutions massives (et pour
cause, puisque l’ordre en avait été signé de la main de Staline). Certains ont
considéré que les bombardements de Dresde, de Hambourg, d’Hiroshima ou de
Nagasaki, qui provoquèrent la mort de centaines de milliers de civils, entraient
également dans la catégorie des crimes de guerre, ce qui est bien plus contestable,
car c’est faire abstraction du contexte militaire dans lequel ces bombardements
avaient été décidés par les Alliés. Enfin, il apparaît surtout aujourd’hui que le
procès de Nuremberg n’a pas permis à l’époque de prendre la mesure de la
spécificité du génocide des juifs, très largement évoqué, mais dans le cadre des
nombreux autres crimes perpétrés par les nazis en Europe.
Pourtant, le procès a bel et bien contribué à faire connaître le caractère sans
précédent des crimes nazis. Aujourd’hui encore, la documentation réunie pour
l’instruction, composée notamment des nombreuses pièces d’archives allemandes
récupérées par les Américains, reste une source d’information essentielle pour les
historiens (le protocole Hossbach de 1937, par exemple, ou encore le journal
remis par Hans Frank). La tragédie des enfants d’Izieu, déportés à Auschwitz par
Klaus Barbie, y fut évoquée, preuves écrites à l’appui, par le représentant de
l’accusation française, Edgar Faure. Ces preuves ont ensuite été réutilisées lors du
procès du « boucher de Lyon » en France. Le tribunal a convoqué à la barre de
hauts responsables du génocide qui, pour la première fois, ont ouvertement
confessé leurs crimes : Otto Ohlendorf, commandant de l’un des Einsatzgruppen,
y a livré le premier témoignage sur la Shoah par balles, ou Rudolf Höss, le
commandant d’Auschwitz (dont le procès eut lieu plus tard en Pologne). Le
procès a enfin contribué à faire progresser la jurisprudence internationale en
matière de crimes contre l’humanité. Le 9 décembre 1948, l’Assemblée générale
des Nations unies adopta ainsi une convention pour la prévention et la répression
du crime contre l’humanité. Les tribunaux internationaux institués pour juger les
crimes dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda, ainsi que la Cour pénale
internationale, qui a vu le jour en 1998, ont pu s’appuyer sur le précédent du
procès de Nuremberg.
Si Annette Wieviorka a montré que le génocide n’est pas au coeur de Nuremberg
et qu’il n’est entré réellement que le 3 février 1946 au procès, il n’en est pas
moins, pour la première fois de l’histoire, défi ni et reconnu. Cette notion
nouvelle en effet est alors régulièrement intégrée au droit international. Le 9
décembre 1948, l’assemblée générale des Nations unies adopte le texte de « la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ». En 1964,
le « crime contre l’humanité » est déclaré imprescriptible en Allemagne, en
France ; en 1968 par l’ONU. Une imprescriptibilité qui a permis de juger Adolf
Eichmann en 1961, Klaus Barbie, ancien officier SS responsable de la Gestapo de
Lyon, en 1987 (condamné à la réclusion criminelle à perpétuité). En 1993, le
Conseil de sécurité de l’ONU créé un tribunal pénal siégeant à La Haye pour
juger les crimes dans l’ex-Yougoslavie : le droit international s’impose désormais
à tous, quel que puisse être le droit interne des États.
À la différence de Nuremberg, nombreux furent les chefs militaires japonais qui
échappèrent aux poursuites. Tel fut, au premier chef, le cas de l’empereur HiroHito, qui fut la personnalité la plus importante à échapper ainsi aux poursuites.
Lorsqu’il fut question d’établir la liste des criminels de guerre, la question la plus
cruciale tourna autour de sa mise en accusation éventuelle. Le général Mac
Arthur recommanda au gouvernement américain d’accorder l’immunité à
l’empereur Hiro-Hito, et de maintenir le système impérial nécessaire au bon
essentiellement régi par les deux
Superpuissances. Quant au nucléaire, il est
devenu l’objet d’une course aux armements
entre les grandes puissances (le plan Baruch,
qui prévoyait en 1946 une sorte
d’internationalisation du nucléaire sous le
contrôle de l’ONU, a été enterré). La fin de
la Seconde Guerre mondiale est marquée
par un enchaînement de violences qui
touchent en particulier les civils. Camus fait
ainsi allusion aux multiples bombardements
(des villes allemandes comme Dresde) et à la
découverte de l’horreur des camps. «La
science se consacre au meurtre organisé» :
on est au cœur de la condamnation énoncée
par Albert Camus. C’est une condamnation
de l’usage de la science à des fins de
destruction que l’on rencontre déjà après
1918, à propos des gaz de combat par
exemple. Mais, ici, c’est l’usage de l’atome,
après celui de la propulsion à réaction, qui
est directement visé. Or, pour Camus, son
ampleur nouvelle renforce ce sentiment de «
sauvagerie ». Camus est visionnaire, l’«
angoisse nouvelle », qu’il est le premier à
identifier, est la base de l’équilibre de la
terreur, typique de toute la période de la
guerre froide.
La misère dans l’Italie libérée
Curzio Malaparte (1898-1957) est un
écrivain italien, qui évoque l’immédiate
après-guerre en Italie dans La Peau (1949).
D’abord séduit par le fascisme, il participe à
la marche sur Rome en octobre 1922, puis
évolue vers le socialisme et l’antifascisme
dans les années trente. Il se rallie aux troupes
alliées en 1943 et participe à la libération de
Naples en octobre 1943. Il décrit l’état
d’extrême dénuement et l’humiliation dont
souffrent les Napolitains, affamés et
malades, contraints d’accueillir en
vainqueurs et avec joie leurs ennemis de la
veille.
« La renaissance du lansquenet »
Ce document aborde la notion de
traumatisme par une oeuvre d’art, afin de
situer d’emblée que, selon l’expression
du peintre Soulages, « on ne peut plus penser
ni peindre comme avant Hiroshima ». « La
renaissance du lansquenet », tapisserie de
Lurçat, a été retenue parce qu’elle
oppose, un peu comme la photographie de
Dresde, une représentation de la culture
judéo-chrétienne (ici un ange) à la réalité
d’une barbarie humaine (ici symbolisée, dans
les flammes fantastiques d’un enfer
souterrain, par les noms de grands sites
d’affrontements guerriers, où l’on retrouve
comme un rappel des guerres passées celui
de Sedan, mêlé à ceux de la Seconde Guerre
mondiale, tels Guernica, Oradour, Varsovie,
Leningrad). Le commentaire de cette
création permet d’évoquer d’autres noms
47
fonctionnement de l’occupation du Japon. La Guerre froide s’intensifiant, la
classe dirigeante conservatrice japonaise put de plus en plus aisément dissimuler
ses responsabilités dans la guerre en échange de sa collaboration à la politique
anticommuniste des États-Unis. Contrairement à l’Allemagne, le Japon n’eut
donc pas l’occasion de s’interroger sérieusement sur ses propres crimes de guerre.
La plupart des manuels ne parlent que des crimes dont se sont rendus coupables
les nazis en Europe. Pourtant les atrocités commises par les Japonais en Asie ont
été d’une grande ampleur. Elles sont l’objet de grandes controverses historiques
ou politiques et marquent encore fortement les relations internationales dans cette
région du monde. L’historien américain Chalmers Johnson écrit : « Essayer
d’établir lequel des deux agresseurs de l’Axe, l’Allemagne ou le Japon, fut au
cours de la Seconde Guerre mondiale le plus brutal à l’égard des peuples qu’ils
martyrisèrent est dénué de sens. Les Allemands ont tué six millions de juifs et 20
millions de Russes [citoyens soviétiques] ; les Japonais ont massacré pas moins
de 30 millions de Philippins, Malais, Vietnamiens, Cambodgiens, Indonésiens et
Birmans, dont au moins 23 millions étaient ethniquement chinois. […] Les deux
conquérants ont réduit en esclavage des millions de personnes et les ont exploités
comme main-d’oeuvre forcée – et, dans le cas des Japonais, comme prostituées
(de force) pour les troupes du front. […] Le taux de mortalité pour les PGs
[prisonniers de guerre] aux mains des Japonais approchait les 30 %. ». Cet article
de Chalmers Johnson, « The Looting of Asia », paru dans The London Review of
Books, novembre 2003, est consultable en anglais sur le site :
www.lrb.co.uk/v25/n22/john04.html
Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948
Le document a été préparé par une Commission des droits de l’homme de l’ONU,
présidée par Eleanor Roosevelt (veuve du Président américain mort en avril
1945) et par le Français René Cassin (1887-1976, vice-président de la
Commission, prix Nobel de la paix en 1968). C’est une oeuvre de circonstance,
destinée à réaffirmer les droits imprescriptibles de la personne humaine après les
horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Elle reprend les grands principes de la
Déclaration des droits de l’homme de 1789 (droits de la personne), tout en y
ajoutant des droits nouveaux, les droits économiques et sociaux (droits au travail,
à l’éducation, à la sécurité sociale, à la santé et à la culture). Le texte est adopté le
10 décembre 1948 à Paris, au palais de Chaillot, par 48 voix et 8 abstentions, dont
celle de l’URSS, qui a trouvé trop abstraite la définition des droits économiques
et sociaux.
Ce n’est qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale que la découverte des
horreurs du nazisme, devant lesquelles il n’était plus possible de se voiler la face,
a fait naître la conviction que les droits de l’homme devaient être reconnus dans
le monde entier pour que celui-ci ne soit pas à nouveau menacé de génocides et
de guerres. La Déclaration mentionnera dans son second paragraphe que « la
méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de
barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ».
Dès avant la fin du conflit, les pays en guerre contre l’Axe, qui se désignaient
alors comme les « nations unies », jouèrent un rôle moteur. Notamment lors de la
conférence de Dumbarton Oaks qui a réuni, d’août à octobre 1944, les
représentants de la Chine, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union
soviétique ; puis surtout lors de la conférence internationale de San Francisco qui
s’est ouverte le 25 avril 1945, peu avant la capitulation de l’Allemagne – alors
que la guerre durait encore dans le Pacifique – et qui s’est achevée le 26 juin par
la signature de la Charte des Nations unies, véritable Constitution de la société
internationale.
Son préambule commence en effet par une déclaration solennelle de « foi dans
les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne
humaine », tandis que son article premier énonce que l’un des buts poursuivis par
l’organisation est de « développer, encourager le respect des droits de l’homme et
des libertés fondamentales ». Tout en respectant la souveraineté des États, elle
énonce l’idée d’un droit de regard des Nations unies si l’application de la Charte
est en cause, mais sans définir ni expliciter ces droits fondamentaux.
EN RÉACTION AUX HORREURS DU NAZISME
C’est dans ce but qu’une Commission des droits de l’homme a été créée en
janvier 1946 par l’Assemblée générale des Nations unies. Présidée par Eleanor
Roosevelt, elle avait pour vice-président le Chinois Chang et pour rapporteur le
Libanais Charles Malik. Elle comprenait le Français René Cassin, qui fut l’un de
porteurs d’une mémoire de la barbarie, par
exemple Katyn, Lidice, Dachau ou, surtout,
Auschwitz et Hiroshima. Il permet également
de s’interroger sur le sens des petites étoiles
qui illuminent, malgré tout, le ciel éthéré :
par quels actes des hommes ont-ils
humainement dépassé leur condition de
bourreaux ou de victimes ? Il importe,
comme le préconise Serge Klarsfeld, de
souligner ces lueurs : celle des Justes qui
sauvèrent des enfants juifs promis au
génocide, celle des opprimés qui se sont
aidés, celle des résistants et des soldats
qui ont combattu les « lansquenets ». Le nom
« Sedan » rattache la Seconde Guerre
mondiale à la longue lignée des guerres
franco-allemandes alors que ceux de
Guernica, Oradour, Leningrad (qu’on
pourrait lire aussi « Stalingrad » puisque le
début du nom est rendu incertain) se réfèrent
précisément à ce dernier conflit, en
soulignant par ces choix deux de ses traits
spécifiques : la prise en otage des civils et
l’étendue géographique de la guerre. Les
motifs mettent en évidence, outre des blasons
et des emblèmes barbares, les signes de
l’incendie, des charniers, de la torture (des
tenailles), de la mort, du sang,
des ruines… Au centre, une échelle (de
Jacob), brisée, semble interdire tout espoir
d’échapper à l’enfer, dont la tache noire
macule de ses volutes épaisses un ciel de
plus en plus réduit mais toujours étoilé.
René Cassin
Né en 1887 à Bayonne de parents juifs (sa
mère, née Dreyfus, était d’origine alsacienne
et son père descendait de Juifs italiens établis
à Nice), René Cassin a suivi passionnément,
alors qu’il était adolescent, les échos de
l’affaire Dreyfus. Une fois passé son
baccalauréat en 1904, au lycée Masséna à
Nice, il poursuit des études de droit et
d’histoire à Aix-en-Provence. « S’il n’y avait
pas eu l’affaire Dreyfus, j’aurais peut-être
choisi la carrière militaire », racontera-t-il.
En 1914, malgré de brillants résultats à
l’école des officiers de réserve pendant son
service militaire, c’est comme simple soldat
qu’il est mobilisé.
Gravement blessé en octobre 1914, au bras,
au flanc et au ventre, il se retrouve en 1916
chargé de cours de droit à Aix-en-Provence
et à Marseille. Il participe à la fondation
d’une des premières associations de victimes
de la guerre, l’Union fédérale des mutilés et
veuves de guerre. Membre de la Ligue des
droits de l’homme, il collabore au Bureau
international du travail fondé à Genève sous
l’égide de la Société des Nations et s’oppose
à toute récupération nationaliste de la cause
des anciens combattants. Plusieurs fois
candidat à des élections sous l’étiquette du
parti radical, favorable en juillet 1936 à
l’aide au gouvernement républicain
48
ses membres les plus actifs (voir encadré ci-dessous). C’est à lui qu’Eleanor
Roosevelt avait demandé en avril de présider un groupe de travail restreint et, le
16 juin 1947, il présente, devant le Comité de rédaction de cette commission, le
projet de déclaration qui constitue la base du texte adopté dix-huit mois plus tard
à l’Assemblée générale des Nations unies réunie à Paris, au palais de Chaillot.
Outre son caractère pour la première fois universel, elle se distingue des
déclarations précédentes par l’absence de référence à toute divinité et la
proclamation, déjà faite dans la Charte, de l’égalité de tous les êtres humains non
seulement en droits mais aussi en dignité. Le préambule exprime avec force que «
la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille
humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la
liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».
Réaction au nazisme, cette affirmation s’accompagne du rejet des discriminations
en fonction de la race ou de la couleur (article 2). Elle affirme aussi, en son article
3, le droit à la vie, qui figurait dans la Déclaration d’indépendance américaine et
dans le projet de texte élaboré en 1936 par la Ligue française des droits de
l’homme, mais non dans la Déclaration française de 1789 (l’idée de mentionner
comme exception le cas des personnes condamnées à mort ayant été écartée, sans
pour autant que l’on mentionne explicitement l’interdiction de cette peine).
DE LA PLURALITÉ DES DROITS DE L’HOMME
La Déclaration universelle reprend non seulement l’esprit de la Déclaration
française de 1789 quant aux droits et libertés individuels, mais inclut aussi, dans
ses articles 22 à 27, les droits économiques, sociaux et culturels. Elle affirme le
droit à la sécurité sociale (article 22), au travail (article 23), au repos et aux loisirs
(article 24) et à « la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de
veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de
subsistance » (article 25).
Et, plus précis que tous les textes antérieurs, son article 26 définit la finalité de
l’éducation : « L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personne
humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre
tous les groupes raciaux ou religieux ainsi que le développement des activités des
Nations unies pour le maintien de la paix ».
C’est dans son article 27 que l’on trouve la première proclamation officielle des
droits culturels : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie
culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès
scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». L’une des particularités de la
Déclaration universelle est précisément de consacrer à la fois les droits-libertés et
les droits économiques, sociaux et culturels et de les associer indissolublement en
affirmant qu’ils sont à la fois complémentaires et inséparables.
UNE CONTRIBUTION ELLE AUSSI UNIVERSELLE
Quelle que soit l’importance de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord
dans la marche dans laquelle la Déclaration universelle s’est inscrite, il serait faux
de réduire celle-ci à ces seuls pays. C’est l’insistance de l’URSS sur les droits
économiques et sociaux qui a favorisé leur prise en compte dans la Déclaration
universelle, alors que le gouvernement américain de l’époque leur était hostile. À
la différence, d’ailleurs, de la représentante des États-Unis, Eleanor Roosevelt,
veuve du président démocrate initiateur du New Deal...
UN TEXTE DE RÉFÉRENCE MORALE
Contrairement à ce que souhaitait René Cassin, la Déclaration n’a pas valeur de
traité mais constitue une simple résolution adoptée par l’Assemblée générale :
elle a été votée une fois pour toutes, et les États qui se sont constitués depuis
n’ont pas eu à la signer ou à l’approuver. Elle présente « l’idéal commun à
atteindre par tous les peuples et toutes les nations » et n’a donc qu’une force
morale qui n’implique d’engagement juridique précis que pour les États qui y
font référence dans leur Constitution. Mais sa portée mondiale lui donne, selon
l’expression de René Cassin, « une valeur juridique de recommandation » qui fait
d’elle, cinquante ans après, la référence universelle en matière de droits de
l’homme.
Sur les cinquante États membres alors des Nations unies, quarante ont voté pour
et aucun contre, mais il y a eu huit abstentions. C’est le nombre jugé trop réduit
des articles consacrés aux droits économiques et sociaux (6 articles sur 30) qui fut
mis en avant par l’URSS et ses alliés (la Biélorussie, l’Ukraine, la
Tchécoslovaquie, la Pologne et la Yougoslavie) pour justifier leur abstention.
Pour d’autres raisons relevant d’une hostilité beaucoup plus fondamentale
espagnol, et hostile, deux ans plus tard, aux
accords de Munich par lesquels la GrandeBretagne et la France cédaient devant Hitler,
il s’embarque pour Londres dès l’annonce de
l’armistice en juin 1940 et y rejoint la France
libre. Prix Nobel de la paix en 1968, membre
de la Cour européenne des droits de
l’homme, il menace d’en démissionner si la
France ne ratifie pas la Convention
européenne qui lui sert de base. Pourtant, ce
n’est qu’en 1981, cinq ans après sa mort, que
la France la ratifiera entièrement.
Une rédaction collective
Eleanor Roosevelt, veuve de Franklin Delano
Roosevelt, président des États-Unis de 1933
à 1945, a su orienter intelligemment le travail
de rédaction de la Déclaration universelle.
Ce dont les délégués lui rendront hommage
par une longue ovation, une fois le texte
adopté. Elle fut souvent en désaccord (sur le
droit au travail, la protection sociale et la
responsabilité économique et sociale des
États) avec son gouvernement, républicain,
partisan d’un retour à un libéralisme
économique radical, qu’elle était pourtant
chargée de représenter. Mais son prestige
personnel lui conférait une certaine marge de
manœuvre qui explique en partie l’équilibre
du texte. Et elle a contribué à faire de la
Déclaration un texte facilement
compréhensible. « Je disais souvent à mon
mari que s’il parvenait à me faire
comprendre quelque chose, alors ce serait
clair pour tout un chacun dans le pays.
C’était peut-être en cela que résidaient
l’essentiel de mon apport et la valeur réelle
de ma participation au Comité de rédaction
de la Déclaration universelle. »
Le juriste canadien John Humphrey a été
chargé en mai 1947 d’écrire un premier
projet. Mais, sur de nombreux points, il
différera du texte final : il admettait
l’existence de la peine de mort comme une
exception au droit à la vie, prévoyait de
mettre dans le préambule un égal accent sur
la notion de droits et sur celle de devoirs (ce
que ne voulaient ni Cassin, ni Eleanor
Roosevelt) et subordonnait le droit des
individus à bénéficier de moyens d’existence
à leur « devoir de travailler ». En revanche,
le projet présenté par Cassin, qui préférait,
par exemple, la notion de devoir envers la
société à celle de devoirs envers l’État, peut
être considéré comme la base du texte final.
Dix-huit mois d’âpres débats
De juin 1947 à décembre 1948, la question
du lieu des réunions – Genève ou New York
– et celle de la composition des groupes de
travail, ont fait l’objet de tensions, parfois
entre Occidentaux et pays de l’Est, parfois
entre Américains, d’une part, et Soviétiques
et Européens, de l’autre.
Des changements ont été opérés. Tantôt dans
49
(notamment à l’égalité des sexes, à la non-discrimination raciale), l’Arabie
saoudite et l’Union sud-africaine de l’apartheid s’abstenaient de leur côté, tandis
que le Honduras et le Yémen étaient absents lors du vote.
Mais elle inspirera de nombreuses constitutions nationales, notamment celles des
nouveaux États issus de la décolonisation, et elle continue d’exercer aujourd’hui
une forte influence sur l’évolution du droit international.
D’AUTRES TEXTES POUR GARANTIR ET COMPLÉTER LES DROITS
Si la Déclaration universelle n’est pas écrite au nom des peuples comme la Charte
des Nations unies (« Nous, peuples des Nations unies, résolus à proclamer à
nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la
valeur de la personne humaine, dans l’égalité des hommes et des femmes... »),
conformément au vœu, là encore, de René Cassin, elle ne fait pas seulement
référence aux États mais aux « peuples », « nations », « individus », et « tous les
organes de la société ». Son contenu est le résultat de compromis intervenus au
terme de luttes parfois intenses entre Américains, Soviétiques et Européens.
Comme le voulaient ses rédacteurs, elle a été ensuite complétée par deux pactes
ayant valeur de traité, qui visent donc à en garantir l’application, votés en 1966 et
entrés en vigueur en 1976 après avoir obtenu le nombre de ratifications
nécessaire. L’un est relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, l’autre
aux droits civils et politiques. L’ensemble constitue une Charte internationale des
droits de l’homme. Aux obligations morales inscrites dans la Déclaration
universelle, s’ajoutent des obligations juridiques destinées à constituer une
garantie véritable pour les peuples des États signataires. Ces deux pactes ont mis
en place, en particulier, des procédures de contrôle au sein de la commission des
droits de l’homme de l’ONU.
Certes, les États signataires ont pu émettre des réserves quant à leur application,
ces réserves ne pouvant toutefois concerner les points fondamentaux comme
l’interdiction de l’esclavage, de la servitude, de la torture, des atteintes à la vie, ni
celle de la rétroactivité des lois pénales. Mais, après son entrée en vigueur en
1976 avec sa signature par 51 États, la Charte internationale des droits de
l’homme a accru considérablement le nombre de ses signataires puisque,
aujourd’hui, 130 États sur un total de 185 y souscrivent. Il s’agit donc d’une
quasi-universalité, même si l’on compte des exceptions notables, ainsi celle des
États-Unis qui n’ont pas ratifié le pacte relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels. Ou encore celle de la Chine qui n’a pas ratifié le pacte relatif aux droits
politiques.
À partir de ce triptyque et en référence à lui, un nombre considérable de
conventions et autres instruments (traités, pactes, protocoles) a été mis sur pied
par l’organisation internationale et ses institutions spécialisées. Assimilés à des
traités, leur valeur juridique est supérieure à celle des lois des pays qui y
souscrivent.
Ils marquent un double mouvement d’approfondissement et d’extension des
droits. À chaque étape dans le développement de la société, de son économie et
de ses techniques, correspondent de nouveaux droits. Ainsi, des textes spécifiques
ont été adoptés sur les droits de groupes sociaux et de catégories de la population
qui ont besoin d’une protection particulière, comme ceux de l’enfant, des
femmes, des membres de minorités nationales, ethniques, religieuses et
linguistiques, des réfugiés et des personnes handicapées. Par ailleurs, des
instruments ont été adoptés pour faire face à des atteintes aux droits de l’homme
particulières, comme la discrimination raciale et le racisme, la misère et l’absence
de développement, les menaces sur l’environnement et les pratiques rendues
possibles par les nouveaux développements de la biologie et des techniques de
communication.
un sens plus restrictif : suppression du droit
de pétition ; tantôt dans un sens plus libéral :
alors que les projets de Humphrey et Cassin
affirmaient seulement le droit de tout État
d’accorder asile aux réfugiés politiques, le
droit d’asile sera affirmé comme un droit du
réfugié. Et, alors que l’un comme l’autre
plaçaient sur le même plan le droit et le
devoir pour les individus de « faire un travail
utile », le texte final leur reconnaîtra
clairement un « droit au travail » et imposera
même aux États l’obligation de « prendre les
mesures en leur pouvoir en vue de prévenir
le chômage ». C’est René Cassin qui a milité
pour que le titre ne soit pas Déclaration
internationale, mais Déclaration universelle
des droits de l’homme, plus fort et plus
éloigné de celui d’un simple traité entre
nations.
La place à accorder aux droits économiques
et sociaux par rapport aux libertés
fondamentales a été abondamment discutée.
Tout comme la question des « droits des
peuples », qui ne furent pas reconnus, y
compris celui à l’indépendance. Le point de
vue qui a prévalu a été que la définition des
individus est évidente alors que celle des
peuples est impossible à énoncer de manière
indiscutable. De même, pour le droit des
minorités ethniques, linguistiques et
culturelles que Cassin voulait inclure, mais
dont la majorité des États ne voudront pas.
Ou encore pour la création d’un Tribunal
pénal international, proposée par l’Australie
dès 1946.
60 ans après : un passé toujours présent
60 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, vainqueurs et vaincus n’ont
pas entièrement achevé leur réconciliation. À la grande différence toutefois de ce
qui s’était produit au lendemain de la Première Guerre mondiale, les
ressentiments ne sont pas tels qu’ils pourraient dégénérer en un nouvel
affrontement. Les nations vaincues ont elles-mêmes renoncé à reconstruire leur
puissance militaire et se sont dotées d’institutions démocratiques stables. Or, au
XXe siècle, aucune guerre n’a jamais opposé deux démocraties entre elles. À
quelques exceptions près (les îles Kouriles, par exemple, annexées par la Russie,
dont 4 sont encore revendiquées par le Japon), aucun ancien belligérant ne remet
en cause le tracé des frontières héritées de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
50
Les contentieux historiques prennent donc essentiellement la forme de conflits
mémoriels qui mobilisent les opinions publiques, parfois relayés par des partis
politiques ou des gouvernements à des fins de politique extérieure ou intérieure.
En Europe, la réconciliation franco-allemande apparaît comme un modèle. Elle a
joué un rôle moteur dans la construction européenne. La fin de la guerre froide a
toutefois fait réapparaître certains contentieux historiques. La question des
expulsions de 1945 a ainsi créé des tensions entre la RFA d’une part, la Pologne
et la République tchèque de l’autre. L’Association des expatriés allemands (Bund
der Vertriebenen) a obtenu du gouvernement fédéral, fin 2007, la construction
d’un Centre des expulsions à Berlin. En présentant sans nuance les expulsés
comme des victimes, les associations d’expulsés sont accusées par les voisins de
l’Allemagne d’occulter les responsabilités premières de cette dernière dans le
déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et dans les expulsions qui en ont
résulté. Gestes symboliques de réconciliation, déclarations communes et
commissions d’historiens ont toutefois contribué à aplanir les différends. Le
souvenir de l’occupation soviétique, qui a débuté dès 1939 en Europe orientale,
demeure un sujet très sensible en Pologne et dans les pays Baltes. Il interfère avec
le souci de ces pays de se prémunir contre le retour en force du nationalisme
russe. Durant la guerre dans l’ex-Yougoslavie, Serbes et Croates se sont affrontés
en réactivant le conflit qui les avait opposés en 1939-1945.
En Asie, les séquelles de la mémoire de la guerre n’ont pas empêché la
normalisation des relations entre le Japon d’une part, la Chine et surtout la Corée
du Sud d’autre part, au nom de leurs intérêts économiques et politiques bien
compris. La Corée du Nord continue toutefois d’attiser un fort nationalisme antijaponais pour justifier son programme d’armement nucléaire. Mais dans les
autres pays d’Asie qui ont eu à souffrir de l’occupation japonaise, la mémoire de
la guerre ne suscite pas de réelles tensions, notamment en raison d’une commune
hostilité à l’égard de la Chine populaire (Taiwan, Malaisie, Philippines) ou du
soutien que le Japon impérial avait pu apporter aux nationalismes locaux
(Indonésie).
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
51
HC – De la société industrielle à la société de communication
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
J.-C. Asselain, Histoire économique du XXe siècle, La réouverture des économies nationales (1939 aux années 1980), Presses des
Sciences Po et Dalloz, Paris, 1995 (remarquable synthèse, sans équivalent depuis, mais qui ne couvre pas toute la période).
P. Bairoch, Victoires et déboires, histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours, coll. « Folio histoire »,
Gallimard, Paris, 1997, 1085 p., tome 3 (le XXe siècle) (une vue très polarisée par la question des inégalités Nord-Sud).
Bairoch (P.), Mythes et paradoxes de l’histoire économique, La Découverte, 1999.
A. Maddison, L'Économie mondiale. Une perspective millénaire, études du Centre de développement, OCDE, 2001 (la bible de
l’histoire quantitative, l’achat de l’ouvrage donne accès à toutes les données statistiques sur Internet).
GAUTHIER André, L’Économie mondiale : Du début du XXe siècle à nos jours : d’une mondialisation à l’autre, Paris, Éditions
Bréal, 2004.
A. Gauthier, Le Monde au XXe siècle, panorama économique et social, Bréal, Paris, 2001, 768 p. (une somme rédigée par un
ancien professeur de prépa ECS).
André Gauthier, L’Économie mondiale des années 1880 aux années 2000, Bréal, 1999.
P. Léon (dir.) Histoire économique et sociale du monde, le second XXe siècle, 1947 à nos jours, A. Colin, t. 6, Paris, 1977 (ancien
mais toujours utile. Il s’arrête à la veille du premier choc pétrolier).
COHEN Daniel, Trois leçons sur la société post-industrielle, Paris, Éditions du Seuil, 2006.
Daniel Cohen, Richesses du monde, pauvretés des nations, Flammarion, 1997.
D. COHEN, La Mondialisation et ses ennemis, Grasset, 2004.
J. MARSEILLE et A. PLESSIS, Vive la crise et l’inflation !, Hachette, 1983.
J. MARSEILLE, Les Nouvelles Trente Glorieuses, Plon, 2004.
F. BALLE, Médias et sociétés, Fayard, 11e édition, 2003.
A. Mattelart, Histoire de la société de l’information, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2003, 128 p. (un regard de
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Carte murale :
Enjeux didactiques (repères, notions et
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
méthodes) :
savoirs, concepts, problématique) :
BO Tle actuel : « Ce thème invite à une
présentation synthétique des grandes
Il est très difficile de faire un point historiographique sur une période aussi
transformations du second XXe siècle (cadre
récente et sur des enjeux aux résonances aussi actuelles. La période
économique, mutations sociales, civilisation
chronologique (1945-2000) étudiée en classe de terminale nous empêche de
matérielle, évolution des sciences et des
traiter de ces modifications économiques et sociales sur le long terme et de les
intégrer dans une réflexion plus profonde sur l'industrialisation et sur sa diffusion techniques, révolution informatique). Il
; elle fait de la Seconde Guerre mondiale une rupture majeure dans l'histoire
inclut le fonctionnement du marché mondial
des biens culturels et la question de la
économique. L'intitulé de la question au programme nous invite aussi à revoir la
mondialisation de la culture”. »
rupture traditionnelle de 1973. Il ne s'agit plus en effet de traiter des
bouleversements des cadres de l'économie mondiale en opposant Trente
BO futur 3e : « L’ÉVOLUTION DU
Glorieuses et crise contemporaine mais d'essayer de comprendre la progressive
SYSTÈME DE PRODUCTION ET SES
mondialisation des échanges et les transformations du marché. Il s'agit donc de
CONSÉQUENCES SOCIALES
rompre avec le cadre national (les transformations économiques et sociales de la
On étudie, dans un contexte de croissance en
France apparaissent plus tardivement dans le programme) et dépasser la simple
longue durée, les mutations technologiques
étude des pays développés à économie de marché. La même difficulté apparaît
lorsque l'on doit traiter de la mondialisation, concept flou, discuté et débattu, mais du système de production et l’évolution de
l’entreprise, du capitalisme familial au
au final peu traité dans une optique historique ; ainsi dans la bibliographie, se
capitalisme financier. L’étude est conduite à
côtoient à la fois une réflexion pionnière sur les conséquences spatiales de la
partir de l’exemple d’une entreprise et de son
mondialisation (Dolfus) et une analyse critique et plus récente des
évolution depuis le début du XXe siècle.
dysfonctionnements des grandes institutions internationales (Stiglitz).
On en met en évidence les principales
Articuler le national et le mondial est donc une tâche mal aisée parce qu'elle doit
conséquences : évolution de la structure de la
prendre en compte la diversité des situations des pays et les aléas d'une
conjoncture fluctuante depuis 1945. En ce sens, le travail de fond de l'économiste population active et migrations de travail.
L’étude s’appuie sur l’histoire d’un siècle
Angus Maddison permet de mieux recentrer cette période de croissance
d’immigration en France.
économique : l'économiste américain oppose un « Âge d'Or de la croissance »
Décrire et expliquer l’évolution des formes
(1950-1975) à un « âge néolibéral » (1975-1998). La première expression a
l'avantage d'insister sur l'exceptionnalité d'une croissance hors normes. En effet,
de production industrielle et de la structure
d’une entreprise, de la dimension familiale à
avec un taux de croissance moyen annuel dépassant les 5 % et des gains de
productivité important, c'est, selon Maddison, la période la plus dynamique de
la firme multinationale.
l'histoire économique mondiale, très loin devant le trend des 2 % du XIXe siècle.
Caractériser l’évolution de l’immigration en
En revanche, l'expression, « âge néolibéral », met de côté les aspects les plus
France au XXe siècle »
dramatiques du ralentissement de la croissance dans les PDEM (chômage, «
désindustrialisation », crise sociale profonde) et ne s'attarde pas sur les « causes » Accompagnement Tle :
d'un tel changement. Ce que met en lumière Maddison, c'est avant tout l'impact
« L’immédiat après-guerre est dévolu à la
des transformations structurelles de l'économie mondiale pendant cette période
reconstruction – dont un élément majeur est
(libéralisation accrue des échanges et des capitaux, boom des NTIC...) et une
le plan Marshall – et à la mise en place des
croissance somme toute honorable car plus importante qu'à l'âge de
fondements du redémarrage économique :
l'industrialisation florissante (1850-1913). Alors que dans les années 1970 et
conférence de Bretton Woods, accord
1980, le débat s'orientait sur la compréhension d'une « crise » multiforme et sur la général sur les tarifs et le commerce
mise en parallèle des crises de 1973 et de 1929 (Bouvier), il s'agit aujourd'hui de
international (GATT), OECE. Puis la
mettre davantage en lumière les transformations structurelles de l'économie
croissance l’emporte, exceptionnelle par son
mondiale et de les intégrer dans une réflexion beaucoup plus vaste sur la
importance, sa régularité : dans l’ensemble
mondialisation.
des pays développés de 1950 à 1973, le
53
Le sujet ne porte pas sur un objet historique clairement identifié, c’est-à-dire
ayant pu faire l’objet d’une synthèse académique. Cela est lié à la fragilité des
notions utilisées, au caractère pionnier du type d’histoire que le traitement du
thème suppose. Néanmoins quelques concepts permettent de sous-tendre la
réflexion sur l’évolution économique et sociale d’ensemble à l’oeuvre dans la
mondialisation, qui caractérise la seconde moitié du XXe siècle. Beaucoup
d’entre eux sont très discutés.
La base scientifique des concepts utilisés pour définir le sujet n’est pas assurée,
d’où l’emploi préférable des guillemets : parler de « société industrielle » en 1945
pour brosser une « présentation synthétique » des sociétés du monde est non
seulement réducteur mais inexact. Une écrasante majorité de la population vit
d’une agriculture non industrialisée en 1945, et si l’on prend le critère de
l’urbanisation, il faut attendre aujourd’hui pour que se réalise le basculement
historique d’une majorité de la population vivant dans les villes. Encore ce critère
ne recoupe-t-il pas pour autant l’existence d’une société industrielle. Quant à la «
société de communication », un simple regard sur l’évolution des taux
d’équipement mondial en téléphones ou en connexion à Internet permet de
mesurer combien la qualification de « société de communication » pour désigner
la situation actuelle est abusive. Le même constat se dessine si l’on considère les
origines de la richesse. L’activité tertiaire ne contribue pas majoritairement, loin
s’en faut, au PIB mondial d’aujourd’hui, et à l’intérieur du tertiaire les ressources
tirées des communications sont encore très faibles, bien qu’en augmentation. Il
est à noter que l’expression de « société de communication », est de plus en plus
concurrencée par celle de « sociétés du savoir », avec la même ambiguïté. Les
qualificatifs employés sont en fait très révélateurs d’une perspective implicite
autocentrée. La France ou même les pays les plus développés ne sont pas le
monde, et traiter du thème lui même aurait supposé de se limiter à quelques
régions du monde, ce qui n’est pas l’objet sujet, qui affirme explicitement la
nécessité de traiter le thème dans le cadre mondial.
Cependant, derrière ces qualificatifs contestables, il y a l’incontestable réalité des
transformations économiques, technologiques et sociales considérables qui
affectent l’ensemble du monde contemporain, à un rythme de plus en plus
soutenu.
Nous pouvons tenter de construire le développement à partir d’une démarche
ressortissant de la « World History » parfois aussi dénommée « Global History ».
Pour traiter le sujet, il est en effet indispensable de regarder la question d’un point
de vue planétaire, et non pas régional, national ou local. Pour cela, il faut tenter
de s’appuyer sur une branche de l’histoire universitaire en émergence, mais dont
le développement est rendu difficile par l’inexistence de structures académiques
internationales ou mondiales qui pourraient le financer et le porter.
La porosité des milieux académiques français à cette nouvelle manière de faire de
l’histoire, dont on peut dater les prémices au début des années 1970 dans le
monde anglo-saxon, est particulièrement faible pour des raisons qui sont
exposées très clairement dans le numéro spécial consacré à « L’Histoire globale »
par la Revue d’Histoire moderne et contemporaine 2007/5, n° 54-4 bis,
supplément 2007. On lira avec profit notamment l’introduction rédigée par
Caroline Douki et Philippe Minard, « Histoire globale, histoires connectées : un
changement d’échelle historiographique ? » (pp. 7 à 21).
De plus, il faut constater que les chantiers ouverts par cette histoire mondiale ne
concernent que peu l’histoire contemporaine, encore moins l’histoire du temps
présent, et encore moins la communauté scientifique historienne française. Le
champ est largement occupé par les économistes et les sociologues, à commencer
depuis 1976 par les fondateurs du centre Braudel à New York, qui se veulent les
héritiers de la pensée de l’inventeur du concept d’économie-monde et dont
Immanuel Wallerstein est la figure dominante (cf. son Comprendre le monde ;
introduction à l’analyse des systèmes-monde, traduit en 2006 et publié à La
Découverte).
Les historiens écrivant en français sur le sujet sont rares : Paul Bairoch (19301999) était belge et a longtemps enseigné en Suisse ; Jean-Charles Asselain a la
double casquette d’agrégé d’histoire et de sciences économiques. Nous leur
sommes redevables de la base de ce travail. Leurs travaux de synthèse ne
dépassent cependant pas le début des années 1990. Il faut s’appuyer sur des
travaux en langues étrangères, qui ne sont que très exceptionnellement traduits :
Eric J. Hobsbawm, L’âge des extrêmes, Histoire du court XXe siècle (1914-
volume du PNB par habitant croît à un
rythme annuel de 3,9 %, soit une
multiplication par plus de 2,4 durant ces
vingt-trois ans. Le processus
d’industrialisation, ancien, franchit un
nouveau seuil, imposant ses valeurs et ses
modes d’organisation et de consommation
(fordisme) à toutes les sociétés. Dans une
partie importante du monde, une vaste
gamme de produits, notamment
manufacturés, devient accessible à de larges
couches de la population : on parle de «
société de consommation ».
Le Tiers-Monde est partie prenante de cet
élan de la croissance ; pour autant, sa part
dans le commerce international diminue
tandis que se creuse l’écart de son niveau de
vie avec celui des pays développés. Les
années 1974-1975 connaissent un recul du
PIB, une montée du chômage et une poussée
inflationniste : ce tournant se nourrit de
l’ébranlement monétaire de 1971-1973, de
l’essoufflement du fordisme, des mutations
de la hiérarchie et de la distribution des
secteurs de production et du premier choc
pétrolier, qui agit comme un détonateur.
Elles ouvrent une nouvelle période, à la fois
en continuité et en rupture avec les « trente
glorieuses » : conjoncture plus cyclique,
poursuite de la croissance (le PIB par
habitant de l’Inde s’accroît davantage entre
1973 et 1993 qu’entre 1820 et 1973, celui du
Japon augmente de 80 % entre 1973 et
1998), augmentation du volume des
échanges internationaux, diversification du
Tiers-Monde, décrochages sectoriels et
régionaux (l’Europe de l’Est dans les années
1970-1980, une partie de l’Afrique), ampleur
du chômage – singulièrement en Europe –,
accélération de la redistribution des actifs,
mise en cause de l’État-providence.
Parallèlement, plusieurs phénomènes se
conjuguent pour faire du fait migratoire une
donnée de base du second XXe siècle : le
doublement de la population mondiale entre
1960 et 2000, l’exode rural, les migrations
interrégionales vers les zones d’emploi ou
vers celles qui offrent une meilleure qualité
de vie, les migrations internationales vers les
pôles de richesses, les drames qui chassent
ceux qui deviennent des réfugiés. Il y aurait
aujourd’hui cent cinquante millions de
personnes résidant durablement hors de leur
pays : un tiers de migrants de travail, un tiers
de migrants familiaux et un tiers de réfugiés.
L’urbanisation des sociétés, la
transformation des modes de vie, les progrès
de la scolarisation et la montée en force de la
connaissance comme variable économique
majeure ne sont pas dissociables des
ensembles de faits précédemment évoqués.
Ils sont aussi à articuler avec les
bouleversements scientifiques et
technologiques de la période ; s’il est
impossible dans le cadre des cours de faire la
54
1991), est l’exception, et a été édité en Belgique par les éditions Complexe en
1999, 5 ans après sa publication en anglais. L’introduction de l’édition française
explique cette localisation et ce retard.
Parmi les ouvrages en anglais ou en allemand qui peuvent être utiles, on peut
citer ici, parmi d’autres, les approches de David Reynolds, One World Divisible ;
a global history since 1945, W. W. Norton and Company, Londres, New York,
2000, ouvrage centré sur la période. Sur « l’histoire connectée », on peut citer un
essai « grand public » publié par le même éditeur en 2002, par Tignor R., et al.
Worlds together, worlds apart, a history of the modern world from the Mongol
Empire to the Present, dont les pages 425 à 462 sont consacrées à la période.
Parmi les histoires globales thématiques, on peut citer la tentative de Clive
Ponting, Progress and Barbarism : The World in the XXth Century, Chatto and
Windus Ldt, 1998, et souligner le dynamisme, dans le cadre thématique plus
restreint mais géographiquement nécessairement mondial de l’histoire de
l’environnement, Joachim Radkau, Natur und Macht, eine Weltgeschichte der
Umwelt, C.H. Beck Verlag, Munich 2002, et, plus centré sur le XXe siècle, J.-R.
McNeill, Something New Under the Sun, An environmental History of the XXth
Century World, W. W. Norton, Londres New York, 2001.
Il faut également se tourner vers des travaux rédigés par des spécialistes venus
d’horizons non-historiens et tenter d’en intégrer les travaux : ceux des
géographes, des démographes, des économistes, des sociologues, des
anthropologues peuvent être lus dans cette perspective. On le voit, le thème
oblige l’historien à sortir de la tour d’ivoire dans laquelle la spécialisation
universitaire l’enferme trop souvent, et à se confronter à d’autres discours des
sciences sociales sur le même objet.
– L’industrie au coeur des transformations :
Contrairement à ce que le terme de « société de la communication » semble
impliquer, nous défendons ici la thèse d’un courant d’industrialisation
généralisée, les logiques industrielles pénétrant aussi bien l’agriculture (recul de
l’agriculture vivrière, scientifisation de l’exploitation agricole, insertion de la
production agricole dans les grands circuits de transformation agroalimentaire,
etc.) que le tertiaire. L’informatisation transporte des schèmes et des logiques de
production industrielle dans le tertiaire, dans le prolongement de la mécanisation
des activités de bureau (voir Delphine Gardey, Écrire, calculer, classer : comment
une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940),
La Découverte, Paris, 2008). Il est cependant exact que l’informatisation amène
avec elle une nouvelle façon d’organiser la société industrielle : «
l’industrialisation de la connaissance » en est un exemple.
– « Révolutions industrielles » et nouveaux paradigmes techno-économiques :
Pour des raisons pédagogiques, nous avons fait le choix de présenter les choses
de manière classique, articulée autour du concept de « révolution industrielle »,
tel qu’il a été revisité par l’économiste Christopher Freeman par sa réflexion sur
l’évolution des paradigmes techno-économiques. La tendance actuelle est de
parler de première, deuxième et troisième industrialisations. Mais à notre sens
c’est une révolution, comparable à la révolution néolithique, qui se déroule
depuis 1760 à partir du noyau anglais, pour s’entendre au reste du monde à un
rythme beaucoup plus soutenu que celui qui a généralisé l’agriculture à partir du
berceau du « croissant fertile » : il y a là une double raison pour utiliser le
qualificatif de révolution, et de succession de petites révolutions. Sur les
caractéristiques du nouveau système en émergence et leurs conséquences
sociales, on pourra lire par exemple : C. Freeman, H. Mendras (dir.), Le
paradigme informatique : technologie et évolutions sociales, Descartes & Cie,
Paris, 1995.
– Au coeur des « 2e et 3e révolutions industrielles » se trouve la production
scientifique et technique, dont les évolutions font l’objet de travaux d’historiens
des sciences et des techniques. Sur ce thème et leur place dans le champ des
sciences humaines, on pourra utilement se reporter à Dominique Pestre,
Introduction aux Science Studies, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 2006,
historien des sciences à l’EHESS. On peut aussi lire du même auteur la
conférence donnée, à Paris, le 25 septembre 2007 lors de la présentation des
nouveaux programmes Histoire et Géographie de ST2S organisée par l’Inspection
Générale. Dominique Pestre, Entre techno-science, industrie et régulations
étatiques dans le cadre de l’État-nation : mettre les années 1870-1970 en
perspective (voir http://www.pedagogie.acnantes.fr/1197557928609/0/fiche___document).
recension de ceux-ci et a fortiori de les
analyser tous, il serait important d’aider les
élèves à en percevoir les axes majeurs et de
travailler un exemple, y compris par appel
aux enseignants des disciplines scientifiques
et technologiques ou à un intervenant
extérieur. C’est dans ce cadre d’ensemble
que s’inscrit la révolution informatique du
dernier quart du XXe siècle, qui induit une
mutation de la défense, de la recherche, de la
production et des échanges. Fondé sur les
découvertes des années 1950-1970, le parc
d’ordinateurs connaît un développement
étonnant et ses usages se diversifient. Alors
que le premier micro-ordinateur est mis au
point en 1978, il s’en vend soixante millions
en 1995. Une des conséquences est
l’émergence de l’Internet. Né aux États-Unis
à la fin des années 1960, ce dernier s’ouvre
au grand public et amorce une croissance
vertigineuse au milieu des années 1990 ; on
évalue le nombre de ses utilisateurs à cinq
cents millions en 2002.
Ces mutations récentes accentuent fortement
un trait plus ancien du XXe siècle : la
tendance à la mondialisation de la culture.
Cette analyse s’appuie sur des réalités
inégalement mesurables : la capacité qu’ont
des entreprises de fabriquer et de diffuser des
produits culturels à une échelle mondiale,
l’acquisition ou au moins la connaissance par
des millions de gens desdits produits,
l’homogénéisation des références et des
pratiques culturelles, déjà induite par les
progrès du cinéma, de la radio et de la
télévision et le développement des satellites
de communication depuis la décennie 1960.
Dès 1962, Marshall McLuhan ne lançait-il
pas l’idée de « village planétaire » dans sa
Galaxie Gutenberg ? Existe-t-il
effectivement aujourd’hui une culture-monde
? Si la tendance n’est pas niable, on sait
qu’elle est inégalement à l’oeuvre et qu’elle
rencontre des résistances tout autant qu’elle
induit un métissage culturel créatif. L’enjeu,
qui ne se limite pas à l’industrie du
divertissement, est en tout cas majeur et se
traduit par des affrontements et des
compromis périodiques. Dès les années
1970, lors de discussions menées dans le
cadre de l’Unesco, des pays du Tiers-Monde
demandent que l’on pose les bases d’un
«nouvel ordre de la communication» ».
55
Cette phase se décline en fin de période par une façon de faire des sciences et
techniques que D. Pestre et Amy Dahan appellent un « régime de guerre froide »,
qui s’achève aujourd’hui, les contours de la nouvelle façon de faire étant encore
flous. Amy Dahan tente une prospective en défendant la perspective d’un «
régime climatique » dans un travail récent (A. Dahan (dir.), Les modèles du futur.
Changement climatique et scénarios économiques : enjeux politiques et
économiques, La Découverte, Paris, 2007).
Leurs travaux ne sont pas sans faire écho dans la sphère historienne aux travaux
d’économistes dits de l’École de la régulation.
– L’articulation entre l’économique et le social : les apports de la « théorie de la
régulation » : La théorie de la régulation a été formulée dans les années 1980 par
un groupe d’économistes du Centre pour la recherche économique et ses
applications (CEPREMAP), réfléchissant sur la crise économique des années
1970. Pour simplifier, dans la perspective régulationniste, la sphère économique
évolue plus vite que la sphère sociale, ce qui induit des phases de décalage
créatrices de crises, jusqu’à l’instauration temporaire d’une certaine harmonie.
On pourra lire utilement sur elle l’ouvrage de Robert Boyer, un de ses principaux
fondateurs, La théorie de la régulation. 1. Les fondamentaux, coll. « Repères »,
La Découverte, Paris, 2004.
L’économie marque incontestablement les sociétés de la seconde moitié du XXe
siècle. Après les destructions sans précédent de la Seconde Guerre mondiale, les
pays développés à économie de marché connaissent une croissance spectaculaire,
appuyant leur reconstruction sur la prospérité renforcée des États-Unis. Ces
derniers sont doublement motivés dans leur aide aux pays occidentaux et au
Japon : leur industrie exige des clients solvables et à hauts revenus pour éviter la
surproduction, et la « guerre froide » qui débute impose de repousser la tentation
du communisme par des perspectives de développement. Le libéralisme est
pourtant désormais teinté d’interventionnisme étatique, dans la lignée des années
1930, et même d’encadrement international : pour la première fois est mis en
place un véritable système monétaire international, jusque dans les années 1970,
tandis que progressent les échanges et que s’ouvrent, surtout à partir des années
1960, les économies. La croissance qui ralentit alors dans les PDEM se diffuse
dans le même temps aux pays émergents. La fin du siècle constitue ainsi une
nouvelle mondialisation où triomphe universellement la société de
consommation, rajeunie dans l’ère du tout communication.
Comment expliquer la croissance exceptionnelle de l’économie mondiale ?
Quelles ont été ses répercussions sur les sociétés ?
Nombreux sont les facteurs qui expliquent la croissance exceptionnelle de
l’économie mondiale depuis 1945, et particulièrement celle des pays développés :
facteurs démographiques (croissance puis recul des taux de natalité, recours à
l’immigration) ; évolution des sciences et des techniques, révolution informatique
; essor sans précédent de la productivité ; multiplication des échanges
commerciaux entre les pays ; facteurs politiques enfin (le choix de la voie
capitaliste ou communiste ; la conduite d’une politique libérale par exemple). Les
bouleversements économiques ont des répercussions sur les sociétés :
l’urbanisation s’accélère tandis que les campagnes se vident ; le niveau de vie et
les richesses augmentent, faisant reculer la pauvreté et l’exclusion sans pour
autant les éradiquer ; certaines catégories sociales sont en difficulté ou en crise
(paysans, ouvriers, mineurs, petits artisans et petits commerçants), tandis que
d’autres s’affirment et prennent une place de plus en plus importante dans la
société, les classes moyennes et la figure du cadre en particulier. À la faveur de
ces recompositions, des résistances se manifestent, des crises d’identité parfois, et
de nouvelles sociabilités se créent.
La mise en place de la société de consommation et de la société de
communication – cette dernière étant appelée à connaître un zénith avec
l’avènement de la mondialisation –, sont deux faits de civilisation marquants de
la période qui s’ouvre en 1945 et se poursuit aujourd’hui. Le thème de la
mondialisation de la culture, qui alimente une abondante littérature et devient
l’objet de débats politiques ou intellectuels souvent passionnés, conduit à
interroger simultanément la civilisation matérielle et ses ambitions culturelles.
Quels sont les grands moments des évolutions esquissées ci-dessus ?
Le cadre chronologique peut-être découpé en plusieurs périodes bien distinctes :
56
la Reconstruction (1944-1950), l’essor des Trente Glorieuses (1950-1973), puis la
croissance dépressive à partir de 1973. La coupure de 1973 est certes pratique,
car hautement symbolique et désormais entrée dans les moeurs, mais elle ne doit
pas cacher les dysfonctionnements que connaissent la plupart des pays
développés dès la fin des années 1960.
L’idée générale est qu’on est passé, à compter de 1945, du modèle de la « société
industrielle » au modèle de la « société de communication », expression dont la
divulgation date des années 1970. Autrement dit : d’une organisation sociale
déterminée par un système productif dominé par les activités et les techniques
industrielles à des sociétés dont les structures et les rapports sociaux sont de plus
en plus fondés sur les technologies, la production et les échanges d’informations.
C’est le sens de l’évolution globale, à l’échelle du monde, des économies et des
sociétés à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Mais, bien entendu, ce
schéma ne doit pas masquer les grandes inégalités de développement entre pays
anciennement industrialisés et nouveaux pays industriels et, plus encore, avec les
pays n’ayant pas même accédé au stade de l’industrialisation. Cette évolution
d’ensemble a d’ailleurs eu pour effet de provoquer l’éclatement de la notion
(forgée dans les années 1950) de Tiers-Monde, accélérant le développement d’un
certain nombre de pays alors considérés comme en voie de développement et
enfonçant encore plus dans le sous-développement les pays les moins avancés.
Ce sujet doit permettre d’aborder les processus de croissance, de dépression et de
mondialisation dans leur complexité, en effectuant un va-et-vient incessant entre
histoire économique, histoire politique, histoire sociale et culturelle, géographie
et sociologie. L’histoire des représentations doit également être mobilisée :
comment une telle histoire fut-elle perçue par ses contemporains ou ses acteurs ?
Le témoignage de Georges Perec dans Les Choses (1965) ou celui de Georges
Friedmann dans Où va le travail humain ? (1967) sont à cet égard d’une grande
valeur.
1973 : une rupture ? de type conjoncturel ou de nature structurelle ?
La chronologie de cette évolution est construite autour de la rupture
conjoncturelle du premier choc pétrolier de 1973 : c’est la fin de la croissance
économique rapide et continue et l’entrée dans une croissance économique
ralentie et discontinue, faisant alterner reprises et récessions. Mais l’importance
de la rupture conjoncturelle de 1973 ne doit pas occulter le fait que les structures
économiques et sociales sont plus visqueuses que les cours du pétrole : la
mutation des sociétés industrielles en sociétés de communication constitue un
processus de longue durée et il faut bien souligner que les formes de l’ancien
modèle continuent à être présentes alors même que les dynamiques du nouveau
modèle sont déjà effectives.
Accident conjoncturel ou changement profond ?
En 1979, les analyses manquent de recul : les deux crises pétrolières se sont
succédé sans que l’on ait encore connu le mécanisme du contre-choc pétrolier.
D’où une explication causale simple, peu satisfaisante pour les historiens : la
crise économique est fille du choc pétrolier. L’autre explication, reposant sur un
diagnostic d’usure du modèle capitaliste triomphant des Trente Glorieuses,
conduit à voir dans la crise un retournement profond de tendance (la phase
descendante d’un cycle de Kondratieff par exemple). La décélération commence
avant le choc pétrolier de 1973 (théorie de Schumpeter qui considère que c’est
dans la croissance que l’on retrouve les germes de la crise).
Crise, dépression, récession ?
Nous avons préféré l’expression « croissance dépressive » à celle de « grande
dépression » plus couramment utilisée, mais qui a le tort de laisser croire que la
croissance a disparu, ce qui n’est pas le cas. En effet, malgré les difficultés
incontestables que connaissent les sociétés occidentales – montée des inégalités,
chômage, etc. – la croissance est toujours au rendez-vous, quoique ralentie.
Reconversions industrielles et chômage sont deux phénomènes majeurs de cette
période.
Une troisième révolution industrielle : les nouvelles technologies de l’information
et de la communication (NTIC)
Si l’on prend le terme innovation dans son acception classique, c’est-à-dire la
mise au point d’une idée nouvelle insérée dans les circuits de production ou de
57
vente, et si on l’applique à la période qui commence à partir des années 1990, on
ne peut que constater que l’on est bien entré dans ce que l’on appelle une
révolution de l’information.
La révolution informatique jointe à la révolution des satellites permet la
transmission de l’information en temps réel, fait entrer le monde dans une société
de la communication. Ces innovations ont de plus un effet multiplicateur,
puisque, très souvent une amélioration permet plus de productivité, ce qui
nécessite en amont et en aval des capacités encore accrues de production, de
transformation et/ou de transport ; d’où la nécessité d’innover dans les secteurs
périphériques – qui demandent eux-mêmes ensuite plus de productions. Le
secteur recherche-développement devient désormais une des clefs de ce que l’on
appelle parfois la Nouvelle économie. Ainsi, le progrès technique né dans les
années 1970, perfectionné dans les années 1980, a-t-il bien stimulé dans les
années 1990 la croissance économique – annuellement, celle des Etats-Unis
dépend pour 40 %, des industries de communication au sens large. Certains
n’hésitent pas à parler aujourd’hui de « nouvelle révolution industrielle ».
Les découpages de l’ère industrielle sont multiples et contestables : si
l’électrification et les nouvelles méthodes de travail du début du XXe siècle sont
incontestablement un tournant, certains voient dans le nucléaire, rupture
technologique majeure, une troisième révolution. Celle de l’informatique et de
l’électronique est pour le moins aussi importante, même si, en 1982, Michel
Albert ne peut y voir que l’extraordinaire mutation de la miniaturisation des
informations à travers le perfectionnement des microprocesseurs et leur
démocratisation. La fluidité des échanges que permet depuis la numérisation
des données est l’autre versant de cette révolution. Par ailleurs cette nouvelle
phase est marquée par un transfert d’activités vers le Sud, les délocalisations,
filles des facilités du transport et de la recherche des avantages comparatifs dans
la nouvelle division internationale du travail.
Il faut allier les analyses de la conjoncture et des structures et marier les
explications relevant à la fois du niveau de l’offre, de la demande et des marchés ;
cela reflète les principales méthodes de la recherche actuelle en histoire
économique et sociale.
Pour rendre compte, à un niveau plus structurel, des grands types d’explications
des transformations économiques et sociales rapides qui ont marqué le monde au
cours du second XXe siècle :
– L’hypothèse du passage du système technique de la deuxième à la « troisième
révolution industrielle ». C’est tenter d’expliquer les évolutions économiques et
sociales et les transformations des systèmes productifs du point de vue de l’offre
(c’est-à-dire le côté des producteurs). On peut mettre l’accent sur l’exemple
de la révolution de l’informatique.
– L’hypothèse d’une généralisation au plan mondial des pratiques et des valeurs
dominantes de la société de consommation. C’est cette fois envisager les
évolutions du système productif du point de vue de la demande (c’est-à-dire le
côté des consommateurs).
– L’hypothèse d’une mutation dans les modalités de l’échange des hommes, des
biens et des services qu’on peut décrire comme le processus allant de
l’internationalisation à la «mondialisation » des économies et des sociétés. C’est,
enfin, rechercher le moteur des transformations du point de vue du marché (c’està-dire le côté des échanges qui mettent en relations producteurs et
consommateurs). Cette problématique peut être illustrée d’une part au moyen
d’une approche cartographiée et d’autre part par un dossier documentaire
consacré à la question spécifique de la culture dans la mondialisation.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Quels liens unissent la société actuelle, dominée par les effets de la révolution des
technologies de communication, et la société du triomphe industriel des Trente
Glorieuses dont elle est issue ?
Le « village mondial »
Le livre de 1962 de Marshall Mc Luhan, The
Gutenberg Galaxy, établit l’invention du
caractère mobile comme matrice de
l’individualisme. L’ère Marconi, celle de la
télévision lui succède, avant (le titre date
de 1968) l’émergence d’un village global,
dans lequel, selon le sociologue canadien,
La démarche consiste à analyser les relations qui ont existé, dans la période, entre
les évolutions dans les manières de produire des richesses (« le système productif
», incluant les techniques de production, mais aussi les formes d’organisation du
travail), les façons d’échanger ces richesses («le marché») et les modes de vivre
58
ensemble (les structures et les rapports sociaux, mais aussi les mentalités et les
idéologies). Cette analyse est conduite ici d’un point de vue mondial, mais aussi
en prenant appui sur des exemples nationaux.
On évitera donc un plan chronologique du type :
I) L’industrie au service de la consommation. (1945-1970)
II) Crise ou mutation ? (1970-1980)
III) Nouvelle économie et évolutions sociales au XXIe siècle
L’analyse de cette mutation sociale peut être menée selon trois directions de
recherche principales :
1. Les transformations du système productif : de l’usine taylorienne à l’entreprise
en réseau.
2. Les évolutions des sciences et des techniques : de la Deuxième à la Troisième
Révolution technologique.
3. Les transformations des échanges : de l’internationalisation à la mondialisation
des marchés.
La société de consommation et L’ère de l’opulence
John K. Galbraith (1908-2006) est un économiste canadien qui a conseillé
plusieurs présidents démocrates (Roosevelt, Kennedy, Johnson). Dans son
ouvrage, L’ère de l’opulence, paru pour la première fois en 1958, il montre que la
consommation est impulsée par les grandes entreprises, qui imposent leurs
produits sur le marché (par la publicité) et fixent les prix indépendamment de
l’offre et de la demande. De tradition keynésienne, il estime que l’État a un
rôle important à jouer dans le domaine économique.
Galbraith, analyste de la grande entreprise américaine, est aussi un critique
mordant de la société de consommation triomphante des années 1950. Le crédit
systématisé, malgré le souvenir amer de son rôle dans la crise de 1929, fait de la
consommation des ménages le moteur de la croissance américaine, au détriment
de l’épargne. Ce modèle d’endettement est permis par la domination du dollar,
qui permet aux États-Unis d’exporter leurs dettes. La publicité n’est pas non plus
une nouveauté, mais elle perfectionne son efficacité et s’appuie sur de nouveaux
supports, notamment la télévision.
Art et société de consommation
Le dossier rassemble trois oeuvres issus du mouvement du Pop art qui s’est
développé en Grande-Bretagne et aux États-Unis dans les années 1950-1960. Les
trois artistes ici représentés sont nés dans les années 1920 et figurent parmi les
représentants principaux de ce courant. Eduardo Paolozzi et Richard Hamilton
sont britanniques. Paolozzi est né le 7 mars 1924 à Leith au nord d’Edimbourgh,
Richard Hamilton à Londres en 1922. Après avoir fréquenté la Slade School of
Art de Londres, ils participent à la fondation du Groupe Indépendant, groupe qui
organise en 1956, à la Whitechapel Art Gallery de Londres, l’exposition « This is
tomorrow » qui marque la fondation du Pop art britannique. Andrew Warhola,
plus connu sous le nom d’Andy Wahrol, né le 6 août 1928 à Pittsburgh, est
américain. Après des études au Carnegie Institute of Technologie, il s’installe à
New-York, où il commence à travailler comme dessinateur publicitaire pour
Vogue et Harper’s Bazar. En 1952, il organise sa première exposition à la Hugo
Gallery à New-York. Entre 1953 et 1955, il devient créateur de costumes dans
une troupe de théâtre et s’affuble d’une perruque platine qui va être durablement
associée à son image. Il faut attendre 1960 pour qu’il réalise ses premiers
tableaux inspirés des Comics. Le tournant décisif a lieu en 1962 à New York : il
participe avec Roy Lichtenstein et des artistes français, comme Yves Klein et
Nikki de Saint-Phalle, à une exposition majeure du Pop art et du Nouveau
réalisme sous le nom de The New Realists. Le terme de « Pop art » a été utilisé
pour la première fois en 1953 par le critique d’art Lawrence Alloway. Richard
Hamilton le définit ainsi : « Populaire, éphémère, remplaçable, peu coûteux,
fabriqué en série, jeune, spirituel, sexy, plein de trouvailles, séduisant, grandes
affaires ». Comme le montre les trois oeuvres de ce dossier, les artistes pop
rompent avec l’expressionnisme abstrait, très en vogue depuis la fin de la guerre,
et entament un retour au réel, réel qu’ils identifient à la société de consommation
ainsi qu’à la culture publicitaire et populaire qui s’épanouit avec elle : l’American
way of life devient la matière première de leur travail.
Andy Wahrol s’est fait une spécialité de mettre en scène les icônes (Marylin
Monroe) et les objets quotidiens et banals de la société de consommation (les
l’information circule de manière instantanée
d’un bout à l’autre de la planète. Autant que
le nombre de morts, c’est effectivement
leur exploitation télévisuelle qui intéressait
les terroristes du 11 septembre.
Si « village global » il y a, ce dernier est
essentiellement limité au monde occidental
et capitaliste. Nuançons donc les prévisions
de Zbigniew Brzezinski et d’Alain
Finkielkraut, qui prévoyaient « une intimité
mondiale sans précédent » pour des «
hommes planétaires ». En effet, l’Amérique
Centrale et l’Amérique du Sud, mais surtout
l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie et la zone
Pacifique sont mal équipés en ordinateurs
reliés à Internet. L’opposition ancienne entre
Nord et Sud n’a pas disparu dans le domaine
des communications en 2002.
On retrouve aussi ce décalage entre les
civilisations concernant l’équipement en
téléphones mobiles ; même si cette
technologie tend à se répandre partout.
À travers l’exemple de Renault, on montre
l’évolution quasi copernicienne de l’industrie
automobile en France. La logique
de croissance de Renault s’inspire toujours
des politiques de développement de ses
concurrents – les anticipant aussi, parfois –
Ford en son temps, Toyota ensuite. La
première image nous montre une chaîne de
montage en 1952 sur le site de BoulogneBillancourt (construite afin de concurrencer
Citroën sur l’île Seguin, en région
parisienne) : dès 1929, la première chaîne de
montage ouvre ; en 1937, l’usine est
terminée. Deux ouvriers travaillent sur cette
chaîne où cohabitent encore hommes et
machines – il s’agit ici des machinestransferts inventées par Pierre Bézier. La
deuxième photographie a laissé place nette
aux machines. Désormais, nous sommes
dans l’ère de l’automation, et la machine a
complètement remplacé l’homme dans
l’exécution des tâches. La fin de l’île-usine
de Billancourt est en ce sens emblématique
des nouvelles orientations de Renault en
particulier, et de l’industrie automobile
en général. La verticalité de la grande usine,
son « enclavement » dans une région de plus
en plus saturée avaient rendu ce site obsolète
; la grande grève de 1985 allait sonner le glas
de ce site désormais anachronique : trop
d’hommes sans doute, réunis sur de trop
petites surfaces désormais inadaptées à la
nouvelle donne de l’industrie automobile. En
1992, la fi n de Boulogne-Billancourt
sanctionne la fi n d’une époque. Maubeuge
(Nord-Pas-de-Calais), c’est tout autre
chose : une usine située au coeur des réseaux
de distribution européens, près de la frontière
belge ; elle s’étale sur une grande superficie.
Sur ce site peuvent se conjuguer sans entrave
les nouvelles consignes de la production
automobile : robotique, informatique,
59
boîtes de soupe Campbell). Dans ce tableau, composé de 7 rangées de 30
bouteilles de Coca-cola, il souligne le caractère reproductible et impersonnel des
produits fabriqués de manière standardisée dans les usines taylorisées. La
technique utilisée – la sérigraphie – accentue l’aspect artificiel de ces bouteilles.
Wahrol ne les peint pas lui même mais il les reproduit à l’aide d’un procédé
emprunté à l’industrie publicitaire. Au lieu d’un objet concret, c’est donc une
technique qui entre discrètement, presque en sous-main, dans l’oeuvre. À l’image
de la logique marchande, ces bouteilles trompent l’oeil et l’esprit. À leur réalité
se substitue une image sérielle, froide et déréalisante qui symbolise les
productions d’une société dépourvue de véritable substance et d’âme.
Sir Eduardo Luigi Paolozzi, artiste avant tout sculpteur, Écossais d’origine
italienne né en 1924 est un des premiers représentants du Pop art britannique. Il
inclut, dès 1947, dans son collage I Was a Rich Man’s Plaything (Tate Gallery,
Londres), une pin-up, une bouteille de Coca-Cola et le mot « pop ». Membre du
Young group, il représente une nouvelle génération d’artistes en rupture avec la
culture élitiste, qui s’intéresse aux effets de la société moderne et de la
communication de masse sur la perception du monde et sur l’art. Dans ce collage,
Paolozzi met côte à côte des figures et des objets emblématiques de l’imagerie
populaire, publicitaire et médiatique de l’Amérique de l’après-guerre : une
ménagère et une starlette d’Hollywood, associées à un rouge à lèvres, forment les
deux représentations dominantes de la femme ; un couple sur une moto et une
automobile renvoient à l’exaltation de la vitesse, de l’autonomie et de la liberté ;
la boîte de jus d’orange, dont la marque donne le titre au tableau, au règne du
produit standardisé ; l’appareil de TSF au rôle nouveau joué par la
communication. Au fond, une horloge semble donner le mot d’ordre de cette
société de consommation : « Time is money ».
Présenté lors de l’exposition de la Whitechapel Art Gallery de Londres en 1956,
ce collage constitue un des oeuvres fondatrices du Pop art britannique. Hamilton
met en scène un couple caricatural – monsieur muscle attifé d’une sucette pop,
une strip-teaseuse – dans un appartement doté de tous les attributs de la culture et
du confort modernes : journal, magnétophone, télévision, couverture d’une bande
dessinée à succès ; canapés, aspirateur, grille-pain. Un abat-jour est en partie
recouvert par le logo de Ford tandis que le plafond lunaire fait référence à un des
grands mythes de la société américaine : celui de la conquête de nouvelles
frontières, la conquête de l’espace en l’occurrence. Hamilton renvoie l’image
d’une société dominée par les objets et par les productions de la culture de masse.
Le point de vue de l’artiste est mitigé. L’univers représenté dans ce collage
apparaît aseptisé et artificiel et les deux personnages centraux seulement soucieux
de leur corps et de leur apparence. Hamilton éprouve néanmoins une certaine
fascination pour cette nouvelle société en voie d’émergence.
Caddie et abbé Pierre
La fuite en avant dans la consommation correspond à une nouvelle aliénation,
dénoncée du point de vue de la défense des consommateurs par le mouvement
consumériste, popularisé en Californie par Ralf Nader, et théorisé par les
situationnistes français des années 1960 (Guy Debord), puis par le philosophe
Jean Baudrillard. L’aspect peu avenant de la consommatrice, antithèse des
modèles répandus par la mode et le cinéma, sa surcharge pondérale comme les
aliments industrialisés de son caddie, tout contribue à inscrire cette sculpture
hyperréaliste dans la même veine dénonciatrice.
La précarité prend de nouvelles formes dans les années 1980. Les nouveaux
pauvres, pudiquement camouflés derrière l’acronyme administratif de SDF
remplacent les sans-logis de l’abbé Pierre des années 1950. Dans « Iconographie
de l’abbé Pierre », Roland Barthes montre que la posture et l’accoutrement de
l’abbé Pierre participent pleinement à sa popularité (dans Mythologies, éditions
du Seuil, 1957). La figure du fondateur des chiffonniers d’Emmaüs quitte
brutalement les pages des Mythologies de la IVe République de Barthes pour
s’installer en force parmi les footballeurs en tête des classements de popularité
des célébrités. Cette photo peut par ailleurs se lire comme l’antithèse de la
sculpture de Hanson : l’emblème de la société de consommation, le caddie, est
désormais utilisé pour trimbaler les très relatives richesses de tous ceux que
l’État-providence n’assiste plus.
La société de consommation
« Moulinex libère la femme » proclame une réclame contemporaine en France.
politique du « juste à temps ».
À noter également que Maubeuge participe
de la charte de l’Agenda 21 en ce qui
concerne le développement durable.
Georges Perec Les Choses.
Georges Pérec (1936-1982) a 29 ans et est
un auteur totalement inconnu lorsqu’il reçoit
en 1965 le prix Renaudot pour son roman
Les Choses. Dans ce texte d’avant-garde,
devenu un classique, il met en scène un
couple, Jérôme et Sylvie, qui ne rêve que de
standing, de confort immobilier, de train de
vie et de bonheur vestimentaire. La société
qu’il décrit est une société organisée
sur le modèle du supermarché, dans laquelle
l’activité essentielle de chacun de ses
membres consiste à pousser le chariot et à
consommer. Court et accessible, ce roman
nous plonge au coeur des années 1960,
durant lesquelles la société de consommation
triomphe.
Confronter des objets à cinquante années
d’intervalle permet de saisir l’ampleur des
progrès technologiques qu’ont connus les
pays développés. Ces choses symbolisent
aussi l’avènement de nouvelles pratiques
sociales et culturelles.
Ces objets sont représentatifs de la société de
consommation car, assez rapidement après
leur lancement, ils sont produits et diffusés
en très grand nombre, démocratisés
en somme. Ils sont aussi représentatifs de la
mise en place d’une société de
communication car tous sont des médias, au
sens où ils créent du lien et permettent de
diffuser des informations.
Il existe une grande différence entre les
prototypes ou les premiers objets de chacune
de ces catégories, et les objets que nous
utilisons quotidiennement aujourd’hui.
En cinquante années, leur design et leur
format ont évolué vers une plus grande
fonctionnalité et, surtout, ils ont
rétréci. On passe ainsi du téléphone fixe au
téléphone portable, de la salle d’ordinateur à
l’ordinateur de bureau (et même au portable),
d’un magnétophone lourd et disgracieux à un
baladeur discret et multifonctionnel. Ces
évolutions témoignent de l’efficacité de la
recherche et de
la production dans les domaines de
l’électronique : révolution de la puce, puis
celle du numérique. D’un usage
professionnel (pour le téléphone et le
magnétophone des années 1950) et parfois
collectif (l’ordinateur de 1952), on passe à
une utilisation individuelle et personnelle de
l’objet. Cette appropriation va dans le sens
d’une individualisation de ces objets, qui
pourraient passer pour des symboles d’une
société où la place de l’individu grandit,
tandis que celle des groupes s’efface. Vie
professionnelle et vie privée se confondent
60
Ici s’étale la modernité électrique et le gaz qui doit permettre une simplification
des tâches. Les arts ménagers permettent des ruptures dans l’alimentation et le
travail domestique, notamment avec la généralisation des réfrigérateurs et des
cuisinières au gaz. Pour autant, les tâches restent très sexuées, et le modèle
bourgeois de la femme au fourneau persiste, alors même que le taux de
féminisation du travail progresse fortement.
Pour quelles raisons la croissance ralentit-elle après 1973 ?
L’expression « les Trente Glorieuses » a été employée par l’économiste français
Jean Fourastié, en référence aux trois journées révolutionnaires de 1830, pour
désigner les transformations profondes qu’ont connues les structures
économiques et sociales dans les pays développés entre 1945 et 1975.
L’analyse de Jean Fourastié (1907-1990) repose sur le cas français. Il met en
évidence vingt-cinq années de « temps faciles » pendant lesquelles la France a
profité de la croissance mondiale ; cette dernière reposant, selon lui, sur une
longue période où progrès techniques, progrès économiques et progrès sociaux
s’interpénètrent. Une partie du monde – les pays industrialisés – est bel et bien
en développement, et la population bénéficie des fruits de la croissance : la
France appartient à cette catégorie de pays.
Les principaux facteurs de blocage après 1973 se retrouvent dans les quatre
assertions de Jean Fourastié :
– des pays industrialisés qui manquent de matières premières et de sources
d’énergie ;
– l’industrialisation de certains pays du tiers monde (il fait allusion aux NPI) ;
– la désorganisation du commerce international : les différents Rounds du GATT
n’aboutissent pratiquement jamais ;
– un système monétaire international qui perd ses repères – notamment à partir de
1971 où le dollar n’est plus convertible en or – consacre l’éclatement du système
de Bretton Woods. À partir de 1973, à l’initiative de l’Europe, l’adoption de
changes flottants induit, de fait, un nouveau système monétaire international sans
qu’une conférence internationale n’en définisse les règles. Les accords de la
Jamaïque se bornent à entériner le flottement des monnaies et à démonétiser l’or
(1976).
Ce texte reste toujours d’actualité car Jean Fourastié semble avoir anticipé la
remarquable capacité d’adaptation du système libéral, qui triomphe après
l’éclatement de l’URSS, ainsi que l’avènement d’une croissance ralentie. Le texte
du document se poursuit par la phrase suivante : « Faute de régulation à l’échelle
mondiale, tout porte à croire qu’elle sera plus dure encore que dans le passé aux
peuples qui n’auront pas les réflexes des forts ». Ainsi, Jean Fourastié a bel et
bien anticipé l’âpreté de la lutte économique, et l’inexorable paupérisation des
pays les plus démunis. Reste à savoir si l’organe de régulation évoqué –
aujourd’hui l’OMC – a les moyens ou la volonté d’imposer de nouveaux
équilibres.
Les pays industrialisés ont connu une croissance économique exceptionnelle
entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le choc pétrolier de 1973. Les taux
de croissance moyens de la période ont été trois à quatre fois supérieurs à ceux de
la période 1913-1950. Cette période a été qualifiée par l’économiste français,
Jean Fourastié, de «Trente Glorieuses » en référence aux journées
révolutionnaires de 1830. On peut s’interroger sur le caractère vraiment radical
des transformations qui ont alors marqué les économies et les sociétés
industrialisées. On pourra de la sorte chercher à comprendre la part de mythe et
de réalité que recouvre cette expression forgée après coup, en 1979.
– Une croissance sans précédent de l’économie : entre 1951 et 1973, la croissance
des principaux pays a été beaucoup plus rapide que dans la première moitié du
XXe siècle et que depuis le coup d’arrêt lié au choc pétrolier de 1973. On a pu
parler pour certains pays de «miracle économique». Cette croissance a été tirée
par l’industrie, secteur où les gains de productivité ont été très importants.
Cette croissance s’explique par des facteurs techniques, mais aussi par des
facteurs structurels. Le travail à la chaîne s’est généralisé dans la période, ainsi
que la robotisation des usines. Cet effort d’investissement a bénéficié, en outre,
d’un transfert massif de main-d’oeuvre du secteur primaire vers le secteur
secondaire.
– L’apogée de la société industrielle : la croissance économique des Trente
Glorieuses a considérablement transformé les sociétés des pays industrialisés : le
aujourd’hui dans l’usage que l’on peut faire
du téléphone ou de l’ordinateur portables.
L’invasion des objets, la « civilisation de la
poubelle » ?
Jean Baudrillard (né en 1929), sociologue,
est l’un de ces intellectuels français qui,
comme Roland Barthes ou Georges Perec,
se sont efforcés de donner du sens aux
évolutions de la société de consommation et
au langage des choses.
L’ouvrage du sociologue et philosophe Jean
Baudrillard (1929-1987), La Société de
consommation, demeure, avec L’Homme
unidimensionnel d’Herbert Marcuse (1964),
l’oeuvre la plus marquante de cette critique
de la société de consommation. Dans ce
livre, il montre comment la consommation
est devenue le grand mythe des sociétés
modernes ainsi que le moteur essentiel des
comportements. Soumis à l’empire des «
signes » véhiculés par le monde médiatique
et publicitaire, l’individu, replié sur la sphère
privée, est aliéné à l’univers des objets et
totalement coupé du monde réel dans sa
totalité.
Il a publié Le Système des objets en 1968.
Dans ce texte, il explique que la
multiplication des biens durables en
s’interposant entre les hommes
(le recours au téléphone pour se parler) a
provoqué une véritable « mutation
écologique de l’espèce humaine » : les
objets sont devenus les intermédiaires
obligés entre les êtres humains, mais aussi
entre les hommes et la nature. Cette
omniprésence des objets est critiquée par
l’auteur qui estime qu’elle est à l’origine
d’un gaspillage qui témoigne aussi de
l’inégale répartition de l’abondance à
l’échelle de la planète.
Dans ce tableau, qui appartient à la série des
Scapes, dans laquelle l’artiste réunit dans des
formats panoramiques une imagerie
rassemblée autour d’un même sujet
(foodscape, planescape, sciencefictionscape,
spacescape), le peintre islandais Erró (né en
1932) souligne à son tour la place
envahissante de l’objet. Composée
d’automobiles, en plus ou moins bon état,
rassemblées dans ce qui s’apparente à une
décharge, cette oeuvre donne l’image
d’un monde dont l’horizon est bouché par les
objets. L’univers d’Erró est aussi un monde
illusoire et transitoire qui génère, par
l’abondance de sa production, gaspillages
et déchets.
Pour compléter,on peut mentionner le
mouvement hippie, les écrits du Club de
Rome qui dès 1972 prône une croissance
zéro mais aussi l’oeuvre cinématographique
de Jacques Tati (Mon Oncle en 1958,
Playtime en 1967).
61
groupe des ouvriers a atteint son niveau maximum, tandis que les paysans
disparaissaient au profit d’une petite minorité d’agriculteurs intégrés à la
production industrialisée. Les employés et les cadres se sont rapidement
multipliés. Dans le même temps, les villes se sont rapidement développées,
regroupant plus d’habitants que les campagnes qui se sont vidées. Cette période a
ainsi correspondu à l’apogée de la société industrielle.
– Le problème du partage des fruits de la croissance. L’augmentation des
richesses provoquée par la croissance a posé le problème de leur partage entre
groupes sociaux. La généralisation du fordisme a certes permis une élévation
globale du pouvoir d’achat. C’est ainsi que le pouvoir d’achat des ouvriers en
France a été multiplié par trois entre 1950 et 1975. Cette évolution s’explique par
l’efficacité du dialogue social dans la période et le rôle de l’État-providence.
Mais elle n’a pas empêché le maintien d’inégalités du haut en bas de l’échelle des
salaires et surtout l’existence d’exclus de la croissance (cas des travailleurs
émigrés).
Comment, après les années 1970, une longue dépression d’un type nouveau et la
mondialisation de l’économie dans un contexte libéral engendrent-t-elles une
société post-industrielle ?
À partir des années 1970, les pays industrialisés entrent dans la crise qu’on
attribue, dans un premier temps, au choc pétrolier de 1973 et à l’ébranlement
monétaire de 1971/72. La réalité est plus complexe et la dépression de la fin du
XXe s. présente un caractère inédit voire « insolite » comme le constate Jacques
Marseille dans la revue L’Histoire (n° 279, sept. 2003), en la comparant à celle de
1929. La dépression de la fin du XXe s. apparaît peu comparable au « modèle
classique » de la crise de 1929, car dès 1976 la croissance est à nouveau à l’ordre
du jour. Les années 1970 ne constituent donc pas la rupture qu’on s’imaginait. Le
choc pétrolier de 1973 ne marque plus une rupture décisive. Dès lors, les remèdes
préconisés pour « sortir de la dépression » (keynésianisme, monétarisme ou
néolibéralisme) ne peuvent plus se concevoir que dans le contexte d’une
mondialisation accélérée par les progrès techniques (« troisième révolution
industrielle »). Cette mondialisation est le fait marquant de l’avènement de la
société post-industrielle.
Pourquoi une « nouvelle économie » apparaît-elle à la fin du XXe siècle ?
Un nouveau cycle d’inventions décisives
Le schéma des phases de croissance du XIXe et du début du XXe siècles de
l’économiste J. Schumpeter semble à l’oeuvre au tournant des années 1980-1990.
Les innovations qui entraînent de nouveaux besoins arrivent groupées et orientent
les marchés dans de nouvelles directions, non sans avoir mis à mal les
spécialisations précédentes. Ces « destructions créatrices » voient ainsi, par
exemple, la numérisation des informations ruiner le marché traditionnel de la
vente de musique sous forme matérielle (CD après les disques vinyles et les
cassettes magnétiques), tandis que les fabricants de lecteurs MP3, format conçu
exactement 10 ans après le Compact Disc, engrangent des bénéfices consistants
(Apple se relance grâce à ses I Pod).
La révolution informatique – jointe à la révolution des satellites – permet la
transmission de l’information en temps réel, fait entrer le monde dans une société
de la communication dans laquelle la maîtrise de la connaissance devient la clé de
tous les pouvoirs. La convergence des divers moyens de communication
(télévision, téléphone, Internet) marque l’entrée dans la société de la vidéosphère
(concept forgé par le philosophe Paul Virilio ; il désigne une société caractérisée
par l’omniprésence des messages visuels diffusés par des supports multiples
(télévision, Internet, téléphone) à destination d’un public mondial. Chacun a
désormais les moyens d’être acteur de ce système.
Les secteurs concernés par la nouvelle économie sont en marge de l’industrie
traditionnelle (informatique, électronique, télécommunication), voire en dehors
(biotechnologies). Ces dernières profitent des avancées de la science pour
renforcer la marchandisation d’un service au statut particulier, la santé.
L’allongement de l’espérance de vie, partout sensible au Nord malgré le
vieillissement (sauf en Russie), le pouvoir d’achat élevé des retraités et
l’effacement de l’État providence ouvrent des perspectives favorables
aux entreprises du secteur, qui investissent massivement dans une course aux
innovations qui peut leur offrir des retombées exceptionnelles. Les industries
informatiques progressent par amélioration de leur support matériel, mais aussi
Le choc pétrolier
Il a correspondu à une hausse brutale du prix
du pétrole décidée unilatéralement par les
pays de l’OPEP en 1973. Le quadruplement
du prix des hydrocarbures a contribué à
stopper la croissance rapide qui avait
caractérisé les économies des pays
développés depuis le début des années 1950
et qui avait notamment reposé sur le bas prix
de l’énergie. Le choc pétrolier a également
contribué à accélérer l’inflation dans tous les
pays industrialisés. Une autre conséquence
du choc pétrolier fut de ralentir la
consommation d’énergie des pays
développés (thème des économies d’énergie)
et de modifier la structure de leur bilan
énergétique (part croissante des énergies de
substitution, comme le nucléaire ou les
énergies douces, tels l’énergie solaire ou
éolienne).
Margaret Thatcher et la dépression
Un an et demi après son arrivée au pouvoir,
Margaret Thatcher souligne les trois axes de
la politique qu’elle souhaite mettre en oeuvre
pour sortir le pays de la dépression
: lutte contre un pouvoir syndical jugé
exorbitant, privatisations massives et lutte
contre l’inflation.
Née en 1925, cette fille d’épicier, Premier
ministre britannique de 1979 à 1990, remet
en cause le modèle de développement «
keynésien » qui s’est imposé dans les pays
occidentaux au lendemain de la guerre.
Influencée par les idées de Milton Friedman
et de Friedrich Von Hayek, elle souhaite
réduire l’interventionnisme étatique et
favoriser l’initiative privée en réduisant les
dépenses publiques, en allégeant la fiscalité
et en libéralisant l’environnement
économique. Elle devient, avec Ronald
Reagan, le symbole de la révolution
néolibérale qui se diffuse dans le monde
occidental à partir des années 1980.
62
par la mise au point de nouveaux logiciels. Les années 1990 voient se
renforcer les interactions entre l’informatique et les télécommunications, la
numérisation permettant de faire transiter toutes les données vers les mêmes
supports. Le domaine spatial, pour spectaculaire qu’il soit, n’est pas le plus
novateur. C’est probablement la date de 1962 qui est la plus importante ici,
même si le lancement par les Américains du premier satellite de communication
est resté relativement à l’ombre des exploits soviétiques du moment (premier
animal, premier homme, première femme envoyés dans l’espace). De façon plus
générale, c’est l’ensemble du secteur tertiaire qui a été révolutionné par
l’informatisation, qui a simplifié quantité de tâches et permis ainsi des gains de
temps et de productivité comparables à ceux de l’industrie lors de la seconde
révolution industrielle.
Ici jouent à plein les règles de retour sur investissement de l’innovation : pour un
dollar investi dans la recherche fondamentale, la recherche appliquée peut espérer
en retirer 10, tandis que l’application industrielle en rapporte 100. D’où la relative
stagnation du domaine spatial depuis la fin de la guerre froide, avant une
éventuelle relance avec les tentatives de militarisation de cet espace par les
Chinois et les Américains depuis 2007. Par ailleurs, ces nouvelles technologies
trouvent autant de retombées dans les secteurs du loisir et des jeux, comme
l’illustre la photo de l’usine Sega, que dans ceux des télécommunications
: se constituent ainsi des groupes puissants, aux frontières de l’électronique et du
jeu, fragilisés par ailleurs par la rapidité du vieillissement de ces produits et par
les effets de mode.
Le progrès technique dans l’industrie informatique et dans les
télécommunications entretient, pour l’instant, un cercle vertueux ; on assiste à
une diminution des coûts et une augmentation de la productivité dans les secteurs
concernés. Mais cela va bien au-delà : bien utilisé, complètement maîtrisé, l’outil
informatique stimule les secteurs traditionnels en les contraignant à s’adapter,
à changer jusqu’à leur façon de produire et de distribuer. Il permet ainsi
d’incontestables économies d’échelle, et augmente encore la productivité. En
cela, le progrès technique est bien un élément de la croissance économique (le «
wintelisme », néologisme créé par Michael Borrus et John Zysman en 1997 à
partir d’« Intel » et de « Windows », défi nit un nouveau modèle productif fondé
sur de nouvelles technologies). Selon Michel Goussot (Les États-Unis dans la
nouvelle économie mondiale, Éditions Armand Colin, 2000), les nouvelles
technologies ont permis aux États-Unis de revenir à des taux de croissance de
l’ordre de 3 % à la fi n des années 1990, tout en limitant le chômage et en
contenant l’inflation : « la nouvelle économie est en marche, fournissant
un modèle que le monde entier suivra. » En permettant la convergence des
technologies de l’information et de la communication, Internet et la révolution
numérique sont à l’origine de la naissance de la « société en réseau » (Manuel
Castells, L’Ère de l’information, 1996).
Le réseau Internet est fondé sur l’interactivité, l’hypertextualité et la connectivité.
Pour certains spécialistes (Derrick de Kerckhove), ces caractéristiques remettent
totalement en cause le système cognitif tel qu’il est apparu à la Renaissance.
Désormais, la pensée n’est plus hiérarchique mais interactive, le savoir n’est plus
localisé mais dispersé, il n’appartient plus à une élite mais est partagé et produit
par tous (Wikipédia). À l’ère d’Internet, la notion d’auteur tend à disparaître au
profit de celle du lecteur comme créateur de sens.
La révolution de l’informatique a multiplié le volume des informations
disponibles et a accéléré leur diffusion sur l’ensemble de la planète. Elle peut
faciliter la circulation des idées et des informations au moindre coût et elle
constitue donc un facteur de réduction des inégalités de développement. Mais,
d’autre part, elle peut aussi accroître le fossé existant entre les pays (ou les
groupes sociaux) ayant accès au réseau d’échange d’information et les pays (ou
les catégories sociales) exclus par manque d’équipement ou de formation.
Une mondialisation contestée
La mondialisation est un phénomène incontestable, d’où le changement d’intitulé
de ses adversaires au tournant du siècle, d’antimondialistes à altermondialistes.
Le mouvement réunit sans vraiment les fédérer des tendances tiers-mondistes
traditionnelles, dont l’une des chapelles apparaît ici avec le CCFD, ONG issue de
l’Église qui associe à ses actions caritatives des campagnes pour l’annulation de
la dette et un meilleur partage des richesses. Joseph Stiglitz situe bien les enjeux :
63
c’est une amélioration des règles des institutions internationales qui peut
permettre de corriger le tir. Apparaît à cette époque le néologisme de «
gouvernance », pour décrire les meilleurs modes de fonctionnement des
organismes capables de peser sur les évolutions du monde. Daniel Cohen et
Joseph Stiglitz ne remettent pas en cause la mondialisation en tant que telle. Pour
le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, renoncer à la mondialisation n’est « ni
possible, ni souhaitable ». Pour Daniel Cohen, les critiques résultent du décalage
qui existe entre les espoirs que la mondialisation suscite et sa faible incidence
réelle sur la vie quotidienne des peuples. Attendue avec impatience par les
populations, elle demeure en effet largement inachevée. Joseph Stiglitz met lui en
cause la gestion de cette mondialisation. Au lieu de favoriser un développement
harmonieux et juste, les politiques néo-libérales mises en place par les institutions
internationales servent les intérêts des pays les plus riches. Il plaide en faveur
d’une réorientation de ces politiques et d’une réforme de ces institutions.
La mondialisation économique concerne au premier chef le marché des produits
culturels (cinéma, musique, télévision, sports…). Elle a pour conséquence de
développer de manière exponentielle ces produits vendus dans le monde entier
(civilisation des loisirs). Mais, par là même, la mondialisation aboutit à
uniformiser les pratiques et les représentations culturelles sur le modèle unique de
la culture capitaliste américaine. Cette évolution pose le problème de la qualité
des productions culturelles et de la sauvegarde de la diversité culturelle dans le
monde qui risque de disparaître au profit d’un village planétaire qui ne serait en
fait qu’un vaste marché aux productions standardisées et bas de gamme.
La création d’Internet
La création d’Internet est le résultat d’une coopération entre l’armée américaine
et les milieux universitaires. La naissance de l’ARPA est une réponse directe à
l’envoi dans l’espace par les soviétiques du premier satellite artificiel, Spoutnik.
En 1962, l’US Air force demande à un groupe de chercheurs de concevoir un
réseau de communication capable de résister à une frappe nucléaire massive. Paul
Baran, chercheur à la Research and Development Association (RAND), propose
de créer un système décentralisé susceptible de continuer de fonctionner même si
une ou plusieurs machines sont touchées. Son projet est refusé par les militaires
mais il est à la base de la mise au point d’Arpanet en 1969.
D’abord réservé à une minorité d’usagers, le réseau Internet devient accessible au
grand public dans les années 1990. Le tournant décisif s’opère en 1989, avec la
mise au point par Tim Berners-Lee, chercheur au Centre européen de recherche
nucléaire (CERN), du World Wide Web. Dès lors, les instruments pour faciliter
la circulation sur le réseau se multiplient : logiciels de navigation avec Mosaic,
Netscape Navigator et Internet Explorer, annuaire avec Yahoo, moteur de
recherche avec Google, etc. Dans le même temps, les usages se diversifient et
l’essor pris par Ebay témoigne du succès grandissant du commerce électronique.
Même si l’usage d’Internet s’est largement diffusé depuis les années 1990, il
demeure encore une pratique très minoritaire à l’échelle de la planète : un
milliard d’utilisateurs sur plus de 6 milliards d’habitants. De nombreux territoires
et populations, notamment dans les zones
rurales les moins développées, n’ont pas accès au réseau et sont cantonnés dans
une sorte de ghetto cybernétique. Internet instaure de fait une véritable fracture
numérique. Réduire cette inégalité est désormais au centre des préoccupations de
la communauté internationale, de l’Union internationale des télécommunications
notamment (sommets de Genève en 2003, de Tunis en 2005).
Paul Ariès, au même titre que Serge Latouche, se rattache au mouvement de la
décroissance. À l’image de la canadienne
Naomi Klein qui dénonce la tyrannie des marques et des firmes transnationales
(dans son ouvrage No Logo), l’auteur dénonce l’injustice et les dangers pour la
planète
d’un modèle de développement, celui des occidentaux, basé sur le gaspillage des
ressources et la consommation effrénée. Reprenant les mots d’ordre du
syndicalisme
révolutionnaire du début du siècle, il en appelle à une grève générale de la
consommation.
Comment évolue la condition féminine
64
dans la seconde moitié du XXe s. ?
La place de la femme a évolué de différentes manières, selon les domaines et
selon les pays. Dans le domaine politique, le droit de vote est une conquête
récente. Les femmes y accèdent dans la première moitié du XXe s. dans la plupart
des pays occidentaux, puis dans d’autres pays. Seuls deux pays musulmans cités
dans le tableau n’ont toujours pas accordé ce droit aux femmes, l’Arabie saoudite,
les Émirats arabes unis. En ce qui concerne le nombre d’élues, l’inégalité est plus
universellement partagée, excepté en Suède et en Chine ; ce taux est en général
inférieur à 10 %. Dans le domaine économique, partout la femme participe au
travail salarié, avec des taux record en Chine, pays communiste. Les taux de
l’ensemble des pays industrialisés dépassent les 50 % ; on parle de « révolution
silencieuse ». C’est dans les pays musulmans que ce taux est le plus faible : on
y considère encore que la place de la femme est au foyer. Dans le domaine social,
on note que le taux de scolarisation dans le secteur primaire atteint quasiment 100
%. Cependant, les taux d’alphabétisation de certains pays restent faibles comme
en Iran ou en Algérie. Les tensions politiques, les difficultés économiques
expliquent ce phénomène. Dans l’enseignement supérieur les taux n’atteignent
que 50 %. Les filles quittent l’école plus tôt que les garçons, avec
des diplômes de moindre niveau. Si on assiste globalement à une amélioration du
statut de la femme, certaines régressions perdurent comme l’obligation qui lui est
faite de porter le voile dans certains pays musulmans. Partout c’est elle qui subit
la première les conséquences des situations de crise.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
65
HC – Le modèle américain de 1945 aux années 1970
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
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KASPI André, Le Watergate : 1972-1974, Bruxelles, Éditions Complexe, collection « La mémoire du siècle », 1983.
KASPI André, États-Unis 68 : l’année des contestations, Éditions Complexe, collection « La mémoire du siècle », 1988.
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66
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Revues :
«L’empire américain », Les Collections de l’Histoire, février 2000, n° 7.
« Dossier : Noirs et Blancs », in L’Histoire, n° 306, février 2006.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
L’analyse des modèles soviétique et américain doit s’inscrire étroitement dans le
cadre de l’histoire des relations internationales depuis 1945. En effet, ces
dernières se structurent pendant longtemps autour de l’existence et de la
confrontation de ces deux universalismes à prétention hégémonique. C’est
pourquoi le sujet centre leur étude sur les décennies 1950-1960, période qui
marque l’apogée de la bipolarisation du monde.
L’emploi de la notion de modèle demande d’insister sur les caractéristiques les
plus durables des deux systèmes, de mettre l’accent sur la composante
idéologique (valeurs, normes, pratiques culturelles, mythes fondateurs, etc.) et
enfin d’expliquer leur force de séduction ou les réactions de rejet qu’ils ont pu
provoquer. Une telle analyse ne doit pas se contenter de dégager les invariants
des deux modèles ; il faut aussi prendre en compte leur évolution, leur diffusion,
leur mobilisation, lesquelles sont souvent fonction de leur confrontation à
l’échelle planétaire.
Le modèle américain est sans doute à son zénith au lendemain de la guerre. La
démocratie américaine, qui impose ses valeurs au monde, notamment à travers la
Charte des Nations unies, et le capitalisme triomphant, qui semble fournir un bien
être incomparable à une majorité d’Américains (American way of life), fascinent
les étrangers, y compris les plus critiques. Ce modèle séduisant est fort de la
confiance d’une population, convaincue de la supériorité de son mode de vie,
dans un système de valeurs qui fonde la cohésion de la société américaine : c’est
la certitude qu’aux États-Unis chaque citoyen est libre et peut réussir, la croyance
que Dieu protège l’Amérique, la conviction qu’il y a toujours de nouveaux
horizons à conquérir (mythe de la frontière), etc.
Les années 1960 semblent un moment de remise en cause du modèle. Cette
période voit la prise de conscience de certaines inégalités sociales, le début d’un
ralentissement économique et l’essor d’une contestation interne (noirs, jeunes,
etc.) ou externe (surtout liée à la guerre du Vietnam). Cependant le modèle
américain sait se renouveler, notamment sous la présidence du démocrate
Johnson. Les difficultés n’empêchent pas les États-Unis de continuer à faire rêver
le monde comme le montre l’importance de l’immigration.
L’historiographie des États-Unis n’a pas donné lieu à des débats intenses, mais
est fortement marquée par les péripéties de l’affrontement Est-Ouest. Dans le
contexte de la guerre froide et du renouveau conservateur américain de l’aprèsguerre, l’histoire, et en particulier l’histoire des idées, devient une arme dans la
lutte contre le communisme ce qui aboutit à la production d’une série d’ouvrages
ultrapatriotiques. Pour les auteurs de « l’école du consensus », les études
historiques sur les États-Unis doivent en effet servir à révéler la supériorité
morale de l’American way of life et à montrer que le triomphe de la
consommation est l’aboutissement naturel et logique de la démocratie politique.
Le rôle déterminant des États-Unis dans la victoire de 1945 les impose comme un
modèle que l’historien américain doit légitimer. Cet impératif est au coeur des
problématiques historiques de l’après-guerre. Max Lerner écrit en 1957, America
as a Civilization, un ouvrage qui met à l’ordre du jour la défense et l’illustration
du modèle états-unien. Le Genius of American Politics (1953) de D. Boorstin est
un long réquisitoire contre l’idéologisme ainsi que la démonstration que le «
génie » américain repose sur la capacité d’engendrer un large consensus sur des
questions fondamentales. Daniel Boorstin reprend cette thèse dans The
Americans, une histoire des pratiques culturelles, publiée entre 1958 et 1973. Il
décrit des communautés qui suivent pratiquement toutes le même modèle, celui
de l’homogénéisation qui, donc, apparaît comme le vrai « génie » de la vie
américaine. Au cours des années 1960 et 1970, cette école connaît un
essoufflement et de profondes remises en question. Une nouvelle école
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : « On étudie les traits majeurs des
modèles soviétique et américain, en se
centrant sur les années 1950-1960 »
« Accompagnement Tle ES-L :
« Les relations internationales de la période
se structurent donc en partie autour de
l’existence et de la confrontation de deux
universalismes : les modèles américain et
soviétique. Ceux-ci ne sont immuables ni
dans le temps ni, tant ces pays sont vastes,
dans l’espace : pour simplifier l’approche, le
programme centre leur étude sur les
décennies 1950-1960 et sur leurs caractères
les plus permanents.
Le modèle américain connaît aussi un apogée
au lendemain de la guerre. Il se nourrit d’un
corps de valeurs : la liberté et la force des
contre-pouvoirs ; l’influence du pouvoir
judiciaire et de la religion, liée à l’histoire
américaine de la démocratie et à l’exercice
du civisme ; la confiance dans la valeur
régulatrice du marché, la figure positive de
l’entrepreneur, la bonne conscience vis-à-vis
de la réussite matérielle, la suspicion envers
l’action publique, dont un corollaire est
l’efficacité des fondations privées ; la
capacité à susciter périodiquement de
nouveaux horizons : mythe de la frontière ou
nouvelles étapes de la modernité
économique, dont le pays se veut un
laboratoire permanent. L’American way of
life fournit un horizon d’attente aux
Américains qui n’ont pas encore rejoint la
classe moyenne et fascine l’étranger, y
compris les détracteurs des États-Unis. La
puissance économique et la réussite dont
témoigne ce mode de vie concourent à
convaincre les Américains de l’exemplarité
de leur démocratie libérale.
Cette confiance est cependant ébranlée
durant les années 1960, qui connaissent de
nombreuses inflexions : développement de la
réglementation sociale et de l’intervention de
l’État – surtout sous la présidence Johnson –,
phase d’introspection et de profonde
contestation, premiers indices de la crise du
fordisme. Pour autant, le rêve américain n’est
pas mis à mal, comme en témoignent les
chiffres de l’immigration après la
libéralisation de celle-ci (1965). »
67
historique, issue de la New Left américaine, rejette l’antimatérialisme et
l’anticommunisme qui ont marqué les écrits de bien des historiens dans les
années 1950. Radicaux, les jeunes historiens de la New Left font surtout de
l’histoire sociale et prétendent que le développement historique est uniquement
engendré par des facteurs matériels. Pour la New Left, les idées ne sont pas
largement autonomes du socio-économique, comme l’ont prétendu les historiens
du consensus, elles y sont entièrement subordonnées. De plus, les historiens de la
New Left veulent écrire une histoire pluraliste qui cherche à transcender
l’élitisme, le sexisme et l’eurocentrisme de l’école du consensus.
Vers la fin du XXe siècle, ce courant historique emprunte de plus en plus aux
autres sciences sociales, notamment à l’anthropologie. L’histoire culturelle
occupe le devant de la scène. L’histoire des élites est éclipsée par celle de
tranches de populations entières comme les noirs – rebaptisés, significativement «
Africains-Américains » –, les femmes, les handicapés, etc. L’histoire n’est plus
rassembleuse, elle se fragmente tout en se pluralisant. Jean Heffer et François
Weil remarquent ainsi que « les séismes politiques des années 1960-1970 laissent
une histoire fragmentée, éclatée, ou chaque groupe social ou idéologique peut
trouver de quoi satisfaire sa propre quête d’identité ».
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Le code Hays est un code de censure régissant la production des films, établi par
le sénateur William Hays, président de l’Association of Motion Picture
Producers, en 1930. Ce texte restera en vigueur jusqu’en 1966. Il faut noter que
ce sont les studios eux-mêmes qui se sont imposé cette
censure, afin d’éviter une censure extérieure et la multiplication des procès.
Surnommé « M. propre », William Hays est chargé d’assurer la moralité des
productions d’Hollywood. Le code Hays lutte contre la représentation de la
violence au cinéma, mais s’attarde surtout sur les atteintes aux bonnes moeurs.
Défense d’un certain puritanisme moral, le code s’emploie à restreindre les
situations scabreuses (adultère, baiser, danse…). Parmi ces situations scabreuses,
on notera la référence explicite à la mixité raciale, interdite par le
code Hays, qui valide les principes de discrimination et les principes de la morale
Wasp. Attaché aux vertus patriotiques de l’Amérique, le code interdit les atteintes
aux symboles nationaux et contraint les réalisateurs au respect des valeurs
religieuses.
Le billet d’un dollar américain
Le dollar devient la monnaie officielle de la
fédération des États-Unis en 1786. Les
premières pièces en métal précieux sont
émises par le gouvernement fédéral à
Philadelphie en 1794. Le département du
Trésor édite les premières coupures papier
en 1862, pendant la guerre de Sécession. En
effet, les pièces de monnaie viennent à
manquer et il faut financer l’effort militaire.
Tous les billets adoptent progressivement la
même taille et la même couleur ; c’est
pourquoi on parle couramment de « billet
vert ». Pour les différencier, l’habitude
s’instaure de mettre sur chaque billet un
personnage célèbre sur le recto du billet et un
bâtiment ou un emblème sur le verso.
Le premier billet de banque d’un dollar est
créé en 1862 et porte le portrait du secrétaire
du trésor, Salmon P. Chase (1861-1864).
C’est seulement en 1869 que George
Washington est figuré sur le billet. La face et
le revers du sceau américain y sont placés
pour la première fois en 1935. La devise « In
God We Trust », apparue en 1957, se
généralise à partir de 1963 sur tous les
billets. Depuis cette date, l’apparence de
billet n’a plus changé. Le billet présente les
principaux aspects de l’idéologie qui fonde le
modèle américain. Sont ainsi rappelés
certains mythes fondateurs de la nation
américaine comme celui de la frontière
(pyramide inachevée), celui de la destinée
manifeste (« novo ordus seclorum »), de la
capacité à intégrer de nouvelles populations
ainsi que la conviction que l’Amérique
est une terre promise sous la protection de
Dieu. Les symboles choisis montrent aussi
l’attachement à la souveraineté du pays
et à la liberté chèrement acquise (rappel de la
déclaration d’indépendance, aigle, rameau
d’olivier et flèches, etc.). Le billet insiste sur
la nature fédérale et démocratique du régime
Ce document est un extrait de l’audition du réalisateur américain Sam Wood par
la Commission des activités antiaméricaines (HUAC : House Un-American
Activities Committee) créée par le Congrès en 1938 afi n de mettre à jour toutes
les activités subversives susceptibles de porter atteinte aux intérêts américains. À
partir de 1947, cette commission a agi sous l’impulsion du sénateur républicain
Mac Carthy et utilisé des méthodes dignes de l’inquisition d’où la référence
à la « chasse aux sorcières ». Son activité visait tous les milieux, mais elle s’est
particulièrement focalisée sur le monde du cinéma hollywoodien en raison de son
influence sur les masses. Il est vrai qu’en 1946-1947 des mouvements de grèves
avaient éclaté dans les studios. Ils avaient été attribués à des activistes
communistes et en 1947 la loi Taft avait interdit aux représentants syndicaux
d’appartenir au Parti communiste. Le HUAC comprenait neuf membres dont
certains d’extrême droite. Pour les premières auditions en octobre 1947, quarante
et un témoins « amicaux », comme Sam Wood, avaient été convoqués. Ils avaient
livré dix-neuf noms de scénaristes et réalisateurs. Les audiences suivantes avaient
concerné ces dix-neuf « témoins inamicaux ». Dix avaient refusé de répondre à la
question : « Êtes-vous ou avez-vous été membre du Parti communiste ? » Les
peines qui leur avaient été infligées allaient de six mois à un an de prison pour «
outrage au Congrès ». En outre, ils avaient été inscrits sur une liste noire qui les
avait condamnés au chômage à leur sortie de prison. Ces agissements ont suscité
les protestations d’acteurs comme Humphrey Bogart et Lauren Bacall. Des
réalisateurs comme Jules Dassin, Joseph Losey puis Charlie Chaplin se sont
exilés. Cependant, le maccarthysme a connu son plein développement à partir de
1949 après l’explosion de la bombe atomique soviétique, la victoire du
communisme en Chine et le début de la guerre de Corée. À Hollywood, une
deuxième série d’auditions a eu lieu en 1951-1952. De nombreux acteurs et
réalisateurs se sont livrés à la délation (parmi eux Elia Kazan). Ces auditions ont
68
été soigneusement mises en scène pour stigmatiser les suspects et frapper les
esprits. Ce document témoigne de la psychose qui s’est emparée des Américains
au point de remettre en question les libertés fondamentales dans le pays qui se
présentait comme le modèle de la démocratie. Il faut noter que la chasse aux
ennemis de l’intérieur a pris de bien plus importantes proportions en URSS et
dans les pays d’Europe orientale où les partis communistes ont été purgés.
Hollywood a fait du rêve américain un de ses thèmes de prédilection. Pendant
longtemps, le cinéma a relayé les valeurs de l’American Way of Life comme en
témoignent les structures de base de bien des films, fondés, comme La vie est
belle, sur un optimisme foncier, une confiance sans faille en l’être humain, une
fin heureuse voire, comme ici, exemplaire (happy ending). La conscience que le
cinéma exerce une influence particulière sur les masses et peut devenir un
efficace outil de propagande explique la vigilance à son égard. Pendant la guerre
froide, le Congrès n’hésite pas à mener une enquête dans les milieux
cinématographiques pour traquer les idées « subversives ». Le film de Fred
Zinnemann, Le train sifflera trois fois, met en scène un héros solitaire comme
Hollywood les aime, mais celui-ci se heurte à la lâcheté de la population,
vocation sans fard du climat qui règne alors dans les milieux intellectuels aux
États-Unis. Dans les années 50, le regard des cinéastes se fait plus critique, plus
sensible aux contradictions du rêve américain. Aucun film ne traduit mieux cette
évolution que La fureur de vivre de N. Ray. Le film met le doigt sur les limites du
rêve : la famille décomposée, l’hypocrisie des adultes, les conflits entre les
générations, la vacuité du quotidien…
Un héros de l’égalité des droits
Earl Warren (1891-1974), né à Los Angeles, commence une carrière d’avocat,
puis entre dans la vie politique. Il est gouverneur républicain de Californie de
1942 à 1953, année où il est nommé Chief Justice, président de la Cour suprême,
par le président républicain Dwight D. Eisenhower. À la tête de cette institution
jusqu’en 1969, Warren exerce une grande influence sur ses collègues et contribue
de façon décisive au combat contre les discriminations raciales. Warren obtient le
vote à l’unanimité en 1954 de l’arrêt Brown v. Board of Education of Topeka qui
fait jurisprudence. Ce jugement déclare que la ségrégation raciale dans les écoles
publiques est contraire à la Constitution des États-Unis. Sous l’autorité d’Earl
Warren, la Cour suprême, rend de nombreux arrêts portant sur les droits civiques
: inconstitutionnalité de la ségrégation raciale dans les transports publics,
affirmation de la séparation des Églises et de l’État, respect des droits de la
défense dans la procédure pénale.
Les combats féministes
Betty Friedan (1921), journaliste et docteur en psychologie, publie en 1963 The
Feminine Mystique (l’ouvrage a été traduit en français par Yvette Roudy, future
ministre de François Mitterrand, La femme mystifiée, Gonthier, 1964). Elle se
livre à une attaque en règle du mode de vie de la housewife, mystifiée par la
publicité et les médias qui la persuadent qu’elle est vouée au double rôle de mère
et d’épouse. Elle critique violemment les théories freudiennes, justifiant la
situation subordonnée de la femme par son caractère «biologiquement incomplet
». Pour Betty Friedan, la psychanalyse, nouvelle religion dogmatique, constitue
une des pièces maîtresses de l’idéologie dominante élaborée par et pour les
hommes. Le succès de l’ouvrage – 1 350 000 exemplaires vendus – montre que
les stéréotypes misogynes sont déjà mis à mal. Trois ans plus tard, Betty Friedan
et une vingtaine de militantes créent la National Organization for Women
(NOW), dont le sigle est à lui seul un programme. Adoptant la même tactique que
la NAACP, la NOW veut obtenir par la légalité – et un intense lobbying – une
véritable égalité juridique et le droit de maîtriser la fécondité (libre accès à la
pilule, droit à l’avortement). Peu nombreuses – la NOW compte 10000 membres
en 1971, dont 10 % d’hommes – mais actives, les femmes de la NOW réussissent
à étendre leur mouvement et à devenir un groupe de pression reconnu. Mais, cette
modération ne fait pas l’unanimité. Les féministes radicales s’en prennent au «
chauvinisme mâle », allant quelquefois jusqu’à ostraciser les femmes mariées!
Joe Freeman, une ancienne du Free Speach Movement de Berkeley, lance en
1967, le Women’s Liberation Movement (WLM). Des petits groupes multiplient
les actions provocatrices : le WITCH (Women’s International Terrorist
Conspiracy from Hell) se lance dans des opérations spectaculaires (attaques de
dès son origine. Le Congrès (barre
horizontale du blason) représente le peuple
souverain. Les 13 étoiles, les 13 bandes du
blason, sont les 13 colonies qui ont
fondé la fédération et rédigé la Constitution
(par extension ces signes évoquent aussi les
50 États fédérés qui composent la nation en
1957). La devise « e pluribus unum »,
première devise nationale, souligne encore
cet aspect. Sur le recto du billet, la présence
de George Washington, premier président
des États-Unis, peut se comprendre aussi
comme le symbole du caractère présidentiel
des institutions.
Jack Kerouac, Sur la route
Jack Kerouac, écrivain américain en partie
d’origine française, est né en 1922 ; il meurt
à 47 ans. C’est l’un des initiateurs du
mouvement « beat », qui insiste sur
l’épuisement de la civilisation, sur le retour
indispensable à l’origine. La société
américaine est pourrie par l’argent. Elle ne
sait plus reconnaître le caractère sacré de la
vie. Il faut, en conséquence, sur les
décombres de la société occidentale, par le
recours aux drogues, revenir à l’Éros, c’està-dire à la mystique de la sexualité.
Kerouac exalte cet idéal dans son ouvrage
qui a pour titre On The Road. Il parcourt les
ghettos et fréquente le monde des marginaux.
Il dépeint le beatnik, cheveux longs et sales,
drogué, nihiliste incompris, adepte de la nonviolence et de la liberté d’expression. C’est
un avant-goût de la contre-culture des années
1960.
« L’autre Amérique »
L’ouvrage de Michael Harrington a exercé
une forte influence, lors de sa parution. Il
rappelle brutalement que, dans cette
Amérique de la prospérité, il existe encore
près de 40 millions de pauvres. Les ÉtatsUnis ont connu la grande pauvreté dans les
années 1930, lorsque la crise économique
réduisait au chômage des millions
d’Américains. Puis, l’entrée en guerre a
stimulé la croissance. L’après-guerre a
ouvert une ère de prospérité. Les pauvres ont
été oubliés. Michael Harrington, un
journaliste socialiste, dénonce en 1962 cette
« autre » Amérique, formée de Noirs et de
Blancs, de femmes célibataires, d’infirmes,
de handicapés mentaux qui bénéficient d’une
protection sociale très insuffisante. Il estime
que 35 à 40 millions d’Américains sont
victimes de la pauvreté. John Kennedy, puis
Lyndon Johnson décident de déclarer la
guerre à la pauvreté, c’est-à-dire de faire
voter des mesures qui poussent beaucoup
plus loin les expériences de welfare du New
Deal.
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concours de beauté ; occupation du Stock Exchange, déguisées en… sorcières !)
tout comme le SCUM (Society for Cutting Up Men !), À la différence de la
nouvelle gauche et du Black power, le féminisme connaît un succès certain. Les
femmes obtiennent des résultats à tous les échelons de la démocratie américaine,
comme le montre l’arrêt de la Cour suprême en faveur de l’avortement au nom du
droit à la vie privée (Wade vs Roe, 1973). Toutefois, le combat pour l’adoption
d’un amendement garantissant l’égalité des droits échoue : le projet d’ERA
(Equal Rights Amendment) a bien été approuvé par le Congrès en 1972, mais,
pour entrer en application, ce XXVIIe amendement devait être ratifié par les
deux-tiers des États dans un délai de 10 ans, or cette majorité n’a pu être réunie
dans les délais (34 États au lieu de 38).
La révolte des jeunes
Frank Zappa crée à Los Angeles en 1965 le groupe Mothers of Invention, dont le
premier disque, Freak Out (1966), produit par Tom Wilson (producteur de Bob
Dylan), constitue le premier concept album de l’histoire du rock. C’est en effet un
album dont la trame musicale, textuelle, homogène et cohérente, illustre une
même idée. Hungry freaks daddy (3’30) est la première chanson de cet album qui
manie avec brio la satire sociale et l’humour. Ce disque, considéré comme un des
plus marquants de l’histoire du rock, touche le public hippie, même si Zappa
refuse toute appartenance à ce mouvement. Cette chanson critique sévèrement le
modèle américain. L’extrait s’en prend au système éducatif qui n’enseigne rien, à
la société de consommation, au pouvoir politique qui ne s’occupe pas assez des
laissés pour compte (allusion au programme de Johnson jugé insuffisant). Cette
société américaine apparaît aussi marquée par l’étroitesse d’esprit, l’ennui et
l’absence d’un véritable idéal. Zappa tourne en dérision la terreur de l’Américain
qui voit son rêve consumériste bouleversé par l’invasion de hordes de jeunes «
dingues » en révolte contre les normes sociales.
Grand reporter, John Launois est le témoin à la fois du rêve américain et de sa
désillusion. Émigré aux États-Unis à la fi n des années 1940 après avoir assisté à
la libération de la France en 1944, il opte pour la nationalité américaine. Il
collabore régulièrement au magazine Life auquel participe également Norman
Rockwell. Rentré à New York en 1961, il fait partie de ces artistes et intellectuels
qui s’efforcent de montrer les réalités invisibles du modèle américain pour
obtenir une amélioration du système. Le choix de la couleur n’est pas anodin. Il
rompt avec une tradition de la photographie humaniste qui rend pittoresque
et poétique la pauvreté. Ici la couleur participe de la volonté de montrer la
brutalité de la pauvreté. On note le caractère posé de la photographie. On relève
la saleté, les ordures à même le sol, le caractère solitaire et prématurément vieilli
de la jeune mère (célibataire). On compte 5 enfants (entre 10 ans et 8 mois
environ). La pauvreté se mesure à la malpropreté, au désordre, au caractère
précaire de l’habitat mais pas à l’absence totale de biens de consommation
(présence d’un réfrigérateur).
Cette photographie de Marc Riboud prise pour le compte de l’agence Magnum a
fait le tour du monde. Prise lors d’une manifestation qui rassemble 100 000
personnes à Washington, elle immortalise l’apothéose de l’engagement des
étudiants contre la guerre du Vietnam. Le cadrage rapproché, la position des
mains serrées autour d’un chrysanthème comme dans une prière, le gros plan sur
la baïonnette, la fragilité de cette jeune femme porteuse de fleurs posent
l’archétype d’une jeunesse pacifiste en rupture avec un modèle américain
militariste dans lequel elle ne se reconnaît pas. Jane Rose est issue d’une famille
qui incarne la réussite des classes moyennes et leur inscription dans le rêve
américain. Pourtant, l’hypocrisie d’une société encore très puritaine et
conservatrice devient insupportable en ces temps de revendications des minorités
et de libération des moeurs. Ce geste pacifiste s’accompagne de l’incinération par
les jeunes gens de leur livret militaire mais aussi de la prise d’assaut du
Pentagone.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
70
HC – Le modèle soviétique de 1945 aux années 1970
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
WERTH Nicolas, Histoire de l’Union Soviétique, Paris, Éditions PUF, collection « Que sais-je ? », 2007.
WERTH Nicolas, La terreur et le désarroi, Staline et son système, Paris, Éditions Perrin, collection « Tempus », 2007.
WERTH Nicolas & GROSSET Mark, Les années Staline, Paris, Éditions du Chêne, 2007.
Werth Nicolas, Histoire de l’Union soviétique, de l’Empire russe à l’Union soviétique (1900-1990), PUF, (1990) 2001, coll. «
Thémis Histoire », 576 p.
N. Werth, G. Moullec, Rapports secrets soviétiques 1921-1991. La société russe dans les documents confidentiels, Gallimard,
Paris, 1994 (Point de départ obligé de toute relecture de l’histoire de la Russie soviétique, un recueil de 319 documents, provenant
pour l’essentiel des rapports confidentiels (svodki) de la police politique, de l’OGPU au KGB, éclaire d’une lumière neuve 74 ans
de régime communiste).
N. Werth, « Un État contre son peuple. Violences, répressions, terreurs en Union Soviétique », in Le Livre noir du communisme,
R. Laffont, Paris, 1997, pp. 45-312 (Aujourd’hui en collection « Bouquins », cet ouvrage a suscité de multiples débats en raison
de sa préface. On peut se reporter à la revue Communisme, n° 5960, parue en 1999 et retrouver un concentré de la pensée de
Stéphane Courtois dans le n° 247 de L’Histoire d’octobre 2000, « Cent millions de morts ? Le bilan d’une tragédie », pp. 36-45).
N. Werth, « Les formes d’autonomie de la société socialiste » et « Logiques de violence dans l’URSS stalinienne », in H. Rousso
(dir.), Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparées, Paris/Bruxelles, IHTP-CNRS/Complexe, coll. « Histoire du temps
présent », 1999.
Malia Martin, La Tragédie soviétique, histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, Le Seuil, (1995) 1999, coll. «Points
Histoire».
M. Martin, Le Cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1993.
M. Heller, La Machine et les rouages, La formation de l’homme soviétique, coll. « Tel », Gallimard, Paris, 1994.
A. Besançon, Présent soviétique et passé russe, coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 1985 (cet ouvrage réunit un certain nombre
d’études importantes, en particulier, le « Court traité de soviétologie », écrit en 1975 et « Anatomie d’un spectre, l’économie
politique du socialisme réel », paru en 1981 chez Calmann-Lévy).
Dullin Sabine, Histoire de l’URSS, La Découverte, 2003, 128 p., coll. «Repères ».
R. Motamed-Nejad (dir.), URSS et Russie. Rupture historique et continuité économique, coll. « Actuel Marx », PUF, Paris, 1997
(Diverses études se réclamant du marxisme contre le « socialisme réel » signées Hobsbawm, Lewin, Sapir, etc.).
M. Lewin, Le Siècle soviétique, Fayard, Paris, 2002.
M. Lewin, La Grande Mutation soviétique, coll. « Cahiers libres », La Découverte, Paris, 1989.
J. Sapir, Travail et travailleurs en URSS, coll. « Repères », La Découverte, Paris, 1984.
J. Sapir, Les Fluctuations économiques en URSS, 1941-1985, éditions de l’EHESS, Paris, 1989.
J. Sapir, dir., Retour sur l’URSS, économie, société, histoire, coll « Pays de l’Est », L’Harmattan, Paris, 1997.
N. V. Riasanovsky, Histoire de la Russie des origines à 1996, coll. « Bouquins », Robert Laffont, Paris, 1996 (traduction de la 5e
édition américaine).
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A. Blum, Naître, vivre et mourir en URSS, 1917-1991, Plon, Paris, 1994.
B. Chavance, Le Système économique soviétique de Brejnev à Gorbatchev, Nathan, Paris, 1989.
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SOLJENITSYNE Alexandre, Une journée d’Ivan Denissovitch, Paris, Éditions Fayard, 2007 (1re éd. 1970).
71
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Documentation Photographique et diapos :
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WINOCK Michel, « Les crimes du communisme », in L’Histoire, n° 247, octobre 2000.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Le modèle soviétique, né de la révolution d’octobre 1917, connaît aussi l’apogée
de son influence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale grâce au prestige
acquis dans les combats (victoire de Stalingrad), aux promesses d’avenir meilleur
et de justice sociale du communisme et au poids important de tous les partis
communistes qui dépendent étroitement de Moscou.
La caractéristique la plus nette du modèle soviétique est l’imprégnation générale
par la doctrine (donc le langage) marxiste-léniniste. Cette tendance conduit à une
forte idéologisation de la réalité ; on proclame la capacité du pouvoir politique à
transformer le territoire et ses habitants, on annonce la naissance d’un homme
nouveau qui serait dévoué à la collectivité, enfin on affiche la certitude optimiste
que la société soviétique marche irréversiblement vers le progrès. Ce discours
volontariste légitime l’organisation politique, économique et sociale d’un système
soviétique marqué par une forte centralisation, la stricte limitation de la propriété
privée, le rôle directeur attribué au Parti communiste, etc.
La période stalinienne est particulière dans le sens où elle est marquée par la
dictature personnelle et une terreur de masse qui crée des « ennemis » du peuple
et de l’État pour justifier l’autoritarisme ou expliquer les échecs : le Goulag est à
son apogée au début des années 1950. Après la mort de Staline, commence un
processus complexe de sortie du totalitarisme ; les dirigeants prônent la réforme
sans remettre en cause les fondements du modèle. N. Khrouchtchev prétend ainsi
rénover les pratiques les plus décriées du régime, mais maintient le cadre
autoritaire, tout en multipliant les déclarations volontaristes qui refusent de plus
en plus de tenir compte des réalités. Ce discours optimiste, empreint d’une
idéologie de justice sociale, séduit de nombreuses personnes et organisations à
travers le monde. Pour eux, l’expérience soviétique, magnifiée par une habile
propagande et dont l’efficacité apparaît indéniable (résistance victorieuse aux
Allemands, industrialisation rapide, conquête spatiale, succès sportifs, etc.)
semble vraiment permettre un avenir meilleur pour l’humanité.
L’histoire de l’URSS est celle qui a donné lieu aux débats théoriques les plus
vifs.
Pendant longtemps, deux grands courants se sont opposés. Les « totalitaristes »
(par exemple, Martin Malia, Michel Heller, Alain Besançon) ont mis l’accent sur
l’omniprésence de l’idéologie et l’existence d’un régime politique monolithique
qui veut créer un homme nouveau et qui cherche à dominer l’ensemble du
monde. Cette « idéocratie » soviétique, appuyée sur un État-parti tout-puissant,
aurait alors exercé un contrôle absolu sur une société atomisée, devenue docile à
cause d’un endoctrinement massif et du règne de la terreur. L’approche
chronologique est ici très réduite : c’est plus une analyse de politologie, une «
soviétologie » qui présente un système statique et facilite l’étude comparative
avec le fascisme mussolinien et le nazisme. Les « totalitaristes » fondent leurs
thèses sur la mainmise du politique, sur l’absence d’autonomie de l’économique
et du social, même si certains admettent l’existence de zones d’autonomie et
parlent alors d’un « totalitarisme inefficace ». Selon Martin Malia, dans La
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : « On étudie les traits majeurs des
modèles soviétique et américain, en se
centrant sur les années 1950-1960 »
Accompagnement Tle ES-L :
« Les relations internationales de la période
se structurent donc en partie autour de
l’existence et de la confrontation de deux
universalismes : les modèles américain et
soviétique. Ceux-ci ne sont immuables ni
dans le temps ni, tant ces pays sont vastes,
dans l’espace : pour simplifier l’approche, le
programme centre leur étude sur les
décennies 1950-1960 et sur leurs caractères
les plus permanents.
Parmi les traits caractéristiques du modèle
soviétique, on trouve le postulat optimiste du
progrès et la croyance en la toute-puissance
du pouvoir, qui ont une traduction dans le
volontarisme aménageur ; l’affirmation de
l’unité organique de la société, que traduisent
l’exaltation d’un homme nouveau dévoué à
la collectivité, la stricte limitation de la
propriété privée, le rôle attribué au parti
communiste ou le transfert des échecs et des
craintes sur les «ennemis» du peuple et de
l’État : le Goulag est à son apogée au début
des années 1950 ; la prégnance des méthodes
de gestion des années 1930, qui vont de pair
avec l’idéologisation de la réalité ;
l’imprégnation générale du langage marxisteléniniste.
Après la disparition de Staline, les nouveaux
dirigeants associent rupture et continuité. Un
processus complexe de sortie du totalitarisme
s’amorce. Par contre, après une phase
effective de réformes socioéconomiques dans
un contexte de forte croissance, le
khrouchtchévisme renoue à partir de 19581959 avec un mode de régulation et une
floraison d’effets d’annonce qui tournent le
dos au réel. Pour beaucoup d’hommes à
travers le monde, l’expérience soviétique,
connue de manière sélective et dont la
72
Tragédie soviétique. Histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, paru en 1995,
le régime soviétique est une dictature totalitaire car un groupe de fanatiques, mû
par une idéologie à prétention totalisante, est parvenu à imposer sa volonté à la
société. Martin Malia instaure donc une continuité très nette entre Marx, Lénine
et Staline : le totalitarisme est, selon lui, présent dans les gênes du marxismeléninisme.
Cette interprétation est critiquée car ses partisans s’intéressent plus aux formes du
contrôle qu’aux capacités de résistance. Ils négligent les réactions de la société et
prennent le risque de confondre les ambitions affichées avec leur concrétisation
dans le monde réel. Ces critiques expliquent la position des « révisionnistes »
comme Moshe Lewin, Leopold Haimson ou Sheila Fitzpatrick qui ont, à partir
des années 1970 et surtout des années 1980, entrepris de réhabiliter l’histoire
sociale, laquelle met l’accent sur l’analyse des processus sociaux comme facteur
d’explication. Ces historiens révisionnistes étudient en effet les liens entre le
marxisme-léninisme ou stalinisme et la société ; ils veulent réagir contre
l’importance donnée au politique par les « totalitaires » en construisant une «
histoire par en bas ». Cette démarche conduit à chercher les marques d’un
consensus (à travers les stratégies d’ascension sociale) ou d’un rejet. En effet, les
révisionnistes considèrent que les théoriciens du totalitarisme ont exagéré la
soumission de la population. Les dernières recherches centrées sur l’évolution des
groupes socioprofessionnels en URSS concluent à l’existence d’une certaine
autonomie, notamment politique, prospérant sur les contradictions du système.
Certains (J. Arch Getty ou L. Viola) contestent ainsi la vision monolithique du
système, l’omnipotence du parti-État, en montrant que les administrations sont
marquées par des rivalités d’intérêts, des conflits institutionnels, des oppositions
entre personnes, des luttes entre centre et périphérie, entre appareil d’État et
bureaucratie du Parti, etc. Enfin les révisionnistes soulignent des inflexions
chronologiques. L’histoire sociale a bénéficié de l’ouverture des archives
à partir de l’effondrement de l’URSS en 1991. L’accès à des sources inédites
(rapports de la police politique sur l’esprit public, lettres adressées par de simples
citoyens, etc.) permet d’explorer l’effet des politiques de terreur, les formes de
résistance, la permanence de comportements « non-conformes ». Les archives du
Goulag montrent aussi que les déportations de groupes sociaux ou ethniques sont
une pratique constante de 1930 à 1953.
L’histoire du modèle soviétique est donc encore un vaste chantier. Selon Nicolas
Werth, trois aspects majeurs de la période stalinienne sont en passe d’être
confirmés : le poids essentiel du pouvoir central (de l’appareil d’État, du groupe
dirigeant et de Staline), les déficiences de fonctionnement qui entraînent une
inadéquation constante entre les objectifs et leurs réalisations, l’ampleur des
résistances de la société (active jusqu’au début des années 1930, passive ensuite).
Les années 1950-1980 ont fait l’objet d’un nombre plus limité de travaux (peu
d’études récentes sur Khrouchtchev, sur Brejnev), car les archives s’ouvrent à
peine (prescription trentenaire). En outre, il n’existe pas encore aujourd’hui de
synthèse qui permettrait de dépasser les deux tendances historiographiques qui
partent de postulats théoriques trop contradictoires.
Ordre ou chaos ? Soumission ou résistance ? L’ouverture des archives allait
rendre intenables les positions les plus extrêmes alors même que la perestroïka
ébranle les certitudes des uns et des autres : comment un régime totalitaire, par
essence immuable, pouvait-il s’effondrer aussi rapidement et de sa propre
initiative ? Comment expliquer l’émergence d’une société civile censée être
irrémédiablement détruite ? Autant de pierres dans le jardin de l’école
totalitarienne. Mais, l’échec final de Gorbatchev ne révèle-t-il pas aussi que le
système était irréformable et que l’idéologie en était le seul ciment ?
résistance victorieuse aux Allemands vient
de montrer l’efficacité, offre un exemple de
transformation volontariste de l’existence.
Elle constitue une réponse aux
dysfonctionnements qu’ils constatent ou
combattent. »
Aborder la question des modèles implique de ne pas « sacrifier à l’idole de la
téléologie » (D. Roche). La chute du communisme peut, avec le recul, nous
paraître inéluctable. Pourtant, rien n’est écrit dans le regard, les pratiques des
contemporains et il suffit de relire les analyses des politologues comme des
historiens pour se rendre compte que rares étaient ceux qui prévoyaient
l’effondrement du communisme. Reste que la chute du mur de Berlin a eu lieu et
qu’elle éclaire l’essoufflement puis la crise du « système collectiviste ». La
question de ses origines ne peut évidemment être éludée, même si on aura garde
de ne pas oublier que celui-ci a longtemps fait preuve d’un réel dynamisme.
73
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Khaldeï est un photographe juif d’origine ukrainienne, engagé par l’agence Tass à
partir de 1939. Ayant perdu sa famille dans la Shoah, il couvre la Grande Guerre
patriotique et est l’auteur de la photographie du Reichstag. Chassé de Tass par le
retour de l’antisémitisme désigné comme « lutte contre le cosmopolitisme » en
1948, il vit à partir de cette date de commandes passées par le journal syndical
Klub et Amateurs d’art et réalise des reportages sur les kolkhozes, usines, jardins
d’enfants. Entre 1955 et 1959, il travaille pour la Société des amitiés avec les
peuples étrangers. C’est la rigueur de son cadrage et l’attention portée à l’homme
qui sont sa marque. Refusant depuis la guerre de montrer le malheur, il apparaît
comme le parfait représentant de l’homme soviétique, laudateur du progrès,
animé d’une foi totale dans l’édification d’un monde meilleur. L’avènement de
Khrouchtchev est une chance pour lui et lui vaut des commandes de la Pravda.
Leonid Brejnev au camp de vacances
des «pionniers » Artek, 1979
Comme tous les régimes totalitaires, l’URSS
accordait une importance considérable à
l’encadrement et à la mobilisation de la
jeunesse afin de former les hommes
nouveaux acquis aux valeurs du
communisme soviétique. Aux 23 millions
d’enfants membres des pionniers s’ajoutent
les 35 millions d’adolescents qui, âgés de 15
à 18 ans, sont membres de l’Union de la
jeunesse communiste, les Komsomols.
Fondé en 1925, le camp d’Artek, situé près
de Yalta, dans un cadre méditerranéen riant,
est devenu dans les années 60 célèbre,
accueillant des enfants du monde entier. Les
séjours à Artek étaient un des moments
forts de la vie de pionnier : ils
récompensaient et motivaient les jeunes
garçons et filles engagés dans les
organisations de jeunesse communiste
pendant toute l’année. Les dirigeants
communistes s’y rendaient volontiers et
Brejnev sacrifie d’autant plus à la tradition
qu’il y voit, comme le souligne avec
une involontaire maladresse la photographie,
un moyen de démontrer l’éternelle jeunesse
du régime.
Les détenus au goulag
Longtemps sujet de spéculations et d’extrapolations hasardeuses, le nombre de
détenus au Goulag est aujourd’hui bien connu, depuis l’ouverture des archives
soviétiques au début des années 1990. Au début des années 1930, les camps du
Goulag comptaient environ 200 000 détenus, un demi-million en 1934. Lors de la
« Grande Terreur » de 1937-1938, les camps du Goulag accueillirent plus de 800
000 nouveaux détenus, condamnés pour la plupart à 10 ans de travaux forcés.
Au cours de la guerre, la population du Goulag diminua d’un tiers, à la suite
d’une très forte mortalité et de libérations anticipées de détenus condamnés à de
courtes peines et immédiatement versés dans l’Armée rouge. Après-guerre, de
nouvelles catégories de détenus rejoignent le Goulag : résistants baltes et
ukrainiens luttant contre la soviétisation des nouveaux territoires (pays baltes,
Ukraine occidentale) incorporés à l’URSS au lendemain de la guerre, citoyens
soviétiques condamnés à la suite d’une législation hyper-répressive contre le «
vol de la propriété sociale » (cinq à dix ans de camp pour le glanage d’épis dans
les champs kolkhoziens ou le chapardage dans les usines).L’apogée du Goulag se
situe au début des années 1950, avec environ 2,5 millions de détenus. Au total,
entre 1930 et 1953, environ 17 millions de Soviétiques sont passés par les camps
du Goulag ; 1,7 million y moururent.
Jacques Rossi, issu d’un milieu très cosmopolite et très aisé, polyglotte, est un des
représentants des étrangers sincèrement convaincus que le « soleil se lève à l’Est
». Français qui a grandi en Pologne et s’est converti au communisme dès l’âge de
17 ans, il devient très vite un agent de liaison du Komintern et remplit diverses
missions en Europe occidentale entre 1929 et 1937. Rappelé à Moscou en 1937, il
est victime des grands procès et des purges consécutives à la mort de Kirov en
1935. Condamné aux travaux forcés, il est emprisonné pendant vingt ans au
goulag. Par fidélité envers ses engagements politiques, il demeure en URSS et est
assigné à résidence en Asie soviétique avant de devenir professeur de faculté en
Pologne. De son expérience du goulag, il rapporte des dessins et publie deux
livres.
La vie d’un déporté
Varlam Chalamov, fils d’un prêtre orthodoxe, avait été arrêté une première fois
dans une imprimerie clandestine de l’université pour diffusion du Testament de
Lénine (dans lequel Lénine exprimait ses réticences sur le choix de Staline
comme successeur). Condamné à trois ans de travaux forcés dans une section
spéciale à Vichéra, au nord de l’Oural, il travaille à la construction du combinat
chimique de Berezniki. Il est arrêté de nouveau, en janvier 1937, condamné à
cinq ans de bagne, il est envoyé dans cet Extrême-Orient soviétique dont les
fabuleuses richesses minières et aurifères, récemment découvertes, sont
exploitées coûte que coûte et connaît différents camps le long du fleuve Kolyma.
En 1943, sa peine est allongée de dix ans et, en 1951, il est assigné à résidence
sur place. Il doit attendre la mort de Staline pour pouvoir revenir à l’ouest de
l’Oural et entreprend alors la rédaction des Récits de la Kolyma. Il est
officiellement réhabilité en 1956, s’installe à Moscou et achève les Récits,
agencés selon une esthétique moderne, celle du fragment. Ces fragments
construisent peu à peu un tableau saisissant de l’univers de la Kolyma. La
circulation des mêmes motifs entre différents récits, différentes périodes,
Cette affiche témoigne des répercussions de
la Guerre froide dans les périodes de grande
tension, comme celle de la guerre de Corée,
dans les pays occidentaux comme la France
où le Parti communiste était puissant. Elle
émane du mouvement « Paix et Liberté » qui
était une organisation d’action psychologique
créée en 1950 par Jean-Paul David, député
maire radical de Mantes avec le soutien non
officiel du gouvernement Pleven. Ce
mouvement a perduré jusqu’en 1956 après
avoir connu un net ralentissement de son
activité à partir de 1954. Son objectif était
d’organiser une riposte à la propagande du
PCF entré dans une opposition systématique
aux orientations choisies par les
gouvernements de la Troisième Force
(regroupant démocrates-chrétiens, socialistes
et radicaux). En 1950, son action était dirigée
contre le Mouvement de la Paix, animé par le
PCF, qui dénonçait dans l’appel de
Stockholm les menaces que faisait peser sur
la paix mondiale les recherches américaines
sur la bombe H. « Paix et Liberté » a usé de
tous les supports dans sa propagande
fortement anticommuniste : affiches et tracts
en assez grand nombre, revues à diffusion
assez limitée, émissions de radio.
L’affiche proposée ici est à rapprocher
d’autres plus connues comme La colombe
qui fait BOUM parodie de La Colombe de la
paix que Picasso avait dessinée pour le
Mouvement de la Paix.
74
constitue à elle seule un élément capital pour le décryptage de la réalité du camp;
on y retrouve la grande préoccupation de Chalamov : comment traduire dans la
langue des hommes libres une expérience vécue dans une langue de détenu, de
crevard, confronté en permanence à violence indicible et à la mort ? « Les Récits
de la Kolyma mettent en scène des hommes qui se trouvent dans un état
extraordinaire, encore jamais décrit, lorsque l’homme approche d’un état de
trans-humanité » écrit-il dans À propos de ma prose, en 1971, ajoutant «Ma prose
fixe le peu de chose qui reste alors dans l’homme. Quel est donc ce peu de chose
? et connaît-il une limite, ou bien cette limite est-ce la mort, spirituelle et
physique ? »
Cet extrait de L’Aveu d’Arthur London décrit la mise en scène des procès
pendant la période « d’épuration » des partis communistes dans les démocraties
populaires. A. London était vice-ministre des Affaires étrangères en
Tchécoslovaquie quand il fut arrêté avec d’autres communistes, souvent anciens
membres des Brigades internationales, déportés pendant la guerre, juifs pour
certains (l’antisémitisme pointant derrière l’antisionisme). Interrogés pendant des
mois, par des Tchèques mais aussi par des agents soviétiques, torturés, jugés au
cours d’une parodie de procès, ils prononcent les aveux qu’ils ont dû apprendre
par coeur. Sur les principaux accusés du procès de 1952, onze furent condamnés
à mort et exécutés, trois dont London furent condamnés à la réclusion à
perpétuité. Libérés ultérieurement (lors de la déstalinisation), ils témoignèrent.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
75
HC – La guerre froide
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
De l’après-guerre à la fin des années 1970, les relations internationales sont
profondément marquées par la confrontation entre un « Ouest », ensemble d’États
capitalistes mais pas tous démocratiques sous la tutelle américaine, et un « Est »,
bloc communiste sous la coupe de l’URSS. Ce face à face, même en l’absence
d’affrontement direct entre les États-Unis et l’URSS, est une véritable guerre
globale et mondiale. Elle imprègne autant les calculs de politique intérieure que
de politique extérieure, elle modèle les réalités politiques, économiques, sociales
et culturelles du monde ; elle structure toute une époque. Elle est le canevas
idéologique de référence qui permet de lire le monde.
Sources et muséographie :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Ouvrages généraux :
Duroselle Jean-Baptiste, Kaspi André, Histoire des relations internationales, tome 2, De 1945 à nos jours, Armand Colin, 2002,
coll. «Classic », p. 1-377.
P. MILZA, Les Relations internationales de 1973 à nos jours, Hachette, « Carré Histoire », 2001.
S. BERSTEIN et P. MILZA, Histoire du XXe siècle, vol. 3, Hatier, coll. « Initial », 2003.
Soutou Georges-Henri, La Guerre de cinquante ans : les relations Est-Ouest, 1943-1990, Fayard, 2001, 650 p. (ouvrage
fondamental, une analyse chronologique détaillée).
Vaïsse Maurice, Les Relations internationales depuis 1945, Armand Colin, (1990) 2005, 250 p., coll. «Cursus ».
M. Vaïsse (dir.), Dictionnaire des relations internationales au XXe siècle, coll. « Dictionnaires », A. Colin, Paris, 2000.
P. Grosser, Le Temps de la guerre froide : réflexions sur l’histoire de la guerre froide et les causes de sa fin, Complexe, 1995.
A. FONTAINE, Histoire de la Guerre froide, 2 vol., Fayard, 1965 et 1967 (Seuil « Points » 1983).
A. FONTAINE, Un Seul Lit pour deux rêves, histoire de la Détente, Fayard, 1982 (Seuil « Points » 1984).
FONTAINE André, La Tâche rouge. Le Roman de la Guerre froide, Paris, Éditions La Martinière, 2006.
FREEDMAN Lawrence, La Guerre froide 1945-1989, Paris, Éditions Autrement, collection « Atlas des guerres », 2004 (une
lecture stimulante sur l’histoire de la Guerre froide, une chronologie qui démarre en 1917).
E. J. Hobsbawm, L’Âge des extrêmes. Le court vingtième siècle (1914-1991), éditions Complexe-poche, Paris, 2003.
Stanislas JEANNESSON, La Guerre froide, Repères, La Découverte, 2002.
Le Temps de la guerre froide, présenté par M. WINOCK, Seuil « Points », 1994 (recueil d'articles).
G. KEPEL, Jihad, Gallimard, 2000.
O. ROY, Généalogie de l'islamisme, Hachette, 1995, rééd. Coll. « Pluriel »2001.
LEVESQUE Jacques, 1989, la fin d’un empire. L’URSS et la libération de l’Europe de l’Est, Paris, Presses de Sciences Po, 1995.
H. CARRERE D'ENCAUSSE, La Gloire des nations, Fayard, 1990 (sur l'éclatement de l'URSS).
H. CARRERE D'ENCAUSSE, Ni Paix, ni guerre, Fayard, 1986 (sur la politique soviétique dans le Tiers-Monde).
J.-J. Roche, Chronologie des relations internationales de 1945 à nos jours, Montchrestien, Paris, 1997.
A. Funk, 1945, de Yalta à Potsdam : des illusions à la guerre froide, éditions Complexe, Paris, 1995.
M. Nouschi, La Guerre froide, Le Mémorial de Caen, 2004.
M. Nouschi, Petit Atlas historique du XXe siècle, coll. « U », Armand Colin, Paris, 1997.
M. Nouschi, Le 20e siècle, coll. « U », Armand Colin, Paris, 2e édition, 2000.
S. Cohen La Bombe atomique. La stratégie de l’épouvante, coll. « Découvertes » n° 248, Gallimard, Paris, 1995.
P. Gervais, L’Avènement d’une superpuissance. Le siècle de l’Amérique, coll. « 20/21 », Larousse, Paris, 2001.
P. de Senarclens, De Yalta au rideau de fer : les grandes puissances et les origines de la guerre froide, Presses de la Fondation
nationale des sciences politiques, Paris, 1993.
Le Temps de la guerre froide : du rideau de fer à l’effondrement du communisme, présenté par M. Winock, coll. « Points Histoire
», L’Histoire/Le Seuil, Paris, 1994.
B. Boutros-Ghali, S. Peres, 60 ans de conflit israélo-arabe, Témoignages pour l’Histoire, éditions Complexe, Paris, 2006.
G. Corm, Le Proche-Orient éclaté, 1956-2000, Gallimard, Paris, 2001.
H. Laurens, Paix et guerre au Moyen-Orient, A. Colin, Paris, 2005
F. Massoulié, Les Conflits du Proche-Orient, coll. « XXe siècle », Casterman, Paris, 1993.
S. Cordelier (dir.), Dictionnaire historique et géopolitique du XXe siècle, La Découverte, Paris, 2000.
L. Freedman, La Guerre froide : une histoire militaire, 1945-1989, coll. « Atlas des guerres », Autrement, Paris, 2004.
B. Pascal, Atlas des relations internationales, Hatier, Paris, 2003.
M.- H. Labbé, Le Risque nucléaire, coll. « La Bibliothèque du citoyen », Presses de Sciences Po, Paris, 2003.
Y.-H. Nouailhat, Les États-Unis et le monde au XXe siècle, coll. « U », Armand Colin, Paris, 2e édition, 2000.
J. Portes, Les États-Unis aujourd’hui. Les maîtres du monde ?, coll. « Petite Encyclopédie », Larousse, Paris, 2003.
Les Relations internationales, sous la direction de F. Charillon, coll. « Les notices », La Documentation française, Paris, 2006.
P. de Senarclens, Critique de la mondialisation, coll. « La Bibliothèque du citoyen », Presses de Sciences Po, Paris, 2003.
Nadine Picaudou, Les Palestiniens, un siècle d’histoire, 1999.
Charles Enderlin, Le Rêve brisé, Histoire de l’échec du processus de paix au Proche-Orient 1995-2002, Fayard, 2002.
Elie Barnavi, Une Histoire moderne d’Israël, coll. Champs, Flammarion 1998.
76
ATGER Alain, LACHAISE Francis, Berlin, miroir de l’histoire allemande (1945 à nos jours), « Les essentiels de civilisation
allemande », Ellipses, 1999, 129 p.
BUFFET Cyril, Histoire de Berlin, « Que sais-je ? », n° 2043, 1994, 126 p.
CHARPIOT Roland, Histoire de Berlin, « Mémoires des Nations », Vuibert, 2007, 286 p.
OUDIN Bernard, GEORGES Michèle, Histoires de Berlin, Perrin, 2000, 472 p.
Ressources pédagogiques
DEMERIN Patrick, Berlin enfin !, Gallimard, « Découvertes », 2000, 143 p.
MAINDON Laurent, Mémoires d'un mur : les graffitis du mur de Berlin, Ouest éditions, 1990, 93 p.
L’INA propose en ligne un dossier consacré au mur de Berlin sur http://www.ina.fr/archivespourtous/
Le site officiel de la ville de Berlin : http://www.berlin.de/mauer/index.fr.html/
Une exposition en ligne proposée par le Mémorial de Caen sur Berlin :
http://www.memorialcaen.fr/mur_de_berlin/berlin.htm/
Pour les élèves
Le cinéma peut également être un moyen d’appréhender l’histoire de Berlin et constituer une ouverture culturelle :
Wolfgang BECKER, Good bye Lenin ! 2003
Florian HENCKEL VON DONNERSMARCK, La vie des autres, 2006 : une description du régime communiste et de ses
atteintes aux droits de l’homme avec pour décor Berlin-Est dans les années 1980
Roberto ROSSELLINI, Allemagne année zéro, 1948
Wim WENDERS, Les Ailes du désir, 1987 (représentation de la ville de Berlin divisée par le Mur).
Documentation Photographique et diapos :
GROSSER Pierre, La Guerre Froide, La Documentation Photographique, n° 8005, 2007.
Revues :
JEANNENEY Jean-Noël, La chute du mur de Berlin, L’Histoire, n°268, septembre 2002
« La chute du mur de Berlin » L’Histoire, dossier spécial, n° 236, octobre 1999
« 1947 : Naissance de la Guerre froide », in L’Histoire, n° 209, avril 1997.
« Goodbye Yalta ! Du Rideau de fer à la Grande Europe », in L’Histoire, n° 286, avril 2004.
S.COURTOIS, « La vérité sur l’affaire Rosenberg », L’Histoire n° 229, février 1999.
J. DALLOZ, « Les Américains au Vietnam : l’engrenage », L’Histoire n° 130, février 1990.
V. TOUZE, « Révélations sur la crise de Cuba », L’Histoire n° 221, mai 1998.
« L’Europe, de Yalta à la Grande Union », dossier dans L’Histoire n° 286, avril 2004.
« Israël-Palestine », Les Collections de l’Histoire, n° 39, avril 2008.
DALLOZ Jacques, « Les Américains au Vietnam », in L’Histoire, n° 23, avril 2004
« Le temps de la Guerre froide. Du Rideau de fer à l’effondrement du communisme », in L’Histoire n° 151, janvier 1992.
« Enseigner l’histoire contemporaine », Historiens & Géographes, juillet-août 2001, n° 375, et septembre-octobre 2001, n° 376
(articles de R. Frank, A. Kaspi, J. Marseille et J. Sapir).
Hérodote : Géopolitique de l'URSS, n° 47/70, 1987.
La revue Questions internationales, publiée par la Documentation française, présente d’excellentes mises au point sur les grands
sujets d’actualité.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
Le terme de Guerre froide naît au XIVe siècle en Espagne pour désigner le conflit
entre chrétiens et musulmans. Il réapparaît en 1947 sous la plume d'Américains,
le journaliste Walter Lippman et l'industriel Bernard Baruch, pour désigner le
conflit qui oppose les États-Unis et l'Union soviétique. La recherche historique
porte pour beaucoup sur les causes de la Guerre froide, cette question permettant
d'en définir les responsabilités.
Utilisant les seules archives occidentales, les historiens de l'Ouest ont, de 1947
jusqu'au début des années 1970, attribué cette responsabilité à l'expansionnisme
soviétique. Puis à la fin des années 1960, un courant « révisionniste » américain
fait des États-Unis les principaux instigateurs du conflit, en vertu d'une politique
d'expansion économique virulente. Ensuite la thèse dominante a défendu l'idée
d'une méfiance réciproque née de malentendus.
En 1991, l'ouverture des archives soviétiques et d'Europe de l'Est a fait naître
l'espoir d'une avancée décisive dans la connaissance historique. Mais ces
archives, si elles mettent en évidence le rôle décisif de l'idéologie dans
l'expansionnisme soviétique, demeurent incomplètes dans la mesure où les
décisions dépendaient largement de Staline lui-même sans que ce processus ait
laissé d'archives.
BO Tle L-ES : « On étudie les lignes de
force de la politique internationale de 1945
aux années 1970, moment où la détente
crée un certain équilibre international. Les
années 1970 constituent un tournant car
l’équilibre international ordre mondial depuis
les années est remis en cause : dérèglement
économique, moindre maîtrise du 1970
monde par les deux Grands, nouvelles
formes d’opposition intérieure dans les
sociétés communistes, multiplication des
conflits dans le Tiers Monde.
Après un regain de la tension Est-Ouest, la
disparition de l’Union soviétique met un
terme à la guerre froide. Les États-Unis
s’imposent, non sans contestations, comme
l’unique superpuissance. À partir de la fin
des années 1970, l’affirmation de
77
Le traitement du sujet doit intégrer la tendance des ouvrages les plus récents de
relations internationales, qui mettent en avant la coupure des années 1970 comme
tournant majeur. Sans sous-estimer l'impact de la fin de la Guerre froide, on voit
en effet se dessiner dès les années 1970, les contours d'un ordre mondial en
mutation : au-delà du dérèglement économique qui pèse sur les relations
internationales, c'est surtout la fin du « condominium américano-soviétique »
(expression de Michel Jobert, ministre des Affaires étrangères en 1973) qui est
frappant et l'émergence d'un monde multipolaire. Parallèlement, de nouvelles
menaces émergent : le terrorisme international (on entre dans une troisième phase
de l'histoire du terrorisme médiatique, qui s'exporte sur la scène internationale, lié
au Proche-Orient avec par exemple l'OLP et la prise d'otage des JO de Munich,
les attentats des années 1980 en France), l'islamisme (Gilles Kepel distingue trois
temps : théorisation dans les années 1960, révolution islamiste dans les années
1970-1980 - Iran, Liban, Afghanistan, puis Egypte avec les frères musulmans et
Algérie dans les années 1980 -, puis un déclin à la fin des années 1990 malgré des
accès de violence spectaculaires). Enfin, on assiste à la multiplication de conflits
périphériques qui échappent à logique de Guerre froide comme la guerre du
Biafra (1967-1970), la guerre Iran-Irak (1980-1988) : se dessinent déjà les zones
grises dont parle aujourd'hui Gérard Challiand (zones de conflits de basse
intensité délaissées par les puissances) et de nouveaux acteurs comme les ONG.
L’usage contemporain a voulu qu’à la suite du financier américain Bernard
Baruch et du journaliste Walter Lippmann, on donne le nom de « guerre froide »
à cette confrontation dressant l’un contre l’autre deux camps idéologiquement
antagonistes cherchant à étendre leur influence sur le monde, ou du moins à
restreindre celle de l’autre.
Un des débats majeurs de l’historiographie occidentale porte sur les origines de
ce conflit. On peut dire que deux grands courants se sont succédés.
De 1947 jusqu’au début des années 1970, se répand la thèse de l’expansionnisme
soviétique en Europe comme cause première de la confrontation Est-Ouest. Les
Soviétiques sont jugés responsables du conflit en raison de leur politique
agressive marquée par une préoccupation obsessionnelle pour leur sécurité
nationale et par la volonté d’imposer leur autorité en Europe centrale et orientale.
Staline aurait violé les accords de Yalta et repris la politique impérialiste de la
Russie tsariste en Eurasie. Selon les partisans de cette thèse, la réponse
américaine est justifiée et joue un rôle essentiel pour sauver le monde de la «
subversion communiste ».
Vers la fin des années 1960, dans le contexte de contestation engendrée par la
guerre du Vietnam, de nombreux historiens révisent cette interprétation. Pour
cette école « révisionniste », les États-Unis sont les principaux instigateurs du
conflit. Ils auraient voulu obtenir une suprématie globale en profitant de leur
position de première puissance militaire et économique, de la faiblesse politique
de l’Europe et de l’incapacité des Soviétiques, alors sans arme nucléaire, à
riposter efficacement. Le président américain Harry Truman aurait joué un rôle
déterminant dans le déclenchement de la confrontation Est-Ouest, en raison de
son anticommunisme virulent. Cette histoire de la guerre froide venue d’Occident
a été élaborée en fonction des sources américaines et ouest-européennes.
Un renouvellement historiographique s’est progressivement fait sentir grâce à
l’étude de sources provenant d’Asie ainsi que d’Europe orientale et orientale, puis
grâce à l’ouverture des archives soviétiques depuis 1991. Les interprétations sur
les origines de la guerre froide se sont alors complexifiées et diversifiées. Des
historiens affirment que chacune des deux grandes puissances a été motivée par
des objectifs de sécurité nationale et que l’expansionnisme a été mutuel, même si,
malgré tout, l’URSS porte une plus grande part de responsabilités. On sait
aujourd’hui que Staline avait en 1945 défini de manière confidentielle les
nouvelles orientations de sa politique extérieure. La lutte contre le monde
capitaliste devait reprendre, mais la guerre ne serait envisageable que dans dix ou
quinze ans, le temps que les Soviétiques se dotent des moyens militaires
nécessaires. Certains chercheurs soulignent que l’antagonisme idéologique entre
les deux superpuissances était tel que l’affrontement était inévitable une fois la
menace hitlérienne disparue. D’autres auteurs soulèvent des problèmes de
perception réciproque ; la peur de l’ennemi aurait conduit à une mauvaise
appréciation du danger représenté par l’autre.
Un autre débat historiographique porte sur l’importance des années 1970 dans
l’évolution des relations internationales. Certains affirment l’existence d'un
l’islamisme, sous différentes formes,
constitue un autre fait majeur. Ces profonds
bouleversements façonnent le monde actuel,
au sein duquel les organismes internationaux
sont à la recherche d’un rôle nouveau,
notamment face à la gestion des conflits
locaux. »
BO Tle STG :
« Le jeu des puissances dans un espace
mondialisé de 1945 à nos jours –
On étudie trois moments de l’histoire des
relations internationales :
- 1947-1949 : la coupure du monde,
symbolisée par la création des deux
Allemagnes, se cristallise dans la Guerre
froide.
- 1989-1991 : l’effondrement du mur de
Berlin et l’éclatement de l’URSS
encouragent les aspirations à la démocratie ;
ils favorisent en Europe un réveil des
nationalismes qui bouleverse la carte de
l’Europe ; parallèlement s’affirment de
nouvelles idéologies.
- Le début du XXIe siècle voit l’émergence
de nouveaux rapports de force. On axe
l’étude sur la super-puissance des États-Unis,
la construction européenne et la montée en
puissance de la Chine. »
BO 3e actuel : « Les principales étapes de
l’évolution des relations internationales
depuis 1945 (monde bipolaire,
décolonisation, construction de l’Europe,
dislocation des blocs) sont présentées en
mettant en évidence les facteurs qui
conduisent de la bipolarisation au monde
d’aujourd’hui. L’étude ne peut être
exhaustive, pour les affrontements Est-Ouest
on se limite à l’exemple de l’Allemagne et de
Berlin.
Documents : extraits de la doctrine Truman
et de la doctrine Jdanov. Discours de J.F.
Kennedy devant le mur de Berlin : “Ich bin
ein Berliner” (23 juin 1963). »
BO futur 3e : « LA GUERRE FROIDE
En 1945, la création de l’ONU répond à une
aspiration au maintien de la paix. On
présente les objectifs de l’ONU.
Cependant, les États-Unis et l’URSS
s’affrontent durablement en Europe et dans
le monde. L’étude de la guerre froide
s’appuie des exemples :
- En Europe : la situation de l’Allemagne et
de Berlin.
- Dans le monde : la guerre de Corée ou la
crise de Cuba.
La division du monde en blocs est présentée
à partir d’une carte.
En 1989-1991, la guerre froide s’achève avec
la chute du Mur de Berlin et la disparition de
l’URSS.
Connaître et utiliser les repères suivants
- Le Mur de Berlin : 1961 – 1989
78
tournant essentiel dans les années 1970. Les relations internationales seraient
jusqu’à cette date dominées par la logique de « confrontation Est-Ouest », puis
après cette période par celle de « recherche d’un nouvel ordre mondial ». Cette
vision de l’histoire des relations internationales appartient à un courant
historiographique dont les chefs de file sont Pierre Milza et Robert Frank (voir
son article « Réflexions sur les relations internationales depuis 1945 » dans
Historiens et Géographes, n° 376, septembre-octobre 2001) en France. Selon eux,
le ralentissement de la croissance a changé l’ambiance politique sur la scène
internationale et a eu de multiples impacts (guerre économique dans le camp
occidental entre les États-Unis, la CEE, et le Japon, aggravation des difficultés
des pays de l’Est, éclatement du Tiers-Monde, essor des nationalismes agressifs
et des intégrismes, etc.). Le Tiers-Monde devient alors le principal théâtre de
guerres qui échappent totalement à la logique bipolaire et les deux
superpuissances ne réussissent plus à rétablir l’ordre. À partir du milieu des
années 1970, s’installe donc ce que P. Milza appelle « un nouveau désordre
mondial » dans un monde désormais multipolaire. Cet éclatement du monde en
différents pôles s’accompagne d’un déclin des deux Grands. Pour les États-Unis,
l’affaiblissement est relatif et limité dans le temps. Pour l’URSS et le monde
soviétique en général, les années 1970 marquent le début de la fin. Cette thèse qui
voit naître le nouvel ordre mondial dans les années 1970 ne nie pas l’importance
de la chute du mur de Berlin en 1989, ainsi que de l’implosion de l’URSS en
1991. Cependant les tenants de cette théorie pensent que notre monde est
extrêmement dépendant de facteurs qui précèdent la fin du bloc soviétique.
Pour d’autres, l’étude du nouvel ordre mondial doit commencer en 1991. Cela
semble davantage se conformer à l’opinion des historiens comme Jean Baptiste
Duroselle et André Kaspi qui, sans nier l’importance des années 1970, placent le
changement fondamental dans les années 1990. Pour André Kaspi, « après la
disparition de l’Union soviétique, tout change » car « seuls, les États-Unis
conservent le statut de superpuissance politique et diplomatique, économique et
technologique, militaire et culturelle. » C’est aussi l’avis d’Eric Hobsbawm. À la
fin du chapitre qu’il consacre à la guerre froide dans un ouvrage paru en 1999, il
écrit : « il est des moments historiques dont même les contemporains peuvent
reconnaître qu’ils marquent la fin d’une époque. Le début des années 1990 fut
clairement un moment de ce type ».
Les recherches actuelles s’enrichissent grâce à l’ouverture des archives de
l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est, mais la nature, les étapes et la durée
du conflit font toujours débat. La guerre froide peut être interprétée comme un
moment dans le déploiement de l’hégémonie américaine en marche depuis la fin
du XIXe siècle ou dans la remise en cause du capitalisme par les partis et les
États communistes depuis 1917. Enfin, comme le souligne Pierre Grosser (La
Documentation française, 2007), le conflit ne fut pas froid pour tous, notamment
pour les Coréens et les Vietnamiens. Il ne faut pas s’arrêter à une vision centrée
sur les seules superpuissances et sur l’Europe, car certains États, certaines ONG,
certains personnages réussirent à jouer un rôle important dans ce conflit larvé,
sans forcément être manipulés par les grandes puissances. Quoi qu’il en soit, la
guerre froide débouche sur la domination des États-Unis, sur la renaissance de
l’Europe et sur l’émergence de nouveaux acteurs comme la Chine.
- Carte des blocs au moment de la guerre
froide
Raconter les crises étudiées et expliquer en
quoi elles sont révélatrices de la situation de
guerre froide. »
Accompagnement Tle :
« L’expression guerre froide, inventée en
1947, désigne en même temps une période de
l’histoire contemporaine (que le programme
prend dans son acception large : de la
seconde moitié des années 1940 à 1991) et
un conflit multiforme, d’intensité variable,
dressant l’un contre l’autre deux blocs visant
l’extension maximale de leur influence et
l’endiguement voire le refoulement de
l’adversaire.
Au fil de 1945 et 1946, les témoignages de
méfiance puis les blocages se multiplient
entre les alliés, notamment dans la gestion de
la question allemande, pôle de tension
durable. L’année 1947 marque une étape
décisive dans l’émergence de deux camps
antagonistes. Ce processus de bipolarisation
ouvre la guerre froide, qui constitue avec la
décolonisation l’autre fait majeur des
rapports internationaux de l’après-guerre.
Ses ressorts durables sont l’opposition des
idéologies – qui rend la paix impossible –, la
recherche permanente du meilleur
positionnement, la prise au sérieux du risque
nucléaire – qui rend la guerre improbable –,
la peur et diabolisation de l’autre, qui
atteignent leur maximum entre 1948 et 1953.
À partir de la seconde moitié de la décennie
1950, la volonté d’affirmation du TiersMonde, le changement de la politique
extérieure soviétique et les enseignements de
crises graves, comme celle de Cuba,
induisent une pacification progressive. Celleci débouche sur la période de la «détente»,
qui s’étend de 1963 au milieu des années
1970 et fait des États-Unis et de l’URSS des
« adversaires-partenaires ». Malgré la
poursuite de la guerre au Viêtnam et le
désaccord profond sur la situation au ProcheOrient, les rencontres Nixon-Brejnev de
1972 et 1973 marquent un temps fort de cette
phase.
Les années 1973-1975 constituent un
renversement de la conjoncture
internationale, à partir duquel la
déstabilisation l’emporte. Une tonalité
anxiogène succède à l’euphorie de la
première époque de la croissance. Les
rapports de force entre les deux grands
évoluent à rythme court (déclin états-unien à
partir de 1973-1974 puis réaffirmation au
temps du «reaganisme », expansion
brejnévienne puis enlisement). Leur
cogestion s’essouffle : la logique de guerre
froide s’affirme à nouveau à partir de 1979,
tandis que s’accroissent les concurrences
politique (la Chine) ou économique (le
Japon). Les conflits régionaux se multiplient,
79
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
contribuant aux profondes difficultés du
continent africain. À partir de la fin de la
décennie 1970, l’affirmation de l’islamisme
introduit un nouveau facteur.
Prenant acte des effets asphyxiants pour
l’URSS de l’expansion impériale et militaire,
Mikhaïl Gorbatchev, nouveau premier
secrétaire du PCUS (1985), privilégie
l’apaisement. Ce dernier se marque
notamment par le traité de Washington de
décembre 1987, qui ouvre la voie au
désarmement. Ce fait et d’autres, telle la fin
de l’apartheid en Afrique du Sud ou le
caractère assez largement apaisé du dialogue
interreligieux, montre aux contemporains
que le pire n’est pas inéluctable. Puis, à un
rythme absolument imprévu, des fondements
majeurs du monde de l’après-guerre, voire
d’après 1917, s’effondrent. À l’issue d’une
tentative de six ans pour apporter une
réponse aux impasses du système, l’URSS se
délite en 1990 et disparaît en décembre 1991,
après avoir accepté la perte de son glacis
européen dès 1989. Le système d’économie
communiste disparaît d’Europe (tandis que la
Chine, qui a introduit l’économie de marché
en 1978, l’officialise en 1993). La guerre
froide prend fin et les Américains se trouvent
désormais sans adversaire militaire. »
Activités, consignes et productions des
élèves :
Cette guerre froide ne commence pas en 1945. Jusqu’en 1946, les relations
internationales sont encore marquées par l’ambiance irénique et unanimiste qui a
présidé à la fondation de l’ONU. Cependant la méfiance s’accroît rapidement
entre les principaux membres de la Grande Alliance, ce qui conduit à la rupture
décisive de 1947. Celle-ci enclenche le processus de bipolarisation par
l’organisation de deux camps opposés en Europe. Progressivement, la
confrontation Est-Ouest se mondialise, dans un contexte où la prise en compte
par les deux grandes puissances du danger nucléaire rend un affrontement direct
improbable. Des phases d’extrêmes tensions, marquées par des guerres locales à
la périphérie des blocs et des crises politiques, alternent avec des phases plus
calmes, pendant lesquelles les adversaires envisagent une coexistence pacifique.
À partir de la seconde moitié des années 1950, la volonté d’affirmation du TiersMonde, le changement de la politique extérieure soviétique à la suite de la mort
de Staline et les enseignements de la crise de Cuba conduisent à une volonté de
pacification. Elle se concrétise par une « détente », qui dure de 1963 jusqu’au
milieu des années 1970. Cependant, rien ne remet fondamentalement en cause
l’existence des deux blocs. La poursuite de guerres locales, comme la guerre au
Vietnam, ou les désaccords persistants, notamment sur la situation au ProcheOrient, montrent que la guerre froide n’est pas terminée.
Accompagnement 3e : « Il faut éviter une
étude chronologique de la période qui
juxtaposerait les crises successives. Cela ne
signifie pas que l’analyse soit abstraite : pour
appréhender globalement ce que fut le
monde bipolaire et l’affrontement Est-Ouest,
une carte, qui en précise l’extension
mondiale, suffit. Ensuite, l’exemple de
l’Allemagne est plus particulièrement
analysé. Il permet de voir concrètement ce
que fut cette bipolarité, marquée dans le
territoire même et dans cette ville symbole
qu’est Berlin. Il offre l’exemple d’une
succession de crises, du blocus de 1948-1949
à la chute du Mur en 1989, qui rythment
l’affrontement Est-Ouest et il symbolise sa
fin, avec le démantèlement du Mur, qui
précipite la dislocation du bloc soviétique
avant que l’URSS n’implose elle-même. »
Accompagnement Tle ST2S :
« BERLIN : UNE VILLE DANS L’HISTOIRE DEPUIS 1945
Berlin est considérée comme une ville symbole, véritable révélateur de l’histoire
de la deuxième moitié du XXe siècle. Mais c’est bien elle (et notamment son
urbanisme et son architecture) qu’il faut étudier, sans la reléguer au niveau d’un
prétexte pour travailler sur les relations internationales. On notera que le
programme envisage la question mémorielle, pour laquelle l’actualité fournit
périodiquement des données intéressantes.
La triste situation de Berlin en 1945 peut être appréhendée par des photographies.
C’est l’occasion d’insister sur l’importance des destructions et les difficiles
lendemains de la guerre dans le quotidien de la population : violences de guerre
soviétiques, restrictions alimentaires, risques d’épidémie… La situation
80
géopolitique particulière de Berlin peut rapidement être expliquée à partir d’une
série de cartes : à l’été 1945, la ville, divisée entre les quatre vainqueurs, se
trouve entièrement enclavée dans la zone d’occupation soviétique. Elle est placée
sous l’autorité d’un commandement interallié ; mais, avec la multiplication des
tensions entre Alliés, Berlin devient un lieu majeur de la lutte d’influence entre
Est et Ouest.
Le premier véritable affrontement est celui du Blocus de Berlin (24 juin 1948-mai
1949). Au-delà des enjeux politiques et géostratégiques que l’on peut rappeler
brièvement, cette crise de la Guerre froide change l’image de Berlin : lieu de
pouvoir du militarisme prussien puis du nazisme, la ville apparaît désormais
comme le symbole du combat pour la liberté. Cette crise reste un moment fort de
la construction de l’identité berlinoise. À l’issue du Blocus, la partition politique
de l’Allemagne entraîne la division municipale de Berlin : deux villes désormais
se font face. L’administration de Berlin-Ouest relève de la Kommandatura alliée,
des institutions fédérales et de l’assemblée de Berlin (la ville de Berlin-Ouest
n’est pas partie intégrante de la RFA mais dispose d’un statut particulier). BerlinEst devient la capitale de la RDA. Les Deux Grands ne tardent pas à faire de
Berlin la vitrine de leurs modèles respectifs. Berlin-Ouest, poste isolé et avancé,
exerce une forte attraction sur les Allemands de l’Est qui y voient un espace de
liberté et d’accès à la société de consommation. Grâce aux efforts conjugués des
Alliés et des Allemands de l’Ouest cette partie de la ville achève sa
reconstruction dès la fin des années 1950. La municipalité se lance dans de vastes
projets urbanistiques. Berlin-Ouest redevient également le premier centre culturel
allemand et retrouve un certain rayonnement international. Face à ce dynamisme,
Soviétiques et dirigeants est-allemands se voient contraints d’édifier une capitale
prestigieuse pour la RDA. Ils donnent la priorité à la réalisation de monuments de
prestige au détriment de la satisfaction des besoins de la population. Mais les
habitants de Berlin-Est refusent un modèle imposé de l’étranger et supportent
difficilement le manque de liberté, la pénurie des biens de consommation, le
conformisme social et culturel. Les relations entre les deux Berlin sont restreintes
(visites de particuliers à Berlin-Est limitées et strictement contrôlées, coupure
des lignes téléphoniques, et des lignes de bus et tramways). Le refus d’un modèle
imposé et l’espoir de réunification nourrissent deux formes de réaction : la fuite
(1,6 millions d’Allemands de l’Est ont gagné l’Ouest en passant par Berlin entre
1949 et 1961) et la révolte (soulèvement de Berlin-Est en juin 1953).
Malgré la reprise du dialogue entre Est et Ouest après la mort de Staline, Berlin
reste un foyer de tension entre les deux blocs, les Soviétiques souhaitant toujours
contrôler l’ensemble de la ville. Khrouchtchev a le projet de faire de Berlin une
ville libre, démilitarisée, dont la neutralité serait garantie par l’ONU. La crainte
des Occidentaux de voir la ville livrée à l’influence soviétique et le refus de la
population de Berlin-Ouest, exprimé dans les urnes, ne permettent pas d’aboutir à
un accord. Les Soviétiques et dirigeants Est-allemands optent alors pour une
solution qu’ils jugent défensive : la construction du mur est annoncée dans la
soirée du 12 août 1961 ; elle est justifiée par deux objectifs : mettre un terme à la
propagande occidentale et freiner les départs des ressortissants de la RDA vers
l’Ouest. Les Berlinois de l’Ouest ne comprennent pas la faible réaction des
Occidentaux devant l’encerclement de Berlin-Ouest. Ils n’admettront jamais la
présence du mur dans leur paysage urbain et mental. Ils expriment leur refus avec
force. Ainsi alors qu’il reste blanc à l’Est, le Mur sert à l’Ouest de support aux
graffitis les plus divers. Le Mur est aussi la cible de nombreux attentats et parfois
l’ultime horizon de ceux qui, nombreux, essaient de le franchir au péril de leur
vie. Il transforme la physionomie des quartiers qui le bordent (condamnation des
accès occidentaux d’immeubles, de jardins, d’églises…situés à l’Est). Mais il a
surtout pour effet d’accentuer le développement différencié des deux parties de la
ville : Berlin-Ouest achève de se donner l’allure de « vitrine de l’Occident »
tandis que les autorités est-allemandes veulent faire de Berlin-Est une vitrine
opposée, celle de la RDA. Cette rivalité s’exprime dans les années 1960 et 1970
par le remodelage urbanistique et le développement des équipements
socioculturels.
Cependant, Allemands et Berlinois prennent conscience que la réunification n’est
pas envisageable à court terme et qu’il leur faut vivre avec le Mur. De nombreux
Berlinois de l’Ouest sont séparés de leurs familles situées à Berlin-Est. Dans ce
contexte, l’action de W. Brandt mérite d’être présentée. Bourgmestre de BerlinOuest, il tente de rendre le Mur moins hermétique et de favoriser les rencontres
dans l’espoir de préserver un sentiment d’unité nationale. Plusieurs accords sont
81
ainsi négociés avec les autorités Est-allemandes (premier accord sur les laissezpasser obtenu le 17 décembre 1963 entre le sénat de Berlin-Ouest et le secrétaire
d’État de RDA). En 1966, Brandt, alors vice-chancelier et ministre des affaires
étrangères, définit une nouvelle politique, l’Ostpolitik (ouverture à l’Est), dont les
principes et les enjeux pour Berlin s’inscrivent dans le contexte international de la
détente. Cette politique est prolongée par l’accord quadripartite de 1972 qui
apporte notamment des améliorations pratiques dans le domaine des transports.
Avec le retour de la guerre fraîche, les années 1970-1985 constituent une période
de statu quo. Pourtant, les Berlinois n’aspirent qu’à resserrer les liens qui les
unissent dans une conscience commune de fidélité à un héritage commun. Cette
volonté s’exprime par des envois de colis et des visites des Berlinois de l’Ouest à
leurs familles de l’Est. L’absence d’évolution de la situation provoque une
augmentation des tentatives de passage à l’Ouest. Ce mouvement est favorisé par
le fait que les Allemands de l’Est peuvent capter désormais les chaînes de
télévision ouest-allemandes et se faire une image plus réaliste du pays voisin. Ils
prennent davantage de distance vis-à-vis de la propagande officielle qui vante les
vertus du système (absence de chômage, protection sociale…). La situation ne se
débloque qu’avec l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en URSS. Sa
politique de glasnost et de perestroïka change la donne. Elle condamne à l’échec
la RDA, victime d’un exode massif de population. Les Allemands de l’Est
passent par la Hongrie (un des premiers pays du bloc de l’Est à avoir adopté une
politique de libéralisation) pour atteindre ensuite la RFA. L’ampleur croissante
des manifestations (Leipzig, Berlin-Est) contraint le régime à céder. Le 9
novembre 1989 les autorités annoncent que chaque citoyen de RDA peut se
rendre à Berlin Ouest et en RFA : les Allemands de l’Est ne croyant pas en cette
nouvelle se précipitent vers le Mur : entre le 9 et le 14 novembre 1989, 3 millions
d’entre eux se rendent à l’Ouest. La télévision rend compte de cet évènement
médiatique : le recours aux archives de l’INA aide à percevoir l’ampleur de
l’évènement et la joie des Berlinois.
La chute du Mur modifie les conditions de vie des Berlinois. Ce qui n’était pas
possible est désormais permis. La liberté de circulation favorise la reprise d’une
vie animée. Entre 1989 et 1991, le Mur est progressivement détruit. Seuls
quelques vestiges, témoins du passé demeurent (notamment 1,3 km de graffitis :
East Side Gallery, un musée du Mur à Checkpoint Charlie). Berlin réunifiée est
désormais une agglomération de 3,4 millions d’habitants. Elle retrouve son statut
de capitale de l’Allemagne le 20 juin 1991. Il s’agit désormais d’en faire une
seule entité urbaine à partir de deux villes différentes.
Pour devenir cette capitale attractive et prestigieuse, Berlin doit préserver les
vestiges de son passé (ancien et récent) tout innovant avec audace. L’étude des
réalisations urbanistiques permet de le montrer. Des architectes du monde entier
sont ainsi invités à participer à une rénovation architecturale originale faite de
contrastes. Tandis que les quartiers où abondent les espaces vides (le long du
Mur) accueillent l’innovation (bâtiment du Daimler Chrysler Center, Sony
Center...), Berlin se réconcilie avec son passé en redonnant vie à des lieux
chargés d’histoire (restauration de l’ancienne enceinte, reconstruction en
respectant des plans anciens dans le centre historique, Reichstag). La ville se dote
également d’un quartier destiné à l’appareil gouvernemental et parlementaire de
l’Allemagne réunifiée. Le projet retenu réunit symboliquement l’Est et l’Ouest à
partir d’un ensemble architectural enjambant la Spree. La rénovation de Berlin
n’est cependant pas exempte de conflits mémoriels. Ainsi la reconstruction du
palais des Hohenzollern qui doit remplacer le Palais de la République, symbole
de la défunte RDA, suscite-t-il la polémique. »
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
82
HC – Le monde depuis 1991
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
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Revues :
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(articles de R. Frank, A. Kaspi, J. Marseille et J. Sapir).
« Les islamistes », L’Histoire, novembre 2003, n° 281.
Politique étrangère, revue trimestrielle de l'IFRI.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
On peut distinguer trois grandes écoles traditionnelles de pensée des relations
internationales : les réalistes, les libéraux et les marxistes.
- Pour les réalistes (Hans Morgenthau, Kissinger ou Brzezinski), le monde est
fondamentalement dans un état d'anarchie au sein duquel les relations
internationales sont un jeu d'équilibres et de menaces entre États dont les intérêts
sont donnés une fois pour toutes. Dès lors la problématique des pôles est au cœur
de leur réflexion et le débat porte sur les mérites comparés des systèmes
multipolaire, bipolaire ou unipolaire pour garantir la stabilité.
- Pour les libéraux (Thomas Friedman et dans une certaine mesure Fukuyama),
Accompagnement TS :
« Au tout début des années 1990 s’achève
une double séquence chronologique : les
États-Unis se trouvent sans adversaire
militaire ; le système d’économie
communiste disparaît d’Europe, tandis que la
Chine, qui a introduit l’économie de marché
en 1978, l’officialise en 1993. Première
puissance globale de l’histoire, les Etats-Unis
83
les véritables acteurs sont les individus et groupes privés dont les États ne sont
que les représentants. Par ailleurs, les relations entre États sont marquées par
l'interdépendance et donc les États, sous la pression des groupes sociaux,
interagissent en terme de coûts/bénéfices pour chacun d'eux. Pour les libéraux,
l'état d'anarchie n'est pas une fatalité et les individus sont portés à influer sur les
États dans le sens de la coopération, car elle apparaît moins coûteuse. C'est une
vision plus optimiste des relations internationales.
- Pour les marxistes, les relations entre États sont déterminées par les intérêts
matériels et en même temps par la structure des relations internationales. La fin
de la Guerre froide et la mondialisation ont correspondu à un regain de débats
intenses chez les internationalistes, obligeant à faire la critique de ces trois
approches.
L'analyse réaliste, si elle domine encore (notamment aux États-Unis), a été
relativisée par la réflexion sur la globalisation qui favoriserait les acteurs
transnationaux (FMN, ONG, groupes « perturbateurs » comme les réseaux
terroristes) et tend à réduire le rôle de l'État comme acteur des relations
internationales. Certains auteurs vont aujourd'hui jusqu'à remettre en cause la
notion même de pôle. Pascal Boniface relativise de son côté cette critique en
montrant que les acteurs transnationaux sont encore très dépendants des
structures étatiques. La vision libérale a été battue en brèche, selon Stanley
Hoffman, par la persistance des conflits : la globalisation pousse les États à
s'arquebouter sur ce qui leur reste, l'identité nationale, à défaut de la vie
économique qui leur échappe. La globalisation nourrirait les ressentiments et les
conflits.
De nouvelles théories tentent d'intégrer les changements issus de la fin de la
Guerre froide. L'école constructiviste revisite les relations internationales à partir
d'une conception intersubjective des rapports entre États : les idées peuvent
l'emporter sur les intérêts (comment comprendre la fin de la Guerre froide sans le
rôle déterminant de la « nouvelle pensée » de Gorbatchev ?) et les intérêts des
États sont déterminés par une structure partagée de normes, qui peut évoluer.
Cette dernière idée rejoint la réflexion de Joseph Nye sur la puissance : elle ne
peut plus être simplement brute (hardpower), mais elle suppose un minimum
d'acceptation par les autres de cette puissance (la puissance doit donc pouvoir
manœuvrer sur les valeurs communes et jouer des institutions internationales,
c'est le softpower).
L’autre grand débat historiographique concerne l’islamisme, sa définition,
l’articulation avec l’islam et l’évaluation d’un phénomène qui n’est pas nouveau
mais dont les mutations récentes sont importantes. À ceux qui considèrent, dans
le sillage de Samuel Huntington que le choc des civilisations entre Occident et
Islam est inéluctable et qu’il a même déjà commencé, les attentats du 11
septembre 2001 devant en fournir une démonstration irréfutable, s’opposent
Olivier Roy et Gilles Kepel qui estiment que l’islamisme a connu des échecs
cinglants et que ses formes actuelles, terroristes et déterritorialisées, témoignent
davantage de sa fragilité à mobiliser les masses musulmanes que de sa force. Les
attentats sanglants ne devant pas ici occulter l’absence de perspective d’un islam
politique dans l’impasse.
BO Tle S : « Le nouvel ordre mondial
La disparition de l’Union soviétique met un terme à la guerre froide. Les ÉtatsUnis s’imposent, non sans contestations, comme l’unique superpuissance. À
partir de la fin des années 1970, l’affirmation de l’islamisme, sous différentes
formes, constitue un autre fait majeur. Ces profonds bouleversements façonnent
le monde actuel. »
BO Tle STG :
« Le jeu des puissances dans un espace mondialisé de 1945 à nos jours –
Le début du XXIe siècle voit l’émergence de nouveaux rapports de force. On axe
l’étude sur la super-puissance des États-Unis, la construction européenne et la
montée en puissance de la Chine. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
veulent promouvoir un «nouvel ordre
mondial», au sein duquel la paix serait
fondée sur le multilatéralisme (première
guerre d’Irak). Mais ce néo-wilsonisme
suscite rapidement des réserves, qui mettent
en cause une realpolitik de fait, la prétention
instinctive des États-Unis à se situer du côté
du bien, leur lecture idéologique des réalités
mondiales, les motifs inavoués de leur
alternance d’interventions ou de réserve, ou
encore la direction qu’ils impriment aux
institutions économiques internationales
(fortement contestée par les organisations
altermondialistes). Dans les faits, le passage
entre le XXe et le XXIe siècle apparaît
marqué par la complexité (qui transparaît
nettement dans la situation du Proche-Orient)
plus que par un ordonnancement manifeste.
Les attentats du 11 septembre 2001 contre
les États-Unis en fournissent une illustration
dramatique, qui focalise l’attention sur la
frange radicale de l’islamisme.
Les efforts de l’Organisation des Nations
unies – qui compte 190 membres en 2002
pour 125 en 1970 – pour incarner la
communauté internationale témoignent
de cet état de fait. L’attribution aux «casques
bleus» du prix Nobel de la paix en 1988 est
révélatrice de l’énergie mise à monter des
opérations de paix et des espoirs investis
dans l’ONU durant la seconde moitié des
années 1980 et le début des années 1990. Le
décalage entre ces espoirs et la réalité se
révèle souvent cruel par la suite, et la
question des missions et du financement se
pose avec d’autant plus d’acuité que la
combinatoire des attentes et des risques
évolue rapidement. Il n’est que de souligner
les pistes nouvelles que constituent
l’affirmation du droit
d’ingérence (1991), la création de la Cour
pénale internationale (1998) ou encore les
craintes anciennes mais réactivées en matière
de dissémination nucléaire et de qualité de
l’environnement. »
Activités, consignes et productions des
élèves :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
84
HC – La construction européenne depuis 1945
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Guillaume DEVIN, Guillaume COURTY, La Construction européenne, La Découverte, coll. « Repères », 2001.La Construction
européenne, La Découverte, 2001, 128 p., coll. «Repères »
Bruneteau Bernard, Histoire de l’unification européenne, Armand Colin, 1996, 236 p., coll. «Prépas».
B. Bruneteau, Histoire de l’idée européenne au premier XXe siècle à travers les textes, A. Colin, Paris, 2006.Courty Guillaume,
Gerbet Pierre, La Construction de l’Europe, Imprimerie nationale, (1983) 1999, 618 p.
GERBET Pierre, 1957, La Naissance du Marché Commun, Bruxelles, Éditions Complexe, collection « Historiques », 2007 (1re
éd. 1987).
BITSCH Marie-Thérèse, Histoire de la construction européenne, Bruxelles, Éditions Complexe, 2008 (1re éd. 1996).
Bossuat Gérard, Les Fondateurs de l’Europe, Belin, (1994) 2001, 286 p.
G. Bossuat, L’Europe Occidentale à l’heure américaine, éditions Complexe, Bruxelles, 1992.
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Pluriel.
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J.-F. GUILHAUDIS, L'Europe en transition. Esquisse du nouvel ordre européen, Éditions Montchrestien, collection « Clefs », 1998.
ZORGBIBE Charles, Histoire de la construction européenne, Paris, PUF, collection « Premier Cycle », 1997
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Documentation Photographique et diapos :
Girault René, «L’Europe en chantier, 1945-1990 », La Documentation photographique, février 1990, n° 6105.
85
Revues :
J.-M. Gaillard, « Les bâtisseurs de l’Europe », L’Histoire, n° 201, pp. 100-105.
J.-M. Gaillard, « Europe deuxième Grand », L’Histoire, n° 226, pp. 64-67.
J.-M. Gaillard, « 30 août 1954 : il n’y aura pas d’armée européenne ! », L’Histoire, n° 264, p. 30.
J.-P. Rioux, « Maastricht, et après ? », L’Histoire, n° 201, pp. 108-109.
N. Baverez, « Europe, année zéro », L’Histoire, n° 237, p. 98.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
Les travaux historiques qui analysent le phénomène dans toutes ses dimensions
sont encore rares. Les études sur les institutions sont dominantes, et lorsque les
hommes sont pris en compte, il s'agit généralement de ceux qui « ont fait l'Europe
», c'est-à-dire les chefs d'État. L'analyse des relations politiques inter-étatiques
prend le pas sur l'intégration économique, et les aspects culturels apparaissent
peu. Les travaux de Guillaume Courty et Guillaume Devin ont l'intérêt de
dépasser ces approches réductrices en analysant la construction européenne
comme produit d'un processus largement non planifié. Ils mettent en lumière trois
logiques qui concourent à la construction européenne, tantôt antagonistes, tantôt
complémentaires : les stratégies des États, la dynamique propre des institutions et
l'organisation des intérêts.
BO Tle L-ES : « L’Europe de l’Ouest en
construction jusqu’à la fin des années 1980
La construction européenne procède de
plusieurs facteurs : un idéal qui associe rejet
des “guerres civiles” européennes et
recherche d’un modèle, une réaction à la
menace soviétique, une volonté d’utilisation
de la puissance de la Communauté au service
des politiques nationales.
Elle se traduit par la mise en place d’une
politique d’intégration et de convergence.»
La construction européenne fait l’objet depuis l’origine d’une profusion
d’analyses et d’études tant par les acteurs politiques eux-mêmes que par les
milieux universitaires ou les fondations privées représentant les intérêts des
différents courants politiques attachés aux principes de l’unification européenne.
Il ne s’agit plus d’analyser un modèle mais de cerner les enjeux de la construction
européenne et les rythmes de sa mise en oeuvre.
La construction européenne a certes été le fruit de circonstances propres au
monde de l’après-guerre mais n’est pas le résultat spontané d’un destin européen
incontournable. C’est d’abord le résultat de volontés opiniâtres et convergentes
qui témoignent de l’autonomie du politique dans les démocraties libérales, dont
les principes forment le socle de l’Europe en gestation. Si la nécessité de
l’unification européenne se fait plus forte en fonction des circonstances de la
guerre froide et par la recherche d’un redressement européen après trois
décennies de guerres et de difficultés, il ne faut pourtant pas occulter la
dimension nationale de la construction européenne qui a souvent été conçue
comme un instrument au service de la puissance des États-nations. Il convient
donc de se garder d’une approche trop manichéenne qui opposerait indépendance
nationale et construction européenne dans un cadre fédéral. Le choix de la fin des
années 1980 comme limite chronologique répond davantage aux impératifs d’une
approche globale de l’Europe aujourd’hui réunifiée que de l’étude de la seule
Europe de l’Ouest et de sa dynamique d’unification.
Accompagnement TL-ES :
« La volonté d’initier des politiques de
convergence et d’intégration entre les États
d’Europe occidentale bénéficie d’un climat
favorable à l’issue de la Seconde Guerre
mondiale. Les raisons en sont multiples
: écoeurement des guerres entre Européens,
crainte de la puissance soviétique, moyen
pour les pays marqués par la décolonisation
et le risque de l’effacement de conserver une
existence sur la scène mondiale, promotion
d’un modèle associant libéralisme
politique et économique et mise en oeuvre de
l’État-providence.
À des degrés et sur des terrains divers,
l’OECE (1948), le Conseil de l’Europe
(1949), l’OTAN (1949) et bien sûr la CECA
(1951) participent de cette volonté appuyée
par les États-Unis. Cependant, l’intitulé du
thème d’étude et le temps disponible
invitent à centrer l’étude sur la Communauté
économique européenne, depuis les traités de
Rome (Marché commun et Euratom) jusqu’à
la veille des mutations géopolitiques de la fin
de la décennie 1980. Cette étape met l’accent
sur l’union douanière et l’intégration
économique. Elle est ponctuée d’avancées
importantes : politique agricole commune
initiée en 1962, tarif douanier extérieur
commun et suppression des droits de douane
internes en 1968, entrée en vigueur du
Système monétaire européen en
1979, signature de l’Acte unique (1986)
parachevant l’espace économique unifié
souhaité par les fondateurs de la CEE. Mais
ces avancées n’auraient pu avoir lieu sans
l’élaboration progressive d’institutions
et de fonctionnements acceptables par tous,
ni prendre toute leur dimension sans les
élargissements. Ces derniers induisent un
changement d’échelle : à partir de 1973, la
CEE compte 252 millions d’habitants
et est le deuxième pôle économique du
De nombreux facteurs permettent de comprendre la naissance après 1945 de la
construction européenne : le rejet des guerres, la crainte de l’expansionnisme
soviétique, la conscience de l’affaiblissement lié à la perte des colonies, mais
aussi la volonté de préserver son influence sur la scène mondiale, liée à la hantise
du déclin. L’histoire de l’unification européenne est le résultat de la volonté de
nombreux acteurs. Elle se traduit par une stratégie de coopération et d’intégration
débouchant sur des dynamiques institutionnelles. Le modèle européen associe
libéralisme politique et économique et État providence. L’accent porte sur l’union
douanière et l’intégration économique. La PAC, un tarif douanier extérieur
commun, la suppression des droits de douane internes, le SME, l’Acte unique
parachèvent un espace économique unifié.
La volonté d’initier des politiques de convergence et d’intégration entre les États
d’Europe occidentale bénéficie d’un climat favorable à l’issue de la Seconde
Guerre mondiale. À des degrés et sur des terrains divers, l’OECE (1948), le
Conseil de l’Europe (1949), l’OTAN (1949) et bien sûr la CECA (1951)
participent de cette volonté. Cependant, l’intitulé du thème d’étude et le temps
disponible invitent à centrer l’étude sur la Communauté économique européenne,
depuis les traités de Rome jusqu’à la veille des mutations géopolitiques de la fin
de la décennie 1980. Cette étape met l’accent sur l’union douanière et
l’intégration économique. Elle est ponctuée d’avancées importantes : politique
86
agricole commune (1962), tarif douanier extérieur commun et suppression des
droits de douane en 1968, entrée en vigueur du SME (Système monétaire
européen) en 1979, signature de l’Acte unique (1986) parachevant l’espace
économique unifié souhaité par les fondateurs de la CEE. Mais ces avancées
n’auraient pas pu avoir lieu sans l’élaboration progressive d’institutions et de
fonctionnements acceptables par tous, ni prendre toute leur dimension sans les
élargissements. Ces derniers induisent un changement d’échelle : à partir de
1973, la CEE compte 252 millions d’habitants et est le deuxième pôle
économique du monde. Choisir un temps fort, un acteur (ou un couple d’acteurs)
ou un courant politique emblématiques de la construction européenne et lui
consacrer un développement permettrait d’incarner ce processus et d’enrichir la
compréhension des motivations, enjeux et difficultés à l’oeuvre.
Qu’est-ce qui a motivé la construction européenne ?
L’idée d’unir les peuples d’Europe est ancienne, mais reste longtemps purement
utopique ; les désastres de la Première Guerre mondiale amènent à une prise de
conscience et font naître les premières initiatives concrètes, comme le projet
d’Aristide Briand de fédération européenne, présenté en 1929 à la Société des
Nations. En 1945, la ruine économique, la division de l’Europe rendent désormais
impérative la réconciliation et le rapprochement des peuples et des pays d’Europe
occidentale. Il faut reconstruire, se protéger face au « péril rouge ». Les premiers
pas sont donc motivés par ce contexte ; la création de l’OECE en 1948,
encouragée par les États-Unis, doit permettre de répartir l’aide du plan Marshall.
En 1949 la fondation du Conseil de l’Europe, forum de discussion auquel
participent une dizaine de pays, rappelle que les Européens partagent des valeurs
et des principes communs ; en 1950 le Conseil adopte la Convention européenne
des droits de l’Homme. L’initiative majeure revient cependant aux « pères de
l’Europe », Monnet, Schuman, Adenauer et Gasperi, qui veulent unir l’Europe
par des réalisations concrètes, une solidarité de fait créant les conditions d’une
prospérité commune. C’est ainsi que naît en 1951 la Communauté européenne du
charbon et de l’acier (CECA), disposant d’institutions propres, supranationales,
première étape de la construction européenne.
monde. Choisir un temps fort, un acteur (ou
un couple d’acteurs) ou un courant politique
emblématiques de la construction
européenne et lui consacrer un
développement permettrait d’incarner ce
processus aux yeux des élèves et d’enrichir
la compréhension qu’ont ces derniers des
motivations, enjeux et difficultés à l’oeuvre.»
Accompagnement Tle STG :
« Construction européenne
La construction européenne, décidée et
commencée sous la IVe République (CECA,
Traité de Rome en 1957), n’est pas remise en
cause par de Gaulle, même s’il veut une
Europe des nations autour de l’axe francoallemand. Elle progresse, malgré les crises et
les rivalités entre États, et jouit d’abord en
France d’un large consensus au sein des
principaux partis de gouvernement. Mais les
divergences quant au type d’Europe à
construire s’accentuent, au sein des partis et
de l’opinion, à l’occasion de la ratification du
traité de Maastricht en 1992 et du Traité
constitutionnel en 2005. Elles font de
l’Europe, dont les Français constatent
désormais le poids des décisions pour la vie
nationale, une question centrale du débat
politique. »
Comment les peuples qui se sont déchirés pendant des siècles ont-ils réussi à
s’unir autour de valeurs communes ?
Après ces premiers pas très prometteurs, la construction reste cependant difficile
et lente ; l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954 marque un
tournant : les Européens ne peuvent encore s’unir que sur des objectifs de
coopération économique, sans remettre en cause les souverainetés nationales. En
outre, le volontarisme des dirigeants politiques, leur bonne entente vont jouer un
rôle clé dans le projet européen, comme le montre l’action du couple francoallemand. C’est ainsi qu’est signé le traité de Rome en 1957, donnant naissance à
la CEE et lui fixant des objectifs ambitieux : réaliser une union douanière
(effective dès 1968), mettre en oeuvre des politiques économiques communes, en
particulier dans le domaine agricole, favoriser le progrès social ; pour cela la
Communauté dispose d’institutions propres mais les décisions sont prises à
l’unanimité pour toutes les questions importantes. La crise de la chaise vide en
1966, provoquée par la France, confirme ce principe et met fin aux rêves de
fédération européenne. À partir des années 1970, la construction européenne
se poursuit dans deux directions : les élargissements et l’approfondissement. En
1973 avec l’entrée du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark, la CEE
devient « l’Europe des 9 » ; dans les années 1980, elle s’ouvre aux pays de
l’Europe du Sud débarrassés de leurs dictatures. Après les avancées des années
1970 (SME, élection du Parlement au suffrage universel), les années 1980 sont
marquées par la volonté de relancer la construction européenne par la réalisation
des ambitions annoncées dans le traité de Rome ; l’Acte unique élaboré par
Jacques Delors doit permettre cet aboutissement.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
La première partie évoque l’idée européenne et l’aspiration à la paix après la
Seconde Guerre mondiale, tout en montrant la diversité des partisans de l’Europe
comme de ses adversaires. Cette exposition est suivie d’une partie consacrée au
poids des circonstances internationales dans les débuts de la construction
Le Congrès fédéraliste de La Haye
(1948)
Le congrès de La Haye de 1948 devait
présenter des solutions pratiques pour la
87
européenne, du plan Marshall à la CECA, en insistant particulièrement sur les
questions de sécurité européenne dans le contexte de la guerre froide. La partie
suivante évoque le développement des politiques d’intégration et de convergence
depuis les premiers traités de la CEE jusqu’à l’Acte unique européen.
LES RÉUSSITES ET LES ÉCHECS DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE
(1945-1989)
I. Les premières étapes de la construction 1945-1957 (comment construire
l’Europe au lendemain de la guerre ?)
II. Les débuts d’une Europe communautaire 1957-1973 (quelle part les facteurs
externes et internes à l’Europe ont-ils joué dans le processus et le rythme de la
construction européenne et avec quels résultats ?)
III. La construction européenne entre crise et relance 1973-1989 (quelle Europe
construire (entre élargissement et approfondissement) ?)
Trois « pères de l’Europe »
Robert Schuman et Konrad Adenauer sont à juste titre rangés parmi les pères
fondateurs de l’Europe. Avec De Gasperi, ils constituent le noyau démocratechrétien des européistes. Dans son Journal du septennat, le socialiste Vincent
Auriol évoque d’ailleurs d’une manière caustique, au sujet de Schuman,
Adenauer et De Gasperi, « trois tonsures sous la même calotte ».
Robert Schuman, « homme de la frontière, lotharingien par origine » comme il
aimait à se définir, veut en finir avec la vieille rivalité franco-allemande. Animé
par son patriotisme, sa ferveur chrétienne et son anticommunisme, Robert
Schuman trouve en Konrad Adenauer un partenaire de choix.
Ce dernier, chancelier durant 15 ans, a marqué la politique de son époque au
point que l’on parle d’une « ère Adenauer ». La construction européenne est selon
lui le meilleur moyen pour la RFA de rétablir la souveraineté allemande et
d’effacer les réticences alliées envers le passé nazi de l’Allemagne. En cela,
l’idée européenne s’articule aux intérêts de souveraineté nationale sans
nécessairement les contredire ou les contrecarrer. L’Europe est, pour
l’Allemagne, un outil pour réintégrer le concert des nations. Adenauer
continue la politique de rapprochement après 1958, avec le général De Gaulle.
Ensemble, ils contrecarrent les projets britanniques visant à affaiblir la CEE
(1958), mettent en place la politique agricole commune (1962) et signent le traité
de l’Élysée (1963), acte de réconciliation officielle entre les deux pays.
Moins connue, la personnalité d’Alcide de Gasperi mérite d’être évoquée dans un
chapitre qui doit s’inscrire dans la dimension la plus européenne possible. «
Homme de la frontière » lui aussi, il a été député autrichien avant que les aléas de
l’Histoire ne rattachent sa province natale, le Trentin, à l’Italie en 1919.
Animateur du mouvement démocrate-chrétien italien, il fut huit fois président du
Conseil entre 1945 et 1953.
Le plan Marshall et l’OECE
L’aide Marshall repose sur une exigence américaine, la mise en oeuvre d’une
coopération européenne afin de répartir l’aide. C’est pour répondre à cet impératif
qu’est organisée la conférence de Paris sur la coopération économique
européenne à l’été 1947. Renonçant à une union douanière, les participants
mettent alors en place un organisme de coopération intergouvernementale,
l’OECE, rejoint par 15 pays d’Europe ainsi que la Turquie et l’Allemagne
occidentale. Limitée dans son action par la règle de l’unanimité, l’OECE a quand
même facilité les échanges intra-européens et permis la création d’une Union
européenne des paiements pour rendre les monnaies européennes convertibles.
La CECA, une « réalisation concrète »
Selon Schuman, l’Europe doit se construire par des « réalisations concrètes »,
portant « sur un point limité mais décisif » et concernant « au premier chef la
France et l’Allemagne ». La préoccupation majeure de Robert Schuman est de
mettre en oeuvre la réconciliation franco-allemande, sous la forme d’une
coopération dans deux secteurs stratégiques de l’industrie lourde, le charbon et
l’acier. L’originalité du plan réside dans son pragmatisme. Échaudés par les
échecs des visions théoriques et des proclamations fédéralistes sans lendemain,
Jean Monnet et Robert Schuman proposent un outil apte à réaliser
immédiatement l’objectif proclamé d’une intégration sectorielle, certes partielle,
mais profondément fédérale. La CECA est en effet un premier pas vers une
réalisation de l’unité européenne. Mais, en
dépit de résolutions généreuses, les
dissensions l’emportent alors sur le
consensus. Fédéralistes et unionistes
s’opposent tandis que libéraux et dirigistes
ne peuvent trouver de terrain d’entente. Les
délégués de 24 pays européens ont toutefois
contribué à montrer l’image dynamique et
diversifiée des courants européistes. On
remarque au mur la présence de ce qui allait
devenir le drapeau des militants fédéralistes
européens : le E vert sur fond blanc. Ce
drapeau ne devait cependant jamais devenir
le drapeau institutionnel de l’Union. En effet,
en 1986, le drapeau étoilé est choisi pour
représenter l’Union européenne.
« En avant, l’Europe ! »
Après la défaite des conservateurs aux
élections anglaises de 1945, Winston
Churchill, ancien Premier ministre et héros
de la Seconde Guerre mondiale, s’engage en
faveur des « États-Unis d’Europe » dans le
célèbre discours de Zurich. Il reprend
l’expression, déjà citée par Victor Hugo, d’ «
États-Unis d’Europe », et prône, comme
Aristide Briand vingt ans auparavant, la
création d’un axe franco-allemand. Churchill
est favorable à un rapprochement européen,
qu’il décrit en des termes enthousiastes mais
assez flous. Il faut souligner que la GrandeBretagne encourage ce rapprochement mais
n’y participe pas. Pour Churchill, La GrandeBretagne a déjà son « groupement naturel »,
le Commonwealth. Les « États-Unis
d’Europe » sont indispensables face au
danger soviétique que ressent si
douloureusement Churchill et qu’il a déjà
évoqué dans le récent discours de Fulton,
mais la tradition d’indépendance de la
Grande-Bretagne ne saurait lui permettre d’y
participer. Le « premier pas » de ce
rapprochement européen doit être la
réconciliation franco-allemande. Churchill a
parfaitement compris que l’Europe
occidentale ne peut pas s’unir face au danger
communiste si la France ne se rapproche pas
de son ancien ennemi allemand. Il anticipe
ainsi sur ce qui s’est produit en 1950-1952
avec la CECA.
L’Allemagne, la Russie et l’Europe
Wilhem Röpke est l’un des théoriciens de l’«
économie sociale de marché » qui prône un
libéralisme tempéré par l’État, garant du
libre jeu du marché. Économiste
conservateur, il a influencé la politique
économique des divers chanceliers
allemands, ce qui l’a auréolé de la paternité
intellectuelle du miracle économique ouestallemand. Conscient des responsabilités
allemandes dans le déclenchement de guerres
qui ont ensanglanté l’Europe, il partage les
convictions européistes d’Adenauer, en
particulier dans l’espoir de redresser
88
fédération européenne. Une Haute Autorité de 9 membres indépendants des États
qui les ont nommés prend les décisions économiques, tandis qu’une assemblée de
78 parlementaires désignés par les assemblées des pays membres encadre les
travaux de cette Haute Autorité. L’optique fédéraliste l’emporte nettement dans
ce cadre institutionnel, qui fut facilement accepté, sauf en France. Ce projet est
emblématique de ce qu’on a appelé la « méthode Monnet », car l’inspirateur de la
CECA est bien Jean Monnet : partir d’un projet très concret, pour dépasser les
souverainetés nationales et construire une Europe fédérale. La « méthode Monnet
», c’est aussi une stratégie médiatique : Schuman maintient le secret jusqu’au
dernier moment et n’informe ni l’Assemblée nationale ni le quai d’Orsay. La
déclaration fait donc l’effet d’une bombe, le 9 mai 1950, dans le salon de
l’Horloge du ministère des Affaires étrangères, devant des journalistes qui
ignoraient ce à quoi ils étaient conviés.
Faut-il réarmer l’Allemagne de l’Ouest ?
Il faut souligner le rôle pivot de la question du réarmement allemand pour la
sécurité européenne. En 1950, alors que gronde le conflit coréen et que
l’expansionnisme communiste est de plus en plus perçu comme une menace, les
responsables politiques occidentaux, en particulier américains, réclament « des
Allemands en uniforme ». La République fédérale d’Allemagne n’a ni armée, ni
ministère de la Défense, alors même que sa situation géographique au coeur de
l’Europe, en fait un théâtre d’affrontements en cas de conflit Est-Ouest.
Favorable au réarmement, le chancelier Adenauer défendra la Communauté
européenne de défense. Les principaux dirigeants européens sont plus partagés
sur la question du réarmement allemand. Le projet de Communauté européenne
de défense apporte provisoirement une réponse aux craintes des Européens en
proposant de réarmer l’Allemagne mais sous le contrôle d’une autorité
supranationale européenne.
Pour une Communauté européenne de défense
René Pleven est un catholique proche de Jean Monnet et du général de Gaulle. Il
annonce le plan qui porte son nom alors qu’il est devenu président du Conseil
après avoir exercé les fonctions de ministre de la Défense et que les tensions
internationales s’accroissent du fait de la guerre de Corée commencée en juin
1950. Une fois de plus, ce plan d’unification militaire doit tout à Jean Monnet qui
en a assuré l’élaboration. Devant l’insistance du secrétaire d’État américain Dean
Acheson à mettre en place des « Allemands en uniforme pour l’automne 1951 »
et le refus français de toute renaissance militaire allemande autonome, le
gouvernement français lance un projet de Communauté européenne de défense.
Cet ambitieux projet est aussi un instrument entre les mains des fédéralistes qui
veulent ainsi réaliser une armée européenne pour faciliter ensuite la naissance de
l’État européen fédéral qu’elle serait destinée à protéger. Pleven annonce que les
institutions de la CED seront calquées sur celles de la CECA. Cependant, le
caractère supranational du projet de la CED sera moins marqué qu’il ne l’évoque
alors. L’idée d’un ministre européen de la défense responsable devant le
parlement de la CECA est par exemple abandonnée.
La CED, 1954
Les « cédistes » (partisans de la CED) jouent la carte du pacifisme et de la fin des
guerres civiles européennes en montrant que le malheur n’a pas de frontières : la
veuve française et la veuve allemande sont unies dans la douleur. Les «
anticédistes » agitent l’épouvantail allemand. L’échec du projet de Communauté
européenne de défense est paradoxal : initié par les autorités françaises afin
d’éviter un réarmement allemand que souhaitent de plus en plus les Américains,
le projet est finalement rejeté par les Français. Plusieurs fois amendé et vidé de sa
substance supranationale, non soutenu par le gouvernement de Pierre Mendès
France, le projet est enterré sans discussion par l’assemblée nationale le 30 août
1954. Le sentiment national plutôt qu’européen et la peur du danger allemand
l’ont emporté sur la volonté de construire une défense commune pourtant
acceptée par tous nos partenaires européens et aussi par le gouvernement
américain.
Les États-Unis et la défense de l’Europe
Les accords de Paris du 23 octobre 1954 fondent l’Union de l’Europe occidentale
(UEO). L’Allemagne de l’Ouest est autorisée à rejoindre le pacte de Bruxelles
l’Allemagne et d’y affermir les
convictions démocratiques.
Le traité de Rome instituant la CEE (1957)
Les traités de Rome sont le résultat d’une
relance européenne entamée à la conférence
de Messine de 1955, alors même que la
construction européenne semble dans
l’impasse après l’échec de la CED et
l’isolement de la CECA. Les conflits entre
fédéralistes « maximalistes » menés par
Denis de Rougemont et Altiero Spinelli, et
les « possibilistes » plus pragmatiques et
mesurés, lassent une opinion publique de
plus en plus indifférente à la construction
européenne. Mené par le socialiste belge
Paul-Henri Spaak, un comité de travail doit
choisir entre la voie d’une relance par
l’intégration sectorielle et celle de la mise en
place d’un marché commun. Le comité
Spaak réalise un compromis en proposant
une intégration sectorielle dans le domaine
atomique et la mise en place d’un marché
commun.
« Europe des Six » contre « Europe
des Sept »
À l’initiative du Royaume-Uni, la convention
de Stockholm, signée par les
ministres britannique, norvégien, danois,
suisse, portugais, suédois et autrichien, le 4
janvier 1960, donne naissance à
l’Association européenne de libre-échange.
L’AELE a pour objectif de créer une zone de
libre-échange pour les pays d’Europe nonmembres de la Communauté économique
européenne (CEE) et de contrebalancer
l’influence économique
de cette dernière. Le siège de l’AELE est
situé à Genève. Ce marché de 90 millions
d’habitants n’a jamais débouché sur une
volonté d’union plus politique, c’est une
association purement intergouvernementale,
une simple zone de libre-échange.
C’est en août 1961 que le RoyaumeUni présente sa première candidature à la
CEE. En janvier 1963, dans une conférence
de presse, le général De Gaulle y oppose une
fin de non-recevoir. Il revient sur l’idée que
la Grande-Bretagne s’était opposée à la
Communauté en refusant de participer aux
traités de Rome et en suscitant une union
concurrente : l’Association européenne de
libre-échange (AELE), en 1960. Il évoque
également le décalage des structures
économiques (le secteur primaire n’y
représente plus il est vrai, au début des
années 1960, que 2 % de la population
active, contre environ 10 % en RFA, 20 % en
France, 30 % en Italie), ainsi que
l’alignement atlantiste de Londres, qui ferait
du Royaume-Uni le « cheval de Troie » de
l’influence américaine en Europe.
89
alors que se desserrent les liens du régime d’occupation. Si la RFA n’est pas
autorisée à se doter d’armes de destruction massive, elle dispose de forces
conventionnelles, la Bundeswehr, qui intègrent l’OTAN en mai 1955. Après
l’échec d’une solution européenne, c’est donc une solution atlantiste qui est
trouvée à la « question allemande ». La ratification de l’UEO entraîne une riposte
soviétique, la création du pacte de Varsovie. Les anticédistes disaient vouloir
éviter un réarmement allemand et un renforcement de l’influence américaine en
Europe, ils obtinrent pourtant ce qu’ils craignaient le plus.
Les institutions de la CEE (1957-1989)
Le pouvoir législatif appartient essentiellement au Conseil des ministres, qui
prend toutes les décisions à la majorité qualifiée ou à l’unanimité. La
Commission détient aussi une partie du pouvoir législatif, puisqu’elle propose les
textes adoptés ou non par le Conseil (initiative des lois). L’Assemblée
parlementaire européenne de 142 membres à l’origine, qui prend le nom de
Parlement européen seulement en 1962, n’est qu’un organe consultatif. Le
pouvoir exécutif est partagé par le Conseil, organe dirigeant, et par la
Commission, chargée d’exécuter les décisions et que l’on peut assimiler à une
sorte de gouvernement de la CEE. Il est important d’expliquer aux élèves
l’originalité de la CEE où les pouvoirs ne sont pas séparés selon le modèle
démocratique libéral qui nous est familier. Ces institutions sont le résultat d’un
compromis entre les unionistes, attachés à la coopération intergouvernementale,
et les fédéralistes, qui souhaitent réduire la souveraineté des États-membres. Il
apparaît nettement que la sensibilité unioniste l’a emporté à l’origine. L’exécutif
est partagé en deux, mais le Conseil a plus de pouvoir que la Commission, tandis
que l’institution parlementaire, fédérale par essence, ne dispose alors d’aucun
pouvoir. Le traité de la CEE est donc en retrait par rapport aux institutions de la
CECA. L’originalité des traités de Rome est d’avoir réalisé la synthèse entre la
formule intergouvernementale, éprouvée par les institutions de l’OECE, et le
modèle supranational dont la CECA est l’exemple le plus achevé.
Comment la CEE est-elle sortie des crises des années 1970-1980 ?
La CEE se heurte à deux types de difficultés. La première est économique et
sociale avec la baisse de la croissance, à l’origine d’un chômage important
(autour de 10 % à la fin des années 1980). De plus, les réponses sont effectuées
dans un cadre national, sans concertation. Enfin, ces politiques sont souvent
dissonantes : la France de Mitterrand adopte une politique néokeynésienne de
relance de la consommation, l’Angleterre de Thatcher, une politique néolibérale
de rigueur et d’austérité budgétaire. La seconde traduit une désillusion qui peut
aller jusqu’à une indifférence ou une désaffection pour l’Europe, sentiment pour
lequel on utilise l’expression d’europessimisme. La CEE semble incapable de
surmonter ses difficultés car elle est divisée : l’opinion des populations
des pays membres diverge, certains ne croyant plus en ses capacités, et ses
dirigeants sont repliés sur eux, au détriment d’une politique de concertation
commune.
La construction européenne connaît malgré tout trois types d’avancées : la
réforme des institutions avec l’élection des députés du Parlement au suffrage
universel en 1979, l’élargissement avec l’entrée de l’Espagne en 1986 (mais aussi
de la Grèce en 1981 et du Portugal en 1986), enfin le Marché unique
européen mis en place en 1986 renforce le poids politique et économique de la
communauté. Ces avancées ne font pas tout à fait disparaître l’europessimisme.
En ce qui concerne les élections, il serait naïf de croire à la seule vertu
pacificatrice du vote, il ne peut mettre fin à deux mille ans de nationalisme
guerrier. D’autre part, l’identité européenne n’est pas le fait de partager des traits
identiques, mais d’en avoir conscience. Or on peut avoir conscience d’être
Européen, mais ne pas vouloir construire l’Europe (d’où l’europessimisme). La
construction européenne des années 1950 a modifié l’identité européenne, en
créant de façon fragmentaire, le sentiment d’appartenance, elle n’est plus une aire
culturelle, mais une communauté politique en gestation : elle est plus « volonté
d’identité ». Ensuite, on n’est pas « européen » selon le lieu d’Europe. Enfin le
sentiment européen est concurrencé par le sentiment national et même régional.
En ce qui concerne l’élargissement, les Espagnols craignent la montée des prix
pour se mettre à niveau des Européens. La CEE sort cependant renforcée des
années 1980, car la crise l’a poussée à poursuivre sa dynamique
d’approfondissement (élections du Parlement au suffrage universel, Acte unique)
« Vous voulez de nouveau descendre ! »
La Grande-Bretagne a adhéré à la CEE pour
des raisons économiques. La GrandeBretagne ne réalisant plus en 1972 qu’un
cinquième de son commerce extérieur
avec le Commonwealth, la Communauté
européenne devient prépondérante dans les
investissements du Royaume-Uni. La
décision de relancer une demande d’adhésion
à la CEE en juin 1970 est donc logique
(après la fin de non-recevoir du
général de Gaulle en 1963 et 1967). Au cours
de l’été 1971, le gouvernement d’Edward
Heath mène en Angleterre une
intense campagne de propagande en faveur
de l’adhésion au Marché commun.
L’adhésion est approuvée le 28 octobre
1971 par un vote historique à la Chambre des
Communes. La Grande-Bretagne intègre la
CEE le 1er janvier 1973.
La Grande-Bretagne envisage de quitter la
CEE pour des raisons financières. Dès
l’origine, le problème de la contribution
britannique au budget communautaire est le
point le plus difficile à régler. Selon les
règles communautaires, la Grande-Bretagne
doit verser à la CEE des sommes importantes
au titre des prélèvements agricoles. La
Grande-Bretagne importe la majorité de ses
produits alimentaires à partir de pays tiers et
à des prix inférieurs aux prix
communautaires, les prélèvements sont donc
très élevés. Par contre, comme le secteur
agricole britannique occupe une place faible
dans l’activité économique, le retour
financier est faible. Londres cherche donc à
obtenir une diminution de sa contribution.
La victoire des travaillistes aux élections en
février 1974 relance la question de la
contribution financière. Harold Wilson exige
l’allégement de la participation financière et
la reconduction des subventions directes aux
paysans des régions défavorisées. Un
référendum est même prévu sur le maintien
du pays dans la CEE, ce qui pousse les
partenaires européens à d’importantes
concessions. Les partisans de l’unification
européenne réussissent alors à convaincre
une majorité d’Anglais (67 %) d’approuver
le maintien de la Grande-Bretagne dans la
CEE lors du référendum du 5 juin 1975.
En 1979-1980, la Grande-Bretagne contribue
encore pour 20 % aux recettes
communautaires, mais ne reçoit que 12 %
des dépenses. Margaret Thatcher, Premier
ministre conservateur déclare « I want my
money back ». De nouvelles concessions
sont alors accordées.
Les années 1970 sont marquées par les
figures de Valéry Giscard d’Estaing et
Helmut Schmidt (chancelier de RFA de 1974
à 1982). Tous deux sont arrivés au pouvoir
en 1974, à trois jours d’intervalle, les 16 et
19 mai, et sont bien plus liés que leurs deux
90
et d’élargissement.
L’Europe à la croisée des chemins, 1985
Jacques Delors appartient tant à la famille des démocrates-chrétiens qu’à celle
des socialistes non marxistes. En cela, il réalise la synthèse des deux grands
courants politiques qui ont impulsé la construction européenne dès l’origine. En
1985, Jacques Delors dresse un bilan sévère mais lucide de la construction
européenne. Les difficultés économiques et financières des années 1970 ont
favorisé le développement de l’euroscepticisme. Il faut relancer à nouveau la
construction européenne. Le Livre Blanc, que J. Delors, nouveau président de la
Commission européenne, publie en juin 1985, permet de mettre en avant un
projet concret de mise en oeuvre d’un grand marché et de refonte des institutions
européennes. Jacques Delors opère une distinction entre marché commun et
marché unique. Il s’agit bien de parachever la réalisation d’un marché commun,
qui se définit par les quatre libertés (libre circulation des biens, des personnes,
des services et des capitaux) – par exemple en supprimant les postes de douane.
Mais il s’agit d’aller encore plus loin dans la convergence économique entre les
États-membres, par « l’harmonisation des règles, le rapprochement des
législations et des structures fiscales, le renforcement de leur coopération
monétaire ». C’est cela le marché unique. Pour Jacques Delors, ce marché unique
est un préalable à une plus grande unité politique. Si la CEE ne parvient pas « à
parfaire l’intégration économique de l’Europe », elle sera incapable de s’unifier
vraiment et retombera au niveau d’une simple zone de libre-échange. Dans cette
alternative, il y a une certaine dramatisation de la part de Jacques Delors, qui veut
ainsi donner un nouvel élan à la construction européenne.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
prédécesseurs, Georges Pompidou et Willy
Brandt. En dépit de quelques désaccords, ils
se concertent pour promouvoir de réelles
avancées : création du Conseil européen,
élection du Parlement au suffrage universel,
lancement de l’union monétaire…
François Mitterrand et Helmut Kohl
ont constitué le couple franco-allemand le
plus long et le plus solide, de 1982 à 1995.
Ensemble, ils ont eu à gérer de nombreux
chantiers importants comme la crise des
euromissiles en 1983, l’élargissement
de 1986, la relance de 1985-1986 (Acte
unique), l’effondrement du communisme, la
réunifi cation allemande, le traité de
Maastricht… Cela n’a pas été sans
désaccords, mais leur idéal commun et une
sympathie réciproque favorisaient le
compromis. Ils s’accordent avant les
sommets pour présenter une position
commune face aux autres États, notamment
sur la question de la participation financière
britannique à la CEE (Londres réclamant une
compensation car l’Angleterre paie plus à
l’Europe qu’elle n’en reçoit) et la nomination
d’un nouveau président pour la Commission
européenne.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
91
HC – Les démocraties populaires
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
FEJTÖ François, Histoire des démocraties populaires, 2 tomes, Paris, Éditions du Seuil, 1969.
Fejtö François, Histoire des démocraties populaires, Seuil, « Points histoire », (1953-1992) 1. L’Ère de Staline, 1945-1953,
(1953) 1992, 384 p. ; 2. Après Staline, 1953-1979, (1979) 1992, 384 p. ; 3. La fin des démocraties populaires, les chemins du
postcommunisme (avec la collaboration d’Ewa Kulesza-Mietkowski), (1991) 1997, 608 p.
F. FETJÖ, 1956, Budapest, l’insurrection, Complexe, 1990.
F. Fejtö et J. Rupnik, Le Printemps tchécoslovaque, Complexe, Paris, 1999 (actes du colloque sur la Tchécoslovaquie).
J. Rupnik, L’Autre Europe, crise et fin du communisme, édition du Seuil, Paris, 1993.
Mink Georges, Vie et mort du bloc soviétique, Casterman-Giunti, 1997, 160 p., coll. «XXe siècle ».
Soulet Jean-François, L’Empire stalinien, l’URSS et les Pays de l’Est depuis 1945, Le Livre de poche, 2000, 256 p., coll.
«Références» (des origines à la fin des démocraties populaires).
J.-F. Soulet, Histoire comparée des États communistes de 1945 à nos jours, Armand Colin-Masson, Paris, 1996.
Bogdan H., Histoire des pays de l’Est des origines à nos jours, Perrin, 1990.
GARTON ASH (T.), La Chaudière Europe centrale 1980-1990, Gallimard, 1990.
Michel DREYFUS (sous la dir.), Le Siècle des communismes, Ed. de l'Atelier, 2000.
Levesque Jacques, 1989, la fin d’un Empire, l’URSS et la libération de l’Europe, Presses de Sciences Po, 1995.
K.KAPLAN, 1952, Procès politiques à Prague, Complexe, 1980.
A. KRIEGEL, Les Grands Procès dans les systèmes communistes, Gallimard, 1972.
E. TERRAY, Novembre 1989. Le mur de Berlin s’effondre, Le Seuil, 1999.
Snejdarek Antonin, Mazurowa-Chateau Casimira, La Nouvelle Europe centrale, Imprimerie nationale, 1986, 436 p.
CARRÈRE D’ENCAUSSE Hélène, Le grand frère : l’Union soviétique et l’Europe soviétisée, Paris, Flammarion, 1983.
P. LEMARCHAND (sous la dir.), L'Europe centrale et balkanique. Atlas d'histoire politique, Éditions Complexe, Paris, 1995.
S. COURTOIS (sous la dir.), Le Livre noir du communisme, Laffont, 1997.
J. KORNAI, Le Système socialiste. L'économie politique du communisme, Grenoble, PUG, 1996.
D. BEAUVOIS, Histoire de la Pologne, Hatier, 1995.
S. KOTT, Le Communisme au quotidien, Belin, 2001.
S. Leteuré, Le Temps des démocraties populaires, Ellipse, Paris, 2004.
G. H. Soutou, La Guerre de cinquante ans, Fayard, Paris, 2001.
Havel Vaclav, Interrogatoire à distance, Édition de l’Aube, 1987.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
«La chute du mur de Berlin », L’Histoire, octobre 1999, n° 236.
Gaillard J.-M., « Chronique d’une Europe coupée en deux », dans l’Histoire, n° 286, avril 2004.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
L'historiographie des régimes « socialistes » des pays de l'Est s'est renouvelée ces
dernières années grâce à l'ouverture partielle des archives communistes. Si ces
nouvelles sources n'ont pas suscité de découverte sensationnelle sur des
événements déjà largement connus, elles ont rendu possible une analyse fine des
processus décisionnels au sein du mouvement communiste à toutes les échelles
(locale, nationale, internationale) et une réflexion approfondie sur les modes
d'insertion du phénomène communiste dans l'histoire sociale et politique de
chaque pays. La sociologie est largement sollicitée pour rendre compte de la
spécificité des sociétés communistes qui ne peuvent être pensées
indépendamment du pouvoir politique. Les études récentes s'intéressent
notamment aux modalités de la domination de l'appareil d'État sur la société
civile, et aux attitudes de résistance ou de refus qu'une telle domination suscite.
L'entreprise est un terrain d'étude intéressant, car elle est la principale zone de
contact entre l'État et la société civile et occupe une place privilégiée dans
l'imaginaire socialiste. Le sujet impose le recours à une histoire comparée, mais
force est de constater que règne encore largement la division de l'historiographie
sur les pays socialistes.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO Tle L-ES : « Le temps des démocraties
populaires (1948-1989)
L’étude de la mise en place de l’ordre
stalinien permet de montrer la dépendance de
ces pays envers l’URSS. Les révoltes des
années 1950 et les stratégies réformistes font
apparaître une différenciation marquée entre
les pays. L’entrée en jeu progressive des
sociétés civiles est mise en valeur pour
rendre compte de la disparition des
démocraties populaires.»
Accompagnement TL-ES :
« Lorsque s’achève la guerre, les victoires
de l’Armée rouge ont constitué un glacis
dans lequel l’autorité de l’URSS s’exerce
sans contre-pouvoirs effectifs : il correspond
92
L’histoire des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) a été renouvelée en
profondeur depuis 1989. Les historiens ont eu accès à des archives jusqu’alors
inaccessibles. Des commissions issues des gouvernements nouveaux ont
rassemblé des documents et auditionné des témoins. La chute des démocraties
populaires a permis d’envisager la totalité du processus, de la mise en place à la
disparition, et donc de mieux voir les faiblesses du système. Ce qui frappe, c’est
la rapidité de l’effondrement, qui a fait dire à l’historien M. Malia que si la fin du
communisme ressemblait à la chute d’un château de cartes, c’est que cela avait
toujours été un château de cartes. La situation est quelque peu variable, bien sûr,
d’un État à un autre, mais le communisme peut apparaître en effet peu enraciné
dans les démocraties populaires, souvent perçu comme une idéologie imposée de
l’extérieur. Le rôle de Gorbatchev semble décisif dans le retournement de la fin
des années 1980. En s’engageant à ne plus intervenir militairement dans les
démocraties populaires, Gorbatchev permet le développement de mouvements
libéraux. Le rôle des événements polonais de 1980-1981 est également mis en
avant comme marquant le « début de la fin », car ils apparaissent comme une
authentique révolution ouvrière contre le pouvoir communiste. De plus, même si
l’état de siège semble interrompre le mouvement, « les fondations du système
totalitaire ont été brisées » (Jacek Kuron). Le cas polonais permet d’autre part de
voir comment, depuis les années 1970, la société civile polonaise s’est organisée
et a progressé, en totale autonomie par rapport aux organismes officiels. Grâce au
cas particulièrement net de la Pologne, la reconstitution et le développement des
sociétés civiles dans les PECO ont ainsi pu être réévalués et mis en évidence.
Enfin, les recherches récentes confirment le respect des zones d’influence : ainsi,
lors de l’intervention du pacte de Varsovie à Prague en 1968, le président
Johnson reçoit l’ambassadeur soviétique Dobrynine dans une ambiance quasi
amicale. Les événements de 1989 amènent également à reconsidérer les tentatives
antérieures de soulèvement, notamment Budapest en 1956 ou le « printemps de
Prague » en 1968, ces événements ayant fait l’objet d’un colloque à Paris en
1998. Un débat existe sur le sens de ces événements : volonté de réformer le
système ou déjà véritable « révolution » anticommuniste ? Un questionnement
nouveau est porté sur l’attitude de personnages comme Dubcek : était-il
profondément décidé à engager un changement ou n’a-t-il pas surtout tenté de
contrôler un mouvement révolutionnaire qui risquait de lui échapper ? D’autre
part, la mise en perspective de l’histoire des PECO sur l’ensemble du XXe siècle
conduit à remarquer que ces pays ont peu connu la démocratie, et ont affronté à la
suite deux formes de totalitarisme, ce qui inclut cet espace dans le débat sur la
comparaison des totalitarismes, et ceci dans le cas particulier d’une même aire
géographique.
à la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la
Roumanie et la Tchécoslovaquie. Il faut y
ajouter la zone d’occupation en Allemagne,
qui deviendra la RDA, et deux pays où la
résistance communiste a pris le pouvoir après
avoir joué un rôle majeur dans la
lutte contre l’Axe : l’Albanie et la
Yougoslavie, qui adhère au magistère
soviétique jusqu’en 1948. Ces entités sont
diverses en ce qui concerne leur organisation
socio-économique, leur paysage religieux, le
rapport historique qu’elles entretiennent avec
la Russie/URSS, l’espoir mis dans le
communisme et leur expérience du
pluralisme politique. Nonobstant ces
contrastes, un système aussi uniforme que
possible s’y impose en quelques années,
conjuguant élimination de fait du pluralisme
au profit des communistes et soumission
à Moscou (acquise dans les pays du glacis
entre 1945 et 1948), terrorisme visant à
déstructurer les identités nationales,
évolution vers le socialisme d’État. Le
qualificatif de démocraties populaires est
utilisé (1947) pour désigner ce nouveau type
de régime, appelé au dépassement de la
démocratie « bourgeoise» et à l’édification
du socialisme. La mort de Staline et le cours
nouveau introduit par ses successeurs
permettent de mesurer le rejet de ce
modèle imposé de l’extérieur, rejet déjà
manifesté par la résistance yougoslave à la
soviétisation. Un équilibre se cherche. Si
toute remise en cause jugée dangereuse
est passible d’une répression qui s’abat sur
les dirigeants et la société (l’Octobre
hongrois), les partis communistes nationaux
acquièrent une marge réelle. En témoignent
la gestion ouverte de la crise polonaise de
1956, le positionnement diplomatique
roumain et plus généralement le réformisme
à l’œuvre à partir des années 1950, lui-même
indissociable des mutations sociales
(accroissement des effectifs ouvriers, essor
d’une intelligentsia technicienne et forte
augmentation des diplômés). La tentative de
refondation du socialisme tchécoslovaque
(1963-1968) montre qu’une alliance est
possible entre les groupes sociaux
dynamiques et la fraction modernisatrice
du Parti, pour réformer sans nier les acquis
du régime ; mais le «printemps de Prague»
marque les bornes de la réforme et celles de
la souveraineté. À partir de la seconde moitié
des années 1970, les dysfonctionnements
s’accroissent et touchent même les
démocraties populaires les mieux placées en
matière socio-économique (RDA).
L’ouverture des
économies puis l’augmentation du prix des
hydrocarbures induisent une dette extérieure
et une dépendance énergétique
insurmontables. La force mobilisatrice du
marxisme-léninisme et la conviction
qu’il est possible d’améliorer les choses se
93
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
sont érodées : un fossé se creuse entre le
consensus apparent et le détachement réel.
Tout ceci se traduit, de manière inégale selon
les pays, par la non-satisfaction
de besoins élémentaires, une perte de vitalité,
une autonomisation accrue de la société
civile, que reflètent, inégalement là encore,
la montée de la dissidence et la régression de
l’athéisme.
C’est en Pologne que s’identifie le mieux le
divorce entre l’État et la nation, adossée à
l’Église et au patriotisme, eux-mêmes
renforcés par l’élection pontificale du
cardinal Wojtyla en 1978. L’état d’urgence
imposé dans ce pays fin 1981 confirme que
le régime ne survit que par l’usage de la
force et, en dernier ressort, la menace d’une
intervention soviétique. Là comme ailleurs,
l’évolution de la politique extérieure
soviétique sous Mikhaïl Gorbatchev introduit
donc un paramètre décisif. Les régimes de
démocratie populaire disparaissent en six
mois en 1989, y compris en Bulgarie, RDA
et Roumanie, où le pouvoir signifiait
pourtant qu’il ne voulait rien lâcher.»
Activités, consignes et productions des
élèves :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
94
HC – Les enjeux européens depuis 1989
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Foucher Michel, La République européenne, Belin, 2000, 150 p.
Mathieu Jean-Louis, L’Union européenne, PUF, 2002, 128 p., coll. « Que sais-je ?».
J.-F. DREVET, L'Élargissement de l'Union européenne, jusqu'où ?, L'Harmattan, 2001.
G. BOSSUAT (dir.), L'Élargissement de l'Union européenne à l'Est européen, Enjeux historiques et perspectives, GRHEC, Cahiers
du CICC (Centre de recherches sur les civilisations et identités culturelles comparées des sociétés européennes et occidentales Université de Cergy-Pontoise), septembre 1999
G. BOSSUAT (dir.), États-Unis/Europe/Union européenne, un partenariat difficile, 1945-1999, Berne, Peter Lang, 2000.
G. BOSSUAT, Les Fondateurs de l'Europe unie, Belin, 2001.
É. DU REAU (dir.), L'Élargissement de l'Union européenne : quels enjeux ? Quels défis ? Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001.
Du Réau Élisabeth (dir.), L’Europe en mutation, de la guerre froide à nos jours, Carré Histoire, Hachette, 2001.
Olivi Bino, L’Europe difficile, Gallimard, 2001, coll. « Folio histoire », p. 426-900.
Schnapper Dominique, avec la collaboration de Christian Bachelier, Qu’est-ce que la citoyenneté ?, Gallimard, 2000, coll. « Folio
actuel », p. 246-298.
Boniface Pascal, Le Monde contemporain, grandes lignes de partage, PUF, 2003, coll. «Quadrige », p. 99-111.
BITSCH Marie-Thérèse, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Paris, Éditions Complexe, 2008 (1re édition
1996).
Bellanger Patrick (dir.), Enjeux et rouages de l’Europe actuelle, Foucher, 2003.
Dérens Jean-Arnault et Samary Catherine, Les conflits yougoslaves de A à Z, Éditions de l’Atelier, 2000.
Garde Paul, Vie et mort de la Yougoslavie, Fayard, 2000.
Samary Catherine, La déchirure yougoslave, Questions pour l’Europe, l’Harmattan, 1994.
L. ARTUR DU PLESSIS, 10 questions sur la Turquie… et dix réponses qui dérangent, éd. Jean-Cyrille Godefroy, 2005.
G. BAUDIER et F. DETEYSSIER, La Construction de l’Europe, PUF, 2005.
S. BRISSOT, L’Union européenne des 25, un défi du XXIe s., Hachette, 2004.
S. GOULARD, Le Grand Turc et la République de Venise, préface de Robert Badinter, Fayard, 2004.
D. RIOT, L’Europe cette emmerdeuse, City Éditions, 2008.
J.-J. BOILLOT, L'Union européenne élargie : un défi économique pour tous, La Documentation française, 2003.
M. DEHOVE (dir.) Le Nouvel État de l'Europe. Les idées forces pour comprendre les nouveaux enjeux de l'Union, La Découverte,
2004.
J.-M. GAILLARD et A. ROWLEY, Histoire du continent européen : 1850-2000, Points Seuil, 2001.
N. GNESOTTO, La Puissance et l'Europe, Presses de Sciences Pô, 1998.
P. MAGNETTE, L'Europe, l'État et la démocratie, Complexe, 2000.
D. REYNIE, Les Européens en 2003, Odile Jacob, Fondation Robert Schuman, 2003.
F. Charillon (dir.), Les Relations internationales, La documentation française (Les notices), Paris, 2006.
Y. Doutriaux et Ch. Lequesne, Les Institutions de l’Union européenne, La Documentation française, Paris, 5e édition,
2005.
E. Grossman, B. Irondelle et S. Saurugger, Les Mots de l’Europe. Lexique de l’intégration européenne, Presses de Sciences Po,
Paris, 2001.
A. et J. Sellier, Atlas des peuples d’Europe centrale, La Découverte, Paris, 1992.
A. et J. Sellier, Atlas des peuples d’Europe occidentale, La Découverte, Paris, 1995.
L. Gervereau et Y. Tomic (dir.), De l’unification à l’éclatement : l’espace yougoslave, un siècle d’histoire, BDTC, 1998.
N. Gnesotto, La Puissance et l’Europe, PFNSP (La Bibliothèque du citoyen), 1998.
M.-L. Herschtel, L’Europe élargie : enjeux économiques, Presses de Sciences Po, Paris, 2004.
J.-L. Quermonne, L’Europe en quête de légitimité, Presses de Sciences Po, Paris, 2001.
S. Yerasimos (dir.), Le Retour des Balkans, 1991-2001, Autrement, Paris, 2002.
Documentation Photographique et diapos :
DREVET Jean-François, « Une Europe en crise ? », in Documentation photographique, n° 8052, 2006.
Mathieu Jean-Louis, «Quelle union pour l’Europe ?», La Documentation photographique, avril 1999, n° 8008.
ZRINSCAK Georgette, « L’Europe médiane : des pays baltes aux Balkans », in Documentation photographique, n° 8005, octobre
1998, Paris, Direction de la documentation française.
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
95
La fin de la division de l'Europe et l'élargissement ont ouvert un débat dont on
peut tenter de poser les grandes lignes.
La question fondamentale est celle du risque d'une dilution de l'Europe : c'est tout
le débat entre Europe espace (Europe de libre-échange et de coopération
économique) et Europe puissance (l'Europe comme acteur international majeur)
qui passe par l'approfondissement des institutions et la recherche d'une politique
extérieure et de défense commune comme le souligne le commentaire du
programme. Plusieurs questions en découlent alors :
- Les observateurs se distinguent alors sur leur plus ou moins grand optimisme
dans la capacité des Européens à dégager une ligne claire, à s'entendre sur les
moyens (relations intergouvernementales, fédération, coopérations renforcées...).
- La définition d'une Europe puissance pose la question du positionnement avec
les États-Unis : certains insistent sur l'impuissance de l'Europe notamment en
termes militaires, d'autres comme J.-L. Delpuech estiment en même temps que
les États-Unis jouent le rôle de « réveilleur d'Europe » car ils l'obligent à se
positionner (même si cela passe d'abord par la division) et à jouer le rôle de frein
à l'hyperpuissance.
- Comment se définirait alors la place de l'Europe puissance sur la scène
internationale ? Pour Pascal Boniface l'Europe puissance qui se dessine certes
difficilement serait alors un facteur d'équilibre face aux États-Unis car, s'étant
construite par la négociation et le compromis, sa puissance repose sur une culture
du consensus, de la persuasion quand les États-Unis pensent être en mesure
d'imposer un modèle universel. Pour P. Magnette, l'Europe peut constituer un
modèle transposable pour d'autres regroupements régionaux par la méthode
qu'elle a su mettre en œuvre pour substituer la coopération à la guerre.
- Quelles relations définir avec ses voisins et corollairement quelles frontières
pour l'UE ? Avec la Russie qui cherche de son côté à recréer une zone d'influence
sur son étranger proche ? Avec les pays de la rive sud de la Méditerranée : créer
un ensemble euroméditerranéen ? Avec la Turquie alors que celle-ci chercherait à
créer un arc islamique dans les Balkans (Alexandre Del Valle, La Turquie dans
l'Europe, un cheval de Troie islamiste ? éd. Des Syrtes, 2004) ?
On retrouve toutes ces questions dans les différents scénarios possibles d'une
redéfinition du modèle européen résumés par Jacques Attali, dans son
intervention « L'Europe jusqu'où ? », au colloque Europe : élargir sans détruire,
décembre 1997 :
- L'Europe de l'euro : faire une Europe politique de quinze à vingt-cinq qui
viendra à partir de l'euro. L'Europe faite par l'euro rendrait nécessaire une
cohérence budgétaire, fiscale, qui rendra nécessaire une intervention
parlementaire. Ce premier scénario correspondrait pour lui plus à une vision
française.
- L'Europe des régions/réseaux qui correspondrait à la fois à l'ambition
géopolitique allemande et certainement à une large partie des politiques
britanniques. Pour ces derniers, il s'agirait d'y voir surtout une zone de libreéchange, avec au mieux une monnaie commune, à l'intérieur de laquelle des
régions autonomes et fortes seraient autant de « Singapour à l'européenne », qui
sauront mieux s'adapter aux enjeux de la modernité.
- Le troisième scénario consiste à concevoir l'Europe comme un simple appendice
du monde occidental, Europe plus États-Unis. Ce troisième scénario correspond
aux intérêts économiques anglais et géopolitiques d'une partie du monde politique
américain. Il s'inscrit de façon implicite dans la thèse d'Huntington du choc des
civilisations.
- Le quatrième scénario serait de dire qu'il faut que l'Europe se pense comme
étant un ensemble géographique infiniment plus vaste que celui de l'imaginaire
européen aujourd'hui, qui se limite à 25 (ce qui suppose de dépasser une
définition chrétienne de l'Europe). L'Europe pourrait devenir le véhicule, le
modèle, d'une civilisation qui intègre les dimensions des différentes cultures (par
un partenariat privilégié avec la Turquie et la Russie) pour montrer, justement,
qu'une civilisation n'est pas une confrontation religieuse mais un ensemble
géographique où les religions et les cultures se mêlent. Ce scénario peut
correspondre à ce que Giscard d'Estaing appelle le « cercle des amis ».
Aux débats anciens (par exemple celui qui oppose fédéralistes et souverainistes)
s’en ajoutent de nouveaux qui concernent les limites géographiques de l’Union et
les objectifs qu’elle doit se donner, dès lors qu’il apparaît qu’elle n’est plus
BO Tle L-ES : « Les enjeux européens
depuis 1989
L’implosion de la zone d’influence
soviétique ouvre la voie à l’élargissement de
l’Union européenne à l’est, posant avec
acuité la question de l’approfondissement.
Les transferts progressifs de souveraineté
invitent les Européens à s’interroger sur le
rapport entre les États-nations et l’Union.
Les conflits dans les Balkans montrent que le
continent européen n’est pas à l’abri du
retour de la guerre ; ils soulignent la
difficulté de l’Union à mettre en oeuvre une
politique extérieure commune.»
Accompagnement TL-ES :
« Après plus de quarante ans de stabilité, la
question des frontières et des territoires
redevient brûlante à partir de 1989. Pour
plusieurs modifications acquises à l’amiable
(réunification allemande, scission de la
République tchèque et de la Slovaquie),
l’implosion de la Yougoslavie puis le conflit
au Kosovo réintroduisent la guerre en Europe
dans les années 1990. La gravité
de ces faits puis des crises internationales de
grande ampleur, comme la seconde guerre
d’Irak en 2003, mettent à rude épreuve les
progrès réels de la Communauté au plan
politique. La détermination d’une Europe de
l’armement, d’une politique étrangère et de
sécurité commune et du partage des
responsabilités au sein des structures de
commandement de l’OTAN induisent de
difficiles débats internes et avec les ÉtatsUnis. La complexité de ces sujets ne
contribue pas à rapprocher l’ensemble des
citoyens de la construction européenne :
plusieurs consultations électorales –
et notamment les votes d’approbation du
traité de Maastricht (1992), qui relance la
dynamique économique et monétaire, l’union
politique et une coopération en matière de
justice et d’affaires intérieures – témoignent
d’un déficit d’adhésion de
larges pans des populations. La clarification
de la nature de la citoyenneté européenne et
une répartition plus compréhensible des rôles
entre États-nations et niveau «fédéral»
apparaissent nécessaires. Il en va de même
de l’adaptation des institutions à
l’élargissement, qui se poursuit en 1995 puis
s’amplifie, confirmant la force d’attractivité
de l’Union. Les débats du début des années
2000 accompagnant l’entrée de nouveaux
membres – l’Union européenne avoisine en
2004 les 450 millions d’habitants et les 4
millions de km2 – et le projet d’une
«constitution» destinée à se substituer aux
traités successifs soulignent la diversité des
conceptions. C’est pourtant au prix d’un
rapprochement de ces dernières que des
chantiers majeurs, comme la réforme du
budget communautaire, la politique
96
seulement une vaste zone de libre-échange mais qu’elle entend se donner une
dimension politique :
– quel rôle doit-elle jouer dans le monde ? Sur ce point, il lui est encore difficile
de parler d’une seule voix, comme l’ont montré les divisions apparues en son sein
en 2002-2003, à propos de la guerre en Irak ;
– sur quelles valeurs doit-elle se fonder, ce qui fait aussi l’objet de débats, comme
le montre la discussion autour de la référence aux racines chrétiennes et
helléniques de l’Europe ?
d’immigration ou le soutien à la croissance,
pourront être conduits à terme. Association
novatrice d’États ayant librement choisi
de mettre en commun une partie de leur
souveraineté, l’Union européenne s’interroge
sur les formes que prendra son avenir. Autant
qu’hier, elle apparaît comme le fruit d’une
élaboration patiente et toujours à inventer.»
Le sujet nous invite à analyser les mutations de l’Europe depuis 1989. Les
conséquences de la fin de la guerre froide sont à analyser à l’échelle européenne.
L’Europe est bien sûr un terrain privilégié pour étudier l’après guerre froide :
– La fin de la confrontation Est-Ouest a permis au continent européen de
retrouver son unité géographique et historique, « de l’Atlantique à l’Oural ».
L’évolution a été spectaculaire avec l’ouverture du rideau de fer, « l’automne des
peuples » en Europe centrale et orientale, la chute du mur de Berlin, la
réunification allemande, la fin de l’URSS et la possibilité pour les organisations
européennes (UE, OTAN, Conseil de l’Europe) de s’élargir vers l’Est et
d’acquérir enfin une dimension paneuropéenne.
– Mais cette période voit aussi le retour de la guerre en Europe, alors que le
continent en avait été finalement protégé tout au long de la guerre froide.
L’éclatement de la Yougoslavie ramène dans les Balkans des conflits sanglants ;
l’éclatement de l’URSS se traduit aussi par des tensions armées (Moldavie,
Caucase, etc.). À peine « réunifiée », l’Europe risque d’être « balkanisée ».
Confrontée à cette situation complexe, l’Union européenne doit gérer en même
temps son élargissement et l’approfondissement nécessaire de ses institutions.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
97
HC – Les conflits de mémoire après la Seconde guerre mondiale
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Wieviorka Annette, Déportation et Génocide, entre la mémoire et l’oubli, Plon, 1992, Hachette, 2003, 506 p., coll. « Pluriel »
Wieviorka Annette, L’Ère du témoin, Plon, Paris, 1998, Hachette, 2002, 186 p., coll. « Pluriel ».
WIEVIORKA Annette, Auschwitz, 60 ans après, Paris, Robert Laffont, 2005.
S. Barcellini et A. Wieviorka, Passant, souviens-toi. Lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Plon, 1995.
Frank Robert, «La mémoire empoisonnée», in J.-P. Azéma et F. Bédarida (dir.), La France des années noires, Seuil, 2000, coll.
«Points histoire », tome 2, De l’Occupation à la Libération, p. 541-576.
R. FRANCK, La Mémoire des Français. Quarante ans de commémoration de la Seconde Guerre mondiale, éd. du CNRS, 1986.
Rousso Henry, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Seuil, (1987) 1990, 414 p., coll. «Points histoire ».
Rousso Henry, Vichy. L’événement, la mémoire, l’histoire, Gallimard, 2001, coll. «Folio histoire », p. 9-51, 489-552 et 345-485.
Rousso Henry, Conan Éric, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, 1994, Gallimard, 1999, 514 p., coll. «Folio histoire ».
H. Rousso, La Hantise du passé, Textuel, Paris, 1998.
Rousso H., Les années noires. Vivre sous l’occupation, Gallimard, 1992.
ROUSSO Henry, La hantise du passé : entretien avec Philippe Petit, Éd. Textuel, collection « Conversations pour demain, 1998.
DOUZOU Laurent, La Résistance française : une histoire périlleuse, Éditions du Seuil, collection « L’histoire en débats », 2005.
GUILLON Jean-Marie & LABORIE Pierre, Mémoire et histoire, la Résistance, Toulouse, Éditions Privat, 1995.
F. KUPFERMAN, Le Procès de Vichy : Pucheu, Pétain, Laval, Éditions Complexe, 2006.
P. LAGROU, Mémoires patriotiques et Occupation nazie. Résistants, requis et déportés en Europe occidentale, 1945-1965,
Éditions Complexe, IHTP, CNRS, 2003.
M. MARRUS, L’Holocauste dans l’histoire, Flammarion, 1994.
BENSOUSSAN Georges, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, Mille et une nuit, 2003 (1re éd. 1998).
LANGLOIS Suzanne, La Résistance dans le cinéma français, 1944-1994. De la Libération de Paris à « Libera Me », Paris,
Éditions L’Harmattan, collection « Cinéma et société », 2001.
LINDEPERG Sylvie, Les écrans de l’ombre : la Deuxième Guerre mondiale dans le cinéma français, Paris, Éd. du CNRS, 1997.
COTILLON Jérôme, Ce qu’il reste de Vichy, Paris, Éditions Armand Colin, collection « L’histoire au présent », 2003.
MARTENS Stéphan, La France, l’Allemagne et la Deuxième Guerre mondiale. Quelles mémoires ?, Pessac, Presses
Universitaires de Bordeaux, collection « Crises du XXe siècle », 2007.
F. Cochet, Histoire des prisonniers de guerre, déportés et STO (1945-1985). Les exclus de la victoire, SPM, 1992.
A. Finkielkraut, L’Avenir d’une négation. Réflexion sur la question du génocide, Seuil, Paris, 1982.
P. Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire, La Découverte, Paris, 1987.
J.-N. Jeanneney, Le passé dans le prétoire. L’historien, le juge et le journaliste, Seuil, Paris, 1998.
S. IGOUNET, Histoire du négationnisme, Belin, 1999.
Les Échos de la mémoire : tabous et enseignement de la Seconde Guerre mondiale, Le Monde édition, 1991.
M.-A. Matard Bonucci et É. Lynch (dir.), La Libération des camps et le retour des déportés, Complexe, Paris, 1995.
Bédarida François, Histoire, critique et responsabilité, Complexe, 2003, 358 p., coll. «Histoire du temps présent ».
Nora Pierre, « Entre mémoire et histoire », in Les Lieux de mémoire, Gallimard, 1984-1992, coll. «Bibliothèque illustrée des
histoires », tome 1, La République, p. XV– XLII.
Prost Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, 1996, coll. « Points histoire », p. 101-125 et 283-306.
Ricoeur Paul, La Mémoire, l’Histoire et l’Oubli, Seuil, (2000) 2003, 690 p., coll. « Points essais ».
T. TODOROV, Mémoire du mal, tentation du bien, R. Laffont, 2000.
LÉONARD Yves (dir.), « La mémoire, entre histoire et politique », Cahiers français, n° 303, La Documentation française, 2001.
Robert Antelme, L’Espèce humaine, Gallimard, Paris, 1996.
C. Bourdet, L’Aventure incertaine : de la Résistance à la Restauration, Le Félin, Paris, 1975.
C. Delbo, Une connaissance inutile, éditions de Minuit, Paris, 1995.
D. Rousset, L’Univers concentrationnaire, coll. « Pluriel », Hachette, Paris, 1998.
J. Semprun, L’Écriture ou la vie, Gallimard, Paris, 1996.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Veil Simone, « Réflexions sur la mémoire de la Shoah », Historiens & Géographes, octobre-novembre 2003, n° 384, p. 51-59.
Traverso Enzo, « Auschwitz : une mémoire singulière ? », Sciences humaines, « Qu’est-ce que transmettre ? », mars-avril-mai
2002, hors-série n° 36, p. 84-86.
La mémoire des guerres, TDC, N° 877, du 1er au 15 juin 2004
Carte murale :
98
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Le programme incite à dresser un bilan de la Seconde Guerre mondiale tout en
évoquant, pour la première fois, les mémoires du conflit. L'ambiguïté d'un bilan
moral partagé entre la joie de la Libération, le deuil des atrocités nazies et le
souvenir douloureux de la guerre civile conduit d'emblée à en concevoir le
difficile héritage. Dès 1947, des mémoires contradictoires de la guerre surgissent
et ne cessent de diviser les Français. C'est pourquoi le chapitre est bâti autour de
l'idée du conflit de mémoire. Le souvenir de la guerre est l'un des thèmes majeurs
de la vie politique française depuis 1944. L'introduction (Que commémorer ?)
souligne donc la difficulté pratique à bâtir une mémoire univoque du conflit.
Le déroulement du chapitre est chronologique, ce qui permet d'en appréhender les
évolutions. La chronologie retenue est celle établie par Henry Rousso (Le
Syndrome de Vichy) et de Robert Franck (La France des années noires, sous la
direction de J.-P. Azéma et F. Bédarida) : au deuil des premières années (19451947) succède les déchirements (1947-1954) puis le temps des silences et des
refoulements (1955-1969). De 1969 à nos jours, le retour des souvenirs enfouis
conduit à une tentative de réconciliation et de repentance inaugurée par }. Chirac
en 1995. Une attention particulière est portée sur la mémoire du génocide, à la
fois au cœur d'une redéfinition de la mémoire juive et d'une interrogation sur la
mémoire de la communauté nationale française (Documents et dossier « Les
responsabilités de Vichy »).
Point historiographique
L'évolution historiographique fait partie intégrante du dégel des mémoires,
caractéristique de la dernière période évoquée. Depuis la parution de La France
de Vichy (1973) de Robert Paxton, les historiens se sont beaucoup intéressés à
Vichy, à rebours des thèses jusque-là admises par le résistendalis-me (voir Robert
Aron notamment). Dans les années 1980, l'apogée de cette remise en question des
« années noires » a coïncidé avec un intérêt nouveau pour la mémoire comme
objet historique : l'entreprise de Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire (1985) en
marque le point de départ. En définissant la mémoire comme « présence du passé
dans le présent », il mit en valeur le lien entre mémoire et politique et établirent
définitivement, en France, la théorie constructiviste anglo-saxonne selon laquelle
les identités collectives sont un produit historiquement et socialement déterminé.
La commémoration n'est alors rien d'autre que le modus operandi d'une mémoire
toujours à construire. C'est en 1987 que Henry Rousso attaque la période de
Vichy sous l'angle des mémoires dans Le Syndrome de Vichy. L'ouvrage, paru au
milieu de la vague des grands procès, suscita de vives controverses et de
nombreux travaux. Les historiens, appelés à la barre, se retrouvèrent mêlés aux
débats épineux sur la responsabilité de l'État français. Ces faits marquent le
départ d'une réflexion sur les rapports ambigus de l'histoire et de la mémoire
(Marie-Claire Lavabre), sur la spécificité de la mémoire d'événements
traumatiques (Annette Wieviorka) et sur le rôle et la responsabilité de l'historien
dans la cité (Laurent Douzou). Enfin, face au négationnisme (Robert Faurisson,
1979), la discipline historique a retrouvé une vigueur intellectuelle qui semblait
assoupie (Valérie Igounet, Pierre Vidal-Naquet).
Le sujet consacré aux « mémoires de la Seconde Guerre mondiale » montre qu’on
a voulu prendre en compte l’importance croissante qu’occupe désormais
l’histoire de la mémoire dans l’historiographie. Cela répond également à une forte
demande sociale, exprimée tant par les associations de résistants et de victimes de
la guerre que par les pouvoirs publics, qui a donné lieu ces dernières années à une
multiplication des actes de commémoration et des lieux de mémoire consacrés au
souvenir de la Seconde Guerre mondiale. Le sujet permet également d’amorcer la
réflexion sur d’autres conflits mémoriels, comme ceux portant sur la mémoire de
la guerre d’Algérie, sur l’esclavage ou sur le bilan de la colonisation.
Comment aborder l’histoire de la mémoire ?
Henry Rousso propose de la définir comme « l’étude de l’évolution des
représentations du passé, entendues comme des faits politiques, culturels ou
sociaux ». Comme le suggère Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire, on étudie
« non pas les événements pour eux-mêmes, mais leur construction dans le temps,
l’effacement et la résurgence de leurs significations ; non le passé tel qu’il s’est
passé, mais ses réemplois successifs ». On ne reviendra pas ici sur l’histoire de la
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
« Accompagnement Tle :
« Opérer le bilan du conflit conduit à
enseigner les pertes humaines, les
destructions et la persistance durable d’un
quotidien difficile, la reconstruction de l’État
et l’épuration. Ces questions majeures
n’épuisent pas les conséquences pour la
France d’un phénomène d’aussi grande
ampleur que la Seconde Guerre mondiale.
Celles-ci se manifestent aussi par
l’ébranlement du système colonial
ou par la constitution, dans l’immédiat aprèsguerre puis au fil du temps, de mémoires de
la période.
Ces mémoires sont multiples, chacune
d’elles ne montrant qu’une vision partielle.
S’il est impossible d’en tenter une typologie
exhaustive, il est important que les élèves
comprennent, d’une part, que les souvenirs et
la réinterprétation de ceux-ci par les
mémoires individuelles ou collectives
diffèrent selon les personnes ou les groupes
et leur relation avec l’événement ; d’autre
part, que des mémoires de groupe se
construisent, évoluent et, éventuellement,
entrent en concurrence ; enfin, qu’il est
possible de faire l’histoire de ces
phénomènes.
La mémoire du Génocide et celle de la
Résistance, par la gravité et l’importance des
faits sur lesquels elles portent comme par
leur prégnance dans le débat politique et
philosophique, font partie des thèmes à
privilégier.
Dans l’après-guerre, la singularité du
Génocide est peu reconnue : il est inclus dans
la déportation, voire dans la somme des
souffrances de l’Occupation. La figure de
référence du déporté est celle du résistant et
l’amalgame est fait entre tous les types de
camps, dont Buchenwald ou Dachau, selon
les sensibilités, constituent les exemples
emblématiques. Les associations juives
souhaitent d’abord affirmer leur
appartenance à la communauté nationale, et
leurs urgences vont à l’entraide et à la
reconstruction. Au demeurant, les rescapés
des centres d’extermination occupent une
place modeste au sein de l’ensemble de ceux
qui reviennent de déportation : 54 % du total
des partants, mais 6 % des survivants ; leurs
témoignages, nombreux dans les toutes
premières années de l’après-guerre mais
difficilement reçus par la société, se tarissent
ensuite. Nuit et Brouillard (1956), d’Alain
Resnais et Jean Cayrol, qui concerne le
système concentrationnaire dans son
ensemble et présente une vision univoque du
camp et du déporté, apparaît révélateur de
cette période d’une quinzaine d’années.
La décennie 1960 marque un tournant et une
redécouverte, du fait du procès Eichmann
(1961), qui ouvre l’ère du témoin porteur
99
Seconde Guerre mondiale en tant que telle : l’histoire de la mémoire de la
Seconde Guerre mondiale ne se confond pas avec l’histoire de la guerre. Il s’agira
de montrer comment certains faits ont pu être occultés ou réinterprétés,
d’expliquer pourquoi ce retour sur le passé a été parfois douloureux et polémique,
au point d’engager les plus hauts responsables de l’État à s’exprimer
officiellement sur des épisodes vieux de plus d’un demi-siècle. Il faut toutefois
rappeler que la France n’a pas été le seul pays à devoir affronter certains épisodes
sombres de son histoire. Italiens et Allemands ont dû s’interroger sur les
responsabilités de leurs compatriotes dans la montée du fascisme et du nazisme.
Les Soviétiques ont longtemps refusé de reconnaître les crimes perpétrés par
Staline dès 1939-1940, notamment en Pologne (Katyn). Les États-Unis n’ont que
tardivement reconnu les injustices commises à l’encontre des Nippo-Américains.
En France, le souvenir conflictuel de la Seconde Guerre mondiale est
essentiellement lié à l’existence du régime de Vichy, et par conséquent au
maintien, sous l’occupation allemande, d’un État qui s’est placé au service de
l’occupant pour faire la chasse aux résistants et déporter les juifs. C’est en ce sens
qu’il y a bien un « syndrome de Vichy ».
L’enjeu majeur de la question est de comprendre pourquoi, jusqu’à ces dernières
années, la Seconde Guerre mondiale n’a pas pu faire l’objet de la même
commémoration unitaire que la Première. Il conviendra donc de repérer, au cours
de la période, l’expression de différentes mémoires de la guerre, concurrentes et
parfois conflictuelles :
– Les mémoires de groupe sont portées par les acteurs et les victimes de la guerre.
Elles militent chacune à leur manière contre l’oubli, d’où l’importance qu’elles
accordent au témoignage ; mais elles sont par définition sélectives dans leur
commémoration du passé. Ici se place, comme l’a bien souligné Robert Frank, la
spécificité de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale : « La France éclatée de
l’époque a vu se multiplier les groupes d’acteurs, et aucun d’entre eux n’a
véritablement réussi à faire prévaloir sa mémoire auprès de la collectivité. »
Robert Frank évoque ainsi : la « mémoire repliée » des prisonniers de guerre ; la
« mémoire motrice » des résistants, qui a longtemps occupé la plus grande part de
l’espace commémoratif ; la « mémoire blessée » des déportés, au sein de laquelle
une mémoire spécifiquement juive de la guerre ne s’est que tardivement
manifestée ; la « mémoire défensive » enfin de groupes qui, pour des raisons très
différentes, mènent depuis la guerre une véritable « bataille de la mémoire » : «
déportés du travail », « malgré-nous » alsaciens et lorrains, homosexuels, mais
aussi défenseurs de la mémoire du maréchal Pétain.
– La mémoire officielle, prise en charge par l’État, s’exprime par des discours et
des commémorations. Les pouvoirs publics se sont efforcés d’instituer une
commémoration aussi consensuelle que possible de la guerre, au prix souvent
d’une édulcoration de ses aspects les plus controversés. Le mythe d’une France
unanimement résistante, propagé par le pouvoir gaulliste, a eu ainsi un effet
inverse à celui qui était recherché, puisqu’il a réactivé les manifestations du
syndrome de Vichy à la fin des années 1960.
– La mémoire savante est l’oeuvre des historiens : si ces derniers ont tenu à
préserver leur autonomie par rapport aux témoins et aux acteurs de la guerre, ils
n’en sont pas moins pleinement impliqués dans le processus d’élaboration de la
mémoire collective, en raison notamment de la place accordée à l’enseignement
de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale au collège et au lycée.
– Il y a enfin une mémoire diffuse de la guerre, dont les manifestations peuvent
être analysées par exemple dans des oeuvres de fiction littéraires ou
cinématographiques, ou bien appréhendées à partir de sondages d’opinion.
Quel doit être le rôle des historiens dans la transmission du souvenir de la
Seconde Guerre mondiale ?
Il convient de bien dégager le rôle spécifique de la mémoire et de l’histoire. Au «
devoir de mémoire » revendiqué par les associations de victimes et
institutionnalisé par de nombreuses commémorations, les historiens ont opposé la
notion de « devoir d’histoire ». La mémoire veut abolir la distance entre le passé
et le présent, elle s’exprime principalement au travers de témoignages et de
commémorations, qui visent à susciter l’émotion de ceux qui se souviennent.
Comme l’écrit Paul Ricoeur, le devoir de mémoire est « le devoir de rendre
justice, par le souvenir, à un autre que soi ». Toute mémoire, même la plus
légitime, est sélective et procède, comme l’écrit Henry Rousso, d’« une
organisation de l’oubli ». Le métier d’historien répond à d’autres d’exigences : il
d’histoire, puis de la guerre des Six Jours.
Celle-ci constitue une étape majeure à cause
de l’angoisse qu’elle suscite pour le jeune
État d’Israël ; elle est d’autant plus vécue
comme une seconde menace décisive contre
le judaïsme, que l’évaluation que fait de
Gaulle de la situation choque. La mémoire
du Génocide devient constitutive de
l’identité juive et revendique sa place dans la
société. Une troisième époque s’amorce à
partir de la fin des années 1970. Des raisons
de nature différente concourent à libérer la
parole des survivants et à l’investir d’une
grande responsabilité : le débat enclenché par
la projection d’Holocauste (1978-1979), la
lutte contre l’entreprise négationniste, une
série de procès, dont celui de Klaus Barbie
(1987). Cette attente et cette libération de la
parole se traduisent par un énorme travail
documentaire et l’intervention de témoins
dans les débats télévisuels et auprès des
jeunes dans les établissements scolaires. De
ce fait et grâce aux avancées
historiographiques, la mémoire collective des
années 1940-1944 évolue : la responsabilité
de l’État français dans la persécution est
réévaluée, ce que marque chaque année à
partir de 1993 une journée commémorative.
Se met peu à peu en oeuvre un impératif
social, qui tend à devenir un devoir civique :
la mémoire de l’extermination est appelée à
nourrir l’engagement pour le présent. La
représentation collective de la Résistance n’a
pas connu un parcours plus linéaire. Au sortir
de la guerre, la mémoire résistante offre un
cadre structurant à la mémoire collective et
aux valeurs des Français. Le contexte
d’ensemble y est favorable : jusqu’à la fin
des années 1960 domine une lecture assez
unanime de l’Occupation, qui se nourrit de la
prise en charge efficace du souvenir et de la
commémoration par le parti communiste et
les gaullistes, de la force avec laquelle le
général de Gaulle affirme l’unanimité
nationale et la contribution de la France à la
victoire, de la vision héroïque que diffuse
majoritairement l’édition et le cinéma, à
l’image de l’oeuvre de René Clément. Le
mont Valérien est le lieu de mémoire par
excellence et l’année 1964, qui est celle du
transfert des cendres de Jean Moulin au
Panthéon et de l’institution du concours
national de la Résistance et de la
Déportation, marque un apogée de la
commémoration. Certes, la réalité est plus
complexe qu’il y paraît – l’unanimité
affichée tend à nier la spécificité du combat
résistant, les déchirures de la guerre froide se
répercutent au sein des associations ou entre
elles, l’amnistie de 1951 et 1953 ou les aléas
de la célébration du 8-Mai choquent une
partie des résistants – mais la tonalité «
résistancialiste » domine. Cette première
phase s’interrompt à la jointure des
décennies 1960-1970, avec l’arrivée à l’âge
100
implique une mise à distance du passé afin de replacer les faits historiques dans le
contexte qui leur donne sens. L’historien se place sur le terrain de la
connaissance, et non pas sur celui de la morale ou de la justice (d’où les réserves
émises par certains historiens sur les enjeux du procès Papon). Confondre
l’histoire et la mémoire exposerait au double danger de la sacralisation et de la
banalisation du passé : comme le montre Tzvetan Todorov, le passé, s’il est
sacralisé, « ne nous rappelle rien d’autre que lui-même » ; le passé banalisé «
nous fait penser à tout et à n’importe quoi ». L’autonomie revendiquée par les
historiens par rapport aux témoins et aux acteurs de la guerre ne signifie pas
qu’ils soient « neutres » : c’est en intégrant le témoignage à la connaissance
historique que l’historien en démultiplie la portée, en contribuant de la sorte à ce
que la parole des témoins, restée longtemps inaudible après la guerre, puisse non
seulement être transmise, mais comprise par les générations futures.
Se constituent, dans l’immédiat après-guerre puis au fil du temps, de mémoires de
la période. Ces mémoires sont multiples, chacune d’elles ne montrant qu’une
vision partielle de ce passé qui ne passe pas. Les mémoires des différents groupes
se construisent, évoluent et, éventuellement, entrent en concurrence. Elles
investissent puis désinvestissent certains aspects de la Seconde Guerre mondiale,
touchent plus ou moins l’opinion publique, affectent la perception officielle de
l’histoire. Dans l’après-guerre, la singularité du génocide est peu reconnue : il est
inclus dans la déportation, voire dans la somme des souffrances de l’Occupation.
La mémoire résistante offre alors un cadre structurant à la mémoire collective et
aux valeurs des Français. Les années 1960 marquent un tournant et une
redécouverte du génocide, grâce au procès Eichmann (1961), qui ouvre l’ère du
témoin porteur d’histoire. Une troisième époque s’amorce à partir de la fin des
années 1970. L’avènement d’une nouvelle génération n’ayant pas connu la
guerre, la fin de la domination gaulliste, le travail d’historiens d’abord étrangers
sur la France de Vichy, le débat enclenché par la projection d’Holocauste (19781979) ou Du Chagrin et la pitié, la lutte contre l’entreprise négationniste, une
série de procès puis la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État
français dans le génocide en 1995 sont autant d’éléments qui conduisent à
modifier à la fois le rapport des Français mais aussi celui de l’État français à leur
passé douloureux.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
adulte d’une nouvelle génération, la fin du
gaullisme historique, les mutations de la
mémoire juive. La réception du film de
Marcel Ophuls Le Chagrin et la Pitié (1971)
et le scandale que suscite en 1972 la grâce
présidentielle accordée à Paul Touvier en
constituent des révélateurs et des
détonateurs.
La relecture historienne des années noires,
entamée fin des années 1960-début des
années 1970 (on pense à l’impact de La
France de Vichy de R. Paxton, traduit en
1973) puis relayée par l’enseignement au
début des années 1980, contribue à fonder ce
tournant et le conforte. La représentation
dominante diffuse désormais une double
culpabilité : avoir accepté le régime, n’avoir
pas su ou pas voulu accepter la vérité ni
punir les coupables. Ce contexte peu
favorable est encore troublé par la série de
polémiques qui affectent la Résistance durant
les années 1990, notamment autour de la
figure de Jean Moulin : l’image de la
Résistance tend à devenir une nouvelle
manifestation du syndrome de Vichy. Une
nouvelle représentation, plus équilibrée, est
peut-être en cours d’élaboration : après avoir
sacralisé la face noble puis la face noire de
l’attitude des Français, elle renoue avec la
Résistance comme fait historique, admet
mieux la diversité des parcours et les
inévitables divergences internes, comprend
l’extraordinaire difficulté du choix et du
combat des résistants et la dignité de leur
«non». »
Activités, consignes et productions des
élèves :
I. Mémoires de la guerre, de la résistance et de l’Occupation
II. Mémoires et génocide juif
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
101
HC – Enjeux et débats institutionnels en France depuis 1945
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Les volumes de la Nouvelle histoire de la France contemporaine de la collection « Points Seuil » proposent des chapitres
thématiques sur les grandes évolutions :
J.-P. Rioux, La France de la Quatrième République, 2 volumes, t. 1 L’Ardeur et la nécessité, tome 2 : L'expansion et
l'impuissance (1952-1958), Le Seuil, Points, 1980 et 1983.
J.-J. Becker (avec P. Ory), Crises et alternances 1974-1995, Seuil, Paris, 1998.
S. Berstein (avec J.-P. Rioux), La France de l’expansion, t. 1 La république gaullienne, 1958-1969, t.2 L’apogée Pompidou,
1969-1974, Seuil, Paris, 1989 et 1995.
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France de mai 1958 à mai 1981. La grande mutation, Le Livre de Poche, 2003 ; M. BERNARD, La France de 1981 à 2002. Le
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« La droite », n° 14, Collections de L’Histoire
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Au-delà d’un traditionnel tableau de la France en 1945, le sujet invite à dégager
l’originalité de la période de la Libération dans l’histoire de France. La
conjoncture politique et sociale de la France d’après-guerre est en effet inédite.
Les forces de droite sont momentanément hors-jeu. Le patronat est « au piquet ».
Vichy a contribué à discréditer cette France bourgeoise et paysanne qui
constituait « l’assise de granit » de la IIIe République. La classe ouvrière,
longtemps cantonnée « aux portes de la cité », s’impose en revanche comme la
principale force de changement social. De son soutien dépend l’issue de la «
bataille de la production ». Pour les forces issues de la Résistance, la Libération
doit donc aller bien au-delà d’une simple reconstruction ; le journal Combat, où
s’illustre notamment Albert Camus, porte en sous-titre : « De la Résistance à la
Révolution ». Les grandes réformes mises en oeuvre par le gouvernement
provisoire doivent être replacées dans cette perspective. Elles s’inspirent des
réflexions nouvelles suscitées par la crise du libéralisme et du parlementarisme
dans les années 1930 et concrétisent les valeurs diffusées au sein de la Résistance.
Le rôle majeur assigné à l’État dans la vie économique et sociale du pays serait-il
néanmoins « un acquis irréversible ou une banale solution d’attente » (Jean-Pierre
Rioux) ? La modernisation engagée par l’État-providence prendrait-elle l’allure
d’une révolution ou d’une restauration ? Les Français attendent également un
profond renouvellement de la démocratie parlementaire, discréditée par son
impuissance durant la crise des années 1930 et par la défaite de 1940.
Issue de la guerre et de la Résistance, la IVe République porte les espoirs d'un
renouvellement profond de la vie politique en France. Il faut donc voir comment
les institutions se mettent en place en 1946 et comment elles échouent à redonner
la stabilité au pays. Les partis politiques sont puissants, mais malgré la qualité de
certains dirigeants, ils sont incapables d'assurer le pilotage de l'État. Sous cette
République, la France a connu d'immenses transformations qui en font un des
moments les plus passionnants du XXe siècle français : développement
économique, transformations sociales, développement culturel et surtout guerre
coloniales dans une relation difficile avec les alliés occidentaux. C'est pourquoi, il
faut aussi réinterpréter l'apport de la IVe République à la construction de la
société française contemporaine.
L'histoire politique de cette république a été largement renouvelée avec la
publication des deux volumes que Jean-Pierre Rioux consacre à la IVe
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 3e actuel : « On analyse les grandes
phases de la vie politique depuis 1945 en
relation avec les transformations matérielles
et culturelles de la société, de ses modes et
cadres de vie, de ses aspirations. »
Socle : Ajout aux repères
1995-2007 : les années Chirac.
BO Tle ST2S : « La Ve République, un
régime politique cinquantenaire.
On inscrit la Ve République dans la tradition
républicaine, tout en mettant l’accent sur sa
spécificité.
La Ve République réaffirme le principe de la
souveraineté nationale et instaure un nouvel
équilibre entre les pouvoirs, en séparant
l’exécutif et le législatif, en attribuant la
primauté au premier et en encadrant l’activité
du second.
Après avoir rappelé ces caractéristiques, on
montre que le système né en 1958-1962 a
évolué et intégré de nouvelles pratiques,
comme la cohabitation. »
BO Tle STG :
« La Ve République : cadre institutionnel,
vie politique, défis européens
On montre comment la Ve République
instaure en 1958, puis en 1962, un nouvel
équilibre des pouvoirs et favorise une
distribution bipolaire des forces politiques.
En rupture avec les institutions de la IVe
République, elle permet une plus grande
stabilité des gouvernements en dégageant des
103
République et également avec plusieurs colloques qui se sont tenus dans les
années 1980-1990, au fur et à mesure que s'ouvraient les archives tant civiles que
militaires et diplomatiques.
Depuis une vingtaine d’années, le retour du politique est le point commun des
travaux historiques sur la France contemporaine. Cette volonté de reprendre par
le politique l’histoire du pays a été marquée par la prise de conscience, autour du
livre dirigé par René Rémond, Pour une histoire politique (1988), du
renouvellement des centres d’intérêts et des méthodes de cette discipline
historique, bien loin de la caricature d’une histoire jugée auparavant trop
fortement événementielle. L’historiographie actuelle se nourrit depuis plus d’une
décennie des travaux sur la culture politique (cf. J.-P. Rioux, J.-F. Sirinelli, Pour
une histoire culturelle, 1997) et s’oriente, de manière privilégiée, vers l’étude des
systèmes politiques ainsi que les définissent M. Duverger et J.-F. Sirinelli dans la
présentation de leur Histoire générale des systèmes politiques (La Démocratie
libérale, 1998) : «Qu’entend-on par système politique? Il s’agit de l’ensemble des
institutions et des relations – juridiques ou autres – permettant la dévolution et
l’exercice de ce que l’on appelle le pouvoir ou l’autorité, mais replacées de
surcroît au sein des sociétés, des valeurs et des cultures qui les sous-tendent. Les
systèmes politiques ainsi entendus incluent donc l’analyse des grandes
constructions institutionnelles mais également l’étude de leur soubassement
social et culturel. En d’autres termes, les rouages mais aussi le terreau des
régimes politiques.» On voit donc l’attention renouvelée portée à l’étude des
régimes politiques, conçus désormais comme des systèmes globaux, de
l’institutionnel au culturel. Dès lors, c’est bien du « système républicain» qu’il
s’agit. Nous sommes invités à étudier son «évolution politique de 1945 à nos
jours». Comment, depuis la Libération, notre régime a-t-il été refondé après avoir
essuyé de graves crises? Doit-on voir en de Gaulle notre Washington, celui qui a
mis en place le régime le plus en phase avec notre culture politique, comme le
pense Odile Rudelle (in S. Berstein et O. Rudelle (dir.), Le Modèle républicain,
1992)? La Ve République, récemment amendée par la pratique des alternances et
des cohabitations, confrontée à la montée des abstentions et des extrêmes, est-elle
encore adaptée à son « terreau» social au XXIe siècle?
L’historiographie récente nous invite à intégrer la notion de culture politique, que
l’on peut définir ainsi : ensemble de valeurs et de références communes qui
légitiment et inspirent l’action politique. La vieille culture républicaine est
aujourd’hui bousculée par de nombreuses évolutions : la présidentialisation du
régime sous la Ve République et la médiatisation des hommes politiques ; le
poids croissant de la politique européenne ; les interrogations sur la laïcité, etc.
On évitera une présentation caricaturale de la IVe République, trop longtemps
présentée à la suite des gaullistes comme impuissante. La IVe République a dû
gérer en même temps de nombreux problèmes (reconstruction économique,
décolonisation, guerre froide, construction européenne) et elle l’a fait souvent
avec succès. Ses institutions ne sont pas forcément en cause, car il s’agit d’un
régime parlementaire (voire d’un régime d’assemblée) très proche de la IIIe
République (qui détient encore le record de longévité, avec 70 ans d’existence).
L’instabilité gouvernementale n’empêcha pas la haute administration de
poursuivre des politiques cohérentes. Le vrai problème était sans doute la
représentation proportionnelle, à comparer avec le scrutin uninominal majoritaire
en vigueur sous la Ve comme sous la IIIe République.
Des débats sur les institutions marquent en 2008 le cinquantième anniversaire de
la Ve République. L’esprit du sujet est celui d’une réflexion synthétique sur les
institutions, à partir notamment de la comparaison entre la IVe et la Ve
République. Il faut éviter une approche événementielle trop détaillée : on n’a pas
besoin de connaître tous les gouvernements de la IVe ou de la Ve République,
mais de développer les notions essentielles (régime parlementaire et présidentiel ;
différents modes de scrutin ; grandes familles politiques françaises, etc.).
On fera comprendre l’originalité de la Ve République, compromis assez singulier
entre le régime parlementaire et un pouvoir présidentiel fort. La dualité de
l’exécutif instituée par la Constitution de la Ve République n’est apparue comme
un éventuel problème qu’avec la cohabitation à partir de 1986.
Si la présidentielle de 2007 a suscité un regain d’intérêt, elle n’a inversé que très
majorités qui peuvent diverger (majorité
présidentielle, majorité parlementaire). Elle
mène à son terme le processus de
décolonisation et poursuit la construction de
l’Europe. »
BO futur 3e : «
EFFONDREMENT ET REFONDATION
RÉPUBLICAINE (1940-1946)
La Libération marque le retour à la
République. L’étude du programme du CNR
ou du préambule de la Constitution de 1946
met en évidence la volonté de refonder les
valeurs républicaines en relation avec les
grandes réformes de la Libération.
Connaître et utiliser le repère suivant
- Libération de la France, rétablissement de
la République (la IVe), droit de vote des
femmes, Sécurité sociale : 1944-1945
Décrire les principales mesures prises à la
Libération (dont le droit de vote des
femmes).
DE GAULLE ET LE NOUVEAU
SYSTÈME RÉPUBLICAIN (1958-1969)
En 1958, la crise de la IVe République
débouche sur le retour du général de Gaulle
au pouvoir et la fondation de la Ve
République. Seule la crise du 13 mai 1958
est étudiée pour montrer les impasses de
la IVe République.
La présidence du général de Gaulle marque
une nouvelle conception de la République et
de la démocratie. On met en évidence
quelques grandes caractéristiques de cette
présidence : suprématie du pouvoir exécutif,
volonté de réaffirmer la puissance française.
La crise de mai 1968 témoigne des
difficultés du régime face à de nouvelles
aspirations politiques, sociales et culturelles.
L’étude s’appuie sur quelques images
significatives.
Connaître et utiliser le repère suivant
- Les années de Gaulle : 1958-1969
Caractériser les grands choix politiques du
général de Gaulle.
LA Ve RÉPUBLIQUE À L’ÉPREUVE DE
LA DURÉE
Entre 1969 et 1981 les successeurs du
général de Gaulle poursuivent sa pratique des
institutions en s’efforçant de prendre en
compte les grandes aspirations sociales et
culturelles de la population. L’étude se limite
à quelques exemples d’adaptation de la
législation aux demandes de la société
(majorité à 18 ans, légalisation de l’IVG…).
Depuis 1981, la vie politique est marquée par
une succession d’alternances et de
cohabitations. L’étude de la vie politique
française depuis 1981 se focalise sur deux
moments :
1981-1986 : la première alternance et les
politiques menées sous la présidence de
François Mitterrand ;
1997-2002 : la troisième cohabitation et le
104
ponctuellement la tendance au désintérêt et à la méfiance envers la politique. Les
derniers scrutins montrent toujours l’importance de l’abstention (40 % au second
tour des législatives de juin 2007) et de l’émiettement des suffrages. Cependant,
la droite, secouée dans les années 1980 par l’extrême droite, semble avoir réglé
son problème avec le FN. Le parti de Jean-Marie Le Pen perd son influence sur le
paysage politique français. Alors que la gauche peine à sortir de sa crise
d’identité et reste concurrencée par l’extrême gauche. Les enjeux actuels sont
passionnants, n’arrive-t-on pas à la fin d’un cycle en matière de culture politique
et idéologique ? Nos institutions correspondent-elles toujours aux nouvelles
aspirations, aux nouvelles attentes et aux nouvelles valeurs qui émergent dans
la société ?
Accompagnement 3e : « Présenter les grandes phases de la vie politique ne doit
surtout pas reposer sur une étude chronologique détaillée de cette évolution
politique : il faut montrer comment s’est reconstruite, à partir de 1944, une vie
politique démocratique, comment et pourquoi le régime est entré en crise, quelle
nouveauté politique a représenté la Ve République et comment elle a duré.
L’étude précise des institutions de la IVe République n’est pas nécessaire. Il
suffit de faire comprendre ce qu’était l’instabilité gouvernementale. Inversement,
doivent être analysées les institutions de la Ve République et leur évolution. On
peut se limiter pour cela à une étude de la période gaulliste (1958-1974) et à une
étude des années Mitterrand (1981-1995). Cela permet de montrer aux élèves en
quoi le régime, même s’il est juridiquement parlementaire (l’article 49 de la
Constitution prévoit la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement),
laisse de grands pouvoirs au Président de la République et fait de l’élection
présidentielle, depuis la réforme constitutionnelle de 1962 et l’élection de 1965,
le temps fort de notre vie politique. La cohabitation n’a pas remis en cause
fondamentalement ce fonctionnement des institutions. Outre l’analyse des
institutions et l’examen de deux temps forts, l’évolution des grandes forces
politiques peut constituer un troisième thème d’étude. Cela peut être l’occasion
de montrer comment s’articulent, dans une démocratie, les affrontements
politiques, et quels sont les règles et les enjeux du débat. »
problème du partage du pouvoir exécutif.
Les clivages politiques subissent les effets de
l’évolution des grands débats idéologiques,
des mutations sociales, culturelles et
religieuses, de l’intégration européenne et de
la mondialisation. On étudie, à l’aide d’un
exemple au choix de débat politique inscrit
dans la durée (depuis 1969) les
positionnements et recompositions des forces
politiques.
Connaître et utiliser les repères suivants
- Les années Mitterrand : 1981-1995
- Les années Chirac : 1995-2007
Décrire et expliquer
- Quelques exemples d’adaptations
législatives à l’évolution de la société
- Des prises de positions, arguments et
recompositions politiques sur le débat
étudié »
Accompagnement Tle :
« La Libération permet le rétablissement de la démocratie. Le choix est fait de ne
pas revenir à la IIIe République et d’établir une nouvelle organisation des
pouvoirs. La IVe République se caractérise rapidement par la souveraineté
parlementaire et l’émiettement du système partisan, qui mettent l’exécutif sous
contrôle et le font dépendre de coalitions fragiles, affrontées à la guerre froide, à
la décolonisation et à une opposition sans concession, dès 1947, du RPF et du
parti communiste. Ces traits n’empêchent pas que soient conduites des politiques
cohérentes : c’est le cas en matière européenne, du fait de la proximité de vue des
démocrates-chrétiens et des socialistes.
Nombreux sont ceux qui sont conscients de la nécessité de moderniser la vie
politique et d’accroître la marge d’action de l’exécutif. Le mendésisme représente
la tentative la plus aboutie en la matière ; par-delà la brièveté du passage du
radical Pierre Mendès France aux affaires (1954-1955), l’impact de sa défense de
la volonté politique est profond. La crise algérienne, qui accroît la faiblesse de
l’exécutif en même temps qu’elle en révèle l’ampleur, provoque la fin de la IVe
République et l’appel au général de Gaulle. La Constitution, promulguée le 4
octobre 1958, vise à garantir la continuité et l’efficacité de l’État dans le respect
de la souveraineté du peuple, qui élit les députés, décide du sort des projets qui
lui sont soumis par référendum et, à partir de 1962, choisit le président de la
République. Elle introduit un nouvel équilibre des pouvoirs, plus strictement
séparés et au sein desquels l’exécutif l’emporte sur l’activité parlementaire (voter
les lois, contrôler le gouvernement) très encadrée. S’il est évident pour le général
de Gaulle – comme pour ses successeurs – que le président de la République est
la clé de voûte des institutions, une ambiguïté existe dans le partage des
responsabilités entre celui-ci et le Premier ministre : elle se révèlera
ultérieurement.
Au total, la Ve République présente un visage institutionnel inédit, incluant des
éléments parlementaires et des éléments présidentiels ; on a pu parler d’un régime
« semi-présidentiel». Il fonctionne sans à-coup grave durant la période
gaullienne, les septennats de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing
et les premières années de la présidence de François Mitterrand, malgré les
105
césures que représentent le dur affrontement sur le mode d’élection du président
de la République (automne 1962), la crise de 1968 et le départ brusqué du général
de Gaulle l’année suivante, l’accès d’un non-gaulliste à l’Élysée (1974) et
l’alternance qui porte la gauche au pouvoir (1981). Des traits apparus tôt tendent
à s’amplifier, tels le présidentialisme, la logique binaire, le poids du Conseil
constitutionnel. Par bien des traits, on a quitté la culture républicaine
traditionnelle pour celle des grandes démocraties libérales, ce que confortent le
tournant décentralisateur (fin 1981) et l’entrée croissante de la norme
internationale dans l’ordre interne. Les législatives de 1986 introduisent un
nouveau paramètre : la majorité parlementaire diffère de la majorité
présidentielle. La désignation du Premier ministre et la formation du
gouvernement dépendant dans les faits du rapport de force à l’Assemblée
nationale, commence l’expérience dite de cohabitation. Comme elle est
récurrente, puisque aucune majorité élue depuis 1978 n’a été reconduite, elle
nourrit un débat portant à la fois sur le régime et sur la capacité des projets
politiques à satisfaire les aspirations des Français. Une redistribution de
l’électorat et des partis accompagne ces évolutions des décennies 1980 et
suivantes : recul électoral du parti communiste, constitution d’un courant
écologiste, efforts pour construire des coalitions de droite et de gauche, ancrage
de l’extrême droite et poussée de l’extrême gauche. Ces deux derniers traits
apparaissent nettement lors des présidentielles de 2002, à l’issue desquelles
Jacques Chirac est élu pour la deuxième fois – désormais pour cinq ans. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
I. La IVème République
II. La Vème République
Accompagnement Tle STG :
« Organisation et fonctionnement des pouvoirs : la Constitution de 1958.
La Ve République naît de la crise algérienne qui confirme la faiblesse des
institutions de la IVe République. Le Parlement doit se résoudre à faire appel au
général de Gaulle : ce dernier accepte de devenir son dernier président du conseil
à condition de changer la constitution. On ne fera référence à la constitution de
1946 que pour mettre en évidence les points débattus, en particulier les rapports
entre exécutif et législatif et la formation de majorités stables.
La constitution de 1958 instaure un nouvel équilibre des pouvoirs au profit de
l’exécutif. L’élection du président de la République, au suffrage universel direct à
partir de 1962, tend à renforcer ce poids de l’exécutif, en faveur duquel joue aussi
la pratique de la constitution. Néanmoins le texte comporte des éléments
présidentiels et des éléments parlementaires : on a pu parler d’un régime semiprésidentiel. L’expérience de la cohabitation, répétée en 1986, 1993, 1997 montre
la possibilité d’un régime de type parlementaire. Mais l’affaiblissement de
l’exécutif et les risques de paralysie en situation de cohabitation conduisent à
remplacer le septennat présidentiel par un quinquennat à partir des élections de
2007 afin d’harmoniser élections présidentielles et législatives.
La Constitution de la Ve République permet une plus grande stabilité (grâce au
scrutin uninominal) et encourage une bipolarisation de la vie politique, d’autant
que l’élection du président au suffrage universel direct laisse deux candidats face
à face au second tour. Cette mécanique institutionnelle conduit la gauche, divisée
sous la IVe République, à s’unir en 1972 sur un « programme commun de
gouvernement », et la droite à se rassembler aussi. Mais les équilibres internes se
modifient. A gauche le parti communiste, premier parti de gauche jusqu’en 1973,
ne cesse de s’affaiblir et le nouveau parti socialiste dirigé par François Mitterrand
(Épinay, 1971) affirme sa prééminence à gauche. La droite est dominée par le
courant gaulliste mais l’alliance du centre droit et de la droite libérale assure la
victoire de Valéry Giscard d’Estaing, candidat non gaulliste, en 1974. La
tendance est cependant à la prédominance d’un parti à droite.
Vie politique
Quelques repères chronologiques permettent de structurer l’explication :
1968/1981/1986/1997/2002.
Si la vie politique est rythmée par les élections présidentielles, les débats sont
Activités, consignes et productions des
élèves :
LA VIE POLITIQUE SOUS LES TRENTE
GLORIEUSES
Si les changements économiques et sociaux
des Trente Glorieuses bouleversèrent le
quotidien des Français, la vie politique
connut, elle aussi, des mutations majeures.
Dans ses Mémoires de guerre, usant d’une
métaphore marine qu’il affectionnait
particulièrement, le général de Gaulle
dressait un tableau sans concession de la
situation de la France et des Français à la
Libération : « La marée, en se retirant,
découvre donc soudain, d’un bout à l’autre,
le corps bouleversé de la France. » Le propos
vaut assurément pour l’état économique et
financier d’un pays ruiné et dévasté par la
guerre. Mais il s’applique aussi pleinement à
la vie et aux forces politiques une fois
refermée la parenthèse de l’État français et
de l’Occupation.
UNE VOLONTE DE RECONSTRUCTION
POLITIQUE
Pendant des années, la droite porte ainsi sur
elle, dans son ensemble, le discrédit de
Vichy tandis que la principale force politique
du pays, le parti communiste, glisse bientôt
de la confortable position de l’unanimisme
national lié à son rôle dans la Résistance au
ghetto réservé aux alliés du totalitarisme
soviétique.
Mais au-delà des séquelles de l’épuration et
des conséquences nationales de la Guerre
froide, les Français manifestent très
fortement, au moins à deux reprises, leur
volonté de profonds changements par rapport
à l’avant-guerre. Ainsi, lors du référendum
du 21 octobre 1945, ils rejettent massivement
(96 % des suffrages exprimés) la IIIe
République. De même, en approuvant
massivement en 1958 la Constitution de la
106
dominés par quelques grands thèmes. Avec de Gaulle, elle est commandée par la
fin de la guerre d’Algérie, le quasi achèvement de la décolonisation commencée
sous la IVe République (Indochine, Maroc, Tunisie…), la volonté d’une grande
politique étrangère. Mais au milieu des années 1960, et de manière spectaculaire
avec la crise de mai-juin 1968, les problèmes intérieurs passent au premier plan.
Durant les présidences suivantes (Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand,
Chirac), les questions économiques, sociales, sociétales (statut de la femme, lois
sur la contraception et l’avortement, âge du vote, abolition de la peine de mort,
libéralisation des médias, etc.) occupent le devant de la scène. On insistera sur
l’importance de l’élection présidentielle de 1981 parce qu’elle permet la première
alternance droite-gauche dans le cadre de la Ve République, réactive la question
du rôle de l’État, accélère la redistribution des forces politiques.
Jusqu’au début des années 1980, droite et gauche étaient favorables à
l’intervention de l’État dans l‘économie et la protection sociale. Au lendemain de
la guerre, les gouvernements d’union, d’abord dirigés par de Gaulle, avaient fait
le choix des nationalisations, de la planification et de la protection assurée par
l’État (statut des salariés, Sécurité Sociale, allocations familiales). Quand la
gauche gagne les élections présidentielles en 1981, son programme ambitionne
d’aller plus loin par une « rupture avec le capitalisme ». Elle entreprend, dès son
arrivée au pouvoir, la deuxième grande vague de nationalisations depuis la
Libération et lance un programme de réformes sociales. Mais à partir de 1983, la
politique de rigueur, présentée comme une nécessité dans une économie de
marché, marque la fin de cette ambition. Elle inaugure un débat de longue durée
sur la place de l’État dans l’économie et la société. Le changement de cours en
matière économique s’amplifie lors de la première cohabitation, en 1986, avec la
loi sur les privatisations. Elle marque une orientation plus libérale qui n’est pas
remise en cause par la gauche lors de la troisième cohabitation (1997-2002). Mais
ce tournant déconcerte une partie de l’électorat, notamment l’électorat populaire,
divise la gauche, entraîne des recompositions profondes à gauche comme à
droite. À gauche les années 1980-90 voient l’émergence du courant écologiste
(les Verts) et la poussée de l’extrême-gauche. À droite, la montée de l’extrêmedroite (Front National) contribue à radicaliser certains thèmes (immigration,
sécurité). Les variations des programmes, la recomposition des partis, la
persistance du chômage et la précarité accroissent les hésitations de l’opinion et
favorisent la répétition des cohabitations. L’élection présidentielle de 2002
confirme l’éclatement des choix. »
Accompagnement Tle ST2S :
« La constitution de 1958 procède du retour au pouvoir du général de Gaulle dans
le cadre de la crise algérienne que le régime précédent a été incapable de
résoudre. Face au risque de guerre civile, le dernier président de la IVe
République René Coty choisit de faire appel au général de Gaulle : ce dernier
accepte de devenir chef du gouvernement à condition de pouvoir réformer les
institutions. Son retour aux affaires marque la fin de la IVe République.
Le 4 septembre 1958, le général de Gaulle présente le texte constitutionnel qu’il
appelait de ses vœux depuis la Libération en un lieu et à une date chargés de sens
: la place de la République, le jour anniversaire de la proclamation de la
Troisième République. Cette double symbolique marque la volonté de s’enraciner
dans la continuité des différents régimes républicains qui se sont succédé.
La Constitution s’inscrit pleinement dans cet héritage et aboutit même à le
renforcer. Ainsi, le préambule de 1958 reprend-t-il les principes proclamés par la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que ceux
mentionnés dans le préambule de la Constitution de 1946. Cette démarche
conduit à réaffirmer les droits politiques du citoyen dans le cadre de la
souveraineté nationale. Elle permet aussi de souligner qu’à travers les siècles, la
conception de la citoyenneté définie par des droits et des devoirs n’a pas varié en
France. Cependant, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, un organe
nouveau, le Conseil constitutionnel, valide la conformité des lois avec les
principes constitutionnels. La Constitution s’inspire aussi des droits économiques
et sociaux définis par l’Assemblée nationale constituante en 1946. Ceux–ci sont
très largement empruntés au programme rédigé par le Conseil National de la
Résistance le 15 mars 1944. Leur mention rappelle le rôle majeur du général de
Gaulle et de la Résistance dans le retour et l’approfondissement de la démocratie
en France. La Constitution présente toutefois des originalités très marquées. Elle
instaure, en effet, de nouvelles relations entre les pouvoirs dont la séparation se
Ve République (79,26 % des suffrages
exprimés), les Français tirent définitivement
un trait sur une IVe République mal aimée,
et ce en partie de manière injuste au regard
de l’Histoire.
Ces deux votes, qui s’inscrivent dans des
contextes historiques exceptionnels, la
Libération et la guerre d’Algérie, n’ont
pourtant rien d’épidermique. Ils soulignent
surtout combien, depuis les années 1930, le
modèle républicain français est en quête
d’adaptation aux nouvelles donnes mondiale
et nationale. Certes, la Guerre froide divise le
paysage politique français. Mais au-delà de
ces fractures bien réelles, il y a
fondamentalement la recherche de nouveaux
équilibres entre une société française en
pleine mutation et la Politique (philosophies
et modèles, systèmes institutionnels et forces
politiques).
De ce point de vue, la Libération peut être
considérée comme une occasion manquée
tant les changements apportés au système
politique n’ont pas répondu aux attentes des
Français ni d’ailleurs aux défis des temps
nouveaux. En effet, le grand souffle
rénovateur s’est rapidement brisé sur les
masses de granite de la tradition républicaine
française telle qu’elle s’était progressivement
forgée depuis la fin du XIXe siècle. La
Résistance ne parvient pas après guerre à
traduire politiquement cette aspiration au
changement qu’elle porte pourtant en elle.
Aussi, à l’exception notable du Mouvement
républicain populaire – d’inspiration
démocrate chrétienne –, aucune grande
formation politique issue de la Résistance ne
voit durablement le jour.
Quant au général de Gaulle, il se refuse
initialement à former autour de sa personne
un grand parti susceptible de promouvoir une
véritable transformation du champ politique.
Et, lorsqu’il lance finalement le
Rassemblement du peuple français en avril
1947, il est déjà trop tard. Le RPF, qui prône
une réforme radicale des institutions
désormais en place, est même considéré par
ses rivaux politiques comme un parti factieux
et anti-républicain, du moins au sens d’une
république organisée sur le modèle d’un
régime d’assemblée.
UN REGIME MAL AIME
Dans ces conditions, la IVe République se
trouve, dès 1947, en butte à l’hostilité
irréductible des deux principales formations
politiques du pays – PCF et RPF recueillent
respectivement 26 et 21,7 % des suffrages
exprimés aux élections législatives de juin
1951 –, qui mettent en avant leurs propres
modèles politico-institutionnels, ce qui pose
la question de l’adhésion des Français à ce
régime. Ces derniers ont, il est vrai, approuvé
cette constitution de guerre lasse lors du
référendum du 13 octobre 1946 (53 % des
suffrages exprimés mais pour seulement 36
107
fait plus nette. L’exécutif est renforcé ; l’activité parlementaire fortement
encadrée. Entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif s’établit un
déséquilibre inverse à celui qui existait antérieurement. Le parlementarisme
classique à l’oeuvre sous les régimes républicains précédents est abandonné :
c’est la fin de la « république des députés ». L’idée de renforcer l’exécutif en
affirmant la primauté présidentielle n’est pas nouvelle. Elle s’était déjà fortement
exprimée dans les milieux de la Résistance, y compris à gauche, et dans le
discours prononcé par le général de Gaulle à Bayeux le 16 juin 1946. La
conjoncture politique de l’époque n’avait pas permis de l’imposer. La crise de la
IVe République crée les conditions favorables à la mise en place d’un État plus
fort, que de Gaulle veut garant de l’unité nationale et dégagé du jeu des partis,
qu’il juge source de divisions et de paralysie. La réforme de 1962 donne au
nouveau régime toute son originalité et à la Constitution tout son sens. Elle
accentue le présidentialisme du régime. Le développement de nouvelles pratiques
liées à l’essor de la culture de masse favorise aussi cette orientation. Les
présidents de la République, le général de Gaulle le premier, ont fait de leurs
interventions télévisées des moments majeurs de la vie politique française. Cette
pratique offre une entrée pertinente pour faire comprendre aux élèves, selon une
approche concrète, l’imbrication des champs du politique, du social et du culturel.
À cet égard, l’un et l’autre sujet d’étude se prêtent bien à dévoiler l’articulation
entre question obligatoire et sujet d’étude et à ouvrir ainsi une problématique
intéressante.
Devenu le représentant direct de la nation, le chef de l’État est le seul acteur
institutionnel élu par l’ensemble des citoyens. Sa légitimité est plus grande que
celle de chaque député, élu par le corps électoral d’une circonscription.
L’affirmation de son irresponsabilité politique et son pouvoir de dissoudre
l’assemblée nationale lui confèrent une position prééminente au sein des
institutions. S’il est évident pour le général de Gaulle que le président est la clef
de voûte du système politique, le texte de la constitution est, cependant, plus
ambigu sur le partage des responsabilités entre le chef de l’État et le Premier
ministre : ce n’est qu’ultérieurement que cette ambiguïté se révélera.
Au total, la nouvelle République présente un visage inédit, incluant des éléments
parlementaires et présidentiels : on a pu parler « d’un régime semi-présidentiel ».
C’est un changement important dans la tradition républicaine française qui le plus
souvent a identifié la démocratie au seul parlementarisme.
Le régime fonctionne sans à-coup grave durant la période gaullienne, les
septennats de George Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing et les premières
années de la présidence de François Mitterrand. La crise de mai 1968, et la
démission brutale du général de Gaulle l’année suivante, l’arrivée d’un nongaulliste à l’Élysée (1974) et l’alternance qui porte la gauche au pouvoir en 1981
démontrent la solidité des institutions. Cette période voit le renforcement
d’évolutions apparues antérieurement : le présidentialisme, la bipolarisation de la
vie politique, le poids du Conseil constitutionnel.
L’importance de l’élection présidentielle de 1981 mérite que l’on s’y arrête.
L’élection d’un socialiste, à la présidence de la République constitue, en effet, un
tournant dans la vie politique française. Pour la première fois, sous la Ve
République, l’alternance droite/gauche est réalisée. Des réformes importantes
sont menées dès 1981 (abolition de la peine de mort, autorisation des radios
libres). La loi de décentralisation (1982) transfère aux régions une partie des
compétences dévolues à l’État. C’est aussi avec la victoire de la gauche qu’est
relancé, avec la politique de nationalisations, le débat sur la place de l’État dans
l’économie et la société. Elle suscite l’apparition en contrepoint d’un courant de
pensée favorable aux privatisations des grandes entreprises du secteur public. Les
élections législatives de 1986 introduisent un nouveau paramètre. Pour la
première fois dans l’histoire institutionnelle de la Ve République, la majorité
parlementaire ne coïncide pas avec la majorité présidentielle. Cette situation
contraint le président de la République à la cohabitation. En introduisant une
véritable dyarchie au sommet de l’État, cette expérience répétée en 1993 et 1997,
remet en cause l’orientation présidentialiste du régime engagée depuis 1958.
Mais elle montre aussi la capacité d’adaptation des institutions. La volonté
collective de redonner au pouvoir présidentiel sa prééminence au coeur du
système institutionnel a conduit à l’instauration du quinquennat (référendum de
2000) et à l’inversion du calendrier électoral ; les élections présidentielles se
déroulant désormais avant les élections législatives.
Une redistribution de l’électorat et des partis politiques accompagne ces
% des inscrits), après avoir repoussé – fait
unique dans l’histoire constitutionnelle
française – un premier projet proposé par
l’Assemblée nationale constituante. Le
renouveau institutionnel espéré n’est donc
pas au rendez-vous, pas plus dans les textes
que dans la pratique puisque le «
parlementarisme rationalisé » que veut
incarner la IVe République aboutit à 24
gouvernements entre 1947 et 1958, soit une
durée moyenne de gouvernement d’à peine
six mois contre huit pour la précédente
République.
Durant ces années, au cours desquelles
s’accomplit pourtant une remarquable œuvre
de redressement économique, la IVe
République demeure mal aimée des Français
et ce, malgré quelques figures
emblématiques populaires comme Antoine
Pinay et Pierre Mendès France. Le
phénomène mendésiste illustre parfaitement
ce profond désir de changement du système
politique des Français, qui ne sont au
demeurant pas tous mus par le souci de
modernité. Les importantes mutations
économiques et sociales en cours engendrent
également des votes protestataires, fruits de
réflexes de repli identitaire et de peurs face à
un avenir incertain. La poussée poujadiste
(11,4 % des suffrages exprimés), lors des
élections législatives de janvier 1956, en
témoigne notamment.
La guerre d’Algérie constitue pour la IVe
République le facteur aggravant décisif qui a
précipité sa chute. En effet, elle se montre
incapable de trouver une solution à un conflit
qui, depuis 1956, voit les appelés du
contingent combattre le FLN. À cette
absence de perspective de sortie politique et
militaire s’ajoute la question morale soulevée
par les méthodes employées pour la
pacification – notamment la torture – et
couvertes par les gouvernements français.
L’AVENEMENT DU GAULLISME
La crise de mai 1958 et l’avènement de la Ve
République marquent incontestablement la
seconde opportunité d’une véritable
modernisation de la vie politique française,
mais selon des conceptions politiques et
institutionnelles en rupture avec celles de
1946. Toutefois, tant les modalités du retour
au pouvoir du général de Gaulle que
l’organisation des pouvoirs publics mise en
place par la nouvelle République demeurent,
au cours des années suivantes, très critiquées
par la gauche et l’extrême gauche.
Il est vrai que, si le régime se veut
parlementaire au sens où le gouvernement est
responsable devant le Parlement, ce dernier
voit ses pouvoirs considérablement réduits.
C’est désormais le président de la
République qui est la clé de voûte du
système, d’autant que la pratique
institutionnelle du général de Gaulle conduit
à établir la prépondérance du président de la
108
évolutions des décennies 1980 et suivantes. À gauche, ces évolutions sont
marquées par le recul du Parti communiste, l’émergence d’un courant écologiste
et la poussée de l’extrême-gauche. A droite, la montée et l’enracinement électoral
de l’extrême-droite (Front National) témoignent notamment de la radicalisation
de certains thèmes dans l’opinion (immigration, sécurité). Les années 1980-1990
sont aussi celles d’une crise du système représentatif. Le « choc du 21 avril 2002
» en révèle certains aspects : émiettement des forces politiques, développement
d’un vote protestataire, progression de l’abstentionnisme. Les élections
présidentielles de 2007 ne confirment pas les évolutions en matière
d’abstentionnisme : elles ramènent les Français sur le chemin des urnes. »
LA REPUBLIQUE SANS DE GAULLE ?
L’écrasante victoire des gaullistes (réorganisés au sein de l’Union pour la défense
de la République) lors des élections législatives de juin 1968 – ils obtiennent la
majorité absolue des sièges – ne peut cependant pas cacher le divorce croissant
entre le général de Gaulle et une « majorité silencieuse » de Français, mue par un
réflexe de peur et qui a massivement rejeté les manœuvres des partis de gauche
lors de cette crise. L’échec du référendum d’avril 1969 et la démission de la
présidence de la République de Charles de Gaulle ne marquent toutefois que la
rupture officielle entre un homme hors catégorie sur la scène politique française
et ses concitoyens. La Ve République, elle, perdure.
Pour preuve, la victoire facile au second tour de l’élection présidentielle de juin
1969 (58,21 % des suffrages exprimés) du gaulliste Georges Pompidou sur le
centriste Alain Poher, symbole d’un passé politique révolu. À travers
l’enracinement définitif de l’élection du président de la République au suffrage
universel direct, c’est bien l’ensemble des institutions de la Ve République qui a
été de nouveau approuvé par les Français.
Mais, si la continuité l’emporte, le nouveau président doit adapter sa fonction et
les pouvoirs qui lui sont conférés à une pratique moins « gaullienne ». Certes,
l’État – gaullisme oblige – demeure une notion quasi sacrée, l’institution qui
garantit les Français contre eux-mêmes, contre les dangers de l’individualisme
triomphant ainsi que contre leurs traditionnelles divisions, et ce, autour de
l’intérêt général de la nation. Il s’efforce néanmoins de mieux prendre en compte
les aspirations des Français au « bonheur » (société de consommation et des
loisirs) et de rapprocher les pouvoirs des citoyens (simplification des procédures
administratives et création du médiateur de la République ; déconcentration plus
que décentralisation et timide réforme régionale de 1972).
Du point de vue politique, le président Pompidou doit ouvrir sa majorité afin de
l’asseoir durablement. La politique d’ouverture qu’il conduit avec son Premier
ministre, Jacques Chaban-Delmas, permet ainsi le ralliement d’une partie des
centristes réunis autour de Jacques Duhamel, qui forment le troisième pilier de la
majorité présidentielle. Quant à la gauche, il lui faut désormais tenir compte de la
survie du régime à la disparition de son charismatique fondateur. La logique
majoritaire la pousse elle aussi à s’unir, au moins tactiquement. Le parti socialiste
(fondé en 1969 à partir de la SFIO) sous la houlette de François Mitterrand, le
PCF et l’aile gauche des radicaux (MRG) signent à cette fin en juillet 1972 un «
programme commun de gouvernement » fondé sur un renforcement du rôle de
l’État en matière économique et sociale. Les élections législatives de mars 1973
marquent un net progrès – malgré la défaite – dans le sens de la conquête du
pouvoir par la gauche, qui devra néanmoins patienter jusqu’en 1981.
UNE PERIODE FONDATRICE
Les Trente Glorieuses n’ont pas, en elles-mêmes, constitué une étape
singularisable dans l’histoire politique française mais un moment au cours duquel
le processus d’adaptation de la démocratie française aux réalités de son temps
s’est accéléré. Deux Républiques ont été nécessaires pour parvenir à de nouveaux
équilibres – jamais définitifs – entre une société française en pleine mutation, ses
institutions et sa classe politique. Toutefois, de manière peut-être paradoxale, la
crise économique et sociale des années 1970 et 1980 ne conduit pas à la remise
en cause des institutions de la Ve République qui demeure le cadre dans lequel
les forces politiques en présence avancent leurs projets de solutions pour en
sortir.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
République sur le Premier ministre Michel
Debré (1959-1962) au sein de l’exécutif. La
réforme de l’automne 1962 sur l’élection du
président de la République au suffrage
universel direct donne même à cette lecture «
présidentialiste » de la Constitution, rendue
possible jusqu’ici grâce au prestige personnel
du Général, la légitimité populaire
indispensable à ses futurs successeurs. Pour
les tenants de la conception traditionnelle de
la République française, qui accorde au
Parlement un rôle central, la défaite est totale
et signifie que la parenthèse gaullienne ne
sera plus refermée avec le dénouement de la
guerre d’Algérie.
Les élections législatives du mois de
novembre 1962 accentuent encore le
mouvement – engagé avec la réintroduction
du scrutin d’arrondissement en 1958 – de
bipolarisation droite-gauche, qui s’affirme
pleinement lors des élections présidentielles
de 1965. Dès lors la vie politique française
est dominée, au cours des années 1960, tant
par la contestation du pouvoir gaullien – non
seulement de son action mais aussi, pour
certains, de sa légitimité – que par les
recompositions multiples de l’opposition. Le
MRP et certains « modérés » fondent le
Centre démocrate tandis que la gauche non
communiste, en dépit de ses profondes
divergences, se rassemble tant bien que mal
dans la Fédération des gauches démocrate et
socialiste. Le parti gaulliste, l’Union pour la
nouvelle République, allié aux Républicains
indépendants de Valéry Giscard d’Estaing,
dispose quant à eux de la majorité absolue
des sièges à l’Assemblée nationale, ce qui
donne au gouvernement de Georges
Pompidou (1962-1968) une certaine marge
de manœuvre dans son action.
Toutefois, après le premier coup de semonce
du ballottage du général de Gaulle lors de
l’élection présidentielle de décembre 1965,
les élections législatives de mars 1967
marquent une nouvelle étape dans l’érosion
du pouvoir gaullien puisque la majorité
présidentielle n’est reconduite que d’extrême
justesse. La crise de mai-juin 1968 ne fait
que confirmer cette désaffection. Certes, le
malaise s’avère commun aux pays
industrialisés. Mais cette crise révèle tout
particulièrement le décalage croissant entre «
l’exercice solitaire du pouvoir » par le
Général et les générations du baby-boom, qui
critiquent, non sans contradictions, le monde
de leurs aînés : société de consommation,
inégalités, morale traditionnelle,
autoritarisme et hiérarchies rigides au sein de
la société (famille, école, travail, etc.).
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
109
HC – Population et société en France depuis 1945
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Rioux Jean-Pierre, Sirinelli Jean-François, Le XXe siècle, t. 4 Le Temps des masses. Histoire culturelle de la France, Seuil, 1998,
400 p.
Rioux Jean-Pierre, Sirinelli Jean-François (dir.), La Culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui, Fayard, 2002,
446 p.
J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli (dir.), La France d’un siècle à l’autre, 1914-2000. Dictionnaire critique, Hachette Littératures, Paris,
1999 (nombreux articles d’histoire sociale et culturelle).
Sirinelli J.-F., Les Baby-Boomers. Une génération (1945-1969), Fayard 2003, Hachette Littératures, coll. « Pluriel », 2007.
Sirinelli J.-F. , Les Vingt Décisives. Le passé proche de notre avenir (1965-1985), Fayard, 2007.
Les volumes de la Nouvelle histoire de la France contemporaine de la collection « Points Seuil » proposent des chapitres
thématiques sur les grandes évolutions économiques, sociales et culturelles :
J.-P. Rioux, La France de la Quatrième République, tome 2 : L'expansion et l'impuissance (1952-1958), Le Seuil, Points, 1983.
J.-J. Becker (avec P. Ory), Crises et alternances 1974-1995, Seuil, Paris, 1998.
S. Berstein (avec J.-P. Rioux), La France de l’expansion, t. 1 et 2, Seuil, Paris, 1995.
Eck Jean-François, Histoire de l’économie française depuis 1945, Armand Colin, (1995) 2003, 208 p., coll. «Cursus ».
ECK Jean-François, La France dans la nouvelle économie mondiale, Paris : PUF, 1998.
Mollard C., Le 5e Pouvoir. La Culture et l’État de Malraux à Lang, Armand Colin, 1999.
Schor R., Histoire de la société française au XXe siècle, Belin Sup Histoire, 2004.
Guillaume Pierre, Histoire sociale de la France au XXe siècle, Masson, 1993.
A. Gueslin, L’État, l’économie et la société française XIXe-XXe siècle, coll. « Carré Histoire », Hachette, Paris, 1997.
A. Gueslin, Puissance et faiblesses de la France industrielle XIXe-XXe siècle, « Points Histoire », L’Histoire-Seuil, 1997.
GUESLIN André, L'Économie ouverte 1948-1990. Nouvelle histoire économique de la France contemporaine (Vol. 4), Paris : La
Découverte, (1989) 1994.
Barrière Jean-Paul, La France au XXe siècle, Hachette Supérieur, 2000.
Baverez Nicolas. Les trente Piteuses, Flammarion, 1998.
Beltran Alain, Un siècle d’histoire industrielle en France, Industrialisation et Sociétés. 1880-1970, SEDES, 1998.
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Fernandez Alexandre, L’économie française depuis 1945, Hachette Supérieur, 2001.
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Fourastié Jean, Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975, Hachette, (1979) 2004, 288 p., coll. « Pluriel ».
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110
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M. WINOCK, Le Siècle des intellectuels, Le Seuil, 1997.
L’État de la France 2007-2008, La Découverte, Paris, 2008.
L’État des inégalités en France, Paris, Belin, 2007.
Documentation Photographique et diapos :
Borne Dominique, « La société française. Années 1930-1990 », La Documentation photographique, juin 1996, n° 7035.
Azria Régine, «Le fait religieux en France », La Documentation photographique, 2003, n° 8033.
Blanc-Chaléard Marie-Claude, « Les immigrés et la France. XIXe-XXe siècles », La Documentation photographique, 2004, n°
8035.
Revues :
Fridenson, Patrick, «Tendances actuelles des recherches en France sur l’histoire économique et sociale de la période
contemporaine », Historiens et Géographes, n° 378, mai 2002, pp.181-188. Ce numéro ainsi que le n° 380, octobre 2002, sont
consacrés à l’Histoire économique.
Les Trente Glorieuses, La France de la prospérité, Éric Bussière ; Émilie Willaert, TDC n°93, avril 2007
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
L'histoire économique française est aujourd'hui tiraillée entre la notion de Trente
Glorieuses (Jean Fourastié) et l'obsession récente d'un éventuel déclin de la
France (Nicolas Baverez, La France qui tombe, Perrin, 2003) ou de la nécessaire
réforme de l'État (Marseille, la Guerre des deux France, celle qui avance et celle
qui freine, Pion, 2003). Dans ce chapitre qui porte sur la période 1945 à nos jours,
il importe surtout d'insister sur la modernisation des structures économiques de la
France d'abord encadrée par l'État et le Plan puis par les nouveaux patrons.
L'histoire sociale et culturelle de la France a bénéficié de travaux récents qui
mettent en lumière l'émergence d'une culture de masse portée par une nouvelle
génération : les baby boomers (Sirinelli) tout à la fois bénéficiaires de la
croissance et porteurs de la contestation de la fin des années 1960.
L'approfondissement de la civilisation des loisirs pourra être étudié au travers des
travaux de A. Corbin, L'Avènement des loisirs 1850-1960, Aubier, 1995 et de A.
Rauch, Vacances en France de 1830 à nos jours, Hachette, 1996.
L’économie française s’est internationalisée et la société française présente
désormais de nombreuses similitudes avec les autres sociétés européennes. On a
vu ainsi s’affirmer depuis la guerre un phénomène de « convergence des sociétés
européennes », que l’historien allemand Harmurt Kaelble fait remonter au début
du XXe siècle. En perdant ses attaches paysannes, la société française se
rapproche des autres sociétés industrialisées. À partir des années 1960, la France
entre, comme ses partenaires, dans l’ère de la société de consommation de masse
et des loisirs. Parallèlement, « l’Europe rattrape la France » (Gérard Noiriel) :
tous les pays d’Europe occidentale enregistrent une chute de leur fécondité, et
certains deviennent à leur tour des pays d’immigration. La tertiarisation des
économies contribue à homogénéiser les caractéristiques sociales des différents
pays. La crise des années 1970 accélère cette évolution car, partout en Europe,
elle ébranle les structures du monde du travail qui s’étaient édifiées lors des deux
phases d’industrialisation successives. Enfin, en France comme en Europe, l’Étatprovidence, qui a été mis en place au lendemain de la guerre (quoique les
modalités soient différentes selon les pays), entre en crise à partir des années
1980. Pour le sociologue Henri Mendras, les bouleversements économiques et
sociaux qui se sont produits depuis la guerre ont pris l’allure d’une « seconde
Révolution française ». Cette « révolution » se caractérise selon lui par «
l’émiettement des classes » (« fin des paysans », désagrégation de la classe
ouvrière, promotion des classes moyennes salariées), et par la « désacralisation »
des grandes institutions sociales (famille, école, armée, Église, syndicats) par
rapport auxquelles les individus se sont affranchis. L’essor de la culture de masse
doit être analysé en liaison avec ces grandes évolutions sociales : « Aujourd’hui,
écrit Henri Mendras, les pratiques culturelles se distribuent dans toutes les
catégories de la société. Il n’y a plus de cultures de classes, totalitaires et
cohérentes, englobant tous les aspects de la vie, s’affrontant l’une à l’autre… La
seule catégorie qui se distingue nettement des autres est celle des jeunes entre
quinze et trente ans », ce qui justifie l’intérêt que l’historiographie récente a
accordé à l’histoire des « babyboomers » et à la culture de masse.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO Tle STG : « Les classes moyennes
La première difficulté avec ce thème est la
définition des « classes moyennes ». Le
pluriel pour les désigner rappelle leur
hétérogénéité qui rend difficile une
définition. Les classes moyennes sont «
moyennes » dans le sens de « milieu » entre
les deux classes extrêmes de la société, la
grande bourgeoisie et le prolétariat (la classe
ouvrière). Le petit commerçant, l’artisan, les
professions libérales constituent les
principales couches de la classe moyenne
indépendante. Les employés, les
fonctionnaires, les techniciens et les
ingénieurs (les cadres) constituent la classe
moyenne salariée. On pourrait intégrer la
paysannerie dans les classes moyennes mais
on s’en tiendra aux classes moyennes
urbaines.
Ce qui caractérise les classes moyennes après
la Seconde Guerre mondiale, en France et
dans tous les pays industrialisés, c’est leur
massification, notamment en ce qui concerne
la couche salariée. Le facteur essentiel en est
le développement de l’État providence et
l'émergence ou le développement de
nouveaux secteurs du tertiaire (banque,
assurance, publicité, etc.). Les classes
moyennes ont été, au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, un creuset de la
mobilité sociale : en effet, de plus en plus
d’enfants d’ouvriers accèdent à la classe
moyenne, tandis que les enfants de la petite
bourgeoisie accèdent à un niveau plus élevé,
grâce à l’enseignement supérieur qui se
démocratise. C’est cette mobilité ascendante
que le ralentissement de la croissance met en
cause. »
111
Accompagnement Tle :
« Ce thème d’étude vise à dégager l’évolution d’ensemble de la démographie, des
structures économiques, du niveau de vie et des modes de vie, au sein desquels
s’inscrivent le fait religieux et les pratiques culturelles. Il se nourrit de l’analyse
de données statistiques et de faits et témoignages signifiants. Le repérage des
rythmes et des inflexions aide les élèves à maîtriser cette évolution ; ainsi
l’installation structurelle du chômage à partir de 1975 (890 000 personnes et un
dépassement du seuil de 3 %) dessine-t-elle peu à peu un nouveau paysage social,
politique et culturel. La césure de la décennie 1970 ne se révèle pas
systématiquement pertinente : des mutations sociales entamées durant les années
1960 l’enjambent, le PIB par habitant s’accroît autant entre 1973 et 2001 qu’entre
1950 et 1973.
La croissance est l’un des maîtres-mots de l’analyse : elle vaut pour l’espérance
de vie et la population – qui augmente de 19 millions entre 1946 et le début du
XXIe siècle, soit nettement plus que de 1700 à 1950 –, la productivité et la
production, le niveau de vie et la consommation, la formation, dont la
prolongation transforme le niveau moyen d’études et de qualification de la
population. La productivité apparaît comme une clé et un emblème du
changement : en 1973, un actif occupé crée 20700 dollars constants de plus qu’en
1950 ; en 1998, il en crée 18770 de plus qu’en 1973.
Ce dernier trait contribue à dessiner une nouvelle France du travail. Il en est
d’autres : recul du travail indépendant, augmentation de la population active,
diminution de la durée du travail (à nuancer selon les périodes et les catégories),
redistribution des activités collectives. D’une répartition presque égalitaire en
1954 : 6,4 millions d’actifs dans l’agriculture, 6,7 millions dans l’industrie et 7,1
millions dans les services, on passe à la ventilation hiérarchisée du début du XXIe
siècle et à ses 16,5 millions d’actifs dans les services. C’est la population
employée dans l’industrie qui connaît l’évolution la plus heurtée, atteignant son
apogée historique en 1973 puis diminuant de 3 millions en trente ans. Un tel
contraste attire l’attention sur la rapidité – voire la brutalité – des changements et
sur l’importance de la chronologie. Bien des phénomènes possèdent la même
caractéristique : les modes de gestion et de management des entreprises
successivement dominés par le modèle du fordisme puis par celui du toyotisme,
la place des femmes sur le marché du travail d’abord en net repli puis en
expansion, la géographie des espaces productifs industriels ou encore l’appel aux
travailleurs immigrés. Ce dernier est massif et multiforme dans les décennies
d’après-guerre (nourrissant le second grand flux migratoire de l’histoire de
France : 1,7 million d’étrangers en 1954, 3,4 millions en 1975) puis se tarit dans
les années 1970, sous le double effet du retournement de conjoncture et de
l’arrivée de classes d’âge nombreuses sur le marché du travail ; il cède alors la
place à une immigration de regroupement familial. Immigration, arrivée des
rapatriés, croissance naturelle, exode rural et mutation de l’appareil productif,
tout se conjugue pour favoriser les villes. Pour faire face, l’urbanisation est
d’abord majoritairement verticale, avant de s’épandre en vastes nappes
pavillonnaires – 230 000 maisons individuelles sont construites en 1977. Elle
donne naissance à de nouvelles manières d’occuper le territoire et à de nouveaux
paysages, comme le font aussi l’avènement des hypermarchés à partir de 1963, la
modernisation des infrastructures de transport ou l’équipement des littoraux. Pour
valoriser l’espace national, orienter les phénomènes qui l’affectent et établir une
certaine équité spatiale, une politique d’aménagement du territoire est officialisée
dès 1950 et assurée de manière volontariste jusqu’au début des années 1970 ;
c’est l’un des aspects du renforcement du rôle de l’État, si sensible depuis les
années 1930. Si un nouveau paradigme s’affirme ensuite en matière
d’aménagement, l’idée elle-même n’est pas abandonnée. Ce nouveau rapport aux
lieux est l’un des facteurs ayant modifié les choix et les modes de vie, marqués
par une mutation proprement inimaginable au sortir de la guerre. Celle-ci affecte
la structure familiale, la place et la situation matérielle des plus âgés et, dans un
autre registre, la consommation, le confort de l’habitat, l’équipement matériel,
l’ampleur des déplacements de toute nature, etc. L’amélioration du niveau de vie
des plus de soixante/soixante-cinq ans constitue l’un des tournants les plus nets ;
à la fin du siècle, c’est au sein d’autres groupes que vit la majorité des exclus :
jeunes de quinze à vingt-cinq ans, femmes à la tête d’une famille
monoparentale…
La mutation affecte aussi le rapport de la société au religieux. Au sortir de la
112
guerre, rares sont les régions coupées des traditions chrétiennes. Ainsi l’Église
catholique baptise-t-elle neuf enfants sur dix et marie-t-elle huit couples sur dix
dans les années 1950. L’après-guerre apparaît même comme l’un des apogées du
catholicisme français, ce que reflète plus tard l’intérêt suscité par le concile
œcuménique Vatican II. Mais l’érosion de la place du religieux est manifeste au
fil des trente glorieuses. Compte tenu de sa position dominante, le catholicisme
est le plus touché, et la crise qui l’affecte à partir des années 1960 retentit sur tout
le dispositif social, symbolique et spirituel. À la suite de ces évolutions et de
nombreuses autres, le paysage religieux français contemporain apparaît contrasté
et fluctuant : le judaïsme et l’islam, renouvelés par des apports migratoires, se
sont donné une plus grande visibilité communautaire ; les Églises chrétiennes,
ébranlées, demeurent une instance de transmission et d’activité caritative sans
beaucoup d’équivalents dans la société civile ; l’émergence de nouveaux courants
spirituels ou, dans un tout autre registre, le succès de l’ésotérisme, de la voyance
ou de l’astrologie manifestent une religiosité diffuse, une recherche d’équilibre et
des besoins de certitudes ; la modernité est soumise à un questionnement inquiet.
Autre trait majeur du second XXe siècle : la montée en puissance d’une culture
de masse fondée sur le son et l’image, qui concourt à la dislocation des cultures
closes (celles des terroirs et des groupes socioprofessionnels) et à
l’uniformisation de la société.
Caractérisée par la consommation en très grand nombre de spectacles et d’objets
culturels identiques, elle se diffuse par de multiples canaux. Mais c’est avec la
télévision qu’elle entretient les rapports les plus étroits : ils font de cette dernière
le média souverain de la période, même s’il est loin d’être hégémonique : en 1963
et 1964 deux tiers des quatorze/vingt ans lisent le mensuel Salut les copains, de
1958 à 1978, la radio triple son parc. Dans ce contexte, la culture « cultivée» est
l’objet d’une évolution ambiguë : nombre de ses vecteurs (enseignement
secondaire et supérieur – en 1936, 2,7 % d’une classe d’âge obtient le
baccalauréat pour 20 % en 1970, 36 % en 1989 et 63 % en 1995 –, livres, revues
de haute vulgarisation, expositions, etc.) et de ses thématiques sont plus répandus
qu’avant-guerre ; parallèlement, elle est mise en concurrence et relativisée par la
critique des hiérarchies dont est porteur l’esprit de 1968. Ce contraste n’est que
l’un de ceux dont témoigne l’histoire culturelle contemporaine : culture de masse
mais privatisation des pratiques culturelles permise et encouragée par le progrès
technologique, uniformisation mais constat au fil des enquêtes du maintien de
fortes distinctions culturelles entre groupes sociaux. »
Quels ont été les grands bouleversements de la société et de l’économie
françaises de 1945 à nos jours ?
La France a connu des bouleversements économiques et sociaux identiques à
ceux de l’ensemble des pays capitalistes, avec des spécificités que nous nous
efforcerons de mettre en lumière dans ce chapitre.
Le cadre chronologique du programme peut-être découpé en plusieurs périodes
bien distinctes : période de la reconstruction (1944-1950), essor des Trente
Glorieuses (1950-1973), puis croissance dépressive à partir de 1973.
Ce découpage, très économique, doit être affiné si l’on veut mettre en valeur les
changements socio-culturels qui affectèrent la France. À cet égard, les années
1960 sont très importantes : essor de la consommation de masse, plein-emploi,
émergence des cadres, crises des mondes ouvriers et paysans, propagation de la
culture jeune qui se cristallise autour du phénomène « yéyé », déclin accéléré des
pratiques religieuses, émancipation accélérée des femmes, crise de mai 68, etc.
Cette décennie fut le cadre de ce qu’Henri Mendras appelle la Seconde
Révolution française (1988).
Après la guerre, la France entre de plain-pied dans la croissance, et devient une
société de consommation, où les loisirs et la communication prennent chaque jour
davantage de place. Cette nouvelle donne entraîne une modification des pratiques
culturelles des Français ; en l’espace de deux générations, les croyances et les
pratiques religieuses se renouvellent. En outre, les Français découvrent et
adoptent de nouveaux loisirs, et privilégient certains médias comme la télévision,
ou plus récemment Internet. La notion de travail est fréquemment interrogée,
surtout à partir des années 1970 quand le chômage se propage et s’installe
durablement en France. Les jeunes et les femmes sont des acteurs importants des
changements que connaît le pays. Ils acquièrent entre 1945 et nos jours une
visibilité sans précédent, ce qui ne va pas sans entraîner d’importants
bouleversements culturels et politiques.
113
Quelles sont les caractéristiques du « modèle » français ?
Le modèle français repose sur deux piliers : le poids de l’État d’un côté, et de
l’autre l’idée d’une « exception culturelle » à sauvegarder. Par ailleurs, certaines
questions de société sont récurrentes sur la scène politique française, pensons en
particulier aux débats et aux interrogations autour de l’immigration ou de l’école.
En quoi le « modèle » français semble-t-il menacé ?
Au-delà les discours sur le « déclin » ou quelque « décadence » du pays, il faut
tenter de dresser un état des lieux objectif des difficultés auxquelles la France est
confrontée : ralentissement de la croissance, persistance du chômage, creusement
des déficits publics, déficit de la sécurité sociale, interrogations nombreuses sur
les inégalités grandissantes, sur le rôle de l’école ou l’américanisation de la
culture française, etc. Les sujets de réflexion ne manquent pas !
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
I. Les Trente Glorieuses
Période de croissance jamais égalée, les Trente Glorieuses (1946-1975) furent
marquées par un processus exceptionnel de modernisation de l’économie et de
transformations sociales.
Durant trente années, les pays industrialisés ont connu une croissance sans
précédent, un formidable essor des échanges et de la consommation, immortalisés
par Jean Fourastié sous le terme de « Trente Glorieuses ». L’économiste décrit
dans son ouvrage Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à
1975 (Fayard, 1979) deux villages, Madère et Cessac, que tout oppose : la
répartition sectorielle de la population active, le niveau d’équipement ou encore
la productivité (voir Focus). À travers cet exemple, l’auteur étudie les
bouleversements qui transformèrent le pays en profondeur durant cette période.
Un modèle économique original
La France connaît, en effet, de réelles mutations entre le début des années 1950 et
1975. Dans le prolongement des réflexions de l’entre-deux-guerres puis de celles
de la Résistance, l’ambition des responsables politiques à la Libération est
nettement orientée vers la modernisation du pays et l’augmentation de la
production. Il s’agit tout à la fois de faire face aux besoins de la reconstruction,
d’améliorer les conditions de vie des citoyens mais aussi de rompre avec la
spirale du déclin dans lequel le pays semblait plongé depuis les années 1930 et la
défaite de 1940. La France accomplit alors un formidable rattrapage économique
qui lui permet de sortir progressivement du marasme, au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, et d’entrer dans l’ère de la société de consommation en ayant
développé considérablement son industrie et modernisé l’ensemble de ses
structures économiques.
Ce nouveau modèle économique se met en place au début des années 1950,
associant impulsions publiques et initiatives privées, effort national mais aussi
emprunts au modèle américain et ouverture sur l’Europe et le monde. Ces
mutations s’accélèrent dans les années 1960, « point d’orgue des Trente
Glorieuses » (Jean-François Sirinelli, Comprendre le XXe siècle français, Fayard,
2005).
Les innovations
La croissance fut, pour l’essentiel, liée aux nouvelles technologies et à la mise en
œuvre de méthodes destinées à accroître la productivité. Le potentiel de la France
en matière de technologie sortait très affaibli de la Seconde Guerre mondiale, du
fait du retard d’investissement lié à la crise des années 1930 puis de l’isolement
du pays vis-à-vis de la recherche internationale durant le conflit. La mobilisation
de l’ensemble des acteurs avait été encouragée par l’État dès l’entre-deuxguerres, et un premier regroupement des structures avait été réalisé à travers la
création du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1939. La
guerre, puis l’après-guerre, voient l’éclosion d’une recherche à large échelle à
travers la création de structures spécialisées tant publiques que privées, parmi
lesquelles l’Institut national de la santé et de recherche médicale (Inserm) en
1941, l’Irsid pour la sidérurgie, l’Institut français du pétrole en 1943, le Centre
national d’études des télécommunications (Cnet) en 1944, le Commissariat à
l’énergie atomique (CEA) en 1945 ou encore le Centre national d’études spatiales
(Cnes) en 1961. Si, d’une manière générale, l’objectif est celui d’un rattrapage
Accompagnement 3e : « Au partage binaire
entre les « Trente glorieuses » et la longue
crise depuis le milieu des années 70, on
préférera l’idée d’une reconstruction
économique jusqu’au début des années 50,
suivie d’une phase de croissance rapide avec
ses déséquilibres, débouchant à partir du
milieu des années 70 sur une période de
croissance ralentie, commodément baptisée
crise, et au cours de laquelle la France a
continué à se transformer très rapidement.
Les mutations sociales et culturelles qu’a
connues notre pays depuis la guerre se
poursuivent à un rythme qui s’est encore
accentué à partir du milieu des années 70. »
Genèse d’une expression
L’économiste Jean Fourastié (1907-1990) est
le témoin privilégié – il a notamment été
conseiller au Commissariat au Plan – des
bouleversements qui touchent la France
après la Seconde Guerre mondiale. Il analyse
ces mutations dans un ouvrage publié en
1979 Les Trente Glorieuses ou la Révolution
invisible de 1946 à 1975. Deux villages
voisins, Madère et Cessac, y sont étudiés.
L’économie et le mode de vie de Madère
restent agricoles et traditionnels : « Tous ses
habitants sont chrétiens […]. La plupart des
autres éléments du niveau de vie et du genre
de vie des habitants de Madère sont restés
très proches de ce qu’ils étaient au XIXe
siècle. » Au contraire, « les habitants de
Cessac ont […] tous les caractères
sociologiques des citoyens d’un pays très
développé. […] Le groupe dominant à
Cessac est tertiaire. » Deux modèles
économiques cohabiteraient donc sur le
territoire français. En fait, ces deux villages
sont fictifs. Dans la réalité, il s’agit du « seul
et même village de Douelle en Quercy saisi à
deux dates différant de trente années et décrit
à l’aide des recensements de ces deux dates :
1946 et 1975. » Grâce à ce procédé
didactique, l’auteur nous fait appréhender la
formidable révolution économique et sociale
de cette période.
114
par rapport aux États-Unis, à travers la mise en place de technologies nationales
qu’illustrent la filière graphite-gaz dans le domaine du nucléaire civil ou le Secam
pour la télévision, l’appui américain joue un rôle majeur et efficace par
l’acquisition de licences pour des secteurs comme l’aéronautique. L’emprunt aux
méthodes d’outre-Atlantique se révèle également important en matière
d’organisation de la production et des entreprises. C’est ainsi qu’une réflexion
associant l’ensemble des partenaires économiques et sociaux aboutit à la création
de l’Association française pour l’accroissement de la productivité, qui organise, à
partir de 1948, plus de 250 missions aux États-Unis – diffusant ainsi les méthodes
d’organisation scientifique du travail et du management américaines (diminution
du coût de fabrication, augmentation par une pratique de bas prix de la masse de
produits vendus, etc.)
L’internationalisation des échanges
L’ouverture des frontières résulte, d’une part, des discussions sur les tarifs
douaniers du Gatt (General Agreement on Tariffs and Trade, de 1947), mais aussi
de la stabilité monétaire (système de Bretton Woods) et de l’aide américaine
perçue sous forme de crédits ou de dons qui permettent de relancer les
investissements. La construction européenne entraîne la libéralisation progressive
des échanges. Les organismes de coopération comme l’OECE (Organisation
européenne de coopération économique), qui regroupe les pays bénéficiaires de
l’aide Marshall, engagent le processus de coopération européenne. La création de
la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), en 1951, représente
la première étape d’une intégration plus approfondie à l’échelle de l’Europe des
Six. L’union douanière et les politiques communes issues de la mise en œuvre du
Marché commun, incitent, à partir de 1957, les entreprises à augmenter leur
productivité, à être plus compétitives pour faire face à la concurrence et exporter
davantage. La part qu’occupaient les colonies dans le commerce extérieur
français tend à diminuer, et la dimension européenne la remplace peu à peu dans
les priorités fixées par l’État. Toutefois, il faut rappeler que la France connaît un
climat d’inflation quasi permanent qui gêne ses exportations et déséquilibre sa
balance commerciale. Ainsi, de 1948 à 1969, le franc doit subir huit dévaluations
successives.
Une politique volontariste
L’État accompagne la croissance économique. La planification devient le cadre
privilégié dans lequel s’exprime l’association entre les orientations et impulsions
venant des pouvoirs publics, et les initiatives des acteurs économiques.
Progressivement mise en place par le Commissariat général au Plan confié à Jean
Monnet en janvier 1946, elle est indicative et elle est fondée sur une intense
concertation avec l’ensemble des acteurs économiques et sociaux. L’objectif est
clairement la croissance. Résultat : le niveau de production de 1929 – le plus
élevé de l’entre-deux-guerres – est rattrapé en 1948 puis dépassé de 25 % en
1950.
La nation doit se doter d’une série d’outils essentiels à la mise en œuvre d’un tel
programme. Au-delà de motivations politiques évidentes, les nationalisations
relèvent de cet impératif. Le contrôle d’une série de secteurs clés par l’État devait
garantir que les efforts d’investissement, de rationalisation et de modernisation
seraient effectués au profit de l’économie tout entière. Dans le secteur
énergétique, la création des Charbonnages de France (CDF), d’EDF et de GDF
correspondait à ces ambitions. Quant à la nationalisation des sociétés d’assurance
et des quatre grandes banques de crédit – Crédit lyonnais, Société générale,
Comptoir national d’escompte de Paris et Banque nationale de commerce et
d’industrie (BNCI) –, elle visait à doter le pays de moyens de crédit au service de
la croissance. Cette politique fut largement placée entre les mains du ministère
des Finances. Les nationalisations bancaires furent complétées par le
développement d’une série d’institutions financières spécialisées à statut très
réglementé comme le Crédit agricole.
À côté de ces grandes orientations, l’État cherche à consolider certains secteurs
dans lesquels l’intérêt national est en jeu. La convention État-sidérurgie signée en
1966 vise à consolider une activité encore en pleine croissance mais confrontée à
des coûts trop élevés, au surendettement et à des structures trop dispersées. Elle
conditionne les aides publiques à un effort de rationalisation des installations,
d’investissement et à la concentration des entreprises autour d’un pôle lorrain (De
Wendel-Sidelor), d’un pôle centré sur le Nord (Usinor), d’une entreprise
spécialisée dans les aciers spéciaux (Creusot-Loire), puis, au début des années
1970, elle facilite l’implantation de la sidérurgie à Fos-sur-Mer. Une stratégie
115
similaire est également conduite en plusieurs étapes en faveur des chantiers
navals ou du secteur des technologies de pointe. En ce qui concerne
l’informatique, le résultat est plus mitigé. L’État cherche à promouvoir l’industrie
française des calculateurs scientifiques et des ordinateurs avec la mise en œuvre
du plan calcul et le soutien à la Compagnie internationale d’informatique (CII)
constituée en 1967. Il met en œuvre ce programme à travers un ensemble de
crédits et de commandes des administrations étalées sur cinq ans. En 1973, il
ambitionne de développer l’internationalisation de l’informatique française à
travers l’association à la CII des activités informatiques de Philips et de Siemens
au sein d’Unidata. Mais des difficultés aboutissent à l’éclatement du groupe et
favorisent le regroupement de Bull (associé depuis lors à Honeywell) et de la CII
en 1975. Les initiatives sectorielles sont plus efficaces dans l’aéronautique et le
nucléaire. Dans ce premier domaine, l’État a provoqué le regroupement des
constructeurs publics en une grande entreprise nationale, la Snias (Société
nationale industrielle aéronautique), née en 1970. L’acquisition des bases
technologiques est progressivement obtenue à travers les aventures de la
Caravelle puis du Concorde, qui permettent de lancer le programme Airbus en
association avec le partenaire allemand en 1969. En matière de nucléaire civil, la
décision prise en 1969 d’adopter la technologie américaine à uranium enrichi
débouche sur la mise en œuvre d’un vaste programme associant les entreprises
d’outre-Atlantique, plusieurs pays européens, des organismes de recherche, des
entreprises publiques (EDF) et des industriels du secteur privé. Cette
combinaison permet de répondre en partie au défi de la crise énergétique à travers
le lancement d’un programme électronucléaire de large envergure, à partir de
1974.
Les programmes sectoriels impulsés par les pouvoirs publics témoignent tout à la
fois d’une prise en compte des opportunités de la coopération internationale et
européenne, et de pratiques de plus en plus contractuelles dans les relations entre
l’État et les entreprises du secteur public, entre le secteur public et le secteur
privé.
Le financement des entreprises
Pour financer la reconstruction puis la croissance, on fit, dans un premier temps,
largement appel aux ressources publiques dans la mesure où l’autofinancement
des entreprises françaises ne représentait que 12 % de leurs investissements en
1947 et 22 % en 1949. Les financements publics transitèrent pour l’essentiel par
le canal du Fonds de modernisation et d’équipement – pour une part alimenté par
l’aide Marshall – rebaptisé par la suite Fonds de développement économique et
social (FDES). Les établissements bancaires spécialisés furent aussi l’un des
canaux de ce financement (par exemple, le Crédit agricole contribua à la
modernisation de l’agriculture au moyen de crédits à taux réduits). La part de
financement public dans l’investissement productif déclina toutefois au cours des
années 1960 au fur et à mesure que les capacités bénéficiaires des entreprises se
redressèrent. De manière paradoxale, les résultats financiers des entreprises
françaises durant les Trente Glorieuses ne furent jamais à la hauteur des besoins.
La modernisation continue des entreprises ne pouvait donc être assurée que par
l’appel au marché financier et le recours au crédit bancaire. La Bourse fut
toutefois loin d’apporter aux entreprises les ressources nécessaires car, si les
cours se redressèrent durant les années 1950, ils stagnèrent durant les années
1960 entravant ainsi les émissions d’actions. C’est donc par le biais du
financement bancaire que l’investissement fut assuré.
Les réformes engagées dans l’immédiat après-guerre permirent un
développement considérable du crédit à moyen terme (cinq ans), qui devint
l’instrument privilégié du financement de l’équipement industriel du pays. Ces
crédits furent distribués par les banques, qui transformèrent ensuite les dépôts à
vue de leurs clients en crédits à terme aux entreprises : c’était là une nouveauté
par rapport à une tradition de sécurité des placements bancaires établie depuis un
siècle.
Au total, si la croissance fut assise sur un très important effort d’investissement,
elle le fut sur des bases financières peu à peu fragilisées. La spirale de
l’endettement se révéla néfaste aux entreprises y compris les plus importantes,
dont les résultats bénéficiaires, pénalisés par des charges financières alourdies,
compromettaient la tenue du cours en Bourse et la capacité à obtenir des
ressources par cette voie et annonçaient une future crise.
Les nouvelles structures
Ce modèle économique original s’appuie enfin sur la modification des structures
116
des entreprises qui sont au cœur même de la croissance. Leur caractère
relativement dispersé s’estompe au cours des années 1950 sous l’effet des coûts
croissants de la recherche-développement, des économies d’échelle réalisées en
matière d’organisation de la production et de commercialisation. L’État
encourage alors un mouvement de concentration à travers son action dans le
secteur public. La nationalisation du secteur de l’énergie avait lancé le
mouvement avec la création d’EDF-GDF ou de CDF. Dans le secteur pétrolier,
une série d’acteurs publics forment, entre 1945 et le début des années 1970, le
groupe Elf-Erap, qui devient derrière la CFP-Total le second grand acteur
français du secteur. Dans le secteur bancaire, le Comptoir national d’escompte de
Paris et la BNCI fusionnent en 1966 pour créer la Banque nationale de Paris
(BNP). Mais les regroupements furent également importants dans le secteur
privé. La sidérurgie ou les chantiers navals connurent une série de concentrations
réalisées souvent sous la pression de l’État qui conditionna les aides qu’il
accordait à ces branches aux fusions indispensables. Nombre des opérations de
regroupement qui affectèrent l’industrie française durant la période trouvèrent en
réalité leur aboutissement au tournant des années 1970. Ce furent la création de
Péchiney-Ugine-Kuhlman (PUK) dans le secteur de la chimie et des non-ferreux,
le renforcement de Rhône-Poulenc par le rachat d’une partie des actifs de
Péchiney et de Saint-Gobain qui, de son côté, prenait le contrôle de Pont-àMousson. Dans l’automobile, Peugeot racheta Citroën en 1974. Ces
regroupements aboutirent peu à peu à rapprocher les normes des entreprises
françaises, en matière de taille, de celles des entreprises allemandes et
britanniques, traditionnellement plus concentrées.
Les entreprises françaises tendirent à imiter les standards internationaux en
matière de structure d’organisation et de mode de management. La concentration
et la diversification croissante des entreprises les conduisirent à se réorganiser
selon des modèles inspirés des schémas en vigueur aux États-Unis, et que des
consultants comme McKinsey contribuèrent à diffuser. L’on distingua dans les
plus importantes d’entre elles une série de départements fonctionnels en charge
des services communs (finances, département juridique, etc.) et des divisions
opérationnelles en charge des grands secteurs d’activité de l’entreprise. D’une
entreprise à l’autre, la décentralisation fut plus ou moins accentuée, faible dans
les entreprises sidérurgiques, forte à la Compagnie générale d’électricité (CGE)
ou chez PUK, où les divisions autonomes étaient coiffées par un état-major
restreint. En 1970, la structure d’organisation multidivisionnelle avait été ainsi
adoptée par plus de la moitié des cent plus importantes entreprises françaises.
Ces mutations de structures eurent pour conséquence l’évolution de la
composition du patronat. On observe, en effet, l’apparition d’une technostructure
de managers (« les technocrates »). Les entreprises familiales, toujours
nombreuses dans les secteurs peu concentrés, eurent tendance à disparaître du
sommet de la hiérarchie, soit par déclassement de certains secteurs, comme le
textile, soit sous les effets de la concentration, comme dans la sidérurgie.
Quelques familles réussirent pourtant à se maintenir au sommet de la hiérarchie
du monde de l’entreprise, comme les de Wendel qui conservèrent leurs
responsabilités dans la sidérurgie jusqu’à la fin des années 1960, les Michelin ou
les Peugeot. Le plus souvent cependant, la direction des grandes entreprises passa
entre les mains d’états-majors de salariés peuplant les conseils d’administration.
On retrouva progressivement à la tête des entreprises des ingénieurs (les anciens
élèves de l’École polytechnique représentent 20 % des dirigeants des entreprises
entre 1929 et 1973), d’anciens élèves de l’ENA ayant quitté le service public et
des diplômés d’écoles de management réorganisées sur le modèle américain,
comme le fut HEC au cours des années 1960.
Le résultat : la croissance
Exceptionnelle, la croissance est cependant sélective selon les secteurs. Elle
engendre aussi un bouleversement des structures de la société française. La
croissance a été en effet longue, et régulière. En moyenne de 5 % par an, elle a
été plus élevée que celle de la Grande-Bretagne (aux alentours de 3 %) ou des
États-Unis, mais toutefois moins élevée que celle du Japon (aux environs de 10
%) ou de l’Italie (près de 6 %). On note parfois quelques ralentissements de ce
taux (vers 1952-1953 ou encore 1965-1966), en raison des efforts faits pour
contenir l’inflation et stabiliser le franc. Pour expliquer cette croissance, il ne faut
pas négliger le rôle de l’expansion démographique. Conséquence du baby-boom
de l’immédiat après-guerre, de 1946 à 1978, la population française s’est accrue
de 13 millions d’habitants , ce qui entraîne des répercussions sur la demande
117
intérieure. Cette croissance démographique explique en partie l’augmentation
parallèle de la consommation des ménages. Celle-ci augmente d’environ 5 % par
an grâce à la formidable progression du pouvoir d’achat. Elle est soutenue par
une offre de crédit qui se généralise et elle affecte toutes les catégories sociales.
Mais la croissance est inégale selon les secteurs. L’agriculture connaît une
augmentation des diverses productions végétales et animales entre 1950 et 1975.
La diminution à la fois des superficies cultivées et du nombre d’actifs montre la
modernisation de ce secteur qui voit sa productivité croître grâce à la
motorisation, à l’utilisation d’engrais. Et pourtant, on peut parler d’un déclin de
l’agriculture au sein de l’économie française car sa place dans le PIB diminue. Le
secteur industriel est au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, et sa part
dans le PIB passe d’environ 20 % au début des années 1950 à près de 30 % en
1973, tandis que la population active qui y est employée croît rapidement (30 %
en 1945 environ mais 40 % en 1970). Enfin, le secteur tertiaire devient
prépondérant au sein de l’économie nationale ; il emploie plus de 50 % de la
population active en 1973 et fournit plus de 50 % du PIB. Le secteur de la
distribution est emblématique de cette expansion des services : il connaît de fortes
mutations au cours de la période avec l’apparition des grandes surfaces. Si la
formule du libre-service apparaît pour la première fois à Paris en 1948 dans le
secteur alimentaire, l’augmentation de la taille des établissements se produit
surtout dans les années 1960. En 1957, les deux premiers supermarchés sont
créés, tandis que le premier hypermarché est ouvert dans la région parisienne en
1963. En 1970, la France compte 70 hypermarchés et 1200 supermarchés. De
plus en plus, ces formes nouvelles de la distribution s’insèrent dans des centres
commerciaux en banlieue dotés de vastes parkings où cohabitent grandes surfaces
et petits détaillants. Cette mutation contribuera au déclin de la petite distribution,
alimentant des formes diverses de protestation dont le poujadisme, qui trouvera
une partie de ses bases dans l’Union de défense des commerçants et des artisans,
créée en 1953.
Mutations sociales
Issue de réflexions et de certaines mesures prises durant l’entre-deux-guerres, la
notion d’État-providence apparaît après 1945. Grâce à de nouvelles institutions, à
une intervention législative et réglementaire constante, les pouvoirs publics
favorisent l’amélioration des conditions de vie à travers la prise en charge d’une
série de risques et une politique des revenus. La mise en place de la Sécurité
sociale constitue la base de ces réformes. L’assurance maladie, dans un premier
temps destinée aux salariés, est bientôt généralisée aux professions agricoles
(1961) puis aux autres catégories non salariées (1966), si bien que moins de 5 %
des Français n’en bénéficient pas à la fin des années 1960. De la même manière,
le régime des retraites est progressivement élargi à de nouvelles catégories, au
point de devenir obligatoire pour tous les Français en 1975. Quant au régime de
l’assurance maladie, il permet l’amélioration de la situation sanitaire de la nation
et un allongement de l’espérance de vie. Combiné avec les allocations familiales,
l’ensemble de ces dispositifs aboutit à porter la part des dépenses sociales dans le
revenu national de 8 % en 1947 à plus de 20 % en 1970 : l’enrichissement du
pays a contribué à l’épanouissement de la société de consommation.
On note une progression du revenu par tête de 217 % entre 1953 et 1967. Celle-ci
se combina avec une mobilité professionnelle qui joua au profit des employés et
des cadres, dont le développement assura l’essentiel de la mobilité sociale. C’est
ainsi que le nombre d’employés et de cadres passa de 3,6 millions à près de 7,9
millions entre 1954 et 1975. Le taux de promotion qui permit à des fils de
travailleurs manuels d’accéder à des professions non manuelles entre 1954 et
1972 est de 28 %. Cette évolution conduisit à une réduction de l’écart des
revenus, puisque si le revenu annuel moyen d’un ouvrier était encore trois fois
inférieur à celui d’un cadre supérieur en 1960, il n’est plus que deux fois inférieur
en 1970. Une mutation liée à une élévation sensible du niveau de formation des
Français : en 1957-1958, le taux de scolarisation à 18 ans n’est encore que de 17
%, mais il atteint 54 % au milieu des années 1970. Cette population demande à
consommer les multiples produits désormais à sa disposition.
Nouvelles conditions de vie
Le développement de la nouvelle société apparaît à travers d’importantes
mutations de la structure du budget des ménages. La diminution de la part de
l’alimentation et de l’habillement (de 51,3 % en 1950-1954 à 39,4 % en 19651968) est associée à l’augmentation de celle du logement, des biens de
consommation durables et des services. Les taux d’équipement en automobiles et
118
en téléviseurs des foyers français témoignent de cette évolution : on passe ainsi
de 37 voitures pour 1 000 habitants en 1948 à 252 en 1970, tandis que le nombre
de téléviseurs passe de 41 en 1960 à 201 en 1970. Il faut ajouter que la
généralisation de comportements caractéristiques des sociétés industrielles
contemporaines concerne toutes les catégories sociales par effet de mimétisme et
par la progression des revenus.
Il ne fait aucun doute que cette évolution d’ensemble du modèle de
consommation fut assez largement influencée par le modèle américain véhiculé
par la diffusion de plus en plus importante de programmes radiophoniques,
cinématographiques, puis télévisés d’outre-Atlantique. L’expansion de ce modèle
s’appuya sur un accroissement considérable des budgets de publicité des
entreprises, qui furent multipliés par cinq en valeur constante entre 1952 et 1972
et que symbolise l’apparition de la publicité à la télévision. La presse féminine,
marquée par l’importante diffusion de Marie-Claire puis de Elle, joua un rôle
central dans la diffusion des biens d’équipement de la maison, comme la machine
à laver le linge, que les Françaises achetèrent en masse et qui représenta le
symbole d’une certaine « libération ». Une libération mais aussi une révolution
qui passa par la diminution du temps passé aux travaux ménagers, mais aussi et
surtout, par l’accès à la contraception, aux études, au travail que favorisait la
tertiarisation de l’économie. Plus massivement, l’essor d’une culture jeune
popularisée par un magazine comme Salut les copains, lancé en 1959 par le
groupe Fillipacchi et qui comptait 3 700 000 lecteurs en 1967, s’accompagna de
la diffusion d’un modèle inspiré de l’Amérique et dont les symboles furent le
jean, le T-shirt, le Coca-Cola et le chewing-gum. Les adolescents des sixties
consomment massivement. D’abord de la musique : sur les Teppaz, ils
découvrent les yé-yé marqués par les sons d’outre-Atlantique. Même au sein de la
contestation de 1968, lorsque les camarades remplacent les copains, « l’Amérique
reste pourtant, aux yeux de la nouvelle génération, une entité dont la fascination
ne décroît pas » (Jean-François Sirinelli, op. cit.). Les jeunes ne sont pas les seuls
cibles des publicitaires ou des médias vantant la nouvelle société, « l’homme
moderne » n’est pas oublié, comme en témoigne le lancement du magazine Lui
en 1963,qui comptera près de 5 millions de lecteurs.
Ces facteurs contribuèrent à uniformiser les modes de vie et à homogénéiser la
société. Nous pouvons noter d’autres transformations dans la vie quotidienne qui
participèrent à ce phénomène de consommation de masse : la banalisation
progressive des vacances estivales, l’essor des sports d’hiver et, pour les plus
privilégiés, les croisières et séjour à l’étranger. Les loisirs eux aussi se
développent et la façon dont ils se pratiquent nous autorise à parler de
consommation de masse : clubs de sport ou de vacances prennent une ampleur
sans précédent.
Une remise en cause de la croissance
L’émergence de la société de consommation suscita des réactions. En effet, la
critique d’une société influencée par le modèle de consommation américain était
de tradition en Europe depuis les années 1920 et elle se manifesta à nouveau au
cours des années de croissance à travers le décodage qu’en firent certains
intellectuels comme Roland Barthes dans Mythologies en 1957 ou une partie des
acteurs du mouvement de mai 1968. Cette critique trouva un relais à travers
l’écho dont bénéficièrent en France les travaux du Club de Rome qui
préconisèrent la croissance zéro au début des années 1970. Mais la portée de cette
remise en cause ne doit pas être exagérée : la plupart des manifestants de mai
1968 voulaient participer davantage aux bénéfices d’une croissance qui semblait
garantie pour longtemps, mais aussi, il est vrai, éveiller l’attention des dirigeants
sur le fait qu’il existait certain exclus de la croissance.
Enjeu fondamental de l’après-guerre, la modernisation du pays est réelle. Elle est
toutefois remise en cause par le choc pétrolier de 1973, par les flottements
monétaires du début des années 1970, et par l’apparition du chômage. La France
entre alors dans une ère où l’instabilité domine. Cependant, malgré ces nuances,
souvent à travers le prisme déformé de la mémoire, mais aussi grâce à de réelles
avancées sociales, les Trente Glorieuses apparaissent aujourd’hui
rétrospectivement comme un âge d’or, une sorte de paradis perdu, avant la longue
période des années « rugueuses ».
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
119
HC – La France dans le monde depuis 1945
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Bozo Frédéric, La Politique étrangère de la France depuis 1945, La Découverte, 1997, 128 p., coll. «Repères ».
Pervillé Guy, De l’empire français à la décolonisation, Hachette, 1991, coll. « Carré histoire », p. 232-247.
Dalloz Jacques, La France et le Monde depuis 1945, Armand Colin, (1993) 2004, 233 p., coll. «Cursus ».
J. DALLOZ, Textes de politique étrangère de la France, Paris, PUF, 1989.
A. Dulphy, La Politique extérieure de la France depuis 1945, coll. « 128 » Nathan, Paris, 1994.
P. Moreau Defarges, La France dans le monde au XXe siècle, coll. « Les Fondamentaux », Hachette, Paris, 1994.
G. Le Quintrec, La France dans le monde depuis 1945, coll. « Mémo », Le Seuil, Paris, 1998.
M.-C. KESSLER, La Politique étrangère de la France, Acteurs et processus, Presses de Sciences Po, 1999.
S. MONNET, La Politique extérieure de la France depuis 1970, A. Colin, 2000.
F. Roche & B. Pigniau, Histoires de diplomatie culturelle des origines à 1995, La Documentation française, Paris, 1995.
BITSCH Marie-thérèse, Histoire de la construction européenne de 1945 à nos jours, Bruxelles, Éditions Complexe, 2008.
WAUTHIER Claude, Quatre présidents et l’Afrique : De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand : quarante ans de
politique africaine, Paris, Éditions du Seuil, 1995.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Accompagnement Tle : « La France de 1945 doit retrouver son rang et exorciser
l’humiliation de 1940. Dans ce contexte, l l’opinion rejette toute mise en cause de
l’empire colonial. Associé à la tradition républicaine qui croit à l’assimilation –
qu’illustre la départementalisation de la Guadeloupe, de la Guyane, de la
Martinique et de la Réunion en 1946 –, à la faiblesse de l’exécutif et à la cécité
d’une partie des dirigeants et des colons, ce sentiment aide à comprendre
l’impréparation du pays face à la vague décolonisatrice. Il faut la succession des
difficultés, le coût global de la guerre d’Algérie et l’appel de la modernisation et
de l’Europe pour qu’un revirement s’opère. Prolongeant les avancées notables de
la IVe République, la Ve République tourne la page : la longue séquence de la
colonisation prend fin pour l’essentiel en 1962. S’achève en même temps le cycle
guerrier ininterrompu depuis 1939. De Gaulle définit alors une voie nouvelle :
celle d’un pays qui n’est pas l’une des grandes puissances, mais dont la voix
importe à l’équilibre du monde, qui aspire à jouer un rôle de premier plan en
Europe (et grâce à l’Europe), qui a des ambitions mondiales, en partie assises sur
l’expérience née du long passé national. Ces divers tournants permettent une plus
nette affirmation des principes de la politique étrangère : l’ancrage dans le camp
occidental, empreint de résistance à l’hégémonisme des États-Unis et d’une
certaine culture de l’exceptionnalisme ; la participation à la construction
européenne, non sans tension sur les objectifs ; une place de choix dans le concert
des nations par la défense des acquis (comme le siège permanent au Conseil de
sécurité), l’effort pour se doter des outils militaires de l’indépendance, la tentative
de mener un dialogue multilatéral, le maintien d’une sphère d’influence en
Afrique. Comme ces pistes sont en partie tracées dès la IVe République et
qu’elles demeurent le coeur de la politique internationale des successeurs de De
Gaulle – qui, comme lui, concentrent la décision en la matière –, on peut
véritablement parler de constantes. Pour importants qu’ils soient, ces domaines ne
résument pas à eux seuls la place de la France dans le monde. On doit donc
évoquer, sans chercher l’exhaustivité, d’autres variables, telles que la dilatation
du territoire de la République à l’échelle du monde, les missions assumées par
l’armée française à l’extérieur, l’espace linguistique et culturel que constitue la
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel T L-ES : « La France dans le
monde
On présente l’enjeu de la décolonisation et
les constantes de la politique étrangère, le
rôle de la France dans les institutions
internationales et sa place dans les échanges
mondiaux, les formes de la présence
française dans le monde. »
120
francophonie (institutionnalisée en 1970) et, bien sûr, la puissance économique,
qui lui vaut sa participation au G7. Malgré une histoire heurtée de la balance
commerciale – de 1959 à 1991, on comptabilise vingt et un soldes négatifs pour
douze soldes positifs, puis on entre avec les années 1990 dans une phase durable
d’accroissement –, le choix de l’ouverture opéré à la fin des années 1950 n’a
jamais été remis en cause. Il se traduit par un accroissement continu de la part du
commerce extérieur au sein du PIB : près de 9 % en 1958, près de 15 % en 1973,
23 % en 1992. Au total, l’économie française est désormais l’une des plus
extraverties du monde, tant en matière d’investissements à l’étranger et d’accueil
des investissements étrangers (premier rang en 1992, quatrième en 1995) qu’en
matière d’exportations de marchandises et de services, pour lesquelles elle
occupe au début des années 2000 respectivement les quatrième et deuxième rangs
mondiaux. Cette internationalisation est multiforme : elle se traduit aussi par une
expatriation croissante des talents, singulièrement en direction des pays anglosaxons. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Cette question permet de mobiliser, à propos de la France, une grande partie des
thèmes importants : la mondialisation ; la guerre froide ; la décolonisation ; la
construction européenne ; la fin de la guerre froide et ses conséquences ; et enfin
la politique intérieure française (l’analyse du gaullisme serait lacunaire si elle
n’incluait pas la « politique de grandeur » du Général). Bref, réfléchir à la place
de la France dans le monde permet de poser les grandes problématiques de
l’époque contemporaine.
L’approche ne doit pas se limiter à une histoire purement diplomatique et
militaire, nécessaire mais insuffisante. Il faut inclure dans le raisonnement
l’ouverture de l’économie française sur le monde (un phénomène majeur de la
seconde moitié du XXe siècle) et le rayonnement culturel de la France. Pour
aborder le rôle de la France dans le monde contemporain (depuis 1945),
l’approche chronologique n’est pas forcément la plus efficace. La période est en
effet marquée par des constantes plus que par des tournants. On peut cependant
revenir ici sur la période pour essayer d’en distinguer les grandes phases.
1. L’immédiat après-guerre pose d’une façon brutale la problématique qui est au
fond celle de toute la période : la France n’est plus une grande puissance.
Discréditée par le régime de Vichy et la collaboration, elle a perdu son prestige
de « patrie des droits de l’homme ». Affaiblie économiquement, elle est, comme
les autres pays européens, très dépendante des États-Unis. Et politiquement, il
s’en est fallu de peu qu’elle ne devienne pas un simple territoire occupé, géré par
l’armée américaine. Il a fallu tout le génie du général de Gaulle (aidé par
Churchill), pour que la France soit admise in extremis parmi les vainqueurs et
retrouve des attributs de (grande) puissance : un siège de membre permanent au
Conseil de sécurité de l’ONU et une zone d’occupation en Allemagne. Dans ce
contexte, l’empire colonial joue un rôle majeur : il est au fond le seul élément «
concret » qui puisse encore donner à la France l’illusion d’être une puissance
mondiale. C’est pourquoi la France s’y accroche. Paradoxalement, les Français
commencent à croire à l’utilité de leur empire colonial au moment même où
celui-ci leur échappe.
2. La IVe République fait les choix décisifs, redéployant la politique française de
l’Empire vers l’Europe. On peut ici « réhabiliter » un régime souvent présenté
d’une manière caricaturale, notamment par ses adversaires gaullistes. La IVe
République a certes mal géré le problème algérien, mais on peut rappeler que de
Gaulle lui-même a eu du mal à le régler (au prix de quelques palinodies). C’est
bien la IVe République qui a enclenché le processus de décolonisation, sous la
contrainte : défaite militaire en Indochine, échec politique lors de la crise de
Suez. Elle a su alors amorcer une évolution pacifique en Tunisie, au Maroc et en
Afrique noire (loi-cadre Defferre). L’engagement européen et atlantiste de la
France est un acquis majeur de cette période. On peut aussi souligner que le
programme nucléaire militaire de la France est discrètement lancé par la IVe
République (après Suez), même si les premières réalisations ont lieu sous de
Gaulle.
121
3. La présidence du Général de Gaulle (1958-1969) est placée sous le signe de la
« politique de grandeur ». Il faut ici faire le départ entre le discours et la réalité et
mesurer les éléments de rupture et de continuité. De Gaulle lui-même a affirmé
que sa politique était en rupture avec celle du régime précédent. À l’opposé d’une
IVe République qui aurait bradé la souveraineté nationale en s’inféodant aux
États-Unis et en promouvant une Europe fédérale, le Général serait le champion
de l’indépendance nationale. C’est lui aussi qui aurait lancé la modernisation de
l’économie française en imposant son ouverture au monde. Ces affirmations
doivent être nuancées. La politique gaullienne s’inscrit en fait en partie dans la
continuité de la IVe République. L’ouverture de l’économie commence par
l’acceptation du traité de Rome, héritage du régime précédent. Certes la France
quitte le commandement intégré de l’OTAN en 1966, mais elle reste fermement
ancrée dans l’Alliance atlantique. La politique de grandeur est d’abord une
rhétorique de la grandeur. C’est dans le discours que le gaullisme marque surtout
une rupture. Il s’agit au fond de conjurer le « déclin » de la France en proclamant
qu’elle conserve son « rang » de grande puissance. Pour ce faire, la marge de
manoeuvre est très limitée (c’est ce qu’on appelle en géopolitique de la «
gesticulation »). Sans renier son appartenance au camp occidental, la France
gaullienne conteste certains aspects de l’hégémonie américaine et essaie de faire
entendre une voix différente. Cela passe par une sympathie affichée pour les
peuples du Tiers-Monde et par des relations renouées avec les « pays de l’Est ».
Cela passe aussi par le choix d’une dissuasion nucléaire nationale, qui permet à la
France de se passer du « parapluie nucléaire » américain et de s’afficher dans le
club très sélect des puissances qui ont « la bombe ». Cela passe enfin par une
certaine vision de l’Europe, essentiellement conçue comme un levier de la
puissance française et refusant le fédéralisme.
4. De 1969 à 1989, les présidents de la Ve République mènent une politique
gaullienne atténuée. Elle reste fondée sur les mêmes principes, mais elle insiste
d’une manière moins tonitruante sur la « grandeur » et elle adopte un style moins
flamboyant que celui du Général. La seule inflexion notable est une politique
européenne moins crispée, avec la levée du veto sur l’entrée de la GrandeBretagne (Pompidou) et un attachement plus grand à la construction européenne
de la part de Giscard (issu d’une famille libérale et centriste de tradition plus
européiste que les gaullistes). Si Giscard cultive un style décontracté, sa politique
étrangère ne marque pas de grand changement. La France tente de maintenir son
rang et multiplie les initiatives : création du G7, institutionnalisation des sommets
franco-africains, organisation du Conseil européen (qui réunit les chefs d’État et
de gouvernement de la CEE), etc. L’alternance n’en est pas une en matière de
politique extérieure. François Mitterrand, malgré la présence des communistes au
gouvernement, assume résolument l’ancrage de la France dans le camp
occidental. En 1983, il soutient fermement l’OTAN dans la crise des euromissiles
et affirme : « les pacifistes sont à l’Ouest et les missiles sont à l’Est ». Les
socialistes français se comportent au fond comme les démocrates aux Etats-Unis
quand ils arrivent au pouvoir : ces derniers en rajoutent dans la fermeté en
politique extérieure, parce qu’ils se sentent toujours soupçonnés de mollesse, etc.
Quant au tiers-mondisme mis en avant par la France socialiste, il est en continuité
parfaite avec la politique gaullienne…
5. La fin de la guerre froide marque une rupture. La France doit alors s’adapter à
un monde qui hésite entre multipolarité (déblocage de l’ONU, etc.) et unipolarité
(l’hyperpuissance des États-Unis). La France s’était installée dans la guerre
froide. En cherchant à limiter son alignement sur les États-Unis, elle jouait son
rôle de puissance « décalée », un rôle créé avec brio par de Gaulle et interprété
avec quelques variantes par ses successeurs. Les bouleversements de la scène
internationale à partir de 1989 prennent la France un peu au dépourvu et lui
imposent une redéfinition de son rôle.
En fait, deux interprétations différentes peuvent être faites de l’après-guerre
froide :
– Une confirmation de « l’exception française » ? Pour certains, la France était
bridée par la confrontation Est-Ouest, qui lui laissait une marge de manoeuvre
très faible. La fin de la guerre froide est alors interprétée comme une véritable
libération, qui permettrait à la France de jouer enfin son jeu de puissance
indépendante et originale. Dans cette perspective, la politique de « grandeur »,
qui tentait de conjurer la logique des blocs, est considérée comme prophétique.
122
La diplomatie gaullienne n’aurait fait qu’anticiper sur le monde multipolaire de
l’après guerre froide. L’exception française serait donc plus que jamais à l’ordre
du jour. La France devrait lutter par tous les moyens contre l’hégémonisme
américain, en s’appuyant sur l’Europe, sur le dialogue Nord-Sud, sur la
francophonie. La reprise temporaire des essais nucléaires ou le discours à l’ONU
contre la guerre en Irak (de Villepin en 2003) peuvent être interprétés dans ce
sens.
– Une normalisation de la puissance française ? Si l’on considère en revanche que
la guerre froide avait permis à la France de jouer un rôle original, en affichant sa
différence avec le reste du camp occidental et en se posant en champion du
dialogue Nord-Sud, alors on doit interpréter la fin de la guerre froide en termes de
normalisation. La rhétorique gaullienne de la grandeur n’aurait fait que retarder la
prise de conscience du déclin. Il ne serait que temps pour la France de s’assumer
comme une puissance moyenne, « normale », de rentrer dans le rang en refermant
la parenthèse gaullienne. Le relatif rapprochement de la France et de l’OTAN
peut être interprété dans ce sens. Pour ceux qui raisonnent ainsi, la France devrait
surtout se soucier des bases économiques de la puissance, en s’adaptant aux
contraintes de la mondialisation, notamment par une accélération de l’intégration
européenne. Les aspects « archaïques » de la puissance – politiques et militaires –
perdraient de leur importance. Le rôle de la France en Afrique, par exemple,
pourrait être réévalué à la baisse. La France devrait jouer à fond le jeu du
multilatéralisme et être une puissance exemplaire à l’ONU…
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
123
HC – Mai 1968
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
J.-F. SIRINELLI, Mai 68, l’événement Janus, Fayard, 2008.
ARTIERES Ph., ZANCARINI-FOURNEL M. (dir.), 68, une histoire collective, La Découverte, 2008, 847 p. Une somme récente
et complète.
GOBILLE B, Mai 68, La Découverte, « Repères », 2008, 120 p.
C. FAURE, Mai 68 jour et nuit, Gallimard, coll. « Découvertes », 1998.
HAMON Hervé, ROTHMAN Patrick, Génération, T1 les années de rêve, T2 les années de poudre, Le Seuil, 1987 et 1988, 615 p.
et 694 p.
ROSS Kristin, Mai 68 et ses vies ultérieures, Complexe, 2005, 248 p.
WINOCK Michel, Chronique des années soixante, Seuil, « Points histoire », 1987, 379 p. Une évocation thématique très réussie
des années 1960.
Mai 1968, les médias et l'événement, La Documentation française, 1988.
Ressources pédagogiques
Deux évocations par la photographie, la première à partir d’images d’archives, la seconde par le travail d’un grand photographe,
reporter à l’agence Gamma.
DEPARDON Raymond, 1968, une année autour du monde, Seuil, « Points », 2008, 160 p.
JULY Serge, MARZORATY J-L, La France en 1968, Hoëbeke, 2008, 120 p.
DE GAULLE Charles, Mémoires d’espoir, Plon, 1970 (l’édition « Omnibus » dans sa troisième partie, Allocutions et messages
sur la IVème et la Vème Républiques, contient le discours du 30 mai).
Pour les élèves
On peut encourager les élèves à voir des films qui évoquent l’esprit de la période :
Louis MALLE, Milou en mai, 1990. (1968 en province)
Patrick ROTHMAN, 68, 2008 (documentaire planétaire à base d’archives).
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Accompagnement Tle ST2S :
« Mai 1968 est un événement, dont la singularité n’empêche pas qu’il faille
l’envisager comme l’aboutissement d’une évolution et de mutations profondes
que la France n’a pas été la seule à connaître. Cet événement, qu’on n’attendait
pas, a beaucoup surpris, à commencer par le régime gaullien, qui, pour la
première fois, parut ébranlé, mais aussi la France des « Trente glorieuses », qui,
au beau milieu d’une période de prospérité sans précédent, fut confrontée à l’un
des plus grands mouvements sociaux de l’après-guerre et à la plus importante
contestation de l’ordre social qu’elle ait connue. À ce titre, mai 1968, constitue
bien un événement au sens historiographique du mot. Faire comprendre aux
élèves l’événement de Mai, c’est en resituer les phases successives et mais aussi
la surprise et l’émotion qu’il a suscitées. »
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO Tle ST2S : « Mai 1968 est un événement
: on restitue la surprise qu’il a suscitée et ses
phases successives. Cet événement a une
signification – au plan national et
international – et des conséquences : on
aborde ces deux dimensions, sans recherche
d’exhaustivité. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Accompagnement Tle ST2S :
«
I. L’événement
Ce qui ne semble au départ qu’une crise étudiante, en région parisienne et dans
quelques villes de province comme Rennes ou Dijon (2 au 12 mai : premières
– La crise de mai 1968 débute dès le mois de
mars à l’université de Nanterre, en région
parisienne : premières revendications portant
sur les conditions de la vie étudiante et les
finalités de l’enseignement supérieur. La
124
barricades et affrontements avec les forces de l’ordre), se généralise après la
manifestation intersyndicale du 13 mai à Paris, et prend la forme d’un
mouvement social d’une ampleur inégalée (sept à huit millions de grévistes),
auquel les pourparlers de Grenelle (25 et 26 mai) ne mettent pas fin. La poursuite
des grèves plonge le pays dans la crise politique (proposition de referendum, sans
effet, le 24 mai). Le pouvoir paraît vacant avec la « disparition » de de Gaulle le
29 mai avant que le Président ne prenne le 30 mai la décision de la dissolution : le
discours du 30 mai constitue à cet égard l’un des documents pertinents de ce sujet
d’étude. Le calme revient au mois de juin, d’abord difficilement (les
affrontements des 10 et 11 juin font plusieurs victimes), puis sans équivoque avec
la nette victoire des gaullistes aux législatives des 23 et 30 juin.
II. L’interprétation de l’événement
L’interprétation de l’événement a fait l’objet d’une bibliographie qualifiée d’«
océanique » par Serge Berstein, et continue de faire débat comme en témoigne la
controverse récente sur l’héritage de Mai-68. Disons pour simplifier qu’il y a
ceux pour lesquels il ne s’est rien passé (« La révolution introuvable » de
Raymond Aron), d’autres pour qui il s’est passé quelque chose qui n’a abouti à
rien (une révolution politique qui a échoué), et enfin ceux pour qui Mai est avant
tout l’expression d’un bouleversement culturel et social, en France et ailleurs.
Personne cependant ne nie la singularité de l’événement, ni les questionnements
qu’il souleva à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, ni l’existence d’une postérité
complexe mais importante.
« En mai dernier, on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789 »
(Michel de Certeau). Ce caractère inédit du mouvement surprit les acteurs
politiques et sociaux traditionnels (le Parti communiste, les syndicats) auxquels
sa signification échappa et qui tentèrent de l’ignorer ou d’en nier l’importance.
Certains observateurs et acteurs (D. Cohn-Bendit, E. Morin, C. Lefort, C.
Castoriadis, A. Touraine) continuent d’affirmer la dimension politique de mai,
qui reste, pour eux, la « révolution antitotalitaire ». L’historienne Kristin Ross
insiste également sur l’aspect politique du mouvement dont les thèmes dominants
furent l’antigaullisme, l’anticapitalisme et l’anti-impérialisme (les références à la
guerre du Viêt-Nam ou à Cuba, aux figures de Mao, Che Guevara, Castro ou Hô
Chi Minh sont significatives). En revanche, personne ne retient la thèse d’un
complot communiste et d’une tentative de subversion par les groupes d’extrêmegauche, avancée par le pouvoir par calcul politique (voir le discours du général de
Gaulle le 30 mai : « un parti qui est une entreprise totalitaire », ou encore ceux de
R. Marcellin ministre de l’Intérieur de l’après-mai).
L’événement doit aussi être envisagé dans ses dimensions sociale et culturelle. Il
révèle en effet l’ampleur des changements qui ont transformé la France depuis la
Seconde Guerre mondiale, aux plans démographique (baby-boom,
rajeunissement, augmentation de l’espérance de vie), économique et social (la
croissance économique forte, l’urbanisation, la société de consommation et de
loisirs, accroissement de la durée des études et du nombre de diplômes décernés).
Ainsi est-ce en 1968 que les Français obtiennent la quatrième semaine de congés
payés, qu’est lancée la télévision en couleurs, qu’apparaissent les premières
cartes de crédit… Le mouvement de mai est aussi une contestation de la société
de consommation, du productivisme et de la croissance qui caractérisent les
sociétés industrielles : ce à quoi aspiraient les manifestants était un changement
qualitatif de vie qui n’impliquait pas forcément ou pas toujours un accroissement
de biens (d’où l’incompréhension intergénérationnelle entre les étudiants et leurs
parents). Cette exigence de bonheur et d’épanouissement personnel conduisit
aussi à remettre en question, dans une société et un système politique fondés sur
l’autorité, toutes les formes que celle-ci pouvait prendre : celle des parents, du
patron, du mari, du maître, du prêtre, mais encore celle du pouvoir politique et de
l’État, et à formuler de nouvelles revendications politiques dans les années qui
suivirent.
La contestation ne fut pas une spécificité française. Elle s’inscrit dans une
perspective internationale. Le mouvement pour les droits civiques et les
manifestations contre la guerre du Viêt-Nam aux États-Unis précédèrent Mai-68,
auquel ils fournirent des références et des modèles dans les formes de
protestation. Des événements comparables touchèrent le Japon, les Pays-Bas,
l’Allemagne, l’Italie, la Suède ou encore le Mexique. Les pays de l’Est de
l’Europe (Prague, Varsovie) n’y échappèrent pas : si les formes furent différentes,
les événements participèrent bien d’une remise en cause de même nature de
contestation se nourrit également de
préoccupations plus larges partagées
par la jeunesse occidentale (critique de la
société de consommation, remise en cause
des autorités traditionnelles, dénonciation de
la domination des États-Unis dans le monde).
Rapidement, le mouvement étudiant est
politisé par des groupuscules
gauchistes qui visent à créer une situation
révolutionnaire en France.
– La crise se déroule en trois phases :
d’abord, une crise étudiante qui met aux
prises à Paris les étudiants et les forces de
l’ordre lors de manifestations et de nuits de
barricades. À partir du 13 mai, une crise
sociale avec l’organisation de grandes
manifestations de solidarité entre étudiants,
syndicats de salariés et partis de gauche,
ainsi que des grèves massives qui paralysent
progressivement le pays. Enfin, à partir de la
fin mai, la crise devient politique : les
accords sociaux de Grenelle, conclus entre
syndicats patronaux et syndicats de salariés
sous le patronage du gouvernement, ne
parviennent pas à mettre fin au mouvement
de grèves ; la gauche réclame alors la
démission du gouvernement, le départ du
général de Gaulle et la formation d’un
gouvernement provisoire ; de Gaulle met fin
à la crise politique en annonçant la
dissolution de l’Assemblée nationale, le parti
gaulliste remporte les élections législatives
du mois de juin 1968.
– Mis en cause durant la crise, le général de
Gaulle quitte le pouvoir un an plus tard après
l’échec d’un référendum. À droite, des
tentatives sont faites pour répondre à
certaines aspirations de mai 1968 :
programme de la « nouvelle société » du
Premier ministre Jacques Chaban-Delmas,
sous la présidence de Georges Pompidou ;
abaissement de la majorité à 18 ans et
législation sur l’IVG en 1974, sous la
présidence de Valéry Giscard d’Estaing.
Dans les mentalités et les moeurs, la crise de
mai 1968 a profondément transformé les
relations au sein de la famille, du couple, de
l’entreprise. De son côté, la gauche, qui
parvient à s’unir en 1972, rédige un
Programme commun ambitionnant
d’approfondir la démocratie politique
(limitation des pouvoirs présidentiels) et
d’instaurer une démocratie économique
(cogestion, nationalisations).
125
l’ordre établi après la Seconde Guerre mondiale.
Quand le calme revint, en juin, le retour à l’ordre politique n’était qu’apparent, et
l’on se rendit compte progressivement de l’ampleur du changement, de Gaulle le
premier, qui quitta le pouvoir après l’échec du referendum d’avril 1969. Le pays
comme l’entreprise ne pouvaient plus se diriger comme avant. La classe, la
famille, le couple ne fonctionnaient plus sur les mêmes valeurs ni les mêmes
rapports de force.
C’est la prise de conscience par chacun, sous le choc de l’événement puis,
ensuite, des mutations à l’oeuvre dans le pays, qui confère à Mai-68 sa place
d’événement majeur dans l’histoire nationale. »
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
126
HC – Les gauches en France depuis 1945
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (dir.), Histoire des gauches en France, Éditions La Découverte, coll. Sciences Humaines
Tome 1 : L'héritage du XIXe siècle, 2005, 588 p., Tome 2 : XXe siècle : à l'épreuve de l'histoire, 2005, 784 p.
Michel Winock, La gauche en France, Éditions Perrin, Coll. Tempus, 2006, 500 p.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Les Grandes batailles de la gauche, espoirs et désillusions / LES COLLECTIONS DE L'HISTOIRE, N° 27, Avril-Juin 2005
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Histoire des gauches en France, Sous la direction de Jean-Jacques Becker et
Gilles Candar
Voici la première grande synthèse sur l’histoire de la gauche française, grâce à
plus de quatre-vingts contributions réparties en deux volumes. Historiens
confirmés et jeunes chercheurs se sont associés avec le seul souci de saisir cette
invention française : la gauche, gauche politique, culturelle, sociale ou
économique. Il s’agit autant de rendre compte de la diversité des courants et
formations politiques qui se sont réclamés d’elle, parfois en quête d’unité,
souvent en cultivant leurs différences, que d’analyser les valeurs, les traditions,
les références, les comportements et les sociabilités des hommes et des femmes
de gauche. Émerge alors une identité de gauche qui n’est pas figée ou
définitivement établie, qui se construit, se déconstruit et se reconstruit sans cesse.
Le second volume suit la gauche à l’épreuve de l’histoire depuis le début du
siècle, qu’elle soit au pouvoir – rarement tout entière – ou qu’elle s’y oppose.
Partis politiques, syndicats, associations, personnalités, forment ensemble un «
peuple de gauche », multiple, divers et changeant, désormais affirmé et identifié,
mais où on se déchire sur les questions de l’heure : la révolution, la réforme, la
guerre, la colonisation et la décolonisation, l’évolution de la société, l’avenir
del’humanité.
“La gauche en France”, de Michel Winock, Éditions Perrin, 2006
Dès lors qu'on s'interroge sur l'histoire de la gauche, on est amené - tout de même
que pour la droite - à employer le pluriel. Si " être de gauche " se réfère à une
éthique, à une philosophie, dont les racines plongent dans les Lumières et la
Révolution, force est de constater qu'il y a bien des manières de traduire en
politique l'idéologie du progrès contre l'idéologie de la tradition. Nous pouvons
distinguer trois gauches, issues de trois révolutions successives : celle de 1789, la
révolution industrielle du XIXè siècle, et la révolution bolchevique. Trois
révolutions, trois gauches, c'est lumineux. Oui mais il en est une quatrième, qui
n'a jamais cessé de souffler sur les braises, à côté ou en marge des autres, qu'on
appelle soit 1'ultragauche, le gauchisme, ou la gauche de la gauche. Une gauche
critique de la gauche, et qui est parfois à l'origine des trois autres. Ainsi Marx,
prophète de la gauche socialiste et communiste, ne se disait pas " de gauche ".
L'expression était, on le sait, d'origine parlementaire, et Marx brocardait
volontiers le " crétinisme parlementaire ". Essayons de définir, dans le cadre
français, quatre familles de gauche, que le filtre de l'histoire a maintenues jusqu'à
nos jours, à travers leurs avatars et leurs interférences.
1. La gauche républicaine et les radicaux
Précisons d'emblée que cette gauche-là, née de la Révolution, n'a pas été d'emblée
républicaine. Sous la Restauration, elle se disait " libérale ", s'opposant à toutes
les volontés et velléités d'un retour à l'Ancien Régime tel que l'incarnait un
Charles X. Benjamin Constant, le meilleur orateur de cette gauche libérale, n'était
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
“La gauche en France”, de Michel Winock,
Éditions Perrin, 2006
TABLE DES MATIÈRES
Introduction : Les quatre familles de la
gauche
I - LES SOURCES RÉPUBLICAINES
1. L'esprit de 1848
2. Victor Hugo le républicain
3. L'affaire Dreyfus et l'idéologie
républicaine
4. L'invention de la laïcité
5. Démocratie et République
II - UTOPIE ET SOCIALISME
6. L'utopie, le bonheur et la révolution
7. 1871 : la lutte des classes
8. 1893 : la percée socialiste
9. 1904 : l'année où Jaurès a fondé
L'Humanité
10. L'impossible social-démocratie
11. La culture politique des socialistes
12. Guy Mollet, un socialisme à la française
13. François Mitterrand et le socialisme
III - LA FASCINATION COMMUNISTE
ET
RÉVOLUTIONNAIRE
14. Les socialistes devant la Révolution russe
15. Le grand aveuglement
16. Le schisme idéologique
17. Mythe et réalité de l'antifascisme
18. Les Français pleurent Staline
19. Retour sur Mai 68
20. Sartre et l’ultragauche
CONCLUSIONS
21. La gauche dans la Vè République
22. Où va le socialisme au début du XXIè
siècle ?
127
nullement républicain : il défendait la liberté, qui était tout uniment la liberté
individuelle (contre les puissances tutélaires d'un ordre monarcho-catholique) et
la liberté publique (contre l'autorité exclusive d'un appareil d'État sans
contrepoids). La principale revendication de cette gauche était la liberté de la
presse, et l'on sait que, en raison des atteintes que Charles X a tenté de porter à
celle-ci par ses ordonnances de 1830, les " Trois Glorieuses " ont mis fin à son
régime. Sous la monarchie de Juillet commence à prendre corps une gauche
républicaine. A côté de la " gauche dynastique ", qui constitue le parti du "
Mouvement " face au parti de la " Résistance ", qui se confond avec la politique
conservatrice du régime (Guizot), il existe une mouvance républicaine composée
de diverses associations, et s'exprimant principalement dans deux journaux : Le
National, fondé par Armand Carrel, et plus tard, en 1843, La Réforme, dont le
plus important des actionnaires, Alexandre Ledru-Rollin, se pose en apôtre de la
réforme politique et de la réforme sociale. Vaincus par le coup d'État du 2
décembre, les républicains reconstruisirent peu à peu leur mouvement sous le
second Empire. Deux grandes figures en émergèrent, Jules Ferry et Léon
Gambetta, futurs fondateurs de la IIè République. De style différent, tous les deux
ont acquis la conviction d'une nécessité : pour installer solidement la République,
il fallait en finir avec les barricades, il fallait rallier l'immense opinion paysanne,
fonder la démocratie rurale ; c'est par la modération qu'ils y parviendraient. Ferry,
comme tous les républicains modérés, a été hostile à la Commune de Paris, cette
" saturnale sans idée et sans plan " ; Gambetta, retiré après la défaite des armées
françaises face aux Prussiens, est resté silencieux. Dans les années qui ont suivi,
Ferry et Gambetta ont été les éloquents commis voyageurs de le République.
C'est en ce sens qu'ils sont à gauche, dès lors que l'affrontement central est celui
des républicains et des conservateurs. La crise du 16 mai 1877 et sa conclusion
par la victoire électorale des républicains décident en faveur d'un régime
parlementaire, libéral et laïque.
Face à cette gauche républicaine, à ces républicains de gouvernement, comme on
les appelle, à ces " opportunistes ", se dresse bientôt contre eux, à leur gauche, un
parti de l'intransigeance : le radicalisme. Les hommes qui animent cette tendance,
les Clemenceau, les Pelletan, les Brisson, se sont opposés aux concessions
acceptées par les modérés : un président de la République, le septennat, une
seconde Chambre (le Sénat). Ils se disent " radicaux " mais restent avant tout
fidèles au programme républicain de 1869. (…) Les radicaux créent en 1901 le
Parti radical et radical-socialiste. Ils représentent bientôt au Parlement la
principale formation de gauche : en 1902, au moment du Bloc des gauches (c'est
alors que le terme est définitivement d'usage courant dans les campagnes
électorales), les radicaux constituent la majorité, et c'est l'un des leurs, Émile
Combes, qui se lance dans une politique anticléricale dont l'aboutissement sera,
en décembre 1905, le vote de la loi de séparation des Églises et de l'État. Il reste
encore des républicains modérés dans cette majorité de gauche issue de l'affaire
Dreyfus, mais on assiste, de 1898 à 1919, à un décrochage progressif de ces
modérés vers la droite. Pour eux, de Méline à Poincaré, le danger n'est plus
représenté par la droite cléricale et royaliste, surtout après la loi de Séparation ; le
danger vient de l'extrême gauche socialiste de sorte qu'ils composeront une droite
républicaine, généralement regroupés dans l'Alliance démocratique. Dès lors, la
République ne sera plus un monopole de la gauche, quand bien même ce sont les
formations de la gauche parlementaire, au premier chef les radicaux, qui portent
au plus haut ses idéaux fondateurs.
Qu'est-ce que le radicalisme ? Entre les deux guerres mondiales, Édouard Herriot
en est le meilleur porte-parole. Pour lui, " les racines de notre doctrine "
remontent au XVIII siècle, et il se réclame surtout de Condorcet. (…) Libéraux
en économie parce qu'ils combattent le marxisme et toutes les formes de
collectivisme, ils sont néanmoins adversaires du " laisser-faire, laisser-passer ", et
partisans de l'intervention de l'État, notamment en matière de justice fiscale. Ils
ont été à l'origine du vote de l'impôt sur le revenu (15 juillet 1914). Surtout, et en
quoi ils sont conditionnés par une société largement composée de petits
producteurs indépendants, ils veulent la disparition du salariat, " mais ils ne la
conçoivent que par l'accession de l'ouvrier à la propriété et à la liberté, dans le
développement de l'association ". Le radical-socialisme, qui s'est longtemps
confondu avec l'histoire de la IIè République, n'a pas survécu aux
bouleversements de la Seconde Guerre mondiale et des " Trente Glorieuses ". Les
radicaux rêvaient d'abolir le salariat, et la part des salariés dans la population
active n'a cessé de croître. Le programme laïque, longtemps son principal
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objectif, a été réalisé à peu près complètement (sauf en Alsace et en Moselle). Au
milieu des années 1950, Pierre Mendès France a bien tenté de moderniser son
parti qui, grâce à lui, à son action comme chef de gouvernement en 1954-1955,
avait repris consistance. Les querelles intestines l'en empêchèrent. Plus
profondément, sans doute, une autre gauche de gouvernement lui a succédé, le
Parti socialiste.
2. La gauche socialiste
Les radicaux ne voulaient pas être le parti d'une classe sociale. Les socialistes au
contraire se considéraient comme le parti ouvrier, le parti de ce prolétariat que la
révolution industrielle a fait naître et dont l'économie capitaliste ne va cesser de
renforcer les rangs. Au laisser-faire, laisser-aller du libéralisme intégral, les
socialistes répondirent par le volontarisme révolutionnaire: à leurs yeux, il fallait
changer la société, abattre le régime capitaliste, créer un monde où l'homme ne
serait plus un loup pour l'homme. L'instrument de cette révolution était l'abolition
de la propriété privée, la mise en commun des moyens de production, la juste
répartition des tâches. Le mouvement socialiste mit du temps à prendre la forme
d'un parti politique. Il passa par la phase de l'utopie, où s'illustrèrent les
ingénieurs de l'avenir lumineux, Fourier, Cabet, Considérant. Bien des noms
français, dont la révolution de 1848 résonna, enrichirent les idées socialistes en
cette aurore de l'industrialisation après Saint-Simon, Pierre Leroux, Constantin
Pecqueur, Joseph Proudhon, Louis Blanc. Toutefois, il faut attendre le second
Empire pour assister à la naissance d'un premier mouvement ouvrier organisé.
C'est finalement dans les années 1890 que le socialisme devient une véritable
force politique en France. Deux dates l'attestent : 1893, première percée
électorale qui conduit une cinquantaine de députés se réclamant du socialisme à
la Chambre ; 1895, fondation de la Confédération générale du travail (CGT). Le
socialisme politique, divisé, a grand peine à réaliser son unité, finalement
accomplie en 1905 par l'unification des tendances rivales dans la SFIO (Section
française de l'Internationale ouvrière). A la veille de la Grande Guerre, le groupe
socialiste compte une centaine de représentants à la Chambre des députés, la
SFIO étant devenue la deuxième formation de gauche derrière le Parti radical.
Sans véritable base ouvrière, la SFIO, officiellement marxiste, s'insère dans le
combat électoral et parlementaire, acceptant au besoin les alliances avec la
bourgeoisie républicaine (les radicaux). En principe, le parti était révolutionnaire,
il récusait ce qu'on appelait en Allemagne, depuis les thèses d'Eduard Bernstein,
le "révisionnisme" (la révision marxisme). Il n'était pas question pour lui de jouer
le jeu parlementaire jusqu'au bout : comment un gouvernement socialiste
pourrait-il exister en régime capitaliste ? Pour répondre à cette question
théorique, Léon Blum affïna une rhétorique qui permettait tout et son contraire. Il
distingua ainsi la "conquête du pouvoir" (la révolution) de l'"exercice du pouvoir"
(une expérience de gouvernement socialiste en régime capitaliste au cas où les
socialistes arriveraient en tête de la gauche), et de l'"occupation du pouvoir"
(formule de défense contre l'extrême droite, un "j'y suis pour éviter qu'elle y
soit"). Cette gymnastique de l'esprit permettait au Parti socialiste de maintenir son
idéal révolutionnaire puisé chez Marx et d'accepter éventuellement les
responsabilités gouvernementales. Cette contradiction centrale du Parti socialiste
entre sa théorie et sa pratique ne cessa pas avec la Seconde Guerre mondiale. Les
tendances schizoïdes de la SFIO ne cessèrent de s'accentuer sous la IVè
République. On vit même Guy Mollet, défenseur d'un marxisme pur et dur,
assumer les responsabilités de la guerre en Algérie en 1956 et décider avec le
parti conservateur britannique l'expédition de Suez, après la nationalisation du
canal par Nasser. Le même, en 1958, entraîna une large fraction de ses députés à
voter l'investiture du général de Gaulle. L'opposition interne entraîna une
scission, ce fut la naissance du Parti socialiste autonome (PSA) en 1959, devenu,
avec l'unification de divers groupes de gauche, le Parti socialiste unifié (PSU) en
1960. Tombée dans un état de faiblesse proche de l'agonie (en 1969, Gaston
Defferre obtint péniblement un peu plus de 5 % des voix à l'élection
présidentielle), la SFIO fut amenée à se réformer en profondeur. Le Nouveau
Parti socialiste, né en 1969, prit son envol en 1971 au congrès d'Épinay. Allaiton, cette fois, assister à la transformation du parti dans un sens "socialdémocrate", suivant l'exemple de la social-démocratie allemande ? Il n'en fut
rien. François Mitterrand, nouveau venu, décidé à prendre la tête du parti,
s'employa, lui qui n'était ni marxiste ni même socialiste, à revêtir les habits neufs
que lui offrait l'aile gauche du congrès, et à se faire le prophète de la "rupture
avec le capitalisme", un de ces discours tranchants qui lui servaient à prendre le
129
pouvoir au PS grâce à l'appui de la gauche (le Ceres) et, à plus long terme, à
réaliser une alliance avec le Parti communiste. Mitterrand réussit admirablement
dans sa stratégie : progrès du PS, redevenu le premier parti de la gauche aux
élections de 1978, et victoire personnelle à l'élection présidentielle de mai 1981,
suivie par celle d'une majorité absolue de députés socialistes à l'assemblée en
juin. On le sait : le Parti socialiste et ses alliés n'ont opéré aucune rupture avec le
capitalisme. En 1983, il n'y avait plus de doute pour personne : les socialistes au
pouvoir étaient un gouvernement de gauche, mais ils ne faisaient pas, ils ne
feraient pas la révolution socialiste. Après les cinq années du gouvernement
Jospin (1997-2002), le Parti socialiste a confirmé sa pratique réformiste.
L'effondrement du Ceres, l'influence de Pierre Mauroy et de Michel Rocard les
événements eux-mêmes - et notamment la chute du communisme soviétique -, la
" désindustrialisation " et les changements dans la population active qui voyait
sensiblement diminuer la catégorie des "ouvriers", tout a poussé le PS à devenir
un parti social-démocrate, à la fois en pratique et en doctrine, un parti de
gouvernement, acceptant clairement l'alternance qui est au principe même de la
démocratie libérale. Il n'a pu cependant complètement éradiquer son malaise
ancien, ce "surmoi révolutionnaire" qui lui fait honte. L'ultragauche, plus encore
aujourd'hui que le communisme, se charge de l'accusation, et inspire à une partie
de ses cadres et militants une radicalité, au moins dans le discours, qui les
rassure. L'un de ses courants minoritaires s'est intitulé un "Nouveau Monde".
3. La gauche communiste
La gauche communiste est apparemment plus facile à définir. Né de la scission au
sein de la SFIO au congrès de Tours de décembre 1920, le Parti communiste
(Section française de l'Internationale communiste ou SFIC) est issu de l'adhésion
à la IIIè Internationale (Komintern), aux conditions exigées par son fondateur
Lénine. Après la période dite de "bolchevisation" dans les années 1920, le PCF
est devenu un parti discipliné, parlant d'une seule voix, celle de l'Internationale
siégeant à Moscou. Appuyé sur une vulgate doctrinale, appelée le "marxismeléninisme" après la mort de Lénine, il est destiné à travailler à la révolution
mondiale et doit suivre, à cette fin, la ligne imposée par le Komintern. Plus tard,
une fois Staline arrivé au pouvoir, son but principal est de défendre l'URSS, la
patrie du socialisme, contre ses ennemis. Il s'ensuit une série de virages au gré
des intérêts diplomatiques de l'Union soviétique : tantôt il faut dénoncer les
socialistes, "social-chauvins", "social-traîtres" ou "social-fascistes", et tantôt les
appeler à l'union dans un "front unique". Participant rarement au gouvernement
de la France (en 1944-1947, en 1981-1984, en 2000-2002), et jamais en position
dominante, le Parti communiste prenait sa revanche dans son pouvoir social,
culturel et intellectuel. Un premier envol de ses effectifs dû au Front populaire
fut suivi après la guerre d'une montée en puissance qui le porta au faîte des partis
français. Il sut aussi créer, ce que la SFIO n'avait jamais réalisé, une contresociété à la manière de la social-démocratie allemande. Fort d'un électorat qui
jusqu'en 1958 ne descendra pas au-dessous de 25 % des suffrages, disposant d'un
puissant appui syndical de la part de la CGT. Isolé par la guerre froide jusqu'aux
années de la détente (à partir de 1962), il trouvait en F. Mitterrand lui-même les
moyens d'encadrer une forte population en majorité ouvrière aux besoins de
laquelle il répondait par une multitude d'institutions dans les municipalités qu'il
avait conquises et dans les grandes entreprises dont il contrôlait les comités
d'entreprise. Séduits par cette puissance de masse, confondant volontiers le Parti
communiste avec la classe ouvrière, bien des intellectuels se sont mis "au service
du Parti". Une série d'événements et de bouleversements économiques, sociaux,
culturels, ont peu à peu sapé les bases du monument. La déstalinisation,
consécutive au XXè Congrès du Parti communiste de l’URSS et au rapport
Khrouchtchev (février 1956), mal vécue par les dirigeants thoréziens, la
répression par l'armée soviétique de l'insurrection hongroise en octobre 1956,
suivie douze ans plus tard par celle du "Printemps de Prague" en
Tchécoslovaquie, lui ont porté de rudes coups mais peut-être moins que la
naissance d'une société de consommation et de loisir, les changements du travail
industriel exigeant de moins en moins de "cols bleus" (entre 1976 et 2004,
l'emploi industriel est passé de 42 % de l'emploi total à 22,5 %), la désuétude
aggravée de la vulgate communiste, les désillusions sur l'URSS dont l'échec final
éteignit définitivement la "grande lumière qui s'était levée à l'Est". Les revers
électoraux se succèdent : la candidature de Jacques Duclos à la présidentielle de
1969 attire encore plus de 21 % des voix, aux législatives de 1968, 1973, et 1978,
le Parti communiste se maintient un peu au-dessus de 20 %, mais en 1978, le
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signal d'alarme retentit, puisque les socialistes passent en tête de la gauche; la
suite est un déclin continu, aboutissant à l'étiage à la présidentielle de 2002,
lorsque Robert Hue est relégué en onzième position, avec 3,37 % des suffrages.
Malgré cela, le PCF refuse de se réformer en profondeur par la révision officielle
de son histoire et de sa doctrine.
4. L'ultragauche
Elle est, elle aussi, issue de la révolution bolchevique, mais en partie seulement.
Elle est représentée par des doctrinaires et des hommes d'action qui n'ont jamais
été au pouvoir en France, qui n'ont jamais constitué un parti puissant, mais dont
l'existence est repérable dès la Révolution française. Le communisme de
Gracchus Babeuf et sa conjuration des Égaux en 1795 pourraient en signer l'acte
de naissance. Aspirant à la réalisation d'une égalité sociale véritable succédant à
l'égalité purement juridique de la Révolution, l’ultragauche n'attend rien de la
démocratie "formelle" et se défie d'un suffrage universel manipulé par le pouvoir
bourgeois. De Blanqui à Sartre, la formule "élections, piège à cons" pourrait en
être le fil directeur. Sans doute la plupart des groupes gauchistes participent-ils
aujourd'hui aux élections, mais seulement à des fins de propagande. Les variantes
de l’ultragauche sont nombreuses : l'anarchisme (redouté dans les années 1890),
l'anarcho-syndicalisme (à la fin du XIXè siècle), les trotskistes (depuis les années
30), les pivertistes, les luxembourgistes et les conseillistes (adeptes de la
spontanéité révolutionnaire et des conseils ouvriers), les maoïstes (des années
post-68)... A chaque étape de l'histoire politique et sociale retentissent des appels
à la révolution, à l'insurrection, ou simplement les procès de ceux qui mènent le
mouvement ouvrier, socialiste, ou communiste, à sa perte. Le gauchisme
proprement dit s'oppose à la dictature du parti révolutionnaire, surtout quand
celui-ci se constitue en parti hiérarchisé, utilisant les instruments de la répression
et de la terreur contre ceux qui ne marchent pas au pas. Les gauchistes comptent
sur les masses, l'autonomie ouvrière, le socialisme des soviets, contre le
socialisme d'appareil. Leur histoire est un long calvaire, mais leurs défaites
successives en URSS, en Bavière, en Hongrie, dans les années 1919-1923, ne les
découragent pas : ils sont le sel de la révolution; la révolution pure et
incorruptible. Leur heure de gloire sonna lors de la présidentielle de 2002, quand
les candidats trotskistes de Lutte ouvrière, de la Ligue révolutionnaire
communiste et de l'OCI dépassèrent au total 10 % des voix.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
131
HC – Charles de Gaulle
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
De l’idée de la « nation française » à celle du « pouvoir légitimé », de Gaulle a
toujours affiché, au rythme de sa propre destinée, l’image d’un inflexible orgueil.
Portrait de l’intransigeance et de la stratégie d’un « sauveur » devenu mythe
national.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Maurice Agulhon, De Gaulle, histoire, mythe et symbole, 1999
A. PEYREFITTE, C’était de Gaulle, 3 vol., Fayard, 1994, 1997, 2000.
Jean Lacouture, De Gaulle (Paris, Éditions du Seuil (3 volumes) : 1 — Le Rebelle (1890-1944), 2 — Le Politique (1944-1959), 3
— Le Souverain (1959-1970), 1984, 1985 et 1986. Paris, « Points Histoire », 1990
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
La figure de De Gaulle, TDC, N° 813, du 1er au 15 avril 2001
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Depuis le 9 novembre 1970, date de la mort du Général, s’opère la transformation
du personnage historique Charles de Gaulle en mythe national. À l’instar de
Jeanne d’Arc ou de Napoléon, l’action de De Gaulle tend à se réduire pour le plus
grand nombre à l’évocation d’une épopée, ou à l’invocation quasi magique de son
génie. Malgré la persistance des critiques vis-à-vis de sa façon de gouverner, son
exemple moral semble offert à la méditation des Français. Cet exemple témoigne
d’un processus de réappropriation collective qui transgresse bien des clivages
politiques. Le mythe se solidifie sous nos yeux. Mais l’Histoire – et son exigence
critique – demeure. Pour comprendre la dimension de l’homme d’État, il est
indispensable de le placer dans son siècle, dans son milieu, dans la complexité
des situations qu’il eut à affronter.
UN FRINGANT OFFICIER
Sur quel terreau le jeune Charles a-t-il poussé ? Côté paternel, la famille se
reconnaît des ancêtres de petite noblesse désargentée, où l’on est manieur de
plume et serviteur de l’État, mais non militaire. Côté maternel apparaît une
austère bourgeoisie industrielle du Nord. Il en hérite une foi discrète. Il dit que
son père, professeur de lettres, lui a légué le « sentiment de la dignité de la France
», la connaissance de l’histoire (Mémoires de guerre). Il puise là le ferment de sa
religion historique de la France et de sa mise au service de l’État.
Les maîtres à penser ? Les biographes évoquent Barrès, Bergson, Péguy... Sans
doute plus marquante a été l’atmosphère dans laquelle le jeune homme vécut :
celle de la montée des périls internationaux. Étonnant aussi ce « sens de l’Histoire
» qui lui fait écrire à dix-sept ans, lors d’un voyage en Allemagne : « Il y a
quelque chose de changé en Europe depuis trois ans et, en le constatant, je pense
au malaise qui précède les grandes guerres. »
Patriote par héritage familial, par raison et par goût de l’histoire, Charles choisit
d’entrer à Saint-Cyr, où il est reçu en 1909. À l’instar de beaucoup de jeunes gens
de son milieu, il voit dans l’armée le creuset de la nation, l’arche sainte à l’abri
des querelles politiques et de la lutte des classes. Il est lieutenant d’infanterie
quand éclate la Première Guerre mondiale. Pour le fringant officier, ce sera une
guerre en demi-teinte. Trois fois blessé, promu capitaine pour son courage au feu,
il est capturé devant Douaumont en 1916. Suivent trente-deux mois de captivité,
cinq tentatives d’évasion, cinq échecs et une amertume croissante d’être écarté
des combats.
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Activités, consignes et productions des
élèves :
Le protégé de Pétain
De Gaulle, un homme seul et dépourvu
d’appuis ? Pas autant qu’on l’a dit. Pétain a
en effet longtemps veillé sur lui... Quand, en
1912, le sous-lieutenant rejoint le 33e
d’infanterie à Arras, son colonel s’appelle
Philippe Pétain. De Gaulle est séduit et en
témoigne dans ses Mémoires de guerre : «
[il] me démontra ce que valent le don et l’art
de commander. » Pour sa part, Pétain
remarque vite l’envergure de son subordonné
et ne lui ménage pas les compliments. «
Officier hors de pair à tous égards » ajouterat-il à la citation à l’ordre de l’armée de celui
qu’on crut mort devant Verdun. À l’École de
guerre, l’attitude contestataire de De Gaulle
lui vaut une humiliante mention « assez bien
» rehaussée en « bien » à l’issue d’une
intervention personnelle de Pétain ! En 1925,
Pétain attire cet officier original à son étatmajor particulier. Pour de Gaulle, simple
capitaine, cette entrée dans le saint des saints
est une aubaine. À vrai dire, Pétain a été
conquis par le beau style de La Discorde
chez l’ennemi (1924) et il cherche une plume
pour écrire le livre qui lui vaudra un fauteuil
à l’Académie... Il ne refuse rien à son
protégé, l’imposant même comme
conférencier au sein de l’École de guerre.
Les deux hommes se brouillent cependant
entre 1926 et 1930, pour des raisons
littéraires, de Gaulle n’acceptant pas d’être
dépossédé de sa prose. En vérité, déjà tout à
sa contestation de la doctrine militaire
officielle, l’homme des chars ne supportait
plus la tutelle de Pétain, principal promoteur
132
LE THÉORICIEN DE LA GUERRE
Assoiffé d’action, décidé à relancer sa carrière, de Gaulle se fait muter à Varsovie
en 1919, où il aide la jeune armée polonaise à repousser les Bolcheviks. À son
retour à Paris, il entre à l’École supérieure de guerre, d’où l’on sort « breveté »,
apte aux plus hauts emplois. En 1925, Philippe Pétain le prend dans son équipe.
Ainsi abrité, de Gaulle prononce de retentissantes conférences devant des
parterres de généraux scandalisés. Battant en brèche la pensée dominante – celle
de l’existence d’une « doctrine » tirée de la précédente guerre – il prêche la
soumission aux circonstances et la supériorité du mouvement sur la défense
statique.
En 1932, il est nommé à la 3e section du Secrétariat général de la Défense
nationale. Poste clé, où sa mission consiste à préparer une loi sur l’organisation
de la nation en temps de guerre. Le commandant de Gaulle (promu en 1927)
rencontre tous les décideurs : généraux, hommes politiques, industriels... Il
pénètre les arcanes du monde parlementaire et se fait un nom dans les cercles
influents, contrairement à une légende tenace.
Ce poste stratégique, ce renom de penseur anticonformiste, de Gaulle les met au
service d’une idée : doter la France d’une armée mécanisée. Le « moteur
combattant », explique-t-il, va révolutionner l’art de la guerre, en réintroduisant la
surprise et la vitesse. Livres, études, articles, lettres sont envoyés à des centaines
de personnalités de toutes tendances. Reynaud est le seul à s’enflammer pour les
divisions cuirassées. Mais le projet de loi que le député libéral présente en 1935
se heurte à une levée de boucliers : pas question de remettre en cause la ligne
Maginot.
À la veille de la guerre, le colonel de Gaulle – promu en 1937, mais éloigné par
sa hiérarchie des milieux politiques – prend la tête des chars de la 5e armée, en
Alsace. Mais ces poussières d’unités n’ont qu’un lointain rapport avec la vision
gaullienne de « masse blindée », encore moins avec les Panzerdivisionen. En
janvier 1940, brisant une nouvelle fois le devoir de réserve, il adresse à quatrevingts personnalités un mémorandum intitulé L’Avènement de la force
mécanique. Son allié Paul Reynaud devient bien président du Conseil en mars
1940, mais se trouve ligoté par le maintien de Daladier au ministère de la Guerre.
Et rien ne bouge. Le 13 mai 1940, les Allemands crèvent le front à Sedan. À la
tête d’une unité de chars, sans soutien aérien, le général de brigade ne peut
qu’égratigner l’ennemi à Montcornet et Abbeville. Au moins a-t-il attaqué avec
cran, tranchant dans l’inertie générale du commandement. Dix ans plus tard, il
écrit : « Alors, au spectacle de ce peuple éperdu et de cette déroute militaire, [...]
je me sens soulevé d’une fureur sans bornes. Ah ! c’est trop bête ! La guerre
commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. Il y a, pour cela, de
l’espace dans le monde. Si je vis, je me battrai, où il faudra, tant qu’il faudra [...].
Ce que j’ai pu faire, par la suite, c’est ce jour-là que je l’ai résolu. »
La carrière politique de De Gaulle commence le 5 juin 1940, lorsque Reynaud le
nomme sous-secrétaire d’État à la Défense. L’armée française est sur le point de
rompre sur la ligne Aisne-Somme. Reynaud affronte au sein de son propre
cabinet ceux pour qui la guerre est déjà perdue, emmenés par Pétain, viceprésident du Conseil, et par Weygand, commandant en chef. De Gaulle est le pôle
le plus solide de la politique opposée : continuer la guerre, quoi qu’il en coûte,
ailleurs qu’en métropole, aux côtés de l’Angleterre. Churchill le remarque lors
d’une rencontre à Londres (9 juin). Chacun reconnaît en l’autre « l’homme de
caractère » qui ne se rendra jamais. La semaine suivante, de Gaulle pousse toutes
les initiatives capables de renforcer l’alliance franco-britannique et de soutenir la
volonté de lutte de Reynaud : l’idée d’un « réduit breton », le départ du
gouvernement pour Alger... Reynaud, empêtré dans ses manœuvres, démissionne
le 16 juin. Aussitôt, le président Lebrun appelle Pétain. Dès lors, de Gaulle n’a
plus aucune fonction politique, sa liberté même est menacée. Dans la matinée du
17, il s’envole vers Londres alors que Pétain annonce la demande d’armistice. Le
lendemain, il lance son premier appel à la résistance sur les ondes de la BBC. Le
28 juin, le gouvernement britannique le reconnaît comme « chef des Français
libres ». Le Rubicon a été franchi. De Gaulle n’est plus qu’un déserteur aux yeux
des autorités de son pays. Le 2 août, il est condamné à mort par contumace.
L’HOMME DE LA FRANCE LIBRE
L’objectif de De Gaulle ? Poursuivre la guerre. Vaste programme, vu la faiblesse
des moyens. Aucune personnalité d’envergure ne rallie la France libre des débuts,
à la seule exception du juriste René Cassin. De Gaulle, « général politique », qui
« n’écoute rien » d’après Jean Monnet, inquiète ceux-là mêmes qui sont opposés
de cette doctrine. En 1931, ce dernier, malgré
la querelle, oriente pourtant son ex-protégé
vers le Conseil supérieur de la Défense
nationale, qui sera le vrai tremplin de la
carrière de De Gaulle.
Les mécomptes du RPF
En avril 1947, de Gaulle reprend l’offensive
contre la IVe République. À Strasbourg, il
appelle les Français à se réunir pour « la
réforme profonde de l’État ». C’est l’origine
du Rassemblement du peuple français, pétri
des symboles (et, souvent, des réseaux) de la
France libre. La nouvelle formation s’axe sur
l’« Association » (capital-travail), sur un
anticommunisme virulent, sur l’annonce
obsessionnelle d’une troisième guerre
mondiale. Les 38 % de voix obtenus aux
municipales d’octobre 1947 représentent un
atout énorme... qui ne cessera de s’effriter
par la suite. Élus et électeurs du RPF
comprendront de moins en moins que le
Rassemblement vote toujours « contre » en
compagnie... des communistes. Le RPF est
pris dans une contradiction insoluble : ne pas
participer au régime honni des partis, ne se
prêter à aucune combinaison, mais ne pas
tenter le coup de force. En 1955, de Gaulle
se résout à mettre le RPF en sommeil. Le
bilan de l’expérience est négatif : l’image
d’un de Gaulle de droite, aspirant-dictateur et
nationaliste borné, s’est enracinée dans les
esprits de gauche. Le pessimisme du général,
sa diabolisation des partis, s’aggravent. Il ne
croit plus guère à son retour aux affaires. À
moins que... « S’il y a catastrophe, alors
peut-être auront-ils [les Français] un petit
sursaut et peut-être pourra-t-on faire quelque
chose » déclarait-il en 1949 à Georges
Pompidou.
Complot ou pas ?
Une partie de la presse de gauche le
dénonçait dès le printemps 1958, Mitterrand
l’écrivit dans Le Coup d’État permanent en
1964, nombre de témoins et d’historiens
l’ont répété depuis : de Gaulle a médité la
chute de la IVe République. Il a porté le pays
au bord de la guerre civile pour revenir au
pouvoir. Pour sa part, le général affirme qu’il
a sauvé la France de la guerre civile. Une
chose est certaine, il a montré une
époustouflante maîtrise, jouant
admirablement du temps, du silence et... des
ambiguïtés. Sur le destin de l’Algérie, ses
propos ont été tels que les partisans d’une
évolution et ceux d’une conservation ont cru
s’y retrouver. En outre, les réseaux gaullistes
ont été omniprésents à Paris et à Alger durant
toute la crise. Michel Debré, Jacques
Soustelle, Léon Delbecque, gaullistes «
Algérie française », ont travaillé l’opinion
dans le sens d’un retour du général au
pouvoir. Olivier Guichard et Jacques Foccart
ont fait le lien avec le reclus de Colombey.
133
à Pétain. Sa raide intransigeance et son autoritarisme font le vide. « Quant à moi,
commentera-t-il a posteriori, qui prétendais gravir une pareille pente, je n’étais
rien, au départ. [...] Mais ce dénuement même me traçait ma ligne de conduite.
C’est en épousant, sans ménager rien, la cause du salut national que je pourrais
trouver l’autorité. [...] Les gens qui, tout au long du drame s’offusquèrent de cette
intransigeance ne voulurent pas voir que, pour moi, tendu à refouler
d’innombrables pressions contraires, le moindre fléchissement eut entraîné
l’effondrement. Bref, tout limité et solitaire que je fusse, et justement parce que je
l’étais, il me fallait gagner les sommets et n’en descendre jamais plus »
(Mémoires de guerre).
Qui, à l’été 1940, est avec de Gaulle ? 4 500 soldats, 86 navires de guerre sans
marins, quelques centaines d’aviateurs : l’embryon des Forces françaises libres
(FFL) ; une poignée d’hommes d’affaires (René Pleven), d’intellectuels (Maurice
Schumann, Gaston Palewski) ; et des « sans grade », issus des classes moyennes,
échappés de France, en majorité des régions côtières. L’attaque de la flotte
française de Mers el-Kébir, le 3 juillet 1940, par les Britanniques, empêchera les
ralliements sur lesquels de Gaulle comptait le plus : ceux des grands territoires
coloniaux. C’est contre eux qu’il fait donner ses maigres forces. Il échoue devant
Dakar, mais le commandant Leclerc, en son nom, s’empare du Cameroun, de
l’Afrique équatoriale et du Gabon. L’Afrique noire sera la base territoriale de la
France libre. La rentrée dans la guerre se fait aux côtés des Britanniques,
notamment en Libye, où la brigade de Kœnig retarde Rommel à Bir Hakeim
(mai-juin 1942). Apprenant la nouvelle, de Gaulle, avare de démonstrations, se
met à sangloter...
TENSIONS ET RALLIEMENTS
De Gaulle doit aussi lutter contre les empiétements britanniques et assurer partout
la souveraineté française dont il s’estime dépositaire. Il provoque la fureur de
Roosevelt, qui le déteste, en s’emparant de Saint-Pierre et Miquelon en décembre
1941. Il accepte le combat fratricide en Syrie, contre les troupes vichystes, en juin
1941. Il va jusqu’à menacer Churchill de rompre l’alliance lorsque celui-ci fait
occuper Madagascar, territoire français, à l’automne 1942.
La grande crise entre France libre et Alliés intervient après le débarquement au
Maroc et en Algérie, le 8 novembre 1942. Soucieux de mettre l’armée française
d’Afrique au combat, les Américains jouent la carte de l’amiral Darland, puis du
général Giraud, vichystes patentés. Il faudra à de Gaulle une année de lutte pour
se débarrasser de Giraud et rester seul président du Comité français de Libération
nationale. Encore est-ce le ralliement de la Résistance intérieure qui fait basculer
le rapport des forces en sa faveur. Qu’en est-il des rapports entre de Gaulle et les
combattants de l’ombre ? Admiration et suspicion résument le point de départ. De
Gaulle admire ceux qui luttent sur le territoire national ; mais la forte
participation communiste, la réapparition des partis politiques, à ses yeux
discrédités, l’inquiètent et l’irritent. Les résistants, eux, saluent le courage du
solitaire de Londres. Néanmoins ce général autoritaire n’est-il pas un homme de
droite, une variante patriote de ce Vichy abhorré ? De Gaulle et la Résistance
intérieure mettront deux années pour cheminer l’un vers l’autre. Jean Moulin sera
la clé de ce cheminement. La tension entre de Gaulle, les Alliés et la Résistance
resurgit lors de la Libération. Aux Américains qui veulent imposer une
administration militaire, de Gaulle oppose ses propres commissaires de la
République. Le 14 juin 1944, il va installer lui-même à Bayeux le premier d’entre
eux. Autre pouvoir concurrent : celui des divers comités et milices résistants qui
s’installent dans le vide laissé par Vichy. Sans états d’âme, de Gaulle les met au
pas. L’État, en sa personne, est rentré chez lui. À ceux qui le pressent de
proclamer la République à l’Hôtel de Ville, il refuse net, arguant que la
République n’a jamais cessé de vivre à travers la France libre.
DU POUVOIR AU DÉSERT
Le 25 août 1944, de Gaulle arrive dans Paris encore bruissant des combats de la
Libération. Le lendemain, c’est la descente triomphale des Champs-Élysées.
Enfin, les Français voient ce « général radio » !
Le 31 août, le Gouvernement provisoire de la République française s’installe. De
Gaulle en prend la tête et y restera jusqu’en janvier 1946. L’œuvre accomplie
durant ces 18 mois est immense. Une bonne part de l’appareil de production, de
transport et de crédit est nationalisé. Sont signées les ordonnances organisant la
Sécurité sociale et les comités d’entreprise. Le droit de vote est accordé aux
femmes.
L’ensemble de ces mesures – globalement de gauche – s’inscrivent aussi au crédit
Delbecque a mis sur pied le Comité de
vigilance qui lance la manifestation algéroise
du 13 mai 1958. Le même Delbecque
seconde Massu au Comité de salut public.
C’est lui encore qui souffle à Salan le
fameux « Vive de Gaulle » qui désarme
Pflimlin, alors aux affaires. En Corse, la
prise d’Ajaccio se fait avec le concours d’un
gaulliste local : Pascal Arrighi. L’opération
Résurrection est lancée par Massu, sa
menace agitée par Delbecque. Enfin, le 3
juin, après la crise, de Gaulle reçoit
Delbecque auquel, d’après J.-R. Tournoux, il
déclare : « Vous avez été magnifique. [...] La
France vous doit beaucoup à Massu et à
vous... Mais avouez que j’ai bien joué aussi.
» De Gaulle a-t-il accepté l’idée du coup de
force ? On ne l’imagine guère débarquant à
l’Élysée sur le pavois des paras. Mais, à tout
le moins, il a joué sur l’ambiance de putsch,
pratiqué ou fait pratiquer l’intox et le bluff,
avec un art consommé de stratège.
Une politique étrangère hyperactive
De Gaulle veut dégager la France de
l’oppressante politique des Blocs en suivant
un mot d’ordre : primat de la défense et de
l’indépendance nationale dans le cadre
européen et de la coopération avec le tiersmonde. En contrepoint de la constitution
d’une force de frappe nucléaire nationale, il
rejette le protectorat américain : la France se
retire du commandement de l’OTAN (1966).
Certes, de Gaulle est un allié fidèle, résolu si
l’heure est grave (crise de Cuba). Il reconduit
d’ailleurs l’adhésion française au Pacte
atlantique (1969).
Mais, lors de ses voyages en Amérique latine
(1964) et au Québec (1967), il prêche pour
l’indépendance des nations dans le pré carré
des États-Unis. Approche reprise vis-à-vis du
bloc soviétique, la Pologne (1967) et la
Roumanie (1968) étant invitées à prendre
distance avec le « grand frère » russe. La
reconnaissance de la Chine communiste
(1964), le voyage en URSS (1966) et le
discours de Phnom Penh (1966) renforcent
aussi le non-alignement sur Washington.
Dernier axe : le Marché commun.
Là encore, de Gaulle expose son
indépendantisme gallocentrique. Le double
veto (1963 et 1967) mis à l’adhésion d’une
Grande-Bretagne, jugée trop proche de
Washington, montre sa pugnacité antiaméricaine. Le Plan Fouchet de 1961 vise à
liquider toute tendance à la supranationalité
et souligne le désir d’une prépondérance
française en Europe. C’est un échec, tout
comme l’« axe franco-allemand » (1963), car
Bonn, pas plus que Londres, ne veut se
passer du parapluie nucléaire américain.
Dépité par ses échecs, de Gaulle se rabat sur
la défense hargneuse des intérêts nationaux,
menaçant de se retirer du Marché commun à
propos de la politique agricole (politique de
134
de ce que de Gaulle révère le plus : l’autorité de l’État, la solidarité des classes et
l’unité de la nation. À l’extérieur, de Gaulle engrange les bénéfices de son
combat « pour le rang » : une zone d’occupation en Allemagne, un siège de
membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, un empire quasiment intact.
L’effondrement de 1940, la honte de Vichy, la participation modeste à la victoire
sont gommés par un mythe national qui ne sera écorné que dans les années 1980 :
celui d’une France unanimement résistante. De Gaulle en sort renforcé.
C’est sur la forme du nouveau régime que de Gaulle va se trouver isolé. Ses
projets et ceux de l’Assemblée constituante dominée par les communistes, les
socialistes et les démocrates-chrétiens du MRP sont incompatibles. Aussi
démissionne-t-il le 20 janvier 1946. Le général croit qu’on va le rappeler. Il se
trompe.
L’« homme des tempêtes » n’envisage pas l’inaction et, le 5 mai 1946, lorsqu’un
référendum rejette le projet d’une constitution qui réduit le pouvoir exécutif à la
portion congrue, il croit voir une occasion de ressaisir l’initiative. Le 16 juin, à
Bayeux, il prononce un discours retentissant, esquissant un projet qui ressemble
fort à la future Ve République. Mais, en octobre, sa campagne se solde par un
échec : les Français accordent une (petite) majorité au « oui » à la IVe
République. Après l’expérience du RPF, de Gaulle entame sa « traversée du
désert », en attendant la catastrophe qui fait qu’on appelle les hommes de
recours...
LE RETOUR ET LE RECOURS
La « catastrophe » souvent évoquée par de Gaulle sera la guerre d’Algérie.
Commencé le 1er novembre 1954, ce conflit dégénère en crise de régime après le
8 février 1958. Ce jour-là, l’aviation française bombarde le village tunisien de
Sakhiet, en représailles de tirs effectués par l’Armée de libération nationale
algérienne. Soixante-quinze civils sont tués. L’affaire, portée à l’ONU par le
président tunisien Bourguiba, internationalise la question algérienne. Les AngloAméricains proposent leurs « bons offices », acceptés par le gouvernement
Gaillard qui tombe, pour cette raison, le 15 avril. Le 13 mai, après un mois de
crise, le MRP Pierre Pflimlin demande l’investiture à l’Assemblée. Le même
jour, à Alger, un Comité de vigilance incluant nombre d’activistes d’extrême
droite, comme Pierre Lagaillarde, appelle la population à une manifestation :
Pflimlin a eu le tort de se déclarer prêt à des discussions avec le FLN. La
manifestation dégénère. Les Algérois menés par Lagaillarde prennent d’assaut le
Gouvernement général, siège du pouvoir. Mais, de sa propre initiative, le général
Massu, commandant la 10e division parachutiste, coupe l’herbe sous le pied des
ultras. Il prend la tête d’un Comité de salut public et lance un appel à de Gaulle.
Le régime semble se ressaisir. Pflimlin reçoit la confiance de l’Assemblée et
condamne l’insurrection, confiant à Salan, commandant en chef, les pouvoirs
civils et militaires en Algérie. Mais Salan dévoile les sentiments d’une armée
hantée par l’idée d’un « Diên Biên Phu diplomatique ». Le 15 mai, il lance,
depuis le balcon du Gouvernement général, un « Vive de Gaulle ! ». Le général
sort aussitôt de son mutisme pour se déclarer « prêt à assumer les pouvoirs de la
République ». Il se garde bien de désapprouver le mouvement du 13 mai, ce qui
renforce la suspicion de la gauche. Pendant les quinze jours qui suivent circulent
des rumeurs malsaines. Les paras à Paris ? Massu a chargé certains de ses
subordonnés d’étudier une conquête de la métropole par ce qui deviendra «
l’opération Résurrection ». Le 24 mai, les paras du 1er choc s’emparent de la
Corse. De Gaulle, patelin, joue de cette menace, provoquant des raidissements
chez certains (Mendès France, Mitterrand...), des ralliements chez d’autres
(Mollet, Pinay...).
De Gaulle intervient de nouveau le 27 mai, lorsqu’il sent que l’armée se divise et
que l’opération Résurrection pourrait se réaliser pour le compte des ultras. « J’ai
entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement
républicain », annonce-t-il dans un coup de bluff magistral. Dépassé par la
manœuvre, Pflimlin démissionne le 28, alors que la gauche défile aux cris de « le
fascisme ne passera pas, de Gaulle au musée ! »
La crise est dénouée le 29 mai par l’initiative du président de la République, René
Coty, qui appelle de Gaulle à former le gouvernement. Le 1er juin, le général
monte à la tribune de l’Assemblée pour y demander « pleins pouvoirs, mandat de
soumettre au pays une nouvelle constitution, mise en congé des Assemblées ».
Habilement, le général s’adjoint des ministres de tous bords : Mollet, Pflimlin,
Pinay, Debré... Le 2, la confiance lui est votée.
LA RÉPUBLIQUE GAULLIENNE
la « chaise vide », 1966). Parallèlement, il
encourage une active politique vers les excolonies africaines et le tiers-monde.
Les mots-clés du général
La pensée politique de De Gaulle s’ordonne
autour d’une « certaine idée » de l’histoire de
la France. En s’inspirant de l’analyse de
Maurice Agulhon (dans De Gaulle, histoire,
mythe et symbole, 1999), on peut en dégager
six concepts-clés.
FRANCE
« Toute ma vie, je me suis fait une certaine
idée de la France. Le sentiment me l’inspire
aussi bien que la raison. Ce qu’il y a, en moi,
d’affectif imagine naturellement la France,
telle la princesse des contes ou la madone
aux fresques des murs, comme vouée à une
destinée éminente et exceptionnelle. J’ai,
d’instinct, l’impression que la Providence l’a
créée pour des succès achevés ou des
malheurs exemplaires. » Ainsi s’ouvrent les
Mémoires de guerre. Tout est dit ou presque
: ce que de Gaulle a fait, il l’a fait pour la
France vue comme un rêve, une apparition,
une vision, un destin. Le patriotisme gaullien
relève ainsi d’une conception quasi
religieuse qui ne verse toutefois jamais dans
le thème barrèsien du « sang et de la terre »,
ni ne dégénère en xénophobie. De Gaulle
reconnaît l’existence d’autres valeurs que
celle de la nation. Des valeurs universelles :
la liberté et l’humanisme. Son « idée » de la
France est donc ouverte au monde, sans
crainte ni complexe, puisque, précisément,
son ambition est d’être un modèle au milieu
du monde. Mais quels rapports cette « idée
de la France » entretient-elle avec les
Français ?
PEUPLE
« Il ne faut pas confondre les intérêts de la
France avec ceux des Français », assène le
général en 1962 lors d’un conseil des
ministres (Alain Peyrefitte, C’était de
Gaulle). Pourquoi ce distinguo ? Parce qu’il
juge que les Français ne se montrent pas, en
général, à la hauteur de la France. Il parle
souvent d’un peuple porté à la division, au
découragement, à l’inconstance. Dans
Mémoires de guerre, il écrit : « S’il advient
que la médiocrité marque, pourtant, ses faits
et gestes [de la France], j’en éprouve la
sensation d’une absurde anomalie, imputable
aux fautes des Français, non au génie de la
patrie. » Se souvenant de 1946, il évoque son
« doute » et son « angoisse » quant aux
possibilités du peuple français : « Ces vastes
entreprises [...] ne dépassent-elles pas ses
moyens et ses désirs ? » Alors, comment
amener, selon Maurice Agulhon, ce « peuple
enfant » à être à la hauteur de la France ? De
Gaulle juge que « seules de vastes
entreprises sont susceptibles de compenser
les ferments de dispersion que [ce] peuple
porte en lui-même ». « Notre pays, tel qu’il
135
Pour sortir du bourbier algérien, accomplir le « grand dessein » dont il rêve, il
faut à de Gaulle une constitution sur mesure. Le texte en est plébiscité le 28
septembre 1958 (79,2 % de oui !). Le chef de l’État est le personnage clé par la
possession de trois armes : le droit de dissoudre l’Assemblée, l’octroi de pouvoirs
spéciaux en cas de crise, le droit de recourir au référendum. Sur cette base, de
Gaulle est élu président de la République le 21 décembre par un collège de
conseillers généraux et municipaux. En novembre, les partis qui le soutiennent
avaient obtenu la majorité absolue à l’Assemblée, l’Union pour la nouvelle
République (UNR) (qui regroupe les mouvements gaullistes) s’octroyant 198
députés sur 468.
Sur l’Algérie, de Gaulle s’achemine, par étapes, vers l’indépendance. La
détermination du FLN, les divisions apparues dans l’armée et dans le peuple,
l’amènent tant bien que mal à signer les accords d’Évian, approuvés par 90 % du
corps électoral, le 8 avril 1962. Au passage, le chef de l’État aura affronté la
révolte des pieds-noirs, poussés au pire par l’OAS, celle de l’armée (putsch
d’avril 1961), puis une tentative d’assassinat, à Pont-sur-Seine, le 8 septembre
1961. Ces convulsions le confortent dans sa volonté d’en finir aussi avec l’empire
africain. En 1960, les États africains sortent de la Communauté et accèdent à
l’indépendance. Le général s’y résout d’autant mieux que des accords de
coopération y maintiennent au premier rang la présence française.
Le 22 août 1962, de Gaulle échappe à un attentat perpétré au Petit-Clamart par le
dernier carré de l’OAS. Suprême tacticien, il profite de l’émotion soulevée pour
proposer, par référendum, une modification majeure de la Constitution : l’élection
du président de la République au suffrage universel. Certes, il y perd sa majorité
politique début octobre (le gouvernement Pompidou est renversé par la coalition
de la gauche et des modérés), mais il dissout l’Assemblée et s’assure finalement
une victoire écrasante : le 28 octobre, 62,2 % des électeurs approuvent la réforme.
Le 25 novembre, l’UNR, appuyée par les Républicains indépendants de Giscard
d’Estaing, reprend la majorité à l’Assemblée. L’opposition est laminée. Le
système des partis a volé en éclats. Le général a les mains libres.
LE GRAND DESSEIN
Dans l’esprit de De Gaulle, gouverner, c’est faire entendre la voix de la France.
Sa politique étrangère sera pragmatique et tout empreinte de symboles. Le « rang
», la « grandeur », objectifs proclamés, ont-ils vraiment pour but de faire jouer à
la France, puissance moyenne, un rôle mondial ? Voire d’enfoncer un coin dans «
l’esprit de Yalta », qui stigmatise, dans la mythologie gaulliste, la bipolarisation
du monde ?
Certains analystes en ont douté, tant l’objectif semblait hors de portée. Le « grand
dessein » proposé aux Français n’aurait-il été qu’un symbole à usage interne, un
ciment destiné à lutter contre les « ferments de dispersion » et l’affaiblissement
du sentiment national ? La question reste ouverte.
Quoi qu’il en soit, de Gaulle consacre à la politique étrangère l’essentiel de ses
forces. L’appréciation de cette politique reste aussi matière à controverse.
Relevons trois faits. Les années passant, le général sera de plus en plus tenté par
une diplomatie du « geste » où voyages – avec bain de foule – et discours
frappent l’opinion internationale. Le retour de la France au premier plan...
médiatique est à cet égard incontestable. Ensuite, même si sa portée pratique est
limitée, l’action extérieure recueille l’adhésion des Français. Enfin, cette adhésion
se fissure en 1967, avec l’éclat de Montréal (« Vive le Québec libre ! ») et la
condamnation d’Israël lors de la guerre des Six jours. Désaccord grave, qui
entame un pilier du consensus national, celui de la politique étrangère. Or, cette
faille apparaît au moment où la politique intérieure est contestée.
LE COMMANDEUR ÉBRANLÉ
La crise algérienne réglée, l’action de De Gaulle est de plus en plus jugée dans le
domaine économique et social, ainsi que dans son style de gouvernement. Certes,
la France connaît une superbe croissance économique, mais l’opinion semble plus
sensible à ses déséquilibres ainsi qu’à l’aggravation des inégalités. Grèves et
manifestations se multiplient à partir de 1963. De Gaulle rate le test de l’élection
présidentielle de 1965. Il s’abstient de faire campagne au premier tour, laissant le
champ libre aux hommes qui recomposent alors l’opposition : François
Mitterrand pour la gauche non-communiste, Jean Lecanuet pour le centre droit.
L’opinion subit un choc à voir et entendre à la télévision des hommes qui en
étaient exclus. Le « pouvoir personnel » de De Gaulle y est dénoncé, de même
que sa politique européenne. Résultat : ballottage à l’issue du premier tour. Face
au péril, le général explique sa politique aux Français et l’emporte finalement
est [...], doit, sous peine de danger mortel,
viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens,
la France ne peut être la France sans la
grandeur. » Encore faut-il qu’apparaisse l’«
homme de caractère », qui rappelle aux
Français leur mission.
L’HOMME DE CARACTÈRE
L’homme providentiel dont la France a
périodiquement besoin, de Gaulle le décrit
dès 1932 dans Le Fil de l’épée. « Face à
l’événement, c’est à soi-même que recourt
l’homme de caractère. Son mouvement est
d’imposer à l’action sa marque, de la prendre
à son compte, d’en faire son affaire. Et loin
de s’abriter sous la hiérarchie [...], le voilà
qui se dresse, se campe et fait front. [...] La
passion d’agir [...] s’accompagne,
évidemment, de quelque rudesse dans les
procédés. [...] Les subordonnés l’éprouvent
et, parfois, ils en gémissent. D’ailleurs un tel
chef est distant, car l’autorité ne va pas sans
prestige, ni le prestige sans éloignement. Audessous de lui, l’on murmure tout bas de sa
hauteur et de ses exigences. Mais, dans
l’action, plus de censeurs ! Les volontés, les
espoirs s’orientent vers lui comme le fer vers
l’aimant. Vienne la crise, c’est lui que l’on
suit, qui lève le fardeau de ses propres bras. »
Cette rhétorique du héros, de l’homme
providentiel, du sauveur, est usuelle chez les
penseurs de la fin du XIXe siècle que de
Gaulle a lus, Nietzsche en tête. Elle traverse
cette histoire de France que de Gaulle
connaît et qu’il se représente comme une
généalogie d’êtres d’exception surgissant à
point nommé : Jeanne d’Arc, Louis XIV,
Carnot, Gambetta, Clemenceau... Nul doute
que le jeune de Gaulle se soit identifié à ces
figures tutélaires, avant d’envisager
d’incarner cet homme providentiel qui, en
sauvant la nation, inscrit son nom dans le
granit de l’histoire.
APPEL
Mais, pour que le héros paraisse, l’appel doit
retentir. Appel de l’Histoire d’abord : crise
nationale, événement catastrophique. À cet
égard, de Gaulle est pessimiste : les guerres,
civiles ou étrangères, viennent toujours
rappeler un peuple à ses devoirs en le
menaçant de disparition.
L’appel est aussi celui que l’homme de
caractère adresse à ceux qui refusent
l’abaissement. Dans la mythologie
gaullienne, plusieurs événements
appartiennent à cette catégorie : l’appel du
18 juin 1940 bien sûr, mais aussi
l’exhortation directe « Françaises, Français,
aidez-moi ! » lancée à plusieurs reprises,
comme le 1er mai 1949 à Bagatelle (au
temps du RPF) ou le 23 avril 1961 (lors du
putsch d’Alger). Troisième type d’appel :
celui qu’un peuple en détresse ne peut
manquer d’adresser à l’homme du recours.
Fort de l’aura acquise dans la guerre et dans
l’immédiat après-guerre, malgré l’échec du
136
contre Mitterrand, au second tour, avec 54,5 % des voix. Malgré cette victoire, le
président se sent ébranlé... Un « troisième tour » s’annonce avec les législatives
de 1967. L’Union des démocrates pour la Ve République – avatar de l’UNR –
frôle la défaite en ne s’assurant que de 245 sièges (dont 43 giscardiens...) sur 487.
L’atmosphère politique s’alourdit.
LE GLAS DE MAI
La crise de mai 1968 surprend tous les acteurs politiques. La violente contestation
étudiante, l’énorme vague de grèves, sont incontrôlables. De Gaulle ne prend pas
la mesure de l’événement. Au moment où l’agitation atteint son comble à
Nanterre, le 3 mai 1968, son premier ministre, Georges Pompidou, part en
Afghanistan. Le 14 mai, lendemain de la grande manifestation syndicale, de
Gaulle s’envole pour la Roumanie. Le discours qu’il prononce le 24 mai est sans
effet. « J’ai mis à côté de la plaque », aurait-il reconnu.
Le 28 mai, le pouvoir semble vacant. Mitterrand préconise la formation d’un
gouvernement provisoire présidé par Mendès France. Le 29 mai, de Gaulle
disparaît. On apprendra plus tard qu’il est parti à Baden-Baden auprès de Massu,
commandant des forces françaises en Allemagne. La signification de l’escapade
reste incertaine. Crise de découragement ? Volonté de dramatiser la situation en
agitant le spectre de la guerre civile ? Quoi qu’il en soit, la riposte du 30 mai est
foudroyante. C’est un grand de Gaulle qui s’adresse à la nation : dissolution du
Parlement, annonce de nouvelles élections, appel à « l’action civique ». Le soir
même, une énorme manifestation gaulliste descend les Champs-Élysées.
L’initiative a changé de camp. Les élections législatives de juin sont celles de la
peur : l’UDR rafle une majorité écrasante.
De Gaulle tire une double leçon de la crise : il faut répondre au besoin de réforme
exprimé en mai ; il lui faut éprouver sa légitimité par un référendum. La réforme,
de Gaulle la définit comme la « participation » plus grande des Français à la
gestion de leurs affaires. Dans cet esprit, il charge Edgar Faure d’élaborer une «
loi d’orientation », qui met fin au pouvoir des « mandarins » dans l’Université.
Novatrice, la réforme est votée en grimaçant par la majorité UNR. Car cette
majorité d’ordre se montre beaucoup plus conservatrice que le président. Elle se
reconnaît plus volontiers dans l’ancien Premier ministre, Georges Pompidou, que
de Gaulle a remplacé en juillet 1968 par Couve de Murville. Pour retremper sa
légitimité, de Gaulle choisit une mauvaise occasion : faire approuver un projet de
refonte du Sénat, couplé à un embryon de régionalisation du pays. La question
posée au référendum ressemble à un quitte ou double hâtif. Surtout que le « moi
ou le chaos », si souvent agité, n’est plus de mise. De sa retraite, Pompidou s’est
en effet déclaré prêt à lui succéder, ce qui lève les inhibitions chez beaucoup. La
gauche et le centre appellent à voter non, rejoints par les élus locaux hostiles à la
réforme du Sénat. Giscard d’Estaing prêche aussi le non, de même que les
milieux d’affaires irrités par la politique monétaire du général.
Le résultat du référendum est sans surprise : 52,4 % de non. De Gaulle en tire
aussitôt la conséquence, cohérente avec sa conception de la légitimité. Le 28 avril
1969 tombe ce bref communiqué : « Je cesse d’exercer mes fonctions de
président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi. » Puis
il se retire à Colombey, muré dans un silence officiel, jusqu’à sa mort, le 9
novembre 1970.
RPF, de Gaulle se pose en recours en 1952.
En 1958, il joue de cette idée avec maîtrise.
Ainsi, en clôture de sa conférence de presse
du 19 mai, il déclare : « À présent, je vais
rentrer dans mon village et m’y tiendrai à la
disposition du pays. »
Que manifeste ce thème de l’appel ? Le fait
que de Gaulle conçoit le pouvoir sous la
forme d’un lien direct, dramatisé, entre lui et
le peuple, dont le référendum serait l’outil
institutionnel.
RASSEMBLEMENT
Les Français sont portés aux querelles ? Il
faut les rassembler ! Dès 1946, le mot est
omniprésent dans les discours gaulliens. À
l’inverse, de Gaulle n’a pas de mot assez dur
pour stigmatiser ce qui divise, les partis et la
lutte des classes au premier chef. Tous les
mouvements politiques se réclamant du
général repousseront d’ailleurs la
dénomination de parti, lui préférant celle de
rassemblement (tel le RPF) ou d’union
(UNR, UDR, RPR et plus récemment RPF).
Partant de cette logique du rassemblement et
de sa conception de l’homme providentiel,
de Gaulle se considère donc comme
l’homme situé au-dessus des querelles : il se
présente en « champion de la France, non
point celui d’une classe ou d’un parti »
(Mémoires de guerres). Sa définition du rôle
de chef de l’État souligne qu’il est « placé
au-dessus des partis », « garant de l’intérêt
général ».
Relevons ici que de Gaulle, comme nombre
d’hommes de sa génération, a la nostalgie de
l’Union sacrée de 1914, du coude à coude
fraternel des tranchées, qui au-delà des
différends politiques, religieux et sociaux,
symbolisaient la figure tutélaire d’une France
unie, indivisible et combattante.
ÉTAT
L’homme fort et de rassemblement doit donc
cimenter le sentiment national et l’unité
nationale, ce en quoi l’État le relaie « pour
bâtir la puissance nationale » (Mémoires de
guerre). « Toute notre Histoire, écrit encore
de Gaulle dans Mémoires d’espoir, c’est
l’alternance des immenses douleurs d’un
peuple dispersé et des fécondes grandeurs
d’une nation libre groupée sous l’égide d’un
État fort. » Cet État « impartial et fort », de
Gaulle en fait le moteur de la grandeur
française. C’est le corset, le principe de
permanence qui contient l’anarchie latente
des « Gaulois ». Dès lors, il n’est pas
étonnant qu’il accepte les nationalisations de
1944-1945, qu’il croie à l’« ardente
obligation » de la planification économique,
qu’il favorise la création de l’École nationale
d’administration ou, parmi d’autres
exemples, qu’il impulse, sur des fonds
publics, de grands projets technologiques
visant à illustrer et à magnifier la puissance
française : arme nucléaire, fusée Diamant,
supersonique Concorde, Plan calcul...
137
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
De même, le président de la Ve République,
qui vivait fort simplement, n’a jamais lésiné
sur le faste des réceptions d’hôtes étrangers à
Versailles. La France, le souverain, l’État :
les trois termes participent d’une même
identification, d’un même orgueil, de Louis
XIV à Charles de Gaulle. Certains
caricaturistes l’avaient bien compris, qui ont
croqué de Gaulle pendant des années sous les
traits du Roi-Soleil dans le Canard
enchaîné...
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
138
HC – Le gaullisme de 1944 aux années 1990
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Serge Berstein, Histoire du gaullisme (Paris, Éditions Rémi Perrin, 2001)
Documentation Photographique et diapos :
Berstein Serge, Le gaullisme, La documentation photographique, n°8050, La documentation Française, 2006.
Revues :
« Les années De Gaulle » in Les collections de L’Histoire, hors série n°1, février 1998.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
BO actuel : «
Ecrire une histoire culturelle du gaullisme, tel est l'ambitieux pari de Serge
Berstein. Autrement dit, décoder les écrits et les discours de Charles de Gaulle
comme de ses successeurs, décortiquer leur pratique du pouvoir, analyser les
mutations du gaullisme depuis les temps héroïques des années 1930 et 1940
jusqu'aux aggiornamentos des années Chirac et à la disparition d'une formation
gaulliste autonome. Cela suppose également de s'intéresser aux motivations des
militants ou des électeurs, à leurs enthousiasmes successifs suivis de périodes de
désaffection plus ou moins prolongées. Mais l'histoire du gaullisme est
indissociable de l'aventure d'un homme d'exception et du destin de plusieurs
figures politiques marquantes de l'après-guerre. Serge Berstein raconte une "
histoire de famille " qui a nourri l'imaginaire de trois générations.
* De Gaulle avant le gaullisme : un militaire en marge de la République
* Le gaullisme de la Résistance : du refus patriotique à la restauration de la
République
* L'échec de la greffe gaulliste sur le modèle républicain (octobre 1945 octobre 1946)
* Le gaullisme du RPF, une machine de guerre contre la IVe République
* La divine surprise du 13 mai
* Le gaullisme, une réponse aux problèmes de la France du second XXe siècle
? (1958-1969)
* Georges Pompidou et la pérennisation du gaullisme (1969-1974)
* Un néo-gaullisme chiraquien ? Captation et banalisation du gaullisme (19741986)
* Le retour au pouvoir des gaullistes et le crépuscule du gaullisme
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Le gaullisme de guerre (1940-1944)
Le gaullisme a commencé pendant la guerre, comme un mouvement uniquement
patriotique. Il a rassemblé alors autour du général de Gaulle, les hommes de
toutes tendances politiques qui voulaient lui apporter leur appui pour continuer le
combat contre Hitler et le fascisme aux cotés des Alliés et rejeter l'armistice
conclu par le maréchal Pétain. À partir de juillet et d'octobre 1940, De Gaulle a
rejeté en outre les lois inconstitutionnelles, répressives et racistes instituées par
Pétain, et s'est érigé en défenseur de la légalité républicaine.
Les gaullistes qui le pouvaient ont alors rejoint l'Angleterre pour s'engager dans
les Forces Françaises Libres, et combattre aux coté des Alliés, ou déclenché les
mouvements de ralliement de diverses colonies françaises qui sont rentrées en
guerre sous l'autorité de De Gaulle.
Les autres gaullistes, ceux qui ne pouvaient le rejoindre (c’est-à-dire la majorité)
sont restés dans les territoires dirigés par Vichy, ou certains d'entre eux ont
constitué des réseaux de propagande, de renseignements ou de sabotage contre les
occupants. Finalement toutes ces organisations de résistance ont été rassemblées
par Jean Moulin, au sein du Conseil national de la Résistance (CNR), sous les
139
ordres du Général de Gaulle qui a transformé son mouvement de France libre en
France combattante, pour y rassembler les résistants de l'extérieur et de l'intérieur.
Mais de Gaulle ne s'est pas contenté de maintenir une partie des Français dans la
lutte contre l'occupant allemand : il a aussi tout fait pour reconquérir la
souveraineté française dans le camp allié, contre certaines pressions des
gouvernants anglais et surtout américain qui ont longtemps joué contre lui la carte
vichyste.
Lors de la Libération, la Résistance françaises a multiplié ses actions et paralysé
les tentatives de riposte allemande au débarquement. Quant à la population
française, elle a accueilli de Gaulle en triomphateur, forçant ainsi Roosevelt à
reconnaître enfin pleinement le gouvernement provisoire installé en France par de
Gaulle.
Le gaullisme politique (après 1944)
Mais de Gaulle, après avoir atteint son but de guerre et restauré la démocratie, a
critiqué le regime des partis qui avait été selon lui pour la France, avant la guerre
une source de faiblesse, et préconisé l'instauration d'un système cumulant la
démocratie avec un exécutif fort.
Les partis politiques, objets de ses critiques, se sont défendus et il s'est considéré,
ne pouvant appliquer son programme, comme contraint de démissionner.
Le « gaullisme » a alors pris une autre signification : il a cessé d'être un
mouvement de résistance et de rétablissement de la démocratie. Le gaullisme est
devenu un mouvement politique décidé à soutenir les idées de Charles de Gaulle
sur la nécessité d'un pouvoir démocratique mais fort, auquel on avait ajouté un
volet social : la volonté d'associer le capital et le travail. Certains anciens
vichystes se sont alors ralliés au gaullisme comme d'anciens cadres communistes,
tandis que certains de ses compagnons de lutte de la France libre et de la
résistance qui avaient pris position à gauche ont combattu son Rassemblement du
peuple français (RPF).
Comme la Quatrième République avait rapidement évolué dans le sens d'un
régime de prépondérance de l'Assemblée, avec des gouvernements de coalition
éphèmères et ne parvenant pas à prendre les décisions, les gaullistes l'ont
combattu sans merci associant parfois leurs voix au Parlement à celles des
communistes.
Mais le régime de la IVe République était affaibli par l'incapacité de ses
gouvernements de coalition à résoudre les problèmes de la décolonisation. Après
un sursaut sous la présidence du Conseil de Pierre Mendès France (ancien
aviateur de la France Libre, puis ministre de De Gaulle au Comité d'Alger
(CFLN) et au gouvernement provisoire), qui a réussi à mettre fin pour la France à
la guerre d'Indochine et à décoloniser la Tunisie, la IVe République a sombré à
nouveau dans l'immobilisme : l'insurrection algérienne a entrainé une répression
militaire puis un divorce de la métropole, non seulement avec les indigènes, mais
aussi avec les Français d'Algérie, jusqu'a la tentative de coup d'État du 13 mai
1958 fomenté à Alger, par des activistes de droite et d'extrème droite et de
l'armée encouragés par la population française locale.
Le gouvernement central a été incapable de riposter à ce mouvement et a affecté
de le prendre sous son égide en nommant le commandant en chef Salan rallié aux
rebelles comme son représentant en Algérie.
De Gaulle, l'ancien libérateur, a paru alors à beaucoup le seul recours et le
président de la république René Coty l'a appelé à prendre la Présidence du
Conseil.
Les mouvements politiques gaullistes ont eu plusieurs noms suivant les époques :
* Rassemblement du peuple français (RPF) (1947-1953) ;
* Union pour la nouvelle République (UNR) (1958-1962) ;
* Union pour la nouvelle République - Union démocratique du travail (UNRUDT) (1962-1967) ;
* Union des Démocrates pour la Ve République (UDVe) (1967-1968) ;
* Union des démocrates pour la République (UDR) (1968-1976)[1] ;
* Rassemblement pour la République (RPR) (1976-2002).
Le(s) gaullisme(s) après de Gaulle
Le néo-gaullisme des années 1970
Les successeurs de Charles de Gaulle — Georges Pompidou, Jacques Chirac... —
ont toutefois normalisé le programme gaulliste en l'alignant sur celui des droites
140
européennes (capitalisme libéral, atlantisme, Europe supranationale, etc.). On
parle alors parfois de « néo-gaullisme » et non plus de gaullisme. Ainsi, le néogaullisme moderne n'a gardé du gaullisme que l'idée d'une France forte au sein
d'une Europe indépendante.
La conversion libérale et européenne (années 1980-1990)
La mutation fondamentale est intervenue sous les présidences de Georges
Pompidou et de Valéry Giscard d'Estaing et s'est pousuivie dans la première
moitié des années 1980. La rapide diffusion à travers le monde des idées du
libéralisme économique sur les modèles britannique (1979) et américain (1980)
parallèlement à l'affrontement idéologique avec les gouvernements socialistes de
la présidence de François Mitterrand (après 1981) ont entraîné la conversion de la
majorité du RPR au libéralisme économique. Les mesures du gouvernement
Jacques Chirac de 1986 - 1988 en sont l'illustration. Seconde grande mutation : la
conversion officielle du RPR à l'idée européenne, suite au revirement de Jacques
Chirac sur cette question (contrairement à l'appel de Cochin), avec en particulier
la campagne menée par lui, contre une minorité menée par Charles Pasqua et
Philippe Seguin, en faveur du traité de Maastricht).
Le RPR regroupait alors trois tendances :
* Une aile libérale (Édouard Balladur, Nicolas Sarkozy) dont les idées
libérales, européennes et atlantistes ne se différenciaient plus de celles de la
droite libérale classique incarnée par une partie de l'UDF.
* Une aile gaulliste classique (Charles Pasqua, Philippe Seguin), à la fois plus
sociale et plus nationaliste (« souverainiste »), et proche du gaullisme historique
des années 1950-1960.
* Un « centre » incarné par Jacques Chirac, qui oscille entre le libéralisme et
un humanisme hérité du radicalisme ou du gaullisme.
L'UMP et la fin du gaullisme ? (2002) [
Cependant, la puissance de l'influence libérale sur l'ensemble des mouvements
politiques de droite (et aussi de gauche) à travers le monde, mais aussi la
difficulté, 20 ou 30 ans après sa mort, à imaginer ce qu'aurait été la politique du
général de Gaulle, ont conduit le RPR à se banaliser au sein des droites
européennes. La conséquence logique en a été la fusion avec l'UDF. Après
l'élection présidentielle de 2002, le mouvement « gaulliste » Rassemblement pour
la République (RPR) s'est dissous dans un grand parti de droite : l'Union pour un
mouvement populaire (UMP).
Depuis la disparition du RPR, des mouvements revendiquent le maintien de la
doctrine gaulliste.
Certains sont associés ou proches de l'UMP comme le Mouvement Initiative et
Liberté, le cercle Nation et République, les comités Notre République, le club
Nouveau Siècle, l'Union des démocrates pour le progrès (UDP), Le Chêne (parti
politique) (crée par Michèle Alliot-Marie en 2006). De son côté, Debout la
République, fondé en 1999 par Nicolas Dupont-Aignan, a été un mouvement
associé à l'UMP jusqu'au départ de celui-ci dans le but de défendre ses idées
indépendemment. D'autres ont convergé avec des personnes ou des mouvements
héritiers de la gauche jacobine (Jean-Pierre Chevènement) autour de valeurs
communes souverainistes et sociales.
Les partisans d'une ligne indépendante se sont eux regroupés en de multiples
associations et clubs de réflexion, tels que Initiative Gaulliste, l'Union gaulliste,
l'Union gaulliste pour une France républicaine, l'Action pour le renouveau du
gaullisme et de ses objectifs sociaux, le Cercle Jeune France ou l'Académie du
Gaullisme, que l'Union du peuple français a réunifié pour partie d'entre eux.
La transformation du RPR en UMP, parti dominant dans la droite française avec
un programme nettement libéral et pro-européen (impulsé par Nicolas Sarkozy)
pose, dans les premières années du XXIe siècle la question de la perennité du
gaullisme dans la vie politique française. Le remplacement de Jacques Chirac par
Nicolas Sarkozy à la présidence de la République en 2007 marque pour beaucoup
d'observateurs la fin du gaullisme.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
141
HC – La décolonisation française
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le drapeau français flotte sur 12
millions de km2, plus de vingt fois la superficie de la métropole. Près de 70
millions de femmes et d’hommes connaissent ou « subissent » la loi française.
L’Empire français, jeune pourtant, semble entrer dans une certaine éternité. Or,
un peu plus de vingt ans plus tard, cet édifice est en ruine.
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Pervillé Guy, De l’Empire français à la décolonisation, Hachette Éducation, 1991, coll. «Carré histoire», 256 p. (outre l’intérêt du
cas français, le premier chapitre est utile pour l’approche des concepts).
Pervillé Guy, L’Europe et l’Afrique, 1914-1974, Ophrys, 1994, 152 p. (sélection de textes commentés).
P. Brocheux et D. Hemery, Indochine, la colonisation ambiguë, La Découverte, 1995.
Michel Marc, Décolonisations et émergence du Tiers-Monde, Hachette, 1993, 272 p., coll. «Carré histoire ».
Coquery-Vidrovitch Catherine, et Ageron Charles-Robert, (dir.), Histoire de la France coloniale, tome III : « Le déclin », de 1931
à nos jours, Armand Colin, 1991 (rééd. 1996).
C.-R. AGERON, La Décolonisation française, Armand Colin, coll.« Cursus », 1991.
P. BAIROCH, Le Tiers-Monde dans l'impasse, Gallimard, coll. « Idées », 3e édition, 1992.
L. CESARI, L'Indochine en guerre, 1945-1993, Belin, coll. « Belin Sup », 1995.
G. CHALIAND, Les Mythes révolutionnaires du Tiers-Monde, Seuil, 1979.
G. CHALIAND, Repenser le Tiers-Monde, Complexe, 1987.
B. DROZ, Les Décolonisations, Seuil, coll. « Mémo », 1996.
Henri GRIMAL, La Décolonisation de 1919 à nos jours, Complexe, (1965) 1985.
M’bokolo E., Afrique noire, histoire et civilisations, du XIXe siècle à nos jours, Hatier, 2004.
Dufour Jean-Louis, Les décolonisations de 1945 à nos jours, A. Colin, 2000.
M. FERRO, Histoire des colonisations, des conquêtes aux indépendances, XIX-XXe siècles, Paris, Le Seuil, coll. « Points
Histoire », 1996.
R. GIRARDET, L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, La Table Ronde, 1972, rééd. Hachette Pluriel.
J. MARSEILLE, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, Points Seuil, 1984.
J. LÉVÊQUE, Colonisation et décolonisation,Paris, éd. des Écrivains, 1999.
J. DALLOZ, La Guerre d’Indochine, 1945-1954, Le Seuil, coll. « Points-Histoire », 1987.
Documentation Photographique et diapos :
DROZ Bernard, La Décolonisation, La Documentation photographique, n°8062, 2008.
GIRAULT René, La Décolonisation, La Documentation photographique n° 6067, 1983
Revues :
La France face à la décolonisation, Une décolonisation manquée ?, Alain Ruscio, TDC, N° 840, du 15 au 30 septembre 2002
L’Histoire, «L’Indochine au temps des Français », n° 203 (dossier spécial).
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Si elle a fait l'objet de nombreux renouvellements depuis une vingtaine d'années,
l'historiographie de la décolonisation a longtemps été marquée par plusieurs
écueils qu'il convient de rappeler :
- Tout d'abord un certain moralisme reposant sur le postulat selon lequel la
colonisation n'a été qu'une entreprise inique de domination, alors que ses
motivations ont été diverses et complexes ; la décolonisation est alors pensée
comme un processus historique juste et inéluctable, ce qui notamment tend à
biaiser l'analyse du processus de construction des nationalismes et empêche de
comprendre l'ampleur des résistances que l'émancipation politique des
possessions impériales put rencontrer en Europe.
- À l'inverse de ce moralisme se constitua également une littérature historique
empreinte de nostalgie du « temps béni des colonies » ; de cette nostalgie du
glorieux passé colonial découla une vision de la décolonisation perçue comme un
symptôme de la décadence de la Vieille Europe, au moment précis où le monde
issu de la Seconde Guerre mondiale se restructure autour des deux Grands.
- De leur côté, les historiographies des pays décolonisés mirent volontiers l'accent
sur la geste de l'émancipation et l'héroïsation des acteurs de la décolonisation - a
fortiori si celle-ci revêtit une dimension militaire. Cette histoire nationaliste fait la
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO 3e actuel : « On se limite pour la
décolonisation aux exemples de l’Inde et de
l’Afrique française.
Cartes : La décolonisation.
Documents : Un témoignage sur la
décolonisation. »
BO futur 3e : « DES COLONIES AUX
ÉTATS NOUVELLEMENT
INDÉPENDANTS
Dès le lendemain du conflit mondial,
grandissent des revendications qui
débouchent sur les indépendances. Les
nouveaux États entendent être reconnus sur
la scène internationale, notamment par le
biais de l’ONU.
L’étude est conduite à partir d’un exemple au
choix : l’Inde, l’Algérie, un pays d’Afrique
142
part belle à la dénonciation et à la condamnation de la colonisation, et sousestime fréquemment la persistance de liens politiques, économiques ou culturels
entre l'Europe et ses anciennes possessions coloniales.
- Enfin, l'historiographie et les manuels d'enseignement secondaire ont longtemps
opposé les décolonisations « pacifiques » aux « décolonisations guerrières ».
Cette approche de la décolonisation apparaît aujourd'hui dépassée. Confrontée à
deux « sales guerres » coloniales en Indochine puis en Algérie, la France sut aussi
accorder à la plupart de ses possessions d'Afrique noire une indépendance
négociée et presque totalement exempte de violence ; à l'opposé, la GrandeBretagne se retira d'Inde en 1947 sans que son armée n'ait été aux prises avec les
mouvements nationalistes hindous et musulmans, mais laissa ceux-ci s'affronter
sans intervenir, au prix d'un bilan humain considérable.
Ces éléments étant posés, la plupart des travaux de synthèse récemment consacrés
à la décolonisation privilégient une approche à la fois chronologique et
géographique du processus : l'émancipation de l'Asie, qui débute dès la seconde
moitié des années 1940 et joue un rôle moteur dans la suite du processus en
permettant l'émergence sur la scène internationale de pays aussi importants que
l'Union indienne (1947) ou l'Indonésie (1949) ; puis la décolonisation du
Maghreb entre le milieu des années 1950 et 1962 ; celle de l'Afrique noire enfin,
qui s'étend sur un temps plus long.
Comme celle de la décolonisation, la question de l'émergence du Tiers-Monde a
souvent fait l'objet de travaux très connotés idéologiquement : un certain
misérabilisme d'une part, le tiers-mondisme et l'affirmation d'une solidarité avec
les États les plus pauvres de la planète d'autre part (cf. les écrits de René Dumont
en France), ont parfois nui à la scientificité du discours historique. Si les
problèmes économiques occupent toujours une place importante dans les études
les plus récentes, l'insertion des États nés de la décolonisation dans les relations
internationales (de la conférence afro-asiatique de Bandoung en 1955 au
quatrième sommet des non-alignés en 1973) a été réévaluée. En outre, de
nombreux travaux tendent à remettre en question la pertinence des notions de
Tiers-Monde et de sous-développement, en montrant que cette représentation des
mondes périphériques comme un tout monolithique - construite en Europe rendait imparfaitement compte de la diversité des problèmes politiques et
économiques et des réponses que l'on a tenté d'y apporter.
subsaharienne.
Elle porte sur le processus de la
décolonisation, les problèmes de
développement du nouvel État et ses efforts
d’affirmation sur la scène internationale.
Les décolonisations sont présentées à partir
d’une carte.
Connaître et utiliser le repère suivant
- Principale phase de la décolonisation :
1947-1962
Raconter la manière dont une colonie devient
un État souverain
Décrire quelques problèmes de
développement auxquels ce nouvel État est
confronté »
Au moins en ce qui concerne la France, les drames de la décolonisation ont donné
lieu à une production abondante pour laquelle il est prudent de s'en tenir aux
valeurs sûres. Dans le camp des colonisés, l'ancienneté des mouvements
nationalistes, les divisions, les affrontements internes sont aujourd'hui mieux
connus grâce par exemple pour l'Algérie aux travaux de M. Harbi ou de B. Stora.
D'autres ouvrages (M. Gadant, D. Amrane) mettent en valeur le rôle des femmes
dans l'action du FIN. L'attitude des Français est éclairée par les études réunies par
J.P. Rioux, celle des appelés par les travaux de J. Ch. Jauffret. Enfin, les thèses de
R. Branche et de S. Thenault font le point d'une manière qui paraît définitive sur
les questions de la torture et de la justice pendant la guerre d'Algérie. D'une
manière générale, l'histoire de la décolonisation est devenue plus complexe. John
Darwin (1991) écrit à propos de l'empire britannique « la fin de l'empire [...] fut
le résultat de causes variées, politiques, économiques, stratégiques et
idéologiques qui opérèrent à trois niveaux : intérieur, international et colonial
[...]. Abandonnons les explications simplistes mono causales et tournons-nous à
leur place vers la conclusion que les historiens jugent souvent comme de haute
sagesse : un ragoût intellectuel irlandais avec un peu de tout dans d'incertaines
quantités. » Marc Michel qui cite ces phrases estime qu'une telle démarche peut
être généralisée.
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
L’énorme choc du conflit mondial a introduit, outre-mer, des modifications
profondes. Les États de l’Axe (Allemagne en Afrique, Japon en Asie) ont utilisé
les nationalismes renaissants pour saper les fondements de la coalition antinazie.
Au sein même de cette coalition, les intérêts divergent. Si la France et le
Royaume-Uni restent attachés au principe de la souveraineté coloniale, les ÉtatsUnis et l’Union soviétique, pour des raisons d’ailleurs bien différentes, émettent
Accompagnement 3e : « De même une étude
chronologique détaillée de la décolonisation
n’est pas possible. Deux cartes suffisent pour
présenter globalement le phénomène, avant
de centrer l’étude sur deux exemples
particulièrement significatifs de la fin des
143
des professions de foi anticolonialistes. La toute nouvelle Organisation des
nations unies, enfin, semble bien décidée à soutenir les velléités d’indépendance
des peuples. Au sein des nations colonisées, dès l’entre-deux-guerres, les forces
de désagrégation s’agitent. La Seconde Guerre mondiale accélère évidemment
cette évolution. Au Liban, les rivalités franco-britanniques aboutissent au départ
sans gloire des troupes françaises, dès 1945. En Algérie, un militant nationaliste,
Ferhat Abbas, publie un Manifeste du peuple algérien (février 1943). Au mois de
mai 1945 ont lieu dans toute l’Algérie des manifestations impressionnantes. Le
drapeau algérien y est hissé. La répression est féroce. Les victimes se comptent
par milliers. Un fossé de haine sépare désormais les deux communautés. Au
Maroc, en janvier 1944, 58 personnalités signent un Manifeste du parti de
l’indépendance (Istiqlal). En Tunisie, un Front national réclame l’application
réelle du principe de l’autonomie interne (février 1945). En Afrique noire
française, divers militants, souvent influencés par le PCF, créent le
Rassemblement démocratique africain (RDA). À Madagascar, les nationalistes
sont à l’origine du Mouvement démocratique de rénovation malgache (MDRM).
En Indochine, un temps occupée par les Japonais, la rupture est plus brutale. Au
Vietnam, un leader communiste, Hô Chi Minh, crée la Ligue viêt-minh et
proclame l’indépendance (2 septembre 1945). Son second, Vo Nguyên Giap,
fonde en quelques mois une armée mal équipée, mais animée d’une flamme
patriotique incontestable. Au Cambodge et au Laos, les monarques profitent de la
faiblesse momentanée de la France pour prendre leurs distances. Le mur colonial
se lézarde.
L’UNION FRANÇAISE, RÉFORME OU RÉVOLUTION ?
Évidemment, le conflit mondial qui vient de s’achever a été mené au nom de
l’indépendance nationale, mais il s’agissait des nations « blanches ». On se
convainc avec des arguments faciles : l’Empire colonial français, dans les heures
sombres de l’Occupation, a fait la preuve de son attachement à la mère patrie
pourtant affaiblie. Aussi, l’idée même d’une évolution des nations colonisées vers
l’indépendance est repoussée catégoriquement. Mais ce conservatisme sur le fond
est accompagné d’une réelle et sincère volonté réformatrice sur les formes de la
domination coloniale. La première grande manifestation de cet esprit est la
conférence qui se tient à Brazzaville du 30 janvier au 8 février 1944. Le chef de
la France libre, le général De Gaulle, en préside la séance inaugurale. Sans aucun
doute pétrie de bonnes intentions, cette conférence a toutefois eu des limites qu’il
convient de souligner. Tout d’abord, le seul homme « de couleur » présent était le
gouverneur guyanais Félix Éboué. De plus, les mesures décidées ont été limitées
aux champs social et économique : rémunération égale, pour une qualification
comparable, entre colons et Africains ; accélération de la scolarisation des enfants
« indigènes » ; formation des cadres africains en plus grand nombre ; suppression
des sanctions liées au code de l’indigénat ; plan de mise en valeur économique,
industrialisation, etc. En raison des disparités et des discriminations qui régnaient
alors en Afrique, ces mesures ne peuvent être considérées comme mineures. Mais
les modifications politiques sont les grandes absentes des travaux. « La
constitution éventuelle, même lointaine, de self-governements dans les colonies
est à écarter », affirment les conclusions générales. En 1945-1946, lois et décrets
s’accumulent : déclaration gouvernementale prévoyant un statut pour l’Indochine
(mars 1945), reconnaissance de la liberté d’association et de réunion (avril 1946),
abolition du travail forcé (avril 1946), reconnaissance de la qualité de citoyens à
tous les ressortissants des territoires d’outre-mer (mai 1946), création d’un Fonds
d’investissement pour le développement économique et social (Fides) en avril
1946, etc. À cet ensemble, il fallait un cadre constitutionnel. À ces rapports de
nature nouvelle, il fallait une expression qui tranchât avec les appellations du
passé (Afrique-Occidentale française, Afrique-Équatoriale française). La notion
d’Union française fit rapidement l’unanimité. Elle figure en toutes lettres dans la
Constitution de la IVe République : « La France forme avec les peuples d’outremer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de
race ni de religion. L’Union française est composée de nations et de peuples qui
mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour
développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur
sécurité. » Principes généraux, mais viciés par une inégalité fondamentale : la
France restait manifestement maîtresse du jeu, les autres « nations » et « peuples
» ne pouvant donner leur avis, encore moins envisager une sortie du système.
L’immédiat après-guerre semble un temps donner raison aux partisans de cette
Union française. En 1946, à l’Assemblée nationale française, la présence de
deux grands empires coloniaux :
– celui de la décolonisation de l’Inde
– celui de la décolonisation de l’Afrique
française qui montre bien que la France a
rompu avec son passé colonial,
progressivement et sans conflit sanglant en
Afrique noire, mais difficilement en Algérie
où l’affrontement s’est accompagné d’un
drame national. Ces difficultés ont joué un
tel rôle dans la vie politique de notre pays
depuis 1945 qu’un rapprochement entre ce
thème et celui de la vie politique française
semble tout à fait souhaitable : une mise en
perspective des conséquences de la guerre
d’Algérie sur l’évolution du la IVe
République et sur celle du début de la Ve est
tout à fait pertinente. »
Décolonisation et guerre froide
Les relations internationales, durant toute
cette période, ont été marquées par la guerre
froide. Or, dans l’affrontement Est-Ouest, la
France a clairement choisi son camp : elle
fait partie intégrante du « monde libre ». Elle
compte pourtant dans ses rangs un PCF actif
contre les expéditions coloniales, soutenu
alors par un Français sur cinq. Par ailleurs,
l’URSS et la Chine populaire ont des
diplomaties agressives, fort hostiles à
l’Occident. De là à voir l’influence du
communisme international derrière chaque
mouvement nationaliste, il n’y a qu’un pas.
On peut dire que la hantise de la « main de
Moscou » est en permanence présente dans
les esprits. « Voudriez-vous que Mers-elKébir et Alger soient demain des bases
soviétiques ? », demande par exemple le
général Challe lors du putsch des généraux.
Or si, au Vietnam, le mouvement national fut
bel et bien dirigé par des communistes, dont
le vieux leader Hô Chi Minh, il n’en fut rien
dans le reste de l’Indochine. En Afrique
noire, le RDA, un temps influencé par le
communisme, s’en détacha dès les années
1950. Au Maghreb, le clivage était plus fort
encore, jamais le marxisme n’influença
durablement et profondément les
mouvements nationaux. Qu’importe. Les
fantasmes avaient la vie dure.
Décolonisation et intérêts économiques
Un marxisme schématique a longtemps mis
en avant une explication économique aux
lenteurs de la décolonisation : les grands
intérêts capitalistes auraient souhaité
maintenir une aire d’influence privilégiée.
Les secteurs du capitalisme français qui
furent obstinément et continûment
colonialistes furent souvent les secteurs les
plus retardataires, voire obsolètes, du
système. Ils profitaient ainsi d’un marché
préservé. Mais, globalement, la colonisation
144
députés africains (Senghor, Houphouët-Boigny), malgaches (élus du MDRM),
algériens (Ferhat Abbas) et antillais (Césaire) est suffisamment neuve pour laisser
augurer une évolution positive. Le voyage officiel de Hô Chi Minh (juin 1946),
invité du gouvernement français, est significatif d’une volonté mutuelle de
compromis. Du reste, aucun leader nationaliste influent ne rejette alors
catégoriquement la notion d’Union française. La mutation réussira-t-elle,
permettant ainsi à la France d’entrer, la première, dans l’ère de la décolonisation
pacifique ?
UN PROLOGUE CATASTROPHIQUE : LA GUERRE D’INDOCHINE (19451954)
En Indochine, les illusions du printemps-été 1946 sont vite dissipées.
Progressivement, le clan belliciste s’est imposé, tant à Saigon (amiral
d’Argenlieu) qu’à Paris (Georges Bidault), et refuse l’éloignement, même partiel,
de la Perle de l’Empire. De plus, des communistes sont à la tête du Viêt-minh.
Raison largement suffisante, en ces débuts de guerre froide, pour accroître les
méfiances. Du côté vietnamien, les extrémistes durcissent le ton. Les incidents se
multiplient. Le plus grave a lieu en novembre : la flotte française pilonne
Haiphong (plusieurs milliers de victimes vietnamiennes). En décembre, le Viêtminh réplique. Une guerre commence. Dans les premiers temps, une confiance
sans bornes règne du côté français. Le gouvernement Hô Chi Minh n’est-il pas en
fuite ? Ses troupes, mal armées, encadrées par des officiers sans expérience, ne
refusent-elles pas le combat ? L’offensive est également politique. Le
gouvernement français part à la recherche d’interlocuteurs plus « dociles ». L’exempereur Bao Dai, alors en exil, accepte de se prêter au jeu et de signer avec la
France des accords prévoyant un statut spécial à un « État du Vietnam » au sein
de l’Union française. Mais l’enthousiasme sur lequel tablait la France n’est pas au
rendez-vous. C’est au contraire avec la plus grande méfiance que la population
voit revenir l’ancien souverain. Des événements extérieurs au théâtre
d’opérations viennent encore compliquer la situation. En Chine, le rapport de
forces a basculé définitivement en faveur des communistes. Un lien physique est
désormais établi entre les maquis viêt-minh et le monde « socialiste », permettant
des livraisons d’armes et de matériel. À l’opposé, les États-Unis soutiennent
désormais l’effort de la France. La guerre de Corée, qui commence à l’été 1950,
est une autre étape décisive : désormais, l’Asie est une, le combat contre le
communisme est un. L’aide matérielle américaine s’accroît, jusqu’à devenir
déterminante. C’est cependant sur le terrain que tout se joue. Les mois passent, et
l’armée française perd peu à peu le contrôle du territoire. Les maquis se
renforcent. Les services français notent avec inquiétude que la popularité de Hô
Chi Minh est intacte. Le Viêt-minh se permet même de passer à une contreoffensive hardie et d’infliger au corps expéditionnaire un premier revers de taille
(« bataille des frontières », 1950). L’envoi, fin 1950, du prestigieux général De
Lattre de Tassigny permet un temps d’entretenir des illusions. L’année 1951 voit
une stabilisation des fronts. Mais De Lattre mort (janvier 1952), la situation se
dégrade de nouveau. Désormais, malgré l’aide massive des États-Unis, le cours
de la guerre ne peut plus être inversé. La zone contrôlée par le Viêt-minh s’étend
chaque jour un peu plus. Plus grave, la conquête des cœurs, si chère aux
théoriciens coloniaux, est en voie d’être gagnée par Hô Chi Minh et les siens. Le
plan Navarre, du nom du nouveau commandant en chef, en 1953, se donne pour
objectif de frapper un grand coup afin de « casser du Viet ». Navarre porte son
choix sur une bourgade au nom auparavant inconnu : Diên Biên Phu. Durant six
mois, les deux armées s’affrontent. Mais les calculs français – et américains – ont
sous-estimé la détermination des combattants et la capacité manœuvrière de Giap.
Les positions françaises sont grignotées une à une. Le 7 mai 1954, c’est la chute
du camp retranché, au terme d’une résistance héroïque. Pierre Mendès France
apparaît, au printemps 1954, comme l’homme providentiel. Nommé président du
Conseil, il reprend de main de maître des négociations entamées à Genève qui
aboutissent à la partition du Vietnam à hauteur du 17e parallèle et à la
neutralisation du Cambodge et du Laos. De fait, la France abandonne le
leadership aux États-Unis. En Indochine, une autre guerre peut commencer,
autrement plus destructrice...
LES PROTECTORATS : DES PROCESSUS PACIFIQUES ?
Les processus d’indépendance des protectorats de la Tunisie et du Maroc,
comparés aux drames indochinois et algérien, apparaissent idylliques. Mais il
serait inexact d’y voir un processus en permanence harmonieux avec la
métropole. Dans les deux cas, une politique réaliste et respectueuse de la volonté
a entraîné des retards dans l’appareil
industriel français. De plus, le coût des
campagnes militaires a vite été dissuasif.
Sans compter l’énormité des capitaux qu’il
eût fallu mobiliser pour une véritable mise en
valeur. Pour quels résultats ? Dans les années
1950, la France n’a plus les moyens
d’assurer simultanément sa présence outremer et de jouer un rôle économique et
politique de premier plan en Europe (les
événements de la décolonisation sont
exactement contemporains des balbutiements
de l’Europe politique et économique). Les
secteurs les plus dynamiques du système se
sont assez rapidement détournés de l’outremer pour s’attaquer au marché européen,
d’un bien meilleur rapport. « C’est un fait : la
décolonisation est notre intérêt et, par
conséquent, notre politique », dira vers les
tout derniers temps du régime colonial l’un
des hommes politiques qui lui était pourtant
le plus attaché, le général de Gaulle (11 avril
1961).
145
des peuples colonisés succéda à bien des déchirements et des affrontements. De
plus, le déclenchement de la guerre d’Algérie amena les gouvernants français à
un certain réalisme : le système ne pouvait se permettre de mener de front
plusieurs conflits. Au Maroc, la volonté hégémonique française s’est heurtée au «
nationalisme dynastique ». Depuis l’instauration du protectorat, en 1912, la
population s’était toujours reconnue dans la personne du sultan. La Seconde
Guerre mondiale avait fortement accéléré la maturation de la conscience
nationale comme le prouve la naissance, en janvier 1944, de l’Istiqlal («
indépendance »). Le sultan Mohammed ben Youssef, tenu à une certaine réserve,
avait pourtant laissé entrevoir sa sympathie pour ces thèses (discours de Tanger,
avril 1947). La réaction française fut de nommer résident le général Juin, connu
comme un solide conservateur en matière coloniale. L’épreuve de force survient
en décembre 1952. À la suite d’une grève générale et de manifestations, la police
tire sur la foule. Un couvre-feu est institué. L’Istiqlal est interdit, ses dirigeants
emprisonnés. Les autorités françaises jugent que le sultan soutient secrètement les
milieux nationalistes. Il est déposé le 20 août 1953 et immédiatement exilé en
Corse. L’irrémédiable a été commis. La résidence fait appel à Ben Arafa, homme
de paille du pacha de Marrakech, dit « le Glaoui », hostile à Rabat. Satisfaits
d’une telle mesure, les colons français exultent. Les Marocains entrent dans une
dissidence larvée. La période d’abattement pour les nationalistes et d’euphorie
pour les ultras et leurs subordonnés dure peu. Un véritable culte du sultan déposé
naît, dans toutes les couches de la population. En métropole, le Comité FranceMaghreb, animé notamment par François Mauriac, mène une campagne de
dénonciation de la politique métropolitaine qui a de larges échos. Les
gouvernants français sont bel et bien dans l’impasse. Ce sera à Edgar Faure, en
1955, de régler le contentieux laissé par ses prédécesseurs. Le nouveau résident,
Gilbert Grandval, obtient la démission de Ben Arafa. Le sultan est invité à
participer à des négociations sur l’avenir du Maroc. La France compte désormais
sur lui pour rétablir l’ordre dans son pays. Le 2 mars 1956, une déclaration
franco-marocaine met fin à un demi-siècle de domination française.
En Tunisie, le mouvement national s’est rapidement identifié à Habib Bourguiba,
chef du parti Néo-Destour. Un temps exilé en Égypte, Bourguiba rentre en 1949
en Tunisie. Il fait connaître (1950) un programme tendant à obtenir de la France
diverses concessions. À ces demandes plutôt modérées, les autorités françaises
répondent par des atermoiements. Puis par la répression. En janvier 1952, les
principaux leaders nationalistes, dont Bourguiba, sont arrêtés, puis exilés ou
incarcérés. Les manifestations nationalistes sont violemment réprimées. Le
syndicaliste Ferhat Hached est assassiné. Le pays est au bord de la guerre. Un
mot fait son apparition dans la presse française : les « fellaghas » (ce mot
connaîtra un immense écho en Algérie). Lorsque Pierre Mendès France est
investi, en 1954, il hérite de cette poudrière. Il se rend à Tunis pour y prononcer
un discours important (dit « de Carthage »). Il reconnaît « l’autonomie interne de
l’État tunisien », affirme sa volonté de ne plus intervenir dans les affaires de cet
État. Pour Bourguiba, c’est un premier pas : « L’indépendance reste l’idéal du
peuple tunisien », affirme-t-il ; mais « la marche vers cet idéal ne prendra plus
désormais le caractère d’une lutte entre le peuple tunisien et la France ». En juin
1955, finalement, Bourguiba fait un retour triomphal à Tunis. L’indépendance est
proclamée le 20 mars 1956.
L’AFRIQUE NOIRE EN QUÊTE D’INDÉPENDANCE VÉRITABLE
L’éveil à l’indépendance de l’Afrique noire française (A-OF et A-ÉF) a été plus
lent à se dessiner. Mais l’exemple des luttes coloniales dans le reste de l’Empire
sert de modèle aux Africains. Les milieux coloniaux comprennent que la seule
répression des mouvements politiques « indigènes » serait stérile. Le ministre de
la France d’outre-mer de 1950, François Mitterrand, entame le dialogue avec les
leaders nationalistes les plus modérés. En 1954, la guerre d’Algérie éclate. La
métropole ne peut se permettre un front supplémentaire. « Ne laissons pas croire
que la France n’entreprend de réformes que quand le sang commence à couler »,
affirme le nouveau ministre, le socialiste Gaston Defferre. Il fait voter par le
Parlement, en juin 1956, une « loi-cadre » très libérale. Cette loi est considérée
par les Africains comme un tremplin vers l’indépendance. En 1958, de Gaulle a
également des ambitions africaines. Il est décidé à mettre en place une politique
plus hardie que celle de la IVe République. Il crée une notion nouvelle, la
Communauté : plus d’autonomie interne pour les possessions outre-mer, des
assemblées locales représentant les « élites », le gouvernement métropolitain
restant maître de la politique étrangère et de l’économie. En septembre 1958, de
146
Gaulle propose aux Africains un référendum pour choisir entre la Communauté
ou l’indépendance. À l’exception de la Guinée, où Sékou Touré a mené bataille
contre le projet gaulliste, tous les pays d’Afrique noire française approuvent ce
projet. Mais, comme souvent en histoire coloniale, ce qui apparaît comme un
achèvement à la métropole n’est qu’une étape pour les leaders de l’outre-mer.
L’aspiration à l’indépendance embrase alors toute l’Afrique. Dès septembre
1959, le Mali sort de la Communauté. En 1960, tous les autres pays des ex-A-OF
et A-ÉF suivent. Contrairement à ce qui s’était passé ailleurs, et conformément
aux souhaits gaullistes, ces pays ne sortent cependant pas de l’aire d’influence
française. Indépendance politique formelle, certes, mais maintien de liens solides
avec l’ex-métropole. De Gaulle avait réussi son pari.
UN BILAN AMER
Ainsi, le départ de la France de ses possessions d’outre-mer s’est passé plus
souvent dans les larmes et le sang qu’en concertation avec les peuples colonisés.
Deux guerres, des vagues d’impitoyables répressions, un usage fréquent de
l’emprisonnement, voire de la torture et de la suppression physique, tel est le
bilan de l’entêtement des gouvernements métropolitains à préserver « l’œuvre
française ». En regard de ce tableau, il faut certes saluer la lucidité, même tardive
et hésitante, de Mendès France (Indochine et Tunisie), d’Edgar Faure (Maroc), de
Gaston Defferre (loi-cadre) ou du général de Gaulle (derniers temps de la guerre
d’Algérie, Afrique noire). Il faut également reconnaître qu’une partie de l’opinion
métropolitaine, variable selon les cas, protesta contre les exactions. Par ailleurs,
la fin de la colonisation n’a pas toujours été synonyme de ruptures avec
l’ancienne métropole, notamment d’un point de vue culturel. Mais l’impression
de malaise subsiste. La France a manqué sa sortie de l’ère coloniale. Si, selon la
formule célèbre, « Gouverner, c’est prévoir », la grande majorité des hommes
politiques français, deux décennies durant, a bien peu gouverné les hommes et les
choses...
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
147
HC – La guerre d’Algérie
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
B. Stora, La Gangrène et l’oubli : La mémoire de la guerre d’Algérie, coll. « Poches Essais », La Découverte, Paris, 2005.
STORA Benjamin, Histoire de la guerre d’Algérie [1954-1962], La Découverte, « Repères », (1993) 2004, 123 p.
B. Stora, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), La Découverte, 1991.
Ch.-A. Julien et Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, 2 vol., PUF, 1979. (toujours la référence)
Ch.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, coll. « Que sais-je ? », PUF, 1973-1990.
Ch.-R. Ageron, (dir.), L’Algérie des Français, coll. « Points Histoire», Seuil, Paris 1993.
LIAUZU Claude (dir.), Colonisation : droit d'inventaire, Paris, Armand Colin, 2004, 351p.
D. LEFEUVRE, Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006.
B. DROZ et E. Lever, Histoire de la guerre d'Algérie, 1954-1962, Seuil, coll. « Points Histoire », 1982.
D. Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette, 2001 (réédition en Pluriel).
A.G. SLAMA, La Guerre d'Algérie, histoire d'une déchirure, Découvertes Gallimard, n° 301, 1996.
ABÉCASSIS Frédéric & MEYNIER Gilbert, Pour une histoire franco-algérienne, Paris, Éditions La Découverte, 2008.
ABÉCASSIS Frédéric et al., La France et l’Algérie, leçons d’histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait
colonial, Paris, Éditions de l’INRP, collection « Éducation, histoire, mémoire », 2007.
Documentation Photographique et diapos :
BRANCHE Raphaëlle, THENAULT Sylvie, La Guerre d’Algérie, La Documentation photographique n° 8022, août 2001
Revues :
La guerre d'Algérie, TDC n° 611, 11 mars 1992
L'Histoire : « La guerre d'Algérie », les collections de L'Histoire HS n° 15, mars 2002.
L’Histoire, n° spécial 140, 1991, « Le temps de l’Algérie française ».
La guerre d'Algérie 1954-1962 , Dossier H&G, 388 octobre 2004
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
Enjeux didactiques (repères, notions et
savoirs, concepts, problématique) :
méthodes) :
BO actuel : «
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
Activités, consignes et productions des
documentaires et productions graphiques :
élèves :
LES DÉBUTS DE LA GUERRE D’ALGÉRIE (1954-1957)
L’Algérie, après les événements de mai 1945, semble assoupie dans la « paix
française ». Certes, les mouvements nationalistes se manifestent encore, en
premier lieu le Parti populaire algérien (PPA) de Messali Hadj. Certes, les
démocrates des deux bords de la Méditerranée critiquent avec véhémence les
truquages électoraux qui émaillent cette période. Certes, les observateurs avisés,
André Mandouze et Charles-André Julien, par exemple, appellent, en vain, au
réveil de l’opinion. Mais les attentats de la Toussaint 1954 sonnent comme un
coup de tonnerre dans un ciel serein. D’autant que ces actes sont revendiqués par
une organisation jusqu’alors inconnue : le Front de libération nationale, FLN. La
quasi-totalité des forces politiques françaises condamne ce « terrorisme aveugle
», mais ne le relie pas à l’état de misère et de désespoir dans lequel était tombée
la communauté arabo-berbère. Le credo est simple, simpliste : « Les
départements d’Algérie font partie de la République, ils sont français depuis
longtemps ; leur population [...] jouit de la nationalité française et est représentée
au Parlement [...]. Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun
gouvernement ne cédera sur ce principe fondamental. » (Pierre Mendès France,
12 novembre 1954). La première réponse est donc, par réflexe naturel, la
répression. Le gouvernement envoie immédiatement 20 000 hommes, qui
s’ajoutent aux 60 000 alors en activité sur le sol algérien. Une simple « opération
de police », comme il en a tant existé alors, commence. Avec son cortège
d’exactions et de tortures. Même si les contemporains n’en sont pas
immédiatement conscients, c’est pourtant bien une guerre qui vient d’éclater. Les
mesures de répression habituelles, en ces situations, ne suffisent pas. L’insécurité
s’installe. En août 1955 le pays bascule dans la guerre totale. Ce ne sont plus,
cette fois-ci, des commandos, relativement isolés, qui agissent. Dans le
Femmes en guerre : l’exemple de l’Algérie.
Diane Sambron dans sa thèse relative à la
politique du gouvernement français à l’égard
des femmes algériennes lors de la guerre
d’Algérie démontre que très tôt les femmes
algériennes ont été au cœur des
préoccupations des principaux protagonistes
et sont ainsi devenues un véritable enjeu
politique.
Le gouvernement français, ayant compris
qu’elles pouvaient représenter un véritable
potentiel électoral, établit une politique
féminine volontariste selon trois axes : une
refonte du statut personnel des musulmanes,
l’octroi du droit de vote et le développement
de la scolarisation.
La France s’était engagée lors de la conquête
à respecter le statut personnel musulman qui
dans l’ensemble consacre l’infériorité
juridique et sociale de la femme. Elle va
cependant le modifier en augmentant l’âge
au mariage et en accordant le divorce. Le
général de Gaule lors d’une conférence de
presse le 5 février 1960 déclare : « Une
148
Constantinois, l’effet de masse a déjà joué. Partout surgissent de nouveaux
combattants de la cause nationale. La révolte prend l’aspect de véritables
jacqueries aux crimes atroces. Schéma classique : les partisans estiment que seul
le déchaînement de violence radicalisera « les masses », que l’impitoyable
répression, prévisible, de la part de la puissance tutélaire, soudera autour d’eux
une population non encore acquise, dans sa majorité, à la lutte armée. Les
autorités françaises réagissent exactement de la manière prévue. Le
gouvernement d’Edgar Faure décide le rappel des soldats libérés en avril et le
maintien sous les drapeaux de la classe 54/1. Dans le Constantinois, c’est une
véritable chasse à l’homme qui est menée. Le bilan est lourd. La réaction
politique est tout aussi dure. Le gouverneur Soustelle, arrivé « libéral », passe
rapidement dans le camp ultra. En métropole, les hommes politiques et la presse
rivalisent pour stigmatiser la violence « bestiale » des insurgés. À l’opposé, les
hommes politiques algériens considérés comme « modérés » se radicalisent. En
septembre, presque tous les élus musulmans de l’Assemblée algérienne
démissionnent. En avril 1956, Ferhat Abbas rend publique son adhésion au Front.
La France officielle n’a plus d’interlocuteurs en Algérie. Les deux communautés,
qui ne faisaient déjà que coexister, viennent de commencer leur lutte à mort. Aux
élections de janvier 1956, pour la première fois, les événements d’Algérie ont été
au centre des débats. Le leader du parti socialiste, Guy Mollet, a abondamment
critiqué une guerre « imbécile et sans issue ». Il propose le triptyque « Cessez-lefeu, élections, négociations ». Son parti, allié au Parti radical, sort victorieux des
urnes. On peut croire un instant que la gauche française saura trouver une issue
pacifique. Las ! Dès la première épreuve, Mollet capitule. Le 6 février 1956, à
Alger, il est conspué et même bousculé par une foule de pieds-noirs déchaînée. Il
se dit « bouleversé » par la quasi-unanimité de la population européenne, soudée
par le refus de toute évolution. C’est un autre homme qui revient à Paris. Après
avoir obtenu de sa majorité le vote des « pouvoirs spéciaux » (8 mars 1956), Guy
Mollet se lance dans une escalade militaire sans précédent. Le Parti communiste,
fort critique jusqu’alors, a, lui aussi, voté les « pouvoirs spéciaux ». Dès lors,
c’est un véritable appareil de guerre qui est instauré. Les rappels de réservistes se
succèdent. En quelques mois, les effectifs passent de 200 à 400 000 hommes. Le
gouvernement Mollet, suivant en ceci une vieille tradition française, va chercher
à l’extérieur, hors de la société colonisée, les causes de ses déboires. Fin 1956, il
participe, conjointement avec le Royaume-Uni et Israël, à une guerre éclair contre
l’Égypte de Nasser, accusée, notamment, de soutenir la révolte algérienne. Cette
expédition de Suez s’achève piteusement, après des mises en garde convergentes
de Washington et de Moscou, fait exceptionnel en cette ère de guerre froide. En
Algérie, la guérilla urbaine intensifie son action. En juin 1956 ont éclaté, en plein
cœur d’Alger, de premières bombes posées par des militants du FLN. La
population d’origine européenne est durement touchée. Le gouvernement Mollet
réplique : il confie à l’armée le soin de « nettoyer » la casbah, la vieille ville
d’Alger (janvier 1957). Des dizaines de milliers de « suspects » sont arrêtés, des
milliers sont interrogés, dans des conditions souvent abominables. En quelques
mois, le terrorisme cesse. Mais à quel prix ! Les méthodes employées ont creusé
un fossé de haine. Si le parachutiste est désormais l’idole des pieds-noirs, le
militant FLN est le héros secret de la population algérienne. Dans l’opinion
métropolitaine, les méthodes employées, dont l’ignoble torture, lors de la «
bataille d’Alger » et bien au-delà, laissent des traces. Le général de Bollardière
demande à être relevé de son poste de commandement et est mis aux arrêts. Le
secrétaire général de la police d’Alger, Paul Teitgen, démissionne. François
Mauriac, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet... protestent. Henri Alleg,
emprisonné et torturé, réussit à publier un témoignage qui fait grand bruit, La
Question. L’emploi de méthodes inhumaines fait l’objet d’un débat public. Une
certaine mauvaise conscience commence à tarauder la société française.
DE GAULLE ET L’INDÉPENDANCE DE L’ALGÉRIE (1958-1962)
La IVe République est malade de la guerre d’Algérie. Pour une partie de l’armée
et de la communauté pied-noire, la faiblesse de la métropole est responsable de
cette situation. Ils sont rejoints par les gaullistes partisans d’un exécutif fort. Le
13 mai 1958, à Alger, une foule européenne en délire ovationne un Comité de
salut public, présidé par le général Massu. Le nom de De Gaulle est acclamé. La
IVe République a trouvé son fossoyeur, l’Algérie française a trouvé son sauveur.
Ou croit l’avoir trouvé. De Gaulle, investi légalement, quoique sous la pression
de l’armée, se rend en Algérie. Le 4 juin, à Alger, il lâche un « Je vous ai compris
! » à une foule européenne exaltée. Le 28 septembre, par référendum, le peuple
nouvelle structure familiale restreinte, où la
femme, pleinement émancipée, apporterait sa
contribution, doit succéder à la conception
de la famille lignage, où l’élément féminin
reste en tutelle… »
En ce qui concerne le droit de vote, les
Algériennes l’avaient officiellement obtenu
en 1947 mais il faudra attendre 1958 pour
qu’il soit appliqué. Ce décalage dans le
temps s’explique par des blocages des deux
côtés. Or en 1958, les femmes représentant
des voies potentielles en faveur de l’Algérie
française, ces blocages sautent. Des
campagnes de propagande sont même
organisées pour inciter les Algériennes à
voter au référendum du 28 septembre 1958
avec des slogans tel : « Voter oui c’est
assurer l’émancipation de la femme
musulmane ». Certaines Algériennes seront
même élues.
Enfin, le contexte de la guerre accélère
également les réformes dans le domaine de
l’éducation. Dans l’Algérie des années
cinquante, seules 4% des femmes sont
alphabétisées. En 1958, un arrêté institue
l’obligation scolaire pour les filles de 6 à 14
ans. Le gouvernement français s’intéresse
également aux filles d’âge post-scolaire en
créant à leur intention des centres sociaux où
elles reçoivent une alphabétisation, des
notions d’hygiène et de puériculture.
On peut alors se demander si toutes ces
mesures ont eu des conséquences sur leur
engagement nationaliste ?
D’après les archives du ministère de la
guerre algérienne citée par Diane Sambron ,
11000 femmes se sont engagées dans la
guerre. Le général Pacquette, commandant
de la 13e division d’infanterie constate, en
1960, que : « L’aide apportée par les femmes
à la rébellion constitue à n’en pas douter un
obstacle de plus en plus sérieux sinon
nouveau dans notre lutte contre
l’infrastructure rebelle. ».
Les mouvements nationalistes ont-ils de leur
côté donné plus de visibilité aux femmes ?
Le FLN s’élève très tôt contre la politique
d’émancipation des femmes mise en place
par le gouvernement français car il y voit un
moyen d’acculturation imposé par le
colonisateur. Pour le FLN, la France touche
là à un symbole fort de l’identité arabomusulmane.
Que reste-t-il une fois l’indépendance
acquise ? Leur engagement a-t-il entraîné
une modernisation du statut de la femme ?
Djamila Amrane décrit bien le
désenchantement national qui suit l’été 1962
: « Nous avons l’indépendance, mais que
reste-t-il de moi ? » s’interroge une militante.
Bien que les femmes soient sorties de leur
rôle traditionnel pendant la guerre, il n’y aura
aucune remise en cause du statut réel après
l’indépendance. Si, dans la première
149
français adopte la constitution d’un nouveau régime taillé sur mesure pour de
Gaulle. En décembre, il est élu premier président de la Ve République. Si les
discours gaullistes semblent révéler une certaine ambiguïté, voire une duplicité, il
serait plus conforme à la réalité de parler de prudentes évolutions. De Gaulle,
homme de tradition, profondément attaché aux valeurs impériales, a très
probablement cru, au printemps 1958 et dans les temps qui ont suivi, pouvoir
sauver l’Algérie française au prix de réformes profondes. Il souhaite se
débarrasser des extrémistes des deux bords : les partisans de « l’Algérie de papa
», largement majoritaires dans l’armée et chez les pieds-noirs, et les partisans de
l’indépendance totale, la guérilla FLN. Il désire ensuite se mettre à la recherche
d’interlocuteurs algériens plus « modérés », auxquels il fait allusion dès octobre
1958 (discours dit de la « paix des braves »). La réussite de son projet politique
implique une victoire militaire préalable. Durant deux années, 1959 et 1960,
l’armée française, qui dispose de bien plus de moyens qu’auparavant, porte des
coups très durs à l’adversaire. Cependant, contrairement aux espoirs gaullistes,
l’amélioration militaire ne va pas de pair avec l’esquisse d’une solution politique.
C’est même le processus contraire : le FLN se donne une structure politique, le
gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Lors de ses
différents déplacements en Algérie, le général est marqué par l’incapacité des
autorités françaises à trouver des nationalistes algériens intègres et représentatifs.
Progressivement, la réalité s’impose à lui. Un an après son arrivée au pouvoir, il
se rend à l’évidence et en tire les conclusions : il propose à l’Algérie une «
autodétermination » (16 septembre 1959). Puis il lâche une formule définitive :
une « République algérienne » existera un jour (4 novembre 1960). En juin 1960,
de premiers contacts entre émissaires français et algériens ont lieu. Pour les
partisans de l’Algérie française, c’en est trop. Les éléments les plus engagés de
l’armée française, dont Salan, tentent, en avril 1961, un putsch. La ferme réaction
du pouvoir, la quasi-unanimité de la population métropolitaine, l’hostilité du
contingent et des officiers légalistes font échouer ce dernier baroud. Désormais ne
continueront plus le combat que des soldats et des civils extrémistes groupés au
sein d’une Organisation de l’armée secrète (OAS). Les derniers mois de la guerre
d’Algérie sont épouvantables pour les deux communautés, désormais dressées
l’une contre l’autre, sans espoir de réconciliation. Le Front contrôle la presque
totalité de la population arabo-berbère. Une forte majorité de la communauté
pied-noire soutient de fait l’OAS. Les assassinats se succèdent. La terreur règne.
La guerre n’épargne d’ailleurs pas le territoire de la métropole : manifestations
d’Algériens d’octobre 1961, de Français (morts du métro Charonne), violemment
réprimées, attentats de l’OAS... De Gaulle est désormais décidé à multiplier les
concessions. Il renonce à demander une souveraineté française sur le Sahara. En
octobre 1961, lors d’un conseil des ministres, il résume sa politique d’une
formule : « Les réalités et les intérêts nous poussent à permettre la naissance d’un
État algérien. » Le 18 mars 1962, l’accord est signé à Évian. Le cessez-le-feu
interviendra le lendemain. Malgré l’épouvantable bain de sang des derniers mois
(assassinats d’Algériens par l’OAS, liquidation de milliers de harkis par le FLN),
une guerre se termine. Cent trente ans de cohabitation s’achèvent sur un divorce
par consentement mutuel.
assemblée constituante, elles détiennent 10
postes sur 194, dès la seconde assemblée,
elles n’en auront plus que 2 sur 138. Après
1973, l’ensemble de la législation antérieure
à l’indépendance est abrogé. Il faut la
détermination d’historiennes et en particulier
de Djamila Amrane pour que l’histoire
officielle « rende justice à cette moitié
oubliée du peuple algérien ».
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
Le cauchemar : prostitution, viol, torture
Le rêve des uns, qui a pu être saisi à travers «
le harem colonial », devient parfois le
cauchemar des autres avec son cortège de
viols, torture, prostitution.
Arlette Gautier évoque la stratégie de la
terreur exercée sur les filles de notables
algériens récalcitrants et envoyés dans des
bordels militaires.
Raphaëlle Branche , quant à elle, s’est
intéressée à la sexualité des appelés , y
compris à la question des viols et torture.
Elle montre comment le viol est considéré
comme faisant partie de la guerre,
composante régulière des séances de torture.
150
HC – La France et l’Afrique depuis les indépendances
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
WAUTHIER Claude, Quatre présidents et l’Afrique : De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand : quarante ans de
politique africaine, Paris, Éditions du Seuil, 1995.
D’ALMEIDA TOPOR Hélène, L’Afrique au XXe siècle, Armand Colin, 2003, 383 p.
M’BOKOLO Elikia, L’Afrique Noire, histoire et civilisation, Tome 2, Hatier, 2004, 587 p.
MICHEL Marc, Décolonisations et émergence du Tiers-Monde, Hachette , « Supérieur », 2005, 271 p.
DROZ Bernard, Histoire de la décolonisation au XXe siècle, Seuil, Paris, 2006 (chapitre 5 sur l’Afrique Noire, p. 219-286).
Documentation Photographique et diapos :
DROZ Bernard, La Décolonisation, La Documentation photographique, n°8062, 2008.
Revues :
le n° spécial (302) d’octobre 2005, intitulé « La Colonisation en procès », regroupe des articles montrant « les ambivalences du
rapport colonial » (Anne Hugon).
La revue Hérodote, Tragédies africaines, n°111, quatrième trimestre 2003, offre des mises au point, notamment de Roland
Pourtier, sur la décolonisation et les conflits.
Les 6èmes Rendez-vous de l’histoire de Blois, en 2003, étaient consacrés à l’Afrique. Des comptes rendus (et parfois même des
retranscriptions intégrales de débats comme celui « La colonisation est-elle responsable du sous-développement »), sont
disponibles sur le site de l’académie d’Orléans-Tours : http://www.ac-orleans-tours.fr/rdv-histoire ou sur celui de l’académie de
Toulouse, http://pedagogie.ac-toulouse.fr/histgeo/program/recher/blois03/blois03.htm
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Activités, consignes et productions des
élèves :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
151
HC – La France et la construction européenne
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Bozo Frédéric, La Politique étrangère de la France depuis 1945, La Découverte, 1997, 128 p., coll. «Repères ».
Dalloz Jacques, La France et le Monde depuis 1945, Armand Colin, 2002, 233 p., coll. «Cursus ».
JUDT Tony, Après-guerre. Une histoire de l’Europe depuis 1945, 2007, Armand Colin (ouvrage de plus de 1 000 pages qui
explore l’après-guerre européen dans toutes ses dimensions ; c’est un essai d’histoire totale, à la fois économique, sociale,
culturelle, intellectuelle, politique, diplomatique, religieuse, démographique sous la forme d’un récit linéaire et qui insiste sur
l’histoire de l’Allemagne).
Bossuat Gérard, Les Fondateurs de l’Europe, Belin, 2001, 286 p.
Bruneteau Bernard, Histoire de l’unification européenne, Armand Colin, 1996, 236 p., coll. «Prépas».
Courty Guillaume, La Construction européenne, La Découverte, 2001, 128 p., coll. «Repères ».
Gerbet Pierre, La Construction de l’Europe, Imprimerie nationale, 1999, 618 p.
Documentation Photographique et diapos :
Girault René, «L’Europe en chantier, 1945-1990 », La Documentation photographique, février 1990, n° 6105.
Revues :
« Good bye Yalta ! Du rideau de fer à la Grande Europe », L’Histoire, dossier spécial, n° 286, avril 2004.
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO futur 3e : « LA CONSTRUCTION
EUROPÉENNE JUSQU’AU DÉBUT DES
ANNÉES 2000
La construction européenne débute dans les
années 1950. La CEE s’élargit à de nouveaux
États dès les années 1970. Le traité de
Maastricht marque le passage de la
Communauté Économique Européenne à
l’Union européenne.
Trois caractéristiques de la construction
européenne servent de fil conducteur à
l’étude :
- L’ancrage à l’Ouest,
- l’adhésion aux valeurs démocratiques,
- l’intégration économique.
Connaître et utiliser les repères suivants
- Les traités de Rome : 1957
- Le traité de Maastricht : 1992
- L’euro : 2002
Raconter quelques étapes de la construction
européenne en les situant dans le contexte
international ».
Activités, consignes et productions des
élèves :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
152
HC – La télévision, des années 1950 à la fin des années 1980
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
COHEN Evelyne, LEVY Marie-Françoise, (dir.), La télévision des Trente Glorieuses, culture et politique, CNRS éditions, 2007,
318 p.
MISSIKA Jean-louis, WOLTON Dominique, La Folle du logis, la télévision dans les sociétés démocratiques, Gallimard, 1983,
338 p.
Ressources pédagogiques
CHAUVEAU Agnès, DEHÉE, Yannick (dir.), Dictionnaire de la Télévision française, Nouveau Monde Éditions , 2007, 558 p.
Un ouvrage facile d’accès et abondamment illustré, avec des entrées thématiques, biographiques, et par titre d’émission.
Site de l’Institut National de l’Audiovisuel : très riche, on y trouve toutes les émissions mythiques de la télévision française.
http://www.ina.fr/
Les grilles de programme sont de bons supports de travail : on peut les trouver dans d’anciennes revues ou magazines.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Accompagnement Tle ST2S :
« Le 13 mai 1968, les Shadoks, héros d’une nouvelle émission diffusée depuis le
27 avril, sont interdits d’antenne : « vous déchirez la France en deux », dit le
directeur de l’ORTF (Office de radiodiffusion télévision française) à Pierre
Schaeffer qui produit l’émission à la liberté de ton inhabituelle ; chaque jour en
effet lui parviennent des milliers de lettres d’insulte, et des milliers de lettres de
soutien. Le fait est révélateur de l’avènement de la télévision comme principal
moyen de communication. »
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO Tle ST2S : « Mise au point dans l’entredeux-guerres, la télévision se diffuse
progressivement durant les Trente
Glorieuses, jusqu’à atteindre la quasi-totalité
des foyers. Ce média est le symbole et le
reflet des mutations technologiques,
industrielles et politiques du pays. Il est un
vecteur majeur de la culture de masse. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Accompagnement Tle ST2S :
« La RTF (Radiodiffusion Télévision Française), créée en 1949, diffusait à Paris
quelques heures d’images par semaine. En 1952, la redevance recense dix mille
récepteurs ; la télévision n’est encore selon l’expression de J-L Missika et D
Wolton, que « de la radio filmée ». À la fin des années 1950, la diffusion ne
couvre que la moitié du territoire national ; si bien qu’en 1953, et l’affaire fit
scandale, les Alsaciens achetèrent des récepteurs au standard allemand pour
pouvoir suivre les cérémonies du couronnement d’Elizabeth II. Le parlement vota
alors un plan de cinq ans (1954-1959) pour étendre le réseau à tout le territoire.
Les choses s’accélérèrent ensuite : trois millions et demi de postes en 1963 (mais
douze et demi au Royaume-Uni). En 1964, la RTF devient l’ORTF et lance la «
deuxième chaîne ». En 1968, on compte huit millions de récepteurs (deux tiers
des foyers sont équipés) et la diffusion en couleurs commence. Cette même année
le gouvernement autorise les annonceurs privés à faire de la « réclame » sur les
deux chaînes publiques. La télévision touche désormais quelques vingtcinq
millions de spectateurs, plus que la presse écrite ne compte de lecteurs, et devient
le canal préféré (avec la radio) de la publicité. On entre alors dans l’âge de masse
de la télévision, avec, par exemple, la retransmission en direct et en mondovision
des premiers pas de l’homme sur la lune (1969).
L’image envahit la société et change les habitudes culturelles. La maîtrise et le
développement du nouveau moyen de communication montrent que le pays a
La télévision, reflet des mutations de la
France des années 1950 aux années 1980
– Les enjeux économiques liés à la télévision
apparaissent dès que celle-ci commence à
devenir un média de masse : afin d’équiper
les ménages, il faut produire les récepteurs
de manière industrielle et
investir dans la recherche afin d’améliorer
techniquement ces derniers. Les enjeux
s’amplifient avec l’introduction de la
publicité en 1968. Dans les années 1980,
l’enjeu économique se déplace avec
la naissance de chaînes commerciales ou
privées.
– Au fur et à mesure de sa diffusion dans les
foyers, la télévision s’impose comme le
premier vecteur de la culture de masse.
Émissions de variétés, magazines,
événements sportifs et feuilletons sont suivis
par des millions de téléspectateurs. La place
prise par la télévision dans la vie quotidienne
153
repris sa place dans le groupe des grandes puissances industrielles et
technologiques (à l’exemple du Concorde pour l’aéronautique ou de l’accès au
nucléaire…), en partie grâce à l’intervention continue de l’État. Le retard initial
par rapport à nos voisins britanniques ou allemands s’explique par la faiblesse des
moyens engagés et les réticences du monde politique, mais aussi,
paradoxalement, par le choix d’un standard de haute définition (819 lignes et non
625 lignes), imposé par le gouvernement et par les ingénieurs, par
protectionnisme et par fierté nationale, qui pénalisa l’usager en rendant les
récepteurs plus chers. Se pose d’emblée la question de la tutelle de l’État sur
l’audiovisuel. La télévision est, comme la radio, un service public dont l’État
détient le monopole et qui a une mission à remplir : assurer au mieux, dans la
démocratie française, la formation de l’opinion publique, à travers trois objectifs :
informer, instruire, distraire. Le général de Gaulle voyait en elle un vecteur de
culture, mais aussi un moyen de s’adresser directement aux Français et de faire
contrepoids à la presse écrite, jugée trop hostile. Ainsi théoriquement
indépendante du pouvoir politique, la télévision est en fait sous l’autorité du
ministère de l’information ; même après l’adoption d’un nouveau statut et la
création de l’ORTF en 1964, l’information reste sous la tutelle du ministère et
surveillée de près par le Service de Liaisons Interministérielles pour l’Information
(SLII), créé par Alain Peyrefitte. L’État joue donc le rôle de producteur
d’information ou d’émissions défendant les choix du pouvoir (par exemple sur le
nucléaire) et, le cas échéant, en 1968 par exemple, de censeur.
Cette télévision d’État, en avance sur son époque dans les années 1950 (voir la
série de La caméra explore le temps ou le magazine Cinq colonnes à la Une),
apparaît vingt ans plus tard en décalage avec son public, notamment avec les
jeunes, qui en attendaient davantage de distraction. Cette télévision de
divertissement existe bien dans les années 1960, à travers des jeux comme La tête
et les jambes ou Intervilles dont le succès est immédiat, mais n’est souvent pas
jugée digne de considération par le pouvoir et par les professionnels.
La réforme de 1974 remplace l’ORTF par plusieurs sociétés, dont trois chaînes de
télévision concurrentes, avec un début de spécialisation de ce qu’on appelle
bientôt le paysage audiovisuel. Mais elle réaffirme le monopole du service public
: la France n’en finit pas, comme l’a fait par exemple la Grande-Bretagne dans les
années 1950, avec la télévision d’État. La rupture a lieu dans les années 1980,
avec l’autorisation des radios privées (1981), la création d’une chaîne à péage
cryptée (Canal+, 1984), et en 1986, la privatisation de l’ancienne Première chaîne
et la naissance de deux nouveaux réseaux commerciaux (la Cinq et TV6). Le
paysage audio-visuel change alors très rapidement : à côté d’un secteur public
toujours théoriquement chargé de former au mieux l’opinion (avec notamment
une chaîne culturelle la Sept, future ARTE), les chaînes privées proposent
toujours plus de divertissement et rivalisent pour capter l’audience, source de
bénéfices publicitaires (on est passé de quelques minutes à plusieurs heures
d’annonces par jour).
La télévision est alors devenue, de très loin, le premier media, mais aussi le
principal moyen d’accès à la culture, et enfin pour beaucoup le loisir dominant (et
pour certains le seul). Se repose alors, mais dans un autre contexte, la question de
son rôle dans la démocratie et de ses rapports avec le pouvoir. »
des Français entraîne le recul d’autres
activités culturelles, comme la lecture de la
presse quotidienne. Pour
de nombreux observateurs, la libéralisation
de la diffusion télévisuelle et la concurrence
qui s’est instaurée entre les chaînes, en
particulier pour vendre des espaces
publicitaires, sont responsables de la
dégradation de la qualité des programmes.
Selon eux, la logique économique a triomphé
au détriment de la mission d’éducation,
d’élévation du niveau culturel du pays,
confiée initialement au service
public de la télévision.
– Dans un premier temps, la télévision est
contrôlée par l’État (RTF puis ORTF) et par
le gouvernement en place (tutelle du ministre
de l’Information). Dans les années 1970 et
surtout 1980, le contrôle étatique
se desserre. En 1982, l’État renonce à son
monopole de diffusion télévisuelle et, au sein
des chaînes du service public, cherche à
garantir l’indépendance de l’information
politique. Devenue un média de masse, la
télévision devient le lieu privilégié du débat
politique. Elle contribue ainsi à la vie
démocratique du pays. Toutefois, certains
dénoncent l’appauvrissement de ce débat par
la télévision qui réduirait la politique à un «
spectacle ».
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
154
HC – Etre jeune dans la société française de la Libération à nos jours
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
GALLAND Olivier, Les Jeunes, La Découverte, « Repères », 2002, 124 p.
Jean-François SIRINELLI, Les baby-boomers. Une génération 1945-1969, Paris, Fayard, 2003, 324 p.
Anne-Marie Sohn, Age tendre et tête de bois, Paris, Hachette, 2001.
Ralph Schor, Histoire de la société française au XXe siècle, Belin Sup histoire, 2005, 479 pages
Antoine Prost, Education, société et politique. Une histoire de l’enseignement de 1945 à nos jours, 1997
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
numéros hors série de la revue L’Histoire (« Les belles années 1960 », février 1998 ; « La révolution sexuelle », juin 1999).
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Accompagnement Tle STG :
« Il s’agit, à travers l’étude d’un groupe social défini par l’âge et l’appartenance à
une même génération, d’analyser les évolutions de la société depuis 1945 jusqu’à
nos jours. On s’appuiera sur des exemples français sans s’interdire de faire des
rapprochements avec des pays étrangers notamment les Etats-Unis et la GrandeBretagne dont partirent beaucoup de phénomènes qui influencèrent la jeunesse
française.
On mettra d’abord en évidence les mécanismes démographiques favorisés par une
politique nataliste. L’État providence (grâce aux allocations familiales, aux
crèches, à l’école maternelle, sans oublier la Sécurité Sociale) favorise la forte
natalité jusqu’au début des années 1960. Le baby-boom qui en résulte a été un
facteur important pour alimenter la croissance par l’extension du marché
intérieur. Il donne un poids important à une classe d’âge située entre
l’adolescence et l’âge adulte, selon des frontières qui restent floues (l’entrée dans
le monde du travail ne signifie plus la sortie de la jeunesse au point que l’on parle
de « jeunes adultes »).
Mais le phénomène majeur pour comprendre l’émergence de ce groupe est lié à la
démocratisation de l’enseignement secondaire et, partant, l’allongement de la
scolarité. On passe progressivement, en l’espace d’une génération, d’une époque
où les jeunes quittaient l’école majoritairement à 14 ans à celle où la scolarité se
poursuit souvent au-delà de 18 ans. Cette évolution résulte de l’enrichissement
global de la société pendant les Trente Glorieuses au cours desquelles la hausse
des revenus des classes populaires (ouvriers, employés et paysans) ne rend plus
nécessaire le travail des enfants pour boucler les fins de mois. Le processus se
poursuit malgré le ralentissement de la croissance à partir des années 1970.
Entrant dans la vie active de plus en plus tard (et à partir des années 1980 de plus
en plus difficilement à cause du chômage), les jeunes disposent cependant de
disponibilités financières croissantes (argent de poche) qui en font des
consommateurs de produits culturels spécifiques : musiques (du rock-and-roll au
rap en passant par la pop), cinéma, presse jeune (Salut les Copains), télévision et
jeux vidéos. On assiste ainsi à l’émergence d’une culture jeune, expression qui
évoque des références et des pratiques communes, un sentiment d’appartenance
au même groupe mais ne doit pas masquer les différenciations sociales et
sexuelles garçons-filles qui continuent à traverser la jeunesse. »
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Activités, consignes et productions des
élèves :
Jean-François SIRINELLI, Les baby-boomers. Une génération 1945-1969, Paris,
Fayard, 2003, 324 p.
Qu'est-ce que la jeunesse ?
Pour renforcer la définition, voir aussi
155
En 1968, un tiers des Français ont moins de vingt ans. Cette génération est, en
effet, contemporaine des Trente Glorieuses et des profondes transformations qui
ont affecté la société française. Ses membres ont connu l’irruption de la société
de consommation, celle de la culture de masse, l’urbanisation, le développement
des technologies de communication. Ils sont tout à la fois le produit et le reflet de
ces mutations et leur socialisation politique et culturelle s’est effectuée dans un
monde où les jeux d’échelle étaient en train de se modifier à une vitesse et avec
une intensité sans précédent. On comprend, à travers le portrait de cette
génération confrontée à son histoire, l’irruption de la contestation de 1968 qui
aboutira à accorder les cadres sociaux et politiques de la société avec cette
nouvelle donne sociologique, et le rôle ambigu que les baby-boomers jouent dans
la société contemporaine.
L'ouvrage de Jean-François Sirinelli se garde bien de s'aventurer sur les pentes
savonneuses de l'ego-histoire. Si le livre est dédié à sa mère "qui donna le jour à
trois baby-boomers", il ne précise nullement s'il était l'un d'entre eux. Et pourtant,
il émane de ce livre un relent de quête de la respectabilité qui a incité bien des
soixante-huitards (le terme n'est pas employé) à prendre leurs distances par
rapport à l'aventure de leurs jeunes années, un courant particulièrement répandu
en Allemagne, par exemple. La chute du Mur de Berlin est passée par là avec la
démonétisation, dans la foulée, de la gauche, y compris non communiste.
La violence, elle aussi, est gommée, non seulement celle de cette jeunesse qui,
dans le culte des idoles yé-yé, cassait des sièges à nombre de concerts (seul est
mentionné celui de la place de la Nation), mais aussi celle de l'OAS ou celle d'un
pouvoir qui n'effaçait que trop lentement les multiples mesures répressives qu'il
avait mises en place pendant la guerre d'Algérie : la société en était littéralement
corsettée et c'est bien de ce carcan qu'il s'agissait de se libérer. La révision qui
s'est produite depuis lors autour de la personne du général De Gaulle a effacé,
semble-t-il, tous ses aspects paternalistes et autoritaires.
Mais la délimitation qu'opère Jean-François Sirinelli d'une génération spécifique,
baptisée essentiellement par les médias, incite à regretter l'absence d'orthodoxie
mannheimienne. Il s'efforce, non sans mal, de repérer une coupure nette, fondée
sur des données démographiques, entre les derniers-nés de la génération de la
guerre d'Algérie et les baby-boomers, entre les mentors et les "piétons" de mai.
C'est pourquoi il adopte 1965 comme année charnière, plutôt que 1962 et la
signature des accords d'Evian : la militance connaît alors une période de latence
avec l'avènement de l'indépendance algérienne et l'antifascisme hérité de la
Seconde guerre mondiale cède progressivement la place à l'anti-impérialisme.
Il n'empêche, le slogan "CRS-SS" scandé en 1968 plonge encore ses racines dans
la glorification de la Résistance qui avait animé la génération "algérienne" et
continuera à peser durablement sur la vie politique française : on assiste là à un
enchevêtrement de temporalités mémorielles.
La synthèse entre histoire culturelle et histoire politique ne va pas de soi. Cette
dernière reste, chez Jean-François Sirinelli, plutôt traditionnelle, ce qui l'amène à
considérer la participation de 85% des inscrits à l'élection présidentielle de 1965
comme un indice d'acceptation des institutions de la Ve République, hypothèse
qui mériterait pour le moins d'être nuancée, la constitution ayant fait l'objet
depuis lors de multiples remaniements. En outre, mesurer la mobilisation
politique aux résultats électoraux, voire au nombre de membres des groupuscules
n'informe nullement sur la diffusion possible d'une volonté d'émancipation.
En effet, pour en revenir à ce que j'appelais l'orthodoxie mannheimienne, il me
semble qu'il conviendrait, sans nécessairement opposer Paris et la province, la
jeunesse des Ecoles et celle des ateliers et des champs, de distinguer plus
nettement les unités de génération, c'est-à-dire de considérer comme déterminante
celle qui, parmi les baby-boomers - si l'on accepte les conventions de JeanFrançois Sirinelli - a marqué de son empreinte "les années 1968" : le phénomène
groupusculaire prendra chez elle une ampleur qu'il n'avait nullement connue
auparavant. Peut-être le deuxième volume annoncé en rendra-t-il davantage
compte.
Ma dernière remarque portera sur un détail de socialisation pour lequel,
également, des nuances pourraient être apportées dans le temps et dans l'espace,
si je peux me fier à mes propres souvenirs. Ainsi les bals, réputés à juste titre
pour avoir joué un rôle décisif dans les stratégies matrimoniales. Ceux de la
Provence des années 1960, réunissant des jeunes hors de la tutelle des adultes,
n'avaient rien à voir avec les fêtes champêtres de l'Alsace de mon enfance - et
peut-être encore de la même époque - et s'apparentaient bien davantage à la
Galland pages 49 et 50 et sa conclusion.
Schor page 275.
La jeunesse peut se définir comme une étape
dans la vie bornée par la rupture progressive
avec l'intégration dans la famille d'origine et
l'intégration dans le monde des adultes.
L'existence du groupe suppose une sortie de
l'enfance, un dépassement du groupe familial
dans son autorité, ses valeurs, les
comportements qu'elle désigne ou
impose…Cette sortie de la famille s'opère
notamment par la scolarisation dans le
second cycle et le supérieur et le gain d'une
relative autonomie. Les jeunes accèdent
notamment à une culture en dehors de la
famille, et qui affaiblit l'emprise de celle-ci.
D'autres critères sont pertinents pour
délimiter une sortie de la jeunesse par une
intégration dans le monde des adultes : fin
des études, logement personnel, vie en
couple, premier emploi, avoir un enfant.
Tous ces critères se conjuguent et évoluent
avec le temps. Galland parle d'une période
d'entrée dans la vie adulte.
Mais au-delà de cette définition par une
période de la vie, l'existence de la jeunesse
suppose une constitution en tant que groupe
séparé et identifiable, une sociabilité jeune et
même une prise de conscience de son
existence. Borne dit : "Disposant, avant
l'arrivée à l'âge adulte, d'un temps
d'adolescence beaucoup plus long… les
jeunes se constituent en groupe générationnel
séparé".. Voir Borne page 44 pour cette
définition.
Avec ses bornes de la jeunesse, on
s'approche d'une tranche d'âge plus ou moins
précise : celle de 14 à 24 ans est au cœur du
groupe. Mais les marges restent très floues et
diverses selon les individus. Ainsi, le jeune
qui travaille, à partir de 16 ans dans une
entreprise peut abandonner assez vite les
références, les valeurs de la jeunesse pour les
remplacer par celles des adultes. On peut
quitter le groupe par rupture avec sa culture
propre. Cette définition est compliquée
encore par le fait que la culture jeune évolue
avec le temps, y compris sur la période que
nous étudions.
Une des questions est de savoir jusqu'où la
construction de cette catégorie dépasse ou
efface les autres catégories qui traversent la
jeunesse : classes sociales, familles, des
idéologies…
La constitution de la jeunesse en groupe
social a une histoire qui dépasse la période
étudiée même si cette période en constitue
une étape déterminante. Galland dit que la
classe d'âge juvénile se constitue en 4 temps.
(Page 46) avant lesquelles ont passe sans
réelle transition de l'enfance au monde des
adultes.
Première étape : Découverte et
reconnaissance de l'enfance par les familles
156
"soirée en boite". Jean-François Sirinelli a le goût de la formule. Nul doute que
nombre d'entre elles feront mouche dans les écrits des jeunes chercheurs. Mais
décidément les baby-boomers font trop figure chez lui de gentils petits un peu
turbulents. Peut-être auront-ils davantage de nerf dans le deuxième volume.
Trois temps :
1. La montée de la jeunesse, Années 1950 et 1960
2. Une jeunesse contestataire, Années 1960 au milieu des années 1970
3. Evolution du groupe, Milieu des années 1970 à nos jours
1.
Les jeunes
Montée du groupe par le nombre. La part des 14-25 ans de moins de 14% à plus
de 16% de la population. Documents statistiques.
Montée du groupe par l'allongement et la démocratisation de la scolarisation. Les
effectifs de lycéens passent de 156 000 en 1950 à 848 000 en 1970. Ceux des
étudiants, de 140 000 à 637 000 sur la même période. Retard de l'entrée sur le
marché de l'emploi. Documents statistiques.
Les valeurs, les comportements, la sociabilité, la culture jeunes se mettent en
place et se démarquent. Documents iconographiques et textuels sur la culture
jeune : SLC, Edgar Morin…
Prise de conscience et autonomisation du groupe. La société et le groupe luimême prennent conscience de l'existence des jeunes. Documents : textes de
journalistes et sociologues.
Contexte
Baby boom sur fond de politique nataliste et mentalités. Etat-providence, rôle de
la SS…
Etat-providence et encadrement de la jeunesse. Trente Glorieuses et capacité
économique à faire face à la demande d'éducation.
Société de consommation et meilleur niveau de vie. Equipement. Développement
des médias.
Influence du modèle américain et anglais.
Diversité du groupe
Des jeunes accèdent tôt au travail. Au début des années 1950, un tiers des garçons
est déjà au travail à 14 ans.
Mais la loi Berthoin de 1959 tend à faire passer par le temps de la jeunesse les
futurs ouvriers ou paysans.
L'école révèle de profondes inégalités sociales. Années 60 : Les enfants
d'ouvriers ne représentent que 10% du nombre des étudiants alors que les
ouvriers représentent 37% de la population active.
Mais la montée d'une culture jeune tend à réduire dans ce groupe, les différences
sociales voire entre sexes.
bourgeoises à partir du XVIII° siècle et
promotion de l'idée moderne d'éducation qui
se met notamment en place au XIX.
Seconde étape : Au XX par les tentatives,
notamment celles de la bourgeoisie éclairée,
de structurer et encadrer enfants et jeunes
des classes populaires, dans des mouvements
éducatifs qui dépassent et prolongent l'école
(Exemple des organisations catholiques des
années entre les deux guerres). Naît ainsi une
première sociabilité adolescente. Voir aussi
Sirinelli page 34 et suivantes.
Dans un troisième temps, l'Etat entre en jeu
dans cette volonté d'encadrement avec
notamment le Front Populaire (Soussécrétariat chargé des Sports et des Loisirs)
et Vichy "pour la mettre en condition par de
saines expériences collectives" (Paxton).
Vichy qui crée les inspecteurs généraux de la
jeunesse. . La Libération reprend la
préoccupation d'encadrement dans un esprit
pluraliste (secrétariat d'Etat à l'enseignement
technique, à la Jeunesse et aux Sports, en
1950).
Le quatrième temps est celui de notre
programme, celui de l'explosion scolaire de
l'après Seconde Guerre mondiale. Avec
l'affirmation d'une culture, d'une sociabilité
adolescentes véritablement autonomes. Et le
débordement par un fait juvénile dans les
années 1960. Le groupe se forme aussi dans
les événements de 1968. "La société
française a accouché de sa jeunesse dans les
cris et la fureur", dit Galland. Débordement
provisoire il est vrai car la société a su
dépasser cet antagonisme en faisant droit aux
revendications d'autonomie de la classe d'âge
juvénile. La jeunesse révoltée semble avoir
laissé place, ensuite, à une jeunesse assagie,
soucieuse de s'intégrer dans les structures
traditionnelles du travail et de la famille.
Une problématique ? Comment se constitue
et évolue le groupe "jeunes" ?
2.
Les jeunes
L'héritage d'encadrement de la jeunesse contesté. Opposition aux valeurs héritées
et contestation ou appropriation des cadres hérités…Exemple de l'UNEF.
Document : chanson d'Antoine.
Mai 1968, le temps fort de la contestation. Réajustement des valeurs. Un
document sur mai 1968.
Les impacts de la contestation. Place citoyenne des jeunes renforcée avec
notamment l'abaissement de l'âge de la majorité …
Contexte
Culture héritée : culture élitaire ou populaire, valeurs traditionnelles.
Force du pouvoir politique gaulliste. Situation internationale.
Fordisme dans les entreprises et entrée du monde ouvrier dans le mouvement.
Législation sur la contraception. La montée des organisations féminines où
peuvent d'exprimer les jeunes femmes.
157
3.
Les jeunes
Allongement de la période de jeunesse par recul des seuils d'entrée dans le monde
adulte : fin des études, premier emploi et indépendance économique, logement
indépendant, vie en couple, premier enfant. Document : graphique de Galland.
Evolution de la culture jeune. Sorties, sport, TV, jeux d'écran, musique,
discussions avec les copains, amélioration des relations familiales, recul du
religieux… Document sur pratiques culturelles : chat, blog…
Prises de position socio-politique plus ponctuelles. Manifestations violentes dans
les "quartiers"… Opposition par les modes d'expression artistique : rap, graf, tag.
Document : extrait d'une chanson de Diam's.
Montée de la délinquance juvénile. La part des jeunes dans les auteurs
d'infractions passe de 14% (Moyenne 1970 à 1994) à 21% en 2001.
Contexte
Crise économique et montée du chômage. Montée de la précarité. Mais niveau de
vie des parents globalement maintenu voire en progression. La pauvreté glisse
vers les jeunes. Travailleurs pauvres.
Progression de l'offre scolaire. 80% d'une classe d'âge au bac…
Evolution des technologies de la communication. Société de consommation se
poursuit.
Construction de l'Europe et mondialisation et ouverture des échanges à des
échelles nouvelles.
Jeunisme et jeunes comme modèles. Vieillissement de la population et des baby
boomers en particulier.
Diversification du groupe : de la jeunesse aux jeunes….
Renforcement de la ségrégation spatiale et notamment dans les types de
banlieues.
Réduction des inégalités face à l'école mais ZEP.
Place particulière des immigrés dans la société.
Accès inégal aux nouveaux supports culturels.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
158
HC – L’émancipation des femmes en France (années 1960 et 1970)
Approche scientifique
Définition du sujet (termes et concepts liés, temps court et temps long, amplitude
spatiale) :
Peut-être faut-il situer la rupture chronologique en ce qui concerne les relations
sociales de sexe dans les années 1960. Des questions surgissent alors.
Mutations / révolution ?
Une contestation radicale du pouvoir masculin fait-elle rupture à partir
de 1968-1970 ?
Les transformations privées (mais le privé est politique…), sociales et
économiques à partir des années 1960 sont-elles si radicales que les femmes «
auraient tout », que garçons adolescents, jeunes adultes et hommes
rencontreraient une grave crise d’identité ? Sont-elles en voie de dissoudre la
hiérarchie ?
L’égalité est-elle inachevée au contraire ?
Des inégalités se recomposent-elles, comme en témoigne la persistance
du monopole masculin du pouvoir politique, les inégalités de salaires, les
plafonds de verre fermant l’accès aux postes de décision ?
Les violences sont-elles plus visibles ? Moins acceptables ?
Approche didactique
Insertion dans les programmes (avant,
après) :
Cf primaire
Sources et muséographie :
Ouvrages généraux :
Annie GOLDMANN, Les Combats des femmes, Castermann-Giunti, 1996.
Documentation Photographique et diapos :
Revues :
Carte murale :
Enjeux scientifiques (épistémologie, historiographie et renouvellement des
savoirs, concepts, problématique) :
Plan, entrées originales (événements, acteurs, lieux, œuvres d’art), supports
documentaires et productions graphiques :
Enjeux didactiques (repères, notions et
méthodes) :
BO actuel : «
Activités, consignes et productions des
élèves :
Rappel : Les années 1950 : un préambule
Les électrices neutralisées
Considéré avec paternalisme, inquiétude ou ironie lors de leur premier suffrage
(la charge du Canard enchaîné est violente), le droit de vote des femmes ne fait
guère événement : en tous cas il ne marque pas véritablement une entrée des
femmes dans la vie politique. On doit, certes, tenir compte de leur vote, mais leur
poids à l’Assemblée est insignifiant : moins de 6% de députées en 1946, 1,7% en
1962 : c’est un des taux de représentation les plus bas du monde. Le vote est
effectivement (comme le prévoyaient certains) un peu plus conservateur que le
vote masculin. Leur présence au gouvernement est exceptionnelle. Le féminisme
est dans le creux de la vague.
La fée du logis est une mère du baby boom
Le général de Gaulle avait appelé à faire douze millions de beaux bébés, en dix
ans : il en eut huit et demi. Cette explosion de naissances (dans des familles de
deux, trois ou quatre enfants) est exceptionnelle en Occident malgré une relance
générale. L’État-providence devient partiellement pourvoyeur de la famille et
assume une partie des fonctions paternelles, la politique familiale prenant une
nouvelle ampleur . Le baby boom a donc été favorisé par l’extension et la
revalorisation des allocations familiales, la protection de la maternité, l’allocation
de salaire unique… Peut-être, par ailleurs, l’intériorisation des longues
campagnes natalistes antérieures s’exprime-t-elle à l’occasion de l’optimisme de
l’après-guerre ? Peut-être y-a-t-il effet à long terme du maternalisme qui fut
longtemps un argument justificatif de la revendication du droit de vote des
femmes ? Cependant, si les conditions médicales s’améliorent beaucoup, élever
des enfants au début des Trente Glorieuses est dur pour le plus grand nombre La
MYSTIQUE FEMININE, FEMME
MYTHIFIEE, FEMME MYSTIFIEE
Betty Friedan et le tournant des années 60
Au retour des soldats démobilisés, à partir de
1945, une propagande se développe aux
Etats-Unis pour que les femmes, armée de
réserve du travail, retrouvent « leur vraie
place». Les Américaines sont ainsi
nombreuses, après la guerre, à rentrer à la
maison, où elles ont «tout» pour être
heureuses : l'argent du mari, les enfants et
l'équipement ménager. C'est dans le rôle de
«fée du logis» que doit désormais s'épanouir
la «vraie» femme.
Cependant, Betty Friedan, ancienne
journaliste, née en 1921, ménagère ellemême et mère de trois enfants, prend
conscience, vers 1959, qu'elle éprouve, dans
cette situation, un malaise sans nom,
indéfinissable, partagé par un nombre
incalculable d’Américaines qui se sentent
vides, incomplètes, fatiguées, sans existence
propre ni identité...
Betty Friedan analyse le conditionnement
159
vulgarisation massive des savoirs sur l’éducation exerce, de plus, une lourde
pression sur des mères que l’on culpabiliserait volontiers. La publicité pour les
équipements ménagers conditionne encore plus les femmes, crée des besoins à
satisfaire mais surtout ancre la fonction maternelle et les besognes du foyer
comme une obligation féminine évidente. En fait l’hostilité au travail des femmes
à l’extérieur du foyer se maintient dans les représentations et dans tout un
imaginaire social alimenté également par le cinéma. Les sondages d’opinion font
encore apparaître le travail féminin (dont le taux est stable ou en léger tassement
jusque vers 1960) comme un danger pour la famille et la société, tandis que la
crise du logement n’a pas rendu tout à fait féérique l’accès à la consommation. Et
les bébés n’arrivent pas toujours au moment souhaité alors que ne sont pas
abolies les lois de 1920 et 1923.
Des analyses critiques
Des textes fondateurs paraissent qui vont marquer l’émergence d’un nouveau
féminisme quelques années plus tard : ces critiques, pour le moment
intellectuelles, de la situation des femmes préparent le terrain. Le deuxième sexe
de Simone de Beauvoir (1949) est une véritable somme des faits historiques, des
mythes et de l’expérience vécue (sans exclure la sexualité) qui conditionnent et
déterminent la vie des femmes. « On ne naît pas femme, on le devient… » Il
suscite un scandale sans égal et une très violente polémique qui mobilise des
intellectuels renommés dont beaucoup, aussi bien de la droite traditionnelle que
du parti communiste se montrent extrêmement agressifs vis-à-vis de l’auteure. Le
livre pose le débat sur la définition du politique. D’autres parutions, presque
simultanées, renforcent la réflexion : Une chambre à soi de Virginia Woolf
traduit en 1951 par Clara Malraux, des ouvrages de sociologues (Andrée Michel,
Evelyne Sullerot)… Les interrogations sur la créativité féminine, le rôle de la
presse, le travail, la « condition des femmes » sont ouvertes. Il tombe alors un
brulôt, venu des Etats-Unis (1963) et immédiatement traduit (par Yvette Roudy,
en 1964) : La femme mystifiée (Betty Friedan) le livre sur les femmes le plus
vendu dans le monde, qui entre en résonance avec l’expérience quotidienne des
lectrices, mystifiées par une technologie qui entraîne et asservit à une surenchère
de tâches ménagères.
Déjà est commencée une action qui va relancer le féminisme, avec un nouvel
objectif, l’autonomie individuelle des femmes : le combat pour le contrôle des
naissances.
Le tournant des années 1960 ouvre sur des changements sans précédent pour les
femmes en Occident. Les jeunes générations prennent difficilement conscience
des enjeux, étant un peu submergées par le foisonnement d’opinions, de faits et
de mouvements de l’histoire proche aussi éloignée pour eux que la IIIe
République. Ce qui leur a été donné fait partie de l’évidence. On ne peut se
contenter de fournir quelques dates repères : indispensables, celles-ci n’accordent
aucune épaisseur aux mutations s’il n’y a pas réflexion sur la simultanéité des
changements intervenus dans le rapport à la reproduction et à la sexualité, dans le
travail et la vie économique, dans les capacités juridiques, dans le combat
politique. En tout état de cause, la principale révolution culturelle et sociale du
XXe siècle est l’émancipation des femmes, qu’on ne peut expliquer par la seule «
modernité » : les luttes de la deuxième vague féministe n’y sont pas étrangères.
Et, par ailleurs, on ne peut faire l’économie d’une prise de conscience de
l’incomplétude, de la fragilité des acquis et des régressions qui font partie de
toute évolution.
La maîtrise de la reproduction
Pour les femmes, maîtriser les naissances, disposer de son corps (« Notre corps,
nous-mêmes ») permet de ne plus subir un destin mais de décider de leurs enfants
et de leur famille, de dissocier sexualité et reproduction. Il y a un « avant » et un
« après les années » 1960-70.
Avant ? Les vies amoureuses les plus légitimes et les plus conjugales possibles
sont hantées par la crainte de la grossesse non voulue, scandées par les
avortements clandestins et dramatiques avec la menace du tribunal comme toile
de fond ; le contrôle des parents, des voisins sur les jeunes filles porteuses de «
l’honneur » de la famille. La France catholique est toujours sous le coup de la loi
de 1920 punissant l’évocation même de la contraception.
En quelques années, tout cela disparaît, s’efface en laissant si peu de traces que la
mémoire ne s’en est pas transmise aux nouvelles générations. Beaucoup de pays
subi, les pressions psychologiques et
économiques, la force des médias et de la
publicité qui se conjuguent pour exalter le
foyer, imposer une image féminine
réductrice, fermée à tout ce qui n'est pas la
maison ou la séduction. Elle estime qu'il y a
régression par rapport au dynamisme
manifesté par les femmes américaines dans
la période antérieure (XXe siècle, jusqu'en
1945). La ménagère est la reine dérisoire
d'un foyer où la consommation est un devoir,
mais où l'équipement ne diminue pas les
tâches domestiques, au contraire. Il faut, en
effet, justifier son temps et sa fonction...
L'auteure dénonce le rôle répressif de la
psychanalyse et de certaines sciences
sociales qui ne s'interrogent que sur les
moyens d'adapter à une fonction mais ne
mettent pas celle-ci en question. La
«mystique féminine» est un piège redoutable
qui semble n'offrir aux femmes que deux
possibilités : être une ménagère frustrée ou
une femme active sans vie de famille ni de
couple.
Le livre de Betty Friedan, «The feminine
mystique» paraît en 1963 ; il est traduit en
français par Yvette Roudy en 1964, sous le
titre «La femme mystifiée». On peut le
considérer, après «Une chambre à soi» de
Virginia Woolf et le «Deuxième sexe» de
Simone de Beauvoir comme un des textes
fondateurs et fondamentaux du féminisme.
Moins littéraire que le premier, moins
philosophique et référencé que le second, il a
su toucher un très large public dans les pays
occidentaux, (c'est le livre sur les femmes le
plus vendu dans le monde), par la mise en
forme d'un grand nombre de cas et le récit
vivant d'une expérience générale.
Son succès est immédiat en France : malgré
le décalage chronologique en matière
d'équipement ménager, l'effet de guerre avait
été le même... Et les femmes françaises n'ont
pas plus été libérées par Moulinex, dont le
slogan est apparu en 1962, que les femmes
américaines.
Betty Friedan invite les femmes à manifester
un égoïsme sain et à s'accomplir par un
travail qui leur donne une identité propre.
Elle fait remarquer que, quand elle a d'autres
centres d'intérêt, une femme peut faire en
une heure ce qu'une femme au foyer fait en
six heures.
Quelques slogans féministes des années 70
Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa
femme
Un homme sur deux est une femme.
L'homme est le passé des femmes.
Travailleurs de tous les pays, qui lave vos
chaussettes ?
Le personnel est politique.
Un enfant, si je veux, quand je veux, comme
160
occidentaux disposaient déjà de centres d’informations sur les moyens
contraceptifs. En 1956, un groupe de médecins et de journalistes commence à
parler en France du drame des grossesses non désirées (350 000 avortements par
an ?). « Maternité Heureuse » (dont le nom même frôle le sacrilège, laissant
apercevoir qu’elle peut ne pas l’être…), fondée cette année-là, devient le «
Mouvement français pour le planning familial » en 1960. Il joue un rôle
d’information et facilite l’entrée illégale de produits contraceptifs en provenance
de l’étranger. En 1967, la discussion de la loi Neuwirth destinée à permettre la
prescription de la pilule (inventée par Pincus et commercialisée aux États-Unis
dès 1960) donne lieu à ces mémorables débats que savent toujours tenir des
députés français quand il s’agit des droits des femmes. « Les hommes perdront la
fière conscience de leur virilité et les femmes ne seront plus qu’un objet de
volupté stérile » (le député Coumaros). Finalement adoptée grâce à la gauche, (les
décrets d’application seront pris en 1972…), elle est suivie d’une vigoureuse et
spectaculaire campagne pour la liberté de l’avortement impulsée par une
association plus radicale, le « Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la
contraception » (MLAC) qui pratique ouvertement des IVG et assure des «
voyages à l’étranger ». Il a l’appui d’intellectuelles et d’artistes. Le procès de
Bobigny (Gisèle Halimi) et le manifeste des 343 (femmes connues qui déclarent
avoir avorté) en sont les épisodes les plus connus. En 1975, Simone Veil obtient
du Parlement une loi provisoire autorisant dans certaines conditions,
l’interruption volontaire de grossesse. La loi est confirmée en 1979.
A la fin des années 1980, une Française sur deux en âge de procréer utilise la
pilule ou le stérilet. L’information n’est pas assez diffusée, quelques craintes ou
réticences se formulent (en dehors des interdits catholiques) sur la nocivité
éventuelle ou la contrainte quotidienne, les oublis existent et expliquent
l’attachement au droit à l’IVG qui a suscité un long débat public qui n’est pas
encore éteint : les relations de couple sont néanmoins radicalement changées. La
courbe de nuptialité baisse à partir des années 1970, la cohabitation juvénile
s’étend rapidement. Une nouvelle forme de couple cherche ses repères, plus
exigeant et souvent plus précaire. La loi libéralisant le divorce accompagne cette
évolution en 1975. La « faute » n’est plus nécessaire, le consentement mutuel est
possible.
je veux
SIMONE VEIL : DISCOURS DE 1974
Projet de loi autorisant dans certaines
conditions l'interruption volontaire de
grossesse (26 novembre 1974).
L’intégration massive au marché du travail
De 1945 à 1960, l’État poursuit une politique qui privilégie la natalité par rapport
à l’activité. Les débats sociaux portent sur la protection spécifique de la
travailleuse et peu nombreux sont ceux qui soulignent les limites au-delà
desquelles l’embauche sera découragée par tant de spécificité.
L’intégration croissante des femmes au marché du travail marque les années 1960
(facilitée par la prospérité des Trente Glorieuses) et les décennies suivantes. Leur
taux d’activité ne cesse d’augmenter depuis ce tournant. La technologie ménagère
qui peut mystifier les femmes (en les culpabilisant de ne jamais assez bien faire)
peut aussi permettre de rendre envisageable la double journée qui permettra
l’équipement du ménage, la consommation… et l’autonomie financière. C’est un
moyen d’échapper à l’étouffement domestique. Au départ, le développement
rapide de la production et des services a rendu nécessaire cet appel à la réserve
que constituent les femmes : elles deviennent surtout salariées du tertiaire. Entre
1968 et 1973, le tertiaire assure 83% des créations d’emplois et ceux-ci sont
occupés à 60% par des femmes. Un quart de siècle de crise de l’emploi ne
parvient pas à arrêter la montée inéluctable de l’activité féminine, véritable vague
de fond qui submerge le barrage des nostalgies traditionalistes. Elles sont environ
12 millions, à la fin du siècle, 46% de la population active. Le travail à l’extérieur
est devenu la quasi norme, les femmes au foyer presque exceptionnelles, même si
elles sont un peu plus nombreuses dans les classes supérieures et dans les milieux
les plus défavorisés. En 1960, plus de 60% des femmes de 20 à 59 ans vivant en
couple étaient « inactives » ; elles sont moins de 30% en 1999.
De 1965 à 1983, la revendication d’égalité est au premier plan et des ajustements
dans ce sens se font ; en 1965, les femmes obtiennent le droit de travailler sans
l’autorisation de leur mari et celui de gérer leurs biens. En 1983, Y. Roudy fait
passer une loi sur l’égalité professionnelle interdisant toute discrimination
(embauche, qualification, classification, promotion…). Mais l’application laisse
souvent à désirer.
Mais, à partir de 1983, la crise fait adopter des mesures qui fragilisent les femmes
sur le marché de l’emploi peu qualifié et les marginalise. L’encouragement au
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temps partiel, en pointillé, vise les femmes, au nom de la conciliation de la vie
familiale et de la vie professionnelle : 85% de ces emplois sont occupés par des
femmes qui, pour la plupart, souhaitent un temps complet. Les emplois précaires,
les horaires atypiques, le surchômage (chez les jeunes notamment) sont des
problèmes encore plus marqués au féminin. Les écarts de salaires se maintiennent
(25% en moyenne ?). 80% des travailleurs pauvres (moins du SMIC) sont des
femmes. L’allocation parentale d’éducation, alternative à un faible salaire, les
écarte durablement d’un marché difficile où il est presque impossible de rentrer
après interruption
À d’autres niveaux, on peut noter que 66% des postes de cadres sont occupés par
des hommes, et que les écarts de salaires entre dirigeants d’entreprises et
dirigeantes est de 30%…
La légitimation du travail féminin n’est pas encore consolidée, les inégalités
reconstituées restent importantes malgré deux lois en vingt ans (Roudy en 1983,
Génisson en 2001).
La prise de certains bastions masculins
Au sommet de l’échelle sociale, en revanche, les femmes sont devenues visibles
dans la vie publique et économique. Dès 1965, elles sont aussi nombreuses que
les garçons à passer le baccalauréat et elles entrent nombreuses à l’Université.
Les principales formations d’excellence s’ouvrent au début des années 1970
(1972 : Polytechnique) et, à doses infinitésimales, les carrières prestigieuses et les
grandes institutions (ambassades, préfectures, Inspection des Finances, Collège
de France et enfin l’Académie Française en 1980). Les exceptions sont-elles
suffisantes pour amorcer un changement de la règle ?
La fin de la loi du père
Depuis 1965, les femmes n’étaient plus considérées comme mineures. A partir de
1970, une batterie de lois établit la coresponsabilité parentale et l’égalité dans la
famille : ainsi s’efface, en principe, la notion de chef de famille. Toute référence
au sexe des conjoints disparaît dans les dispositions en faveur des familles.
Femmes, politique et féminismes
Aucune des transformations énumérées n’est la conséquence automatique des
progrès économiques, scientifiques, ou techniques. Elles résultent aussi d’une
constante pression individuelle ou collective des femmes et des féminismes.
Pluriels, foisonnants d’associations, de publications, d’initiatives… et de
divergences. Le féminisme de la première vague, essoufflé, se prolonge dans les
partis, les assemblées, l’administration. Sous l’égide de l’État et de l’Europe, un
féminisme institutionnel recherche un ajustement des droits entre les sexes. En
France, depuis 1974, il existe un secrétariat d’État ou un ministère (dont l’intitulé
est passé de « Condition féminine » à « Droits des femmes ») chargé de ces
questions. Mais la recherche d’égalité (juridique, économique…) est contrée par
les nostalgies traditionalistes coïncidant avec la recherche de solutions miracles
contre le chômage (cf. ci-dessus).
Une seconde vague apparaît dans les années 1960-1980 (« les années Mouvement
» de la libération des femmes ). Elle « s’attache bien davantage à l’autonomie du
sujet-femme, dans ses choix existentiels de tous ordres, professionnels et
amoureux, dans un contexte scientifique renouvelé, notamment quant à la
reproduction humaine. Temps de « révolution sexuelle » au double sens du terme
: relations entre les sexes et pratique de la sexualité. […] On peut enfin envisager
de dissoudre la hiérarchie du masculin et du féminin qui organisait l’ordre
symbolique du monde. » (Michelle Perrot)
Le mouvement de libération des femmes a occupé le devant de la scène dans les
années 70. Apparu à la fin des années 60, il procède des mouvements étudiants de
Mai 1968, et fait partie du séisme de société de cette période. Il résulte, en partie,
de ruptures survenues dans les mouvements gauchistes. Les étudiantes, devenues
aussi nombreuses que les garçons en 1965, font leur première expérience des
discriminations en subissant la division sexuelle du travail militant. Les
mouvements d’extrême gauche étant, par ailleurs, aveuglés par la perception des
revendications féministes comme « bourgeoises ». Cet aveuglement a, on le sait,
une longue histoire. Le sigle même de MLF veut, par ailleurs, faire référence aux
mouvements de libération nationale. Ces nouveaux groupes ne revendiquent
aucune affiliation, ils affichent leur rupture avec les associations antérieures, ils
se veulent anti-autoritaires, inventifs, capables d’humour et d’autodérision. Les
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premières manifestations ont lieu à partir de 1970 (dépôt de gerbe à la femme du
soldat inconnu). Elles tournent en dérision les invectives injurieuses reçues y
compris de la part des militants de gauche et leurs inventions ludiques et
exubérantes, autour des grandes questions de liberté des femmes mobilisent tout
un capital de sympathie. C’est la libre disposition du corps qui est au centre du
mouvement « Un enfant si je veux, quand je veux, comme je veux ». C’est alors
que se multiplient les revues, les journaux, éditions, films… et certaines
divergences (égalité/différence). Il est plus important de noter la forte
perméabilité de nombreuses femmes à beaucoup de ces idées qui pénètrent (un
peu) les partis et, (avec difficulté), les syndicats. Les magazines féminins sont
eux-mêmes obligés de s’interroger, et, pour certains, de faire quelque place aux
débats mis dans la rue avec tant de verve : l’audience potentielle ne pouvait être
négligée…
L’orientation majoritaire du féminisme français qui s’est voulu autonome par
rapport aux partis explique en partie peut-être que les partis et le pouvoir
politique restent un domaine viril.
Conclusion et ouvertures possibles (questions à prévoir) :
Rappeler que leur participation à la Résistance justifie l’obtention du droit de vote
en 1945.
Evaluation cohérente en fonction des
objectifs :
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